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L’Encéphale (2009) Supplément 7, S319–S324
Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com
journal homepage: www.elsevier.com/locate/encep
Dépressions sévères : traitements pharmacologiques
Severe depression : pharmacological treatments
S. Mouchabac
Département de psychiatrie et de psychologie médicale, Hôpital Saint-Antoine, 184, rue du Faubourg Saint-Antoine,
75012 Paris
Mots clés
Dépression ;
Sévérité ;
Antidépresseurs ;
Traitements
pharmacologiques
KEYWORDS
Depression ;
Severity ;
Antidepressant ;
Pharmacological
treatment
Résumé La dépression est une pathologie fréquente dont l’hétérogénéité clinique est importante et pour
laquelle on dispose de molécules actives, avec des règles de prescription formalisées. Pourtant, certaines
formes posent des problèmes de choix thérapeutique, en particulier du fait de définitions complexes qui
restent perfectibles : la dépression sévère en est un exemple, avec un pronostic et une évolution souvent
défavorable si elle est mal prise en charge. Or peu de traitements ont été spécifiquement évalués dans cette
indication et adaptés à ses différentes modalités d’expression. On peut la considérer selon différents aspects :
approche dimensionnelle selon l’intensité ; approche catégorielle (sous-groupe clinique tel que les mélancolies) ;
sévérité symptomatique, risque suicidaire, signes psychotiques ; sévérité liée aux comorbidités, à la morbimortalité et au handicap, voire à la barrière au traitement et enfin à l’évolution (récurrences, symptômes
résiduels et chronicité). La rémission symptomatique et fonctionnelle est un objectif thérapeutique fondamental
pour lequel les traitements pharmacologiques ont une place essentielle. Dans cet article seront analysées les
modalités de prescriptions en fonction des différents aspects du concept de sévérité dans la dépression.
Abstract Depression is a common illness with a large clinical phenotype, and clinicians have numerous
guidelines to treat this disorder : many antidepressant drugs are available with different pharmacological
profiles and stepped strategies are proposed to obtain a remission. It exists a relationship between
baseline depression symptom severity and treatment response and patient with higher levels of severity
received significantly more intervention visits, more months of antidepressant treatment and more
antidepressant trials, but there is not accepted and consensual definition for severe depression.
By using cut-off scores on rating scales severe depression is at one extreme of a continuum of severity
(but scales which serve for quantifying the intensity of the depression with thresholds present an interest
and also limits, in the current practice, they are rarely used), in the other hand some symptoms
contributes to severity (psychotics features, suicidal ideation), evolution and prognosis is a part of
severity too (recurrences, chronicity), severe depression can influence a somatic pathology contributing
to severity (could be considered itself as a major risk factor) and have an impact on treatment outcome,
finally by its role on morbi-mortality and handicap, depression is often a severe disorder.
So, concerning the therapeutic choices, there are few data to choose specific options because the
concept of severity in the depression is not still clearly defined in studies and few randomized contolled
studies have been done in this indication and adapted to different modality of the severity expression.
Symptom-free remission is a goal for treatment in severe depression, but complications have to be
considered in medication algorithms. In this paper, we review the modalities of prescription of
antidepressants according to these differences of the severity in depression.
* Auteur correspondant.
E-mail : [email protected]
L’auteur a signalé des conflits d’intérêts avec Euthérapie, Lundbeck, Sanofi, Janssen-Cilag, Lilly et BMS.
© L’Encéphale, Paris, 2009. Tous droits réservés.
S320
Introduction
Si la dépression est une pathologie reconnue, et les bases
de son traitement admises, elle possède néanmoins une
hétérogénéité importante dans sa présentation clinique ;
de ce fait, ses modes d’expression peuvent nécessiter des
approches thérapeutiques différentes.
La notion de sévérité est un des aspects les plus complexes de la clinique la dépression, puisqu’il n’en existe
pas de définition consensuelle, les critères retenus pour
mesurer la sévérité restant perfectible.
On peut ainsi l’appréhender selon différents aspects :
sévérité en termes d’intensité (approche dimensionnelle),
sévérité liée à une catégorie diagnostique (sous-groupe clinique tel que les mélancolies), sévérité liée aux symptômes
(risque suicidaire, signes psychotiques), sévérité liée à la
morbi-mortalité et au handicap, mais aussi aux comorbidités (somatiques et psychiatriques), voire à la barrière au
traitement et enfin à l’évolution (récurrences, symptômes
résiduels et chronicité).
D’une façon générale, la méthodologie des études dans
la dépression comporte fréquemment des biais qui peuvent
affecter les résultats, comme favoriser le recrutement de
patients dont la dépression est moins sévère, ou exclure
ceux porteurs de certains symptômes pourtant en lien avec
la sévérité, tels que l’idéation suicidaire, pour lesquels le
risque est considéré comme trop important en cas de randomisation vers le placebo, surtout en ambulatoire [9]. Si
certains auteurs discutent l’indication d’un traitement
pharmacologique dans la dépression d’intensité légère, il
apparaît que le taux de rémission spontanée des dépressions varie selon le degré de sévérité du trouble, les dépressions légères ayant tendance à évoluer plus favorablement
que les dépressions sévères. Dans les études, la supériorité
d’efficacité du traitement par rapport au placebo augmente avec l’intensité de l’épisode [15] Le traitement
pharmacologique dans le cadre de la dépression sévère est
donc une étape essentielle dans la prise en charge.
Mais concernant le choix thérapeutique, il existe peu de
données spécifiques pour dégager des options particulières,
d’autant que le concept de sévérité dans la dépression
n’est pas toujours clairement défini dans les études.
En définitive, la sélection initiale de l’antidépresseur
repose sur la quantité et la qualité des essais concernant la
dépression sévère et ses différentes modalités d’expression
(intensité symptomatique, formes ou symptômes cliniques
spécifiques, gravité liée à l’évolution), sur les effets secondaires anticipés et leur poids dans la balance bénéfice risque
et, enfin, sur la demande du patient (niveau d’acceptabilité
du rapport bénéfice risque). L’évaluation initiale de l’épisode doit donc être rigoureuse, et comporter plusieurs volets
en vue d’une décision thérapeutique adaptée.
Évaluation clinique de la sévérité
et de son mode d’expression
La notion de la sévérité est complexe dans sa définition ;
elle influe pourtant de manière directe sur le traitement de
l’épisode aigu.
S. Mouchabac
S’il existe de nombreux outils psychométriques spécifiques qui permettent de quantifier l’intensité de la dépression (MADRS, HRDS, BRMS), leur usage présente des limites ;
dans la pratique courante, ils sont rarement utilisés (réservés plutôt à la recherche), et l’évaluation de l’intensité est
plus souvent subjective.
La présence d’un plus grand nombre de critères dépressifs caractérise la sévérité, selon l’approche quantitative
du DSM IV [1]. Outre le nombre d’items dépressifs, certains
symptômes et leur intensité ont plus d’importance pour
déterminer l’indice de sévérité (approche qualitative de la
CIM-10) : on recherche ainsi la présence d’idées suicidaires
en précisant leur intensité, d’une douleur morale, d’affects
dépressifs mélancoliformes ou l’existence de symptômes
psychotiques congruents ou non à l’humeur, ainsi que le
degré d’anhédonie [22].
Quelque soit l’approche, on mesure les répercussions
sur le fonctionnement social et les activités habituelles du
sujet, car il existe une relation positive entre la sévérité de
la dépression et l’impact en termes de handicap [14].
De plus, même s’ils ne sont pas nécessairement associés
à un indice de sévérité initiale, d’autres critères doivent
être recherchés, car ils donnent une indication des risques
actuels et potentiels de l’épisode dépressif, en termes
d’aggravation clinique ou d’évolution défavorable (réponse
partielle au traitement, symptômes résiduels, récidives et
chronicité) [8] :
•antécédents personnels d’épisodes dépressifs majeurs,
leur nombre, leur durée, l’intervalle entre les épisodes,
la rapidité des rechutes ou récidives ;
•antécédents personnels de tentative de suicide, antécédents familiaux psychiatriques ;
•troubles de la personnalité, troubles anxieux, addictions,
mauvais fonctionnement intercritique ;
•facteurs environnementaux tels des traumatismes, séparations ou deuils précoces, un environnement (familial,
social, professionnel) insuffisant ou stressant.
En cas d’antécédents dépressifs, il faut recueillir avec
attention l’historique des prescriptions reçues par le
patient : type de molécule, qualité de la réponse thérapeutique, tolérance et préférence du patient ; ces informations permettent d’argumenter la décision thérapeutique.
Évaluation somatique et paraclinique dans
les dépressions sévères
L’évaluation somatique et paraclinique de la dépression
sévère est importante ; même si les relations causales avec
les pathologies somatiques ne sont pas toujours clairement
identifiées, on sait que les comorbidités somatiques peuvent
contribuer à l’aggravation de la dépression du point de vue
pronostique, donc de sa sévérité, que certains traitements
de pathologies organiques peuvent aggraver l’expression
symptomatique ou moduler la réponse thérapeutique
(réponse partielle, résistance) [2, 13, 21], et enfin que la
dépression peut constituer un facteur de risque de survenue
de maladies somatiques, mais aussi d’évolution péjorative
(du point de vue de la morbi-mortalité) lorsque celles-ci sont
Dépressions sévères : traitements pharmacologiques
déjà présentes chez le patient. Le bilan clinique devra donc
rechercher ces éventuelles complications.
Tous les patients présentant une dépression sévère ne
sont pas nécessairement hospitalisés, la décision variant en
fonction de la qualité de l’environnement familial et social,
de la nature des pratiques et des ressources médicales disponibles, et des différentes comorbidités.
Les éléments du bilan sont essentiellement orientés par
le contexte clinique : âge, comorbidité somatique connue,
antécédents personnels ou familiaux, troubles cognitifs
importants. Ils servent au bilan pré-thérapeutique, au diagnostic différentiel ou à l’évaluation d’une comorbidité
somatique. Le bilan peut comporter un bilan biologique
standard, un bilan lipidique, un bilan inflammatoire, un
bilan thyroïdien initial (TSHu, complétée en cas d’anomalie), des examens spécifiques d’une pathologie organique
connue, un ECG (bilan diagnostique ou pré-thérapeutique
pour certaines molécules), voire une imagerie cérébrale et
un électro-encéphalogramme.
D’autres paramètres ne sont pas systématiquement
mesurés, mais peuvent contribuer à la recherche d’étiologies influençant l’expression de la dépression (par exemple
une carence en vitamine B12 ou en folates en cas d’hyporexie sévère, en fonction de l’âge et de la coprescription
de certains médicaments) [16].
Enfin, s’il existe des prescriptions médicamenteuses
pour d’autres pathologies, une analyse des effets indésirables, ainsi que des interactions, est essentielle pour évaluer la part potentiellement pharmaco induite de la
dépression actuelle et son influence sur l’indice de sévérité.
Importance de l’information au patient dans
la dépression sévère
Après une synthèse des éléments cliniques et paracliniques,
le praticien doit informer le patient des résultats de son
évaluation et des implications thérapeutiques qui en résultent, car dans de nombreux cas il existe une sous-estimation de la sévérité de l’épisode par le patient.
En effet, on constate souvent dans la pratique (aussi
bien du point de vue du patient, de son entourage que de
certains soignants) que la dépression est considérée comme
une réponse normale à des événements de vie, qu’il faut
gérer seul ou avec un entourage non professionnel.
Il est fondamental de souligner que plus l’épisode est
sévère, moins il est enclin à une amélioration spontanée.
Le praticien doit donc expliciter la notion de sévérité,
ce qui peut permettre d’améliorer le lien thérapeutique
et, dans la durée, l’observance au traitement. On peut
s’appuyer sur l’argument épidémiologique (prévalence de
la dépression, risques en termes d’évolution et de complication), qui fournit des informations concrètes et indispensables dans l’évaluation de la balance bénéfice/risque avec
le patient ; sur la notion de facteurs de risque et de comorbidité (psychiatriques et somatiques) qui justifient la prise
en charge plus complexe des dépressions sévères (hospitalisation, bilan médical, surveillance, nature des traitements) ; sur l’impact psychosocial et les séquelles cognitives
S321
ou psychologiques potentielles ; enfin, sur la notion de
réponse au traitement (définition, délais, cinétique probable d’amélioration clinique).
Traitements pharmacologiques
des dépressions sévères
Sévérité dimensionnelle
Dans le cadre d’une définition dimensionnelle de la dépression sévère (seuil défini en fonction d’un score psychométrique), les études comparent des critères opératoires tels
que l’efficacité (nature de la réponse au traitement), l’acceptabilité et la tolérance, puis elles étudient les liens
avec la sévérité et l’évolution des dépressions. Certains
auteurs soulignent toutefois l’importance de l’évaluation
de la balance bénéfice-risque quelle que soit l’intensité de
la dépression [6].
Si la forte hétérogénéité des échantillons ne permet pas
toujours d’identifier des différences suffisamment spécifiques (ou répliquées) pour proposer des recommandations,
on dispose d’études dont la méthodologie a été spécifiquement élaborée pour évaluer l’efficacité dans le cadre de la
dépression sévère. Les différences interclasses ne sont pas
clairement démontrées, et des études montrent l’efficacité des inhibiteurs de recapture de la sérotonine (IRS), des
inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et noradrénaline (IRSNA), des agonistes mélatoninergiques et des tricycliques dans les formes sévères [4, 7, 10, 12, 19]. Ces
données spécifiques contribuent au choix de la molécule de
première intention, et les algorithmes récents utilisés dans
plusieurs recommandations s’appliquent tout spécialement
à cette approche.
Sévérité liée à la clinique (risque suicidaire,
symptômes psychotiques)
Dans le cadre de la dépression sévère caractérisée par un
risque suicidaire élevé, le choix d’un antidépresseur peut
s’avérer complexe : si l’implication des antidépresseurs
comme facteur pouvant favoriser le suicide a été largement débattue (le bénéfice des antidépresseurs reste en
faveur de la prescription pour les dépressions sévères,
sachant que l’association à des molécules sédatives en
début de traitement réduit le risque de passage à l’acte),
la question de la létalité des molécules prescrites reste un
point important, même si pour certaines recommandations
cette considération est de grade C [13].
En effet, une étude anglaise [5] constatait que sur 486
décès par surdosage d’antidépresseurs, 80 % étaient d’origine intentionnelle (dans 60 % des cas on retrouvait un antidépresseur seul, et dans 40 % l’antidépresseur était associé
à une autre molécule). La létalité était supérieure pour les
tricycliques ; pour les IRS, elle était surtout liée (93 % des
cas) à l’association avec d’autres molécules (implication
probable des cytochromes P450, avec les tricycliques, mais
surtout avec des substances psycho-actives comme l’alcool
ou les opiacés). Ces données soulignent l’importance du
suivi en début de traitement, et le dépistage d’autres fac-
S322
teurs de risque, tels que l’abus de drogue, qui augmentent
la létalité de tous les antidépresseurs en cas de surdosage.
La dépression avec symptômes psychotiques est sévère
en termes de morbi-mortalité, associée à un taux de
rechute et de récidives plus élevés [17]. Cependant on dispose de peu d’études à haut niveau de preuve pour cette
indication spécifique, et les recommandations sont assez
empiriques quant à la dose optimale et la durée des traitements, ou quant aux classes d’antidépresseurs les mieux
indiquées (les recommandations actuelles considèrent que
les IRS et IRSNA sont indiqués en première intention).
Il est cependant admis qu’un antidépresseur est plus
efficace s’il est associé à un antipsychotique : la balance
bénéfice-risque des antipsychotiques atypiques étant favorable, ces derniers sont proposés en première intention
[21], avec des doses globalement moins élevées que dans la
schizophrénie.
On considère qu’un patient ayant atteint une rémission
symptomatique doit bénéficier du traitement à la même
dose pendant une période minimale de 6 à 9 mois, la décision du maintien des traitements au-delà de cette période
reposant sur le risque de récidive.
Sévérité liée aux comorbidités somatiques
Les comorbidités participent à la sévérité de la dépression.
Comme de plus, le clinicien ne peut supprimer des traitements spécifiques d’une pathologie somatique au profit des
psychotropes, s’ajoute la difficulté de prescriptions entraînant des effets secondaires gênants ou des incompatibilités
médicamenteuses ; la balance bénéfice-risque doit donc
être évaluée avec une attention particulière, et les choix
pourront ensuite être argumentés en fonction du niveau
d’interaction (Tableau 1).
Certains antidépresseurs ont des profils pharmacologiques de tolérance et de sécurité plus adaptés à des contex-
Tableau 1 Niveau d’interaction pharmacologique
d’après Strain et al. [20]
Niveau 1 (Majeur) :
risque > bénéfice
Létalité potentielle ou lésions irréversibles.
Décision en l’absence d’alternative : hospitalisation, suivi
et contrôle intensifié.
Niveau 2 (Modéré) :
Altération de l’état du patient, nécessité de traitements
supplémentaires et d’une hospitalisation (ou de son
allongement).
Décision en l’absence d’alternative : information détaillée
au patient. Surveillance clinique plus rapprochée et
spécifique (arrêt précoce du traitement si effets secondaires
majeurs). Traitements adjuvants si nécessaires.
Niveau 3 (Léger) :
Effets secondaires gênants mais pas d’impact sur le
pronostic, pas de traitement supplémentaire nécessaire.
Décision en l’absence d’alternative : pas de traitement à
exclure, surveillance habituelle.
S. Mouchabac
tes cliniques tels que les pathologies cardio-vasculaires (IRS
ou agonistes mélatoninergiques par rapport aux tricycliques) et seront donc préférés, en tenant compte des effets
sur les cytochromes P450. La décision thérapeutique prend
en compte le niveau de risque lié aux interactions pharmacologiques (Tableau 1).
Sévérité liée à l’évolution
Si l’on compare le profil évolutif des dépressions sévères
aux formes légères ou modérées, les premières sont associées à une plus faible probabilité de rémission spontanée,
à un taux de rechute précoce élevé, et à la présence plus
fréquente de symptômes résiduels, qui sont des facteurs de
mauvais pronostic, donc de gravité. Ainsi, certains auteurs
considèrent que, en prenant en compte l’évolution, le handicap et le coût, c’est moins la prise en charge d’un épisode isolé qui est complexe, que la prévention des
complications, qui signent la sévérité du tableau dépressif
[3]. Ils préconisent un système de prise en charge de type
« maladie chronique » appliquée à la dépression, qui repose
sur 4 composantes : une organisation dite « proactive » du
suivi des sujets déprimés (registre de patients avec programmation de la fréquence des consultations selon le
stade de la maladie : aigu, consolidation ou rémission) ;
une psychoéducation à l’adresse du patient et de sa
famille ; l’utilisation de systèmes experts (recommandations validées, avec algorithmes) ; et l’archivage systématique des données, comme le type de traitement, la durée
de prescription, les mesures cliniques, le profil évolutif.
Le traitement de consolidation, qui permet de réduire
le taux de rechutes, repose sur le traitement qui a conduit
à la rémission, à la dose qui a été efficace lors du traitement d’attaque. La durée est habituellement de 4 à 6 mois
pour les dépressions quelle que soit leur intensité, mais
dans le cadre d’une dépression sévère, en fonction de la
clinique initiale et des facteurs de risque associés, cette
durée peut aller au-delà de 6 mois.
L’indication d’un traitement préventif des récidives
sera discutée en cas de trouble dépressif récurrent connu,
pour des épisodes rapprochés avec des facteurs de risque
de récidive ou de chronicité, et s’il s’agit du 3e épisode en
moins de 4 ans (HAS).
Outils pragmatiques de prescription et d’évaluation
de l’efficacité du traitement dans la dépression
sévère
Il a été montré que l’utilisation d’algorithmes d’évaluation
et de prescription apporte un bénéfice dans la prise en
charge des dépressions sévères [11, 23] en comparaison des
soins usuels (non formalisés). On se réfère à des « points de
décision clinique », pour lesquels une action thérapeutique
spécifique est proposée, et qui diffèrent de la fréquence
des visites (celles-ci s’adaptant plus au contexte clinique).
Après instauration du traitement, les évaluations se
font à la quatrième semaine (S4), puis à S6, S8, S10 et S12
pour chaque étape thérapeutique.
Dans la plupart des cas, les décisions dépendent de la
nature de la réponse au traitement (pourcentage d’amélio-
Dépressions sévères : traitements pharmacologiques
S323
ration par rapport au score de base sur les échelles de
dépression ou par rapport au nombre de symptômes) et
mais aussi sur des paramètres tels que les effets secondaires, ou le fonctionnement social.
Il faut cependant considérer que dans la dépression
sévère, les scores initiaux étant élevés, il peut persister de
nombreux symptômes résiduels même après diminution de
50 % du score à une échelle de dépression (critère pourtant
jugé habituellement comme favorable).
En fonction de ces résultats, une décision thérapeutique spécifique est proposée (Fig. 1).
Si la réponse est complète avec une amélioration supérieure à 50 %, le traitement est poursuivi à la même dose ;
mais l’objectif étant d’atteindre une amélioration supérieure à 75 % de manière durable, on peut être amené, lors
des évaluations suivantes, à augmenter la dose ou poten­
tialiser le traitement antidépresseur (par lithium, hormones
thyroïdiennes, ou antipsychotiques atypiques). Si l’objectif
n’est pas atteint, la stratégie thérapeutique est modifiée.
Entre 50 et 25 %, la réponse est dite partielle, et le
traitement sera augmenté ou potentialisé ; néanmoins, si
ultérieurement l’amélioration reste dans cet intervalle, la
stratégie thérapeutique est également modifiée.
En dessous de 25 %, il y a absence de réponse, et l’on
change généralement d’emblée de stratégie thérapeutique.
En cas de potentialisation ou d’augmentation de la
dose, l’efficacité est évaluée au « point de décision clinique » suivant. Lorsqu’on change de stratégie thérapeutique, la prescription médicamenteuse étant modifiée, on
reprend un nouveau cycle d’évaluation (S0, S4, S6 etc..).
L’application de ce type d’algorithmes et le niveau
d’exigence de ses objectifs ont pour conséquence une utilisation de doses d’antidépresseurs souvent plus élevées
que celles utilisées en soins courants (ambulatoire, épisode
d’intensité légère ou modérée, absence de comorbidité).
Les étapes thérapeutiques proposent toujours une progression pragmatique et logique par rapport aux traitements : changement de classe (au moins 2 fois), association
rationnelle d’antidépresseurs, potentialisation systématique, puis discussion de l’indication des traitements non
pharmacologiques (stimulation magnétique transcrânienne,
électroconvulsivothérapie). La présence de symptômes
psychotiques amène à un algorithme qui raccourcit le nombre d’étapes avant le passage aux traitements non pharmacologiques.
Les agents classiquement utilisés comme potentialisateurs sont :
•le lithium, avec une concentration sérique cible comprise
entre 0,4 et 0,6 mEq/l ;
•la tri-iodothyronine (T3), à une dose de 25 à 50 mcg/j ;
•le buspirone, entre 20 et 60 mg/j ;
•l’aripiprazole, 5 à 10 mg/j ;
•la lamotrigine (hors AMM en France), entre 50 et 200 mg/j.
En association avec les antidépresseurs, des traitements
symptomatiques classiques sont le plus souvent proposés
(anxiolytiques, hypnotiques, correcteurs d’éventuels effets
indésirables).
Conclusion
L’évaluation de la sévérité, sous différents angles conceptuels, s’avère opérante pour déterminer les traitements les
plus adaptés aux différents aspects cliniques, avec comme
dénominateur commun le handicap et les risques d’évolution péjorative qui lui sont inhérents.
La dépression sévère doit bénéficier d’une prise en
charge optimale, et le choix d’une option thérapeutique
dépend de différents paramètres : le sujet déprimé, la
nature de sa maladie et la sévérité de l’épisode, ainsi que
l’objectif thérapeutique. Ce dernier point est essentiel :
sans définition d’un objectif, la prise en charge risque
d’être peu efficace ; or un objectif thérapeutique ne peut
se concevoir sans l’existence d’un traitement efficace
ayant une balance bénéfice-risque favorable. Le traitement
pharmacologique est donc l’une des étapes essentielles de
la prise en charge de la dépression sévère.
Dans le cadre de la dépression sévère, l’objectif implique un niveau d’exigence élevé : il faut rechercher une
Stratégie thérapeutique
1er antidépresseur
Continuer
25 % < réponse
< 50 %
réponse
< 25 %
Changement de
stratégie
Augmentation
dose
Potentialisation
réponse
> 50 %
25 % < réponse
< 50 % ou
réponse < 25 %
Figure 1 Évaluation et décision lors d’une étape thérapeutique (adapté d’après [22]).
S324
rémission symptomatique consolidée, puis éviter les complications fréquentes, et viser une récupération fonctionnelle, une restauration de la qualité de vie, et une
prévention des séquelles psychosociales [18].
Enfin, on peut penser que l’amélioration de la validité
des critères de sévérité permettra la découverte de nouveaux axes thérapeutiques et une optimisation des modalités de prescription.
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