Comment évaluer la convention de Lomé

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Comment évaluer la convention de Lomé
Comment évaluer la convention de Lomé ?
Jean BOSSUYT et Stéphane EARD
ECDPM - Maastricht
(Centre européen de gestion de politiques de développement)
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Évaluer la convention de Lomé : une tâche ardue
Commençons par un constat surprenant : après vingt ans d’existence, il est impossible
de dresser un bilan même incomplet de l’impact réel de la convention de Lomé dans les
différents pays et régions ACP. Certes, le travail de coopération ne se prête pas aisément à des
évaluations permettant de ‘mesurer’ objectivement les résultats sur le terrain, voire à établir
des liens de cause à effet entre le progrès (ou déclin) en matière de développement et l’aide
extérieure. Il est vrai qu’on ne dispose pas de bilans exhaustifs sur l’effet des autres formes de
coopération (par exemple, la coopération par le biais d’ONG). En outre, il faut reconnaître
que la Commission (DG VIII) a fait des efforts considérables ces dernières années, pour
améliorer les systèmes d’évaluation (tant sur le plan quantitatif que qualitatif79). Mais il n’en
demeure pas moins que la coopération européenne sous Lomé manque cruellement
d’évaluations globales, sophistiquées et détaillées.
Comment expliquer l’existence de cette ‘nébuleuse’ en ce qui concerne les résultats de Lomé?
Plusieurs facteurs peuvent être retenus :
- Rhétorique. La convention de Lomé connaît des ‘défenseurs’ et des ‘détracteurs’. Le
premier groupe a tendance à sacraliser la convention de Lomé comme un instrument unique,
couvrant la plupart des domaines de coopération (commerce et aide) et présentant une
approche différente de la coopération (fondée sur la contractualité et le partenariat). Le
deuxième groupe constate que Lomé n’a pu freiner le déclin économique des pays ACP.
Selon eux, la convention n’offre rien d’autre qu’un ballon d’oxygène financier aux pays ACP
démunis, ou pire encore, une ‘rente’ (ou des allocations automatiques) à des régimes peu
crédibles, sans lien évident avec leur performance. Les deux camps s’affrontent souvent d’une
façon manichéenne, faisant passer les assertions idéologiques pour des faits ou tablant sur une
polarisation Nord-Sud.
- Complexité. Le choix explicite de Lomé pour un ‘partenariat entre égaux’, ainsi que la
grande diversité des pays ACP, domaines d’interventions et des instruments, ne facilite pas la
production des évaluations globales sur les incidences de la convention, voire des analyses
comparatives entre pays ACP (performants et moins performants).
- Ciblage limité. L’Unité d’évaluation de la DG VIII peut certes se prévaloir d’avoir exécuté
un grand nombre d’évaluations. Mais en général, ces évaluations s’intéressent essentiellement
à des projets individuels (plutôt qu’aux politiques, stratégies d’ensemble, résultats des
79
Pour l’évaluation de ses projets et programmes, la Commission applique des critères globalement identiques à ceux définis par le Comité
d’Aide au Développement de l’OCDE (« Principes pour une aide efficace »). Ils correspondent à la terminologie du cadre logique.
* Pertinence : corrélation problèmes à résoudre/objectifs du programme
* Efficience : relation entre activités entreprises et résultats obtenus
* Efficacité : relation résultats obtenus et objectifs du projet (programme)
* Impact : relation objectifs spécifiques et objectifs généraux du développement (pour le pays et ceux fixés par
le traité sur l’UE)
* Viabilité : caractère durable des résultats obtenus.
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différents instruments de Lomé, performances par pays, etc...). Ces évaluations ont également
tendance à ne considérer que le bénéficiaire des opérations (en évitant la transparence et la
réflexion sur les problèmes du bailleur de fonds).
- Manque de systématisation. On peut se poser des questions sur l’utilisation concrète du
matériel d’évaluation produit par la DG VIII. Contrairement à la Banque mondiale et certains
bailleurs de fonds bilatéraux (par exemple les Pays-Bas), la Commission ne dispose pas d’un
département d’évaluation indépendant, pouvant assurer la systématisation des leçons
d’expérience et un suivi effectif au niveau de l’institution. Les autres acteurs communautaires
(par exemple, le Conseil des ministres, le Parlement européen ou la Cour des comptes) ont
des rôles plus limités en matière de contrôle et évaluation et ne parviennent pas à combler ces
lacunes.
...
mais vitale dans le contexte d’un réexamen en profondeur de Lomé
Il est désormais admis que Lomé IV est « la dernière convention telle que nous la
connaissons » (Commissaire Pinheiro, Assemblée paritaire, Dakar 1995). En novembre 1996,
la Commission sortira un ‘Livre Vert’, qui vise à ouvrir un débat sur les grandes options de
renouvellement de la coopération européenne-ACP.
Dans ce contexte, l’absence relative de données et de preuves tangibles de l’efficacité
de Lomé et de ses différents instruments, risque d’hypothéquer le dialogue entre les parties en
présence et la recherche d’un consensus quant aux changements requis à tous les niveaux.
Les pays ACP en particulier, peuvent se retrouver dans une situation difficile. Dans le
climat politique actuel, il ne leur suffira pas de lancer des exhortations à la solidarité
internationale pour sauver ‘l’acquis de Lomé’. Le meilleur moyen de convaincre l’Europe et
l’opinion publique européenne est de montrer que l’instrument de Lomé donne des réponses
concrètes aux besoins des pays ACP -dans toute leur diversité- par le biais de preuves
tangibles de son efficacité. La meilleure façon de sauvegarder l’acquis de Lomé consiste à
évaluer sans tabous et en toute transparence, les points forts et faibles des dispositions et
pratiques actuelles, tout en acceptant des innovations fondamentales basées sur les leçons de
l’expérience.
Choix de méthodes d’évaluation de l’ECDPM
Face à un mécanisme aussi complexe, comportant une pluralité de « volets » et couvrant
des domaines aussi divers que l’aide alimentaire et la coopération minière, et partant face à la
difficulté d’adopter une méthodologie générale, cette approche s’efforce de cibler le domaine
d’évaluation en le restreignant aux aspects de performance dans la gestion de la coopération,
cad le processus de formulation et de mise en oeuvre des priorités de coopération.
La note qui suit s’articule autour des quatre aspects-clés relatifs aux aspects de gestion :
- le processus de détermination des priorités de coopération et l’existence d’une approche
stratégique;
- la pratique du partenariat (y compris son efficacité et les questions d’appropriation et de
justification de l’aide);
- les modalités de coopération décentralisée;
- le renforcement des capacités de gestion dans la mise en oeuvre de la convention.
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Pour chacun de ces critères nous nous sommes efforcés de clarifier les principales
leçons de l’expérience, en nous inspirant de rapports d’évaluation existants et de nos propres
travaux. Nous n’aborderons pas directement les questions commerciales (un des volets
essentiels de Lomé) qui seront traitées par M. Hewitt.
I.
DANS QUELLE MESURE LA PRATIQUE DE LOME A-T-ELLE TRADUIT
L’EXISTENCE D’UNE REELLE APPROCHE « STRATEGIQUE » ?
Cette approche vise à déterminer si la mise en oeuvre de la convention traduit
l’existence d’une réelle stratégie de développement du pays bénéficiaire et du donateur. Elle
peut être évaluée au regard de l’exercice de programmation notamment dans le contexte des
Programmes Indicatifs Nationaux (PIN). La convention de Lomé prévoit un mécanisme
relativement sophistiqué de préparation et d’élaboration de PIN, permettant des approches
spécifiques par pays, la détermination d’objectifs et la définition des modalités d’allocation de
l’aide.
Dans la pratique, la programmation constitue un élément de stratégie plutôt vague et
d’utilité interne pour la Commission. Elle ne traduit pas réellement l’existence d’une analyse
approfondie des contraintes et potentiels de développement du pays concerné. Le dialogue sur
les politiques s’est considérablement amélioré depuis l’introduction tardive d’une approche
macro-économique et d’appui à l’ajustement structurel (sous Lomé IV seulement !), mais on
est loin d’un dialogue de fond, tel que préconisé par la Banque mondiale. L’élaboration des
PIN exige actuellement beaucoup de temps (10 à 12 mois) et pourtant le document de base
qui en résulte ne fournit pas nécessairement un instrument utile à l’affectation optimale des
ressources et la prise en compte des priorités de la C.E en matière de coopération au
développement. La panoplie d’instruments que comporte la convention de Lomé IV est
impressionnante. Il est difficile d’assurer la cohérence d’ensemble d’instruments aussi divers.
L’absence d’une stratégie d’ensemble a conduit à une sous-utilisation des possibilités offertes
et une dispersion des ressources.
Ces défauts sont reconnus dans la plupart des évaluations. Les conclusions d’une étude
récente80 évaluant 20 ans de coopération UE-Ethiopie soulignent :
- le manque de clarté des PIN en termes de priorités stratégiques;
- la difficulté d’évaluer la coopération européenne en raison de l’adoption tardive de
l’approche systématique d’élaboration des objectifs et priorités nationales, avec l’introduction
de la méthodologie du « cadre logique » (il importe de préciser que cette méthode n’a pu être
appliquée au processus de programmation qu’à partir de 1996 pour Lomé IV bis).
- les problèmes de capacité au sein de la Commission en matière d’élaboration d’une
réflexion stratégique de l’U.E au niveau national. Il s’agit du problème fréquemment cité de
l’excès de procédures bureaucratiques au niveau des délégations. L’étude précitée démontre
que le personnel des délégations est surchargé de tâches purement administratives, sans que
les conseillers ne puissent réellement jouer leur rôle d’analystes du contexte international. En
effet le travail de ces derniers est constitué essentiellement d’un mélange d’administration et
de gestion (routinière) de projet. Il leur reste donc très peu de temps à consacrer à l’analyse
stratégique.
80
cf Rapport « An Evaluation of Development Cooperation between the European Union and Ethiopia, 1976-1994 » / Institute of
Development Studies (University of Sussex) & Institute of Development Research, (Addis Abbeba University), June 1996.
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La Commission est consciente de ce problème. Le groupe de réflexion de la
Commission sur le « Partenariat 2000 », chargé de préparer un Livre Vert sur les futures
relations ACP-UE, estime que la convention de Lomé s’est trop concentrée sur les
instruments au détriment de la stratégie. La priorité consisterait à renverser cette logique. La
Commission recommande une nouvelle approche dans laquelle on identifie les principaux
défis et contraintes de développement pour les différents pays et régions ACP. Dans une
deuxième phase, on détermine en détail les réponses stratégiques requises -y compris la
contribution spécifique de la CE. C’est seulement après ces analyses, que l’on pourrait
commencer à discuter des instruments adaptés pour la mise en oeuvre.
II. DANS QUELLE MESURE LE PARTENARIAT A-T-IL PERMIS LA
PROMOTION DE « L’APPROPRIATION » DES POLITIQUES PAR LES
BENEFICIAIRES ? (CRITERES DE L’EFFICACITE DU PARTENARIAT)
La réponse a cette interrogation suppose que l’on évalue « rétrospectivement » 20
années de Partenariat et sinon d’en faire une évaluation systématique (il ne s’agit pas d’un
critère quantitatif), d’en tirer les principaux enseignements en distinguant la dimension
politique (globale) de la dimension pratique (gestion) du Partenariat.
La notion de Partenariat est apparue avec la première convention de Lomé et repose sur
la relation contractuelle qui lie les ACP à l’UE depuis 1975. Il s’agit depuis lors d’une notion
clef de cette relation de coopération, un des éléments essentiels de cette « culture de Lomé »,
fondée sur l’existence d’ « un Partenariat égalitaire » composé de droits et obligations
mutuels. Aux termes de ce partenariat les deux parties ont été amenées à prendre des
engagements à long terme pour la réalisation d’objectifs communs. L’idée de départ étant de
donner aux ACP un rôle de premier plan dans la gestion des ressources de l’aide, tâche pour
laquelle ils bénéficieraient de l’appui de l’Union européenne. L’objectif final de ce partenariat
idéalisé était de favoriser « l’appropriation » par les ACP de leurs propres politiques de
développement, la maîtrise de la gestion (y compris financière) de leur propre destin. C’est à
l’aune de cette problématique que l’on peut tracer un bilan du Partenariat après 20 ans de
Lomé. Les constats suivants s’imposent :
- Erosion. Vingt ans plus tard, le partenariat a perdu une grande partie de son âme et de ses
effets pratiques. On a comparé son évolution au mouvement de pendule. Lomé I (1975)
plaçait les pays ACP aux commandes tandis que l’Europe adoptait une attitude de laisser-faire
(« C’est votre argent, à vous de décider ce que vous en faites »). Les Conventions suivantes
ont cherché à intégrer les préoccupations européennes dans le partenariat. Actuellement, la
tendance semble plutôt se situer à l’autre extrême, à savoir une attitude de plus en plus
‘paternaliste’ de l’Europe (c’est notre argent et nous décidons de son utilisation). Cette
attitude s’explique partiellement par l’existence de graves problèmes de ‘gouvernance’ et/ou
de capacité institutionnelle dans de nombreux pays ACP. Cela pousse la Commission à
adopter une approche plus interventionniste (de substitution). C’est un pas en arrière en ce qui
concerne l’appropriation des politiques et programmes, voire une « capitulation » face à la
véritable mission de développement [Frisch, 1996].
- Dialogue politique. Malgré l’existence de plusieurs institutions paritaires, le dialogue
politique s’est progressivement dégradé au fil des années. Le dialogue est trop concentré sur
les questions d’argent et de procédures et trop peu sur les intérêts communs (en matière
politique). Il est déséquilibré (car limité aux bureaucraties centrales) et largement déconnecté
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des formes de dialogue instaurées par les autres bailleurs de fonds (y compris les Etats
membres). La transparence est critiquée. Selon les acteurs non-étatiques, le PIN est « un
document secret » dans beaucoup de pays ACP.
- Gestion. Le partenariat n’est pas seulement une notion politique, mais revêt également des
aspects concrets dans la pratique de la coopération financière et technique. La plupart des
évaluations ont constaté que le système de l’allocation automatique (c’est à dire compte non
tenu de la performance) dénué de toute flexibilité n’a pas incité les ACP à la performance en
matière de gestion des ressources. Une certaine flexibilité a été introduite dans le système
avec l’apparition du mécanisme de la « programmation par tranches ». On n’en connaît pas
encore les résultats. La programmation est vivement critiquée en raison de la lourdeur des
procédures administratives l’accompagnant qui ont contraint certains ACP (dont la capacité
administrative était trop faible) à faire appel à l’assistance technique, ce qui contredit le
principe de l’appropriation. Il n’en demeure pas moins que la dimension stratégique que
comporte la programmation interdit son simple abandon : l’avantage en termes de
planification et de stratégie n’est pas négligeable. On peut également envisager d’ouvrir le
processus à d’autres acteurs. La co-gestion ne fonctionne pas. Selon l’étude 81, ce système
hérité du Partenariat serait une source majeure de retard et de lenteurs dans la mise en oeuvre.
La co-gestion n’est possible que dans certains pays dont les systèmes administratifs de
gestion de l’aide fonctionnent. Il conviendrait peut-être d’adopter une procédure plus flexible
tenant compte du contexte pays.
Dans le contexte de redéfinition de Lomé, les deux parties semblent s’accorder sur la
nécessité d’adopter une approche plus réaliste et plus pragmatique. Il convient de rechercher
un fondement politique solide (basé sur des intérêts communs), un mode de fonctionnement
flexible (permettant des approches différenciées par pays) et une perspective à long terme
(dépassant les préoccupations immédiates de la gestion de l’aide). Le message européen est
clair : « l’UE est là pour aider ceux qui s’aident ». Le partenariat demeure la forme idéale de
coopération. Toutefois, il ne saurait exister sur base d’un simple accord contractuel ou
d’attribution d’aide. Il doit se mettre en oeuvre d’une façon correcte et transparente. Cela
conduira probablement à l’élaboration de nouveaux critères d’allocation de l’aide, un
approfondissement du système d’allocation par tranches et un refus de partenariat quand les
conditions de base ne sont pas respectées.
III. DANS QUELLE MESURE LA COOPERATION EUROPEENNE EST-ELLE
PARVENUE A S’OUVRIR AUX ACTEURS DE LA SOCIETE CIVILE ?
La nature des Conventions de Lomé n’a pas facilité la participation de la société civile à
la coopération européenne. Les organisations non-étatiques (groupements ruraux et villageois,
coopératives, ONG, syndicats, associations de défense des Droits de l’homme, etc...) sont
déçues de la situation actuelle. En dépit de tous ces discours sur le « développement
participatif », la plupart des pays ACP rechignent à associer la société civile (et le secteur
privé) à la vie de la convention. Des structures de dialogue au niveau national font souvent
défaut. La société civile a peu de possibilités d’expression au sein des instances communes
ACP-UE.
81
Study of the Causes of Delay in the Implementation of Financial and Technical Cooperation/Final Report, November 1992, Price
Waterhouse.
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Il n’est pas surprenant, dès lors, que l’UE soit critiquée par de nombreux acteurs nonétatiques qui lui reprochent de ne pas montrer le bon exemple. Ce jugement doit être nuancé.
Dès Lomé I, les organisations de la société civile ont pu bénéficier de micro-projets. Le
système a connu un relatif succès, mais il ne faut pas oublier que les micro-projets ne
représenteront qu’une partie infime des fonds FED (2,5 % sous Lomé III). C’est au cours des
années 1970 que la Commission a introduit le système de co-financement qui a ouvert la voie
à une coopération intensive entre ONG du Nord et du Sud. Mais cette coopération se limite
généralement à la mise en oeuvre de projets à la base. Les ONG du Sud refusent toutefois
d’être réduites à un rôle « d’exécutants à peu de frais ». Elles se déclarent également
favorables à des formes d’appui direct (sans passer par une ONG du Nord).
L’une des principales innovations de la convention de Lomé IV (1990-1995) fut
l’introduction de la coopération décentralisée. Elle offrait ainsi à une grande diversité
d’acteurs la possibilité d’utiliser les ressources de Lomé en appuyant ainsi le développement
participatif et la démocratisation. Ici aussi, la pratique se révèle assez différente. Peu de
progrès ont été accomplis dans la mise en oeuvre, principalement en raison d’un manque
d’information, de la résistance politique des Etats ACP et des faibles mécanismes de mise en
oeuvre et de suivi. Au cours de la révision à mi-parcours, l’UE a insisté sur l’élargissement de
la coopération décentralisée, mais sans trop de résultats. Il n’y a guère de nouvelles voies
permettant la participation en amont des acteurs décentralisés dans le processus de prise de
décision. L’Ordonnateur national reste le maître à bord pour toute décision concernant
l’allocation des ressources FED. Le résultat présente un paradoxe frappant : alors que l’on
s’accorde à donner un rôle essentiel à la société civile dans le processus de développement,
ces organisations sont souvent traitées comme des « acteurs secondaires » dans la coopération
ACP-UE.
IV. DANS QUELLE MESURE LES PARTENAIRES ONT-ILS SU RENFORCER
LEURS CAPACITES DE GESTION DANS LA MISE EN OEUVRE DE LA
CONVENTION ?
La convention de Lomé est un instrument de coopération d’une complexité non
négligeable couvrant de nombreux domaines de coopération. Il s’agit également d’un
instrument caractérisé par une multitude de procédures complexes et de dispositions
institutionnelles régissant la prise de décision et la mise en oeuvre.
Mais cette complexité de l’instrument ne suffit pas à expliquer la mauvaise
connaissance des possibilités offertes par une convention, dont le potentiel pour le
développement des ACP demeure encore, après vingt années d’existence, largement sousexploité.
En effet, la principale raison de la sous-exploitation (ou sous-utilisation) de Lomé
s’explique certainement par une négligence : la nécessité de renforcer (des deux côtés) les
capacités de gestion des ressources de l’aide.
Les évaluations de la Coopération financière et technique ont cherché à identifier les
contraintes institutionnelles et autres facteurs expliquant la sous-utilisation des instruments de
Lomé et la lenteur des procédures. L’ECDPM dans son exercice post-Lomé a notamment
identifié un large déficit d’information sur Lomé dans les pays ACP. A cela est venue
s’ajouter la faible capacité administrative au sein des ACP. Lorsque la coopération prévoit un
partage assez clair des responsabilités entre les partenaires (cf tableau décrivant le processus
80
de mise en oeuvre des projets sous Lomé IV)82, le partenaire ACP n’est pas toujours en
mesure de jouer son rôle. Pour pallier ces carences administratives on a souvent fait appel à
une assistance technique européenne (rattachée au service de l’Ordonnateur national), sans
réellement renforcer les capacités des administrations ACP à mieux gérer l’aide et à mieux
exploiter le potentiel de Lomé.
Mais les problèmes de capacité ne sont pas l’apanage exclusif des ACP, de nombreuses
études ont identifié un certain nombre de problèmes de capacité au niveau de la Commission.
Comme le montre l’étude spéciale ECDPM83, le problème de capacités se situe à plusieurs
niveaux :
- effectifs insuffisants;
- mauvaise exploitation des ressources humaines existantes (cf. surcharge de tâches d’ordre
administratif) du fait notamment d’une mobilité excessive;
- manque de pouvoir de décision des délégations ( une des causes de retard et d’inefficacité
dans la gestion du FED);
- dans une certaine mesure, manque de personnel spécialisé (vrai dans le cas de la politique
d’appui au secteur privé).
Du côté des ACP les problèmes sont nombreux et se posent avec d’autant plus d’acuité
qu’il existe une responsabilité conjointe dans la gestion. « La responsabilité partagée pour la
mise en oeuvre du PIN devrait être rationalisée » (A.Koning, op. cit.) et accompagnée par la
mise en place d’un programme de renforcement des capacités portant sur :
- l’amélioration de l’information (sur les possibilités offertes par la convention);
- la formation à l’utilisation de Lomé;
- la coordination et la gestion d’ensemble de l’aide au niveau national.
L’efficacité de tels programmes dépendra également de l’introduction d’un élément de
différenciation, tenant compte des spécificités de chaque pays. Les problèmes ne se posent
pas dans les mêmes termes pour les 70 ACP, dont certains ont démontré leur capacité à gérer
la convention et pour lesquels tout contrôle accru de la part de l’UE serait perçu comme une
réelle atteinte au principe du Partenariat.
A l’heure d’un réexamen global de la convention et face à l’impératif de justifier d’une
certaine efficacité de la coopération, la question du renforcement des capacités prend toute
son importance. Les récentes réformes concernant les procédures et notamment l’introduction
de la programmation par tranches84 peuvent certes contribuer à améliorer le contrôle de
qualité de l’aide mais dans la plupart des cas, elles ont été menées sans l’adoption
(concomitante) d’un indispensable « plan de renforcement des capacités de gestion ». La mise
en oeuvre de telles réformes, au contraire, risque d’aggraver les problèmes actuels de mise en
oeuvre de la convention. En effet, nombreux sont ceux qui estiment que l’UE et les Etats ACP
ne disposent pas des capacités suffisantes pour gérer ce nouveau système.
82
In A Koning, « Atouts et faiblesses de la gestion du Fonds européen de développement », ECDPM/ Documents de travail N°8, Février
1996.
83
La Politique européenne de développement après le traité de Maastricht, ECDPM Etude spéciale, 1993.
84
Voir « La Programmation par Tranches : Leçons de la Coopération ACP-UE, J. Bossuyt, ECDPM, Notice de Gestion des Politiques de
Développement n°2, 1994.
81