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L’Encéphale (2009) Supplément 7, S319–S324 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com journal homepage: www.elsevier.com/locate/encep Dépressions sévères : traitements pharmacologiques Severe depression : pharmacological treatments S. Mouchabac Département de psychiatrie et de psychologie médicale, Hôpital Saint-Antoine, 184, rue du Faubourg Saint-Antoine, 75012 Paris Mots clés Dépression ; Sévérité ; Antidépresseurs ; Traitements pharmacologiques KEYWORDS Depression ; Severity ; Antidepressant ; Pharmacological treatment Résumé La dépression est une pathologie fréquente dont l’hétérogénéité clinique est importante et pour laquelle on dispose de molécules actives, avec des règles de prescription formalisées. Pourtant, certaines formes posent des problèmes de choix thérapeutique, en particulier du fait de définitions complexes qui restent perfectibles : la dépression sévère en est un exemple, avec un pronostic et une évolution souvent défavorable si elle est mal prise en charge. Or peu de traitements ont été spécifiquement évalués dans cette indication et adaptés à ses différentes modalités d’expression. On peut la considérer selon différents aspects : approche dimensionnelle selon l’intensité ; approche catégorielle (sous-groupe clinique tel que les mélancolies) ; sévérité symptomatique, risque suicidaire, signes psychotiques ; sévérité liée aux comorbidités, à la morbimortalité et au handicap, voire à la barrière au traitement et enfin à l’évolution (récurrences, symptômes résiduels et chronicité). La rémission symptomatique et fonctionnelle est un objectif thérapeutique fondamental pour lequel les traitements pharmacologiques ont une place essentielle. Dans cet article seront analysées les modalités de prescriptions en fonction des différents aspects du concept de sévérité dans la dépression. Abstract Depression is a common illness with a large clinical phenotype, and clinicians have numerous guidelines to treat this disorder : many antidepressant drugs are available with different pharmacological profiles and stepped strategies are proposed to obtain a remission. It exists a relationship between baseline depression symptom severity and treatment response and patient with higher levels of severity received significantly more intervention visits, more months of antidepressant treatment and more antidepressant trials, but there is not accepted and consensual definition for severe depression. By using cut-off scores on rating scales severe depression is at one extreme of a continuum of severity (but scales which serve for quantifying the intensity of the depression with thresholds present an interest and also limits, in the current practice, they are rarely used), in the other hand some symptoms contributes to severity (psychotics features, suicidal ideation), evolution and prognosis is a part of severity too (recurrences, chronicity), severe depression can influence a somatic pathology contributing to severity (could be considered itself as a major risk factor) and have an impact on treatment outcome, finally by its role on morbi-mortality and handicap, depression is often a severe disorder. So, concerning the therapeutic choices, there are few data to choose specific options because the concept of severity in the depression is not still clearly defined in studies and few randomized contolled studies have been done in this indication and adapted to different modality of the severity expression. Symptom-free remission is a goal for treatment in severe depression, but complications have to be considered in medication algorithms. In this paper, we review the modalities of prescription of antidepressants according to these differences of the severity in depression. * Auteur correspondant. E-mail : [email protected] L’auteur a signalé des conflits d’intérêts avec Euthérapie, Lundbeck, Sanofi, Janssen-Cilag, Lilly et BMS. © L’Encéphale, Paris, 2009. Tous droits réservés. S320 Introduction Si la dépression est une pathologie reconnue, et les bases de son traitement admises, elle possède néanmoins une hétérogénéité importante dans sa présentation clinique ; de ce fait, ses modes d’expression peuvent nécessiter des approches thérapeutiques différentes. La notion de sévérité est un des aspects les plus complexes de la clinique la dépression, puisqu’il n’en existe pas de définition consensuelle, les critères retenus pour mesurer la sévérité restant perfectible. On peut ainsi l’appréhender selon différents aspects : sévérité en termes d’intensité (approche dimensionnelle), sévérité liée à une catégorie diagnostique (sous-groupe clinique tel que les mélancolies), sévérité liée aux symptômes (risque suicidaire, signes psychotiques), sévérité liée à la morbi-mortalité et au handicap, mais aussi aux comorbidités (somatiques et psychiatriques), voire à la barrière au traitement et enfin à l’évolution (récurrences, symptômes résiduels et chronicité). D’une façon générale, la méthodologie des études dans la dépression comporte fréquemment des biais qui peuvent affecter les résultats, comme favoriser le recrutement de patients dont la dépression est moins sévère, ou exclure ceux porteurs de certains symptômes pourtant en lien avec la sévérité, tels que l’idéation suicidaire, pour lesquels le risque est considéré comme trop important en cas de randomisation vers le placebo, surtout en ambulatoire [9]. Si certains auteurs discutent l’indication d’un traitement pharmacologique dans la dépression d’intensité légère, il apparaît que le taux de rémission spontanée des dépressions varie selon le degré de sévérité du trouble, les dépressions légères ayant tendance à évoluer plus favorablement que les dépressions sévères. Dans les études, la supériorité d’efficacité du traitement par rapport au placebo augmente avec l’intensité de l’épisode [15] Le traitement pharmacologique dans le cadre de la dépression sévère est donc une étape essentielle dans la prise en charge. Mais concernant le choix thérapeutique, il existe peu de données spécifiques pour dégager des options particulières, d’autant que le concept de sévérité dans la dépression n’est pas toujours clairement défini dans les études. En définitive, la sélection initiale de l’antidépresseur repose sur la quantité et la qualité des essais concernant la dépression sévère et ses différentes modalités d’expression (intensité symptomatique, formes ou symptômes cliniques spécifiques, gravité liée à l’évolution), sur les effets secondaires anticipés et leur poids dans la balance bénéfice risque et, enfin, sur la demande du patient (niveau d’acceptabilité du rapport bénéfice risque). L’évaluation initiale de l’épisode doit donc être rigoureuse, et comporter plusieurs volets en vue d’une décision thérapeutique adaptée. Évaluation clinique de la sévérité et de son mode d’expression La notion de la sévérité est complexe dans sa définition ; elle influe pourtant de manière directe sur le traitement de l’épisode aigu. S. Mouchabac S’il existe de nombreux outils psychométriques spécifiques qui permettent de quantifier l’intensité de la dépression (MADRS, HRDS, BRMS), leur usage présente des limites ; dans la pratique courante, ils sont rarement utilisés (réservés plutôt à la recherche), et l’évaluation de l’intensité est plus souvent subjective. La présence d’un plus grand nombre de critères dépressifs caractérise la sévérité, selon l’approche quantitative du DSM IV [1]. Outre le nombre d’items dépressifs, certains symptômes et leur intensité ont plus d’importance pour déterminer l’indice de sévérité (approche qualitative de la CIM-10) : on recherche ainsi la présence d’idées suicidaires en précisant leur intensité, d’une douleur morale, d’affects dépressifs mélancoliformes ou l’existence de symptômes psychotiques congruents ou non à l’humeur, ainsi que le degré d’anhédonie [22]. Quelque soit l’approche, on mesure les répercussions sur le fonctionnement social et les activités habituelles du sujet, car il existe une relation positive entre la sévérité de la dépression et l’impact en termes de handicap [14]. De plus, même s’ils ne sont pas nécessairement associés à un indice de sévérité initiale, d’autres critères doivent être recherchés, car ils donnent une indication des risques actuels et potentiels de l’épisode dépressif, en termes d’aggravation clinique ou d’évolution défavorable (réponse partielle au traitement, symptômes résiduels, récidives et chronicité) [8] : •antécédents personnels d’épisodes dépressifs majeurs, leur nombre, leur durée, l’intervalle entre les épisodes, la rapidité des rechutes ou récidives ; •antécédents personnels de tentative de suicide, antécédents familiaux psychiatriques ; •troubles de la personnalité, troubles anxieux, addictions, mauvais fonctionnement intercritique ; •facteurs environnementaux tels des traumatismes, séparations ou deuils précoces, un environnement (familial, social, professionnel) insuffisant ou stressant. En cas d’antécédents dépressifs, il faut recueillir avec attention l’historique des prescriptions reçues par le patient : type de molécule, qualité de la réponse thérapeutique, tolérance et préférence du patient ; ces informations permettent d’argumenter la décision thérapeutique. Évaluation somatique et paraclinique dans les dépressions sévères L’évaluation somatique et paraclinique de la dépression sévère est importante ; même si les relations causales avec les pathologies somatiques ne sont pas toujours clairement identifiées, on sait que les comorbidités somatiques peuvent contribuer à l’aggravation de la dépression du point de vue pronostique, donc de sa sévérité, que certains traitements de pathologies organiques peuvent aggraver l’expression symptomatique ou moduler la réponse thérapeutique (réponse partielle, résistance) [2, 13, 21], et enfin que la dépression peut constituer un facteur de risque de survenue de maladies somatiques, mais aussi d’évolution péjorative (du point de vue de la morbi-mortalité) lorsque celles-ci sont Dépressions sévères : traitements pharmacologiques déjà présentes chez le patient. Le bilan clinique devra donc rechercher ces éventuelles complications. Tous les patients présentant une dépression sévère ne sont pas nécessairement hospitalisés, la décision variant en fonction de la qualité de l’environnement familial et social, de la nature des pratiques et des ressources médicales disponibles, et des différentes comorbidités. Les éléments du bilan sont essentiellement orientés par le contexte clinique : âge, comorbidité somatique connue, antécédents personnels ou familiaux, troubles cognitifs importants. Ils servent au bilan pré-thérapeutique, au diagnostic différentiel ou à l’évaluation d’une comorbidité somatique. Le bilan peut comporter un bilan biologique standard, un bilan lipidique, un bilan inflammatoire, un bilan thyroïdien initial (TSHu, complétée en cas d’anomalie), des examens spécifiques d’une pathologie organique connue, un ECG (bilan diagnostique ou pré-thérapeutique pour certaines molécules), voire une imagerie cérébrale et un électro-encéphalogramme. D’autres paramètres ne sont pas systématiquement mesurés, mais peuvent contribuer à la recherche d’étiologies influençant l’expression de la dépression (par exemple une carence en vitamine B12 ou en folates en cas d’hyporexie sévère, en fonction de l’âge et de la coprescription de certains médicaments) [16]. Enfin, s’il existe des prescriptions médicamenteuses pour d’autres pathologies, une analyse des effets indésirables, ainsi que des interactions, est essentielle pour évaluer la part potentiellement pharmaco induite de la dépression actuelle et son influence sur l’indice de sévérité. Importance de l’information au patient dans la dépression sévère Après une synthèse des éléments cliniques et paracliniques, le praticien doit informer le patient des résultats de son évaluation et des implications thérapeutiques qui en résultent, car dans de nombreux cas il existe une sous-estimation de la sévérité de l’épisode par le patient. En effet, on constate souvent dans la pratique (aussi bien du point de vue du patient, de son entourage que de certains soignants) que la dépression est considérée comme une réponse normale à des événements de vie, qu’il faut gérer seul ou avec un entourage non professionnel. Il est fondamental de souligner que plus l’épisode est sévère, moins il est enclin à une amélioration spontanée. Le praticien doit donc expliciter la notion de sévérité, ce qui peut permettre d’améliorer le lien thérapeutique et, dans la durée, l’observance au traitement. On peut s’appuyer sur l’argument épidémiologique (prévalence de la dépression, risques en termes d’évolution et de complication), qui fournit des informations concrètes et indispensables dans l’évaluation de la balance bénéfice/risque avec le patient ; sur la notion de facteurs de risque et de comorbidité (psychiatriques et somatiques) qui justifient la prise en charge plus complexe des dépressions sévères (hospitalisation, bilan médical, surveillance, nature des traitements) ; sur l’impact psychosocial et les séquelles cognitives S321 ou psychologiques potentielles ; enfin, sur la notion de réponse au traitement (définition, délais, cinétique probable d’amélioration clinique). Traitements pharmacologiques des dépressions sévères Sévérité dimensionnelle Dans le cadre d’une définition dimensionnelle de la dépression sévère (seuil défini en fonction d’un score psychométrique), les études comparent des critères opératoires tels que l’efficacité (nature de la réponse au traitement), l’acceptabilité et la tolérance, puis elles étudient les liens avec la sévérité et l’évolution des dépressions. Certains auteurs soulignent toutefois l’importance de l’évaluation de la balance bénéfice-risque quelle que soit l’intensité de la dépression [6]. Si la forte hétérogénéité des échantillons ne permet pas toujours d’identifier des différences suffisamment spécifiques (ou répliquées) pour proposer des recommandations, on dispose d’études dont la méthodologie a été spécifiquement élaborée pour évaluer l’efficacité dans le cadre de la dépression sévère. Les différences interclasses ne sont pas clairement démontrées, et des études montrent l’efficacité des inhibiteurs de recapture de la sérotonine (IRS), des inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et noradrénaline (IRSNA), des agonistes mélatoninergiques et des tricycliques dans les formes sévères [4, 7, 10, 12, 19]. Ces données spécifiques contribuent au choix de la molécule de première intention, et les algorithmes récents utilisés dans plusieurs recommandations s’appliquent tout spécialement à cette approche. Sévérité liée à la clinique (risque suicidaire, symptômes psychotiques) Dans le cadre de la dépression sévère caractérisée par un risque suicidaire élevé, le choix d’un antidépresseur peut s’avérer complexe : si l’implication des antidépresseurs comme facteur pouvant favoriser le suicide a été largement débattue (le bénéfice des antidépresseurs reste en faveur de la prescription pour les dépressions sévères, sachant que l’association à des molécules sédatives en début de traitement réduit le risque de passage à l’acte), la question de la létalité des molécules prescrites reste un point important, même si pour certaines recommandations cette considération est de grade C [13]. En effet, une étude anglaise [5] constatait que sur 486 décès par surdosage d’antidépresseurs, 80 % étaient d’origine intentionnelle (dans 60 % des cas on retrouvait un antidépresseur seul, et dans 40 % l’antidépresseur était associé à une autre molécule). La létalité était supérieure pour les tricycliques ; pour les IRS, elle était surtout liée (93 % des cas) à l’association avec d’autres molécules (implication probable des cytochromes P450, avec les tricycliques, mais surtout avec des substances psycho-actives comme l’alcool ou les opiacés). Ces données soulignent l’importance du suivi en début de traitement, et le dépistage d’autres fac- S322 teurs de risque, tels que l’abus de drogue, qui augmentent la létalité de tous les antidépresseurs en cas de surdosage. La dépression avec symptômes psychotiques est sévère en termes de morbi-mortalité, associée à un taux de rechute et de récidives plus élevés [17]. Cependant on dispose de peu d’études à haut niveau de preuve pour cette indication spécifique, et les recommandations sont assez empiriques quant à la dose optimale et la durée des traitements, ou quant aux classes d’antidépresseurs les mieux indiquées (les recommandations actuelles considèrent que les IRS et IRSNA sont indiqués en première intention). Il est cependant admis qu’un antidépresseur est plus efficace s’il est associé à un antipsychotique : la balance bénéfice-risque des antipsychotiques atypiques étant favorable, ces derniers sont proposés en première intention [21], avec des doses globalement moins élevées que dans la schizophrénie. On considère qu’un patient ayant atteint une rémission symptomatique doit bénéficier du traitement à la même dose pendant une période minimale de 6 à 9 mois, la décision du maintien des traitements au-delà de cette période reposant sur le risque de récidive. Sévérité liée aux comorbidités somatiques Les comorbidités participent à la sévérité de la dépression. Comme de plus, le clinicien ne peut supprimer des traitements spécifiques d’une pathologie somatique au profit des psychotropes, s’ajoute la difficulté de prescriptions entraînant des effets secondaires gênants ou des incompatibilités médicamenteuses ; la balance bénéfice-risque doit donc être évaluée avec une attention particulière, et les choix pourront ensuite être argumentés en fonction du niveau d’interaction (Tableau 1). Certains antidépresseurs ont des profils pharmacologiques de tolérance et de sécurité plus adaptés à des contex- Tableau 1 Niveau d’interaction pharmacologique d’après Strain et al. [20] Niveau 1 (Majeur) : risque > bénéfice Létalité potentielle ou lésions irréversibles. Décision en l’absence d’alternative : hospitalisation, suivi et contrôle intensifié. Niveau 2 (Modéré) : Altération de l’état du patient, nécessité de traitements supplémentaires et d’une hospitalisation (ou de son allongement). Décision en l’absence d’alternative : information détaillée au patient. Surveillance clinique plus rapprochée et spécifique (arrêt précoce du traitement si effets secondaires majeurs). Traitements adjuvants si nécessaires. Niveau 3 (Léger) : Effets secondaires gênants mais pas d’impact sur le pronostic, pas de traitement supplémentaire nécessaire. Décision en l’absence d’alternative : pas de traitement à exclure, surveillance habituelle. S. Mouchabac tes cliniques tels que les pathologies cardio-vasculaires (IRS ou agonistes mélatoninergiques par rapport aux tricycliques) et seront donc préférés, en tenant compte des effets sur les cytochromes P450. La décision thérapeutique prend en compte le niveau de risque lié aux interactions pharmacologiques (Tableau 1). Sévérité liée à l’évolution Si l’on compare le profil évolutif des dépressions sévères aux formes légères ou modérées, les premières sont associées à une plus faible probabilité de rémission spontanée, à un taux de rechute précoce élevé, et à la présence plus fréquente de symptômes résiduels, qui sont des facteurs de mauvais pronostic, donc de gravité. Ainsi, certains auteurs considèrent que, en prenant en compte l’évolution, le handicap et le coût, c’est moins la prise en charge d’un épisode isolé qui est complexe, que la prévention des complications, qui signent la sévérité du tableau dépressif [3]. Ils préconisent un système de prise en charge de type « maladie chronique » appliquée à la dépression, qui repose sur 4 composantes : une organisation dite « proactive » du suivi des sujets déprimés (registre de patients avec programmation de la fréquence des consultations selon le stade de la maladie : aigu, consolidation ou rémission) ; une psychoéducation à l’adresse du patient et de sa famille ; l’utilisation de systèmes experts (recommandations validées, avec algorithmes) ; et l’archivage systématique des données, comme le type de traitement, la durée de prescription, les mesures cliniques, le profil évolutif. Le traitement de consolidation, qui permet de réduire le taux de rechutes, repose sur le traitement qui a conduit à la rémission, à la dose qui a été efficace lors du traitement d’attaque. La durée est habituellement de 4 à 6 mois pour les dépressions quelle que soit leur intensité, mais dans le cadre d’une dépression sévère, en fonction de la clinique initiale et des facteurs de risque associés, cette durée peut aller au-delà de 6 mois. L’indication d’un traitement préventif des récidives sera discutée en cas de trouble dépressif récurrent connu, pour des épisodes rapprochés avec des facteurs de risque de récidive ou de chronicité, et s’il s’agit du 3e épisode en moins de 4 ans (HAS). Outils pragmatiques de prescription et d’évaluation de l’efficacité du traitement dans la dépression sévère Il a été montré que l’utilisation d’algorithmes d’évaluation et de prescription apporte un bénéfice dans la prise en charge des dépressions sévères [11, 23] en comparaison des soins usuels (non formalisés). On se réfère à des « points de décision clinique », pour lesquels une action thérapeutique spécifique est proposée, et qui diffèrent de la fréquence des visites (celles-ci s’adaptant plus au contexte clinique). Après instauration du traitement, les évaluations se font à la quatrième semaine (S4), puis à S6, S8, S10 et S12 pour chaque étape thérapeutique. Dans la plupart des cas, les décisions dépendent de la nature de la réponse au traitement (pourcentage d’amélio- Dépressions sévères : traitements pharmacologiques S323 ration par rapport au score de base sur les échelles de dépression ou par rapport au nombre de symptômes) et mais aussi sur des paramètres tels que les effets secondaires, ou le fonctionnement social. Il faut cependant considérer que dans la dépression sévère, les scores initiaux étant élevés, il peut persister de nombreux symptômes résiduels même après diminution de 50 % du score à une échelle de dépression (critère pourtant jugé habituellement comme favorable). En fonction de ces résultats, une décision thérapeutique spécifique est proposée (Fig. 1). Si la réponse est complète avec une amélioration supérieure à 50 %, le traitement est poursuivi à la même dose ; mais l’objectif étant d’atteindre une amélioration supérieure à 75 % de manière durable, on peut être amené, lors des évaluations suivantes, à augmenter la dose ou poten tialiser le traitement antidépresseur (par lithium, hormones thyroïdiennes, ou antipsychotiques atypiques). Si l’objectif n’est pas atteint, la stratégie thérapeutique est modifiée. Entre 50 et 25 %, la réponse est dite partielle, et le traitement sera augmenté ou potentialisé ; néanmoins, si ultérieurement l’amélioration reste dans cet intervalle, la stratégie thérapeutique est également modifiée. En dessous de 25 %, il y a absence de réponse, et l’on change généralement d’emblée de stratégie thérapeutique. En cas de potentialisation ou d’augmentation de la dose, l’efficacité est évaluée au « point de décision clinique » suivant. Lorsqu’on change de stratégie thérapeutique, la prescription médicamenteuse étant modifiée, on reprend un nouveau cycle d’évaluation (S0, S4, S6 etc..). L’application de ce type d’algorithmes et le niveau d’exigence de ses objectifs ont pour conséquence une utilisation de doses d’antidépresseurs souvent plus élevées que celles utilisées en soins courants (ambulatoire, épisode d’intensité légère ou modérée, absence de comorbidité). Les étapes thérapeutiques proposent toujours une progression pragmatique et logique par rapport aux traitements : changement de classe (au moins 2 fois), association rationnelle d’antidépresseurs, potentialisation systématique, puis discussion de l’indication des traitements non pharmacologiques (stimulation magnétique transcrânienne, électroconvulsivothérapie). La présence de symptômes psychotiques amène à un algorithme qui raccourcit le nombre d’étapes avant le passage aux traitements non pharmacologiques. Les agents classiquement utilisés comme potentialisateurs sont : •le lithium, avec une concentration sérique cible comprise entre 0,4 et 0,6 mEq/l ; •la tri-iodothyronine (T3), à une dose de 25 à 50 mcg/j ; •le buspirone, entre 20 et 60 mg/j ; •l’aripiprazole, 5 à 10 mg/j ; •la lamotrigine (hors AMM en France), entre 50 et 200 mg/j. En association avec les antidépresseurs, des traitements symptomatiques classiques sont le plus souvent proposés (anxiolytiques, hypnotiques, correcteurs d’éventuels effets indésirables). Conclusion L’évaluation de la sévérité, sous différents angles conceptuels, s’avère opérante pour déterminer les traitements les plus adaptés aux différents aspects cliniques, avec comme dénominateur commun le handicap et les risques d’évolution péjorative qui lui sont inhérents. La dépression sévère doit bénéficier d’une prise en charge optimale, et le choix d’une option thérapeutique dépend de différents paramètres : le sujet déprimé, la nature de sa maladie et la sévérité de l’épisode, ainsi que l’objectif thérapeutique. Ce dernier point est essentiel : sans définition d’un objectif, la prise en charge risque d’être peu efficace ; or un objectif thérapeutique ne peut se concevoir sans l’existence d’un traitement efficace ayant une balance bénéfice-risque favorable. Le traitement pharmacologique est donc l’une des étapes essentielles de la prise en charge de la dépression sévère. Dans le cadre de la dépression sévère, l’objectif implique un niveau d’exigence élevé : il faut rechercher une Stratégie thérapeutique 1er antidépresseur Continuer 25 % < réponse < 50 % réponse < 25 % Changement de stratégie Augmentation dose Potentialisation réponse > 50 % 25 % < réponse < 50 % ou réponse < 25 % Figure 1 Évaluation et décision lors d’une étape thérapeutique (adapté d’après [22]). S324 rémission symptomatique consolidée, puis éviter les complications fréquentes, et viser une récupération fonctionnelle, une restauration de la qualité de vie, et une prévention des séquelles psychosociales [18]. Enfin, on peut penser que l’amélioration de la validité des critères de sévérité permettra la découverte de nouveaux axes thérapeutiques et une optimisation des modalités de prescription. Références [1]American Psychiatric Association. Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (4th Edn) (DSM IV), Washington, DC ; 1994. [2]American Psychiatric Association. 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