Waroquier, sculpteur du visage - Alienor.org, Conseil des musées

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Waroquier, sculpteur du visage - Alienor.org, Conseil des musées
La Rochelle Musée des Beaux-Arts
Henry de Waroquier (1881-1970),
sculpteur
Œdipe et Le Verbe
11 Juin - 20 septembre 2010
Communiqué
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Waroquier, sculpteur du visage
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Le catalogue
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Le musée des Beaux-Arts de La Rochelle
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Communiqué
Henry de Waroquier sculpteur (1881-1970) :
Œdipe et le Verbe
Peintre, sculpteur et graveur, Henry de Waroquier est né à Paris en 1881. Sa famille habite
rue Laffite et pendant ses études, le jeune Henry fréquente dans la même rue les galeries
Vollard et Durand Ruel où l’impressionnisme et l’art moderne sont montrés pour la première
fois. Waroquier ne suit aucun cours de peinture mais travaille et rencontre de nombreux
artistes à Montmartre, puis à Montparnasse où il habite de 1898 à 1919. Il voyage beaucoup,
en Italie, en Grèce, en Espagne, en Palestine et en Egypte. Ses grands paysages d’Espagne
de 1917 montrent qu’il n’a pas été insensible au cubisme, mais il poursuit une démarche
solitaire, indépendante, dirigée vers l’étude de la figure humaine. En 1937, il exécute son
œuvre la plus célèbre, décoration pour le Palais de Chaillot, La Tragédie, et s’inspire de plus
en plus de thèmes mythologiques.
Pendant les années 1930 et 1940, Waroquier produit des sculptures tout à fait étonnantes,
lyriques, angoissées et angoissantes, qui sont le sujet de cette exposition. Pour Paul Claudel
qui l’appelle "Le Voyant", Waroquier "est un homme qui a pris le monde au tragique". Ses
visages sculptés sont "inoubliables", écrit Georges Duhamel. Ces auteurs, ainsi qu’Alain et
Bachelard ont remarqué la véhémence de ces visages, avec les yeux tournés vers le ciel
comme Le Verbe (1934-1947), ou les yeux crevés "entrés en ténèbre" de son Œdipe (19341950) et ont évoqué l’Île de Pâques, l’Egypte et d’autres civilisations lointaines, dont a pu
également s’inspirer Picasso dans ses propres sculptures. Aujourd’hui, ces sculptures
paraissent d’une modernité étonnante, dignes de figurer parmi les grandes œuvres de la
première moitié du XXe siècle, à côté des sculptures de Brancusi, Derain et Picasso.
Jean-Loup Champion, commissaire de l’exposition, a réuni ici un ensemble inédit de ces
sculptures, qui constitue une véritable révélation.
Le catalogue de l'exposition est édité par Gallimard, dans la collection Livres d’art.
[format : 19,5 x 25,5 cm - 180 illustrations en couleurs - 144 pages - prix public : 30,00 € auteur :
Jean-Loup Champion, avec des textes de Gaston Bachelard et Paul Claudel.
Contacts presse
• Presse La Rochelle : Annick Notter, conservateur en chef des musées d’Art et d’Histoire
tél. 05.46.41.46.50 – [email protected]
• Service presse Gallimard : Béatrice Foti, attachée de presse
tél. +33.(0)1.49.54.42.10 - [email protected]
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Waroquier, sculpteur du visage
Texte de Jean-Loup Champion extrait du catalogue de l'exposition
Mort d’un « indépendant »
À l’annonce de la mort d’Henry de Waroquier, le 28 décembre 1970, tous les journaux
publièrent des articles où l’épithète d’« indépendant » était souvent accolée à son nom ; le
plus long fut un émouvant hommage de Claude Roger-Marx dans Le Figaro littéraire, et le
plus court, quelques lignes signées Jacques Michel dans Le Monde. On y lit que l’artiste « a,
durant sa longue vie, accompagné l’histoire de l’art moderne sans y avoir vraiment participé».
C’est ce dernier jugement qui prévaut près de quarante ans après, et pendant cette période
de purgatoire, Waroquier a lentement disparu de l’histoire de l’art.
Au terme de quelques années d’études et de recherches, il semble équitable de donner à la
sculpture de Waroquier la chance d’être enfin considérée dans l’histoire de la sculpture
moderne. C’est une histoire qui, depuis cinquante ans, fluctue au rythme des études,
américaines, françaises, européennes autour d’une grande question : qui, parmi tous ces
artistes, a droit à l’attention du public et à une place dans les musées (et pas dans les
réserves) ? Waroquier a pratiqué la sculpture pendant vingt ans sans jamais la montrer.
Quand il s’y est finalement décidé en 1952, il était trop tard pour que sa place dans l’époque
soit reconsidérée.
Ressusciter un artiste
Raconter la vie et l’oeuvre de Waroquier demanderait tout un volume alors que l’artiste ne
commence la sculpture qu’à l’âge de cinquante-trois ans. Les indications indispensables pour
suivre sa carrière sont regroupées dans les « Repères biographiques ». Lorsque Waroquier, à
son retour de Grèce en 1934, se jette dans la sculpture d’une manière vorace et exclusive, il a
derrière lui la vie d’un artiste célèbre, comblé, dont les oeuvres ont fait l’objet d’innombrables
expositions. Il a fait fortune avec ses vues de Venise, vendues par d’importantes galeries
comme Druet, Bernheim-Jeune et bien d’autres encore.
Cette étude de la sculpture de Waroquier a demandé provoquer de nombreuses recherches
et de non moins nombreuses découvertes, d’abord grâce à Fabrice Riva qui a recueilli le très
imposant fonds d’œuvres et d’archives vendu par les descendants de l’artiste. C’est par les
expositions qu’il a organisées à la galerie Mazarini à Lyon puis à la galerie Amicorum à Paris
que les amateurs, dont l’auteur de ces lignes, ont découvert l’ampleur de l’œuvre de
Waroquier et en particulier sa sculpture.
Grâce à lui, des collectionneurs ont, en quelques années, constitué des ensembles majeurs
dont l’examen a considérablement aidé la préparation de cette exposition et de son
catalogue. Waroquier a fait à l’État un important legs comprenant peintures, dessins et
sculptures, répartis aujourd’hui entre le Musée national d’art moderne et les musées de
Boulogne-Billancourt, de Mont-de-Marsan et d’Angers. Ce legs comprenait aussi « six
étagères » de documents conservés à la Bibliothèque Kandinsky du Centre Pompidou dont
l’énorme manuscrit du Jugement dernier, ensemble de textes que Waroquier a écrits,
rassemblés, repris pendant quarante ans et dont la description figure en annexe de « Vingtquatre fois Œdipe ». Mine inépuisable de poèmes, de pensées, de correspondances, qui font
entrer de plain-pied dans l’univers de cet étrange artiste.
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L’enfance d’un artiste racontée par lui-même
Comme il l’a tant de fois raconté et revendiqué, Waroquier s’est éduqué seul sans jamais
passer par l’École des beaux-arts, ni par aucune académie. Né en 1881 à Paris, dans une
famille aristocratique, il revendiquait par son ascendance maternelle de grands ancêtres,
Lavoisier pour la science et l’ébéniste Charles-André Boulle pour les arts décoratifs, auxquels
il ajoutait un grand-père paternel artiste-peintre puis inventeur intéressé par l’automobile.
Ainsi, tous les talents qu’il briguait semblaient-ils déjà dans ses gènes. Ces premières
indications sur son enfance montrent une volonté l’indépendance, comme l’autoportrait d’un
artiste qui ne devrait rien à personne d’autre qu’à lui-même. Sa famille est bourgeoisement
installée rue Laffitte, « face aux galeries Vollard et Durand-Ruel ». À quatorze ans, élève au
collège Rollin, il va faire son éducation artistique dans ces galeries qui en 1895 montraient
l’avant-garde, c’est-à-dire Cézanne et les impressionnistes, mais aussi les romantiques, cette
« école de 1830 ». Son « goût et son désir de peindre » sont confirmés par ses visites chez
Bing, rue Chauchat, à deux pas de la rue Laffitte, où il découvre les arts d’Orient et
d’Extrême-Orient.
Il s’installe en 1898 à Montparnasse dans un désordre très bohème. Il fréquente l’École des
arts décoratifs où il fut pour l’architecture, élève de Charles Genuys (1852-1928), maître de
rigueur qui recourait aux matériaux de son temps, le béton et le fer mais ajoutait aussi le
bronze et la porcelaine. Pour la mythologie et l’histoire des Grecs, il est élève de Louis
Ménard (1822-1901), figure remarquable, helléniste, historien des religions, philosophe,
poète, peintre, chimiste. Le portrait de l’indépendant est ainsi terminé et tout ce qui est
important dans l’œuvre de l’artiste pris en compte.
Dans les premières années du siècle il se consacre aux arts décoratifs, termine ses études en
1901 et reçoit ses premières commandes en 1903, année où il devient professeur à l’école
Estienne. Il y enseignera jusqu’en 1919. Waroquier veut surtout se présenter comme un
artiste qui ne sort pas du moule normatif de l’École des beaux-arts. En revanche, il
revendique son appartenance aux arts décoratifs et son goût pour les techniques. Il innovera
beaucoup en faisant varier matériaux et techniques (peignes en corne au début, reliures,
tapisseries, broderies dont plusieurs exemples, conservés à Paris au musée des Arts
décoratifs, figurent dans l’exposition). Ces excursions ont été déterminantes pour son œuvre
de sculpteur, un art qui l’a tenté très jeune, mais qu’il ne pratiquera pas avant la cinquantaine.
Une carrière immédiate
Dès 1908, Waroquier voyage en Bretagne puis en Italie. Pour les paysages, ces deux
destinations resteront les sources essentielles de son inspiration, avec l’Espagne, qu’il
découvre en 1917 et où il réalise une série de paysages impressionnants marqués par le
cubisme. Enfin les années vingt voient le triomphe commercial d’une multitude de peintures,
aquarelles et dessins consacrés à Venise et leur succès tant auprès des écrivains et des
poètes comme Rilke qu’auprès des gens du monde. Le prince de Faucigny-Lucinge lui
commande un paravent. Les « Repères biographiques »égrènent les innombrables
expositions en France et à l’étranger auxquelles Waroquier participe à partir de 1906. Il est un
artiste célèbre, riche, reconnu, et ce succès se renforce dans les années trente.
En 1937, Waroquier peint son œuvre la plus célèbre, La Tragédie, une grande peinture
décorative, destinée au foyer du Palais de Chaillot, commande de l’Exposition de 1937. Ses
œuvres occupent une salle entière dans l’exposition du Petit-Palais Les Maîtres de l’Art
indépendant 1895-1937. L’année suivante, il expose au Salon d’Automne Espagne (1938),
une femme hurlante se déchirant la poitrine, symbolisant le drame du pays meurtri par la
guerre civile. Pendant les années trente, comme beaucoup d’autres artistes, il a défendu les
valeurs de la tradition moderne fondatrices de l’Exposition de 1937, mais il en a aussi forcé le
trait dans des allégories historiques comme Espagne, alors reproduite partout. Le pathos
déclamatoire de cette œuvre – et aussi à un autre niveau le désengagement politique et
probablement la carrière de son auteur – a conduit à l’effacer presque jusqu’à l’oubli, loin, très
loin derrière Guernica.
Au cours de ces mêmes années, à travers toutes les techniques et les médiums – la peinture
et le dessin, mais aussi et simultanément la gravure et la sculpture –, Waroquier se tourne
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définitivement vers l’étude du visage humain en tant que miroir du tragique.
1934, la naissance d’un sculpteur
« Au retour d’un voyage en Grèce et en Orient, d’où je revins illuminé ».
Waroquier ne présente aucune sculpture à l’Exposition de 1937 ; il est inconnu comme
sculpteur alors qu’au Petit-Palais on peut voir des salles entières emplies d’œuvres de
Despiau, Maillol ou Lipchitz. Pourtant, trois ans auparavant, il réalise la plupart des sculptures
qu’il reprendra et retravaillera en secret pendant quinze ans tout en les gardant secrètes dans
ce qu’il nomme « la chambre funéraire ».
Il commence à sculpter tout d’un coup au retour d’un voyage en Grèce et en Orient effectué
avec son épouse Suzanne. « Suzanne sait mon désir. Au retour de mon premier voyage en
Grèce, elle dépose sur ma table trente pains de cire. Je me jette sur cette manne. Je la pétris
en des formes tour à tour détruites et renouvelées. Entre-temps, je prends des clichés.
Quelques épreuves agrandies, voilà ce qui me reste. Octobre 1934 » Ce passage du
Jugement dernier montre à la fois son enthousiasme sans retenue et sa façon de procéder.
S’il détruit ses œuvres, il fixe toutes les étapes de son travail au moyen de la photographie.
Ce sont ces clichés qui permettent aujourd’hui de suivre son long cheminement autour de la
figure d’Œdipe.
La sculpture de Waroquier
« Toute la sculpture est incluse entre le rocher et l’œuf. L’œuf exige la perfection, le rocher
naît de la passion ».
Pendant la seule année 1934, Waroquier modèle avec fougue une centaine de figurines, de
masques, de bustes, de statuettes grotesques et d’animaux chimériques. Ce sont ces petits
modèles qui seront détruits ou repris à l’infini et agrandis. De la cire il passe à la terre, puis
au plâtre et enfin au bronze. Les dimensions sont toujours plutôt modestes chez Waroquier et
les plus grands bustes ne dépassent pas soixante centimètres de hauteur.
Pour nombre d’œuvres appartenant à son œuvre sculpté, qui s’étend jusqu’à la fin des
années cinquante, il semble qu’il a toujours expérimenté des techniques diverses. En cela
son inventivité se rapproche de celle Picasso, surtout pour les petites figurines, les
grotesques, les galets et les coquillages peints. En revanche, les grandes têtes sont
dominées par l’idée, le symbole, plutôt que par la forme comme chez Picasso.
Mais tout comme ce dernier, Waroquier établit un rapport très physique avec la sculpture :
« Quand, au musée, je me perds en la contemplation d’une belle statue, je ressens
simultanément le désir et la crainte de confronter, d’éprouver le spirituel par l’attouchement
sensuel et sacrilège ; cependant, dans le moment même où le gardien tourne le dos, je ne
puis résister au plaisir défendu, – à celui dont je me défends sans parvenir à m’obéir :
caresser, avec quelle émotion, la perfection des formes. »
La partie la plus importante de l’œuvre sculpté de Waroquier concerne la figure humaine et
l’universalité de sa symbolique tragique. Il écrit dans Le Jugement dernier que « Le Verbe,
L’Homme, Œdipe, Le Gisant, L’Otage, portent sur des sujets d’une exaltation intemporelle et
généralisée ».
Pour comprendre la complexe logique de création de ses figures, il est nécessaire d’en
esquisser un classement et, ce faisant, de respecter l’ordre toujours provisoire dans lequel
Waroquier les présentait en 1949 dans Le Jugement dernier quand il écrit : « 1946-1947 : je
n’ai pas touché à une brosse depuis 1944. Ces deux dernières années, je les ai vécues en
sculpteur. Nourries dans la mémoire par le désir, mûries par une longue attente, j’ai repris de
petites pièces en terre cuite ou en plâtre datées 1934-1935. Transposées, développées en
états successifs jusqu’à leur exécution en matière définitive – terre cuite ou bronze – et en
grandeur naturelle. »
Suit alors une liste, incomplète, selon les propres dires de l’artiste, où paraissent les figures
ou bustes, puis les premières œuvres tirées en bronze. Cette liste est discutable puisqu’il n’y
mentionne aucun des nombreux masques et grotesques, montrés dans la présente
exposition, et qu’il réalisa sans les fondre dans le bronze.
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FIGURES DE L’HUMAIN
Ses bustes furent exposés dans leur ensemble au Musée national d’art moderne en 1952.
Creuser le visage humain, le pénétrer, l’appréhender, le résumer dans son tragique
élémentaire est une quête que Waroquier pratique à l’extrême, jusqu’à en extraire la
métaphore d’un visage unique, un visage universel qu’il remodèle sans cesse, qu’il torture,
auquel il ôte les yeux, les rajoute encore, puis les crève comme chez Œdipe. En résultent ces
têtes ravagées, momifiées, comme découvertes dans le désert, où elles auraient été enfouies
pendant des siècles.
La figure symbolique
« À ces objets mystérieux et sacrés convient le bronze. »
Le Verbe, 1934-1949, est une des sculptures que Waroquier a le plus longtemps travaillé.
Une collection privée conserve aujourd’hui les deux plâtres originaux desquels l’artiste a tiré
quatre terres cuites, chacune reprise et patinée par lui-même. Il en fit tirer deux bronzes, dont
l’extraordinaire exemplaire à patine dorée du musée de Mont-de-Marsan qui porte une
inscription le désignant comme « meilleur » exemplaire. Légèrement renversé, comme issu
de la Grèce archaïque, la nuque évasée comme dans les temples de Summer, le nez large
comme une colonne de temple, le visage muet, tendu vers le haut : « Le Verbe à la bouche
close, celui qui n’a nul besoin des mots pour répandre la lumière. » Son ample chevelure de
Kouros rayonnant le fait ressembler à la figure de saint Matthieu coiffé d’un voile dans le film
de Pasolini. Sa peau présente un aspect rugueux, grumeleux, dont la surface rappelle le
primitivisme de certains artistes parmi ses contemporains.
On peut rattacher au Verbe l’étonnant buste appelé simplement Tête, 1934-1947, hiératique
et totalement droit, dont on connaît le plâtre original, des terres cuites et des bronzes.
Figures féminines
Les figures féminines de Waroquier se regroupent autour de la jeunesse, avec une forte
fragrance venue de Crète ou de l’Égypte copte. Il a modelé plusieurs bustes de jeune fille,
dont le plus impressionnant, peut-être le plus « crétois » d’entre eux, est celui en grand format
de L’Adolescente, dont le petit sourire pincé et le cou gracile rappellent la Parisienne du
palais de Knossos à Héraklion. Deux variantes en bronze aux fontes magnifiques figurent
dans l’exposition.
Dans la même veine « crétoise » se trouve la Jeune fille, dont la fonte à la cire perdue de la
première version de 1935 retient les empreintes des pouces du sculpteur, avec sa coiffure
extravagante qui s’incurve au sommet d’une sorte de petit chignon, encore plus étonnante
vue de profil, comme Waroquier la représente dans un dessin préparatoire à la version
agrandie dont il fera fondre deux exemplaires en 1947.
L’on ajoutera ici la figure plus brancusienne et plus grecque du Modèle en bronze de
Boulogne- Billancourt, avec son énigmatique sourire de Korè.
Les Anges
Le primitivisme de Waroquier est essentiellement méditerranéen et la série des Anges prend
son essor à partir d’une figure, peut-être copte, vue au cours de son voyage en Égypte en
1934, et dont il tirera d’innombrables variations.
Tous les Anges, avec leur grand nez à base carrée mais à l’extrémité retroussée, des joues
pleines et hautes, des yeux exorbités en fort relief, semblent issus de la sculpture archaïque
crétoise, voire égyptienne, comme les « portraits funéraires d’Antinoé ».
La figure d’origine de l’Ange est probablement celle qu’il appelle L’Ange à l’égyptienne dont il
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a tiré plusieurs terres cuites. Ainsi que l’on peut le vérifier sur les photos de Waroquier, le
plâtre original a connu divers modifications au cours des années. Waroquier a repris ensuite
le buste en ajoutant de la polychromie et en recouvrant totalement les yeux de peinture noire.
Les anges de Waroquier sont sujets à la métamorphose. Parmi de nombreuses variantes,
petites ou grandes, citons : calé sur un cube, l’Ange au cube en terre cuite patine rouge et
terre cuite patine noire ; l’Ange aux cheveux courts en grand et petit format de plâtre, terre
cuite et bronze ; ou à la longue chevelure, l’Ange funéraire, exemplaire unique en terre cuite ;
la tête surmontée d’un vase, comme le merveilleux Canéphore polychrome de BoulogneBillancourt ; enfin l’ange en Cariatide (localisation inconnue), reproduit sous toutes ses faces
dans les photos de Waroquier.
Figures renversées
Dans de nombreux bustes, les têtes sont renversées en arrière ou ont les yeux levés, à
l’exception d’Œdipe qui penche vers l’avant.
La tête la plus renversée en arrière, couchée même, est celle du Guerrier, 1947, dont le plâtre
original, une terre cuite et un bronze figurent dans l’exposition. Encore une fois, la posture
résulte d’une volonté fortement symbolique de l’artiste : « En sculptant Le Guerrier, l’histoire
n’a pas de prise sur l’homme pensé dans le bronze. Je ne vis en lui aucune guerre précise
dans le temps, mais l’offrande totale et sereine de l’homme de tous les temps, dans la
condition fatale héroïque et totale du don de sa vie pour sauver sa famille, sa terre et son
honneur. »
Waroquier a beaucoup photographié et fait reproduire, presque autant que Le Verbe, le plâtre
original du Visage au nez cassé, 1944, qui ressemble aux têtes grecques archaïques
d’Apollon.
Figures de la douleur
Le premier buste de Douleur, commencé dès 1934 et repris jusqu’en 1947, est semble-t-il une
variante de Tête (mêmes dates), mais penchée en arrière. Le même titre se rattache à une
autre œuvre, la plus belle, la plus bouleversante et la plus symbolique des têtes de
Waroquier, qui figure sur la couverture du présent ouvrage. Il s’agit de la tête couchée,
trouée, Douleur, 1947, conservée au musée Despiau- Wlérick de Mont-de-Marsan, un « éclat
d’or funèbre». C’est à son propos que l’on peut citer l’artiste : « Poursuivre sur les visages la
trace de la douleur comme le signe le plus humain de la beauté. »
On dirait la tête du Verbe sans sa coiffure, avec le crâne troué et de profondes estafilades
partout sur le visage. C’est une tête abandonnée sur le côté, comme la tête de Brancusi mais
en même temps totalement son contraire, l’œuf lisse des origines s’est transformé en une
figure brisée, battue par les flots, le vent, le sable et tous les éléments. Elle repose sur le sol,
isolée, comme la tête de la statue de la Liberté sur le sable dans La Planète des singes.
GROTESQUES, HYBRIDES
ET ANIMAUX CHIMERIQUES
En même temps que les bustes, les masques et les petites figurines, Waroquier crée toute
une série de statuettes qu’il nomme Grotesques, ou quelquefois Burlesques, et sur lesquelles
il ne cesse d’expérimenter. Ces petites terres cuites peuvent rappeler Tanagra mais surtout
l’Égypte romaine ou le monde hellénique. Beaucoup ont été détruites mais toutes, semble-t-il,
ont été photographiées par l’artiste.
Dans de nombreux cas, Waroquier change les têtes de plusieurs de ses créatures grotesques
en gardant les corps. Les nombreuses photos qu’il a prises nous en offrent deux exemples.
Tout d’abord avec le Personnage double-face qui figure dans l’exposition, terre cuite
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polychrome datée de 1934. Avant de se décider pour cette tête double-face, Waroquier a
utilisé le corps seul de ce personnage pour y poser diverses têtes grotesques, une tête de
style grec archaïque, quelquefois couronnée d’un coquillage, en prenant à chaque fois une
photo de la composition. Un autre exemple est celui de La Sorcière, terre cuite polychrome
qui fait partie du legs de l’artiste, dont le corps a également supporté d’autres têtes
grotesques. L’inscription « corps de la sorcière » sous le socle de la statuette en est la
preuve. La tête de la sorcière a d’ailleurs été photographiée seule, à côté du Mexicain, dans
une de ces photos mises en scène par l’artiste. De nombreuses têtes grotesques sont
conservées, sur des socles de l’artiste, dans des collections particulières.
Hybrides et animaux chimériques
Le modelage permet la métamorphose par le rajout d’éléments et de formes. L’animal hybride
est aussi au cœur de la mythologie, des métamorphoses et de leur revival dans l’entre-deuxguerres. Le rêve considéré comme une forme de la pensée primitive préexiste chez les
romantiques et les symbolistes. À la suite de grands ancêtres comme le Centaure blessé de
Bourdelle, ou les faunes et satyres de Stuck, Waroquier a créé des animaux fantastiques, des
créatures hybrides, qui sont parmi ses plus grandes réussites plastiques. Comme le note
Jean Cassou, le sculpteur restitue « l’état de participation où se trouve la mentalité humaine à
son éveil […] dans les petites sculptures d’animaux plus ou moins fantastiques auxquelles se
joue Waroquier et qui semblent en effet n’être produites que par une imagination spontanée
».
Tout d’abord l’hybride le plus grand, le plus impressionnant, résultant d’une mutation
enregistrée par la photographie, qui le fait passer de l’état d’homme à celui d’animal fabuleux
est Le Taureau à six cornes. D’une taille équivalente ou supérieure à ses grands bustes, ce
taureau est certainement, de toute sa création d’animaux, celui dont la valeur symbolique est
la plus riche. L’artiste, qui en raconte lui-même les métamorphoses successives, a commencé
par un diable, puis une tête d’homme ornée et couronnée de bijoux barbares, qui devient un
Taureau à deux cornes (détruit), puis petit à petit un Taureau à six cornes, pour culminer dans
l’admirable et terrifiant bronze d’Athor, conservé à Boulogne-Billancourt. La métamorphose
des animaux les fait changer de forme, de sens, mais aussi de civilisation.
En 1950, l’exposition du Bestiaire de Waroquier à la galerie Lucie Weil inspire de nombreux
commentaires, comme ce charmant texte d’Alexandre Vialatte : « L a zoologie fait un songe. Il
en sort, de l’animal réel, des espèces parallèles, des races imaginaires et des bêtes
chimériques où le rêve et la géométrie s’entraident et s’interfèrent, s’épanouissent enfin en
une coïncidence qui comble dans l’esprit un mélange de désirs. Il y a aussi d’adorables
girafes, des visages d’animaux où se réunissent le chat, le tigre et le grand-duc. »
Il y a également toute une série de petits animaux en terre cuite, qui font tantôt penser à la
Crète, tantôt à la Chine, que Waroquier a photographiés en les affrontant dans des
assemblages que la présente exposition a essayé de restituer, comme un Pékinois, un Lion,
un Animal et un Animal préhistorique. Dans les années cinquante et soixante, Waroquier
poursuit ses expériences dans de petites sculptures et créations où il retrouve la liberté, la
fantaisie et la spontanéité de ses débuts, comme le Griffon, 1960. Il utilise également de
nombreux supports aussi étonnants que variés, « à la Picasso », en décorant et peignant
coquilles d’huître, galets, tessons de terre cuite et morceaux de bitume.
Ce survol de la production de Waroquier sculpteur ne doit pas faire oublier la rapidité avec
laquelle un homme ayant largement dépassé la cinquantaine a pu, en si peu d’années, créer
un univers extraordinaire, différent, où le drame côtoie le rêve et la fantaisie.
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SCULPTURE ET PHOTOGRAPHIE,
VISAGES PEINTS, DESSINÉS, GRAVÉS,
HÉLIOCOPIÉS ET LEURS RAPORTS AVEC
LA SCULPTURE
Entre mémoire, archive et création, la place de la photographie dans l’œuvre de Waroquier
est fondamentale et mériterait à elle seule une étude approfondie. Waroquier voulut très tôt
classer son œuvre – il a été souvent moqué à ce sujet –, et non content de numéroter ses
œuvres, il les a fait photographier par centaines, avec le projet de le faire pour la totalité de
son œuvre. Il y a un millier de photographies, dont une centaines de somptueuses
héliocopies, conservées à la Bibliothèque Kandinsky. Malheureusement manquent toutes
celles qui sont consacrées à ses sculptures, mais de nombreux exemplaires provenant de la
famille de l’artiste sont réunis au sein de plusieurs collections privées. Ces photographies de
sculptures, dont tout nous indique qu’elles sont de la main de l’artiste qui les tirait lui-même,
doivent être considérées comme des œuvres d’art, de véritables créations de l’artiste, ou
selon les propos d’Alain, des « chefs-d’œuvre de l’art photographique».
Waroquier se sert de l’appareil photo comme du pinceau ou de l’ébauchoir. Il a compris la
photographie dans le processus de sa création sculpturale dès le début, en 1934. Incorporant
l’éphémère à l’œuvre d’art, il photographie des masques faits de matières périssables,
comme son Masque de bal de 1934, fabriqué avec des œufs durs, des petits pains et des
cure-dents et garde les photographies de sculptures annotées « pièce détruite » dans la
marge. Il fait des essais de têtes différentes sur le même corps (voir plus haut la
démonstration autour du corps du personnage à tête réversible) et semble avoir la même
fascination pour les photos de sculptures qu’ont pu avoir, à différentes époques, Rodin et
Picasso. Il met en scène diverses sculptures photographie, comme pouvaient aussi le faire
d’autres artistes tel Bellmer. Waroquier attachait une grande importance à ses photographies
de sculptures et présenta systématiquement de grands tirages encadrés dans la plupart de
ses expositions à partir de 1952.
Ensuite il inventera la technique de l’héliocopie, qui lui permettra de reprendre dessins et
gravures dans une perspective et un sens nouveaux. Waroquier s’intéresse aussi au fixé sur
verre et réalise ainsi plusieurs peintures dont certaines comportent également des
applications de coquille d’œuf comme Jérusalem et L’Ange. L’artiste réalisera d’après ces
fixés sur verre des héliocopies et des estampes pour illustrer L’Apocalypse selon saint Jean
de Patmos en 1951.
La modernité
À la différence de ses contemporains et de beaucoup de peintres sculpteurs, la sculpture de
Waroquier est autarcique et n’entretient aucun lien formel avec sa peinture. Il a certainement
dû voir les premiers essais de sculpture de Picasso et de Derain dans les années 1910, mais
il lui faut un quart de siècle pour se mettre subitement à faire de la sculpture. En 1934, au
retour de Grèce et d’Égypte, il se met à modeler des idoles, des animaux fantastiques et des
visages-obélisques, inspirés par des divinités primitives dont on ne voit aucune représentation
dans ses tableaux. Il n’est pas à proprement parler un moderne, mais la radicalité de son
temps, la recherche d’une solution, de racines, de fondements le conduisent vers un
archaïsme formel, un primitivisme que n’avait jamais expérimenté sa peinture. Pétrir des
pains de cire lui a soudainement ouvert un autre univers, changer de technique a
métamorphosé l’essence de son art : il dit autre chose. Changeant de catégorie, il devient
soudain un grand artiste.
Montrée en 1937, sa sculpture aurait pu l’imposer comme un maître à part entière de l’art
moderne. En 1952, il est trop tard, la caution d’Alain, de Bachelard et de Claudel, intellectuels
d’avant-guerre, ne suffit pas à l’inscrire dans la modernité. Son moment est passé et ce grand
tragique reste prisonnier de son image de peintre commercial, qui a fait fortune en produisant
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des vues de Venise.
Invisible, sa sculpture est restée un phénomène marginal, bien éloigné de Brancusi et de tous
les modernistes venus d’Europe ou d’ailleurs au début du XXe siècle ; loin aussi de la
sculpture de Maillol, de Despiau et des partisans de l’antique qui triomphent à l’Exposition de
1937.
Pourtant, de Cogniat à Roger-Marx et à Cassou, de Daniel-Rops à Claudel, d’Alain à
Bachelard, et plus tard Vladimir Jankélévitch, Waroquier a eu droit à des articles et des lettres
de tous les critiques et historiens de l’art de l’époque, tous, sauf les défenseurs des avantgardes. Célébrée par de grands esprits, la sculpture de Waroquier – celle du Verbe et celle
des Œdipe – ne s’est-elle pas trop chargée de message ; et trop théâtrale, plus littéraire que
formelle échappe-t-elle encore à la modernité du XX e siècle ?
C’est cette volonté de symbolique que Cassou remarque en semblant reprocher à Waroquier
une œuvre « trop apparemment influencée […] par les mécanismes et les inquiétudes de […]
l’intellect. On la souhaite plus immédiate ». Voilà semble-t-il une des raisons du rejet ou de
l’indifférence exprimés par de jeunes artistes et critiques « modernes », sept ans après
l’exposition Fautrier : trop de message, trop d’intellect, trop de retard par rapport aux gestes
artistiques à première vue plus spontanés de l’art de l’immédiat après-guerre.
Mais si c’était l’inverse et que plutôt que de science la sculpture de Waroquier avait souffert
l’avant-gardisme ? Si dans le débat « archaïsme-modernité » dont parle Laurence Bertrand
Dorléac dans son lumineux panorama de l’année 1946, Waroquier avec ses têtes grêlées,
trouées, cassées comme des œuvres primitives, déterrées du sol de continents lointains,
avant Roger Bissière et avant Germaine Richier, avait deviné un expressionnisme primitiviste
? Comme par effraction alors, par cette exposition, sa sculpture retrouverait sa position dans
l’histoire de l’art de l’immédiat après-guerre ; les expositions ayant aussi pour mission de
réécrire le livre jamais clos de l’histoire de l’art.
Même si Waroquier a pris la posture d’un retrait du monde pendant la guerre et qu’après, loin
des problèmes de la reconstruction, il réalise que l’art a changé et refuse de tomber dans
l’oubli. Dès 1948, il commence vraiment à montrer ses sculptures et publie dans les Cahiers
de Paris ses photographies de l’année 1934, y compris celles des œuvres détruites.
Il rencontre Christian Zervos, sans doute en 1949, et semble avoir eu avec l’éditeur de
Picasso un contact suffisamment bon pour rêver de projets autour de ses sculptures. Il
recopie dans Le Jugement dernier une lettre désespérée de 1950, une lettre que finalement il
ne lui a pas envoyée : « Proche de soixante-dix ans – j’ai exactement l’âge du glorieux P. P. –
Ah ! si je pouvais commencer à trouver un peu d’adhésion. […] Une dernière fois (vous savez
que je ne suis ni un impatient ni un importun), je vous dis : aidez-moi. Vous le pouvez, vous le
devez à ma solitude, à mon acharnement, vous vous le devez pour m’avoir discerné.
Maintenant “L’Homme” est en bronze.
J’ai donné toute l’année qui nous a séparés à parfaire “Le Verbe”. Et j’ai de nouveaux bronzes
: “Visage aux yeux clos”, “L’Otage” – “Le Gisant”. Avec la vingtième variante s’achève
l’“Œdipe”. Je suis à bout de forces et si las. Téléphonez-moi, un mot, – Vous m’aviez fait tant
de bien. Venez, je vous en prie, j’ai besoin de vous.
Cette lettre écrite en 1950, je ne l’ai pas envoyée à Zervos. »
Le ton est désespéré, l’artiste semble au bout du rouleau. Et pourtant, en 1951 a lieu le grand
hommage que lui rend le Salon d’Automne avec une pluie d’articles dans tous les journaux.
L’année suivante prend place la rétrospective de sa sculpture au Musée national d’art
moderne et enfin, en 1954, celle de son œuvre graphique à la Bibliothèque nationale.
Waroquier n’était ni oublié ni dédaigné, mais on ne peut s’empêcher de penser qu’avec
Zervos, il aurait immédiatement gagné sa place au Paradis de la modernité et que Waroquier,
au fond de lui-même, le savait.
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LE CATALOGUE
Le catalogue de l’exposition est édité par Gallimard
Dans la collection Livres d’Art.
Format 19,5 x 25,5 cm – 180 illustrations en couleurs
144 pages ; prix public 30 euros
Auteur Jean-Loup Champion, avec des textes de
Gaston Bachelard et Paul Claudel.
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Le Musée des Beaux-Arts
de La Rochelle
Le Musée des Beaux-Arts occupe depuis 1844 le second étage de l’hôtel de Crussol d’Uzès,
palais épiscopal construit sous Louis XVI sur les plans de l’architecte parisien Nicolas Ducret.
Il présente une importante collection de peintures européennes du XVème au milieu du
XXème siècle.
Le XIXème siècle est le plus largement représenté avec des œuvres de Camille Corot, Paul
Huet, Gustave Doré et d’intéressants artistes réalistes…Les artistes originaires de la région,
William Bouguereau, Eugène Fromentin, Théodore Chassériau y ont une place de choix et
confortent les noyaux de peinture académique et orientaliste.
Le XXème siècle est illustré par quelques œuvres remarquables d’Alberto Magnelli, Maurice
Denis et Gaston Chaissac.
Une politique d’accrochage régulièrement renouvelée propose un regard sans cesse nouveau
sur de collections trop riches pour la surface du bâtiment.
Il est ouvert tous les jours sauf le mardi,
De 10h00 à 12h30
Et de 14h00 à 18h00
(fermé le 14 juillet)
Il n’est pas accessible aux personnes en situation de handicap moteur.
Tarifs
4 euros Plein tarif
3 euros Tarif réduit
Gratuité pour les moins de 18 ans,
Les étudiants et les demandeurs d’emploi.
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