Pour une ducation au bien-tre

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Pour une ducation au bien-tre
Méthode E.S.P.È.R.E. – Thèmes d’application
Relation à l’Autre
Œuvrevie ou vieœuvre ?
De Jacques Salomé à la méthode qu’il a inventée :
l’approche E.S.P.E.R.E.
par Maryse Legrand - psychologue clinicienne.
« Il y a des hommes qui ont assez de
ressources pour mener du même train leur
vie et leur œuvre ; la plupart se voient obligés
de sacrifier l’une à l’autre. »
Dominique Fernandez,
“La course à l’abîme”, Grasset 2003
« Il faudrait pouvoir parler dans son cas de
vieœuvre ou d’œuvrevie ; il était les deux
à la fois. »
Nancy Huston,
“Une adoration”, Actes Sud 2003
« L’œuvre est faite par celui qui la regarde ou
qui la lit. »
Marcel Duchamp
« Celui qui écrit avec l’outil brut de sa vie et de
son regard, avec ses manques, son
impuissance, cherche un espace que ni les
autres ni l’époque ne peuvent lui donner :
un espace vital. »
Dominique Sampiéro,
Préface de “L’espace du Poème”,
Bernard Noël, P.O.L. 1998
« Stevenson disait de l'artiste qu'il est fils de
joie, comme il est des filles de joie.
C'est une définition qu'on appliquerait
volontiers au lecteur s'il sait reconnaître ce
qu’il attend et, en lisant, parler avec son
double intime, ce frère secret que chaque
livre révèle en soi.
Il écoutera le chœur pathétique des hommes
comme un épithalame, il ira là où il est
étranger, là, […] où ce n'est pas un péché, un
sacrilège d'être curieux de soi dans les
choses qu'on aime. »
Linda Lê,
“Tu écriras sur le bonheur”, PUF 2000
« […] il s’est contenté de ne pas m’avertir
clairement pour me laisser la chance de
trouver en moi l’espace où sa pensée
continue. »
Bernard Noël,
“La maladie du sens”, P.O.L 2001
Un livre a toujours deux auteurs.
“Parle-moi…j’ai des choses à te dire” est sans doute le livre qui a fait connaître Jacques Salomé
auprès du grand public. Il a été édité en 1982. En épigraphe on peut y voir inscrit ceci :
« Un livre a toujours deux auteurs
celui qui l’écrit
et celui qui le lit. »
En 1986 dans “Petites proses” Michel Tournier, membre de l’Académie Goncourt, réunit des
textes parus précédemment, en 1984, dans deux recueils de réflexions intitulés “Des Clés et des
Serrures” et le “Vagabond immobile”.
Michel Tournier a t’il lu l’ouvrage de Jacques Salomé ? Je ne saurais le dire mais peut-être en
déduire que oui.
Toujours est-il qu’il semble lui répondre par une confirmation dans ses “Petites proses”.
« Oui, je crois qu'un livre a toujours deux auteurs :
celui qui l'a écrit et celui qui le lit ».
Je remarque la légère différence qui fait toute la différence.
Il y a ce qui est dit (ou ce qui est écrit) et ce qui est entendu (ou lu) rappelle régulièrement
Jacques Salomé. Et puis ce qui est répondu, parfois.
L’un écrit :
« Un livre a toujours deux auteurs
Celui qui l’écrit
et celui qui le lit. »
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L’autre paraît lui répondre en écho, ou dire à son tour la même chose, ou à peu près, dans une
sorte “d’affinité littéraire” 1 . Et pourtant, à la confirmation « Oui, je crois qu’un livre a toujours deux
auteurs : » fait suite l’introduction d’un léger marqueur de différenciation.
« celui qui l’a écrit et celui qui le lit ».
Entre la formulation de l’un qui dit : « celui qui l’écrit » et l’énoncé de l’autre qui conjugue le
verbe au temps passé; se glisse un infime retrait de l’écrivain par rapport à son lecteur. Celui qui
« l’a écrit » se définit comme plus tout à fait là. Il s’est absenté. D’un point de vue réaliste c’est un
fait : l’écrivain a bel et bien déjà écrit son livre. L’objet ne lui appartient plus tout à fait dès lors qu’il
a remis son manuscrit à son éditeur. L’ouvrage entre alors dans ce qu’on appelle trivialement un
circuit de distribution, avant de rejoindre son futur lecteur dans un format dit parfois “de poche”.
Mais il existe bien d’autres niveaux du réel engagés autour et à partir d’un livre écrit.
La grammaire d’énonciation de Jacques Salomé ne s’en tient pas aux seuls faits. Elle devient le
support d’une émotion partagée sans qu’un affect soit énoncé explicitement. Elle introduit parfois,
d’emblée, de façon subliminale, à ces différents niveaux de l’émotionnel et de la représentation que
l’auteur appelle le ressenti et le retentissement. Il a donné toute leur place à ces dimensions de la
communication dans le corpus de l’approche E.S.P.E.R.E. Il nous fait baigner dans un partage
d’affects non seulement dans son œuvre poétique ou métaphorique, mais subrepticement, par
petites touches sensibles : petites citations ou autres aphorismes interpellants mis en exergue.
Parfois certaines phrases sont déjà pour le lecteur, une expérience de co-naissance, une invitation
vivante à la co-création. « Celui qui l’écrit et celui qui le lit » L’auteur qui écrit, en tant que sujet de
l’énonciation, semble encore là, rejoindre son lecteur et s’adresser à lui personnellement, sans
toutefois le dire directement.
Ce n’est pas anodin de présenter un livre comme une création commune en reconnaissant qu’il a
deux auteurs : celui qui l’écrit et celui qui le lit. C’est laisser sa place et sa part à l’autre, mais aussi
faire vivre ce qui se joue dans l’entre-deux, non seulement dans l’interpersonnel (l’entre-deuxpersonnes) mais dans l’intersubjectivité (l’entre-deux-sujets, deux psychés). « Dans toute relation
nous sommes toujours trois » : vous, moi et notre relation (ou ce qui se crée dans notre rencontre,
qu’elle ait des suites ou non).
Mais dire d’un livre qu’il a deux auteurs, c’est occuper une position paradoxale (créative celle-là).
C’est être là, tout en délicatesse, en tendresse, sans envahir, en se faisant suffisamment discret
pour permettre à l’autre d’entendre ce qu’il entend, de recevoir ce qu’il reçoit. Pour lui permettre
d’être lui et peut-être de s’agrandir et de croître de l’intérieur. D’être auteur à son tour. Il y a
quelque chose de divin dans cette posture de “l’écrivant” 2 qui s’exprime mais qui écoute aussi. Car
contrairement à ce que nous croyons, il a fallu beaucoup d’humilité à Dieu dans sa position de
Créateur. Il s’est retiré le septième jour. Il a laissé la place. Sa place. Il a été ce « Rien qui se limite
en lumière » « Les Pères Grecs appellent Kenosis, le resserrement, la “contraction” qu’ils
contemplent en Dieu dans son acte créateur : un absolu dépouillement de toute puissance, de toute
lumière, pour que la Création soit. “En tant que Créateur, Dieu se fait infiniment pauvre”. Les
Hébreux qui connaissent bien cette abnégation divine l’appellent Tsim Tsoum, mot dont la racine
évoque une aspiration à l’extrême. À l’extrême pointe de cette “pauvreté” divine, Dieu pose
l’altérité ». 3
Puissions-nous nous en souvenir ! Et en faire un principe de référence non seulement dans la
relation thérapeutique ou d’accompagnement, c’est la moindre des choses ! mais aussi avec un
disciple, un élève, un stagiaire, un enfant, un autre quand nous sommes en lieu et place de maître,
de parent, d’adulte tutélaire, d’enseignant ou bien tout simplement de partenaire, de collègue, de
voisin, de frère, d’ami ?
« La relation de maître à élève est faillible. Inévitablement, […]. Mais ses espoirs éternellement
renouvelés, la merveille imparfaite de la chose, nous tournent vers la dignitas de la personne
humaine, vers son retour au bercail, jusqu’au meilleur de soi ». 4
Il m’aura fallu me mettre à écrire ses pages pour entendre dans la citation de Jacques Salomé
que j’ai lue et entendue je ne sais combien de fois depuis bientôt quinze ans, ce que n’avais encore
1
Dont parle André Green, dans “La lettre et la mort. Promenade d’un psychanalyste à travers la littérature : Proust,
Shakespeare, Conrad, Borges…”, Denoël, 2004.
2
Jacques Salomé préfère dire qu’il est “écrivant” plutôt qu’écrivain.
3
Annick de Souzenelle, dans “Résonances bibliques”, Albin Michel Spiritualités, 2001.
4
Georges Steiner, “Maîtres et disciples”, Gallimard, 2003.
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pas saisi jusque là. Il m’aura fallu “voir sous mes yeux” la parole de cet auteur apposée à celle d’un
autre, que je croyais pareille, pour percevoir une nuance subtile mais néanmoins éclairante sur le
style de Jacques Salomé. Un fil rouge qui m’a aidé ensuite à lire son “discours vivant” 5 , à le
commenter.
“Parle-moi… j’ai des choses à te dire” est le tout premier livre de Jacques Salomé que j’ai lu. Je
peux en situer exactement la date : je lis beaucoup et j’ai, depuis longtemps, pris l’habitude
d’inscrire mon nom 6 et la date d’acquisition des ouvrages que j’achète. « Juillet 1987 » pour celuilà. J’avais aimé cette citation et la sensibilité qu’elle dégageait, puis j’ai entendu souvent Jacques
Salomé la redire sous cette forme ou dans d’autres contextes. Je l’avais en mémoire.
Quelques années plus tard, en cherchant des citations sur cette toile d’informations que je peux
atteindre en quelques “clics de souris”, je suis “tombée” sur cette “même” phrase attribuée à Michel
Tournier. Les références exactes n’y étaient pas mentionnées… Je m’étais demandée auquel des
deux auteurs revenait la primeur de cet énoncé. Ma curiosité était attisée mais quand même pas au
point d’avaler toute l’œuvre de Michel Tournier – riche au demeurant – pour répondre à cette
interrogation ! Je la rangeais dans un coin de ma tête, comme souvent. La vie m’a appris que les
réponses aux questions essentielles qui m’agitent, quel que soit leur degré d’importance, viennent à
point nommé.
Un jour, bien longtemps après, en consultant à nouveau la toile électronique pour un tout autre
motif, je vois dans un journal auquel j’accorde confiance, la référence de ce site de citations dont je
me souvenais, que j’avais apprécié en son temps, mais que je n’avais plus consulté depuis fort
longtemps. Il y figurait comme le meilleur site du genre 7 . J’y retourne et je constate qu’il a été bien
amélioré et enrichi, dans sa présentation, tout en conservant son cachet. Je jette un œil à l’entrée
« Michel Tournier » et cette fois j’y trouve l’exacte précision qui me manquait, et plus encore…
En relisant cette citation, je suis tout d’abord un peu étonnée mais je ne m’attarde pas. C’est
curieux, je ne me souvenais pas de cette confirmation de Michel Tournier « Oui, je crois que… ».
J’avais seulement retenu que cet auteur disait la “même” chose que Jacques Salomé. Je note alors
que cette citation est extraite de “Petites proses” mais je ne connais toujours pas la date de
parution de cet ouvrage. Quelques petites clics de souris sur un autre site et j’ajoute une pièce au
puzzle : 1986. Michel Tournier serait donc le second, ce qui semble être logique (maintenant) vu
l’entrée en matière : « Oui je crois que ». Seulement l’ouvrage est paru en livre de poche. Nouvelle
question : Y aurait-il eu une précédente parution ? Il apparaît que non. Dans une notice
biographique de Madame Arlette Bouloumié, professeur à l’Université d’Angers je trouve le
commentaire que j’ai inséré dans mon propos en introduction. Les textes de “Petites proses” publiés
en 1986 chez Folio Gallimard, étaient parus en 1984 dans deux recueils de réflexions intitulés “Des
Clés et des Serrures” et le “Vagabond immobile”.
Ma petite enquête est bouclée. Je peux avancer que la citation de Michel Tournier est postérieure
de deux ans à celle de Jacques Salomé. Je dispose des informations que je recherchais. Il ne me
reste plus qu’à noter ces deux citations, attendre du moins, de disposer d’un peu de temps pour me
mettre à écrire. A vrai dire, j’avais prévu de rajouter ces deux citations, à la suite d’une série
d’autres que j’avais retenues au gré de mes lectures; pour introduire ce livre en gestation que
j’envisageais de publier “un jour” en hommage à l’œuvre de Jacques Salomé.
Et voilà qu’au moment où je rapproche ces deux citations et que je les relis, disposées côte à
côte – surprise ! – “Je vois” une petite différence. « Celui qui l’a écrit » chez Michel Tournier, au lieu
de « celui qui l’écrit » pour Jacques Salomé. Juste un passé composé à la place d’un présent,
comme si « celui qui écrit » était encore là, comme s’il se prolongeait pour rejoindre celui qui est en
train de le lire. Un présent qui se fait cadeau comme Jacques Salomé se plaît parfois à le rappeler,
en s’appuyant sur la synonymie des termes.
Cette petite introduction m’aura permis de toucher, d’approcher et de présenter par une
illustration concrète la dimension de partage et de mise en commun qu’est l’œuvre écrite de
Jacques Salomé, et au-delà, la Méthode E.S.P.E.R.E qu’il a élaborée.
Je m’attacherai à montrer tout au long de cet essai la cohérence de l’approche proposée par cet
auteur, en adoptant deux points de vue : l’un interne et l’autre externe.
5
Selon la belle expression d’André Green dans l’essai psychanalytique qui porte ce titre.
6
Malgré tout, cette précaution n’a pas suffi à ce que je récupère tous les livres que j’ai prêtés. Avis à tiers détenteurs !
7
Je le savais déjà : l’auteur le plus cité loin devant les autres est Christian Bobin avec deux fois plus de citations que
Shakespeare. Site à toutes fins utiles : aufildemeslectures.net de Gilles G. Jobin.
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J’aborderai sa cohérence interne en m’intéressant aux apports de Jacques Salomé pour une
meilleure compréhension des relations humaines et de leurs enjeux, à partir des différents plans
d’observation que sont sa vie personnelle et ses engagements professionnels. Et ceci, dans la durée
et au fil du temps, sur la bonne trentaine d’années qu’il a consacrées directement à la formation à
la communication et aux relations humaines.
J’envisagerai la cohérence externe de l’approche E.S.P.E.R.E en m’interrogeant sur la validité et
la fiabilité des références et des outils que Jacques Salomé propose. Je chercherai à mettre son
travail en perspective avec les travaux et les recherches récentes, que je peux connaître tout au
moins, et auxquels j’accorde du crédit, de la place qui est la mienne. Tout en précisant bien que la
Méthode E.S.P.E.R.E n’est pas une approche thérapeutique de plus “ni brève ni nouvelle d’ailleurs”,
mais tout simplement une méthode de formation à la communication et aux relations humaines. Je
la qualifierai de formation interactive basée sur l’implication et l’empathie, pour insister sur les
spécificités de cette pédagogie. Car si l’approche est d’ordre pédagogique elle est tout de même
particulière.
Elle l’est tout d’abord par le champ vivant de l’humain qu’elle explore : le relationnel et la
communication dans ses dimensions de l’interpersonnel et de l’intersubjectif. Aborder de telles
questions ne va pas sans tenir compte de l’intrapersonnel et de l’intrasubjectivité engagés dans le
relationnel, autrement dit de l’inconscient.
Par ailleurs, Jacques Salomé n’est pas un pédagogue mais un psychosociologue. Il a été nourri
par les mouvements de recherche qui ont marqué les milieux socio-éducatifs des années 1960-1970
en France. Il s’est imprégné des découvertes de figures charismatiques de cette époque qui, dans
notre pays ou Outre Atlantique, font partie de ceux qui ont proposé une alternative au traitement
par la psychanalyse classique et aux prises en charge en individuel qui étaient encore
majoritairement pratiquées en ce temps-là. Jacques Salomé à été sensibilisé aux travaux de Moreno
en se formant à la technique du psychodrame et à ses autres contributions qui ont permis de mieux
comprendre les effets du/des groupe/s sur l’individu.
L’approche pédagogique que propose Jacques Salomé est particulière dans le sens où elle a
intégré ces apports. De même, elle tient compte de l’importance, voire de l’absolue nécessité qu’il
peut y avoir à ce que l’enseignant ou le formateur ait lui-même reçu une formation personnelle qui
l’a sensibilisé à réfléchir sur les motifs profonds de son choix professionnel et plus continûment sur
son implication dans sa relation à l’autre (ce qu’il vit, ressent dans l’acte d’enseigner ou de former,
ce qui est touché, réveillé dans le contact avec celui qu’il forme ou à qui il enseigne, dans la
rencontre et la proximité répétée avec lui).
Par ma formation à la dimension psychique des réalités humaines et en tant que professionnelle
qui utilise la Méthode E.S.P.E.R.E – non exclusivement – depuis maintenant presque 15 ans, je
montrerai quelles ont été les repères et les richesses que j’ai trouvées dans cette approche.
J’évoquerai aussi les limites que j’ai pu rencontrer sur certains points théoriques ; dans son
application au domaine clinique du soin de l’âme. J’ouvrirai ainsi mon propos sur des prolongements
que j’ai apportés à cette méthode, des aménagements aussi que je peux suggérer.
Je parlerai de l’œuvre de Jacques Salomé comme d’un tout en dégageant les lignes de force qui
la traversent et les traces autobiographiques qui lui donnent son cachet et son style si
reconnaissable, quel que soit l’aspect envisagé de cette œuvre féconde : sa dimension théorique,
pratique, poétique, métaphorique.
Je m’attacherai à présenter l’œuvre de Jacques Salomé comme je la ressens, et comme me
semble-t-il, l’auteur la conçoit lui-même : une oeuvrevie ou une vieoeuvre ?
C’est selon !
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