GV comme Grand Voyage

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GV comme Grand Voyage
technique
GV comme Grand Voyage
Quand on est un jeune navigateur solitaire de cinquante piges et pas un vieux
routier de la course au large de vingt ans, comment fait-on pour se simplifier
la vie pour gérer modestement 50 m² de tissu et 30 mètres de bout, sans pour
autant enrouler la GV dans le mât et la drisse sur un winch électrique ?
Un minimum d’exercice est nécessaire pour se maintenir en bonne santé…
Il y a vieux routier et vieux routiers
Peu avant son historique record, Françis Joyon emmena
deux autres vieux routiers à bord de son IDEC tout neuf,
pour un galop d’essai dans la baie de Quiberon. L’un des
deux était mon ami Charlie Capelle, constructeur de Thoè
et coureur au large. Sorti du chenal de la Trinité, Charlie
plein d’entrain se mit à l’oeuvre d’envoyer la GV. Arrivé à
bout de souffle à mi-hauteur, il passa le relais au second
équipier. Celui-ci joua du moulin à café sans fausse note,
comme à l’entraînement, en jouant des mécaniques. Il avait
décidé de faire mieux que Charlie et de ne pas abandonner
lâchement avant d’avoir étarqué le guindant à la tension
optimale. Dans ce cas, l’intention ne compte pas. Il tomba
dans les pommes et on dut le ranimer ! Un vieux routier
comme Françis Joyon vaut plus de deux vieux routiers avertis comme Charlie. Alors, qui sont les amateurs ?
Dresser la drisse
Thoè est équipé d’une drisse mouflée. Avec un mât de 16
mètres, cela fait 30 mètres de drisse à lover après avoir
envoyé la voile. Elle doit être aussi parfaitement lovée qu’un
parachute est plié avant de sauter, pour ne pas multiplier
les difficultés plus tard, quand il sera temps d’affaler. La
méthode habituelle impose de faire subir au bout un quart
de tour à chaque boucle, sinon… galère !
Il existe un autre moyen de s’assurer que les quarts de tour
sont correctement exécutés : les ignorer ! Il faut tourner la
drisse en 8 autour, par exemple, d’une manivelle de winch
(orienter le bras de la manivelle vers le côté opposé pour
que la glène ne se décroche pas). Le bout subit une torsion
à chaque demi-tour, une fois dans un sens, une fois dans
l’autre, car il tourne une fois à droite, une fois à gauche. Le
résultat est nul et l’affalage sans cosses garanti.
Drisse claire et prises de ris
Photos © Pierre Lang
À chaque envoi de la GV, cela représente de nombreux
mètres de bouts à lover (une glène de ± 20 boucles). En
soi, ce n’est rien… par temps calme. Cela complique néanmoins le travail d’un capitaine paresseux. À chaque envoi
ou prise de ris, il faut lover tous ces mètres pour être certain
de conserver la drisse parfaitement claire et l’esprit aussi
clair, dégagé de toute inquiétude à l’affalage suivant. Voici
comment je procède :
Le troisième ris étant rarement pris, je considère que la portion de drisse à lover quand le second ris est pris, est un long
bout qui ne sert à rien en cours de route. Il représente trois
quarts de la longueur totale. La portion de drisse « inutile
pour les prises de ris » est lovée en huit et accrochée sur
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Sécurité face aux abordages en mer
un taquet auxiliaire.
Sur Thoè, ce taquet
est posé sur la face
avant du mât, car
affaler est plus facile
si la glène est posée
sur le pont devant
le mât. La « partie
utile » servant aux
manoeuvres
des
premier et deuxième ris, reste accrochée à la manivelle.
La section de drisse
réellement utilisée en route ne mesure que quelques mètres
(deux fois la hauteur de la bosse du deuxième ris, soit seulement ± 5 boucles). Elle est très facile à conserver claire,
même par temps musclé. Si, suite à une autre priorité, elle
est momentanément abandonnée sur le pont, elle ne sera
pas le point de départ d’une cascade de problèmes. Pour
déterminer la limite des deux tronçons de drisse, il suffit de
savoir compter jusque cinq, tout en lovant la drisse. Même
les hommes, dont on dit qu’ils ne savent pas faire deux
choses à la fois, sont capables de faire cela.
Procédure
1 J’envoie la GV. 2 Je commence à lover la drisse en huit
sur la manivelle de winch en comptant les tours. 3 À cinq,
je lâche la glène créée et j’en commence une autre, jusqu’au bout (± treize
tours). 4 À la fin, je
tiens, dans la main
gauche, la portion
de drisse inutile qui
doit être rangée
jusqu’au moment
d’affaler la voile.
5 Je la retire de la
manivelle de winch,
passe la sangle
dedans (photo cicontre) et accroche
celle-ci au taquet.
6 Cette section de drisse restera claire pendant toute la
traversée, indépendamment des prises de ris éventuelles.
Envoyer et affaler la GV
Suite à l’affalage mouvementé de la GV dans la forte houle
devant Aveiro (voir Yachting Sud N°894), j’ai décidé de réutiliser une technique antérieure qui marchait très bien avec
Thoè. Ce n’est peut-être pas le cas avec tous les voiliers.
Généralement, on met le bateau face au vent, au moteur,
puis on envoie ou affale la GV. L’inconvénient, dans le clapot, est que le bateau roule bord sur bord. La bôme et les
écoutes fouettent les invités, Éole s’évertue à désarçonner
le capitaine oeuvrant au pied du mât, etc.
M’inspirant de la procédure normale de prise de ris, j’envoie
(ou j’affale) la GV sous solent seul. Le moteur est démarré
plus par sécurité pour pouvoir faire face plus à un imprévu
que par nécessité,
en le mettant éventuellement en avant
à petite vitesse,
pour aider le pilote
à tenir son cap pendant la manoeuvre.
1 Je mets Thoè au
près, de préférence
bâbord amure car
le bloqueur de la
drisse et le winch
sont installés sur
le côté bâbord du
mât, et que je suis
habitué à travailler
de ce côté. 2 Je
règle le pilote avec
une réponse et un gain important pour qu’il s’efforce désespérément de faire lofer le bateau pendant la manoeuvre. Je
le programme pour un près serré, même si Thoè ne peut y
arriver sous solent seul avec une GV qui faseye. 3 Je déplace le chariot de GV sous le vent (le rail d’écoute de Thoè
mesure trois mètres). 4 Je choque l’écoute de GV pour
qu’elle faseye et je ferme son bloqueur (ou je la tourne sur
un winch). 5 Je croche mon harnais sur la ligne de vie et je
vais au pied de mât (voir Yachting Sud N°899). 6 Si je veux,
je peux aussi crocher mon harnais sur un pontet fixé au mât.
7 J’envoie (ou j’affale) la GV, le bateau continuant sa route
sous solent seul, un peu perturbé par la manoeuvre.
Avantage :
Comme le solent s’appuie sur le vent, le bateau gîte légèrement, roule moins et la bôme reste de son côté. Amélioration du confort et de la sécurité au pied de mât. La bôme est
moins volage. Cela marche éventuellement sans moteur. Le
roulis modéré du bateau aidera le vent à ranger proprement
la GV dans le « lazy bag ». Je n’y vois que des avantages.
Truc bonus : lubrifier les coulisseaux de GV
Pour faciliter le glissement des coulisseaux dans la gorge du
mât, rien de tel que le liquide de la vaisselle. Il disparaît avec
la pluie, ne laissant aucune trace (éviter l’huile et la graisse,
car ils font pire que bien : des amalgames collants). L’idéal
est de stocker le liquide vaisselle dans une pissette comme
celle de vos labos de chimie, quand vous étiez gamin avant
d’être marin.
• Pierre Lang
Journal et eBook sur Internet : www.thoe.be
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