Retrouver l`intervention complète d`Eric Giuily, Président de CLAI

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Retrouver l`intervention complète d`Eric Giuily, Président de CLAI
Atelier Communication & Entreprise
(23 novembre 2011)
La com qui tue, la com qui sauve
Rencontre avec Eric Giuily, auteur de
« Affaire de com’ - Stratégies
gagnantes, stratégies
perdantes » (éd. Odile Jacob)
La communication corporate n’est pas une manipulation trompeuse, œuvre de « gourous »
ou de « seigneurs » ou sachant jouer de leurs réseaux d’influence. C’est un métier qui obéit à
des règles précises, dont l’application, parfois délicate, nécessite expérience et expertise.
Telle est la conviction profonde que Eric Giuily, président du cabinet de conseil en stratégie
de communication corporate CLAI, s'est forgé durant sa carrière dans la fonction publique et
à la tête de plusieurs grandes entreprises, telles que France 2, la CGM-SNCM, l'AFP ou
Publicis Consultants. Dans « Affaires de com’ », il affirme, exemples à l’appui, que la
communication est avant tout d’un métier obéissant à des règles et à une éthique, et qu’il
peut en coûter d’y déroger.
La subjectivité de la com et la rigueur des process
« Depuis que j’ai embrassé ce métier, je vis le paradoxe de la communication. Tout un chacun
affirme qu’elle est très importante, stratégique. Et en même temps subsiste une vision
subalterne de la communication qui consiste à accompagner des décisions déjà prises. Ou
encore à attende un miracle pour rattraper une situation difficile », ironise Eric Giuily.
Son combat est de rappeler à ses interlocuteurs que la communication est un métier, qu’elle
fait appel à des techniques, doit respecter des règles, obéir à une éthique… qu’elle est un
élément de la stratégie d’entreprise et doit s’intégrer dans son processus de décision à plus
haut niveau. Ces règles sont simples et de bon sens, mais leur application est délicate car elle
se fait au cas par cas, dans des situations évolutives, différentes les unes des autres. « On ne
peut jamais dire en matière de communication : il suffit de faire ceci pour obtenir le résultat
voulu. »
La bonne compréhension des règles de la communication et ensuite leur bonne application,
au cas par cas, déterminent le succès. Une communication bien maîtrisée peut apporter les
résultats attendus, une communication mal maîtrisée peut créer beaucoup d‘ennuis…
Des règles simples
Choisir son terrain. Ce qui est bon dans certains cas ne l’est pas dans d’autres. Il faut tenir
compte du sujet spécifique à traiter. « Affaire de com’ » illustre cette règle par la
communication autour des trois offres publiques d’achat : Alcan/Pechiney, Sanofi/Aventis et
Mittal/Arcelor.
Préparer le terrain. Le respect de cette règle est crucial si l’on engage une réforme
importante. Dans ce cas, il faut éviter de surprendre et faire la pédagogie préalable aux
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annonces pour que celles-ci soient bien acceptées. C’est notamment vrai en matière de
communication publique, l’un des contre-exemples le plus frappants étant la communication
du projet de contrat de première embauche (CPE) en 2006.
Occuper le terrain. Contrairement au réflexe fréquent d’arrêter la communication après un
lancement réussi, il faut en permanence occuper le terrain. Non pas parler tout le temps
mais exercer sa vigilance et choisir les moments opportuns pour intervenir.
S’adapter à des terrains mouvants. C’est particulièrement nécessaire à l’ère des réseaux
sociaux qui, par leur effet amplificateur, créent aussi bien des opportunités que des
difficultés…
Savoir changer de terrain. Quand une situation est figée, le changement de terrain de
communication peut parfois apporter une solution ou dénouer un conflit.
Savoir traverser des terrains minés. Tel est le domaine de la communication de crise, avec
son ensemble de contraintes que Eric Giuily illustre par une série d’exemples, en
commençant par la communication politique, « là où les effets sont les plus immédiats et les
plus évidents ».
Communication politique : parler ou ne pas parler…
La com’ qui sauve
Un cas significatif est la réaction de Bernard Kouchner, alors ministre des Affaires
étrangères, face à la parution du « Monde selon K », livre-enquête de Pierre Péan, paru
début 2009, qui met à mal le mythe du « French doctor » en dénonçant ses missions de
conseil avec des Etats africains.
Tout aurait pu laisser croire que ce livre aurait poussé le ministre à la démission. Or il s’en
relève en axant toute sa communication autour d’un mot utilisé par l’auteur –
« cosmopolitisme » – assimilé au vocabulaire antisémite des années 30. Grâce à une
campagne bien orchestrée et à force de suggestions distillées au fil des interviews, Bernard
Kouchner réussit à décrédibiliser l’auteur. Et la polémique s’arrête. Le ministre n’est pas
contraint à démissionner.
La com’ qui tue
A l’inverse, Eric Giuily rappelle deux cas similaires en termes de communication, ceux des
ministres Eric Woerth (affaire Bettencourt) et Michèle Alliot-Marie (voyage privé en Tunisie
lors du règne finissant de Ben Ali). Tous deux se caractérisent par la distillation de vérités
partielles et successives aux médias, au fil des jours, contrairement à la démarche de
Bernard Kouchner qui a parlé une seule fois et dans un cadre bien précis. « Ce goutte à
goutte est contre-productif car il entraîne des discussions et commentaires et relance à
chaque fois un peu plus l’affaire en suscitant des doutes sur la parole de l’intéressé »,
souligne le président de CLAI.
A l’inverse, la règle pertinente est celle qu’a suivie François Fillon. Quand il apprend que « Le
Canard enchaîné » va publier une information sur son voyage familial en Egypte, il diffuse un
communiqué détaillé sur les conditions de son périple, repris intégralement par l’AFP. Ce qui
ensuite n’intéresse plus personne. Le sujet fait pschitt !
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Ces exemples montrent deux des règles fondamentales de la communication. La première
est de choisir le bon terrain, le bon moment, l’angle de la réponse aux attaques, et surtout
pas, dans des conditions difficiles, de se multiplier dans les médias. La communication, c’est
aussi l’art du silence.
Communication corporate : préparer, préparer…
La com’ qui tue
Là encore, Eric Giuily illustre son propos par une série d’exemples. Le premier est celui de
France Télécom. La mauvaise communication de son ancien PDG, Didier Lombard, après le
24e suicide dans l’entreprise, lui coûte son poste. D’une part, en amont, il ne prend pas
conscience de l’ampleur de la crise sociale et de ses conséquences potentielles. Et d’autre
part, en sortant d’un entretien avec Xavier Darcos, ministre du Travail, il pourrait restaurer
sa crédibilité en déclarant que la société et son actionnaire étatique se préoccupent de la
situation. Mais l’emploi de l’expression « mode des suicides » lors d’un point presse
improvisé après la rencontre avec le ministre lui est fatale. Personne ne relève l’expression
sur le moment, sauf le journaliste de l’AFP qui transmet immédiatement l’information et met
ainsi le feu aux poudres.
« Ce qui m’a frappé alors a été l’impréparation de la déclaration du PDG. Celle-ci a été
aggravée par son intervention du lendemain, voulant justifier l’erreur par une confusion de
vocabulaire entre le mot français “mode” et le mot anglais “mood” (ambiance), au lieu de
reconnaître son erreur et de présenter ses excuses », confie Eric Giuily.
Son successeur, Stéphane Richard, se montre à la fois plus humain et plus fin stratège à
travers une communication de qualité, aussi bien en interne qu’à l’externe. Pour sortir de
cette situation de crise, il sait, par une série de gestes et de mesures, concrétiser un
changement de politique sociale.
La com’ qui sauve
Un exemple de « communication qui sauve du désastre » est la réaction du groupe LVMH
aux deux affaires successives Guerlain et Galliano. S’ils gèrent mal le premier cas, les
dirigeants du groupe de luxe en tirent les enseignements pour traiter le second.
A la fin d’une interview télévisée sur son implication dans la réussite de l’entreprise de
parfums, Jean-Paul Guerlain lâche « avoir travaillé comme un nègre. Je ne sais pas si les
nègres ont toujours tellement travaillé, mais enfin... ». Si France 2 réagit officiellement le
lendemain, le groupe LVMH se manifeste seulement au bout de huit jours. Ce qui provoque
de légitimes protestations entraînant même la fermeture de boutiques…
Inversement, quelques mois plus tard, après que le directeur de la création de Dior, John
Galliano, ait exprimé son admiration pour Hitler, LVMH prend des décisions immédiates. Il
suspend John Galliano de ses fonctions et engage une procédure disciplinaire contre lui, à
quelques jours de la Semaine de la mode où doivent être présentées les collections. Il
maintient le défilé et le transforme en un hommage à l’ensemble des « petites mains » du
grand couturier, après que le président de Dior a présenté ses excuses au nom de sa société.
Et cela devient un triomphe médiatique pour la célèbre griffe en termes d’image.
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Questions/Réponses (extraits)
Il est étonnant qu’une société à la communication aussi organisée que celle de France Télécom
se soit laissé prendre au dépourvu par un dérapage verbal de son président. Qu’auriez-vous
fait à sa place ?
• Pour éviter ce dérapage, j’aurais préconisé un communiqué commun à la sortie de l’entretien
de Didier Lombard avec le ministre du Travail. Puis organisé un point presse chez France Télécom,
suffisamment préparé et avec un message de fond maîtrisé (contexte, plan d’actions…). Ou bien
réservé une interview à un grand média pour expliquer les mesures prises afin de limiter les
risques psychosociaux dans l’entreprise et sa vision du développement pour les années à venir. En
gros, ce qu’a fait Stéphane Richard par la suite…
La formation des grands dirigeants à la communication stratégique est-elle insuffisante ?
• Ce devrait être un des éléments essentiels de la formation d’une personne, mais ce n’est pas
encore le cas en France. Je suis frappé par l’aptitude des dirigeants américains à préparer leur
communication de manière collective, à faire des présentations très soignées…
Les médias sociaux sont-ils non maîtrisables ?
• Tout ce qui est dit en public peut se retrouver instantanément sur le Net. Cela a complètement
changé la donne de la communication et soumet les personnes publiques à une pression
constante. Mais cela ne les empêche pas de s’adapter et de développer une communication à
leur propre initiative. Il faut savoir assumer des risques et rester vrai pour dédramatiser une
situation…
Plusieurs films sortis récemment, comme Les Marches du pouvoir ou La Conquête, montrent la
lutte pour le pouvoir. Quels conseils donneriez-vous à un candidat aux présidentielles ?
• La communication n’est, à l’évidence, pas séparable du fond. Elle reflète une stratégie et met
en avant des mesures politiques. Si l’on considère le « cas Sarkozy depuis 2007», c’est une erreur
de penser que la communication, c’est l’action, et donc de conclure que parce qu’on a
communiqué on a réglé le problème. Le « Je suis venu, j’ai vu et j’ai dit » est une erreur
fondamentale.
Deuxième erreur, la personnalisation excessive : on occupe le terrain, on veut montrer qu’on est
actif et proche, on est partout dès qu’il se passe quelque chose et on annonce une énième
réforme, une énième » priorité… alors que beaucoup de sujets complexes mériteraient une
réflexion plus approfondie avant de passer à l’action.
Inversement, la cote du président de la République remonte dès qu’il se met en retrait… et laisse
le soin au premier ministre, conformément à la Constitution, d’annoncer le détail des mesures
difficiles. Mais son problème pour 2012 est de faire rêver sur un projet alors qu’il est en place
depuis cinq ans à naviguer contre des vents contraires…
Dans le cas de François Hollande, son souci est de répondre à l’aspiration des Français au
changement tout en démontrant qu’il a la capacité de leadership lui permettant de maîtriser la
situation. La façon dont il a géré la communication autour de la négociation de l’accord de son
parti avec les écologistes est à mon avis une occasion manquée pour le prouver.
Propos recueillis par Gérard Bourgeois, Conseil éditorial & Journaliste d’entreprise
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