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Diaspora noire des Amériques :
une réflexion conduite à partir de la notion
de « lien transétatique »
Christine Chivallon*
L’histoire de l’écriture de cet article mérite d’être rapidement mentionnée pour
mieux comprendre la teneur des propos qui suivent. Ce texte a en effet été conçu
dans un premier temps pour tenter de fournir une réponse à la question découlant
d’un séminaire organisé autour du thème du « lien transétatique » 1 : est-il possible,
à propos de la « diaspora noire des Amériques », de parler de « lien transétatique » ? J’avoue en toute sincérité que la question m’apparaissait de prime
abord liée à l’effervescence très actuelle autour de notions qui n’en finissent pas de
se succéder et de vouloir qualifier ces fameuses « conséquences culturelles de la
globalisation » [Appadurai, 2001]. Venant d’achever un travail sur la notion de
« diaspora » où celle-ci – comme d’ailleurs sa comparse « transnationalisme » –
étaient apparues pouvoir définir tout et son contraire [Chivallon, 2004], je n’accordais qu’un intérêt assez distancé à ce nouveau vocable. Pourtant, au fur et à mesure
de la progression du questionnement qu’il suscitait en relation avec l’expérience
des Amériques noires, le terme s’est révélé pouvoir conduire vers l’identification
d’un lien éminemment dépendant d’un rapport à la transversalité : une transversalité qui ne puise pas son origine dans des foyers étatiques, nationaux ou ethniques,
mais dans la puissance d’une catégorie de sens imposée à l’ensemble d’une population désignée à partir d’elle comme « noire ». C’est le résultat de cette progression que cet article présente. L’argument s’articule autour du postulat de départ
selon lequel l’existence d’un lien transétatique suppose forcément une matrice de
reconnaissance mutuelle pour le générer ou pour le faire advenir à forme. Dans un
premier temps, la recherche de cette matrice d’identification commune pour les
populations d’origine africaine dispersées dans le Nouveau Monde va guider notre
avancée, étant entendu que cet ensemble n’est pas envisagé comme un en-soi déjà
* Anthropologue, CEAN-CNRS, (Centre d’Études d’Afrique Noire), Maison des Sciences de l’Homme
1.
d’Aquitaine, Esplanade des Antilles, 33 607 Pessac Cedex, e-mail : [email protected]
1. Séminaire organisé par Stéphane Dufoix au CERI (Centre d’Études et de Recherches Internationales),
Paris, 9 mai 2005. J’adresse un merci chaleureux à mon collègue pour avoir, par son initiative autour de ce
terme, suscité une réflexion nouvelle qui prolonge celle conduite à partir de la notion de « diaspora ».
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là, mais comme la condition requise si nous devons établir – ou non – la présence
d’un lien social effectif. Une fois cette matrice repérée – puisque nous finirons par
la cerner en une localisation inattendue – nous serons amenés à saisir le paradoxe
qu’elle fait naître. Celui-ci tient à l’imposition d’un ordre généralisé – l’ordre racialisé – doté de l’impossibilité de s’y soustraire, mais débouchant néanmoins sur des
pratiques que l’on pourrait qualifier de « transversales » dans la manière qu’elles
ont de ne pas créer des systèmes d’identité fermés, et ceci par-delà les récupérations
ethnicistes dont la catégorie raciale n’a cessé de faire l’objet auprès des mouvances
nationalistes noires ou panafricaines.
Préambule sur quelques mots : « transétatique », « diaspora »,
et « Amériques noires »
Que peut-on comprendre par « lien transétatique » ? Nouveau mot pour parler
de ces liens qui traversent les frontières et se mondialisent ? N’étant pas politologue, je me limiterai à une approche que les spécialistes jugeront sans doute trop
généraliste pour entrevoir ce que pourrait recouvrir cette notion. Il s’agit bien
évidemment de la situer par rapport à l’état lui-même. Dans ce cas, retenons de
celui-ci qu’il est, dans sa forme moderne, un lieu central d’où s’exerce le pouvoir
d’assigner à une population, contenue sur un territoire, les règles de conduite
collective. Pourquoi se priver de la définition canonique de Max Weber selon
laquelle l’état est « une entreprise politique de caractère institutionnel dont la direction administrative revendique avec succès, dans l’application des règlements, le
monopole de la contrainte physique » 2 ? Parler de lien « transétatique » reviendrait
alors à identifier des populations capables de s’affranchir des limites où s’étend le
pouvoir étatique : des populations à même de composer une entité collective hors
des cadres territoriaux d’où elles seraient issues et qui pourraient les contraindre à
épouser des modèles spécifiques d’identité.
Le lien transétatique concerne t-il des populations sans état ou des populations
originaires d’un état à partir duquel elles rayonnent ? La question est loin d’être
anodine lorsqu’elle s’adresse à la diaspora noire des Amériques. En effet, quel
foyer étatique pourrait permettre de localiser une origine pour les populations
dispersées aux Amériques depuis le continent africain à la suite de l’épisode
douloureux de la traite transatlantique ? Les lieux de constitution de l’état sont le
plus souvent récents et postérieurs à l’expérience de la dispersion. Haïti, Sierra
Leone, Libéria figurent comme les plus anciennes tentatives de constitution
étatique directement liées à la destinée des populations descendantes des esclaves
d’Amérique. Mais ces foyers, aux visées politiques d’ailleurs fort différentes lors
de leur constitution (indépendance vis-à-vis de l’autorité coloniale ou volonté de
cette même autorité) ne forment pas un ancrage originel. Tout au plus viendront-ils
nourrir par la suite l’imaginaire du nationalisme noir en fournissant des repères
2. Weber M., Économie et société cité par Philippe Braud (2002, p. 133). Je profite de cette mention pour
remercier mon collègue « politologue », Vincent Fouché du CEAN, pour les discussions conviviales mais
non moins stimulantes autour de l’étatique et du « transétatique ».
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mythiques, souvent contestés d’ailleurs comme pour ce qui est de l’entreprise
d’annexion du Liberia. Conduite par l’American Colonization Society (ACS) pour
opérer le rapatriement des Noirs libres des États-Unis vers l’Afrique, cette entreprise – y compris après son émancipation vis-à-vis de l’ACS lors de la fondation de
la République du Liberia en 1847 – conserve un arrière-plan où la pleine souveraineté se fait douteuse. À la recherche d’un territoire pour matérialiser la véritable
libération du peuple noir, le militant nationaliste noir-américain Martin Delany
dans les années 1850, ne voyait-il pas le Liberia, non pas comme une république
indépendante, mais comme « une misérable parodie », une « lamentable dépendance des colonisateurs (colonizationists) américains » 3. Quant à Haïti, certains
ont pu reprendre les fameux mots de Pierre Clastres [1974] pour dire que « l’État
doit (y) gouverner une société contre l’État » en raison d’identités culturelles
« réactives » animées par « une pulsion très forte d’égalité » et « le refus constant
de l’accumulation » qui expriment au final « une culture de la contre-plantation »
[Dahomay, 2000, p. 105]. Absence d’un état originel, présence d’états qui n’en sont
pas… Comment aborder dès lors le « transétatique » ?
Peut-être pourrait-on évoquer l’espace caraïbe et sa mosaïque d’îles indépendantes pour repérer l’élément qui nous manque, à savoir cet état qui serait à
« transcender » ou à « transgresser ». Mais là encore, on se retrouve face à une
situation incertaine où l’état semble fonctionner comme à côté ou en parallèle des
orientations collectives qu’il aurait pourtant pour fonction de contenir et de définir.
Dans l’analyse des systèmes politiques caribéens qu’il livre, Justin Daniel (à
paraître) indique combien les structures politiques de ces états sont redevables de
leur « matrice européenne », avec, comme dans le cas de la Caraïbe anglophone,
cette « acclimatation » du système de Westminster, « induisant l’idée d’une greffe
démocratique procédant de la transposition ». Mais surtout le politologue pointe
cet « étonnant paradoxe » entre « le tropisme institutionnel découlant de la
colonisation » et la « défiance » à son égard témoignant du « caractère diffus du
politique ». Les sociétés de la Caraïbe se caractérisant « par la démultiplication des
registres et niveaux d’identification », l’image d’un « univers politique éclaté » se
substitue ainsi à celle classique d’un « ordre politique intégré, structuré et parfaitement lisible » (ibid.).
Nous voici donc bien embarrassés pour aborder le « transétatique » puisque
l’État ici se dérobe dans sa forme conventionnelle. Les formes étatiques données à
voir semblent comme apposées sur des réalités déjà transgressives vis-à-vis d’un
ordre institutionnel centralisé.
S’il s’agit de décrire du « trans » (transnational, transétatique) pourquoi ne pas
s’en remettre à la notion de « diaspora » ? Il est vrai qu’avec cette dernière notion,
le débat risque de gagner plus en confusion qu’en clarification. La littérature
aujourd’hui si abondante sur le thème ne cesse de se plaindre des extensions illimitées du terme appliqué à n’importe quelle population mobile, opérant ainsi la
3. Cité par Moses, 1996, p. 23.
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distanciation d’avec l’archétype que pourrait représenter la diaspora juive 4. Le
caractère performatif de l’emploi du mot n’échappe plus au regard du chercheur, la
force du discours scientifique parvenant à faire exister comme telle « la diaspora »
[Dufoix, 2005, p. 57, voir aussi Brubaker, 2005]. Mais par-delà, c’est sans doute la
malléabilité du terme, sa capacité à avoir pu épouser simultanément des conceptions opposées qui rendent l’usage du mot « diaspora » si incertain. En effet, la
notion a prouvé sa très grande mobilité sémantique et sa spectaculaire efficacité
discursive au cours de la dernière décennie. Elle est parvenue tour à tour à intégrer
une vision évoquant somme toute un certain essentialisme communautaire (la diaspora comme conscience communautaire perpétuée par-delà la dispersion depuis un
territoire d’origine) et une vision dégagée de toute référence à un habitus communautaire (la diaspora hybride des auteurs postmodernes, celle qui se trouve affranchie des assignations identitaires, nationales et territoriales). Il n’est pas le lieu de
décrire les modalités de ce tournant théorique qui a vu le maintien du terme
« diaspora » en même temps que sa mutation de sens, le mot lui-même pouvant être
considéré comme l’une des pièces maîtresses du système langagier qui a façonné
les postures postmodernes 5. On ne s’attardera donc pas ici sur de tels développements mais on précisera seulement que l’usage du terme « diaspora » fait au cours
de ce texte, renvoie à un contenu minimal, pour ne pas dire minimaliste, à savoir
une population dispersée qui parvient à être identifiée comme telle, c’est-à-dire
comme un ensemble d’individus potentiellement liés entre eux.
Le recours à ce terme ne doit cependant pas faire illusion. Il ne s’agit pas de dire
qu’il est en mesure de mieux faire comprendre la transversalité du lien social que
ne le ferait le mot « transétatique ». La diaspora demande elle aussi de localiser le
lieu (celui de l’origine) dont l’entour pourrait se trouver être dépassé (au cours de
la dispersion) dans l’accomplissement des relations sociales. Du coup, la difficulté
entrevue avec le transétatique semble être redoublée. Car quel lieu considérer
comme originel pour la population noire des Amériques ? L’Afrique, dira-t-on
spontanément. C’est d’ailleurs elle qui s’impose en tant que figure mythique d’une
origine sacralisée dans certaines tentatives d’édification idéologique d’une destinée
diasporique, comme dans le cas du pan-africanisme. Mais le repère est-il suffisamment stable ? Il n’est que de s’en remettre aux thèses sur la créolisation – autant
dans ses versions scientifiques, littéraires, philosophiques, ou artistiques – pour
comprendre la remise en cause de l’exclusive du lieu d’origine incarné par
l’Afrique 6. Non seulement l’esclavage a été brassage et métissage entre individus
venus d’horizons culturels très divers y compris hors du continent africain, mais
l’Afrique elle-même ne semble pas être l’entité homogène que suppose cette désignation du point commun de départ de la trajectoire géographique et sociale des
esclaves. Cette remise en cause d’une Afrique vue comme foyer originel unique,
4. Voir à titre indicatif, l’article de D. Schnapper (2001). Pour une vue générale du débat actuel dans le
champ des études diasporiques, se reporter à Chivallon (2004) et Dufoix (2003).
5. Pour une analyse plus détaillée de ces aspects, se reporter à Chivallon, à paraître.
6. Pour exemple de ce refus de la figure tutélaire de l’Afrique, se reporter aux écrits sur la créolité de
Bernabé, Chamoiseau et Confiant [1989].
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uni et circonscrit est l’un des principaux arguments que les tenants de la thèse de la
créolité/créativité (les cultures noires des Amériques sont des créations nouvelles)
opposent à ceux qui défendent l’interprétation « continuitiste » (les cultures noires
des Amériques sont des héritages africains). Même quand il s’agit d’opérer une
réduction à l’aire de l’Afrique de l’Ouest comme le fait M. Alleyne [1988] pour
identifier le foyer culturel ancestral et relativement uniforme qu’il attribue à la
culture jamaïcaine, la démonstration peine à convaincre « les créolistes ». Les
anthropologues Mintz et Price [1992, p. 8], promoteurs incontestés du modèle de la
créativité culturelle ont développé un contrepoint significatif où ils énoncent clairement qu’il « n’est pas possible de dire que les Africains amenés dans n’importe
laquelle des colonies du Nouveau Monde ont pu avoir une unique culture collective
à transporter ».
Pas plus que le terme « transétatique », celui de diaspora ne peut donc servir ici
à désigner de façon certaine, les limites d’un ensemble constitutif originel par-delà
lequel, ou en l’absence duquel, le lien social serait en mesure de perdurer. Ni l’état,
ni le territoire ne parviennent à former des repères univoques.
Venons en maintenant à l’adjectif accolé à cette « diaspora » et à l’ensemble
géographique qu’elle épouse dans la dispersion : « diaspora noire » ; « Amériques
noires ». À la suite de Denis Cuche [1996, p. 119] et dans les traces de Roger
Bastide [1967], on retiendra que le « terme d’Amériques noires désigne l’ensemble
des régions du Nouveau Monde qui ont été culturellement marquées par la présence
massive d’esclaves africains et de leurs descendants. Que ce soit en Amérique du
Nord, en Amérique centrale, en Amérique du Sud ou dans l’archipel des Caraïbes,
un même héritage historique, l’esclavage et le système de plantation, a abouti à une
certaine unité, par-delà leur diversité, des Amériques noires, tant sur le plan social
que culturel. »
L’association entre une aire géographique – Amériques – et la caractéristique phénotypique de sa population – noire – mérite de retenir toute l’attention.
N’est-il pas nécessaire en effet d’interroger en premier lieu cette dénomination
qui s’attache, de manière tellement habituelle qu’elle en passerait presque
inaperçue, aux apparences physiques et à la couleur de peau d’une population ?
La définition donnée par Richard Price [1991, p. 62] pour ces mêmes Amériques
noires, nous en dit plus sur le caractère central de la référence raciale quand il
attribue l’unité de cette région, non seulement à l’héritage esclavagiste, mais
aussi « à l’existence d’une civilisation ayant répondu à la discrimination raciale
par une singulière vitalité culturelle » 7. Car il y a tout lieu de penser que c’est
bien l’expérience longue et sans cesse réactualisée de la confrontation à l’ordre
racial qui forme le substrat fondamental de ce que nous recherchons, c’est-à-dire
ce qui forme le « foyer » à partir duquel vont s’élaborer les procédures de reconnaissance réciproque – « le lien » – d’un lieu à l’autre, d’une nation à l’autre,
d’un état à l’autre.
7. Souligné par moi.
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En d’autres mots, si nous recherchons la transversalité d’un lien en l’associant
forcément à une matrice en mesure de produire une identification commune, ce
n’est pas vers un foyer originel d’ordre étatique, territorial ou même communautaire qu’il faut se tourner, mais vers l’existence d’une catégorie de sens, la catégorie
raciale, dotée d’une efficacité telle qu’elle parvient à contraindre et orienter toute
élaboration sociale au sein des collectifs formés par les descendants d’esclaves aux
Amériques. Dans le propos qui suit, il sera question de développer cet argument en
s’attachant d’abord aux modalités de production de cet ordre racial dans ce qu’il est
redevable de l’imposition d’un agencement fabriqué depuis l’extérieur. Nous
verrons ensuite comment cette construction raciale sert de soubassement aux identifications internes, en évoquant comment elle est reprise et réappropriée par les
idéologies panafricaines, pan-négristes, ou afro-centristes qui pourraient donner
forme à la communauté « transversale » dont nous supposons l’existence, formée
d’individus en mesure de se reconnaître dans la destinée du peuple noir. Mais nous
terminerons cependant sur le paradoxe, déjà entrevu dans ce préambule, qui fait
que ce socle idéologique créé à partir de l’appartenance raciale n’est jamais qu’un
des possibles des registres d’identification culturelle produits au sein des cultures
afro-américaines. À l’imposition d’un ordre racialisé, la réponse n’est pas tant celle
du repli sur « l’ethnique » que celle de l’évitement de tout ordre centralisé, y
compris celui que pourrait générer le nationalisme noir. Dit autrement, le liant au
sein des Amériques noires, ce pourrait être l’expérience commune de la domination
raciale à laquelle fait écho le refus ou la défiance à l’égard de tout registre symbolique érigé en système.
L’ordre racialisé : le dénominateur commun d’une expérience
« transversale » (transétatique, transnationale, diasporique)
Est-ce un lieu commun de rappeler que la traite transatlantique et l’économie
esclavagiste sont à l’origine de la systématisation d’une conception du monde
divisé en races inégales où l’individu de peau noire est vu comme inférieur ? Dans
sa tentative de retracer l’histoire du racisme, Christian Delacampagne [2000,
p. 133-134] relève divers indices qui donnent à penser que le racisme anti-noir est
présent de manière latente dès les premiers siècles de l’ère chrétienne, au travers
d’un symbolisme opposant le lumineux à l’obscur et chargeant la couleur noire de
valeurs négatives. De son côté, C. Coquery-Vidrovitch [2003, p. 646] rappelle que
l’esclavage avait été dès l’antiquité, un instrument essentiel de l’infériorisation de
l’humanité, mais que la couleur de peau ne figurait pas comme un élément de justification de la domination, et l’on sait par exemple que la plupart des esclaves grecs
étaient blancs. La traite transsaharienne participe également de la création du
préjugé de couleur sans pour autant en stabiliser la teneur, les descendants
d’esclaves finissant même par être assimilés au reste de la population [ibid.,
p. 649]. Le Noir n’est pas encore relégué au rang d’une sous-humanité.
C’est avec la pénétration européenne en Afrique, à partir du XVe siècle, que le
Noir va devenir l’objet d’une discrimination intense basée sur une stigmatisation de
sa différence phénotypique. De ce point de vue, la généalogie du mot « race » est
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troublante [Delacampagne, 2000, p. 146] puisque les premières occurrences dans la
langue française apparaissent à cette même époque, au moment où le recours au
symbolisme racial va devenir nécessaire pour légitimer l’entreprise d’exploitation
qui ne va pas tarder à s’édifier entre les trois continents. L’intensification du trafic
esclavagiste, la structuration des économies de plantation va de pair avec la solidification du schème racial noir/blanc au sein des idéologies européennes. Pour
C. Delacampagne [ibid., p. 147], on peut « affirmer, sans grand risque, que l’acception moderne (et raciste) du terme « race » – avec l’ensemble de ses implications
péjoratives pour les « races inférieures » se fixe dans la langue française durant les
dernières années du XVIIIe siècle ».
Idéalement mythifié (par la reprise du thème biblique de la malédiction de
Cham), institutionnalisé (entre autres par le Code Noir de Colbert), rationalisé (par
les théories pseudo-scientifiques à partir du XVIIIe siècle avec ce point culminant
atteint par l’Essai sur l’inégalité des races humaines de Gobineau en 1855), éthiquement ignoré, minimisé, et même rendu acceptable (par l’Église comme par les
philosophes des Lumières), le racisme anti-noir s’édifie avec une telle efficacité
qu’il parvient à naturaliser durablement la vision d’un monde social définitivement
dépendant de l’appartenance à une « race » 8.
L’idéologie raciste puise sa pleine raison d’être au cœur de l’univers
« plantationnaire ». C’est là que la nécessité de dire et légitimer la séparation des
races se fait la plus urgente. L’édifice des sociétés esclavagistes n’est en mesure de
se maintenir qu’au moyen des doctrines qui entérinent le bien-fondé de la hiérarchie
socio-raciale en attribuant au Noir une infériorité intrinsèque. Ces doctrines se font
subtiles et manipulatrices, là où le rapport démographique est franchement défavorable aux Blancs confrontés à la masse servile. Dans toute la Caraïbe, on voit ainsi
se former ces « sociétés de la couleur » avec leur « frénésie de la nuance » [Bonniol,
1992, p. 13 et 66]. Les variations de la pigmentation de peau deviennent fondamentales pour accréditer l’idée selon laquelle plus on est clair de peau, plus on a de
chance de gravir les échelons de la hiérarchie sociale, et maintenir ainsi, par la force
de la croyance en ces principes, l’architecture violente de ces sociétés inégalitaires.
Le rôle assigné aux mulâtres et aux autres Libres de couleur, réputés « clairs » de
par leurs origines (liaison entre maîtres et esclaves) confirme de manière décisive
cette confusion entre position sociale et appartenance raciale. Aux États-Unis, une
telle élaboration n’aura pas été nécessaire. Dans l’ensemble du sud esclavagiste, les
Noirs forment une minorité (35 % en 1790), à l’exception de la colonie de Caroline
du Sud [Kolchin, 1998, p. 36]. Du coup, la division raciale s’y fait brutalement
duale sans ce recours spéculatif aux tonalités de l’épiderme, ce que l’extension
continue de la règle de l’ascendance de la « one drop rule » (une seule goutte de
sang noir suffit pour définir un individu comme Noir) ne fait que démontrer 9.
8. Sur la façon dont le racisme s’est édifié au regard de l’éthique religieuse et philosophique, se reporter
(entre autres) à Quénum (1993) et Sala-Molins [1987].
9. Sur la « one drop rule » et les catégories de recensement en usage aux États-Unis, se reporter à Schor,
2005.
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Ce contexte, brossé à grands traits, nous est bien connu, mais il n’est peut-être
pas inutile de rappeler que l’expérience des Amériques est au fondement du
racisme moderne, dans l’élaboration des principes décrits par A.K. Appiah [1998,
p. 1576] selon lesquels l’humanité se voit désormais divisée en un nombre réduit de
groupes appelés « races », dotées de caractéristiques morales et intellectuelles,
biologiquement transmissibles qu’elles ne peuvent partager avec les membres
d’aucune autre race. La fixation de ces qualités attribuées à chaque race, depuis la
sphère européenne, donne lieu au racisme tel que le définissait A. Memmi [cité par
Taggieff, 1995, p. 38] en tant que « valorisation généralisée et définitive des différences, réelles ou imaginaires, au profit de l’accusateur et au détriment de sa
victime, afin de justifier ses privilèges ou son agression ». Le racisme anti-noir se
distingue cependant de toute autre forme de racisme car il repose sur la seule apparence physique, rendant les êtres éminemment dépendants de la visibilité qu’ils
offrent au regard de l’autre [Bonniol, 1992, p. 200]. La possibilité est faible, quasi
inexistante, de pouvoir échapper à ce pouvoir d’enfermement assigné à l’enveloppe
corporelle, l’instrumentalisation coloriste des gradations créant d’elle-même cette
polarisation sur la pigmentation de la peau 10. Il faut bien voir que ce racisme inédit
s’édifie au moment de la montée et de la consolidation des idéaux d’égalité des
droits de l’homme, dans ce bel élan bientôt révolutionnaire destiné à proclamer la
souveraineté des peuples libres. Comment concilier l’inconciliable qui voit l’esclavage fiché en plein cœur de la grande inspiration démocratique ? La réponse
donnée par l’historienne américaine B. Fields [1990] se fait convaincante quand
elle considère le racisme comme le moyen de résoudre cette immense contradiction
entre volonté d’égalité et exploitation outrancière. En étant déclarées inférieures,
discours scientifiques à l’appui, certaines « races » peuvent être légitimement
asservies et discriminées 11.
L’expérience des descendants des esclaves africains aux Amériques se fonde et
se prolonge dans un contexte inévitablement lié à l’apposition de la catégorie
raciale et aux rapports sociaux racialisés. Cette matrice de sens oriente la destinée
des individus, comme elle infléchit les choix collectifs. Michel Agier [2002, p. 7]
l’affirme fort bien à propos des Afro-Brésiliens, il y a toujours au départ des quêtes
identitaires « un vécu social racialisé, douloureux ou problématique ». Identifier ce
creuset ne doit cependant pas faire dériver vers une nouvelle forme d’assignation
essentialiste, à savoir que l’objectivation de ce contexte contraignant qui englobe
les individualités et les collectivités ne signifie pas pour autant la présence d’identités déterminées durablement à l’identique par la force d’une telle contrainte. De
ce point de vue, l’approche de Patterson et Kelley [2000, p. 20] est précieuse quand
les auteurs distinguent entre les processus et les conditions qui président à l’élaboration possible d’une « diaspora africaine » dans le Nouveau Monde. Les premiers
10. Pour la Jamaïque, K. Brathwaite [1971, p. 168] rappelle que la catégorie de peau la plus claire ( Octoroon) était associée légalement au Blanc et que la personne née ainsi pouvait bénéficier de la liberté, ce qui
est en complet décalage avec la « one drop rule » des États-Unis.
11. Pour une discussion actuelle sur la notion de « race » se reporter aux articles de Brett St Louis (2002)
et de Kim [2004].
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Diaspora noire des Amériques : une réflexion conduite à partir de la notion…
font référence aux aménagements dynamiques des identités, alors que les secondes
désignent le contexte des « hiérarchies de race et de genre » dans lequel évoluent
ces identités. Il y a donc tout à la fois, un cadre hyper normé et l’aménagement à
partir de ce cadre. Pour cette raison, il est possible d’affirmer l’incroyable créativité
des cultures afro-américaines en même temps que de reconnaître comme le fait
l’anthropologue David Scott [1997, p. 36], pourtant peu soupçonnable de déterminisme, que « personne n’est noir par choix ». Et de poursuivre « L’identité de la
personne est toujours en partie constituée – parfois contre sa propre volonté – dans
une structure de reconnaissance, d’identification et de subjectivation. Selon moi, le
sujet de la diaspora noire est un sujet dont le destin, pour ainsi dire, a été d’être créé
comme “noir” au travers de relations sociales, d’appareils idéologiques et de
régimes politiques racialisés ».
Gardons-nous donc pour le moment de penser que l’inévitabilité d’être socialement « noir » et l’expérience partagée du racisme produisent automatiquement
l’existence d’une « communauté noire » ainsi formatée 12. Cependant le schème de
vision sociale est bien là, opérant avec d’autant plus d’efficacité que perdurent des
conditions qui en appellent son usage. Du Brésil aux États-Unis, des inner cities
britanniques aux sociétés de la Caraïbe, dans tous les lieux concernés par la
présence des héritiers de l’histoire esclavagiste et coloniale se lisent bien plus que
la trace mais la reconduction sous d’autres formes d’un rapport ancien qui rend
aujourd’hui encore le recours au schème racial toujours probant. Dans l’ouvrage
collectif qu’ils viennent de consacrer aux héritages de l’esclavage et de la colonisation, Weil et Dufoix [2005, p. 9] affirment, au sein de nos univers sociaux
contemporains, « la persistance des valences associées aux différences visibles ».
Héritage, inertie, symbolisme persistant, mémoire collective qui n’aurait pas fait
son travail de catharsis ? Autant de raisons qui expliquent la longévité des
préjugés anciens et les formes de discrimination qu’ils génèrent. Mais surtout,
plus qu’un passé avec lequel les sociétés démocratiques auraient du mal à négocier
sereinement, il y a l’actualité d’un présent qui s’articule encore depuis ce socle
profondément inégalitaire mis en place au moment de l’expansion européenne.
L’article de L. Wacquant [2005] dans ce même ouvrage montre la transformation
continue et pourtant structurellement inchangée de « l’institution » destinée à
confiner et contrôler les Afro-Américains : la plantation esclavagiste, la ségrégation de « Jim Crow » 13, le ghetto urbain et aujourd’hui la « prison » adjointe à
« l’hyperghetto ». L’institution carcérale américaine s’impose actuellement pour
la première fois dans l’histoire américaine comme « la principale machine à
“fabriquer de la race” » pour justifier la frontière arbitraire entre les citoyens
américains [ibid., p. 267]. Cette continuité n’est plus seulement celle du legs d’un
passé révolu dans un présent en rupture. Elle est, pour reprendre les mots de
12. Recommandation formulée également en d’autres termes par Patterson et Kelley [2000, p. 19].
13. Les lois de « Jim Crow » désignent les lois de ségrégation raciale entérinées par la Cour suprême des
États-Unis, en 1896, qui approuve le principe du « séparé mais égal » pour les services et les commodités.
L’expression « Jim Crow » fait référence à un soldat, homme de couleur devenu héros de chansons populaires, elles-mêmes parodiant le mode de vie des Noirs du Sud [Bacharan, 1994, p. 46-50].
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Bayart [2004, p. 156-157], « poursuite de l’histoire », non pas une reproduction à
l’identique, mais un monde nouveau globalisé que l’on ne peut « déchiffrer qu’à
la lumière des continuités dont il émerge ». Néocolonialisme, globalisation,
mondialisation accélérée, impérialisme multinational peuvent être vues comme
les nouvelles figures de la colonisation [Ferro, 2003, p. 37]. D’un côté, les colonisés ont acquis leurs indépendances sans pour autant s’affranchir de l’impérialisme des multinationales, de l’autre, une partie de leur population émigrée vers
les anciennes métropoles, est confrontée à un racisme « élargi » et « revivifié »
[ibid., p. 33].
La catégorie raciale ne s’est donc pas lentement atténuée après les abolitions des
systèmes esclavagistes qui l’avaient portée à son paroxysme, mais s’est vue réactualisée, sous des formes plus ou moins tenaces – pensons au régime d’apartheid
dont le déclin s’enregistre il y a à peine plus de 10 ans – dans des contextes restés
profondément inégalitaires et perdure jusqu’à pouvoir figurer comme catégorie
officielle de recensement dans les pays démocratiques les plus avancés. Dans tous
les cas, la production de cette catégorie relève de ce que Rogers Brubaker [2001]
désigne par des « identifications externes » d’un type particulier, en ce qu’elles
n’entrent pas dans le jeu de la négociation identitaire entre groupes, mais qu’elles
résultent d’un ordre imposé par un pouvoir extérieur. « Il s’agit des systèmes de
catégorisation formalisés, codifiés et objectivisés, développés par les institutions
détentrices de l’autorité et du pouvoir » [ibid., p. 75]. L’histoire de la catégorie
raciale est celle de cette imposition depuis les lieux d’invention de l’entreprise
esclavagiste transatlantique, lieux où s’est continûment exercé le « pouvoir de
nommer, d’identifier, de catégoriser et d’énoncer quoi est quoi et qui est qui » [ibid.
p. 75-76]. Qu’en est-il alors des identifications internes ? Forment-elles à partir de
cette expérience commune, un ensemble de liens qui permettrait de parler d’une
« communauté “trans” » ?
Reformulations identitaires : l’idéal du peuple noir « planétaire »
Il n’est pas étonnant à la lecture de ce qui précède, de relier l’existence des
myriades politiques et intellectuelles associées au nationalisme noir et au panafricanisme, à la puissance de ce dispositif de classification raciale. L’une des
résistances les plus marquantes des populations victimes de ce système a été, très
tôt de formuler un corpus idéologique d’où émerge la figure d’une communauté
liée par son appartenance à la race noire. Il n’est pas fortuit que dans l’article
académique où apparaît pour la première fois le terme de « diaspora » pour désigner les descendants d’Africains dans le Nouveau Monde [Shepperson, 1966],
l’auteur utilise alternativement dans les premières pages, les termes « African
diapora » (diaspora africaine) et « dark-skinned Diaspora » (diaspora à la peau
foncée). L’Afrique et la race noire ne vont effectivement cesser d’être les principaux référents des conceptions nationalistes et panafricaines. Ceux-là forment
l’armature de discours à vocation unitive produits à l’intention de toutes les
populations susceptibles de se reconnaître dans cette élaboration d’une destinée
commune.
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Diaspora noire des Amériques : une réflexion conduite à partir de la notion…
Le nationalisme noir, historiquement daté, né dans les sociétés esclavagistes
américaines, désigne divers courants de pensées exprimant la volonté de fonder la
pleine souveraineté des peuples noirs 14. La revendication d’un État prolonge ce
désir d’accomplissement. Pourtant, ce n’est pas toujours vers l’Afrique que
s’oriente la quête d’un territoire indépendant. Au cours de la période du
« nationalisme noir classique » 15 (du XIXe jusqu’au début du XXe siècle) marquée
par des entreprises qui projettent, et parfois réalisent, l’émigration concrète des
Afro-Américains vers des terres pressenties comme des espaces de liberté,
l’Afrique n’a pas toujours été le lieu de prédilection. Martin Delany, avant d’entreprendre ses voyages en Afrique et au Nigeria, avait pu ainsi envisager le Canada
dans son texte écrit en 1852 sur la « Condition et la destinée du peuple de couleur
aux États-Unis » 16. De même, en 1825, 2000 Noirs américains émigraient vers
Haïti à la suite d’une politique de sollicitation conduite par le Président Boyer en
lien avec l’African Methodist Episcopal Church (AMEC), la première formation
religieuse noire indépendante des États-Unis [Geiss, 1974, p. 86]. La revendication
d’un état séparé au sein de l’état américain lui-même constitue également l’une des
variantes du nationalisme noir, le projet le plus marquant ayant été celui de la
« Republic of New Africa », en 1968, mouvement qui réclamait, en réparation de
l’esclavage et de la discrimination, la session de certains états du sud pour l’installation de la nation africaine [Van Deburg, 1997, p. 197]. Il est même possible, à la
suite de Moses [1996, p. 18] de parler d’un nationalisme sans état (« stateless »),
préoccupé à dessiner les contours d’une nation par référence à l’appartenance
raciale et à l’expérience dont elle témoigne, et non par rapport à un territoire.
Certains discours nationalistes noirs, surtout d’inspiration messianique, s’en remettent à une fraternité noire pour laquelle ils prophétisent la libération et la rédemption avec la venue d’un messie noir, comme dans le « Ethiopian Manifesto »
(Manifeste éthiopien) de Robert Alexander Young [1829] ou le « Appeal in Four
Articles » (Appel en quatre articles) de David Walker [1830], textes précurseurs de
14. Pour Moses [1996, p. 7], les premières traces « archivées » de ce nationalisme pourraient être la
pétition rédigée par quatre esclaves de Boston en 1773, pour réclamer le droit d’une journée par semaine
pour travailler à leur propre compte de manière à financer leur retour « quelque part sur la Côte d’Afrique ».
De son côté, Geiss [1974] attribue à l’année 1787, dans la vague de la Déclaration d’Indépendance, les
premières manifestations de ce qu’il appelle le « proto-panafricanisme », avec une série d’évènements
marquant l’émergence d’une volonté collective de rassemblement par référence à l’Afrique. Cette année là,
la première loge maçonnique noire est officiellement créée à Boston par Prince Hall qui, quelques années
plus tôt (1775) avait adressé lui aussi une pétition à l’assemblée parlementaire de Massachussetts pour
exprimer le désir de retourner en Afrique « notre pays natal ». C’est également en 1787 que la première
« Free African Society » est créée à Philadelphie, pour lutter contre la discrimination dans les Églises Méthodistes. De façon symbolique, la même année, les premiers « ré-émigrants » noirs arrivent en Sierra Leone.
15. Le nationalisme noir peut se décliner en trois périodes : le proto-nationalisme qui correspond à
l’émergence de la revendication d’une souveraineté noire ; le nationalisme classique – au cours du
e
XIX siècle, jusqu’au début du XXe – marquée par les projets de retour vers l’Afrique et l’importance de la
composante panafricaine ; le nationalisme moderne, formé dans le creuset du mouvement des droits civiques,
des indépendances africaines, et du radicalisme du Black Power et qui va tendre à investir un imaginaire africain plutôt détaché d’un rapport physique à l’Afrique, laissant au second plan la revendication de création
d’un état souverain [voir Moses, 1996 et Van Deburg, 1997]
16. M. Delany, The Condition, Elevation, Emigration, and Destiny of the Colored People of the United
States, Philadelphia, M. R. Delany, 1852. Extraits reproduits dans l’anthologie de W. J. Moses [1996, p. 101].
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ces visées mystiques qui jalonnent les écrits politiques de nationalistes tels que le
Jamaïcain Marcus Garvey.
Cette dissociation d’avec la référence africaine implique que le panafricanisme
et le nationalisme, bien que très proches et recouvrant souvent des réalités
communes, méritent d’être différenciés. Le premier cherche à rassembler les Noirs
dispersés et à construire l’unité des peuples africains et de la diaspora, alors que le
second formule la volonté politique d’un état souverain. Mais on l’a entrevu, le
partage reste difficile, le nationalisme pouvant se traduire par des formulations
étrangères à la constitution d’un état et évoquer de ce fait l’idéal panafricain de la
fraternité, ou bien s’en remettre complètement à l’Afrique pour exprimer sa revendication, ce qui le rend là encore assimilable à la philosophie libératrice contenue
dans le panafricanisme. Dans tous les cas, ce qui reste commun et stable, dans l’un
comme dans l’autre, c’est l’usage permanent de la « race » comme signe de reconnaissance, tout au moins depuis la perspective afro-américaine, comme nous le
verrons plus loin.
Dans le cadre de cet article, on ne peut que se limiter à quelques repères saillants
pour illustrer la manière dont la catégorie raciale est mobilisée dans l’élaboration
d’une vision communautaire large, globalisée, étrangère aux frontières étatiques.
S’agissant du panafricanisme, le mouvement reste de toute évidence attaché à la
figure emblématique de W. E. B. Dubois, l’un des plus grands intellectuels américains de son temps, premier Noir à recevoir le titre de docteur de l’Université de
Harvard, en 1895. Sociologue, il est le fondateur de la NAACP (National Association for the Advancement of Colored People), l’une des associations les plus
influentes dans la lutte pour les droits du peuple noir américain. Il est l’auteur de
The Souls of Black Folk – traduit en français sous le titre « Âmes Noires », aux
éditions Présence Africaine [Du Bois, 1953] – où il introduit la fameuse notion de
« double conscience » (double consciousness) qui fera plus tard le bonheur des
tenants du discours de l’hybridité comme P. Gilroy [1993]. Souvent ambivalente,
oscillant entre la revendication d’une intégration égalitaire au sein de la société
américaine (« intégrationnisme ») et la défense d’un environnement spécifique aux
Noirs (« séparatisme »), la position de Du Bois confirme la relation d’équivalence
entre l’appartenance à la race noire et l’idéal panafricain. Dans un texte publié en
1897, il parle de « Pan-négrisme » et milite pour la non « absorption » des Noirs
par les Blancs américains 17. Le terme de « panafricanisme » est forgé trois années
plus tard, au cours de la Conférence initiée par le Trinidadien Henry S. Williams, à
Londres, conférence qui se donne pour objectif de rassembler « la race africaine de
toutes les parties du monde » 18. L’initiative est reprise par Du Bois qui assiste à
cette conférence et devient le principal promoteur de la série de congrès historiques
qui se dérouleront successivement en 1919 (à Paris), 1921 (trois sessions à
Londres, Bruxelles, Paris), 1923 (à Londres et Lisbonne), 1927 (à New York), et
17. W. E. B. Dubois, The Conservation of Races, American Negro Academy Occasional Papers,
Washington, 1897. Texte repris et commenté par Moses, 1996, p. 228.
18. Cité par M’bokolo, 2004, p. 2.
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Diaspora noire des Amériques : une réflexion conduite à partir de la notion…
enfin 1945 (à Manchester). Même s’ils ne forment pas à eux seuls l’armature de
l’idéologie panafricaine 19, ces congrès, qui réunissent des délégations africaines,
antillaises, américaines, fournissent le repère fort sur lequel s’appuie la démonstration de l’existence d’une « vraie » diaspora en mesure de perpétuer la conscience
communautaire depuis une terre ancestrale. C’est du moins le point de vue que l’on
retrouve dans les approches classiques, comme celle développée dans l’ouvrage de
Harris [1982] qui peut être considéré comme fondateur des études sur la diaspora
africaine 20. Une diaspora qui se décline dans la continuité depuis le vieux continent
et que Harris [ibid., p. 4], qualifie de manière interchangeable de « noire » ou
« d’africaine » puisque son entreprise, nous dit-il, vise à « réaffirmer la diaspora
noire comme une extension de l’héritage africain » 21.
L’invention et la montée du panafricanisme depuis l’autre côté de l’Atlantique
sont reconnues par les leaders africains qui ont participé eux-mêmes à l’amplification de l’idéologie. Présent au congrès de Manchester en 1945, pionnier des indépendances africaines, premier président du Ghana, Kwame Nkruma n’hésite pas à
écrire que « le panafricanisme commence avec la lutte des Africain-Américains »
et que ces derniers « ont été la force agissante dans le mouvement » 22. Que cet idéal
communautaire puise ses origines dans le contexte où la discrimination raciale a été
poussée jusqu’à son expression la plus déshumanisante, qu’il ait été « pannégriste » et qu’il le soit sans doute resté, avant même d’avoir été « panafricain »
explique en partie la dissociation qui va s’opérer au cours de la deuxième moitié du
XXe siècle, entre les trajectoires politiques africaines et afro-américaines, avec le
repli de celles-là dans une Afrique plus mythique que réelle. Quand Nkruma, en
1958, déclare lors de la Première conférence des états africains indépendants à
Accra, que « la barrière du Sahara qui nous a divisés pendant de si longs siècles, ne
sera plus un obstacle entre nous » 23, il précipite le basculement du panafricanisme
vers le continent dans sa totalité, incluant l’Afrique dite « blanche ». Comme
l’analyse fort justement M’bokolo [2004, p. 20], « d’une certaine manière, ce fut le
courant pannégriste qui perdit dans ce basculement, car la solidarité nouvelle
cessait de se référer exclusivement aux “Nègres” ».
Si l’adéquation entre « Africain » et « race noire » est rendue caduque en
Afrique, on ne sera donc pas surpris de lire des commentaires tels que celui du
19. Pour une vue plus complète sur le panafricanisme se reporter en particulier à l’ouvrage bien
qu’ancien mais très bien documenté de Geiss (1974). Voir aussi les contributions récentes de M’Bokolo
[2004] et Diouf (2004). Voir également Chivallon [2004].
20. Voir notamment dans cet ouvrage, l’article de E.P. Skinner, dont la référence est portée en bibliographie ci-après. Signalons que l’intérêt porté au panafricanisme et aux idéologies nationalistes noires ne sont
pas seulement reprises dans les approches dites classiques de la diaspora noire. Il est aussi au cœur des approches postmodernes ou inspirées des cultural studies, même si c’est pour y voir l’expression toujours changeante des imaginaires diasporiques [voir par exemple Lemelle et Kelley, 1994] ou même pour exclure de
ces imaginaires les composantes identitaires trop « dures » qui pourraient contredire le modèle de l’hybridité,
comme le fait P. Gilroy [1993] avec l’afrocentrisme. Voir sur ce point, l’analyse de l’approche de P. Gilroy
dans Chivallon [2002a].
21. Souligné par moi.
22. Cité par M’bokolo, 2004, p. 2.
23. Cité par M’bokolo, 2004, p. 19.
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sociologue noir américain ST Clair Drake [1982, p. 469], ardent défenseur de l’idée
panafricaine, pour qui le panafricanisme reste traditionnellement « racial ». Dès
lors, « le panafricanisme racial et le panafricanisme continental » ne peuvent plus
être toujours « compatibles » [ibid .]. C’est dire combien, côté américain, la
composante « raciale » est fondamentale, capable de supplanter tout autre motif
suscitant l’élan unitaire.
La catégorie raciale demeure ainsi le principal motif des discours politiques de
libération des Afro-Américains. Elle est bien évidemment à la base de la conception de Marcus Garvey – le plus fameux des nationalistes dans la lignée de Martin
Delany – qui réussit, dans le Harlem des années 1920, à soulever un élan populaire
de grande ampleur, ce que son rival, Du Bois, ne parvint pas à faire, l’action de ce
dernier retentissant plutôt dans les cercles intellectuels. D’origine jamaïcaine,
fondateur de l’UNIA (Universal Negro Improvement Association) qui a très vite
essaimé dans de nombreux pays, aux Amériques, en Europe, en Afrique ; initiateur
et propriétaire de la Black Star Line, cette compagnie maritime chargée de rapatrier
les Noirs vers l’Afrique, Marcus Garvey est le père du « Back to Africa » et du
« Africa for the Africans ». Ces deux slogans condensent parfaitement le militantisme de cet homme dont le panafricanisme a pu être qualifié « d’impérial » [Geiss,
1974, p. 263], au vu de son dessein de créer un état africain unique, état virtuel dont
il a été élu Président Provisoire lors de la convention de l’UNIA à New-York en
1920 [Garvey, 1986, p. 135]. À la différence de Du Bois qui n’a jamais été ce que
les anglo-américains appellent un « émigrationniste » [Skinner, 1982, p. 32],
Marcus Garvey prône le retour vers la terre ancestrale, et développe un discours
politique nourri de messianisme, aux tonalités visionnaires qui le font être vu
comme un prophète au sein du mouvement politico-religieux le plus étonnant de la
Caraïbe – le « rastafarisme » – mouvement que « le prophète » lui-même a pourtant
rejeté [Lewis, 1998]. Cette polarisation sur l’Afrique comme État lié à la destinée
noire renvoie à la quintessence de ce que l’on peut appeler « nationalisme noir ».
Sans s’attarder plus sur la personnalité et l’action de Garvey qui restent toujours
difficiles à démêler entre volonté de restauration de la dignité du peuple noir et
orientations autocrates, on insistera sur l’usage central de la « race » dans sa vision
politique. Le titre de l’ouvrage que lui a consacré Tony Martin [1986], l’un de ses
plus grands admirateurs contemporains, n’est pas anodin : « Race First » (« La race
d’abord ») 24. Car pour Garvey, il n’est point d’autres possibilités que le séparatisme le plus strict entre les races au point qu’il finit par rencontrer des représentants du Ku Klux Klan dont, par un étrange détour, il rejoint la conception d’un
monde immuablement divisé en races.
24. De la communication que Tony Martin [2004] a livrée à la Première Conférence des Intellectuels
Africains et de la Diaspora à Dakar, en octobre 2004, sous l’égide de l’Union Africaine, il a été retenu que
son auteur proposait de considérer l’Afrique « comme base regroupant les peuples noirs », ce qui témoigne
de l’actualité toujours vive, au moins du côté de la « diaspora », de la question de l’adéquation entre
« race noire ” et « Afrique » [Voir Rapport de la Conférence, 2004, p. 13]. De son côté, à cette même conférence, Molefi Asante [2004, p. 12], l’un des fondateurs de la vision afrocentriste, qui utilise plutôt le terme
générique « Africain », déclarait néanmoins apprécier les propos de Mario Azevodo pour qui « le paradigme
de la diaspora place les populations noires au centre de l’étude et du sujet » (souligné par moi).
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Diaspora noire des Amériques : une réflexion conduite à partir de la notion…
Certes, les nationalismes noirs n’auront pas tous des tonalités aussi radicales.
Mais force est de constater la prégnance de l’item racial qui irrigue constamment
les formes de lutte de libération des Noirs aux Amériques. Il encombre jusqu’aux
versions réputées universalistes comme celles associées à la négritude et au panafricanisme dit francophone. Aimé Césaire n’a pas été sourd à la contradiction
immense que contient la volonté d’affirmer les « valeurs nègres » tout en refusant
n’importe quelle attitude raciste. Sans être forcément convaincante, sa vision d’une
négritude anti-raciste s’exprime bel et bien : « la conscience d’être noir, la prise en
charge de son destin, de son histoire, de sa culture (…) ne comporte ni racisme, ni
exclusivité » 25. On sait pourtant que des militants anti-colonialistes, de Frantz
Fanon, à Georges Padmore, ou Richard Wright et C. R. L. James 26 ont contesté ce
renversement du « discours raciologique blanc » 27. Dialectique du nécessaire
« racisme anti-raciste » que Jean-Paul Sartre [1977 (1948), p. XIV] pensait être « le
seul chemin qui puisse mener à l’abolition des différences de race » ? Aujourd’hui,
certains analysent sans réserve la négritude comme une forme de racisme, ce que
fait M. Villasante Cervello [2003], en s’appuyant notamment sur les sévères critiques adressées à ce mouvement par l’écrivain nigérian Wole Soyinka. Mais en
réduisant ce contre-racisme à toute autre forme de racisme, est-ce tenir compte de
la matrice de sens sans cesse renouvelée sous ses formes modernes et globalisées
qui rend encore d’actualité selon des aspects plus ou moins feutrés, le phénomène
que Sartre [ibid.] décrivait brutalement il y a plus de cinquante ans : « le nègre ne
peut nier qu’il soit nègre, ni réclamer pour lui cette abstraite humanité incolore :
il est noir (…) Insulté, asservi, il se redresse, il ramasse le mot « nègre » qu’on lui
a jeté comme une pierre, il se revendique comme noir ». Bien sûr, on pourra voir à
raison dans cette récupération pratique de la catégorie raciale, des formes de
racisme avérées. Mais on ne peut tenir pour équivalents les racismes générés par la
domination de ceux issus de la défense à l’oppression. De ce point de vue, un
travail immense de réflexion reste à conduire, travail qu’il faudra sans doute
raccorder au débat entre universalisme et communautarisme, tel qu’abordé par
Odile Hoffman [2004, p. 226-227] quand le premier – l’universalisme – dans sa
prétention éthique inébranlable à l’unicité humaine pourrait être le moyen de
dominer encore davantage les minorités et de discréditer la légitimité de leurs
projets : « l’impératif d’assimilation universelle » ou « l’impérialisme moral »
analysés par Tagguieff [1996, p. 388 et 396] dont l’acuité de ce dernier à déconstruire racisme et anti-racisme ne peut que servir un tel chantier de réflexion. Un
chantier pour lequel, fort heureusement, des volontés viennent exprimer courageusement l’urgence qu’il y a à le construire, y compris (et peut-être surtout) au cœur
même de la République française, où la « race » « constitue le versant nocturne de
la République, l’épaisseur inerte où vient s’engluer sa radicalité », celle créée par
des dispositifs et des discours qui restent producteurs de différences raciales, mais
25. Cité par Corzani, 1978, p. 334.
26. Se reporter à Diouf, 2004.
27. Selon les termes de Jean Bernabé à propos de la négritude, repris par Bonniol, 1992, p. 96.
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Christine Chivallon
qui « s’abritent derrière le masque d’un universalisme purement a-historique pour
mieux prétendre avoir dépassé la “race” » [Mbembe, 2005, p. 151 et 153].
Dans la disjonction qui s’opère entre les panafricanismes, entre l’Afrique continentale et les Amériques diasporiques, la revendication de la « race noire », côté
Amériques noires, va de plus en plus s’associer à une Afrique mythique, sans que
les afro-américains bâtissent ces projets spectaculaires de retour qui marquaient la
période du nationalisme classique. Déjà le Black Power annonçait cette décentration avec la volonté d’une « révolution de l’esprit », et d’une autodétermination
dont la conquête pouvait s’accomplir sans le recours obligé à un état souverain
[Van Deburg, 1997, p. 14-15]. Avec l’afrocentrisme très actuel, la rupture
« physique » avec l’Afrique est consommée 28. Celle-ci, pourtant centrale dans
l’élaboration du mythe d’une nation noire, s’éloigne d’un désir de retour réel, ce
qui amène Tully-Sitchet [2002] à parler fort justement « d’une invention du
retour », c’est-à-dire d’un « retour sur place ». L’afrocentrisme se réfère essentiellement à l’Afrique pour en reconstituer l’histoire et en faire le berceau « noir » de
toutes les civilisations humaines qui se sont par la suite inspirées, jusqu’à les
spolier, de ses exploits antiques. Polarisé sur l’Égypte ancienne, il consacre
l’origine glorieuse d’une communauté aujourd’hui dispersée. Et là encore l’équation entre la communauté et la « race » demeure le pivot primordial. L’historien
Mamadou Diouf [1999, p. 8] tient ainsi pour centrale la position attribuée à la race
chez le Sénégalais Cheik Anta Diop, l’auteur le plus influent des thèses
afrocentristes : « Cheik Anta Diop construit son Afrique à partir de la race et de la
couleur en leur affectant une culture particulière. Une race et une couleur qui
produisent une communauté homogène (les nègres africains), sujet d’une histoire
unique que la fragmentation ethnologique et géographique coloniale a délibérément tenté d’obscurcir ».
L’invention d’une large communauté planétaire, réunie par sa couleur de peau,
sourde aux frontières, s’accomplit au travers de ces diverses idéologies nationalistes qui « ramassent » la catégorie raciale. Elle est ce que M. Diouf [2004, p. 4] a
décrit par ailleurs comme un « internationalisme noir » dont l’imaginaire « puise
ses racines dans la race » et dans « les souffrances, la domination, l’exploitation, le
mépris et la marginalisation ». Mais faut-il pour autant en déduire que cette
communauté « trans » existe, ou comme le dirait Anderson [1996, p. 19] « que
dans l’esprit de chacun vive l’esprit de [la] communion ». En d’autres mots, cette
représentation d’une nation noire globalisée s’étend-elle vraiment aux populations
noires qu’elle ambitionne de réunir ? En répondant par la positive, on risque
simplement de prendre pour acquis ou advenus à forme, les principes et croyances
de segments communautaires, qui, pour être importants, n’en sont pas moins que
des composantes d’un univers culturel bien plus complexe. C’est sur ces dernières
remarques que nous terminerons ce propos.
28. Sur l’afrocentrisme, se reporter à Fauvelle-Aymar et al. [2000] et à Amselle [2001], chapitre 3 en
particulier « Servitude et grandeur de l’afrocentrisme ». Voir aussi l’ouvrage, bien que polémique et à visée
« positiviste », de S. Howe 1999].
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Diaspora noire des Amériques : une réflexion conduite à partir de la notion…
Le paradoxe d’un lien « non contenu » : la transversalité prise au mot
Nationalisme noir et panafricanisme amènent de toute évidence à repérer
comment la catégorie raciale plus que le référent étatique ou territorial, fournit la
ressource fondamentale pour configurer un lien d’appartenance commune. On
trouvera dans l’ouvrage de Winston James [1998], une description des réseaux
établis entre la Caraïbe et les États-Unis qui montre comment les idées et les
hommes circulent d’un lieu à l’autre sur la base de cette adhésion à la conception
panafricaine et nationaliste 29. De même, l’étude de Michel Fabre fournit un tableau
qui atteste de l’évidence du lien qui relie entre eux les Noirs des continents, dans ce
lieu de convergence qu’est Paris où se rencontrent aux cours du XXe siècle, de
nombreux noirs américains et leurs homologues francophones. Est-ce à dire que la
« diaspora » est bien là, incarnée par ces hommes – plus que les femmes – aux
parcours disséminés qui s’entrecroisent et forment des nœuds stratégiques en
certains lieux : New York, Londres, Paris, Monrovia, Accra… On a pourtant
attribué à ces réseaux, la caractéristique de n’être que l’apanage d’une élite intellectuelle et artistique. L’étude précise de Geiss 1974, p. 424] sur le panafricanisme se
termine ainsi sur le constat d’un « mouvement fluide », formé « d’organisations
éphémères ». Ainsi, « le panafricanisme a toujours été la préoccupation de petites
minorités appartenant à l’élite intellectuelle moderne parmi les Afro-Américains
aux États-Unis et aux Antilles, aussi bien qu’en Afrique ».
Il est certes possible d’élargir le panafricanisme, ou l’idée d’un transnationalisme noir hors du champ idéologique des élites, comme le propose M’Bokolo
[2004, p. 18] pour englober notamment les manifestations religieuses, ce qui
rejoint la perspective de S. Capone [2004, p. 15] pour qui « l’étude des religions
afro-américaines n’a jamais pu se faire qu’en termes de réseaux, entre l’Afrique et
le Brésil par exemple ». Mais il n’est pas pour autant assuré d’être en présence d’un
corpus de références dans lequel chacun pourrait puiser les signes de son appartenance – des représentations collectives partagées comme les définit Dan Sperber 30 –
et former ainsi une vaste entité sociale reconnaissable en tant que telle. L’apposition de la catégorie raciale, si elle génère des collectifs qui se définissent au travers
d’elle, ne se limite pas à ces formations. Elle aboutit plutôt à des compositions
diverses qui échappent justement à des construits sociaux univoques. En d’autres
termes, on pourrait dire que la communauté noire, panafricaine, ou pan-négriste
n’existe pas ailleurs que dans les discours de ceux qui la construisent et s’identifient à elle. Elle n’englobe pas tous les individus – cette fameuse diaspora que le
nationalisme fait exister – dont l’expérience reste intimement liée à la racialisation
29. Notons cependant que les relations entre communautés noires ne sont pas exemptes de tensions, ce
que montre la confrontation entre les migrants antillais et les noirs natifs aux États-Unis, et dont l’opposition
conflictuelle entre le Jamaïcain Garvey et l’Américain Du Bois est particulièrement significative. Voir sur ce
point Watkins-Owen (1996).
30. Rappelons que pour Dan Sperber (1989, p. 134), il est possible de distinguer au sein des représentations mentales qui constituent le savoir de chaque individu, celles qui, « en très petite proportion », finissent
par « être distribuées dans le groupe entier ». Il s’agit des représentations culturelles ou collectives à proprement parler, « un sous-ensemble aux contours flous de l’ensemble des représentations mentales qui habitent
un groupe social ».
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des rapports sociaux, mais figure comme un registre d’appartenance disponible
parmi d’autres formulations identitaires.
Dans sa récente étude sur les Noirs de Colombie, E. Cunin [2004] montre bien
comment l’identité est foncièrement dépendante de l’apparence physique et du
cadre normatif racial. Mais l’appartenance à telle ou telle configuration qui s’en
dégage est une négociation permanente qui met en jeu ce que la sociologue, dans
une perspective interactionniste, appelle une « compétence métisse », non pas par
référence à la mixité des races, mais en tant que « combinaisons multiples » résultant de « la capacité à aller et venir d’un univers normatif à l’autre » [ibid., p. 14
et 82]. C’est dire combien les identifications « internes » répondent par des voies
diverses à l’ordre racial qui les contraint. La transversalité que nous recherchons
n’est donc plus celle mise en scène par la communauté de destin du nationalisme
noir. Elle se loge dans des manières très particulières de composer un lien social,
hors de cadres normatifs qui s’apprêteraient encore à le discipliner. De ce fait le
lien n’est plus « un » mais « multiple ».
On se limitera ici, en guise de conclusion, à résumer cette interprétation développée par ailleurs [Chivallon, 2002b et 2004] et évoquée dans notre préambule où
il est question d’envisager les cultures noires des Amériques comme animées par
une volonté d’échapper à l’ordre systématisé, ce qui a pu susciter le recours à
l’expression de « culture contre le politique » [Chivallon, Martin, à paraître]. Non
pas qu’il n’existe pas au sein de cet univers, des composantes « dures » de l’identité
– et les formes radicales du nationalisme sont là pour nous le rappeler – mais qu’il
y a toujours à l’œuvre une dynamique de décentrement issue d’un foisonnement
d’orientations collectives. Si aucun registre ne s’impose comme dominant, si aucun
récit (politique, historique, religieux, ethnique, et même racial) ne parvient à se
constituer en un « méta-récit » communautaire « qui vivrait dans l’esprit de
chacun », c’est en raison de cette production démultipliée de répertoires identitaires
dont aucun ne se voit attribuer le pouvoir de soumettre le corps social.
L’absence de « méta-récit » fédérateur – mettant à disposition une « identité
narrative » [Ricoeur, 1985, p. 443-446] ou encore un dispositif narratif
« englobant » [Augé, 2001, p. 60-62] à partir desquels le corps social serait en
mesure de se constituer en tant qu’entité individualisée – peut en effet être tenu
pour caractéristique des cultures noires des Amériques, à des échelles groupales
diverses, depuis les « communautés » les plus localisées, aux ensembles
« diasporiques » les plus vastes. C’est du moins l’interprétation que l’on propose.
Il n’est pas d’affirmer qu’il n’existe aucune narration collective, ce que la thèse dite
de « l’aliénation » a soutenu – notamment au travers de la notion de « nonhistoire » avancée par Édouard Glissant [1981, p. 130-131] pour suggérer la dépossession des sujets vis-à-vis de la maîtrise de leurs orientations collectives – mais
plutôt de noter la multiplication de « petits récits » disséminés dans des collectifs
capables de s’aménager d’une telle profusion. Un peu à la manière de M.J. Jolivet
[1997, p. 998], on pourrait dire que ces versions multiples du destin collectif
renvoient à des manières diverses, et même fluctuantes selon les circonstances,
« d’oublier l’Afrique et l’esclavage ou au contraire de se les remémorer ».
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Diaspora noire des Amériques : une réflexion conduite à partir de la notion…
Ce point de vue rejoint celui d’auteurs qui, pour la Caraïbe, ont souligné cette
résistance nourrie de méfiance à l’égard du pouvoir centralisé, celui-là même qui
pourrait détenir l’autorité d’imposer et de perpétuer « le grand récit collectif ».
Justin Daniel [2002, p. 595] parle des « contrariétés de la souveraineté identitaire »
issues de la « pluralité des affiliations identitaires » et de la « prolifération des
single issue groups ». On a déjà noté les analyses de Jacky Dahomay [2000, p. 105]
quant à une « culture réactive », une « culture de la contre-plantation ». De son côté
Denis Constant Martin [1996, p. 27] voit les cultures populaires antillaises « en
marge des systèmes d’autorité publics », comme placées à une distance stratégique
autorisant « l’expression d’une méfiance ancienne à l’égard de toute forme de
pouvoir ». On pourrait encore mentionner le point de vue de Harry Goulbourne
[2002, p. 163] qui relève chez les migrants antillais en Grande-Bretagne, l’insistance accordée à « la liberté individuelle » et qui forme comme une anti-thèse de
l’ethnicisme des autres groupes.
Ce lien « non contenu » par aucun système, encore moins par des états, proliférant en autant d’orientations qu’il lui est possible – il suffit de penser au champ religieux dans les espaces caribéens qui embrasse une incroyable palette d’affiliations –
n’est-il pas le résultat du trop-plein de contraintes qu’a fait naître la violence de
l’ordre esclavagiste racial ? N’est-il pas comme l’exigence d’une liberté rendue plus
forte qu’ailleurs et qui finit par composer un monde social soustrait à la contrainte
communautaire ? On trouve dans le rastafarisme jamaïcain, l’explicitation la plus
significative de ce désir d’indépendance latent ou inconscient qui prévaut dans
l’ensemble quand ce mouvement baroque, à partir des années 1930, invente une
philosophie rebelle, de « liberté radicale », dotée d’un langage qui localise le lieu de
la pleine autorité dans l’individu, et non dans le collectif [Edmonds, 1998, p. 352].
Transnationales, transétatiques, diasporiques, les cultures noires des Amériques
le sont peut-être plus que toute autre culture, si l’on envisage que la
« transversalité » est prise au mot, dans cette capacité à découdre le lien social, à le
faire être rétif aux limites autoritaires de l’identité collective, en vertu de cette
« tradition discursive toujours potentiellement critique » dont parle David Scott
[1997, p. 36-37] qui finit par produire « une communauté de discours » faite de cet
amoncellement de visions textuelles « convergentes ou divergentes » du collectif.
Une tradition que seule la connaissance intime de l’oppression raciale semble en
mesure d’expliquer la raison d’être.
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