ETUDE CRITIQUE D`UN DOCUMENT
Transcription
ETUDE CRITIQUE D`UN DOCUMENT
ETUDE D’UN DOCUMENT HISTORIQUE Le transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon (1964). Le document présenté est un extrait du discours prononcé par André Malraux, alors ministre de la Culture, lors du transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon, le 19 décembre 1964. Chef de la Résistance intérieure, arrêté par la Gestapo en 1943, Jean Moulin est mort des suites des tortures subies. Ce transfert donne lieu à une cérémonie impressionnante, dans le contexte de la fin du premier mandat présidentiel de Charles de Gaulle fondateur de la V° République. Deux ans après la fin de la guerre d’Algérie, il s’agit de montrer la grandeur de la nation autour du culte rendu aux « grands hommes » qui ont fait la République (c’est la fonction du Panthéon). Comment, au-delà de la figure de Jean Moulin, André Malraux célèbre-t-il l’image d’une France unie derrière Charles de Gaulle en 1943 comme en 1964 ? UNE CELEBRATION DE JEAN MOULIN, HEROS DE LA RESISTANCE. – Jean Moulin est présenté comme « le chef du peuple de la nuit », du fait de son rôle dans l’unification des forces de la Résistance intérieure. Son inlassable activité l’a conduit à « all[er] à Londres », à être « parachuté », car envoyé par De Gaulle depuis Londres, pour unifier « l’armée en haillons de la Résistance » ( insistance sur le manque de moyens matériels), et fonder le Conseil national de la Résistance (en 1943). – Héros par ses actions, Jean Moulin l’est aussi par sa mort. Ses activités le mènent aussi à son arrestation, aux tortures, transformant son visage « en pauvre face informe », tandis que ses « lèvres n’avaient pas parlé ». Malraux insiste donc sur la force morale du personnage, qui a lui seul personnifie l’engagement dans « le peuple de la nuit », composé de mouvements clandestins qui refusent l’occupation allemande. - Pour Malraux, la figure et l’engagement de J. Moulin doit être un modèle pour la jeunesse française qui n’a pas connu en 1964, cet épisode douloureux. UNE CELEBRATION DE LA FRANCE UNIE DERRIERE SON CHEF. – Mais Jean Moulin, c’est aussi l’homme qui a reconnu en de Gaulle le chef « naturel » de la Résistance, en se rendant à Londres auprès de celui qui « seul pouvait appeler les mouvements de Résistance à l’union entre eux » (division entre mouvements communistes et non communistes dont les gaullistes). En effet, Londres devient vite la capitale de la résistance personnifiée par De Gaulle qui a appelé à continuer le combat dès le 18 juin 1940. – L’appartenance politique pour Malraux compte peu : tous les Résistants, y compris « les troupes du Parti communiste », combattent « au nom du gaullisme ». En effet, c’est sous l’impulsion de De Gaulle qu’est crée le CNR pour rassembler les différents mouvements de la résistance intérieure, dont les communistes. – La France, unie derrière son chef, peut donc « proclamer la survie de la France », « donnée invincible et mystérieuse». Malraux oppose cette France résistante aux « doctrines totalitaires », nazies et fascistes, sans pour autant évoquer explicitement le régime de Vichy. Le gaullisme devient le garant de l’unité nationale. UNE CONTRIBUTION AU MYTHE RESISTANCIALISTE. – Ce discours est donc une contribution au mythe résistancialiste élaboré par de Gaulle dès 1944, et qui présente l’image d’une France unie derrière le combat pour la Libération mené par le général dès 1940 (on oublie volontairement l’isolement de De Gaulle au lendemain du 18 juin 1940). – La France est présentée comme « un désordre de courage » menant « un seul combat », « depuis la Provence jusqu’aux Vosges » : la période sombre de la Collaboration engagée par une partie des français (Vichy), ainsi que les violences de l’épuration sauvage, sont passées sous silence au bénéfice d’une vision glorieuse et unificatrice apte à réconcilier la population autour d’une même idée : la grandeur de la France et de son peuple, unis dans la résistance face à l’occupant nazi, sous l’impulsion de De Gaulle. - Malraux sous-estime donc volontairement le rôle décisif joué par les alliés dans la libération du territoire pour se focaliser sur celui de la Résistance intérieure et extérieure (« l’armée d’Afrique » désigne les Forces Françaises Libres de De Gaulle qui ont débarqué en Provence en août 44 avec les américains). Ce discours est un temps fort de la célébration de la geste résistante gaulliste, qui permet à André Malraux de peindre la France unie et son chef, Charles de Gaulle. A ce titre, la figure de J. Moulin fait consensus, car elle est acceptée aussi bien par les gaullistes que par les communistes, unis dans une même célébration de ce que l’historien H. Rousso nommera plus tard, du mythe résistancialiste. Le départ de De Gaulle du pouvoir, en 1969, puis sa mort en 1970, contribueront à l’effritement progressif du résistancialisme comme mémoire dominante de la France pendant la Seconde guerre mondiale. Corrigé étude de document Histoire thème 1- Historiens et mémoires de la 2GM - R. RIGNOL