Patron ou salarié ? Les ambiguïtés de la gérance

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Patron ou salarié ? Les ambiguïtés de la gérance
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Patron ou salarié ? Les ambiguïtés de la gérance-mandat. Source Le Monde
25-06-2007
La gérance-mandat vit des heures mouvementées. A quelques mois d'intervalle, deux arrêts contradictoires, l'un en
appel, l'autre en cassation, ont été rendus sur la nature juridique de cette relation commerciale à la frontière du droit du
travail. Largement utilisé par les chaînes d'hôtellerie et par les compagnies de téléphonie mobile - pour une gestion à
moindres coûts de leurs succursales -, ce statut concernerait plusieurs milliers de personnes en France. Mais la
multiplication des contentieux sur le caractère commercial ou salarial de la relation maintient ce contrat dans l'insécurité
juridique.
En témoigne la récente affaire Bouygues Telecom. Suite à un entretien d'"embauche", François Rubin, 44 ans aujourd'hui,
a signé en août 1999 un contrat de gérance-mandat pour la gestion d'une boutique Bouygues Telecom à La Rochelle. Le
contrat, de nature commerciale, liait le groupe de téléphonie mobile à l'entreprise de M. Rubin créée pour l'occasion.
Régie par le droit commercial, cette relation laissait, en théorie, une grande liberté au gérant-mandataire dans la
gestion de sa boutique. Rémunéré en fonction du chiffre d'affaires, M. Rubin avait à sa charge l'embauche de son
personnel, la maîtrise de son stock et devait, d'une manière générale, bénéficier d'une large autonomie par rapport au
mandant. "Tout s'est bien passé jusqu'en 2000, explique M. Rubin. Ensuite, la relation s'est détériorée. Les
commissions ont baissé, les produits que nous réclamions n'arrivaient pas. Ils géraient le stock à notre place et, de fait,
contrôlaient notre chiffre d'affaires." Deux ans plus tard, M. Rubin tombe malade et ferme son commerce durant 24
heures. En visite de contrôle, l'animateur régional de Bouygues Telecom constate la fermeture. Quelques jours plus tard,
M. Rubin reçoit une lettre recommandée lui signifiant la rupture unilatérale de son contrat de gérance-mandat. "Jusqu'à
mon "licenciement", ils se sont comportés comme des employeurs. Durant toutes ces années, ils ont maîtrisé mon
activité et contrôlé mes employés. Mon autonomie était largement fictive." Un avis partagé par le tribunal des
prud'hommes de Versailles qui, en avril 2006, décide de requalifier le contrat de gérance-mandat de M. Rubin en
contrat de travail, constatant l'existence d'un lien de subordination entre lui et Bouygues Telecom. La cour d'appel, saisie
par l'opérateur de téléphonie, a confirmé, en octobre 2006, le jugement de première instance pour M. Rubin et six
autres gérants mandataires. Au total, une soixantaine de cas sont en cours de jugement. L'enjeu pour ces gérants est
de bénéficier d'indemnités chômage et d'une couverture sociale.
Cette décision de la cour d'appel de Versailles s'inscrit dans la continuité des derniers arrêts considérés comme
faisant jurisprudence. La Cour de cassation, en novembre 2005, a ainsi censuré la cour d'appel de Montpellier, qui
refusait la requalification d'un contrat de gérance-mandat en contrat de travail pour le gérant d'un hôtel exploité sous la
marque Etap Hôtel, filiale du groupe Accor. Même décision en mai 2006 pour le groupe Galaxie, à l'encontre de 17
gérants-mandataires d'établissement exploités sous l'enseigne B & B hôtels.
Mais une construction jurisprudentielle reste par nature fragile. Contredisant la plupart des arrêts rendus jusqu'alors en
faveur d'une requalification en contrat de travail des contrats de gérance-mandat, une décision du 6 juin, rendue par la
Cour de cassation en faveur de la chaîne Etap Hôtel, filiale du groupe Accor, est venue semer le trouble chez les juristes.
S'estimant soumise à "une subordination permanente du groupe", en raison, notamment, de "directives précises quant
aux produits, aux horaires de travail et à la politique des prix", Mme Cugnez, gérante-mandataire d'un établissement
Etap Hôtel à Hérouville-Saint-Clair, dans le Calvados, s'est vu pourtant refuser la requalification de son contrat de gérancemandat en contrat de travail par la Cour de cassation. "Un cas d'espèce qui n'aura pas valeur de jurisprudence,
considère Me Masse, avocate à la cour. Pour preuve, l'arrêt n'a même pas été publié." Cette décision semble, en
effet, être un cas isolé. Sa référence à la recherche d'un lien de subordination laisse même penser à une confirmation,
a contrario, de la jurisprudence actuelle. "La cour reconnaît et confirme, dans son arrêt, le principe de la recherche d'un
lien de subordination, même si elle conclut que la cour d'appel, souveraine sur le fond, n'en a pas trouvé", souligne
pour sa part Me Michel, qui a suivi le dossier au niveau de la cour d'appel. Le groupe Accor, de son côté, n'a pas
souhaité réagir.
Face à ces hésitations jurisprudentielles, Me Michel en appelle à la loi pour "combler le vide juridique et préciser
l'autonomie et la liberté dont doit jouir le gérant-mandataire dans sa relation avec le mandant". Pour Me Ravassard, l'un
des avocats à l'origine de la bataille juridique contre ce type de contrat, "la gérance-mandat pose problème depuis ses
débuts. Créé de toutes pièces par des fiscalistes et des avocats dans les années 1980, ce statut avait comme objectif,
pour les entreprises, de faire gérer leurs succursales en dehors du droit du travail. Pas d'heures supplémentaires à
payer, pas de syndicats à gérer, et une possibilité de "licenciement" unilatéral sans aucune indemnité". Pour Didier
Cauchoix, responsable du service juridique de la CFDT, "on fait croire aux gens qu'ils sont patrons, mais on maintient
sur eux une vraie dépendance économique. Une fois à la porte, ils n'ont plus rien, ni même le fonds de commerce, qui
ne leur appartient pas". Des "salariés déguisés en patron", selon la confédération, dont la place doit rester dans le
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