Film britannique en couleurs. 1982. Sortie en 1984. Titre original

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Film britannique en couleurs. 1982. Sortie en 1984. Titre original
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Film britannique en couleurs. 1982. Sortie en 1984.
Titre original The Draughtsman’s contract
Scénario
Photographie
Musique
Production
Peter Greenaway.
Curtis Clark.
Michael Nyman.
.
Interprétation
Anthony Higgins
Janet Suzman
Anne-Louise Lambert
Hugh Fraser
Neil Cunninggham
Neville.
Mrs Herbert.
Mrs Talmann.
Mr Talmann.
Mr Noyes.
Fin du cycle “Espaces clos, espaces ouverts”, avec Dies irae (Jour de
colère) de Carl Theodor Dreyer.
Film danois. noir et blanc. 1943.
L’action se situe au XVIIème
siècle. Martin, fils d’un pasteur tombe
amoureux de la très jeune femme de son
père, Anne, elle-même fille d’une
femme considérée comme sorcière. La
mère du pasteur - mort dans d’étranges
circonstances - s’acharne contre la jeune
fille et la fait soupçonner de sorcellerie.
Dreyer joue sans cesse sur les ambiguïtés : Anne est-elle ou non une sorcière ? Réel et fantastique se mêlent dans
l’affrontement du rationalisme et de
concours de circonstances trop complexes pour être le fruit de simples coïncidences. La photographie est particulièrement remarquable dans ce film, très
inspiré - comme cette semaine - par la
technique picturale, autant an ce qui
concerne les cadrages que la lumière.
Un classique.
Résumé :
1694. M. Neville est l’un des
dessinateurs-paysagistes anglais les
plus en vue de l’époque. Pour obtenir ses services, Virginia Herbert,
malheureuse épouse d’un riche propriétaire, accepte de signer un
contrat singulier : pendant le
voyage de M. Herbert, et en
échange de douze dessins figurant
diverses vues de son jardin, Neville
pourra bénéficier d’une rétribution
pécuniaire dérisoire et, surtout, des
charmes les plus intimes de sa
cliente.
Le dessinateur se met donc à
l’ouvrage. Pour faciliter son travail,
il donne des instructions très précises sur l’état du jardin, heure par
heure ; mais elles ne sont pas toujours respectées, et des éléments
perturbateurs viennent se glisser
dans plusieurs vues. Neville se lamente, ordonne parfois de les
retirer ; mais le plus souvent, il préfère les laisser se glisser dans ses
dessins. La fille de M. Herbert, Sarah Talmann, prétend bientôt leur
trouver une signification allégorique
impliquant son père...
Cinéaste original et provocant,
très controversé et souvent mal compris, Peter Greenaway fait toutefois
l’unanimité (ou presque...) sur ce film
qui le révéla au grand public. Moins
expérimental que ses précédents
(des faux documentaires, austères,
absurdes et très drôles), le Meurtre
dans un jardin anglais est en fait
son premier film narratif.
Dans la carrière de l’auteur,
il s’agit, à tous points de vues,
d’une oeuvre charnière. On y retrouve les traits caractéristiques du
Greenaway de l’époque : le goût
des
anecdotes
absurdes
(particulièrement dans les premières
scènes), de l’illusion, des discours
très écrits, des galeries de personnages étranges et mystérieux, et la
célébration des paysages anglais.
Mais d’autres thématiques apparaissent, qui se développeront dans ses
films ultérieurs ; et son esthétique
s’affirme.
Peintre de formation, Greenaway travaille chaque scène,
chaque plan, comme pour animer les
tableaux du dix-septième siècle.
Après le prix reçu à Bruxelles pour
son premier long-métrage, The
Falls (1980), c’est la première fois
qu’il dispose d’un budget suffisant
pour le faire. Le résultat est (et restera, dans la suite de sa carrière)
d’une grande beauté, et la musique
de Nyman, adaptée de Purcell,
s’avérera parfaitement adéquate.
L’extrême composition de l’espace
contribue en outre à accentuer l’impression de se trouver dans un espace clos - impression exacte
puisque, la première scène exceptée
(elle-même très abstraite), on ne
quitte pas le jardin. Il n’est d’ailleurs
pas étonnant que, par la suite, le cinéaste ait travaillé dans des espaces
de plus en plus fermés, où son talent
de peintre pouvait s’exprimer avec
plus de liberté, du moins jusqu’au
Bébé de Mâcon (1993), puisque
cette évolution semble s’être inversée dans le récent Pillow Book
(1995).
Dans le Meurtre, bien que
les décors soient naturels, au sens
où il s’agit de paysages, ils sont
déjà, au fond, irréels : comme le dit
l’auteur, “ ils sont toujours plus verdoyants qu’il ne sauraient décemment l’être en Angleterre plus de
trois jours d’affilée ”. Le décor fait
partie de l’illusion qui gouverne ce
film :
illusions
du
langage
(extrêmement sophistiqué... et pas
très réaliste, sans doute, même
alors), des habits, des perruques (à
coup sûr, bien plus volumineuses
que celles de l’époque !), des dessins... Le scénario, extrêmement sinueux, en joue abondamment, susci-
tant des questions qui sont peutêtre, elles-mêmes, illusoires : quel
est donc cet homme qui fait la statue ? Quelle est l’interprétation des
dessins ? Y’en a-t-il vraiment une ?
Quelqu’un dirige-t-il vraiment cette
machination ? Et le spectateur devient de plus en plus attentif, happé
par le mystère, car chaque détail a
priori insignifiant peut signifier
quelque chose. Il n’est cependant
pas certain que tout lui paraisse
clair à la fin du film...
Ces jeux d’illusion sont
sans doute fondamentaux dans
l’oeuvre de Greenaway, à plus d’un
titre ; il ne s’agit d’ailleurs pas d’un
simple amusement, et de même,
son formidable travail formel n’est
pas gratuit. Il est d’ailleurs étonnant de constater que tant de critiques condamnent ses films
(notamment les derniers) sans
même essayer de les comprendre.
L’accusation de “ formalisme ” qui
lui est si souvent faite, non seulement n’a pas vraiment de sens,
mais montre qu’aucune interprétation n’a même été tentée par ceux
qui la formulent.
Il est pourtant un fait incontestable, qu’on peut considérer
comme un point de départ
raisonnable pour l’analyse : le violent contraste, présent dans quasiment tous ses films (un peu moins
cependant dans le Meurtre), entre
la culture ou le raffinement affichés, parfois avec obstentation, par
certains personnages, et leurs comportements, souvent vulgaires, sordides, ou intéressés.
Dans le Meurtre, on peut
évidemment prendre l’exemple de
M. Talmann (sans doute le personnage le plus grotesque du film),
mais aussi, dans une certaine mesure, tous les autres : on n’apprécie
pas les dessins pour eux-mêmes, on
y voit un outil, une menace, on est
prêt à les acheter ou à les détruire
par pur intérêt. Ces comportements
vont se poursuivre dans toute la filmographie de l’auteur : dans Zoo
(1985), Vermeer sert de prétexte
pour des trafics honteux ; dans Le
ventre de l’architecte (1987), Caspasian se montre d’une invraisemblable désinvolture à l’égard de l’art
(du moins pour un architecte), faisant de l’exposition consacrée à
Boullée une foire ridicule dont il
profite pour détourner des fonds ;
Le cuisinier, le voleur, sa femme et
son amant (1989) met en scène un
clown-escroc-voleur qui se veut
cultivé, et la peinture flamande y
côtoie la scatologie ; Prospero’s
Books (1991) traite des excès de la
science ; dans Le bébé de Mâcon
(son film le plus radical et le plus
difficile, sans doute...), on viole légalement sur de la musique baroque, dans des décors somptueux ;
le Pillow Book, enfin, traite en particulier de l’exploitation d’un écrivain par son éditeur...
Greenaway est, quoi qu’on
dise, un peintre de notre société.
Son propos est très actuel : la culture est trahie, détournée ; il y a un
gigantesque fossé entre ce qu’elle
devrait être, et ce qu’elle est
devenue : à savoir, chez beaucoup
de personnages (pas tous cependant, car d’autres y associent encore, heureusement, la recherche
du plaisir... mais ils se font généralement exploiter par les premiers)
un apparat avec lequel on se
pavane ; en fait, elle n’est plus
qu’un décor dont se servent des
barbares incapables de l’apprécier
(Caspasian, le voleur)... D’où la nécessité formelle des films de Greenaway, qui nous montre ce décalage dans ce qu’il a de provocant,
d’insupportable, d’accablant. Et en
même temps, ses merveilleuses recherches visuelles continuent de
nous donner ce plaisir esthétique
que tant de personnages, au fond,
ont choisi d’ignorer.
Frédéric Auzende.