Le règlement "Bruxelles I" - Institut national de la consommation
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Le règlement "Bruxelles I" - Institut national de la consommation
INC document ÉTUDE JURIDIQUE LE RÈGLEMENT “BRUXELLES I” RÈGLEMENT COMMUNAUTAIRE NO 44/2001 CONCERNANT LA COMPÉTENCE JUDICIAIRE, LA RECONNAISSANCE ET L’EXÉCUTION DES DÉCISIONS EN MATIÈRE CIVILE ET COMMERCIALE 1 En droit international privé, la compétence juridictionnelle dans les États membres de l’Union européenne (UE) est réglée par le règlement Bruxelles I, qui est venu remplacer la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 2. L’objectif est de mettre en place dans l’UE un espace de coopération judiciaire et de libre circulation des jugements dans tous les domaines (articles 61 c et 65 du Traité de l’UE). L’intérêt de transformer la convention en règlement est de rendre le nouveau texte applicable immédiatement dans les États membres, sans formalité particulière de transposition en droit interne par ceux-ci. Seuls le RoyaumeUni et le Danemark restent légèrement en marge de ce processus de communautarisation du droit judiciaire : le Traité instituant l’UE leur permet de décider ponctuellement de ne pas être associés aux nouveaux règlements. Le règlement Bruxelles I a été accepté par le Royaume-Uni, mais non par le Danemark. Tous les États de l’UE, y compris les nouveaux membres, sont donc liés par le règlement, à l’exception du Danemark (article 1.3). Il convient de préciser que la convention de Bruxelles de 1968 et la convention de Lugano de 1988 3 restent applicables dans les relations entre les États membres et les États non liés par le règlement 4. Par ailleurs, le règlement reprend en grande partie les dispositions de la convention de Bruxelles. La jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) interprétant celle-ci reste donc valable pour les articles inchangés par le règlement. QUELQUES PRINCIPES DE DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ On se situe dans la sphère du droit international privé dès lors qu’un élément d’extranéité se manifeste dans une relation juridique privée. Cet élément rendant le litige international peut être de nature variée : nationalité ou domicile des parties, lieu de conclusion ou d’exécution d’un contrat, lieu de survenance d’un dommage… À partir de là, il faut toujours raisonner en trois étapes. La première étape consiste à déterminer la compétence ————— 1 Règlement no 44/2001 du 20 décembre 2000 ; JOCE L 12, 16 janvier 2001, p. 1. 2 Sauf dans les relations entre le Danemark, non lié par le présent règlement, et les autres États membres. 3 Pendant de la convention de Bruxelles, la convention de Lugano concerne les États membres de l’Union européenne et ceux de l’Association européenne de libre-échange (AELE) – soit l’Islande, le Liechtenstein, la Norvège et la Suisse. 4 Cela signifie, pour le Danemark, que la convention de Bruxelles s’appliquera, en ce qui concerne les règles de compétence juridictionnelle, lorsque le défendeur est domicilié au Danemark ; en ce qui concerne les règles d’exequatur, la convention continuera de régir les décisions rendues ou invoquées au Danemark. INC Hebdo No 1307 12 - 18 juillet 2004 I juridictionnelle : il s’agit de savoir dans quel État le litige va être jugé (c’est le “conflit de juridictions”). On détermine seulement de manière globale l’État dont les juridictions peuvent être saisies (par exemple celles de l’État dans lequel réside le défendeur), sans encore fixer avec précision quel tribunal sera saisi (par exemple celui de la ville dans laquelle réside le défendeur). C’est à ce niveau que joue le règlement Bruxelles I en matière civile et commerciale. Pour connaître le tribunal particulier effectivement compétent, il faudra ensuite se référer aux règles procédurales internes de l’État désigné (en France, le nouveau code de procédure civile). La seconde étape est celle de recherche de la loi applicable au litige (c’est le “conflit de lois”). Il s’agit ici de déterminer quel est l’État dont la législation interne (au sens large : lois, règlements) doit être appliquée. Par exemple, si les juridictions allemandes sont compétentes, elles n’appliqueront pas forcément le droit interne allemand, mais peut-être celui d’un autre État. En matière civile et commerciale, c’est prin- cipalement la convention de Rome du 19 juin 1980 (prochainement transformée en règlement) qu’il faudra consulter pour résoudre les conflits de lois entre les États européens. La dernière étape concerne l’exécution des jugements. Il ne suffit pas qu’une décision ait été rendue dans le bon pays et selon la bonne loi ; encore faut-il qu’elle puisse faire l’objet de mesures d’exécution. Or l’exécution peut intervenir dans un autre État, notamment parce que le débiteur s’y trouve solvable. Pour éviter qu’une personne condamnée dans un État donné puisse s’abriter derrière une législation différente, le règlement Bruxelles I pose des règles simplifiées de reconnaissance et d’exécution des jugements étrangers. Le règlement Bruxelles I, en vigueur depuis le 1er mars 2002, doit aujourd’hui être appliqué pour déterminer si les tribunaux français sont compétents pour traiter d’un litige de consommation, ou s’il faut agir devant les tribunaux d’un autre État membre de l’UE. LE CHAMP D’APPLICATION DU RÈGLEMENT • Le champ d’application matériel est bien précisé : le règlement couvre les matières civile et commerciale à l’exclusion de certains contentieux déterminés (le droit des personnes et de la famille, les procédures collectives, la sécurité sociale et l’arbitrage) [article 1]. Le champ d’application matériel ne pose donc pas de difficulté : tout le contentieux relatif à la consommation au sens large entre dans le cadre du règlement (y compris le secteur locatif). • Le champ d’application territorial du règlement est plus problématique. Le texte ne prévoit aucun critère précis d’applicabilité. On relève seulement dans le préambule (considérant 8) qu’« il doit exister un lien entre les litiges couverts par le présent règlement et le territoire des États qu’il lie. Les règles communes en matière de compétence doivent donc s’appliquer en principe lorsque le défendeur est domicilié dans un de ces États membres ». Lorsque demandeur et défendeur sont tous deux domiciliés dans l’Union européenne, il ne fait aucun doute que le règlement est applicable, et cela même s’ils sont tous deux domiciliés dans le même État. Il faut donc consulter le règlement lorsque les deux parties au litige sont domiciliées en France ; il n’est pas impossible dans un tel cas que les juridictions d’un État autre que la France soient compétentes (l’élément d’extranéité pouvant être par exemple l’exécution d’un contrat ou la survenance d’un accident à l’étranger). Le problème qui se pose est surtout de savoir si le règlement est applicable quand une des parties est domiciliée dans un État tiers à l’Union européenne (par exemple aux États-Unis, en Asie…). La CJCE semble considérer que la convention (et, par extension, le règlement) s’applique dès lors que le défendeur est domicilié ou établi dans un État membre, même si le deman- deur est domicilié dans un État tiers. Elle s’appuie sur le fait que le texte consacre à l’article 2 le principe fondamental de la compétence des juridictions de l’État membre sur le territoire duquel le défendeur est domicilié ou établi (CJCE, 13 juillet 2000, Group Josi, no C-412/98 5). Mais cette interprétation est critiquée. Il est en effet difficilement concevable que le règlement communautaire ait une portée contraignante étendue à des États tiers à l’UE n’ayant pas signé le texte : il semble très probable qu’une telle décision prise dans un État membre à l’encontre d’une personne établie dans un État tiers ne serait pas reconnue par les juridictions de cet État tiers et ne pourrait donc pas y être exécutée ; elle serait donc dénuée d’effet et d’intérêt. Sur le plan théorique, le problème est que le règlement pose des règles de compétence à vocation universelle (pouvant désigner les juridictions de tout État, contractant ou non). On peut d’ailleurs remarquer que pour cette raison le règlement se concilie mal avec les tentatives actuelles d’adoption d’une convention de La Haye, à vocation universelle, sur la compétence et les jugements étrangers en matière civile et commerciale (avant-projet adopté par la conférence de La Haye de droit international privé du 30 octobre 2000 6). En attendant plus de précisions, on considérera que le règlement est applicable du moment que le défendeur est domicilié dans un État membre. Précisons que pour les personnes morales, le domicile est généralement constitué par le siège social ; mais le règlement prévoit aussi que si le litige est lié à l’exploitation d’une succursale, d’une agence ou de tout autre établissement, les tribunaux du pays dans lequel se trouve cet établissement sont également compétents (article 5.5). LA COMPÉTENCE GÉNÉRALE EN MATIÈRE CONTRACTUELLE Le règlement Bruxelles I pose le principe selon lequel sont compétents les tribunaux de l’État dans lequel est domicilié le défendeur (article 2.1), indépendamment de sa nationalité (article 2.2). Cette règle correspond au droit international commun de la plupart des États contractants dont la France (l’article 42 alinéa 1 du nouveau code de procédure civile ————— 5 L’affaire concernait un litige opposant Universal General Insurance Company (UGIC), compagnie d’assurances de droit canadien établie à Vancouver (Canada), à Group Josi Reinsurance Company SA, société de réassurance de droit belge établie à Bruxelles (Belgique), au sujet d’une somme d’argent réclamée par UGIC à Group Josi en sa qualité de partie à un traité de réassurance. 6 Voir le site de la conférence : < www.hcch.net >. II INC Hebdo No 1307 12 - 18 juillet 2004 donne compétence aux tribunaux de l’État de la résidence du défendeur). Cette compétence de principe est atténuée par diverses dérogations : il existe des règles de compétence alternatives à l’article 2 (une option est alors ouverte au demandeur) et des règles de compétence exclusives (le demandeur n’a pas le choix, l’article 2 n’est pas applicable). Ainsi, en matière contractuelle, l’article 5 constitue une compétence alternative (appelée compétence « spéciale » dans le règlement) et permet d’attraire un défendeur domicilié dans un État devant un tribunal d’un autre État. préjudice, c’est l’obligation principale parmi ces obligations litigieuses qui devra être prise en compte (CJCE, 15 janvier 1987, Shenavaï, no 266/85 9). L’article 5.1 dispose qu’en matière contractuelle le défendeur peut être attrait « devant le tribunal du lieu où l’obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée ». La difficulté est alors de déterminer le lieu d’exécution de l’obligation litigieuse. Cette localisation pose problème en raison du caractère immatériel d’une obligation (qui se distingue en cela d’une prestation). La CJCE ne donne pas de définition uniforme de ce lieu d’exécution. Le lieu est fixé par le règlement dans deux cas : pour la vente de marchandises il s’agit du « lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient dû être livrées » ; et pour la fourniture de services il s’agit du « lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis ». Les parties peuvent aussi préférer désigner conventionnellement le lieu d’exécution. Il faut préciser que la notion de matière contractuelle fait l’objet d’une interprétation autonome de la CJCE. En effet, les législations internes des États membres sont assez divergentes sur la distinction contractuel/délictuel et il est important que ces notions soient interprétées de manière uniforme pour une bonne application du règlement. La matière contractuelle suppose un « engagement librement assumé d’une partie envers une autre », ce qui selon la Cour exclut du champ contractuel l’action en garantie des vices cachés formée par le sous-acquéreur contre le vendeur d’origine, et plus généralement tous les groupes de contrats, tels que les ventes successives d’un même bien (CJCE, 17 juin 1992, Jakob Handte, no C-26/91 7). La CJCE estime en fait que l’article 5.1 étant dérogatoire (par rapport à l’article 2 de principe), il ne doit pas être appliqué de façon extensive. Le problème sera de déterminer le lieu d’exécution dans les autres cas, par exemple si les parties n’ont rien convenu et que la livraison n’a pas eu lieu. La CJCE prévoit dans ce cas que c’est au juge saisi « de déterminer, en vertu de ses règles de conflit, quelle est la loi applicable au rapport juridique en cause et de définir, conformément à cette loi, le lieu de l’obligation contractuelle litigieuse » (CJCE, 6 octobre 1976, Tessili, no 12/76 10) ; jurisprudence critiquée mais réaffirmée (CJCE, 28 septembre 1999, Groupe Concorde, no C-440/97 11). Le juge saisi doit donc d’abord rechercher la loi applicable au contrat. Ainsi, s’il s’agit de la loi allemande, le juge (par exemple français) doit consulter le droit interne allemand pour savoir en quel lieu devait être exécutée l’obligation, et ce n’est que si ce lieu est situé en France qu’il est compétent pour se prononcer sur le litige. En matière de consommation, la qualification contractuelle a pu ainsi être retenue dans une affaire de loterie publicitaire (CJCE, 11 juillet 2002, Gabriel, no C-96/00 8). Cette solution très complexe est souvent ignorée par les tribunaux des États membres, qui préfèrent le plus souvent procéder à une localisation factuelle, matérielle et directe, du lieu d’exécution ; mais cela est contraire au droit communautaire. Ce problème de détermination de l’obligation litigieuse est particulièrement important s’agissant des contrats conclus par Internet. En effet, on assiste à une dématérialisation des modes de paiement qui ne permet pas une localisation concrète. Ainsi, les prestations en ligne sont réalisées dans l’espace virtuel et n’ont pas de proximité matérielle avec le territoire d’un État particulier. Le règlement vise l’obligation qui sert de base à la demande, c’est-à-dire l’obligation litigieuse, qui peut se distinguer de l’obligation principale ou caractéristique du contrat. Il convient de prendre en compte l’obligation particulière dont l’inexécution suscite le litige. L’objectif du règlement est en effet de promouvoir la proximité entre le litige et le juge saisi. Si plusieurs obligations issues du même contrat ont été mal exécutées en des lieux différents et contribuent à un même LA COMPÉTENCE EN MATIÈRE DE CONTRATS CONCLUS PAR LES CONSOMMATEURS En raison d’un objectif affirmé de protection du consommateur, le règlement communautaire Bruxelles I a prévu un chef de compétence alternatif à celui de l’article 2, en faveur du consommateur. Il est précisé que le contrat de consommation visé est « conclu par une personne, le consommateur, pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle ». La notion de consommateur s’entend ici de façon restrictive ————— 7 Il s’agissait là d’une action en garantie intentée par le sous-acquéreur (une société française) contre le fabriquant (une société allemande). 8 Selon la CJCE, « les dispositions du règlement doivent être interprétées en ce sens que l’action juridictionnelle, par laquelle un consommateur vise à faire condamner, dans l’État contractant sur le territoire duquel il est domicilié et en application de la législation de cet État, une société de vente par correspondance, établie dans un autre État contractant, à la remise d’un gain, lorsque celle-ci lui avait adressé personnellement un envoi de nature à donner l’impression qu’un prix lui sera attribué à la condition qu’il commande des marchandises pour un montant déterminé et que ce consommateur passe effectivement une telle commande sans cependant obtenir le versement dudit gain, est de nature contractuelle au sens de l’article 13, premier alinéa, point 3, de ladite convention ». 9 Il s’agissait dans l’affaire Shenavaï du recouvrement d’honoraires d’architecte. 10 Il s’agissait d’un procès introduit en Allemagne par une entreprise allemande (Dunlop) contre une entreprise italienne (Tessili), au sujet de l’exécution d’un contrat portant sur la livraison par l’entreprise italienne de combinaisons de ski à l’entreprise allemande. 11 L’affaire Groupe Concorde traite d’un litige opposant sept compagnies d’assurances ainsi que le GIE Groupe Concorde, leur apériteur, qui a son siège à Paris, au capitaine commandant le navire de la société Pro Line Ltd, dont le siège est à Hambourg (Allemagne), et à quatre autres défendeurs, à la suite de la constatation d’avaries lors de la livraison d’un chargement de cartons de bouteilles de vin transporté par la voie maritime. INC Hebdo No 1307 12 - 18 juillet 2004 III comme la personne privée qui consomme finalement le bien vendu (CJCE, 21 juin 1978, Bertrand c/ Ott, no 15/77 12 ; CJCE, 19 janvier 1993, Shearson, no C-89/91 13). La seconde condition est relative au contrat lui-même : il doit avoir un objet déterminé par le règlement ou des liens particuliers avec l’État du domicile du consommateur. Il peut s’agir d’une vente à tempérament de biens meubles corporels, ou d’un prêt à tempérament (ou autre opération de crédit) lié au financement d’une telle vente (article 15.1 a et b). Aucune condition supplémentaire n’est alors requise. Dans tous les autres cas, le contrat doit présenter un lien particulier avec le domicile du consommateur, caractérisé par l’exercice des activités du professionnel dans l’État du consommateur, ou par le ciblage de ces activités vers l’État membre dans lequel est domicilié le consommateur. En ce qui concerne l’exercice par le professionnel de ses activités dans l’État du consommateur, il n’est pas nécessaire que le professionnel soit lui-même domicilié dans cet État. Il peut notamment être domicilié dans un État tiers à l’UE mais y exercer ses activités par le biais d’une succursale, d’une agence ou de tout autre établissement : article 15.2 (CJCE, 15 septembre 1994, Brenner, no C-318/93). Par ailleurs, le domaine d’application du règlement est élargi, par rapport à la convention de Bruxelles, par la création de cette catégorie résiduelle de contrats pour lesquels seul compte le ciblage et non la qualification juridique particulière du contrat en cause ; ainsi, les contrats de “timeshare” entrent désormais dans le domaine de l’article 15 du règlement. En revanche, il est précisé que les contrats de transport n’entrent pas dans le champ des dispositions spécifiques applicables aux consommateurs, sauf les contrats de voyage à forfait qui combinent voyage et hébergement pour un prix forfaitaire (article 15.3). Le ciblage opéré par le professionnel peut prendre des formes variées. Il s’agira par exemple d’une publicité, d’une proposition spéciale, ou de l’accomplissement des actes du contrat dans l’État où est domicilié le consommateur. Il n’est pas nécessaire que la conclusion du contrat ait lieu dans cet État. Si le contrat a été conclu à l’étranger suite aux sollicitations du consommateur à son domicile par le professionnel, il s’agit bien d’un contrat de consommation au sens du règlement. Il est possible de considérer que la publicité et les appels d’offres faits sur Internet, notamment par courrier électronique, peuvent répondre aux conditions de ciblage du règlement, par exemple par l’utilisation d’une langue ou d’une monnaie particulière adaptée au public visé. Quand le contrat est ainsi qualifié de contrat de consommation et que le consommateur est demandeur à l’instance, il peut saisir au choix les tribunaux de l’État dans lequel est domicilié le professionnel défendeur (cela correspond à la compétence de principe de l’article 2 du règlement), ou les tribunaux de l’État dans lequel il est lui-même domicilié (article 16.1). Ainsi, le consommateur n’a pas besoin d’aller devant les juridictions d’un autre État pour faire valoir ses droits ; il peut agir chez lui quel que soit le lieu d’établissement de son cocontractant. Cette option est conforme aux exigences d’accès à la justice exprimées par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) : lorsque l’enjeu du litige est peu élevé, comme c’est souvent le cas en matière de consommation, il serait inopportun d’exiger du consommateur qu’il engage des frais considérables pour mener son action à l’étranger 14. Cette compétence alternative n’est ouverte qu’au profit du consommateur. Le professionnel demandeur à l’instance ne bénéficie quant à lui d’aucune option : il ne peut attraire le consommateur que devant les tribunaux de l’État dans lequel est domicilié le consommateur, conformément à la compétence de principe de l’article 2 du règlement (article 16.2). Il pourra cependant agir devant les tribunaux de l’État dans lequel il est lui-même établi s’il s’agit d’un chef de compétence dérivée (par exemple s’il forme une demande reconventionnelle suite à l’action du consommateur) [article 16.3]. LA COMPÉTENCE EN MATIÈRE DE CONTRATS D’ASSURANCES On retrouve cette possibilité de compétence alternative en matière d’assurances, au profit de l’assuré. Le preneur d’assurance, l’assuré, le bénéficiaire (article 9), ou la victime en cas d’action directe (article 11.2), peut lorsqu’il est demandeur agir à son choix devant les tribunaux de l’État dans lequel est domicilié l’assureur, ou devant les tribunaux de l’État dans lequel il est lui-même domicilié (article 9.1 a et b). En cas d’action contre un coassureur, le demandeur peut aussi agir devant le tribunal saisi de l’action contre l’apériteur de l’assurance (article 9.1 c). Le règlement précise ici que si l’assureur est domicilié dans un État tiers à l’UE, une succursale, une agence ou tout autre établissement de l’assureur dans un État membre est suffisant pour agir dans cet État membre (article 9.2). Une autre option est ouverte s’il s’agit d’une assurance de responsabilité ou d’une assurance portant sur des immeubles : l’assuré peut alors agir devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit. Par souci de rassemblement du contentieux, l’assuré peut également agir devant cette juridiction pour les meubles couverts par la même police et atteints par le même dommage que l’immeuble considéré (article 10). De même, lorsqu’une victime agit dans un État contre l’assuré, l’assureur peut être attrait devant les juridictions de ce même État (article 11.1). En revanche, l’assureur ne peut agir que devant les tribunaux de l’État dans lequel le défendeur (assuré…) est domicilié, sauf en cas d’action reconventionnelle (article 12). ————— 12 L’affaire Bertrand c/ Ott concernait un problème de vente à tempérament d’objets mobiliers corporels. La Cour en donne une interprétation autonome pour assurer l’application uniforme du droit communautaire, et précise que le privilège juridictionnel prévu par le règlement doit être réservé aux acheteurs ayant besoin de protection, leur position économique étant caractérisée par leur faiblesse vis-à-vis des vendeurs du fait qu’ils sont des consommateurs finals à caractère privé. 13 Dans cette affaire, une action en recouvrement de créances avait été engagée à l’encontre de Hutton Inc. (société new-yorkaise), non pas par le particulier cocontractant de Hutton Inc. mais par une société allemande, cessionnaire des droits de ce particulier. Selon la Cour, il résulte du libellé et de la fonction des dispositions particulières au consommateur que celles-ci ne visent que le consommateur final privé, non engagé dans des activités commerciales ou professionnelles ; elles étaient donc inapplicables en l’espèce. 14 Selon la jurisprudence, ce régime particulier « est inspiré par le souci de protéger le consommateur en tant que partie au contrat réputée économiquement plus faible et juridiquement moins expérimentée que son cocontractant, […] dès lors, cette partie ne doit pas être découragée d’agir en justice en se voyant obligée de porter l’action devant les juridictions de l’État sur le territoire duquel son cocontractant a son domicile » (CJCE, 19 janvier 1993, Shearson, no C-89/91). IV INC Hebdo No 1307 12 - 18 juillet 2004 LA COMPÉTENCE EN MATIÈRE DÉLICTUELLE L’article 5.3 du règlement Bruxelles I instaure également une compétence alternative en matière délictuelle ou quasidélictuelle. Il est alors possible d’agir non seulement devant les tribunaux de l’État dans lequel est domicilié le défendeur, mais aussi « devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire ». L’objectif est ici de donner compétence à un tribunal ayant des liens étroits avec l’affaire. On peut remarquer d’emblée que le règlement vise tant les actions en réparation que les actions préventives. En cas d’action préventive, il faudra au minimum que le dommage que l’on entend éviter soit suffisamment déterminé pour être déjà localisable. Pour assurer une application uniforme du règlement, la CJCE donne une interprétation autonome de la matière délictuelle (comme elle le fait en matière contractuelle). Il s’agit d’une catégorie résiduelle dans laquelle entre « toute demande qui vise à mettre en jeu la responsabilité du défendeur, et qui ne se rattache pas à la matière contractuelle » (CJCE, 27 septembre 1988, Kalfélis, no 189/87 ; réaffirmé par CJCE, 27 octobre 1998, réunion européenne, no C-51/97). La définition posée ne permet pas de conclure à une bipolarisation absolue avec matière contractuelle d’un côté et matière délictuelle de l’autre. Certaines questions semblent ne relever ni de l’une ni de l’autre, comme par exemple l’action du sous-acquéreur contre le fabriquant dans une chaîne de contrats (CJCE, 17 juin 1992, Jakob Handte, no C-26/91) ; dans un tel cas, on retourne au chef de compétence de principe posé par l’article 2 du règlement, les tribunaux de l’État dans lequel est domicilié ou établi le défendeur. L’action préventive d’une association de consommateurs visant à faire supprimer des clauses abusives par un commerçant a par exemple été qualifiée de délictuelle par la CJCE (CJCE, 1er octobre 2002, Henkel, no C-167/00 15). (Il convient de remarquer que les solutions dégagées par la CJCE pour la détermination des juridictions compétentes n’ont pas d’incidence sur la qualification qui sera ensuite retenue par le juge compétent pour déterminer la loi applicable au litige. Ainsi, il est possible qu’un juge compétent en application de l’article 5.3 du règlement qualifie ensuite de contractuelle la relation des parties, et applique la loi du contrat.) Quand on se trouve bien en présence d’une matière délictuelle au sens du règlement, il faut pouvoir déterminer le lieu où le fait dommageable s’est produit. L’expression de fait dommageable est ambiguë en cas de dissociation entre fait générateur et dommage. La jurisprudence relève qu’en pareil cas le lieu du fait générateur et celui de survenance du dommage sont tous deux significatifs : l’option pour le lieu de réalisation matérielle du dommage permet au demandeur de saisir une juridiction autre que celle du domicile du défendeur (qui correspond en effet souvent au lieu du fait générateur), et l’option pour le lieu du fait générateur permet dans certains cas de saisir une juridiction très proche du litige (important pour les questions de preuve…). Par conséquent la CJCE a décidé que « l’expression “lieu où le fait dommageable s’est produit” doit être entendue en ce sens qu’elle vise à la fois le lieu où le dommage est survenu et le lieu de l’événement causal » (CJCE, 30 novembre 1976, Mines de potasse d’Alsace, no 21/76 dans une affaire de pollution transfrontalière 16). (On retrouve ici la même solution que celle du droit français : l’article 46 du NCPC donne compétence au tribunal du fait dommageable ou à celui dans le ressort duquel le dommage a été subi.) L’option de compétence ainsi ouverte par le règlement n’est soumise à aucune condition : le demandeur n’a pas besoin de montrer que la juridiction qu’il saisit est liée de manière plus étroite avec le litige que celle qu’il aurait pu saisir en vertu de l’autre branche de l’option (Cass. civ. 1re, 8 janvier 1991 ; Bull. civ. I, no 6). Un autre problème est de savoir quel lieu retenir comme fondement de la compétence lorsque le dommage se prolonge dans le temps et se déplace dans l’espace. La jurisprudence “Mines de potasse d’Alsace” évoquée précédemment ne s’applique qu’aux cas dans lesquels il y a immédiatement dissociation entre le lieu du fait générateur et celui de la survenance du dommage, comme en matière de pollution d’un cours d’eau. Cette option n’est pas ouverte aux cas dans lesquels la victime subit à son domicile les suites d’un dommage initialement survenu au lieu du fait générateur (par exemple dans le cas où la victime d’un accident grave survenu le 3 janvier en Allemagne rentre chez elle en France et continue à y souffrir de ses blessures jusqu’au mois d’avril). Dans ce cas, la victime directe qui souhaite invoquer un préjudice indirect doit agir au lieu du dommage initial (CJCE, 19 septembre 1995, Marinari, no C-364/93 17). En fait, le règlement ne vise pas à protéger systématiquement la victime en tant que partie faible, mais simplement à promouvoir la compétence d’un tribunal apte à appréhender au mieux les faits de l’espèce en raison de sa proximité. (On retrouve là encore la même solution qu’en droit français : la compétence du tribunal dans le ressort duquel le dommage « a été subi ».) Il faut ensuite évoquer le cas de la victime par ricochet, c’està-dire la victime indirecte du dommage. Elle peut bénéficier de l’option offerte par l’article 5.3 entre les juridictions de l’État du domicile du défendeur et celles du lieu où le fait dommageable s’est produit (CJCE, 11 janvier 1990, Dumez France, no C-220/88). Mais si elle opte pour la compétence tirée de la localisation du fait dommageable, elle ne pourra saisir que le tribunal du lieu « où le fait causal engageant la responsabilité délictuelle ou quasidélictuelle a produit directement ses effets dommageables à l’égard de celui qui en est la victime immédiate », c’est-à-dire qu’elle devra agir devant le même tribunal que la victime directe, pour éviter une dispersion du contentieux. Il existe par ailleurs certains délits dits complexes, particulièrement difficiles à localiser. Il s’agit particulièrement des délits commis par voie de presse, radio ou télévision. Dans ces hypothèses, la difficulté vient du fait que le dommage résultant d’un ou plusieurs faits générateurs va se réaliser simultanément dans plusieurs pays. Ainsi, en cas de diffamation ou d’atteinte à la vie privée, on peut se demander à la fois quel lieu retenir pour le fait générateur (celui de l’édition ou ceux de la diffusion ?), et quel lieu retenir pour la survenance du dommage (domicile de la victime ou lieux de diffusion ?). ————— 15 « Une action juridictionnelle préventive, introduite par une association de protection des consommateurs en vue de faire interdire l’utilisation par un commerçant de clauses jugées abusives dans des contrats avec des particuliers, est de nature délictuelle ou quasi délictuelle au sens de l’article 5, point 3, de ladite convention. » Il s’agissait en l’espèce d’un commerçant allemand qui organisait des excursions publicitaires, en Autriche notamment. 16 Il s’agissait d’une affaire de pollution des eaux du Rhin par une exploitation française de mines de potasse : la teneur en sel excessive portait notamment préjudice à une société horticole néerlandaise utilisant les eaux du fleuve pour l’irrigation de ses cultures. 17 Cette affaire concernait le préjudice patrimonial du client d’une banque, préjudice consécutif à un dommage initial survenu et subi dans un autre État contractant. INC Hebdo No 1307 12 - 18 juillet 2004 V La jurisprudence a posé une solution en matière de diffamation par voie de presse. La CJCE considère que la victime dispose d’une option : elle peut agir soit dans l’État du lieu d’édition (qui se confond souvent avec l’État dans lequel est domicilié le défendeur), soit dans chaque État dans lequel il y a eu diffusion et où le demandeur s’estime victime d’une atteinte à sa réputation. Mais alors que le tribunal du lieu de l’événement causal (lieu d’édition) est compétent pour se prononcer sur l’intégralité du dommage, les tribunaux des différents lieux de diffusion ne seront chacun compétent que pour se prononcer sur le dommage local (CJCE, 7 mars 1995, Fiona Shevill, no C-68/93 18). On trouve les mêmes difficultés de localisation dans le cadre de l’économie numérique, celle-ci permettant la multiplication et la dispersion géographique des victimes potentielles. Le lieu de l’événement causal est ici celui de l’acte de chargement du message dommageable sur Internet (par exemple le lieu d’expédition d’un courriel). Mais ce lieu, quand on parvient à le déterminer, peut être fortuit (il peut émaner d’un ordinateur portable, le lieu de situation de l’ordinateur n’étant donc pas un élément stable et fiable), multiple (envois simultanés), ou correspondre à un paradis réglementaire choisi par l’auteur du dommage. En outre, il va souvent correspondre au domicile du défendeur et donner compétence à une juridiction très éloignée géographiquement et culturellement du demandeur victime, lui ôtant en pratique tout accès à la justice. Reste alors la possibilité d’agir au lieu de survenance du dommage ; cette compétence restant selon la jurisprudence Shevill limitée au préjudice qui s’est matérialisé sur le territoire du juge saisi. Ce fractionnement de la compétence apparaît inopportun en matière d’économie numérique dans la mesure où les réseaux ouvrent la voie aux marchés mondiaux. Le dommage initial survient partout où l’on peut accéder aux informations circulant sur le Net, c’est-à-dire partout dans le monde. Si l’on retient donc la faculté pour le demandeur d’agir devant les tribunaux du lieu de survenance du fait dommageable, on lui ouvre une très large faculté d’option juridictionnelle ; mais on peut alors s’interroger sur le bien-fondé de ce chef de compétence illimité vis-à-vis du défendeur. Finalement, les seuls éléments stables que l’on pourrait retenir en la matière sont le domicile de la victime et l’établissement matériel du défendeur (locaux), et il serait sans doute opportun de mettre en avant ces deux chefs de compétence alternatifs. Le lieu de situation des ordinateurs a pu aussi être proposé, mais il ne constitue pas un élément stable puisqu’il peut s’agir d’ordinateurs portables. Une autre solution serait de mettre en œuvre une juridiction internationale spécialisée dans ce type de contentieux 19. Mais pour l’instant la question n’est réglée ni par le règlement ni par la jurisprudence de façon claire et satisfaisante. LE CHOIX DES JURIDICTIONS COMPÉTENTES PAR LES PARTIES Le règlement communautaire permet aux parties de choisir elles-mêmes dans quel État membre sera jugé leur litige, en se mettant d’accord sur une « prorogation de compétence » (article 23). Une telle clause attributive de juridiction n’est pas toujours possible : d’une part, certains critères permettent de dire si la prorogation de compétence est admissible dans son principe ; d’autre part, les conditions de validité de l’acte juridique de prorogation varient selon la matière considérée (contrat, consommation, assurance). De manière générale, trois critères sont retenus pour que la clause soit admissible dans son principe : le domicile des parties, l’État dont les juridictions sont désignées et le caractère international du litige. D’abord, il faut qu’au moins une partie ait son domicile dans un État communautaire. Elles peuvent d’ailleurs être toutes deux domiciliées dans l’UE, dans le même État ou dans des États différents. Il est aussi possible qu’aucune partie ne soit domiciliée dans l’UE ; la clause de choix sera alors valable mais aura des effets plus limités. Il convient dans tous les cas de prendre en compte le domicile des parties au jour de la conclusion de la clause attributive de compétence, et non au jour où le juge statue sur sa compétence. En effet, la prorogation volontaire de compétence répond à un souci de prévisibilité ; son application ne doit pas dépendre des changements éventuels de domicile des parties. D’autre part, la clause peut désigner un tribunal précis ou plus généralement les juridictions d’un État communautaire. Les parties disposent d’une grande liberté de choix : elles peuvent ainsi attribuer compétence à des tribunaux qui ne l’auraient pas en vertu de dispositions générales ou spéciales du règlement, ou exclure celle de tribunaux qui seraient normalement compétents en vertu de ces règles (CJCE, 24 juin 1986, Anterist, no 22/85). Elles peuvent notamment s’accorder sur une attribution réciproque de compétence, en prévoyant qu’en cas de litige la partie ‘A’ demandeur saisirait le tribunal ‘x’, alors que la partie ‘B’ saisirait le tribunal ‘y’ si elle était en position de demandeur (CJCE, 9 novembre 1978, Meeth c/ Glacetal, no 23/78). En revanche, une clause donnant toute liberté à une des parties pour désigner le tribunal compétent n’entre pas dans le cadre du règlement (CA Paris, 5 juillet 1989 20). Enfin, le litige doit présenter un caractère international. Cette condition n’est pas exigée par le texte du règlement, et il n’y a pas de jurisprudence particulière sur ce point. Mais il semble que la doctrine juridique s’accorde pour dire que la seule désignation d’un tribunal étranger serait insuffisante pour justifier l’application du règlement en l’absence de tout autre élément d’extranéité. La validité de l’acte juridique prorogeant la compétence sera ensuite examinée de façon différente selon la matière ————— 18 Il s’agissait d’un litige opposant Mme Fiona Shevill, ressortissante britannique domiciliée en Angleterre, ainsi que les sociétés Chequepoint SARL, Ixora Trading Inc. et Chequepoint International Limited, d’une part, et Presse Alliance SA, société de droit français établie à Paris, d’autre part, à propos de la détermination des juridictions compétentes pour connaître d’une action en réparation du préjudice résultant de la publication d’un article de presse diffamatoire publié dans France soir. L’article suggérait que les plaignantes faisaient partie d’un réseau de trafic de drogue pour lequel elles avaient effectué des opérations de blanchiment d’argent. La Cour décide que « la victime peut intenter contre l’éditeur une action en réparation soit devant les juridictions de l’État contractant du lieu d’établissement de l’éditeur de la publication diffamatoire, compétentes pour réparer l’intégralité des dommages résultant de la diffamation, soit devant les juridictions de chaque État contractant dans lequel la publication a été diffusée et où la victime prétend avoir subi une atteinte à sa réputation, compétentes pour connaître des seuls dommages causés dans l’État de la juridiction saisie ». 19 Voir sur ce point un article de Gérard Chabot : “La cyberjustice : réalité ou fiction”, D. 2003, chron., 2322. 20 JDI 1990, p. 152. VI INC Hebdo No 1307 12 - 18 juillet 2004 concernée. Le règlement pose des conditions de forme extrêmement précises afin d’assurer la protection du consentement des parties. En matière contractuelle, la clause peut prendre quatre formes différentes. (On peut remarquer qu’en matière délictuelle, les parties pourraient aussi s’accorder sur la compétence, mais en pratique un tel accord ne pourrait intervenir qu’après la naissance du litige, or il est alors rarissime que les parties se mettent d’accord, même sur la compétence ; en ce cas, il faudrait respecter les dispositions évoquées ici.) Elle peut d’abord consister en un écrit signé par les deux parties, qu’il soit inséré dans le contrat principal ou qu’il constitue un acte séparé. Il se peut que le contrat principal renvoie expressément à des conditions générales mentionnant précisément la prorogation de compétence (CJCE, 14 décembre 1976, Estasis Salotti, no 24/76). Le règlement prévoit en outre que la clause est considérée comme écrite quand elle est transmise « par voie électronique qui permet de consigner durablement la convention », autrement dit dès lors qu’elle peut être tirée sur papier ou conservée sur un support informatique durable (article 23.2). Il semble que le tirage papier ou la conservation effective ne soit pas une condition de validité mais de preuve. Il peut y avoir prorogation tacite si les parties continuent à appliquer un contrat expiré contenant une clause expresse (CJCE, 11 novembre 1986, Iveco Fiat, no 313/85). La prorogation de compétence peut aussi prendre la forme d’une convention verbale confirmée par écrit. L’accord doit porter spécialement sur la prorogation, mais il suffit qu’une partie la confirme par écrit (CJCE, 19 juin 1984, Tilly Russ, no 71/83). La clause peut également revêtir une forme conforme aux habitudes contractuelles que les parties ont établies entre elles. Enfin, dans le commerce international, la clause peut prendre une forme admise par un usage bien établi dans la branche considérée ; il y a alors une présomption de consentement des parties à la prorogation de compétence. Les règles sont différentes en matière de contrats conclus par les consommateurs. Le règlement prévoit que les règles de compétences déterminées par l’article 16 ne peuvent être contournées que par trois types d’accords (article 17). Il peut s’agir de conventions postérieures à la naissance du différend, car dans ce cas le consommateur aura pleinement conscience de ce à quoi il s’engage. Il peut aussi s’agir d’une convention avant tout litige, mais dans ce cas elle ne doit pas limiter les chefs de compétence ouverts au consommateur par le règlement, ni augmenter les options du professionnel : la convention n’est valable que si elle permet au consommateur de saisir d’autres tribunaux que ceux qui sont normalement prévus. Enfin, la convention sur la compétence, passée entre un consommateur et un professionnel ayant leur domicile ou leur résidence habituelle dans le même État membre au moment de la conclusion du contrat, est valable si elle donne compétence aux juridictions de cet État et que la loi locale admet les clauses attributives de compétence en matière de consommation. Les clauses attributives de juridiction qui ne correspondent pas à ces critères peuvent être qualifiées de clauses abusives, comme l’a relevé la CJCE dans une affaire où le contrat de consommation examiné était un contrat d’adhésion (non négocié) contenant une clause très avantageuse pour le professionnel (CJCE, 27 juin 2000, Océano, no C-240/98 21). (On peut remarquer qu’il s’agit de la solution adoptée en droit interne français. L’article 48 du NCPC prévoit en effet que « toute clause qui, directement ou indirectement, déroge aux règles de compétence territoriale est réputée non écrite à moins qu’elle n’ait été convenue entre des personnes ayant toutes contracté en qualité de commerçant et qu’elle n’ait été spécifiée de façon très apparente dans l’engagement de la partie à qui elle est opposée ».) On trouve le même genre de restrictions en matière d’assurances, de façon à protéger le preneur d’assurance (articles 13 et 14). La convention sur la compétence doit être postérieure à la naissance du différend, ou ouvrir de nouvelles options au preneur d’assurance, ou attribuer compétence aux tribunaux de l’État d’établissement des deux parties (article 13.1 à 13.3). Elle peut également être conclue par un preneur d’assurance domicilié dans un État tiers à l’UE (article 13.4). Elle peut enfin concerner certains risques particuliers dont la liste est établie par le règlement (dommages aux navires et aéronefs, à l’exclusion notamment des dommages corporels aux passagers) [articles 13.5 et 14]. LES COMPÉTENCES EXCLUSIVES À côté des compétences générales et alternatives, pouvant faire l’objet de prorogation, il existe quelques compétences exclusives qui s’appliquent de manière impérative et ne sont susceptibles d’aucune dérogation (article 22). Le domicile des parties n’est pas du tout pris en compte ici. Il s’agit surtout de la matière immobilière. Sont compétents pour les droits réels immobiliers et pour les baux immobiliers les tribunaux de l’État membre dans lequel est situé l’immeuble qui en fait l’objet. Ainsi, en matière de location saisonnière, relèvent de la compétence exclusive des tribunaux de l’État où est situé l’immeuble tous les litiges concernant les obligations respectives du bailleur et du locataire découlant du contrat de bail, et en particulier ceux qui portent sur l’existence ou l’interprétation des baux, leur durée, la restitution de la possession de l’immeuble au bailleur, la réparation de dégâts causés par le locataire, ou le recouvrement du loyer et des autres frais accessoires à payer par le locataire, tels les frais de consommation d’eau, de gaz et d’électricité. En revanche, des litiges qui ne se rapportent qu’indirectement à l’usage de la propriété louée, tels ceux concernant la perte du bénéfice des vacances et les frais de voyage, ne relèvent pas de cette compétence exclusive (CJCE, 15 janvier 1985, Rösler, no 241/83 22). ————— 21 Il s’agissait de litiges opposant, d’une part, Océano Grupo Editorial SA à Mme Murciano Quintero et, d’autre part, Salvat Editores SA à des particuliers espagnols, au sujet du paiement de sommes dues en exécution de contrats de vente à tempérament d’encyclopédies conclus entre lesdites sociétés et les défendeurs, tous domiciliés en Espagne. Ces contrats comportaient une clause attribuant compétence aux juridictions de Barcelone, ville dans laquelle aucun des consommateurs n’est domicilié mais où se trouve le siège des sociétés demanderesses. La Cour a statué au regard de la directive 93/13/CEE du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives. 22 Il s’agissait de la location d’une maison de vacances située en Italie, le contrat de bail prévoyant que tout litige éventuel serait réglé en Allemagne. INC Hebdo No 1307 12 - 18 juillet 2004 VII Il existe seulement une atténuation en matière de location saisonnière : si le locataire personne physique est domicilié dans le même État membre que le propriétaire, les juridictions de cet État sont également compétentes pour traiter du litige (article 22.1). Cette compétence exclusive en matière immobilière ne s’étend pas aux contrats de voyage à forfait, proposant pour un prix global le voyage et l’hébergement, car ceux-ci n’ont pas pour objet principal un bail ; ils portent sur un ensemble complexe de prestations de services (CJCE, 26 février 1992, Hacker, no C-280/90 23). On peut également évoquer la compétence exclusive des tribunaux de l’État membre du lieu d’exécution en matière d’exécution des décisions de justice (article 22.5). LA RECONNAISSANCE ET L’EXÉCUTION DES JUGEMENTS DANS L’ESPACE EUROPÉEN Le règlement établit un régime libéral uniforme de circulation des jugements dans l’UE. Il s’applique à toutes les décisions rendues par les juridictions des États membres, dans les matières civiles et commerciales couvertes par le règlement ; non seulement les décisions pour lesquelles la compétence a été déterminée conformément au règlement, mais également les décisions rendues en vertu des autres règles de compétences applicables dans chaque État membre, même dans le cas d’un litige interne. Il prévoit un principe de reconnaissance de plein droit des décisions, c’est-à-dire qu’il n’est pas nécessaire d’accomplir une procédure particulière pour pouvoir se prévaloir d’une décision judiciaire rendue dans un État membre (article 33.1). Ce n’est qu’en cas de contestation de la reconnaissance par une des parties que la décision sera examinée. Les motifs de non-reconnaissance sont limitativement énumérés par le règlement. Il s’agit d’une part de la contrariété de la décision avec l’ordre public international de l’État requis (article 34.1) ; l’ordre public est ici limité aux seuls principes fondamentaux, tels que l’équité procédurale. Pour que ce motif de non-reconnaissance reste exceptionnel, la CJCE en contrôle elle-même les contours (CJCE, 28 mars 2000, Krombach, no C-7/98 24). Il s’agit d’autre part du défaut de loyauté dans l’assignation dans le cas des procédures par défaut, c’est-à-dire que le principe du contradictoire n’a pas été bien respecté lors du jugement (article 34.2). Il s’agit enfin du caractère inconciliable de la décision avec une décision déjà rendue dans l’État requis ou un autre État membre et présentant les conditions de la reconnaissance (article 34.3 et 34.4). Il serait en effet absurde de reconnaître deux décisions contradictoires dans une même affaire ; l’exécution en deviendrait impossible et les décisions seraient donc toutes deux inefficaces. On retrouve le même régime pour l’exécution des décisions : l’exequatur est accordé par principe (article 41), et ce n’est qu’en cas de contestation que le juge de l’État requis examinera vraiment la décision selon une procédure contradictoire (article 43). Les motifs de refus de l’exequatur sont les mêmes que ceux de non-reconnaissance (article 45). Dans tous les cas, le juge saisi de la demande relative à la reconnaissance ou l’exécution ne peut jamais procéder à une révision au fond de la décision examinée. Il ne peut que l’accueillir ou la rejeter de façon globale (articles 36 et 45.2). Anaïs Pétiaud, auditrice de justice Sources : • Gaudemet-Tallon Hélène, “Compétence et exécution des jugements en Europe : règlement no 44/2001”, LGDJ 2002. • Tous les arrêts de la CJCE cités sont disponibles sur le site < www.curia.eu.int >, à la rubrique Jurisprudence. ————— 23 Il s’agissait d’un litige opposant Mme Hacker, domiciliée en Allemagne, à Euro-Relais GmbH, organisateur professionnel de voyages faisant de la publicité par voie de prospectus et ayant son siège en Allemagne. Le litige portait sur un contrat intitulé "contrat de bail" et conclu en Allemagne. Le contrat visait à procurer à Mme Hacker, pour quelques semaines, l’usage d’un logement de vacances situé aux Pays-Bas, n’appartenant pas à l’organisateur de voyages, ainsi qu’à assurer la réservation du voyage. Selon la Cour, un tel contrat complexe portant sur un ensemble de prestations de services fournies contre un prix global payé par le client se situe en dehors du domaine dans lequel le principe de la compétence exclusive trouve sa raison d’être et ne saurait constituer un contrat de bail proprement dit relevant de cette disposition du texte communautaire. 24 Pour la CJCE, le recours à la notion d’ordre public n’est concevable que dans l’hypothèse où la reconnaissance (ou l’exécution) de la décision rendue dans un autre État contractant heurterait de manière inacceptable l’ordre juridique de l’État requis, en tant qu’elle porterait atteinte à un principe fondamental. Ainsi, le refus de reconnaissance, fondé sur l’impossibilité pour l’auteur d’une infraction involontaire de se faire défendre par un avocat sans être personnellement présent au jugement, a été considéré comme une application valable de l’exception d’ordre public international, dans la mesure où la CEDH elle-même protège les droits de la défense comme des droits fondamentaux. VIII Institut national de la consommation 80, rue Lecourbe – 75015 Paris – <www.conso.net>