Galileo (recensione Capitani)

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Galileo (recensione Capitani)
« L’Autre Galilée » de et par Cesare Capitani
Cesare Capitani est un acteur et un auteur poussé par le désir de la découverte. Dans son
spectacle « L’Autre Galilée », - à l’affiche Lucernaire, 53 rue Notre-Dame-des-Champs,
75006 Paris jusqu’au 28 novembre – il nous raconte une histoire dont il a eu connaissance et
qu’il a reconstituée récemment.
Il y a quelque temps il est tombé par hasard sur une lettre de Galilée qui a éveillé sa curiosité.
Avant tout le fait que Galilée soit présenté comme un philosophe a éveillé en lui le désir d’en
savoir plus. A partir de ce moment, il s’est mis à étudier, à chercher, à enquêter pour
comprendre qui était ce personnage. Un vieux scientifique - selon ses propres mots - inventeur
de quelque chose sur la gravité ou si, au contraire, comme quelqu’un le lui avait suggéré, un
philosophe, - un philosophe qui avait payé de sa personne le courage d’exprimer librement sa
pensée. Et surtout un homme jeune, plein d’énergie et de curiosité (lui aussi) qui avait cherché
jusqu’à la fin à pousser par tous les moyens possibles la connaissance contemporaine au-delà
des limites de son temps.
Après avoir classé Galilée parmi les personnages plutôt ennuyeux dont on se souvient juste
parce qu’un professeur leur a consacré quelques heures, Cesare Capitani découvre un tout
autre monde. Il dit aussi avoir eu de la chance car parmi tout ce qu‘il a pu trouver sur Galilée,
il a eu l’occasion de lire quelques-unes des lettres les plus brillantes et les plus poétiques du
philosophe-scientifique, dans lesquelles il se défend des accusations portées à son encontre
par ses contemporains.
Dans ces lettres qui constituent le corps central du texte théâtral, Galilée utilise divers
arguments pour essayer de convaincre ses adversaires tout comme ses éventuels défenseurs ou
protecteurs, pas tant du bien-fondé de ses idées que du fait de pouvoir les exprimer librement.
Anticipant l’esprit de Voltaire - je ne partage pas tes idées mais je donnerais ma vie pour que
tu puisses les exprimer - Galilée demande à ses interlocuteurs d’être simplement écouté. En
somme, ce n’est pas tant, et pas seulement, contre des attaques scientifiques contre l’une ou
l’autre de ses théories qu’il cherche à se défendre. C’est avant tout contre ceux qui voudraient
que ces théories ne soient ni diffusées ni publiées du simple fait qu’elles présentent des idées
nouvelles, inédites, concernant des croyances anciennes et enracinées, pour lesquelles une
explication compréhensible et simple donnée par les textes bibliques doit suffire.
En vérité, le danger pour les théologiens conservateurs qui s’acharnent contre lui vient du fait
que Galilée écrive et publie ses théories en italien (et non en latin comme le veut l’usage pour
les scientifiques de l’époque), en parle à l’université comme à la cour, en fasse des
démonstrations publiques, partage ses hypothèses avec collègues et amis, en un mot qu’il
fasse de la science en public sans demander d’autorisations ou de permission à personne.
C’est cet aspect de l’homme Galilée qui a retenu l’attention de Cesare Capitani. C’est ce
Galilée qu’il présente au public : un jeune ambitieux, peu disposé à observer des règles qui ne
lui conviennent pas, mais surtout un homme animé d’une énergie créatrice explosive et quasi
incroyable vu le nombre de découvertes et d’inventions qu’il réussit à faire.
Beaucoup connaissent Galileo Galilei pour quelques phrases sur la Terre qui tourne ou
quelques lois sur les propriétés de la gravité. Presque tout le monde connaît : « et pourtant,
elle tourne », phrase probablement apocryphe que Galilée aurait prononcée en sortant du
procès qui l’avait contraint à l’abjuration, s’excusant pour ainsi dire de ne pas avoir pu
convaincre que la science existe en dépit de la Bible. Presque tout le monde connaît l’image
de Galilée, une lunette à la main, en train de parler devant un parterre de cardinaux, les bras
tendus vers le ciel. Images qui nous parlent d’un temps où la science et la religion étaient
considérées comme antagonistes, période sombre du point de vue de la liberté d’expression.
Pourtant la Renaissance a permis à quelques cités italiennes comme Rome, Florence et
Venise, de vivre l’époque la plus brillante et la plus intense en révolutions et en conquêtes.
Cesare Capitani a le mérite de s’être demandé pourquoi l’obscurantisme propage le Moyenâge dans la Renaissance. Il s’est lancé dans une recherche difficile, prenant comme fil
conducteur l’aspect le plus humain et le plus incertain du personnage pour en donner sa
vision, particulière et certes personnelle, mais importante pour comprendre une composante
de Galilée qui sans doute a vraiment existée.
Ainsi il nous présente un Galilée inquiet, nerveux, harcelé par les problèmes d’argent,
contraint par la mort du père à soutenir une famille nombreuse, un peu envieux, un peu
stratège, quasiment égoïste lorsqu’il s’agit de reconnaître ses enfants, pas très attentionné
envers leur mère. Un homme avec bien des défauts, loin de l’image ampoulée, à la barbe
fleurie, souvent véhiculée et gardée en mémoire. Un homme si ambitieux qu’il préfère
l’abjuration à la fidélité à ses théories. Mais ce serait une erreur de ne voir que cet aspect de
l’homme dans le Galilée que Cesare Capitani tente de restituer.
En effet, au cours du spectacle, cet homme perd peu à peu son arrogance, son avidité, le côté
va-t-en-guerre du jeune scientifique de génie, pour approfondir une réflexion qui va bien audelà de la bataille dialectique avec ses adversaires : la défense de la liberté d’expression et de
pensée devient petit à petit le centre du spectacle et accompagne le spectateur dans la lecture
de quelques-unes des plus belles lettres attribuées à Galilée. Parmi elles, celle à Catherine de
Lorraine. C’est avec ce texte que le spectacle cherche à trouver son épilogue en décrivant la
tentative de mettre en accord les Saintes Ecritures et science. Ce qui n’apporta à Galilée ni la
protection ni la compréhension des puissants.
Au cours du spectacle sont évoquées quelques théories, comme l’argument astronomique de
la Première sphère, dont la démonstration est un écueil pour nombre de ceux qui se sont
aventurés dans la compréhension du système céleste. Au contraire Cesare Capitani réussit à la
présenter avec facilité, grâce à une diction directe et à une gestuelle simple et efficace ; de
même quand il explique la rotation de Vénus autour du Soleil, le spectateur a la sensation de
voir les planètes, de comprendre les mouvements des étoiles dans le ciel, de découvrir tout à
la fois la personnalité de Galilée et une chose qui vaut la peine d’être dite, présentée,
transmise bien que différente de ce que l’on pensait auparavant. Que ce désir ait un prix si
élevé nous fait réfléchir sur la souffrance de celui qui ne peut s’exprimer librement.
C’est donc un Galilée très humain et très fragile qui nous est présenté dans ce spectacle, un
Galilée animé par l’espérance mais aussi par le désir de célébrité et de succès, mû par des
intuitions de génie, mais motivé en même temps par des intérêts matériels. Il cherche à
découvrir la nature des choses, leur raison d’être et de leur processus, mais il veut tout autant
que son génie et sa supériorité soient reconnus. Autant d’aspects difficiles à concilier avec
l’image du sage, du vieux physicien écrivant page après page sur la dynamique des corps ou
sur les oscillations des pendules. En somme, un Galilée presque plaisant et d’un abord facile,
comparé à l’homme blanchi sous le harnais qui apparaît dans les représentations, un obscur et
volumineux traité de mathématiques à ses côtés.
Peu importe si la vérité est ailleurs, si Galilée a été un père affectueux et un compagnon
fidèle, si la lunette a été brevetée par lui parce qu’il a été vraiment le premier à comprendre
comment mettre en pratique l’optique dans la technique de construction des lentilles, si sa
charge à Florence a été pour lui la reconnaissance la plus importante de sa carrière ou si
l’épisode d’Arcetri fut l’une des périodes les plus fructueuses du point de vue des sciences
modernes. Pour Cesare Capitani, l’homme est plus important. Ses passions et sa lutte pour la
liberté. La lutte pour la possibilité d’être écouté et reconnu pour son courage.
Le courage justement. On doit reconnaître un certain courage à qui s’aventure en 2015 dans la
lecture des textes galiléens sans véritable guide, sans bases scientifiques et avec l’intention de
mettre comme thème central d’un texte la liberté d’expression. Une lecture non conformiste
qui présente une personnalité en quelque sorte romantique, animée par une passion et une rage
qui semblent plus celles d’un guerrier que d’un scientifique. Le courage - Cesare Capitani a le
mérite de nous faire découvrir en Galilée une figure importante et complexe, de familiariser le
public avec une époque et un thème qui, par leur difficulté et leur richesse, sont trop souvent
expédiés sans que soit approfondie suffisamment la difficulté de conquêtes fondamentales
telle celle de la liberté d’expression.
Béatrice Biagini
(traduit et adapté par Alain Fouliard et Jana Kornel)

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