Mise en page 1 - Fondation Jean
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NOTE n° 180 - Fondation Jean-Jaurès - 21 juin 2013 - page 1 Iran: tout savoir sur Rouhani et sa présidence François Nicoullaud * Analyste de politique internationale, ancien ambassadeur à Téhéran. L a République islamique d’Iran a élu son nouveau président le 14 juin 2013. Il s’agit d’Hassan Rouhani, un religieux modéré âgé de 64 ans. Dans quel sens va-t-il orienter la politique de son pays ? Réponse en huit points. HASSAN ROUHANI EST-IL UN RÉFORMATEUR ? Non, Hassan Rouhani n’a jamais été proche des figures de proue du mouvement réformateur que sont Mohammad Khatami (président de 1997 à 2005) et Mir-Hossein Mousavi, candidat à l’élection présidentielle de juin 2009. Rouhani s’est même clairement distancé du soulèvement étudiant de 1999, mais aussi du Mouvement vert au moment où celui-ci est descendu dans la rue à la suite des élections truquées de 2009. Homme du système, il parvient à rester très proche de ses deux piliers, d’ailleurs antagonistes, Ali Khamenei, devenu Guide suprême à la mort de Khomeyni, en 1989, et Ali Akbar Rafsandjani, successivement président du Parlement et président de la République (19891997). Ce dernier est aujourd’hui président du Conseil de discernement des intérêts du régime. Il a été empêché de concourir à la dernière élection présidentielle, mais il conserve encore une immense influence dans les arcanes de la République islamique. Rouhani avait une réputation de doctrinaire lorsqu’il s’est vu confier la conduite de la négociation nucléaire, en 2003. La découverte de la construction d’une usine d’enrichissement d’uranium, par l’Iran – activité non interdite par le Traité de AVERTISSEMENT : La mission de la Fondation Jean-Jaurès est de faire vivre le débat public et de concourir ainsi à la rénovation de la pensée socialiste. Elle publie donc les analyses et les propositions dont l’intérêt du thème, l’originalité de la problématique ou la qualité de l’argumentation contribuent à atteindre cet objectif, sans pour autant nécessairement reprendre à son compte chacune d’entre elles. www.jean-jaures.org NOTE n° 180 - Fondation Jean-Jaurès - 21 juin 2013 - page 2 Iran: tout savoir sur Rouhani et sa présidence non-prolifération, mais néanmoins hautement sensible –, avait suscité une crise internationale à laquelle il devait faire face. En découvrant la complexité et l’intérêt des enjeux diplomatiques, il a commencé à évoluer. Critiqué pour les concessions faites à l’époque aux Européens, telles que la suspension des activités d’enrichissement de l’uranium, il a été débarqué en 2005 par le nouveau président de la République, Mahmoud Ahmadinejad. C’est alors qu’il apparut de plus en plus nettement comme une figure modérée, intervenant avec discrétion dans le jeu politique à partir des deux assemblées délibérantes où il siégeait, le Conseil des experts et le Conseil de discernement des intérêts du régime. Il dirigeait en outre un institut très proche de Rafsandjani, le Centre de recherche stratégique. Il continuait enfin de participer aux travaux du Conseil suprême de sécurité nationale, où il était d’ailleurs jusqu’à son élection à la présidence de la République le représentant personnel du Guide suprême. C’est dire qu’il n’a jamais abandonné le cœur du système. COMMENT A-T-IL L’ÉLECTION ? PU L’EMPORTER DÈS LE PREMIER TOUR DE Dès le début de la campagne, Rouhani s’est déclaré favorable à une normalisation des relations de l’Iran avec le monde extérieur. Il s’agissait selon lui d’une condition indispensable au redressement d’une économie mise à mal par les sanctions internationales et la gestion erratique d’Ahmadinejad. Il a aussi pris position pour la libération des prisonniers politiques et la libéralisation des institutions. Il a assisté aux obsèques du leader religieux dissident Jalal al Din Taheri, à Ispahan, où des milliers de personnes ont défilé en laissant fuser des slogans critiques à l’égard des dirigeants en place. Dès lors, Rouhani a commencé à cristalliser la sympathie de la mouvance réformatrice, des anciens du Mouvement vert, des jeunes, des chômeurs, et des classes moyennes. Par ailleurs, les deux anciens présidents de la République, Khatami et Rafsandjani, lui ont apporté publiquement leur soutien. Quant au seul candidat réformateur en lice, Mohammad Reza Aref, il a accepté de se désister en sa faveur. La division du camp conservateur, où quatre candidats se déchiraient, a fait le reste. Comme dans la plupart des précédentes élections, c’est dans les trois ou quatre derniers jours de la campagne qu’a eu lieu la montée de popularité décisive. Rouhani l’a emporté avec 50,7 % des voix et un taux de participation de 73 %. www.jean-jaures.org NOTE n° 180 - Fondation Jean-Jaurès - 21 juin 2013 - page 3 Iran: tout savoir sur Rouhani et sa présidence Il est intéressant de noter que le cœur du régime a fait le choix, cette fois-ci, de ne pas interférer dans l’agrégation des résultats. Il lui eut été facile de maintenir le score de Rouhani en-dessous de 50 %, et donc de provoquer un deuxième tour. Le candidat conservateur aurait alors bénéficié du report de voix de tous les candidats éliminés au premier tour, il aurait donc eu une chance de l’emporter, si nécessaire grâce à un nouveau coup de pouce. Mais Ali Khamenei n’a pas voulu prendre le risque de voir se répéter les mouvements de protestation de 2009 contre une élection aux résultats manipulés. A l’époque d’ailleurs, il voyait dans Mousavi une réelle menace pour lui-même et pour la survie du régime. En revanche, il perçoit Rouhani comme un partenaire exigeant mais loyal, et dont il n’a rien à craindre. QUELS SONT LES AUTRES VAINQUEURS DE CETTE ÉLECTION ? Les Occidentaux sont en droit de voir dans l’issue de ce scrutin une conséquence heureuse des sanctions infligées à l’Iran ces dernières années. En attisant le mécontentement de la population, les sanctions ont sans aucun doute facilité le ralliement autour du candidat qui a osé proclamer qu’« il ne sert à rien d’avoir des centrifugeuses qui tournent si, dans le même temps, les usines ne tournent pas et l’économie ne fonctionne pas ». Mais l’élection est aussi un succès pour le cœur du régime qui a démontré sa capacité à évoluer et à tirer les leçons de ses erreurs passées. Au départ, il a soigneusement sélectionné les candidats de façon à être certain de ne pas être débordé. Mais ensuite, il a su laisser se développer le débat et la dynamique de l’élection. En outre, il a joué la transparence. Le régime récolte en retour un taux élevé de participation et la satisfaction de la population d’avoir vu, cette fois-ci, ses aspirations reconnues. Il obtient sans conteste un nouveau bail en termes de crédibilité, et même de légitimité. Enfin, et par-dessus tout, cette élection marque la victoire du peuple iranien qui a démontré sa maturité et sa capacité à s’emparer pleinement de toute opportunité d’avancée démocratique. www.jean-jaures.org NOTE n° 180 - Fondation Jean-Jaurès - 21 juin 2013 - page 4 Iran: tout savoir sur Rouhani et sa présidence EST-IL POSSIBLE QUE RIEN NE CHANGE, TOUT DÉPENDANT FINALEMENT DU GUIDE SUPRÊME ? Non, la présidence de Rouhani offre la possibilité de profonds changements, tant sur le plan extérieur qu’intérieur. L’équation est même plus favorable que du temps de Rafsandjani et de Khatami, qui étaient tous deux engagés dans un jeu conflictuel, donc souvent stérile, avec le Guide suprême. Rouhani, en revanche, est dans une relation de confiance avec Khamenei, même si leurs points de vue diffèrent sur de nombreux sujets. Et Khamenei n’est pas homme à imposer en toute occasion sa vision des choses. Au contraire, de nombreux témoignages laissent apparaître qu’il sait laisser des marges de manœuvre aux responsables qui l’entourent, même si ces derniers vont à l’encontre de ses propres inclinations, à condition que l’essentiel soit préservé. Un exemple parmi d’autres : début 2004, le Conseil suprême de sécurité nationale se réunit pour décider de poursuivre, ou non, la négociation engagée sur le dossier nucléaire avec les Européens. Chacun s’exprime : la plupart des ministres, Khatami, président de la république, et Rouhani luimême recommandent d’aller de l’avant. Khamenei, en revanche, affiche sa conviction que tout ceci finira en impasse. Mais il conclut en substance : « Puisque vous voulez continuer cette négociation, je ne vous retiens pas. Je demande simplement qu’il reste trace de mon point de vue au procès-verbal de la réunion ». Ainsi, il apparaît que même dans un domaine habituellement considéré comme réservé, tel que la politique extérieure ou le programme nucléaire, le président de la République dispose d’espaces d’initiative. D’ailleurs, si ce n’était pas le cas, les présidences Khatami et Ahmadinejad auraient dû beaucoup se ressembler. Il est assez clair qu’il n’en a rien été. LES CHOSES PEUVENT-ELLES CHANGER RAPIDEMENT ? Non, car il y a des délais incompressibles. D’abord, Hassan Rouhani ne sera installé comme président de la République qu’au début du mois d’août prochain. Il lui faudra ensuite former son gouvernement et obtenir du Parlement l’investiture individuelle de ses ministres. Le Parlement, d’ailleurs, est de majorité conservatrice, et il ne sera pas renouvelé avant 2016. Certes, deux cent vingt-cinq députés sur deux cent quatre-vingt-dix ont déjà fait savoir qu’ils étaient prêts à soutenir Rouhani et son gouvernement. Mais des initiatives allant à l’encontre de la sensibilité actuelle de l’assemblée pourraient être aisément mises www.jean-jaures.org NOTE n° 180 - Fondation Jean-Jaurès - 21 juin 2013 - page 5 Iran: tout savoir sur Rouhani et sa présidence en difficulté. Et en tout état de cause, le Conseil des gardiens, lointain parent de notre Conseil constitutionnel, carrément conservateur quant à lui, veille âprement au grain. Par ailleurs le pouvoir judiciaire, dont dépendent pour beaucoup la libéralisation de l’expression politique et les possibilités de progrès en matière de droits de l’homme, n’offre aucune prise à l’action du gouvernement. Le monde des Pasdaran, bras protecteur du régime et chargé des intérêts de la révolution islamique dans son environnement (Syrie, Liban, Irak, Afghanistan), échappe aussi à la vue du gouvernement. A l’égard de ces grands interlocuteurs, c’est presque uniquement par persuasion que Rouhani pourra agir, ou encore de façon indirecte, en sollicitant d’abord le soutien du Guide suprême. Enfin, pour être pleinement opérationnel, le gouvernement devra aussi procéder à un renouvellement important des cadres de l’administration, abondamment peuplée par des proches d’Ahmadinejad, souvent plus zélés qu’efficaces. Le nouveau président de la République a déjà indiqué qu’il choisirait les gens en fonction de leurs compétences, non de leurs inclinaisons politiques. Dans la mouvance de Rafsandjani se trouvent d’ailleurs de nombreux hauts fonctionnaires ou anciens hauts fonctionnaires de très bonne qualité, guidés par le souci du service public. Rouhani n’aura donc pas trop de mal à constituer ses équipes. Mais tout ceci prendra quand même du temps. PEUT-ON ESPÉRER UNE SORTIE DE LA CRISE NUCLÉAIRE ? Oui, Rouhani a fait de la solution négociée de cette crise l’une des priorités de son gouvernement. Et il est vraiment l’homme de la situation. C’est un dossier qu’il connaît bien pour avoir été le responsable de cette négociation de 2003 à 2005. Il convient de rappeler que c’est lui qui a convaincu Khatami, sans doute facilement, puis Khamenei, sans aucun doute plus difficilement, d’interrompre fin 2003 le programme clandestin d’acquisition de l’arme nucléaire géré par les Pasdaran depuis les années 1980. L’arrêt de ce programme a été officiellement attesté en 2007 par la communauté américaine du renseignement, puis confirmé fin 2011 par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Contrairement à ce qui a été souvent dit, cette décision n’a pas été prise sous la pression de la lourde présence des Etats-Unis aux deux flancs de l’Iran, Afghanistan et Irak. Elle l’a www.jean-jaures.org NOTE n° 180 - Fondation Jean-Jaurès - 21 juin 2013 - page 6 Iran: tout savoir sur Rouhani et sa présidence été parce que la raison principale de ce programme, c’est-à-dire la menace de l’acquisition de la bombe par Saddam Hussein, avait disparu. Et aussi parce que la partie iranienne, donc Rouhani lui-même, en échange de l’ouverture de négociations offerte par les Européens, avait accepté la mise en œuvre du Protocole additionnel de l’AIEA, permettant des inspections intrusives sur l’ensemble du territoire iranien. Il convenait donc de se mettre d’urgence en règle. Une fois la décision prise, c’est aussi Rouhani qui a personnellement veillé à son application, venant à bout des très fortes résistances des gestionnaires de ce programme, d’abord pour dire exactement ce qu’ils faisaient, et qui était largement ignoré du gouvernement, ensuite pour effectivement arrêter leurs activités. L’on peut donc faire le pari que l’homme qui a pris et mis en œuvre ces décisions difficiles est bien placé pour trouver une solution satisfaisante à cette crise. Ce n’est sans doute pas lui qui relancera un programme d’acquisition de la bombe. ET LA SYRIE ? Le dossier se trouve actuellement entre les mains des Pasdaran et le gouvernement n’a aucune prise sur lui. Rouhani ne s’est pas exprimé à ce sujet durant la campagne et s’il l’a évoqué durant sa première conférence de presse, ce fut pour tenir un discours convenu, correspondant d’ailleurs peut-être à ses convictions : soutien au « gouvernement légitime », choix ouvert offert aux électeurs en 2014. Le seul point de convergence que l’on puisse trouver entre les positions iraniennes et celles de l’Occident réside dans le principe d’une sortie de crise négociée, couronnée par des élections libres et contrôlées par la communauté internationale. C’est peu, et fort théorique, évidemment. L’installation d’un gouvernement plus présentable que celui d’Ahmadinejad permettra-telle à l’Iran de jouer un rôle dans la négociation multilatérale en cours ? La diplomatie française a exprimé avec insistance ces derniers temps l’inquiétude de voir l’Iran tenter d’arracher l’autorisation de fabriquer la bombe en contrepartie de concessions sur la Syrie. Sur ce point en tout cas, Rouhani devrait pouvoir nous rassurer. www.jean-jaures.org NOTE n° 180 - Fondation Jean-Jaurès - 21 juin 2013 - page 7 Iran: tout savoir sur Rouhani et sa présidence DEVANT CETTE NOUVELLE DONNE, EUROPÉENS ET LES AMÉRICAINS ? QUE PEUVENT FAIRE LES Ils ont sans doute deux pièges à éviter. Le premier serait d’interpréter comme un aveu de faiblesse le souhait de Rouhani de voir au plus vite lever les sanctions qui frappent l’économie iranienne, et de tenter à partir de là de pousser leur avantage sur le dossier nucléaire. Déjà, dans sa première conférence de presse, le nouveau président a tracé à grands traits sa vision des choses : l’Iran ne suspendra pas une seconde fois ses activités d’enrichissement, il souhaite voir reconnus tous ses droits en la matière, étant entendu qu’il est prêt à se plier à des règles maximales de transparence et de contrôle en vue de garantir la finalité pacifique de son programme. L’on voit donc apparaître à la fois des signes d’ouverture et de nettes « lignes rouges ». Car, avec toute sa bonne volonté, Rouhani est un homme de la révolution islamique, régime portant au cœur de son identité le rejet des humiliations endurées par les deux dynasties ayant régné sur l’Iran aux XIXème et XXème siècles. Il sait que tout accord sur le nucléaire qui rappellerait les anciens « traités inégaux » aurait un caractère suicidaire pour le régime et pour lui-même. Le deuxième piège consisterait à répéter l’erreur commise par les Occidentaux à l’époque de la présidence de Khatami. Lui aussi était arrivé avec un langage d’ouverture. Il n’avait été cru qu’à moitié. Les chancelleries le voyaient comme le visage avenant d’un régime qui, dans ses aspects fondamentaux, n’avait changé en rien, un régime qui poursuivait ses visées hostiles à l’égard de l’Occident et de ses séides, sans oublier Israël. Et donc, l’on n’avait guère bougé. L’on demandait des « premiers gestes ». Il y en avait eu, comme l’aide importante apportée par l’Iran à l’intervention occidentale en Afghanistan, ou la suspension des activités d’enrichissement d’uranium. Mais ce n’était pas assez, il y avait en même temps les menées du régime au Liban, en Irak ou ailleurs, sur lesquelles Khatami n’avait aucune prise, l’Iran était maintenu dans « l’axe du mal ». Ainsi, faute de résultats, la politique étrangère de Khatami s’était peu à peu discréditée. Cela a contribué à la déception de la population et a donné raison aux durs du régime. Ahmadinejad a alors fait de la « complaisance » et de la « naïveté » de la diplomatie du président sortant l’un de ses thèmes de campagne. www.jean-jaures.org NOTE n° 180 - Fondation Jean-Jaurès - 21 juin 2013 - page 8 Iran: tout savoir sur Rouhani et sa présidence Les premières déclarations occidentales entendues au lendemain de l’élection de Rouhani montrent un optimisme prudent et, à nouveau, l’espoir de voir l’Iran faire « les premiers pas ». « Si Monsieur Rouhani répond à l’obligation que lui font les résolutions du Conseil de sécurité de régler la question de son programme nucléaire illicite, il nous trouvera comme partenaire », a fait savoir le porte-parole de la Maison Blanche. Le porte-parole du Quai d’Orsay est venu en écho : « nous attendons de l’Iran qu’il fasse des gestes concrets pour établir la confiance, en vue d’une pleine mise en œuvre des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies et de l’AIEA ». Enfin, le ministre des Affaires étrangères britannique a déclaré au Parlement qu’il espère de l’Iran « tous les efforts possibles pour parvenir à un règlement négocié de la question nucléaire », ajoutant : « si l’Iran est prêt à faire ce choix, nous sommes prêts à répondre de bonne foi ». Autant de signaux qui montrent tout le chemin restant à parcourir. www.jean-jaures.org