till l`espiègle - Théâtre des Marionnettes de Genève
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till l`espiègle - Théâtre des Marionnettes de Genève
Théâtre des Marionnettes de Genève Dossier pédagogique – saison 2009 - 2010 TILL L’ESPIÈGLE Création du Théâtre des Marionnettes de Genève Du 26 septembre au 11 octobre 2009 Texte : Chantal Péninon Mise en scène : Guy Jutard et Chantal Péninon Interprétation : Nathalie Cuenet, Fatna Djahra, Daniel Hernandez, Liviu Berehoï Scénographie : René Delcourt Musique originale : Didier Capeille Lumière : Danielle Milovic Marionnettes : Alain-Michel Della Negra, Delphine Garin, Adrien Jutard, Adrien Lamm, Isabelle Matter, Anne-Marie Roth, Lise Zogmal, sous la direction de Guy Jutard ~ 60 minutes Dès 7 ans Le spectacle 1. L’histoire Pour être espiègle à souhait, il faut avoir trempé dans toutes les eaux. Till fut baptisé une seconde fois — avec l’eau trouble des chaussées, celle des vagabonds et des marcheurs. Il n’eut ainsi, toute sa vie, jamais peur de se mouiller. Que son chemin vienne à croiser deux gredins volant une ruche, il les oblige à se crêper le chignon et à s’enfuir. Chacun trace sa ligne de Till l’espiègle. Soldat malgré lui. vie comme il l’entend : le cœur léger, Till décida de devenir un gai luron qui fait de la corde raide au nez et à la barbe des passants. Sachant qu’il fallait bien peu de choses pour faire perdre l’équilibre aux gens, ce rêveur né, devenu expert en survie et malicieux saltimbanque, opte pour l’effronterie. Aujourd’hui, Il pourrait être enfant ou artiste des rues, ici ou ailleurs. Mais c’est l’aube du XIVe siècle qui l’a vu naître, en Allemagne, une période de grande disette et de conflits. Ses moqueries et farces touchent à la fois les puissants et le petit peuple qui vivent les pieds sur terre, prisonniers de leurs gros souliers. Ses effronteries ne luttent-t-elles pas contre la bêtise qui est de tous les temps ? En fond de scène, une rangée de marionnettes. Au cœur du vestiaire de la vie, elles sommeillent en attente d’être manipulées. Sous la pression de comédiensmarionnettistes, elles ne sont pas moins d’une soixantaine à s’ébrouer de manière cocasse. Et avec une troublante vérité d’expression, dans un décor se transformant à vue, pareil à un sidérant jeu de construction. Par d’infimes variations de jaunes et de beiges, l’image de scène ramène, par instants, aux peintures de maîtres flamands tels Breughel ou Bosch si remplies d’une imagination fantastique. Á l’image de cette adaptation de « Till l’Espiègle », pour l’humaniste Breughel, l'homme est d'abord enfant montré occupé à ses jeux. La dimension farcesque est omniprésente dans ce chefd’œuvre de la littérature de colportage, notamment dans cette façon de brocarder une compagnie de soldats enrôlant les paysans à tour de bras. Car ce chenapan de Till ne cesse de ruser avec les dangers et la mort. Comme dans les riches heures de la peinture médiévale des vanités, un squelette accompagne le débrouillard au gré d’une kyrielle de rencontres dans ce qui est aussi un roman d’initiation. Ou comment repousser la mort autour de soi à force d’espiègleries et de pieds de nez à l’adversité. La liberté de ton alliée à une désarmante franchise permettent ici d’aborder avec légèreté des sujets profonds qui engagent toute une vie : la relation enfant-parent, la mort, le désir d’indépendance. 2. La légende de Till Dans le dictionnaire, on lit : "Espiègle: adjectif et nom, déformation du néerlandais « Uilenspiegel » et de l’allemand « Eulenspiegel », surnom du héros d’un roman traduit en français en 1532. Se dit de quelqu'un qui est vif, éveillé, malicieux sans méchanceté." Devenir un mot courant de la très noble langue française n'est pas donné à tout le monde et la rareté de cette gloire mérite que l'on s'y attarde. Qui donc était cet Espiègle qui se promène aujourd'hui encore dans nos dictionnaires ? Du Rhin… Il exista jadis un véritable Till. Il était allemand, fils de paysans de la région de Brunswick. On sait qu'il mourut pendant la grande épidémie de peste de 1350. Bouffon de son métier, il sillonnait l'Allemagne en tous sens, égayant les villes et les campagnes de ses facéties, ne se privant jamais d'une moquerie contre les prêtres, les bourgeois ou les princes. Il ne fit sans doute pas fortune de sa profession mais ses farces le rendirent célèbre et les paysans y trouvaient une bien délicieuse revanche contre tous ceux qui les accablaient d'impôts, de remords ou de railleries. En 1478, un peu plus d'un siècle après sa mort, un premier recueil des aventures de Till serait paru en Allemagne : 46 histoires anonymes imprimées à Lübeck. Ces récits burlesques font la bonne fortune des colporteurs, ces marchands ambulants qui assurèrent le succès de tant d'œuvres populaires. En 1500, un deuxième recueil compte 94 épisodes. C'est, semble-t-il, l'édition de Strasbourg de 1515 qui fixe définitivement l'image du héros : il est représenté à cheval avec un miroir et une chouette. En allemand, miroir se dit Spiegel et chouette Eule ; le premier reflète toutes les folies du monde, la seconde symbolise la sagesse de celui qui les dénonce. Ces deux attributs donnent au bouffon son nom allemand : Eulenspiegel. à l'Escaut Au XIXe siècle, la destinée de Till l'espiègle prend un tour nouveau. Passionné par le patrimoine légendaire de son pays, l'écrivain belge francophone Charles De Coster (1827-1879) s'approprie ce personnage ; il lui offre une dimension historique et épique. Mais si un véritable héros d'épopée se doit d'être totalement fait de qualités, Till, lui, conserve ses défauts : paresseux, polisson, volontiers gourmand… Et s'il se moque des riches et des puissants, il lui arrive aussi de rire des paysans eux-mêmes. Cela donne La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d'Uylenspiegel et de Lamme Goedzak au pays de Flandres et ailleurs. Le succès de l'œuvre ne sera pas immédiat mais il ne se démentira jamais. Film d'aventures réalisé et joué par Gérard Philippe en 1956, pièces de théâtre de Bertolt Brecht ou Hugo Claus, nombreuses adaptations pour l'édition enfantine… Till l'espiègle n'a pas fini ses pirouettes. 3. Héros malgré lui Héros malgré lui, Till, le blagueur, revient à la vie pour devenir le centre joyeux d’aventures rocambolesques inépuisables. Elles mettent en avant la victoire de l’intelligence, de la ruse, et de l’astuce sur la force brute et la bêtise des puissants comme des faibles. Le célèbre personnage de chenapan est ici farcesque, donnant l’image d’un être libre, bouillonnant de vie et réussissant à repousser la mort par ses espiègleries en forme de pieds de nez. Sur son chemin pavé d’épreuves, il se montre plein de débrouillardise. Jeune, léger, il aime rire et s’amuser dans un rythme alliant la bande dessinée et le dessin animé. L’histoire de Till, personnage mythique, se perpétue dans les mémoires de génération en génération. Le décor se déploie astucieusement, telle une grande boite à jouets pour enfants. En lisière de plateau, ce ne sont pas moins de 60 marionnettes qui se trouvent merveilleusement saisies, manipulées vers la vie et raccrochées par les comédiens au rythme de ce récit picaresque. 4. Une épopée de la liberté Deux questions à Guy Jutard, metteur en scène Qu’avez-vous retenu des aventures de Till ? Guy Jutard : La dimension tragique du destin humain m’a toujours habité. Cette lutte constante des forts contre les faibles, cette injustice qui parcourt l’histoire, cette fable du monde qui ne cesse de se répéter. Dans cette désespérance profonde, l’humour est cette mise à distance qui vous montre la vanité des choses. Cet humour sert de fil rouge au récit. J’ai le désespoir joyeux et que j’ai une affection particulière pour auteurs ou les personnages qui abordent la gravité du monde avec une bonne dose d’ironie. Personnage farcesque et blagueur, Till n’en est pas moins confronté à la violence des temps et à la guerre. Il est à sa manière un redresseur de torts, prenant parti pour l’opprimé. Derrière cette figure populaire venant de Germanie depuis les XIIIe-XIVe siècle, se profile un héros de type anarchiste. Il est plus connu grâce à Charles de Coster qui, au XIXe siècle, en fait un héros de l’épopée des Flandres, époque des bûchers et du règne de Charles-Quint. Et sur la figure de la mort ? G. J. : La version retenue ici est moins sombre et crépusculaire que son modèle littéraire. Il y a néanmoins la présence de la mort qui correspond à ses représentations sous forme de squelette dès le XIVe siècle qui vient faire un sourire aux êtres juvéniles et beau. Ce personnage de la grande faucheuse poursuit Till pendant toute l’histoire. Qui s’ouvre sur l’enterrement de Till avec une oraison funèbre faite par un curé. A l’écoute de celle-ci, Till sort de son cercueil, dément les paroles du religieux et se met en tête de vouloir raconter sa version de l’histoire. On retrouve la mort au détour de plusieurs épisodes de la pièce, coupant la corde sur laquelle Till joue les fildeféristes, comme on le ferait d’un fil de vie. Une frise d’images reprenant les principaux personnages est actionnée entre les épisodes du récit, tel un cadre autour de l’image de scène. Il évoque de loin en loin sur un mode forain ou d’une horloge animée, la course contre la fin que nous menons tous. 5. A propos de Till ► La légèreté face au drame Avant la télévision, il y avait les veillées. On y racontait des histoires. Avant les salles de spectacle, il y avait les tréteaux sur les places des villes et des villages. On y jouait des drames tout autant que des farces. Les personnages de ces contes et légendes, de ces drames et farces sont restés dans la mémoire populaire. On connaît leurs noms sans être toujours bien sûr de leur histoire. Et moins encore de leurs origines. Till l’Espiègle est de ceux-là. D’origine germanique, on raconte ses histoires plutôt dans le nord et l’est de la France, ainsi qu’en Belgique et en Allemagne, bien sûr. Farceur, frondeur, il est l’image du petit peuple qui ne se laisse pas abuser par les puissants. La force n’étant pas de son côté, il la ridiculise et se moque du pouvoir politique comme du pouvoir religieux. Transmises par la tradition orale, ses blagues ont été reprises par Charles de Coster (1827-1879) qui situe son long roman au XVIe siècle. Il fait de Till l’Espiègle le symbole de la résistance populaire contre l’envahisseur espagnol au moment de la Guerre des Flandres. Si le côté frondeur et rebelle de Till, son ingéniosité, sont bien respectés, son côté blagueur, farcesque, ne dépasse pas le temps de l’enfance. En effet, Charles de Coster donne à Till une adolescence et une maturité pleines d’horreurs et de souffrances. On meurt tout autour de lui. Guerre et tortures sont le lot du peuple, victime de l’envahisseur. L’œuvre de Charles de Coster est belle et sombre. Et ne saurait en aucun cas convenir à un public d’enfants. Nous vous proposons « notre Till à nous ». Jeune, léger, il aime rire et s’amuser. Si la vie lui enseigne ses leçons, si la mort le poursuit de ses assiduités, il n’en reste pas moins farceur et blagueur. À vouloir montrer au petit peuple sa crédulité, à ridiculiser ceux qui sont gonflés de pouvoir – si petit soit-il – et de certitudes, il ne se fait pas que des amis. Mais si la mort le rattrape à la fin (comme tout un chacun), la légende de Till l’Espiègle, elle, est toujours bien vivante. Chantal Péninon ► Éloge de la farce Il y a quelques années, je me souviens avoir raconté l’histoire de Till l’Espiègle à mes enfants. Ensemble nous avons ri aux facéties de ce petit personnage frondeur et épris de liberté. Comme le renard du Roman de Renart. Till est le moteur d’aventures picaresques inépuisables qui mettent en avant la victoire de l’intelligence, de la ruse, et l’astuce sur la force brute et la bêtise des puissants comme des faibles. J’ai découvert plus tard les origines allemandes du personnage, les façons dont les auteurs et collecteurs s’en sont emparés et le héros flamand qu’il est devenu plus tardivement (milieu de XIXe siècle) sous la plume de Charles de Coster. Ce dernier l’a fait évoluer dans une épopée grandiose mais singulièrement sanglante et lugubre, qui fourmille de scènes de torture sur fond de guerre de religion. J’ai voulu créer pour le jeune public un Till résolument farcesque, donnant l’image d’un être libre, bouillonnant de vie et faisant des pieds de nez à la mort. Guy Jutard 6. Les Personnages Nombreux (plus d’une soixantaine) ils foisonnent comme dans les tableaux de Breughel et Jérôme Bosch. On aura très vite repéré les principaux : Till et la mort. Les autres, qui seront identifiés au cours des scènes et, à l’exception de Lamme, ami de Till, sont des faire-valoir du personnage principal. On peut ici en donner la liste : villageois et villageoises, commères, marchands et forains, soldats, moines et abbés, médecin, malades, culs de jatte et estropiés, cheval mort, chiens, cochons, singe, poules, chouette…. 7. La Scénographie Le scénographe René Delcourt a élaboré un espace scénique à l’image d’une boîte de jouets pour enfants. Ainsi, toutes les marionnettes de l’histoire sont accrochées sur le pourtour de la scène, saisies, manipulées et raccrochées au rythme du récit. Les éléments de décor - volumes colorés représentant des maisons, des arbres, des collines - sont déplacés et assemblés à vue par les comédien(ne)s pour créer les « lieux » multiples de l’action. Entre chaque séquence, des petits personnages animés semblent mener autour du cadre de scène une ronde sans fin, métaphore de l’histoire de Till, personnage mythique qui, se perpétuant dans les mémoires de génération en génération, semble échapper à la mort. 8. Les Marionnettes Pour raconter Till, une technique vive et rapide, permettant de manipuler simultanément plusieurs personnages, s’imposait. Et c’est tout naturellement la marionnette à tringle qui a été choisie. Les personnages sont des volumes sculptés, dont la surface est une peau en toile de latex coloré. Une articulation souple au niveau du cou permet, grâce à l’appui au sol du personnage, de donner vie et mobilité aux marionnettes. Leur matière même, étanche grâce au latex, permet l’utilisation de l’eau et de la boue dans le jeu scénique. C’est Bosch et Breughel qui ont inspirés le spectacle pour la dynamique des formes et des groupes de personnages. Mais la bande dessinée et le dessin animé ne sont pas étrangers aux images proposées. 9. La Musique On trouve dans la composition signée Didier Capeille pour ce spectacle, une musique si pleine d’échos des musiques traditionnelles d’Europe du centre. Cymbalum, accordéon, contrebasse, orgue mécanique et trompette servent une partition où alternent la ritournelle de la balade de Till et les décors sonores de certaines scènes. 10. Une fable d’une grande richesse À l'origine des nombreuses versions de Till Eulenspiegel, on trouve un personnage historique, attesté en Basse-Saxe au XIVe siècle et mort de la peste à Mölln en 1350. Les anecdotes que transmet à son sujet la tradition orale sont recueillies un siècle après sa mort à Brunswick et constituent un premier ensemble de quarante-six histoires, rédigé en bas allemand et imprimé à Lübeck vers 1478 ; une autre édition, augmentée de moitié, paraît en 1500 ; toutes deux sont perdues ; mais la seconde a servi de base à une traduction en haut allemand, attribuée sans preuve à Murner et publiée en 1515 à Strasbourg chez Johann Grieninger. L’oeuvre est très fréquemment réimprimée durant tout le XVIe siècle. Le nom d'Eulenspiegel (en bas allemand Ulenspegel, dont le français a tiré l'adjectif « espiègle ») a donné lieu à plusieurs interprétations ; la plus courante correspond au frontispice de l'édition de 1515 : Till brandit un miroir (Spiegel) de la main gauche, tandis qu'une chouette (Eule) est perchée sur sa main droite ; le fripon semble ainsi vouloir offrir au monde son image, et son apparente folie serait le déguisement d'une sagesse. Roman burlesque L'œuvre se rattache au genre du roman burlesque dont le succès s'affirme en Europe au XVIe siècle et qui veut en finir avec le didactisme en littérature et apporter au public la détente dont il a besoin pour son équilibre. Mais Eulenspiegel dépasse le niveau de la farce : l'auteur se livre à une critique des artisans, des citadins, du clergé, des souverains et des universitaires de l'époque ; c'est la revanche du paysan gaussé et méprisé, du pauvre sur les riches ; mais, comme le fripon prend aussi pour cible les paysans, on ne peut s'en tenir à cette interprétation. L'ouvrage proclame plus généralement le triomphe de l'esprit de liberté sur l'ordre établi, de l'individu marginal sur la société, de l'errant sur les sédentaires, de l'aventurier oisif sur le travailleur rivé à sa tâche. Bref, le fripon est un pícaro (personnage qui constitue un contrepoint à l’idéal chevaleresque) avant la lettre. Il est l'anticonformiste qui, pour railler la folie des hommes, se cache sous le masque de la folie, se grise de mouvement, joue de sa mobilité, de son agilité et de sa verve pour ébranler les certitudes et les structures, sème le désordre, bouscule le langage. Il incarne la fantaisie et la vie dans un monde menacé par l'inertie et le rationalisme simpliste. Certes, on n'a pas encore affaire à un roman au sens moderne du terme, mais les anecdotes ne sont pas simplement juxtaposées ; elles forment des séquences cohérentes ; le héros n'est pas encore un caractère, mais il est déjà plus qu'un type. Il est le moteur et la condition de l'action. Sa présence permet un retournement des valeurs. La religion n'échappe pas à cette remise en question ; pourtant, ce qui pourrait être sacrilège reste parodie et jeu ; ce n'est qu'à la fin qu'on passe à l'impiété et au sarcasme véritables, et qu'Eulenspiegel devient un génie du Mal. Au moment où l'Allemagne tend, du fait de son développement économique, vers une organisation plus ferme, Eulenspiegel se pose en ennemi déclaré de l'ordre et des structures. Un succès atemporel Cette complexité de l'œuvre explique la permanence de son succès : elle fut très vite traduite en néerlandais, en anglais et en français. Luther et ses disciples eurent beau blâmer son immoralité, les catholiques la mettre à l'Index, les éditions se multiplièrent à partir de 1532 et se vendirent bien. Dans le savoureux roman de Charles De Coster, Thyl Ulenspiegel (1867), le fils de paysan devient l'organisateur de la résistance flamande contre l'occupant espagnol ; c'est encore Till qui reparaît dans le roman de Klabund, Bracke (1919), et sert de porte-parole à l'auteur ; c'est à lui que Gerhart Hauptmann a recours quand il veut faire évoluer un ancien combattant dans le monde troublé d'après la Première Guerre mondiale (Aventures, tours, jongleries, visions et songes du grand pilote de guerre, vagabond, jongleur et mage Eulenspiegel, épopée de 1928) ; Brecht le ressuscite à son tour sous les traits de Schweyk. En musique, l'adaptation la plus remarquable est le poème symphonique de Richard Strauss, Les Joyeux Tours de Till Eulenspiegel (1895), œuvre sarcastique qui s'en prend aux conventions bourgeoises, où le héros finit pendu, mais lègue son esprit en héritage à l'Allemagne. Pierre Servant 11. Comment Till l’espiègle dansa sur une corde raide avec deux cents chaussures prêtées par les villageois Et bientôt, ce fut sur la place du village que Till tendit sa corde raide. Tous les habitants, hommes, femmes et enfants, se massèrent bien vite pour voir à quelle pitrerie ce grand farceur allait se livrer, Till monta sur sa corde, laissa pendre une ficelle au-dessus des badauds et cria : - Vous allez voir ce que jamais de votre vie vous n’avez vu. Mais pour cela, il faut que chacun d’entre vous attache sa chaussure gauche à cette ficelle. Quand toutes les chaussures y furent attachées, Tili tira la ficelle à lui, la passa autour de son cou avança sur la corde raide jusqu’au milieu de la place. - Attention, mesdames et messieurs, le spectacle va commencer ! D’un rapide coup de couteau, il détacha toutes les chaussures, qui tombèrent alors d’un seul coup sur la tête des villageois. La confusion la plus totale régna bientôt sur la place, chacun essayant d’attraper sa chaussure au vol. - C’est ma chaussure ! s’exclamait l’un. - Non, c’est la mienne, rétorquait l’autre. - Ce socque* est à moi, criait une paysanne d’une voix perçante. - Non, à moi ! dit une deuxième en le lui arrachant des mains. Et ce fut la plus belle foire d’empoigne à laquelle eurent jamais participé les habitants du village : hommes, femmes et enfants. *Socque : soulier sans talon, généralement à semelle de bois. Extrait de : Cvancara Karel, Till l’Espiègle. 12. Le Maître de la légende de Till Charles de Coster (1827-1830), l'auteur de La Légende d'Ulenspiegel, la première grande œuvre littéraire créée en Belgique francophone après l'indépendance du pays en 1830, est né à Munich d'un père flamand et d'une mère wallonne. Il passa l'essentiel de sa vie à Bruxelles, dans des conditions matérielles souvent très difficiles. À l'exception des trois années où il fut « employé de la Commission royale chargée de la publication des lois anciennes » (1861-1864) - ce qui lui permit de perfectionner sa connaissance du français du XVIe siècle dont il imitera bien des traits dans Ulenspiegel - et d'un poste de professeur de littérature à l'École de guerre à partir de 1870, il n'eut, en effet, d'autre occupation que la littérature, mais ne connut guère de son vivant le succès ni la renommée. Il étudia chez les Jésuites, puis à l'université de Bruxelles, où il acquit les idées démocrates et anticléricales qu'il ne cessa de professer par la suite. En 1847, il fonda avec quelques amis « la Société des Joyeux », au sein de laquelle il fit connaître ses premiers essais en vers et en prose. Il eut également, à cette époque, une longue relation amoureuse, aussi passionnée que malheureuse, dont on trouve le témoignage dans les Lettres à Élisa (1894), publiées après sa mort. Collaborant régulièrement, à partir de 1856, à la revue Uylenspiegel, qui joua un rôle important dans les lettres belges de l'époque, De Coster y publia notamment ses Légendes flamandes, dont il fit un volume en 1857 Par la suite, De Coster publia encore un roman de mœurs, Le Voyage de noces (1872), et des relations de voyage (La Zélande, 1874, et La Néerlande, 1878), mais ces textes sont d'une qualité bien inférieure au chef-d'œuvre qui fit sa renommée posthume. La Légende d'Ulenspiegel fut traduite en de multiples langues et adaptée plusieurs fois au cinéma. Quant aux plagiats divers que l'on en fit et aux adaptations pour les enfants, on ne les compte plus. Curieusement, ce grand livre est peut-être aujourd'hui mieux connu à l'étranger qu'en France ou même qu'en Belgique. Faut-il en attribuer la cause au fait qu'il s'insère mal dans les schémas traditionnels de l'histoire de la littérature française (peu de traces de cette œuvre par exemple, voire souvent aucune, dans les manuels scolaires) ? D'inspiration plutôt romantique à un moment où le romantisme est déjà passé de mode, La Légende d'Ulenspiegel tient de l'épopée et du roman historique mais aussi du roman picaresque et de la verve rabelaisienne, et ne manque pas non plus de traits réalistes. Si l'œuvre relate la lutte, au XVIe siècle, des provinces du Nord contre l'occupant espagnol, le héros qu'elle met en scène n'apparaît jamais sous l'aspect univoque d'un héros d'épopée valorisant une identité nationale. Car le combattant qu'est Thyl Ulenspiegel est en même temps un esprit frondeur et un farceur légendaire. De Coster en trouva le modèle dans des ouvrages dérivés de vieilles compilations allemandes où étaient transcrits des récits oraux bien plus apparentés aux fabliaux qu'à la tradition épique. Personnage facétieux, peu scrupuleux de ses moyens, vagabond exubérant, Thyl est celui qui, irréductible à toute institution des rôles, arrache tous les masques pour présenter à chacun sa vérité profonde. D'où son nom Ulenspiegel, Ik ben ulen spiegel (« je suis votre miroir »), dont on sait qu'il donna aussi en français, dès le XVIe siècle, le mot espiègle. Cette ambiguïté fondamentale, qui est une des grandes richesses de ce texte mais qui le rend « inclassable », se retrouve en bien de ses aspects. D'abord si De Coster ressuscite une Flandre que l'on dirait souvent sortie des tableaux d'un Breughel, c'est en français qu'il écrit son Ulenspiegel. On peut également remarquer que les aventures du héros se passent « en pays de Flandre », mais aussi, comme l'indique le titre, « ailleurs ». Et, si le burlesque s'y mêle à l'épique, le légendaire y est sans cesse relayé par l'évocation très concrète de certains faits historiques de l'époque et par la mise en scène de plusieurs acteurs réels de ce siècle sanglant (De Coster a d'ailleurs puisé abondamment dans certains ouvrages d'historiens). La construction du livre repose souvent sur un jeu de contrastes et d'oppositions comme celle, sans cesse rappelée, des figures de Thyl et de Philippe II d'Espagne, que l'auteur fait naître le même jour, l'un grandissant « en joie et folies », l'autre croissant « chétivement en maigre mélancolie ». Mais l'entrelacement des thèmes et la succession des épisodes est d'une telle richesse et d'une telle complexité que jamais ces oppositions n'apportent l'impression de répétition ou de stagnation que l'on ressent souvent à la lecture de textes à caractère épique. D'autant plus que la langue archaïsante inventée par l'écrivain, tout en gardant - quoi qu'en aient dit ses détracteurs - un extrême degré de lisibilité, est d'une intense expressivité et s'adapte parfaitement à l'univers très particulier que révèle cette œuvre. Paul Emond 13. Bibliographie • De Coster Charles, La Légende d’Ulenspiegel au pays des Flandres et ailleurs, Paris, Minos, La Différence, 2002 • Papiersky-Bredy Anne Marie, Contes traditionnels des Flandre. Illustrations : Sourine, Paris, Milan, 1996 • Cvancara Karel, Till l’Espiègle. Illustrations : Hediga Vilgusova. Adaptation française : Didier Debord, Paris, Gründ, 2000 • Giannini Giovanni, Till l’Espiègle, Paris, Gautier-Languereau, 1985 • Zwerger Lisbeth, Till l’Espiègle. Illustrations : L. Zwerger. Adaptation : Hans Janisch, Gossau, Nord-Sud, 2000 • Van Schoute Roger, Verboomen Monique, Jérôme Bosch, Tournais, Renaissance du livre, 2003 • Marjnissen Roger-Hendrick, L’ABCdaire de Jérôme Bosch, Paris, Flammarion, 2002 • Dalemans René, Breughel et son époque, Bruxelles, Artoria, 1996 • Emmanuel Bourrassin, Philippe le Bon : le grand lion des Flandres, Paris Talladier, 1998 • Champagne, Ardenne, Flandres, Paris, Nathan, 1982 • Le Roman de Renart, illustration d’Etienne Delessert et de Philippe Davaine, Paris, Folio, 2002 ► Les ouvrages cités dans cette sélection bibliographique ont été soigneusement lus et choisis pour vous. Ils sont disponibles dans le cadre des Bibliothèques Municipales et de la Bibliothèque de Genève. Pour des informations complémentaires : Bertrand Tappolet Théâtre des Marionnettes de Genève 3, rue Rodo - cp 217 - 1211 Genève 4 tél. +41 22 418 47 84 mobile +41 0 79 517 09 47 e-mail [email protected] Petites notes de rappel pour les spectacles du Théâtre des Marionnettes de Genève Prix = CHF 4.- par élève Note 1)La somme exacte correspondant au nombre d’élèves le jour de la représentation (nbre d’él. x CHF 4.-), est à verser à la caisse en coupures – pas de monnaie disponible sur place. Note 2)La prise des billets s’effectue 20 minutes avant le début du spectacle ; le temps restant est mis à profit pour passer au vestiaire et entrer en salle. Note 3)Les représentations débutent à l’heure. En raison de l’horaire des bus et afin de respecter la ponctualité des sorties de classes, il n’est pas possible d’attendre les retardataires. 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