Faut-il se mettre à la place du client

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Faut-il se mettre à la place du client
SHORT TRACK
JUILLET 2012
Faut-il se mettre à la place
du client ?
Savoir se mettre à la place de l’autre est sans
doute une qualité humaine précieuse. Ou plus
précisément, savoir tenter de se mettre à la
place de l’autre, tout en demeurant ouvert et à
l’écoute, car chacun réagit différemment à des
circonstances similaires : il est impossible de
sentir réellement la même chose qu’un autre.
Le rapport à autrui est bouleversé lorsque l’on
comprend ses joies, ses craintes, son mode de
raisonnement. La relation client, c’est un peu,
aussi, le rapport à l’autre…
Comment faire en sorte de mieux se mettre
à la place du client ? Pourquoi est-ce si difficile ? Que peut-on y gagner concrètement ?
Est-ce seulement une bonne idée ?
1. POURQUOI FAIRE PREUVE
D’EMPATHIE ?
Empathie n.f. : faculté intuitive de se mettre à la place de
l’autre, à ressentir la même chose que lui. On parle beaucoup d’empathie. C’est même un terme très à la mode
dans le milieu de la relation client. Pourtant, la réalité est
quelque peu schizophrénique. L’entreprise estime souvent l’employé de frontline trop peu capable de recul et
d’un jugement adéquat pour lui autoriser une réelle empathie. Imaginez l’employée de caisse qui sortirait du magasin, abandonnant son poste, pour aider un client âgé
à porter ses courses jusqu’à sa voiture ? Ou le conseiller
d’EDF qui décide d’aller personnellement toquer à l’étage
du recouvrement pour que l’on ne coupe pas le courant à
cette mère de famille au RSA ? Evidemment, c’est le début
de la fin de toute bonne organisation « industrielle », taylorisée, reengineerée, workflowtisée et leanée ! La révolution n’est pas loin, quand les collaborateurs se lèveront
ensemble pour demander que l’on cesse de traiter les
clients moins bien que les prospects, qu’on les livre, enfin,
qu’on les rembourse ! La productivité aura quitté depuis
longtemps des niveaux acceptables pour l’entreprise. Il
est aisé de conclure que l’empathie peut conduire à des
comportements excessifs ou inadaptés et que, comme
un médecin doit éviter de ressentir trop d’émotions pour
ses patients (même si il doit chercher à les comprendre),
un service client ne fait pas correctement son travail si
l’empathie l’amène à trop s’éloigner des procédures.
Pourtant, se mettre à la place des clients est l’une des
choses les plus efficaces que puisse faire une entreprise,
pour fidéliser, se différencier et étonner ses clients. Dans
notre quotidien, combien de nos fournisseurs nous donnent l’impression qu’ils nous comprennent et qu’ils agissent en conséquence, même en dehors de leur intérêt
immédiat ? N’est-ce pas là, un peu, l’ingrédient d’une relation de proximité ?
Avant toute chose, et pour éviter les écueils vus plus
haut, il convient de définir clairement la place et les objectifs de l’empathie dans la relation client :
 Pour
le conseiller d’un service client : lors des
contacts le client se sent compris, le climat est différenciant par rapport aux échanges qu’il peut avoir avec
d’autres services clients ou aux relations quotidiennes
avec les fournisseurs divers. L’expérience crée un climat
de confiance, s’enrichit par la personnalisation, donne
l’impression d’une réelle considération de la marque.
 Pour le conseiller qui gère une réclamation : je com-
prends la contrariété/déception/fureur de mon client,
j’anticipe en quoi le process peut ou non parvenir à une
solution satisfaisante et j’adapte mon discours en conséquence tout en respectant le process.
 Pour le vendeur : je comprends mon client donc je vais
au-delà du besoin, je saisis ses motivations, je favorise un
climat de confiance, mes arguments sont plus adaptés…
et donc je vends mieux !
Par conséquent, l’empathie en relation client doit
être comprise au sens de l’empathie cognitive (la capacité intellectuelle de comprendre l’état mental et émotionnel d’autrui) et non l’empathie émotionnelle qui
consiste à ressentir soi-même les émotions de l’autre.
Cette distinction est faite par Bruce Maxwell dans une
recherche réalisée à l’Unité de recherche en neuroé-
SHORT TRACK JUILLET 2012
thique de l’Institut de recherches cliniques de Montréal.
Cette empathie cognitive a, elle, une grande utilité pour
atteindre les objectifs de l’entreprise et faciliter le travail
des conseillers de frontline sans que cela soit au détriment du client.
2. PEUT-ON RÉELLEMENT SE METTRE
À LA PLACE DE CHAQUE CLIENT ?
L’empathie cognitive telle que définie plus haut n’est
pas, en soi, une faculté rare. Les bébés parviennent très
tôt à percevoir les intentions des adultes. Elle peut, néanmoins, être plus difficile à mettre en œuvre à l’âge adulte
et dans le cadre d’une relation de fournisseur à client :
– L’empathie émotionnelle peut prendre le dessus et empêcher d’évaluer froidement la situation de son interlocuteur.
– Le vécu de chacun peut venir interférer et empêcher
de comprendre la situation du client : même quand nous
avons vécu des situations similaires aux siennes, nous ne
sommes pas lui. Chacun perçoit l’événement à travers le
prisme de l’histoire de vie qui est la sienne, unique.
– Parfois échaudé par les excès du marketing direct, le
client se livre avec réticence. Sa méfiance à l’égard des
marques s’accroît, augmentant ainsi la difficulté d’appréhension du client.
La tâche est, donc, loin d’être aisée, et ne se décrète pas
d’une simple directive : « tâchez de vous mettre un peu à
la place des clients ! ». Elle nécessite à la fois des capacités humaines, une certaine acuité doublée d’une culture
client (« esprit de service »), qui permettent d’imaginer la
perception d’une situation sans s’enfermer dans une logique unique qui serait celle de celui qui écoute.
3. POURQUOI EST-CE SI DIFFICILE ?
A. Le client, cet illustre inconnu
Il est parfois frappant de constater à quel point certaines organisations peuvent méconnaître la réalité de
leurs clients :
– Méconnaissance – ou conception très abstraite – de la
réalité économique des clients et des contraintes auxquelles peuvent les soumettre un budget par foyer difficile à équlibrer (8 millions de Français vivent avec moins
954 € par mois).
– Connaissance limitée à des aspects quantitatifs (35 %
des Français possèdent un smartphone et 75 % envoient
au moins 1 SMS par mois) au détriment des aspects qualitatifs (pour quel usage ont-il acquis un smartphone ?
A qui et dans quelles circonstances envoient-ils des SMS ?
Pourquoi préfèrent-ils tel canal à un autre ?).
– Usage excessif de moyennes qui occultent la réalité des
cas et des comportements.
– Ignorance des irritants clients et/ou de leur hiérarchisation.
– Réduction de la compréhension du client à un modèle
unique, qui fait l’objet des exemples lors des discussions,
ou bien correspond, pour chacun, à sa propre projection.
Ceci concerne, parfois, les états-majors autant que les
opérationnels.
B. La malédiction du CRM
Trop souvent, les outils de gestion de la relation client
(CRM) ont été mis en place dans une démarche où le
client lui-même a disparu. Ce dernier s’est transformé en
un contrat, un BP, un «account», point de distribution :
un objet auquel pouvoir rattacher des transactions, des
attributs divers de la bonne gestion. Les préoccupations
dans les services clients et des départements MOA, sont
souvent moins liées au vécu du client qu’à la gestion en
batch des statuts 280 bloqués par l’incompatibilité du statut
D7 avec le contrat base !
Naturellement, ces outils ont amené une grande fiabilité
dans les « traitements » (terme d’ailleurs en décalage avec
la notion de culture client !) des clients en même temps
qu’ils ont permis d’affecter à des tâches plus nobles des
armées entières de personnel administratif. A la MAIF au
début des années 1950, les équipes commençaient dès
octobre à préparer les avis d’échéance qui devaient être
envoyés en décembre pour l’année suivante.
Mais comment croire qu’un client est considéré par les
outils autrement que comme un objet ? Même dans les
meilleurs ouvrages de science-fiction, les robots ont bien
du mal à comprendre les hommes…
Ainsi le travail principal d’un conseiller, sa production la
plus mesurable, est dictée par l’écran, le workflow, le process. Combien d’outils permettent de suivre le vécu d’un
client, son état d’énervement ou d’angoisse lors d’un appel ? Combien encouragent le correspondant à tenter de
se mettre à la place du client ?
C. Des organisations déresponsabilisantes
Qui, dans l’organisation, est « propriétaire » du client ?
Qui fait une affaire personnelle d’apporter à chaque client
ce dont il a besoin, dans le respect des engagements et
de la culture de l’entreprise, tout en maîtrisant les coûts à
un niveau acceptable ? Les directions de la relation client
ont été créées à cet effet. Pour autant, et bien que des
exemples récents en France montrent que tout est possible (intégration de la facturation et du recouvrement
aux opérations client comme chez Direct Energie), regroupement de la relation client et de la logistique dans
une même direction chez Nespresso souvent les clients
sont « traités » par différents services (marketing pour la
gestion des promotions, service client, facturation, comptabilité, service technique, etc.) même si tous ces services
ne leur sont pas visibles. Fini, le temps où un chargé de
clientèle partait, dossier sous le bras, réaliser les actions
nécessaires pour tirer un client d’un mauvais pas. La
meilleure des volontés risque de partir en poussière après
quelques semaines, lorsque le process s’impose à toute
nouvelle recrue.
4. COMMENT AGIR ?
La grande majorité des pistes d’action consistent à
repositionner l’humain au cœur de la relation, mais aussi
à se doter des moyens de mieux comprendre le client.
A. Aiguiser le recrutement
Il n’est pas toujours pertinent de rechercher absolument
des profils ayant une expérience en relation client ou la
connaissance des outils CRM, au détriment des qualités
humaines et de la sensibilité relationnelle. On pourra
utilement réaliser des simulations d’entretien et des examens (via écoutes, lecture d’email, vidéos) d’échanges qui
permettront d’évaluer la faculté du candidat, non seulement à comprendre le besoin, mais aussi à identifier avec
pertinence les signaux, verbaux et non verbaux, émis par
le client.
B. Mettre en place un dispositif de formation adapté
L’exercice doit impérativement se poursuivre en formation (initiale et continue), à travers différents exercices :
– Des études de cas, mêlant des besoins transactionnels
(par exemple, la programmation du retour d’un article
reçu par le client et ne lui convenant pas / n’étant pas
conforme) et des besoins relationnels (identifier une situation de stress, une contrainte logistique irritante pour
le client…).
– Des jeux de rôles, dans lesquels les collaborateurs
jouent tour à tour leur propre rôle et celui de leurs clients.
– Des ateliers de discussion autour des expériences vécues, en tant que client, des uns et des autres pour aider
à comprendre que chacun réagit différemment dans des
circonstances similaires. Idéalement, ces ateliers doivent
mêler le plus possible les différents niveaux de l’organisation, l’objectif étant d’appréhender la diversité des clients
et de relativiser des réflexes pas forcément opportuns.
Ces formations devront privilégier la mise en avant des
moments clés de la relation : s’il n’est pas possible de
comprendre finement le vécu de multiples clients durant
leur relation avec l’entreprise, il est beaucoup plus simple
d’apprendre à comprendre l’expérience client face à des
situations bien identifiées.
C. Redonner de l’espace de jugement au
conseiller (responsabiliser le conseiller,
lui donner des marges de manœuvre et de
décision)
A quoi sert une compréhension fine de ce que vit le
client, s’il est interdit au « représentant » de l’entreprise
de réagir en conséquence ? La chaîne hôtelière Ritz l’a
compris et a adopté une mesure visible : chaque salarié
peut disposer de 2000 $ (non pas par mois, mais par cas !)
pour permettre d’améliorer une situation problématique
pour un client. En réalité, cette mesure est peu coûteuse
pour l’entreprise car peu
utilisée, mais elle véhicule un message très fort
auprès de collaborateurs
responsabilisés – et nommés « ladies and gentlemen
serving ladies and gentlemen ». Parmi les valeurs
de ce groupe hôtelier :
I am empowered to create
unique, memorable and
personal experiences for
our guests (…) I own and
immediately resolve guest
problems.
D’autres initiatives peuvent être mises en œuvre :
– Recréer la liberté de discours (sortir du script !), dans
un cadre dont les frontières seront claires. Chacun peut
trouver ses mots pour montrer de la compassion dans le
cas d’une réclamation (sans nécessairement reconnaître
des torts dans le cas d’une réclamation techniquement
infondée).
– Définir des actions appropriées, en mettant en place
des démarches spécifiques pour les clients mécontents
(même sans dysfonctionnement !), inquiets, ou autres.
SHORT TRACK JUILLET 2012
D. Miser sur le management
Les comportements attendus des membres de la frontline doivent impérativement être congruents avec les
comportements des managers vis-à-vis des équipes.
Ainsi, la matérialisation de l’empathie doit être aussi vraie
dans les relations de management que dans la relation
client. Pour le manager, cela consiste à être compréhensif
sans être laxiste, appliquer les règles mais savoir garder
une souplesse, montrer sa compréhension sans abaisser
son exigence. Dans cette vision et au-delà de ce caractère
exemplaire et réciproque, le manager doit également accompagner le développement des bonnes pratiques au
sein de son équipe.
E. Repenser le fonctionnement des outils
CRM
En partant du postulat que les outils de gestion dictent
une grande partie du comportement des collaborateurs
en contact avec les clients, et qu’il va être difficile de
changer radicalement cet état de fait, c’est bien sur les
outils qu’il faut agir. Aujourd’hui, ces solutions enregistrent des transactions, des demandes typées, des « cas ».
Or il est impossible de réduire l’expérience client à une
succession de cas. Pour le client A, l’erreur minime dans
la facture est beaucoup plus angoissante que le retard de
remboursement. Pour le client B, c’est l’inverse. Tel client
s’excuse presque de déranger lorsqu’il appelle pour signaler la panne de sa chaudière alors qu’il fait 5°C chez
lui. Tel autre sait bien qu’il est seul responsable du gel de
son compteur d’eau, mais aimerait un mot de sympathie
après 2 compteurs gelés en 3 ans.
Comment prendre en compte ces différences dans les
CRM et agir en conséquence ?
– Revoir (si possible) ou ajuster la nomenclature des cas
(ou demandes) pour ajouter une dimension émotionnelle. La structure de cette nomenclature doit permettre
de ne pas considérer uniquement les cas « cliniquement
graves » comme des cas sérieux ou nécessitant un traitement prioritaire.
– Prévoir des reportings suivant non seulement les
types de cas mais aussi les manifestations émotionnelles
diverses des clients (que seuls les collaborateurs de frontline peuvent réellement détecter).
F. Enrichir la connaissance du client et de
ses attentes
Les dispositifs d’écoute client doivent s’adapter pour
capter au mieux les attentes relationnelles des clients.
Si le baromètre de satisfaction demeure aujourd’hui un
standard, de nombreuses entreprises se sont aperçues
qu’elles ne savaient plus rattacher actions menées et résultats mesurés. La vérité est qu’il est difficile de se mettre
à la place du client, multiforme, changeant, à travers les
seuls résultats d’un questionnaire pas forcément administré au moment où la réponse risque d’être la plus pertinente.
On privilégiera donc les mesures post-transactionnelles
(interrogation d’un client à chaud après un contact ou un
achat) éliminant ainsi le problème du moment d’interrogation et renforçant l’opérationnalité des indicateurs
grâce à la livraison en temps réel des feedback clients.
On adoptera, en complément, une approche résolument « qualitative », permettant lors d’entretiens en profondeur ou de réunions de groupe consommateurs, l’exploration de nouvelles pratiques et usages permettant
l’identification d’insights.
L’observatoire des usages du numérique (http://www.
observatoire-nexstage.fr) nous a par exemple permis
d’identifier des motifs de résiliation dans la banque, liés
au non-rafraîchissement (angoissant !) des informations
de compte, dans un contexte où la non-anticipation
d’une dépense ou d’un prélèvement est devenue la règle.
Enfin, on accentuera, par tous les moyens disponibles,
sur tous les canaux et à tous les niveaux de l’organisation,
la politique d’écoute des échanges clients, en examinant
des échanges de mails, de chat, des conversations en magasin, des enregistrements téléphoniques, etc.
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