jeux de cartes : cœur robert lepage

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jeux de cartes : cœur robert lepage
REVUE DE PRESSE – REPRÉSENTATIONS À LA TOHU DE MONTRÉAL -­‐ JANVIER/FÉVRIER 2014 JEUX DE CARTES : CŒUR ROBERT LEPAGE La Comète -­‐ Scène nationale de Châlons-­‐en-­‐Champagne 2/18/2014 Le 4 février 2014, Christian Saint-Pierre
Quand la m agie opère
Impossible de formuler envers Coeur ne serait-ce qu’un seul des reproches adressés à Pique. Le
deuxième volet de la tétralogie de Robert Lepage est une réussite sur toute la ligne. Soyons clairs, ce
spectacle est l’occasion de renouer avec un grand créateur, celui qui nous a donné La trilogie des
dragons, celui qui pour nous émouvoir n’hésite pas un seul instant à remuer ciel et terre, à jeter des
ponts somptueux entre les époques et les continents, la comédie et la tragédie, l’art et la politique, le
trivial et le grandiose.
En effet, loin des clichés reconduits et des parallèles maladroits de la première partie, loin des
nombreux et inutiles changements de décor, la deuxième portion du cycle, substantielle, et précisonsle totalement autonome d’un point de vue narratif, s’appuie sur de bouleversantes correspondances
entre les destins de cinq générations de personnages, un procédé de télescopage temporel qui a fait
la renommée internationale de Lepage et qui opère ici de manière irrésistible.
Sur la ligne du temps, il y a quelques grandes figures, comme Jean-Eugène Robert-Houdin
l’illusionniste, Nadar le photographe et Georges Méliès l’enchanteur, mais il y a aussi des anonymes,
des hommes et des femmes que l’histoire a impitoyablement contraints à l’exil, soumis à la torture,
forcé au parjure.
En ce sens, le spectacle est un hommage senti non seulement au cinéma, au rêve et à la magie, mais
également aux victimes des conflits qui ont meurtri la France et l’Algérie à la fin du XIXe siècle et dans
les années 1960. Devant cette histoire de quête des origines, certains ne pourront s’empêcher d’établir
quelques correspondances avec l’univers de Wajdi Mouawad. L’analogie est incontestable, mais
jamais gênante.
Bien que certains comédiens aient encore un peu de peine à se mettre leur texte en bouche, ils
défendent tous avec conviction des protagonistes fort attachants. Les personnages contemporains
sont particulièrement bien campés. D’origine magrébine, né à Limoilou, élevé dans un amour manifeste
par son père et sa grand-mère (fascinante Kathryn Hunter), Chaffik (le trop rare Reda Guerinik) va tout
quitter pour faire la lumière sur le trouble passé de sa famille.
Née d’un père australien et d’une mère gatinoise (Louis Fortier, désopilant et toujours juste), dans un
milieu pour le moins conservateur, Judith (impeccable Catherine Hughes) a choisi de désobéir à ses
parents et d’enseigner le cinéma à l’Université Laval, autrement dit d’écouter son coeur.
Si tout le reste de l’histoire nous atteint, c’est d’abord et avant tout parce qu’on croit dur comme fer aux
aventures de Chaffik et Judith, parce qu’on est totalement happés par la quête de ce couple
d’amoureux qui exprime à lui seul tout le Québec du XXIe siècle. Projections, apparitions, tours de
magie et séance de torture, les rouages de la machine tournent dans le sens du récit et de l’émotion.
Rien ne semble superflu, chaque tableau a sa place, chaque image a son rôle. En somme, voilà un
rendez-vous qu’on vous souhaite ardemment.
La Comète -­‐ Scène nationale de Châlons-­‐en-­‐Champagne 2/18/2014 «Cœur», de Robert Lepage : à la rencontre de l'autre
(CRITIQUE/VIDÉO)
Le Huffington Post Québec | Par Marie-Josée Roy
Publication: 31/01/2014 13:02 EST | Mis à jour: 31/01/2014 13:02 EST
Cœur, c’est la rencontre entre deux jeunes adultes, Chaffik, un chauffeur de taxi maghrébin, et Judith, une
professeure de cinéma à l’Université Laval, native d’Ottawa. La rencontre amoureuse de ces deux êtres, campée
dans la ville de Québec. La rencontre de leurs univers respectifs, de leur culture, de leur passé. La rencontre,
houleuse, de leurs familles. Des premières paroles échangées dans le taxi de monsieur jusqu’à la scène finale, cette
notion de rencontre de l’autre, d’ouverture, d’apprivoisement, de tolérance, de respect, porte ce récit plein de lumière,
malgré des zones sombres.
L’histoire d’amour contemporaine sert de fil conducteur à cette nouvelle œuvre de Robert Lepage, deuxième volet de
la tétralogie Jeux de cartes, dont la première avait lieu à La Tohu, jeudi soir. Après la rencontre avec sa douce, Chaffik
partira sur la trace de ses origines, une aventure qui le mènera de chocs en surprises, qui lui imposera de composer
avec la bureaucratie de l’immigration, qui l’entraînera droit dans le Printemps arabe. Et qui fera dévier son destin à
jamais.
Dans Cœur, il y a aussi le magicien français Jean-Eugène Robert-Houdin, qui s’amène en Algérie dans les années
1800, envoyé par le gouvernement français, pour étaler son savoir-faire devant les Marabouts et éclipser leur
pouvoir spirituel. Ses illusions mystifiantes sont aussi une part dominante des tableaux qui se succèdent dans Cœur
et ouvrent une fenêtre sur des découvertes qui s’imposaient tout juste au siècle dernier, comme la montgolfière et
la photographie. On relie les parcours de Chaffik et de Jean-Eugène Robert- Houdin par les tensions qui ont
secoué leurs deux époques, en illustrant qu’au fond, plus ça change, plus c’est pareil.
Splendide scénographie
Mais Cœur, c’est surtout une scénographie impressionnante, envoûtante, faite de projections hyperréalistes sur une
toile qui peut se déployer à la façon d’un immense dôme ou d’une petite tente. En faisant défiler des images sur
ce fond blanc, on donne au public l’impression qu’il parcourt lui-même la route, assis dans le taxi, ou encore qu’il
regarde les extraits d’un film. Le procédé est de toute beauté.
Tous les avantages d’une scène circulaire comme celle de La Tohu sont exploités à leur plein potentiel, et certaines
trouvailles sont à couper le souffle. Des trappes s’ouvrent sur le sol pour faire apparaître et disparaître les
comédiens. Des déplacements s’effectuent avec une telle rapidité et une telle finesse que l’œil a parfois du mal à les
percevoir. On métamorphose l’espace en un lieu ou un autre en un clin d’œil. Vraiment, la mise en scène de Robert
Lepage, appuyée des éléments techniques de la compagnie Ex Machina, est splendide.
Des symboles évocateurs viennent aussi apporter une dimension silencieuse, mais puissante à l’ensemble. Par
exemple, ces personnages qui font le tour de la scène plusieurs fois en marchant à grands pas, pour signifier ces
temps qui passent, qui s’égrainent, qui n’en finissent plus, parfois.
En plus de s’extasier sur les prouesses visuelles à grand déploiement, les spectateurs rient à plusieurs reprises
pendant Cœur. On y effleure des sujets graves, mais on s’y permet quand même des références à Elvis Gratton et
au McDo. Certaines répliques balancées sans préambule sont simplement savoureuses, et des blagues toutes
légères font mouche. Les préjugés racistes qui s’échappent, quasi à la seconde, de la bouche de la maman de
Judith, sont aberrants, mais font quand même sourire, en ces temps où les «valeurs québécoises» n’ont jamais été
autant d’actualité.
Un peu long
Cœur dure 3h30, incluant un entracte de vingt minutes. Pour une prestation du genre, est-ce trop long? Oui, sans
conteste. On aurait eu avantage à resserrer certains segments, à sabrer dans des longueurs inutiles qui s’infiltrent ça
et là. À la fin de la soirée, jeudi – le spectacle s’est terminé sur le coup de minuit - les bâillements commençaient
à s’élever un peu partout dans la salle et plusieurs gigotaient sur leur siège. Ce qui n’a pas empêché la foule de se
lever d’un bond, à la tombée du rideau (de la toile?), pour acclamer les sept acteurs, qui accomplissent un formidable
boulot.
Ici et là, à l’entracte, on soufflait que Cœur avait indéniablement plus de qualités que son prédécesseur, Pique,
aussi présenté à La Tohu, deux semaines plus tôt. Il faudra patienter encore un peu avant de savoir si Trèfle et
Carreau, qui compléteront le projet, mais ne sont pas encore créés, seront à la hauteur des attentes.
Cœur est présenté à La Tohu jusqu’au 9 février. Pour informations : www.tohu.ca.
La Comète -­‐ Scène nationale de Châlons-­‐en-­‐Champagne 2/18/2014 Critique | Coeur de Robert Lepage à la Tohu
Publié le 31 janvier 2014 @ 16h07
Michèle-Andrée Lanoue
CŒUR, deuxième volet de la tétralogie Jeux de cartes, se déploie en un véritable tour
de force scénographique à la Tohu jusqu’au 9 février. Un théâtre tridimensionnel voire
sculptural où une histoire mêlant famille, politique et artistique transcende le temps et
les frontières pour se révéler tranquillement à nous. Le tout mis en scène par le maître
de la créativité scénique, Robert Lepage.
Après avoir présenté PIQUE, du 14 au 25 janvier, où le monde militaire s’associait aux machines de guerre, CŒUR est
intiment lié au monde de la magie et des illusions. Anciennement, le Cœur était la coupe, associée à la superstition et
aux systèmes de croyances.
Le grand maître du théâtre d’images offre une chorégraphie qui se déroule tantôt en France, tantôt en Algérie coloniale de
la fin du XIXe siècle, avant de bifurquer vers l’Europe des années 1960 et le Québec contemporain. Chaffik (Reda Guerinik),
jeune chauffeur de taxi maghrébin vivant à Québec, tente de faire la lumière sur le passé trouble de sa famille. Sans trop
mêler les cartes, les destins de cinq générations de personnages se croisent, se recroisent, se chevauchent avant de
se concrétiser en un point culminant. Ce rendez-vous décisif d’une durée de 3h30 avec entracte traite du passage
d’un univers ancien teinté de magie, de croyances et d’illusions à un monde moderne où le savoir et le matérialisme
règnent en maitres.
Scénographie circulaire
Le metteur en scène sans barrière appuyé des éléments techniques de la compagnie Ex Machina propose au spectateur
de plonger dans un état d’esprit où tout est possible : une expérience, voilà ce à quoi nous sommes conviés.
La mise en scène déployée en circulaire joue un rôle de premier plan dans l’aspect performatif de la création. Elle fait
d’abord référence à la table autour de laquelle on joue aux cartes. Les comédiens dont l’énergie diffère d’une
traditionnelle création en frontal, se doivent d’être créatifs sur tous les angles. Les personnages, parfois stationnaires,
pivotent lentement. Cette disposition scénographique invite à la complicité avec le spectateur. Au rythme des mouvements
du décor modulable divers éléments surgissent par l’une ou l’autre des 36 trappes.
La scène, surélevée d’un mètre, dissimule les coulisses sous celle ci. Techniciens et acteurs y fourmillent à l’intérieur. Robert
Lepage et le scénographe Jean Hazel ont conçu un plateau versatile et ingénieux qui est imprégné d’illusions. Et quel défi
que de faire de la magie en circulaire ! Un rassemblement s’impose par cette disposition : le spectateur est constamment
conscient qu’il est au théâtre. La présence du public et son énergie enrichissent l’expérience théâtral.
Un écran circulaire tombant du plafond englobe toute la scène. Puisque CŒUR se déroule parfois à Paris, à l’époque de
e
l’invention des daguerréotypes et aux débuts du cinéma, les références au 7 art et à la photographie sont nombreuses.
George Méliès et Félix Nadar, grands illusionnistes du siècle dernier, sont parties prenantes du spectacle. Diverses
images sont donc projetées sur cet immense écran renvoyant au thème récurrent du cinéma.
La configuration circulaire influe également sur les sujets abordés. Les thèmes cycliques reposent sur des chronologies.
Chaque scène propose des déplacements sans début ni fin.
Treize comédiens, tels les treize cartes d’un jeu, donnent vie à la tétralogie. Ils étaient 6 à se produire dans PIQUE.
Provenant de divers univers, divers horizons (certains sont québécois, espagnols, anglais, allemands etc.), les 7 acteurs de
COEUR sont avant tout profondément créatifs. Les personnages sont attachants, émouvants. Mais c’est véritablement
Kathryn Hunter qui se révèle et éclipse les autres. L’actrice anglaise d’origine grecque, qui a notamment joué dans Harry
Potter et l’Ordre du phénix, est captivante et d’une précision quasi chirurgicale : sans elle la pièce n’aurait pas eu le même
écho.
La rencontre de l’autre est le fil conducteur de cette création. La rencontre avec l’œuvre de Robert Lepage fascinante. Nous
sortons, la main sur le cœur.
La Comète -­‐ Scène nationale de Châlons-­‐en-­‐Champagne 2/18/2014 Mercredi, 5 février 2014
COEUR: DU GRAND ROBERT LEPAGE
Alain Clavet - LaMetropole.com
Robert Lepage, artiste multidisciplinaire, aime les défis: renouveler l’Anneau du Nibelung de Richard Wagner au Metropolitan Opera de New
York, redécouvrir l’univers de Jean Cocteau au théâtre et aujourd’hui transformer la scène de cirque de la TOHU en théâtre-cinéma où
les coulisses sont souterraines et les décors, comme tombant du ciel, se déroulent sous nos yeux d’enfants incrédules.
Fresque politique de plus de trois heures, Cœur, le deuxième volet de la tétralogie Jeux de cartes de Robert Lepage, séduit, raconte et
fait revivre l’histoire récente de l’Algérie, du Maroc, de la France et du Québec. «Agissant tel un pont
entre le Printemps des peuples et le Printemps arabe, cette pièce de la tétralogie Jeux de cartes traite du passage d’un univers ancien
teinté de magie, de croyances et d’illusions à un monde moderne où le savoir et le matérialisme règnent en maître.» (Cité du programme.)
Véritable réflexion sur notre relation avec le monde arabe, Cœur brosse par tableaux fluides nos incompréhensions, notre
méconnaissance, et nos préjugés sur la culture arabe.
Mise en scène de l’équipe d’Ex Machina, avec l’expertise du Cirque du Soleil qui tient de la prouesse technique; les scènes se
fondent et s’enchainent sous nos yeux avec une habileté à la Houdini. La haine, la vengeance alimenteront toujours le puits du
malheur des hommes. Le théâtre de Lepage contribue à l’humanisation de ces conflits par le regard de personnages dont les destins, sur cinq
générations, se déroulent sous nos yeux.
Chaffik, jeune chauffeur de taxi d’origine algérienne de la ville de Québec, est à la recherche de son passé et de son identité et
fréquente Judith, professeure de cinéma à l’Université Laval. Clin d’œil, sans doute, des Québécois, fruit de la rencontre de cultures, qui
s’épuisent d’incessantes quêtes identitaires. Une belle brochette de comédiens dont Reda Guerinik et Kathryn Hunter soutiennent
brillamment cette histoire par leur talent et leur présence. En somme, du grand Robert Lepage qui offre Jeux de cartes en quatre temps
dont Cœur: à la rencontre, représente la deuxième main. À voir et à suivre.
Cœur de Robert Lepage jusqu’au 9 février