La grotte Chauvet, plongée au cœur de la préhistoire

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La grotte Chauvet, plongée au cœur de la préhistoire
La grotte Chauvet, plongée au cœur de la préhistoire
À partir de samedi 25 avril, la caverne du pont d’Arc, réplique de la grotte Chauvet, sera ouverte aux visiteurs. Exceptionnellement,
La Croix a pu visiter la grotte originale, deux fois plus ancienne que Lascaux et parfaitement intacte. Sa découverte en 1994 a signé
le début d’une aventure scientifique hors norme.
JEFF PACHOUD/AFP
L’accès à la grotte est réservé aux scientifiques et encadré par des règles strictes, afin de préserver l’équilibre climatologique du lieu.
Après vingt minutes de raidillon dans les taillis, le chemin emprunte une ancienne rive de l’Ardèche, inondée de soleil.
« Les hommes de la préhistoire savaient ce qu’ils faisaient en choisissant une cavité face au sud » , commente Marie
Bardisa, conservatrice de la grotte Chauvet, la plus célèbre, avec Lascaux, des grottes ornées et la plus ancienne connue
au monde.
Ces chasseurs-cueilleurs appartenant à la culture dite aurignacienne (de – 40 000 à – 25 000 ans) n’ont jamais habité à
l’intérieur, trop sombre et humide. En revanche, ils campaient sans doute sous le porche de pierre de l’entrée. De là, à
l’abri des intempéries, ils pouvaient surveiller le majestueux cirque formé par l’ancien méandre de l’Ardèche, autour de
l’arche naturelle, le « pont d’Arc », merveille que les touristes photographient l’été. Cet étrange pont de pierre, en
contrebas direct de la grotte, a sans doute intrigué ces hommes qui ont peut-être vu un lien symbolique entre les deux
lieux.
> À lire également:L’art des cavernes est apparu au même moment en Asie et en Europe
Marie Bardisa désigne un éboulis qu’il faut contourner: « Les études géomorphologiques ont montré que ce porche s’est
effondré, il y a 21 500 ans, ensevelissant les possibles indices de cette installation préhistorique mais bloquant l’entrée de
la grotte. Ce qui a permis de préserver jusqu’à nos jours la fraîcheur de ses peintures et des traces humaines. C’est cela
le miracle de Chauvet! »
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Un accès très sécurisé et contrôlé
Il a fallu attendre le 18 décembre 1994 pour qu’un spéléologue averti, Jean-Marie Chauvet, redécouvre fortuitement cette
cavité sur la commune de Vallon-Pont-d’Arc (Ardèche). Aujourd’hui, la nouvelle entrée est fermée par une porte blindée
de type sous-marin, surveillée par des caméras.
Depuis vingt ans n’y pénètrent quasiment que des scientifiques. Géologues, archéologues, paléontologues (pour étudier
les ossements d’ours qui jonchent le sol), ichnologues (spécialistes des empreintes)… par équipes de douze personnes
au maximum et par roulements de deux heures, durant quelques mois par an: l’équilibre climatologique de la grotte est à
ce prix.
Maintenir fermée la grotte a un second intérêt: excepté sous l’étroit chemin de passerelles métalliques, nécessaire aux
circulations, sols et parois sont intacts, véritable « scène de crime » pour police scientifique. « Grâce à Jean Clottes, les
chercheurs bénéficient ici d’un champ d’étude extraordinaire », reprend Marie Bardisa, conservatrice de ce monument
historique hors norme, encore impressionnée par la clairvoyance du grand préhistorien. Accouru sur les lieux dès le
29 décembre 1994, Jean Clottes avait obtenu du ministère de la culture le classement immédiat et la fermeture du site.
Une première.
> (Re) lire:La grotte Chauvet officiellement reconnue par l’Unesco
Dix mètres sous terre, une plongée en – 36 000 ans
Passé la porte métallique, il faut se couvrir d’une combinaison stérile, afin de n’amener de l’extérieur, ni moisissures ni
mousses qui risqueraient, comme à Lascaux, d’endommager les peintures. Puis une sorte de toboggan suivi d’une
échelle permettent de descendre vers le sol préhistorique, dix mètres plus bas… et de remonter 36 000 ans dans
l’histoire, comme les datations au carbone 14 des charbons de bois découverts au fond de la caverne ont permis de
l’établir. Car les aurignaciens avaient apporté des branches de pin sylvestre pour fabriquer, par combustion, leurs fusains.
Ce foyer est toujours visible. Comme s’il avait été allumé hier.
À cette époque, en Europe méridionale, le climat est à peu près celui du sud de la Suède aujourd’hui. Ces hommes du
paléolithique supérieur vivent en clans. Sans doute se nourrissent-ils de baies et de graminées, ainsi que de petit gibier
facile à piéger. Parfois, ils achèvent un aurochs (sorte de buffle) malade avec leurs lances de silex ou leurs épieux de bois
durcis au feu.
Les Aurignaciens sculptent aussi dans l’ivoire des statuettes féminines, aux formes exagérées, que l’on a retrouvées un
peu partout en Europe où s’est développée leur culture. Sont-elles des déesses de la fertilité? Nul ne le sait. Malgré
l’existence de ces sculptures, jusqu’à la découverte de la grotte Chauvet, on n’imaginait pas ces hommes capables de
maîtriser, vingt mille ans avant Lascaux, l’art de la composition picturale.
Des centaines de figures intactes
Jean Clottes avoue avoir pleuré lors de sa première visite devant les frises de rhinocéros, les cavalcades de chevaux,
d’aurochs… De fait, plus on avance à travers les immenses salles (8 000 m2 en tout) drapées de brillantes stalactites,
plus les œuvres sont saisissantes. D’abord, l’œil saisit des animaux épars, dessinés à l’ocre rouge.
Puis, après un passage étroit, c’est l’explosion: des chevaux surgissent, organisés en troupeau, autour d’une niche
centrale. Dans la dernière salle, des lions des cavernes poursuivent des bisons affolés, selon cette même composition.
Un bestiaire de 425 figures danse sur les parois. « On sent une volonté d’utiliser ces très belles salles pour mettre en
scène les peintures », remarque Marie Bardisa.
> Lire notre interview de Jean Clottes:À la Grotte Chauvet, un bestiaire exceptionnel
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Les artistes, très entraînés, ont brossé ces figures à traits rapides et assurés, utilisant la rotondité de la roche pour
modeler la cuisse d’un félin ou des lignes de failles pour esquisser le dos d’un bison. Depuis les passerelles métalliques,
l’effet de relief et de mouvement, accentué par la faible lueur des lampes torches, est flagrant. Ils utilisaient aussi
l’estompe, pour griser les robes des animaux, donner une expression à chacun, superposaient les lignes de dos pour
donner la perspective d’une harde qui avance. Les spécialistes qui scrutent ces fresques afin de les copier fidèlement
dans la réplique sont formels: le dernier animal peint est parfois celui qui est au centre. La préméditation de l’ensemble
est évidente.
Des fresques pour communiquer avec les esprits
« Chauvet démontre que l’art n’a pas balbutié, commente Jean Clotte. Cela ne me surprend pas vraimen t. Les
aurignaciens sont des hommes modernes, avec les mêmes capacités cognitives que nous et les mêmes interrogations
spirituelles, qu’ils traduisent par des rites funéraires et par l’expression artistique. » Pour le préhistorien, il ne s’agit pas d’
« art pour l’art » mais d’une manière de communiquer avec des esprits surnaturels sous une forme animale, à travers les
parois, selon des rituels chamaniques que l’on observe encore en Sibérie ou chez les Amérindiens. À l’appui de sa
théorie, il fait remarquer que les animaux représentés à Chauvet sont des animaux dangereux que ces hommes ne
chassaient pas, même s’ils les observaient de près.
Une étude fine a permis d’établir que les artistes étaient peu nombreux. L’un d’eux avait l’auriculaire déformé: on repère la
trace de ses doigts sur plusieurs empreintes de main ocrées, dans différentes salles.
Au retour de la visite, un petit bassin attire l’attention: « Les aurignaciens ont retenu l’eau avec des pierres et ont colmaté
les interstices avec de l’argile », explique Marie Bardisa. Plus loin, ils ont installé une marche pour mieux franchir un
rebord glissant. Tout comme nous le ferions aujourd’hui, mais au service d’une œuvre grandiose dont le sens ultime nous
échappe.
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La « réplique » de la grotte Chauvet se dévoile
La caverne du pont d’Arc, plus grande reconstitution jamais réalisée, ouvre au public le samedi 25 avril.
3 500 m2 au sol et 7 500 m2 de parois.
1 000 dessins au charbon de bois réalisés: ils représentent 425 espèces animales différentes, et reproduisent les
originaux au millimètre.
55 millions d’euros investis dans le projet.
350 000 visiteurs attendus chaque année.
Site accessible aux personnes handicapées, ouvert tous les jours de l’année. Horaires: de 10 heures à 19 heures jusqu’à
fin septembre, et de 9 heures à 20 h 30 en juillet et août.
Tarifs: adulte 13 €, jeune (10-17 ans) 6,50 €.
Rens. et rés.: www.cavernedupontdarc.fr
SOPHIE LAURANT (à Vallon-Pont-d’Arc, Ardèche)
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http://www.la-croix.com/Actualite/France/La-grotte-Chauvet-plongee-au-caeur-de-la-prehistoire-2015-04-24-1306125
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