Comment évaluer la convention de Lomé
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Comment évaluer la convention de Lomé
Comment évaluer la convention de Lomé ? Jean BOSSUYT et Stéphane EARD ECDPM - Maastricht (Centre européen de gestion de politiques de développement) 73 74 Évaluer la convention de Lomé : une tâche ardue Commençons par un constat surprenant : après vingt ans d’existence, il est impossible de dresser un bilan même incomplet de l’impact réel de la convention de Lomé dans les différents pays et régions ACP. Certes, le travail de coopération ne se prête pas aisément à des évaluations permettant de ‘mesurer’ objectivement les résultats sur le terrain, voire à établir des liens de cause à effet entre le progrès (ou déclin) en matière de développement et l’aide extérieure. Il est vrai qu’on ne dispose pas de bilans exhaustifs sur l’effet des autres formes de coopération (par exemple, la coopération par le biais d’ONG). En outre, il faut reconnaître que la Commission (DG VIII) a fait des efforts considérables ces dernières années, pour améliorer les systèmes d’évaluation (tant sur le plan quantitatif que qualitatif79). Mais il n’en demeure pas moins que la coopération européenne sous Lomé manque cruellement d’évaluations globales, sophistiquées et détaillées. Comment expliquer l’existence de cette ‘nébuleuse’ en ce qui concerne les résultats de Lomé? Plusieurs facteurs peuvent être retenus : - Rhétorique. La convention de Lomé connaît des ‘défenseurs’ et des ‘détracteurs’. Le premier groupe a tendance à sacraliser la convention de Lomé comme un instrument unique, couvrant la plupart des domaines de coopération (commerce et aide) et présentant une approche différente de la coopération (fondée sur la contractualité et le partenariat). Le deuxième groupe constate que Lomé n’a pu freiner le déclin économique des pays ACP. Selon eux, la convention n’offre rien d’autre qu’un ballon d’oxygène financier aux pays ACP démunis, ou pire encore, une ‘rente’ (ou des allocations automatiques) à des régimes peu crédibles, sans lien évident avec leur performance. Les deux camps s’affrontent souvent d’une façon manichéenne, faisant passer les assertions idéologiques pour des faits ou tablant sur une polarisation Nord-Sud. - Complexité. Le choix explicite de Lomé pour un ‘partenariat entre égaux’, ainsi que la grande diversité des pays ACP, domaines d’interventions et des instruments, ne facilite pas la production des évaluations globales sur les incidences de la convention, voire des analyses comparatives entre pays ACP (performants et moins performants). - Ciblage limité. L’Unité d’évaluation de la DG VIII peut certes se prévaloir d’avoir exécuté un grand nombre d’évaluations. Mais en général, ces évaluations s’intéressent essentiellement à des projets individuels (plutôt qu’aux politiques, stratégies d’ensemble, résultats des 79 Pour l’évaluation de ses projets et programmes, la Commission applique des critères globalement identiques à ceux définis par le Comité d’Aide au Développement de l’OCDE (« Principes pour une aide efficace »). Ils correspondent à la terminologie du cadre logique. * Pertinence : corrélation problèmes à résoudre/objectifs du programme * Efficience : relation entre activités entreprises et résultats obtenus * Efficacité : relation résultats obtenus et objectifs du projet (programme) * Impact : relation objectifs spécifiques et objectifs généraux du développement (pour le pays et ceux fixés par le traité sur l’UE) * Viabilité : caractère durable des résultats obtenus. 75 différents instruments de Lomé, performances par pays, etc...). Ces évaluations ont également tendance à ne considérer que le bénéficiaire des opérations (en évitant la transparence et la réflexion sur les problèmes du bailleur de fonds). - Manque de systématisation. On peut se poser des questions sur l’utilisation concrète du matériel d’évaluation produit par la DG VIII. Contrairement à la Banque mondiale et certains bailleurs de fonds bilatéraux (par exemple les Pays-Bas), la Commission ne dispose pas d’un département d’évaluation indépendant, pouvant assurer la systématisation des leçons d’expérience et un suivi effectif au niveau de l’institution. Les autres acteurs communautaires (par exemple, le Conseil des ministres, le Parlement européen ou la Cour des comptes) ont des rôles plus limités en matière de contrôle et évaluation et ne parviennent pas à combler ces lacunes. ... mais vitale dans le contexte d’un réexamen en profondeur de Lomé Il est désormais admis que Lomé IV est « la dernière convention telle que nous la connaissons » (Commissaire Pinheiro, Assemblée paritaire, Dakar 1995). En novembre 1996, la Commission sortira un ‘Livre Vert’, qui vise à ouvrir un débat sur les grandes options de renouvellement de la coopération européenne-ACP. Dans ce contexte, l’absence relative de données et de preuves tangibles de l’efficacité de Lomé et de ses différents instruments, risque d’hypothéquer le dialogue entre les parties en présence et la recherche d’un consensus quant aux changements requis à tous les niveaux. Les pays ACP en particulier, peuvent se retrouver dans une situation difficile. Dans le climat politique actuel, il ne leur suffira pas de lancer des exhortations à la solidarité internationale pour sauver ‘l’acquis de Lomé’. Le meilleur moyen de convaincre l’Europe et l’opinion publique européenne est de montrer que l’instrument de Lomé donne des réponses concrètes aux besoins des pays ACP -dans toute leur diversité- par le biais de preuves tangibles de son efficacité. La meilleure façon de sauvegarder l’acquis de Lomé consiste à évaluer sans tabous et en toute transparence, les points forts et faibles des dispositions et pratiques actuelles, tout en acceptant des innovations fondamentales basées sur les leçons de l’expérience. Choix de méthodes d’évaluation de l’ECDPM Face à un mécanisme aussi complexe, comportant une pluralité de « volets » et couvrant des domaines aussi divers que l’aide alimentaire et la coopération minière, et partant face à la difficulté d’adopter une méthodologie générale, cette approche s’efforce de cibler le domaine d’évaluation en le restreignant aux aspects de performance dans la gestion de la coopération, cad le processus de formulation et de mise en oeuvre des priorités de coopération. La note qui suit s’articule autour des quatre aspects-clés relatifs aux aspects de gestion : - le processus de détermination des priorités de coopération et l’existence d’une approche stratégique; - la pratique du partenariat (y compris son efficacité et les questions d’appropriation et de justification de l’aide); - les modalités de coopération décentralisée; - le renforcement des capacités de gestion dans la mise en oeuvre de la convention. 76 Pour chacun de ces critères nous nous sommes efforcés de clarifier les principales leçons de l’expérience, en nous inspirant de rapports d’évaluation existants et de nos propres travaux. Nous n’aborderons pas directement les questions commerciales (un des volets essentiels de Lomé) qui seront traitées par M. Hewitt. I. DANS QUELLE MESURE LA PRATIQUE DE LOME A-T-ELLE TRADUIT L’EXISTENCE D’UNE REELLE APPROCHE « STRATEGIQUE » ? Cette approche vise à déterminer si la mise en oeuvre de la convention traduit l’existence d’une réelle stratégie de développement du pays bénéficiaire et du donateur. Elle peut être évaluée au regard de l’exercice de programmation notamment dans le contexte des Programmes Indicatifs Nationaux (PIN). La convention de Lomé prévoit un mécanisme relativement sophistiqué de préparation et d’élaboration de PIN, permettant des approches spécifiques par pays, la détermination d’objectifs et la définition des modalités d’allocation de l’aide. Dans la pratique, la programmation constitue un élément de stratégie plutôt vague et d’utilité interne pour la Commission. Elle ne traduit pas réellement l’existence d’une analyse approfondie des contraintes et potentiels de développement du pays concerné. Le dialogue sur les politiques s’est considérablement amélioré depuis l’introduction tardive d’une approche macro-économique et d’appui à l’ajustement structurel (sous Lomé IV seulement !), mais on est loin d’un dialogue de fond, tel que préconisé par la Banque mondiale. L’élaboration des PIN exige actuellement beaucoup de temps (10 à 12 mois) et pourtant le document de base qui en résulte ne fournit pas nécessairement un instrument utile à l’affectation optimale des ressources et la prise en compte des priorités de la C.E en matière de coopération au développement. La panoplie d’instruments que comporte la convention de Lomé IV est impressionnante. Il est difficile d’assurer la cohérence d’ensemble d’instruments aussi divers. L’absence d’une stratégie d’ensemble a conduit à une sous-utilisation des possibilités offertes et une dispersion des ressources. Ces défauts sont reconnus dans la plupart des évaluations. Les conclusions d’une étude récente80 évaluant 20 ans de coopération UE-Ethiopie soulignent : - le manque de clarté des PIN en termes de priorités stratégiques; - la difficulté d’évaluer la coopération européenne en raison de l’adoption tardive de l’approche systématique d’élaboration des objectifs et priorités nationales, avec l’introduction de la méthodologie du « cadre logique » (il importe de préciser que cette méthode n’a pu être appliquée au processus de programmation qu’à partir de 1996 pour Lomé IV bis). - les problèmes de capacité au sein de la Commission en matière d’élaboration d’une réflexion stratégique de l’U.E au niveau national. Il s’agit du problème fréquemment cité de l’excès de procédures bureaucratiques au niveau des délégations. L’étude précitée démontre que le personnel des délégations est surchargé de tâches purement administratives, sans que les conseillers ne puissent réellement jouer leur rôle d’analystes du contexte international. En effet le travail de ces derniers est constitué essentiellement d’un mélange d’administration et de gestion (routinière) de projet. Il leur reste donc très peu de temps à consacrer à l’analyse stratégique. 80 cf Rapport « An Evaluation of Development Cooperation between the European Union and Ethiopia, 1976-1994 » / Institute of Development Studies (University of Sussex) & Institute of Development Research, (Addis Abbeba University), June 1996. 77 La Commission est consciente de ce problème. Le groupe de réflexion de la Commission sur le « Partenariat 2000 », chargé de préparer un Livre Vert sur les futures relations ACP-UE, estime que la convention de Lomé s’est trop concentrée sur les instruments au détriment de la stratégie. La priorité consisterait à renverser cette logique. La Commission recommande une nouvelle approche dans laquelle on identifie les principaux défis et contraintes de développement pour les différents pays et régions ACP. Dans une deuxième phase, on détermine en détail les réponses stratégiques requises -y compris la contribution spécifique de la CE. C’est seulement après ces analyses, que l’on pourrait commencer à discuter des instruments adaptés pour la mise en oeuvre. II. DANS QUELLE MESURE LE PARTENARIAT A-T-IL PERMIS LA PROMOTION DE « L’APPROPRIATION » DES POLITIQUES PAR LES BENEFICIAIRES ? (CRITERES DE L’EFFICACITE DU PARTENARIAT) La réponse a cette interrogation suppose que l’on évalue « rétrospectivement » 20 années de Partenariat et sinon d’en faire une évaluation systématique (il ne s’agit pas d’un critère quantitatif), d’en tirer les principaux enseignements en distinguant la dimension politique (globale) de la dimension pratique (gestion) du Partenariat. La notion de Partenariat est apparue avec la première convention de Lomé et repose sur la relation contractuelle qui lie les ACP à l’UE depuis 1975. Il s’agit depuis lors d’une notion clef de cette relation de coopération, un des éléments essentiels de cette « culture de Lomé », fondée sur l’existence d’ « un Partenariat égalitaire » composé de droits et obligations mutuels. Aux termes de ce partenariat les deux parties ont été amenées à prendre des engagements à long terme pour la réalisation d’objectifs communs. L’idée de départ étant de donner aux ACP un rôle de premier plan dans la gestion des ressources de l’aide, tâche pour laquelle ils bénéficieraient de l’appui de l’Union européenne. L’objectif final de ce partenariat idéalisé était de favoriser « l’appropriation » par les ACP de leurs propres politiques de développement, la maîtrise de la gestion (y compris financière) de leur propre destin. C’est à l’aune de cette problématique que l’on peut tracer un bilan du Partenariat après 20 ans de Lomé. Les constats suivants s’imposent : - Erosion. Vingt ans plus tard, le partenariat a perdu une grande partie de son âme et de ses effets pratiques. On a comparé son évolution au mouvement de pendule. Lomé I (1975) plaçait les pays ACP aux commandes tandis que l’Europe adoptait une attitude de laisser-faire (« C’est votre argent, à vous de décider ce que vous en faites »). Les Conventions suivantes ont cherché à intégrer les préoccupations européennes dans le partenariat. Actuellement, la tendance semble plutôt se situer à l’autre extrême, à savoir une attitude de plus en plus ‘paternaliste’ de l’Europe (c’est notre argent et nous décidons de son utilisation). Cette attitude s’explique partiellement par l’existence de graves problèmes de ‘gouvernance’ et/ou de capacité institutionnelle dans de nombreux pays ACP. Cela pousse la Commission à adopter une approche plus interventionniste (de substitution). C’est un pas en arrière en ce qui concerne l’appropriation des politiques et programmes, voire une « capitulation » face à la véritable mission de développement [Frisch, 1996]. - Dialogue politique. Malgré l’existence de plusieurs institutions paritaires, le dialogue politique s’est progressivement dégradé au fil des années. Le dialogue est trop concentré sur les questions d’argent et de procédures et trop peu sur les intérêts communs (en matière politique). Il est déséquilibré (car limité aux bureaucraties centrales) et largement déconnecté 78 des formes de dialogue instaurées par les autres bailleurs de fonds (y compris les Etats membres). La transparence est critiquée. Selon les acteurs non-étatiques, le PIN est « un document secret » dans beaucoup de pays ACP. - Gestion. Le partenariat n’est pas seulement une notion politique, mais revêt également des aspects concrets dans la pratique de la coopération financière et technique. La plupart des évaluations ont constaté que le système de l’allocation automatique (c’est à dire compte non tenu de la performance) dénué de toute flexibilité n’a pas incité les ACP à la performance en matière de gestion des ressources. Une certaine flexibilité a été introduite dans le système avec l’apparition du mécanisme de la « programmation par tranches ». On n’en connaît pas encore les résultats. La programmation est vivement critiquée en raison de la lourdeur des procédures administratives l’accompagnant qui ont contraint certains ACP (dont la capacité administrative était trop faible) à faire appel à l’assistance technique, ce qui contredit le principe de l’appropriation. Il n’en demeure pas moins que la dimension stratégique que comporte la programmation interdit son simple abandon : l’avantage en termes de planification et de stratégie n’est pas négligeable. On peut également envisager d’ouvrir le processus à d’autres acteurs. La co-gestion ne fonctionne pas. Selon l’étude 81, ce système hérité du Partenariat serait une source majeure de retard et de lenteurs dans la mise en oeuvre. La co-gestion n’est possible que dans certains pays dont les systèmes administratifs de gestion de l’aide fonctionnent. Il conviendrait peut-être d’adopter une procédure plus flexible tenant compte du contexte pays. Dans le contexte de redéfinition de Lomé, les deux parties semblent s’accorder sur la nécessité d’adopter une approche plus réaliste et plus pragmatique. Il convient de rechercher un fondement politique solide (basé sur des intérêts communs), un mode de fonctionnement flexible (permettant des approches différenciées par pays) et une perspective à long terme (dépassant les préoccupations immédiates de la gestion de l’aide). Le message européen est clair : « l’UE est là pour aider ceux qui s’aident ». Le partenariat demeure la forme idéale de coopération. Toutefois, il ne saurait exister sur base d’un simple accord contractuel ou d’attribution d’aide. Il doit se mettre en oeuvre d’une façon correcte et transparente. Cela conduira probablement à l’élaboration de nouveaux critères d’allocation de l’aide, un approfondissement du système d’allocation par tranches et un refus de partenariat quand les conditions de base ne sont pas respectées. III. DANS QUELLE MESURE LA COOPERATION EUROPEENNE EST-ELLE PARVENUE A S’OUVRIR AUX ACTEURS DE LA SOCIETE CIVILE ? La nature des Conventions de Lomé n’a pas facilité la participation de la société civile à la coopération européenne. Les organisations non-étatiques (groupements ruraux et villageois, coopératives, ONG, syndicats, associations de défense des Droits de l’homme, etc...) sont déçues de la situation actuelle. En dépit de tous ces discours sur le « développement participatif », la plupart des pays ACP rechignent à associer la société civile (et le secteur privé) à la vie de la convention. Des structures de dialogue au niveau national font souvent défaut. La société civile a peu de possibilités d’expression au sein des instances communes ACP-UE. 81 Study of the Causes of Delay in the Implementation of Financial and Technical Cooperation/Final Report, November 1992, Price Waterhouse. 79 Il n’est pas surprenant, dès lors, que l’UE soit critiquée par de nombreux acteurs nonétatiques qui lui reprochent de ne pas montrer le bon exemple. Ce jugement doit être nuancé. Dès Lomé I, les organisations de la société civile ont pu bénéficier de micro-projets. Le système a connu un relatif succès, mais il ne faut pas oublier que les micro-projets ne représenteront qu’une partie infime des fonds FED (2,5 % sous Lomé III). C’est au cours des années 1970 que la Commission a introduit le système de co-financement qui a ouvert la voie à une coopération intensive entre ONG du Nord et du Sud. Mais cette coopération se limite généralement à la mise en oeuvre de projets à la base. Les ONG du Sud refusent toutefois d’être réduites à un rôle « d’exécutants à peu de frais ». Elles se déclarent également favorables à des formes d’appui direct (sans passer par une ONG du Nord). L’une des principales innovations de la convention de Lomé IV (1990-1995) fut l’introduction de la coopération décentralisée. Elle offrait ainsi à une grande diversité d’acteurs la possibilité d’utiliser les ressources de Lomé en appuyant ainsi le développement participatif et la démocratisation. Ici aussi, la pratique se révèle assez différente. Peu de progrès ont été accomplis dans la mise en oeuvre, principalement en raison d’un manque d’information, de la résistance politique des Etats ACP et des faibles mécanismes de mise en oeuvre et de suivi. Au cours de la révision à mi-parcours, l’UE a insisté sur l’élargissement de la coopération décentralisée, mais sans trop de résultats. Il n’y a guère de nouvelles voies permettant la participation en amont des acteurs décentralisés dans le processus de prise de décision. L’Ordonnateur national reste le maître à bord pour toute décision concernant l’allocation des ressources FED. Le résultat présente un paradoxe frappant : alors que l’on s’accorde à donner un rôle essentiel à la société civile dans le processus de développement, ces organisations sont souvent traitées comme des « acteurs secondaires » dans la coopération ACP-UE. IV. DANS QUELLE MESURE LES PARTENAIRES ONT-ILS SU RENFORCER LEURS CAPACITES DE GESTION DANS LA MISE EN OEUVRE DE LA CONVENTION ? La convention de Lomé est un instrument de coopération d’une complexité non négligeable couvrant de nombreux domaines de coopération. Il s’agit également d’un instrument caractérisé par une multitude de procédures complexes et de dispositions institutionnelles régissant la prise de décision et la mise en oeuvre. Mais cette complexité de l’instrument ne suffit pas à expliquer la mauvaise connaissance des possibilités offertes par une convention, dont le potentiel pour le développement des ACP demeure encore, après vingt années d’existence, largement sousexploité. En effet, la principale raison de la sous-exploitation (ou sous-utilisation) de Lomé s’explique certainement par une négligence : la nécessité de renforcer (des deux côtés) les capacités de gestion des ressources de l’aide. Les évaluations de la Coopération financière et technique ont cherché à identifier les contraintes institutionnelles et autres facteurs expliquant la sous-utilisation des instruments de Lomé et la lenteur des procédures. L’ECDPM dans son exercice post-Lomé a notamment identifié un large déficit d’information sur Lomé dans les pays ACP. A cela est venue s’ajouter la faible capacité administrative au sein des ACP. Lorsque la coopération prévoit un partage assez clair des responsabilités entre les partenaires (cf tableau décrivant le processus 80 de mise en oeuvre des projets sous Lomé IV)82, le partenaire ACP n’est pas toujours en mesure de jouer son rôle. Pour pallier ces carences administratives on a souvent fait appel à une assistance technique européenne (rattachée au service de l’Ordonnateur national), sans réellement renforcer les capacités des administrations ACP à mieux gérer l’aide et à mieux exploiter le potentiel de Lomé. Mais les problèmes de capacité ne sont pas l’apanage exclusif des ACP, de nombreuses études ont identifié un certain nombre de problèmes de capacité au niveau de la Commission. Comme le montre l’étude spéciale ECDPM83, le problème de capacités se situe à plusieurs niveaux : - effectifs insuffisants; - mauvaise exploitation des ressources humaines existantes (cf. surcharge de tâches d’ordre administratif) du fait notamment d’une mobilité excessive; - manque de pouvoir de décision des délégations ( une des causes de retard et d’inefficacité dans la gestion du FED); - dans une certaine mesure, manque de personnel spécialisé (vrai dans le cas de la politique d’appui au secteur privé). Du côté des ACP les problèmes sont nombreux et se posent avec d’autant plus d’acuité qu’il existe une responsabilité conjointe dans la gestion. « La responsabilité partagée pour la mise en oeuvre du PIN devrait être rationalisée » (A.Koning, op. cit.) et accompagnée par la mise en place d’un programme de renforcement des capacités portant sur : - l’amélioration de l’information (sur les possibilités offertes par la convention); - la formation à l’utilisation de Lomé; - la coordination et la gestion d’ensemble de l’aide au niveau national. L’efficacité de tels programmes dépendra également de l’introduction d’un élément de différenciation, tenant compte des spécificités de chaque pays. Les problèmes ne se posent pas dans les mêmes termes pour les 70 ACP, dont certains ont démontré leur capacité à gérer la convention et pour lesquels tout contrôle accru de la part de l’UE serait perçu comme une réelle atteinte au principe du Partenariat. A l’heure d’un réexamen global de la convention et face à l’impératif de justifier d’une certaine efficacité de la coopération, la question du renforcement des capacités prend toute son importance. Les récentes réformes concernant les procédures et notamment l’introduction de la programmation par tranches84 peuvent certes contribuer à améliorer le contrôle de qualité de l’aide mais dans la plupart des cas, elles ont été menées sans l’adoption (concomitante) d’un indispensable « plan de renforcement des capacités de gestion ». La mise en oeuvre de telles réformes, au contraire, risque d’aggraver les problèmes actuels de mise en oeuvre de la convention. En effet, nombreux sont ceux qui estiment que l’UE et les Etats ACP ne disposent pas des capacités suffisantes pour gérer ce nouveau système. 82 In A Koning, « Atouts et faiblesses de la gestion du Fonds européen de développement », ECDPM/ Documents de travail N°8, Février 1996. 83 La Politique européenne de développement après le traité de Maastricht, ECDPM Etude spéciale, 1993. 84 Voir « La Programmation par Tranches : Leçons de la Coopération ACP-UE, J. Bossuyt, ECDPM, Notice de Gestion des Politiques de Développement n°2, 1994. 81