Expertise et contrefaçon en parfumerie

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Expertise et contrefaçon en parfumerie
CHRONIQUE SCIENTIFIQUE ET TECHNIQUE
Expertise et contrefaçon
en parfumerie
Approche juridico-technique,
normalisation des procédures
Anaïs Martelotto
Master en propriété industrielle à l’Institut de droit des affaires
Master de management général à l’IAE, Aix-en-Provence
RÉSUMÉ
Frédéric Poitou
Ingénieur, docteur ès sciences
Membre de l’Afnor, de l’Inao
Laboratoires Signatures, Aix-en-Provence
Expertise et contrefaçon en parfumerie, par A. Martelotto et F. Poitou (EXPERTS, n° 79, 2008, juin - pp. 42 à 46 - ST, A, 01, 05)
La multiplication des cas de contretype et autres copies dans le domaine de la parfumerie a conduit à des saisines régulières des
tribunaux compétents, ou à une tentative de règlement de conflits privés à l’amiable et à une remise en cause des notions de droit d’auteur, de propriété industrielle, et de brevet dans un domaine où coexistent création, marketing et technologie.
Les experts se trouvent alors confrontés à un devoir de moyens à mettre en œuvre pour éclairer les magistrats et les avocats à une
nécessité d’aborder le problème à la lumière du droit et des jurisprudences pertinente.
C’est sous une forme de mise au point, que nous avons abordé cette contribution, en proposant aussi une tentative de normalisation
méthodologique des techniques utilisées pour l’expertise, cette même méthodologie que nous appliquons dans les dossiers qui nous
sont confiés.
Cet article étant destiné au plus grand nombre, nous avons volontairement substitué certains termes techniques, par des «équivalents» de français courant.
MOTS CLÉS : ANALYSE SENSORIELLE / BREVET / CHROMATOGRAPHIE / DESCRIPTEURS OLFACTIFS / DROIT D’AUTEUR / FORMULE / PROPRIÉTÉ INDUSTRIELLE
L
es origines du parfum remontent à
la plus haute Antiquité ; l’étymologie du mot, du latin per-fumum,
signif iant « à travers la fumée », atteste
des origines sacrées de ce qui est possible
d’appeler un art : volatile et invisible, il
était chargé de transporter les prières des
hommes jusqu’aux dieux. On trouve bien
sûr les premières trace de matières parfumantes dans la Bible principalement
dans le Lévitique et le Livre de Jérémie.
À titre d’exemple, l’encens (oliban,
boswllia carterii) et la myrrhe (comiphora
myrrha) sont cités cent dix-huit fois dans
la Bible, dont cent treize dans l’Ancien
Testament.
Bien que le commerce de parfum existe
depuis plus longtemps que le droit d’auteur né à la fin du XVIIIe siècle, l’idée de
les protéger par le droit de la propriété ar42
tistique n’a été soutenue pour la première
fois il y a seulement trente ans, sans succès. La cour de Paris avait jugé dans un
arrêt du 3 juillet 1975 qu’« une technique
industrielle permettant d’obtenir un produit ne peut, même si elle n’est pas brevetable, bénéficier d’un droit de propriété
artistique » et que leur formulation relève
du savoir-faire.
Au contraire, dans une thèse consacrée au
parfum, publiée en 1982, l’auteur, M. Pamoukdjian, a soutenu le fait de devoir distinguer, dans un parfum, la composition
et l’odeur ou fragrance.
Selon lui, « les formules sont des stipulations de matières permettant la reproduction de l’œuvre […] nous ne soutiendrons la qualification d’œuvre de l’esprit
que pour la
forme olfactive
[…]. Un parfum
original n’est
donc pas le résultat de procédés industriels mais d’une recherche esthétique qui
consiste à conjuguer avec art quelques
dizaines de matériaux odorants […] en
vue d’obtenir une forme olfactive belle et
caractéristique ; et dans ces conditions
elle sera nécessairement marquée de la
personnalité de son auteur ».
L’industrie du parfum se rapproche du
droit d’auteur, mais le seul vrai succès est
à ce jour l’obtention d’une décision de
la cour d’appel de Paris qui ouvre la porte
à une protection par le droit d’auteur des
œuvres s’adressant au goût et à l’odorat,
mais ne l’accorde pas en l’espèce.
L’irruption du juriste et du chimiste dans
le domaine de la parfumerie peut surprendre. Elle est favorisée par une évolution du statut juridique de la création
olfactive, et par la nature des matières preEXPERTS - N° 79 - juin 2008
CHRONIQUE SCIENTIFIQUE ET TECHNIQUE
mières utilisées pour créer des parfums
qui nécessitent la maîtrise des techniques
analytiques de la chimie organique.
En corollaire d’une approche juridique
centrée sur la notion de droit d’auteur,
se dégage aussi la nécessité d’expertises
scientifiques aussi précises et rigoureuses
que possible, de nature à permettre l’évaluation de la contrefaçon. Or, si les techniques utilisées sont connues de tous les
chimistes, analystes et organiciens, qu’ils
soient issus de l’école grassoise ou pas, à
ce jour aucune méthodologie expertale n’a
réellement été formalisée. La nécessité
d’une telle formalisation semble évidente,
af in de permettre une certaine standardisation des rapports, sur leur forme
comme sur leur fond. C’est une condition
nécessaire à une bonne compréhension
des problématiques par les magistrats, et
ce quel que soit le ressort juridique, y compris et surtout s’il se situe loin de Grasse.
Cette formalisation commune, sorte de
« méthodologie unifiée » permettrait aussi
d’envisager, de proposer aux magistrats
des sessions de formation permettant de
valider des acquis, un vocabulaire, une
approche scientifique et une capacité de
compréhension communs.
La première partie abordera une approche
scientifique de l’expertise en contrefaçon
de parfums en tentant de contribuer à la
réflexion sur une généralisation de protocoles analytiques communs, intégrant
l’appareillage analytique et l’évaluation
sensorielle dans le rapport d’expert. Nous
tenterons aussi se sensibiliser les parties
aux failles que peuvent receler les rapports d’experts, et aux moyens de les
mettre en évidence.
Une seconde partie sera consacrée aux outils juridiques offerts par la propriété industrielle et plus précisément par le droit
des brevets et le droit des marques. La protection juridique du parfum sera aussi envisagée, sous l’angle de la propriété littéraire et artistique par le recours au droit
d’auteur.
1. NOTIONS JURIDIQUES
1.1. La propriété industrielle
1.1.1. Le droit des brevets
Conformément à l’article L611-10 du
Code de propriété intellectuelle, un parfum ne peut être brevetable que s’il remplit quatre conditions, à savoir, être une
« invention », qui soit nouvelle, suscepEXPERTS - N° 79 - juin 2008
tible d’application industrielle et impliquant une activité inventive. Ces dernières
ne seront pas développées dans le détail
car, appliquées aux parfums, elles ne semblent pas constituer des obstacles insurmontables.
L’application du brevet d’invention dans
l’industrie des parfums reste envisageable. Il est ainsi possible de breveter un nouveau composant odorant susceptible d’être à l’avenir utilisé dans
l’industrie de la parfumerie pour la composition de nouvelles créations ou encore breveter un procédé (brevet de procédé) destiné à produire une substance
odorante ou en améliorer la qualité, l’intensité ou la durabilité.
Le parfum-fragrance pourrait ainsi relever, en tant qu’œuvre de l’esprit, de la
protection du droit d’auteur alors que le
parfum-substance pourrait relever de la
protection du droit des brevets d’invention.
Mais, par ses nombreux inconvénients
résidant principalement dans la brève
durée de protection, l’obligation de divulgation complète par la description et
la sévérité de l’exigence d’activité inventive, le droit des brevets ne paraît
pas opportun.
De plus, bien que de façon théorique
l’invention du parfum remplisse toutes
les conditions requises, il n’en demeure
pas moins que l’exigence du dépôt est
révélatrice de la faille d’un tel système
de protection.
Afin d’y remédier, certains, à l’instar de
Jacques Vaillant, proposent de déposer
non pas la formule dans son intégralité
mais uniquement « une molécule rentrant
dans la composition de la formule » ; « encore faut-il que ce composé soit indispensable dans le jus ». Néanmoins cette
technique de dépôt engendre un conflit
d’intérêt entre les industriels et les parfumeurs car elle intéresse principalement
les premiers alors que les seconds sont
désireux de protéger l’ensemble de la
composition.
Cet exemple montre bien que la protection des parfums par le droit des brevets
ne peut être que marginale.
Le droit des marques peut alors apparaître comme un régime juridique susceptible de protéger de manière efficace
le parfum.
En effet, la porte semble ouverte à une
odeurs de plus
protection des
en plus large, et
ce d’autant plus
que les spécialistes du marketing olfactif font pression af in d’obtenir la
protection la plus complète et solide de
ces signes d’identif ication des entreprises.
1.1.2. Le droit des marques
Selon l’article L711-1 du Code de propriété intellectuelle, peuvent constituer
une marque les signes susceptibles de représentation graphique. La question qui
se pose est alors de savoir si, appliquée
à des parfums, la marque olfactive est capable de distinguer le produit ainsi désigné de celui d’une entreprise concurrente.
Le possible enregistrement des signes olfactifs à titre de marque constitue donc
un premier enjeu pour permettre la protection effective des fragrances. La voie
est étroite mais pas compromise.
Les décisions de l’OHMI et de la CJCE
ne ferment pas la porte à la protection
d’une odeur par le droit des marques mais
encadrent de façon exigeante les modes
de représentation graphique.
Ces représentations obtenues grâce aux
méthodes technologiques ne reflètent pas
de façon univoque la signature olfactive
d’une substance. De plus, une fois obtenue, la représentation graphique ne peut
être comprise par tous et est réservée à
des professionnels avertis. La marque olfactive devra donc résulter soit d’un procédé graphique capable de l’identifier précisément soit d’une description aisément
reconnaissable par toute personne.
1.2. Le droit d’auteur
1.2.1. Propriété littéraire
Faute d’un arsenal juridique approprié,
la copie olfactive reste impunie. Af in
d’y remédier, il est possible d’envisager la qualif ication du parfum en œuvre
de l’esprit lui permettant, ainsi, d’accéder à la protection du droit d’auteur.
Sur ce point, la jurisprudence est assez imprécise. La protection du parfum
par le droit d’auteur a fait l’objet d’une
reconnaissance mais qui reste controversée et fragile au regard des diverses
diff icultés d’application que suscite ce
régime juridique.
Le droit d’auteur protège une œuvre de
l’esprit quel qu’en soit le mode ou la
forme d’expression : pour le parfum, ce
moyen d’expression est la fragrance
qu’il dégage, c’est donc la fragrance qui
doit être protégée et non la formule.
La notion d’œuvre de l’esprit suppose
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une activité créative émanant d’une personne physique, employée à atteindre
un résultat déterminé. Que la création
d’un parfum soit le résultat du travail
d’une personne physique n’est pas mis
en doute et les tribunaux le reconnaissent aisément bien que très souvent le
nom du créateur ne soit pas connu du
public.
Selon l’approche classique, l’originalité s’entend comme l’empreinte de la
personnalité de l’auteur ou comme la
marque d’un apport intellectuel ; les tribunaux n’exigent dès lors aucun seuil
d’originalité mais cette condition est
considérée en droit d’auteur comme la
pièce maîtresse.
Il est très important de caractériser l’originalité d’une fragrance particulière,
notamment af in d’éviter la protection
illégitime d’une famille de parfums, ce
qui reviendrait à monopoliser un genre,
contrairement aux principes fondamentaux du droit d’auteur.
À la lecture des différents arrêts, il est
à relever que l’originalité d’un parfum
ne se trouve pas et ne doit pas être appréciée par rapport à son processus
d’élaboration, c’est-à-dire sa composition chimique dont une analyse chromatographique révèlera les composants,
mais par rapport au message olfactif,
à l’odeur, à la fragrance qui est le parfum lui-même.
Alors qu’un mouvement jurisprudentiel
favorable à la protection du parfum par
le droit d’auteur se dessine, ce dernier
semble être corroboré par les atouts juridiques que procure ce régime tant au
regard des droits moraux que des droits
patrimoniaux.
Le droit d’auteur permet ainsi d’accorder un droit privatif non subordonné à
des formalités, de plus, il ne comporte
aucune obligation de publication ou de
description comparable aux exigences
du droit des brevets. Enf in, l’action en
contrefaçon est eff icace et, assortie de
la procédure de saisie-contrefaçon et de
sanctions pénales, cette dernière apparaît être en adéquation avec la protection recherchée.
ration d’un parfum. En étant qualif ié de
simple mise en œuvre d’un savoir-faire
car renvoyé à un processus de fabrication purement industriel, le parfum ne
peut prétendre à la protection du droit
d’auteur et certains arrêts abondent dans
ce sens.
L’arrêt tant attendu est celui rendu par
la Cour de cassation le 13 juin 2006. La
motivation générale revêt l’aspect d’un
arrêt de principe alors même que le problème était posé sous l’angle bien particulier d’une demande d’indemnisation
et non sous celui de la revendication
d’un droit exclusif sur une création.
S’appuyant sur la notion de savoir-faire,
la Cour de cassation écarte explicitement le droit d’auteur pour protéger la
fragrance. L’élaboration d’une fragrance
serait donc plus de l’ordre d’une méthode, de la maîtrise d’une technique
que d’une création à proprement parler.
Le « nez » est alors reléguer au simple
rang de technicien mettant en œuvre un
savoir-faire grâce à son talent mais sans
pour autant pouvoir accéder à la qualité
d’auteur.
Mais l’arrêt en date du 14 février 2007
de la cour d’appel a pris une autre direction et a aff irmé que la fragrance
pouvait être protégée par le droit d’auteur. Les magistrats ont procédé à une
analyse de la lettre de la loi en rappelant que l’article L112-2 n’est pas exhaustif, que les critères de la protection
par le droit d’auteur sont l’originalité
et la forme et, qu’à ce titre, le parfum
ne peut être exclu d’off ice du champ de
la protection.
Il semble que cet arrêt prenne davantage
en compte le processus d’élaboration du
parfum. En effet, le savoir-faire du
« nez » lui permet d’exprimer la fragrance à laquelle il veut aboutir et qu’il
atteindra par la formulation d’une composition.
Il faut alors attendre l’arrêt de la Cour
de cassation af in de connaître avec précision la protection juridique applicable
au parfum.
2. EXPERTISE SCIENTIFIQUE
1.2.2. Propriété artistique
Néanmoins, quelques diff icultés apparaissent quant à l’application du régime
juridique du droit d’auteur notamment
en ce qui concerne l’existence de la part
de création intervenant dans l’élabo44
Selon Pierre Breese, auteur du livre Le
Droit du parfum, pour qu’un parfum soit
considéré comme contrefait, il faut :
– que le parfum
originel
soit
considéré
comme
une
œuvre de l’esprit protégée par le droit
d’auteur ;
– que le parfum en cause constitue une
œuvre originale ;
– que le demandeur puisse se prévaloir du
droit d’agir en contrefaçon ;
– qu’un magistrat soit en mesure de vérifier si un parfum suspecté d’être une
copie reproduit le parfum original et des
ressemblances telles qu’il constitue une
contrefaçon.
Seuls les moyens mis à la disposition du
magistrat pour fonder sa décision sur la
quatrième condition seront traités dans
cette partie. Les trois autres conditions
feront l’objet d’un article juridique, à paraître ultérieurement.
2.1. L’appréciation
de la contrefaçon
Les juridictions ont recours à divers procédés pour établir les ressemblances entre
les deux œuvres en cause. Ainsi, le tribunal de commerce, le 24 septembre 1999,
eu recours à quatre méthodes différentes
« pour apprécier l’existence éventuelle
d’une ressemblance excessive » entre les
deux parfums :
– une analyse chromatographique ;
– le recours à un « nez » électronique ;
– un test auprès des consommatrices ;
– le recours à un « parfumeur » professionnel (habituellement appelé « nez »).
Ce sont ces techniques que nous allons
détailler, après un bref rappel des constituants d’un parfum.
2.1.1. Constitution des parfums
Les parfums sont constitués d’un solvant
et d’un concentré constitué de deux familles de matières premières différant par
leur origine
Matières premières naturelles
Matières premières synthétiques (issues
de la chimie)
Les matières premières se classent en trois
types :
– Notes de tête : première impression olfactive perçue lors de l’utilisation d’un
parfum ;
– Notes de cœurs : demeurent plusieurs
heures ;
– Notes de fond : persistent parfois plusieurs mois.
2.1.2. Analyse des parfums
Aujourd’hui les méthodes d’analyse sont
beaucoup plus accessibles grâce à l’informatique, mais elles ont toutes leurs liEXPERTS - N° 79 - juin 2008
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mites (détection, interprétation, identification, et quantification).
2.2. Moyens de comparaison
de deux parfums
Si chaque méthode est critiquable séparément, on peut considérer une forme d’objectivité lorsque les résultats de chacune
des méthodes convergent. Le but est d’apporter au magistrat des éléments d’appréciation lui permettant de se prononcer sur
une éventuelle atteinte aux droits d’auteur.
Une chaîne d’analyse comprend successivement :
– une phase d’extraction ;
– une phase d’analyse ;
– une phase de détection.
2.2.1. Les méthodes d’extraction
et préparation de l’échantillon
On comprend aisément qu’il n’est pas possible d’injecter directement un savon parfumé dans un appareil de chromatographie
(au risque de le colmater par exemple). On
extrait la partie parfumée du support en
utilisant selon les cas :
– la distillation du concentré par entraînement à la vapeur d’eau ;
– l’extraction directe liquide/liquide ou liquide/solide ;
– l’extraction au CO2 supercritique : le
solvant d’extraction utilisé est le gaz carbonique, dans un état très particulier (dit
« supercritique ») qu’une simple détente
permet ensuite d’évaporer ;
– l’analyse des vapeurs émanées par
l’échantillon par un appareil de chromatographie.
2.2.2. Méthodes de séparation
et d’analyse
La principale technique utilisée pour l’étude
des constituants d’un mélange est la chromatographie. Il s’agit d’une technique dans
laquelle les constituants d’un mélange sont
injectés dans une « colonne » et se séparent
en fonction de « retenue » sur une phase stationnaire, alors qu’ils sont « poussés » par
une phase mobile gazeuse, puis détectés par :
– détection par ionisation de flamme
(FID). C’est un détecteur très sensible
aux composés de parfumerie mais ne permet que la quantification ;
– détection par spectrométrie de masse
(MS). C’est la technique la plus performante pour l’identification de la formule
chimique des molécules que l’on analyse en les fragmentant en petits « morceaux » ;
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– double détection (MS/MS). La spectrométrie dite masse-masse effectue une seconde fragmentation sur les fragments
générés par une première fragmentation.
Cette technique devrait remplacer la
simple fragmentation dans les années
à venir.
L’accumulation des informations recueillies par ces techniques permet de déterminer la formule d’un mélange.
2.2.3. Métrologie neuro-sensorielle
(nez électroniques)
Ce sont des appareils constitués de capteurs capables de détecter une différence
entre un échantillon de référence et un prélèvement donné, selon trois dimensions :
quantitative, qualitative, et temporelle.
Cette technique présente les résultats sous
forme de graphes compréhensibles des
néophytes.
Cette approche a notamment été employée
pour le dépôt des premières marques olfactives par l’Inpi car ils présentent juridiquement deux atouts majeurs :
– l’objectivité de la mesure, en raison de
l’absence de référence personnelle susceptible de fausser l’analyse ;
– le résultat est un signal numérique absolu et reproductible.
Cette technologie donne une représentation graphique visuelle permettant d’apprécier facilement la proximité olfactive.
2.2.4. Analyse sensorielle
L’analyse sensorielle fait l’objet de normes
françaises (AFNOR X43-101, 103 et 104)
reprises à l’international (ISO13299), qui
permet de mesurer scientifiquement les
perceptions sensorielles (vue, ouïe, odorat, goût, toucher), par appel à différentes
catégories de sujets sensoriels :
– sujets « naïfs » n’ayant jamais participé
à un essai sensoriel ;
– sujets « qualif iés » entraînés à l’utilisation des méthodes d’analyse sensorielle ;
– sujets « experts spécialisés », souvent
appelés des « nez professionnel ». Ce
sont des personnes qui ont développé
leur olfaction à détecter des traces d’un
composant, à en déterminer la proportion dans un mélange. Ils sont les seuls
à pouvoir classer un parfum en fonction
de descripteurs olfactifs admis par la
communauté.
Ces méthodes permettent de réaliser
analyse comparaavec fiabilité une
tive de plusieurs
sources senso-
rielles pour fournir des résultats objectifs
permettant d’apprécier le degré de ressemblance entre une création originale
et un produit argué de contrefaçon.
Technique des descripteurs : parmi les différentes classifications, celle du Comité
français du parfum, édition 1990, présente
deux avantages :
– elle est admise par tous les professionnels de la filière ;
– elle utilise des descripteurs dont le sens
est facile à comprendre.
Voici à titre d’exemple, la description olfactive du parfum Opium d’Yves Saint
Laurent (1977) faite par un nez professionnel.
Famille : semi-ambré fleuri.
Tête : orange, aldéhydes, mandarine.
Cœur : œillet, épicé, rose, jasmin.
Fond : patchouli, ciste-labdanum, benjoin,
santal.
C’est sur la base d’analyses sensorielles
qu’un parfumeur grassois fut reconnu coupable d’avoir « intentionnellement piraté »
la note « gourmande et sucrée » diffusée
pour la première fois par un parfum, Angel de Thierry Mugler.
2.3. Pour conclure sur
la question chimique
Chaque méthode ayant ses limites de précision, détection, identification et objectivation, c’est la convergence des résultats fournis par les différentes méthodes qui permet
de proposer au magistrat un rapport de synthèse de nature à éclairer sa prise de décision.
L’analyse sensorielle et la détermination d’un
profil olfactif sur la base de descripteurs procurent une source d’information complémentaire.
Si les résultats issus de ces différentes méthodes convergent, il est possible d’admettre
l’existence d’un faisceau d’indices que le magistrat pourra utiliser pour fonder son appréciation. Les chiffres parlent alors d’euxmêmes, de manière évidente et très visuelle,
comme c’est le cas sur l’exemple présenté
dans l’Annexe, avec un pourcentage de ressemblance supérieur à 98%, que l’on constate
visuellement, entre le type (en haut) et deux
échantillons suspectés d’être des contretypes.
Pour vérifier la ressemblance de deux formes
olfactives et établir un rapport de comparaison crédible et exploitable, il faudrait donc
systématiser la demande faite à l’expert d’associer dans sa mission les méthodologies suivantes :
A. La détermination qualitative des constituants par chromatographie en phase gazeuse
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CHRONIQUE SCIENTIFIQUE ET TECHNIQUE
couplée à la spectrométrie de masse.
B. La quantification des constituants par chromatographie en phase gazeuse détectée par
FID, sur deux colonnes de polarité différente
simultanément.
C. La présentation claire de graphiques et profils de ressemblance par un nez électronique.
D. L’analyse sensorielle par un panel représentatif, selon des méthodes normalisées.
E. La détermination du profil des descripteurs olfactifs par un expert spécialisé selon
les descripteurs définis par le CFP.
Cette expertise multidimensionnelle devrait
être conduite par l’expert chimiste en utilisant obligatoirement la convergence des techniques permettant d’évaluer la ressemblance
de la formule (B et C pour la composition chimique, D et E pour l’analyse sensorielle humaine, F pour l’analyse sensorielle instrumentale).
C’est alors au magistrat, après comparaison
de la complémentarité des résultats précédents, qu’il convient d’associer ou pas le terme
de contrefaçon à une composition dont la formule chimique et le profil olfactif sont comparés à une autre composition.
Il ne faut pas confondre profil olfactif et formule d’un parfum. Les deux sont liés, mais
pas encore corrélables en l’état des connaissances On ne sait pas encore faire la relation scientifique structure – activité en parfumerie.
Enfin, il reste à savoir décrypter les failles
d’un rapport d’expertise, tant pour le magistrat que pour la partie en défense. En première approximation, voici les questions qu’il
est loisible de se poser à la lecture d’un rapport d’expertise.
– La méthode d’extraction est-elle adaptée
au support de parfum analysé, est-elle normalisée ?
– La méthode d’analyse utilisée pour la chromatographie en phase gazeuse est-elle normalisée ?
– Quels sont les seuils de détection ? (une ressemblance évaluée à 80 % avec une précision de +/- 5% est plus significative qu’une
autre chiffrée à 90 %, avec une précision de
+/- 20 %).
– Les bases de données qui ont été utilisées
pour les analyses par spectrométrie de masse
sont-elles des bases commerciales, reconnues par la communauté scientifique internationale ?
– La méthodologie d’analyse sensorielle utilisée est-elle normalisée ?
– L’expert qui a déterminé le profil olfactif
est-il un professionnel reconnu, parfumeur
professionnel ?
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Voici les éléments que nous souhaitions apporter à la réflexion général sur le sujet de
l’expertise des contrefaçons en parfumerie,
en tentant de proposer une méthodologie générale, acceptée par tous, et que les experts
désignés pourraient s’engager à mettre en
œuvre pour fournir au magistrat, sous une
forme standardisée, un rapport leur permettant de conclure quant au litige qui leur est
soumis.
i
RÉFÉRENCES
Livres
De Barry N., Turronnet M., Vindry G., L’Abécédaire du
parfum, Flammarion, 1998.
Galloux J.-C., Droit de la propriété industrielle,
2e édition, 2003.
Pamoukdjian J.-P., Le Droit au parfum, LGDJ, 1982.
Pierrat E., La Guerre des copyrights, Fayard, 2006.
Roudnitska E., Le Parfum.
Roudnitska M. E, Le Droit au parfum, LGDJ, 1982.
PUF, Collection «Que sais-je?», 6e édition, 2000.
Revues
Martin-Hattemberg J.-M., Revue Experts, no 42, mars
1999.
Martin-Hattemberg J.-M., Revue Experts, no 67, juin
2005, p 19-22.
Millet P., Revue Parfums et Cosmétiques, mai 1998.
Articles
Breese P., Chroniques de la Propriété Intellectuelle,
11 février 2006.
Breese P., Chroniques de la Propriété Intellectuelle,
28 mai 2006.
Breese P., Chroniques de la Propriété Intellectuelle,
18 juin 2006.
Breese P., Chroniques de la Propriété Intellectuelle,
21 juin 2006.
Deliquet H., «La protection du droit d’auteur refusée
aux parfums», 21 septembre 2006.
Guerin V., L’Usine nouvelle, 18 septembre 2003.
Levy M. et Jouyet J.-P., Rapport de la Commission,
4 décembre 2006.
Martin-Hattemberg J.-M., Revue Experts, no 42, mars
1999
P. M., Parfums Cosmétiques Actualités, no 141, juin/juillet
1998, p 31.
Peron F., «L’art du parfum ou les frontières du droit d’auteur», 8 mars 2006.
Prothery L., L’Express, 15 novembre 2004.
Sur simple demande, nous pouvons fournir
aux lecteurs intéressés les annexes suivantes:
Annexe 1: Lexique des termes et abréviations
Annexe 2 : Les familles fonctionnelles permettant la détermination d’un profil olfactif
Annexe 3: Grille d’évaluation sensorielle sur
la base des descripteurs proposé par le Comité Français du Parfum
Pour ceux qui seraient intéressés par nos schémas illustratifs, vous pouvez contacter Frédéric
Poitou à cette adresse mail [email protected]
EXPERTS - N° 79 - juin 2008