Dettes souveraines et abus de marché
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Dettes souveraines et abus de marché
veille technique Droit des marchés financiers Dettes souveraines et abus de marché Ces derniers mois, de nombreuses rumeurs ont contribué à déstabiliser les marchés des dettes souveraines. Les enquêtes en vue d’identifier les sources s’avèrent difficiles. Et le cadre règlementaire européen sur le marché des dettes souveraines et des instruments dérivés liés reste largement insuffisant au niveau européen pour lutter contre ces manipulations de marchés. Hubert de Vauplane Professeur associé Université Paris II Panthéon-Assas Président AEDBF (Europe) Retrouvez les chroniques de H. de Vauplane sur revue-banque.fr * Les propos de l’auteur n’engagent que celui-ci et ne sauraient constituer une opinion du Groupe Crédit Agricole SA. 70 Revue Banque L « a Grèce menace de sortir de l’euro [1] », « La Grèce a décidé de rééchelonner sa dette » ; « L’Irlande plombée par une rumeur bancaire [2] », « Des experts gouvernementaux allemands et français s’attendent à ce que le Portugal ne puisse bientôt plus se financer sur le marché [3] »… Depuis plusieurs semaines, les médias économiques et financiers de toutes les langues et de tous les [1] Le 7 mai 2011, le site Internet du magazine allemand Der Spiegel indiquait que la Grèce menaçait de sortir de l’euro lors d’une réunion avec la Commission européenne. La rumeur a été aussitôt démentie tant par la Grèce – selon le ministre grec des Finances, « de tels articles constituent une provocation, sapent l’effort de la Grèce et de l’euro et servent des jeux spéculatifs » – que par les autres États de la zone euro, mais n’a pas empêché d’affecter le cours de l’euro face aux autres devises. [2] Le 22 mars 2011, l’écart de rendement entre les emprunts d’État irlandais et allemands à deux ans atteignait son niveau le plus élevé depuis le lancement de l’euro, suite à une rumeur relative à un problème de paiement de coupon par la banque Allied Irish Bank (Reuters, 22 mars 2011). [3] Der Spiegel, 8 janvier 2011. Cette information, bien que démentie par la Commission européenne a pourtant été reprise par Reuters le lendemain matin qui citait un « senior euro zone source ». Le surlendemain, cette information est alors reprise dans la plupart des journaux (Le Monde, Libération…). Ici, le problème est que l’information, bien que démentie à plusieurs reprises, a été reprise par Reuters. Or, les informations diffusées par cette agence de notation sont lues instantanément dans toutes les salles de marchés. no 737 juin 2011 pays regorgent de ce type d’informations. Sitôt diffusées dans le marché par les agences de presse, voire par les réseaux sociaux privés, aussitôt démenties par les institutions (BCE, Commission européenne, FMI) ou États en cause, ces informations, ou plutôt ces rumeurs, provoquent une forte volatilité des marchés, en premier lieu sur les titres de dettes de ces États en situation économique et financière délicate, mais aussi des titres des États considérés comme « les prochains sur la liste » et même les États « non périphériques » de la zone euro, affectant du même coût la valeur de l’euro. Les États semblent impuissants face à ces rumeurs. S’il est clairement impossible de les contrôler, il semble surtout que tous les efforts pour les démentir ne suffisent pas à convaincre les marchés que la situation est « sous contrôle ». Que faire alors ? Certains n’hésitent pas à brandir la menace d’enquête, voire même de sanctions. Ainsi, en mai 2010, alors que l’euro était soumis à des fortes pressions spéculatives, l’AMF indiquait ouvrir une enquête sur les rumeurs de marché qui déstabilisaient la zone euro. Son président précisait même que « ce serait un pur scandale » s’il s’avérait que certains opérateurs agissant sur les marchés faisaient partie « d’établissements aidés par l’État » en 2008 et 2009 pour faire face à la crise financière internationale [4]. En avril 2011, suite à la diffusion d’un mail d’un trader d’une grande banque internationale [5], le gouvernement grec a indiqué avoir sollicité le parquet d’Athènes pour lancer une enquête visant à établir l’origine des rumeurs de restructuration de sa dette. À la source des rumeurs… De son côté, lors de l’audition de son président devant la Commission d’enquête de l’Assemblée nationale, l’AMF indique avoir analysé les opérations réalisées par les grands opérateurs français sur les titres de la dette grecque [6]. L’Autorité n’aurait pas « trouvé [4] Le président de l’AMF considérait même qu’« aucun comportement ne justifie ce qui se passe aujourd’hui. Nous avons les moyens d’enquêter et il y aura des sanctions ». [5] Le Figaro, 22 avril 2011. Le texte du message mis en cause indiquait : « Au cours des 20 dernières minutes, les rumeurs sur une restructuration de la dette grecque au cours du week-end de Pâques se sont intensifiées. Les spreads augmentent […] tandis que les cours des titres bancaires en Bourse sont en baisse. Ces derniers jours, les discussions sur une restructuration ou un rééchelonnement de la dette grecque se sont intensifiées, en dépit des démentis officiels grecs et étrangers. Si un événement tel se produisait, il serait crucial d’en connaître les termes, puisqu’un abandon de créance aurait une portée différente d’un allongement des maturités » de la dette. [6] Selon l’AMF, les intermédiaires français ont fourni les informations demandées sur les transactions réalisées sur les CDS grecs de novembre 2009 à février 2010. La volumétrie des échanges concernés est relativement faible au regard des transactions sur les obligations