Carte scolaire : Évaluation de la procédure Affelnet1 - PSE

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Carte scolaire : Évaluation de la procédure Affelnet1 - PSE
Carte scolaire : Évaluation de la procédure Affelnet 1
Victor HILLER 2
Olivier TERCIEUX 3
Depuis la rentrée 2008, la carte scolaire a été assouplie partout en France. 4 En pratique,
il est demandé aux parents d’élèves de soumettre, au rectorat de l’académie où ils résident,
une liste d’écoles, classées par ordre de préférences, auxquelles ils souhaitent que leur
enfant ait accès. L’affectation des élèves dans les établissements demandés reste néanmoins
régie par un certain nombre de règles. Ces règles permettent à chaque école de hiérarchiser
les élèves en terme de priorité d’accès. Les ordres de priorités des écoles sont connus et
définis par un système qui accorde à chaque élève un certain nombre de points en fonction
de ses caractéristiques (lieu de résidence, niveau scolaire, milieu social de ses parents,...). 5
Le choix d’une procédure précise pour affecter les élèves dans les établissements scolaires en tenant compte à la fois des préférences des familles mais aussi des règles de
priorités fixées par les rectorats est l’objet d’étude de la théorie de l’appariement. 6 Ce
choix constitue un enjeu crucial dans la mesure où, de la procédure sélectionnée, dépend
à la fois le respect d’objectifs édictés par les rectorats et reflétés par le système de points
retenu, et la satisfaction des élèves et de leurs parents.
Il existe de nombreuses procédures d’affectations ayant des propriétés très distinctes.
L’objet de cette note est de résumer notre évaluation de la procédure Affelnet, actuellement
utilisée en France (Cf. Hiller et Tercieux (2012)). Dans cette étude, nous soulignons les
aspects positifs de cette procédure, mais également qu’elle peut être améliorée afin de
mieux remplir un certain nombre d’objectifs naturels.
En nous appuyant à la fois sur les déclarations et documents émanant des rectorats
et sur la théorie de l’appariement, nous avons retenu quatre critères essentiels qu’une
procédure d’affectation devrait idéalement satisfaire (ceux-ci sont listés ci-dessous sans
ordre particulier) :
1. Cette note résume de façon non technique les résultats obtenus dans Hiller et Tercieux (2012).
2. Université de Paris 2 Panthéon-Assas. Courriel : [email protected]
3. Ecole d’Economie de Paris et CNRS. Courriel : [email protected]
4. L’assouplissement de la carte scolaire est effective depuis la rentrée 2008 pour l’entrée au lycée dans
l’ensemble des académies ainsi que pour l’entrée au collège dans certaines académies. Elle ne concerne
pas l’école primaire.
5. A titre d’exemple, l’Académie de Paris est constituée de quatre districts. Pour entrer dans un
lycée en classe de seconde, les élèves obtiennent 600 points dans les écoles se situant dans le district
où ils sont domiciliés. Si ils sont boursiers, ils obtiennent 300 points pour n’importe quelle école. Le
fait d’avoir un frère ou une soeur dans l’école permet d’obtenir 50 points. Finalement, les résultats
scolaires rentrent en ligne de compte (une procédure de lissage tâche de corriger les biais associés à
une notation trop généreuse ou trop sévère dans certains établissements) et peuvent rapporter jusqu’à
600 points en supplément. Toutes les informations sur ce système de points sont fournies par le Rectorat de Paris : http ://www.ac-paris.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2011-03/affectation_3e2011-net_2011-03-21_10-28-33_622.pdf.
6. Le livre de référence sur le sujet reste à l’heure actuelle Roth et Sotomayor (1990).
1. Le respect des préférences des familles. Compte tenu du nombre d’élèves et du
nombre de places disponibles, chacun ne peut être admis dans l’école qu’il préfère. Néanmoins, il est légitime de chercher une procédure conduisant à l’affectation
la plus proche possible des aspirations des élèves et de leurs parents. Cet objectif
constitue une préoccupation majeure pour les rectorats. En effet, ces derniers jugent
de la performance d’une affectation en fonction de la proportion d’élèves obtenant
leur premier vœu ou un lycée appartenant à l’ensemble des vœux formulés, et donc,
in fine, en fonction de la satisfaction des élèves. 7
2. Une juste affectation. Il est important que les familles ne ressentent pas une forme
d’injustice à la découverte de l’affectation de leur enfant. Nous appelons injuste
une situation dans laquelle un élève ne peut être affecté dans une école où d’autres
enfants, ayant une priorité plus faible, sont eux mêmes affectés. Ce type de situation
pourrait exposer les rectorats à des critiques justifiées ainsi qu’à des demandes de
révision d’affectation de la part des parents d’élèves.
3. Le respect de la sincérité. Aucune famille ne devrait être pénalisée par un report
sincère de ses voeux ou, autrement dit, le report d’une liste de vœux ne devrait
pas être l’objet de choix stratégiques. Le fait qu’une procédure ne respecte pas ce
critère conduit à deux problèmes majeurs. Tout d’abord, les parents qui, pour une
raison quelconque, bénéficient de moins d’information sur la qualité des écoles ou
sur le taux de pression 8 de ces dernières seraient pénalisés. Il semble injuste que
les enfants issus de ces familles ne puissent pas bénéficier des mêmes opportunités
que des enfants de familles mieux informées. Par ailleurs, indépendamment de cette
injustice potentielle, une telle procédure risque de priver certains élèves de places
dans des lycées auxquels ils auraient pu avoir accès. En effet, dans de nombreuses
situations, les stratégies retenues par les parents dans le choix de leur liste de vœux
sont excessivement prudentes. Ainsi, il peut arriver que des élèves ne reportent pas
certains lycées très demandés alors même qu’ils bénéficient d’une priorité élevée dans
ces lycées.
4. Le respect des priorités. Les règles de priorités d’accès sont définies par le rectorat
en concertation avec les fédérations de parents d’élèves et les représentants des proviseurs ; elles reflètent un certain nombre d’objectifs. En particulier, elles peuvent
permettre de favoriser certaines franges de la population (élèves boursiers, élèves
obtenant de bons résultats scolaires...). Ainsi, si toutes choses égales par ailleurs,
un élève augmente sa priorité dans l’ensemble des écoles, il est légitime que cela se
traduise par une meilleure affectation. A titre d’exemple, il est naturellement souhaitable qu’un élève améliorant ses résultats scolaires n’en soit pas paradoxalement
pénalisé !
Le premier résultat que notre étude a permis de mettre en évidence est la similitude
entre la procédure Affelnet et une procédure souvent étudiée dans la théorie de l’appariement : la procédure d’acceptation différée avec priorité aux écoles. Affelnet diffère de
cette procédure sur deux points seulement. Le premier est l’existence d’une contrainte sur
7. Voir les bilans d’affectation des différentes académies. A titre d’exemple, le bilan
proposé par le Rectorat de Paris et portant sur l’année scolaire 2010-2011 est disponible à l’adresse suivante : http ://www.ac-paris.fr/portail/upload/docs/application/pdf/201112/bilan_orientation_affectation_2011_2011-12-15_12-26-24_507.pdf.
8. Le taux de pression sur une école correspond au rapport entre le nombre d’élèves la classant en
premier dans leur liste de vœux et le nombre de places disponible dans cette école.
le nombre de vœux que les familles ont la possibilité de reporter. 9 La seconde concerne
l’existence d’un bonus de points accordé aux élèves dans l’école qu’ils classent en premier
dans leur liste de vœux. Ce bonus premier vœu a été abandonné dans les académies de
Lyon et Paris mais reste utilisé par la plupart des rectorats en France. 10
Passons maintenant à l’évaluation de la procédure Affelnet à l’aune des quatre critères
précédemment énoncés. Dans un soucis de clarté nous décomposons notre analyse en deux
temps. Nous étudions d’abord la procédure Affelnet en ignorant la présence d’une limite
sur le nombre de vœux reportés par les parents ainsi que celle d’un éventuel bonus premier
vœu. Dans un second temps, nous commentons les conséquences de la prise en compte de
ces deux composantes additionnelles.
Reprenons successivement chacun de nos quatre critères et vérifions si ils sont satisfaits
ou non par la procédure Affelnet (dans sa version sans limite sur la liste de vœux ni bonus
premier vœu).
Juste affectation. Nous montrons que la procédure Affelnet mène à une affectation
juste. Ainsi, la seule raison pour laquelle une famille peut se voir refuser une place dans
une école, est que toutes les places ont été allouées à des élèves ayant une plus grande
priorité dans cette école. Ceci est un critère de justice essentiel qui est donc satisfait par
la procédure actuellement utilisée en France.
Respect de la sincérité. La procédure Affelnet ne satisfait pas parfaitement ce critère.
Ainsi, en théorie, les élèves peuvent obtenir une meilleure affectation si leurs parents
utilisent de bonnes stratégies dans le report de leurs listes de vœux. Cependant, nous
soulignons que, pour mettre en place ces stratégies, il serait nécessaire que les parents
aient une connaissance précise, non seulement de la procédure utilisée, mais aussi des
priorités et des préférences de l’ensemble des élèves. Ceci étant assez improbable, nous
concluons que cette procédure est, en pratique, difficilement manipulable. Néanmoins, le
fait que la procédure Affelnet ne soit pas parfaitement non-manipulable pose un problème
en terme de message à faire passer aux parents d’élèves. En effet, les rectorats ne peuvent
pas annoncer que le mieux pour les parents serait de reporter leurs vœux sincèrement.
L’absence d’un tel message risque de générer l’adoption de stratégies inefficaces (trop
prudentes par exemple) de la part des parents.
Respect des préférences des familles. La procédure Affelnet ne respecte pas les
préférences des familles. Il est tout à fait possible que l’affectation produite par cette
dernière soit telle que l’on puisse améliorer la situation de plusieurs élèves en les laissant
échanger leurs affectations. De façon plus importante, il existe une procédure alternative,
la procédure d’acceptation différée avec priorité aux élèves, qui, tout en respectant les
critères de juste affectation et de respect de la sincérité, permet à chaque famille d’obtenir
une inscription dans une école qu’elle estime identique ou meilleure à celle obtenue grâce
à Affelnet.
9. Cette contrainte varie d’une académie à l’autre. Prenons par exemple le cas de l’affectation en
seconde générale : à Grenoble les familles peuvent émettre quatre vœux maximum, alors qu’à Caen ou
Paris, elles ont la possibilité de lister six lycées.
10. En ce qui concerne l’affectation au lycée pour la rentrée 2011, nous n’avons pu lister que trois
académies (Lyon, Paris et Versailles) sur les vingt-cinq pour lesquelles nous avons obtenu cette information
qui n’ont pas mis en place le bonus premier vœu.
Respect des priorités. Le critère de respect des priorités n’est pas satisfait par Affelnet.
Ainsi, un élève ayant une priorité élevée dans l’ensemble des écoles peut, paradoxalement,
obtenir une affectation qu’il juge moins bonne que celle qu’il aurait obtenue avec une
priorité plus faible. Cela constitue un défaut majeur de la procédure Affelnet. Il est, en
effet, très préoccupant qu’un élève augmentant sa priorité dans l’ensemble des lycées,
en améliorant ses résultats scolaires par exemple, en soit pénalisé dans son affectation.
Les priorités des écoles sur les élèves sont censées refléter les objectifs des rectorats, la
procédure Affelnet peut donc, dans certains cas, rendre le système de priorités contreproductif. A l’inverse, la procédure d’acceptation différée avec priorité aux élèves respecte
les priorités et évite donc ce type de problème.
Passons maintenant à la seconde étape de notre évaluation dans laquelle nous nous
intéresserons successivement aux conséquences de l’existence d’une limite sur le nombre
de vœux reportés par les parents, puis d’un bonus premier vœu.
Limite imposée sur la liste de vœux. Nous soulignons que l’existence d’une contrainte
sur le nombre de vœux que les familles ont la possibilité de reporter produit plusieurs effets
indésirables. Tout d’abord, elle implique qu’un certain nombre d’élèves peuvent se retrouver sans affectation à l’issue de la première étape de la procédure Affelnet. 11 D’autre part,
elle aggrave le problème de non-respect de la sincérité. En effet, le risque de non-affectation
pousse les parents à construire leurs listes de vœux de façon stratégique. Les stratégies à
mettre en œuvre sont, cette fois, relativement accessibles. Il s’agit d’être prudent dans le
report de ses vœux. Comme nous l’avons discuté, ce non-respect de la sincérité pose, en
premier lieu, un problème d’équité. En effet, les parents les mieux informés ou ayant les
ressources pour acquérir de l’information disposent d’un avantage non-négligeable dans la
mise en place des stratégies d’accès aux meilleures écoles. De plus, il pousse les parents
à être excessivement prudents 12 , à tel point que certains élèves peuvent perdre complètement l’opportunité d’accéder à des écoles dans lesquelles ils avaient pourtant une priorité
élevée. Enfin, du fait de cette restriction sur la liste de vœux, il n’est plus assuré que la
procédure Affelnet mène à une juste affectation.
Bonus premier vœu. Ce type de bonus a un effet pervers : il aggrave le problème de
non respect de la sincérité. En effet, si une famille pense que l’école qu’elle préfère est très
demandée et donc que les chances d’y être affecté sont faibles, elle a tout intérêt à ne pas
la classer en premier vœu puisqu’elle risquerait, en le faisant, de perdre le bonus. Elle se
rabattra donc sur un premier choix considéré comme moins demandé. Nous avons d’ores
et déjà présenté les conséquences négatives de ces possibilités de manipulation en terme
d’équité et d’efficacité de l’affectation finale.
Notre analyse nous conduit à formuler plusieurs recommandations qui, selon nous,
seraient susceptibles d’améliorer l’affectation des élèves dans les établissements scolaires.
11. Il existe une seconde étape de la procédure Affelnet où les élèves non-affectés à la première étape
peuvent reformuler des voeux. Il est clair qu’un élève non-affecté à la première étape perd sa priorité sur
toutes les écoles qui n’ont plus de places disponibles à l’issue cette étape. Il est donc primordial pour les
familles d’éviter de passer par la seconde étape d’Affelnet.
12. Il est frappant que les appels à la prudence émanent des rectorats eux-mêmes. En effet, le rectorat recommande bien souvent de favoriser les vœux de son district de domicile. Par ailleurs, certaines
académies ont rendu obligatoire, pour chaque candidat, d’exprimer au moins un vœu non sélectif (correspondant au lycée de secteur). En cas de non respect de la consigne, l’inspection académique ajoute de
façon systématique ce vœu.
Recommandations.
1. Abandon du bonus premier vœu. Les effets pervers du bonus premier vœu en terme
de non-respect de la sincérité nous semblent suffisamment sérieux pour que nous recommandions son abandon comme cela a d’ores et déjà été décidé dans les académies
de Lyon et de Paris
2. Augmentation de la taille des listes de vœux. Il serait désirable d’augmenter, dans
la mesure du possible, le nombre d’écoles pouvant être demandées par les parents.
Allonger cette liste de vœux de seulement quelques écoles serait suffisant pour améliorer significativement les performances de la procédure d’affectation en terme de
respect de la sincérité et des préférences des parents.
3. Remplacement de la procédure Affelnet par la procédure d’acceptation différée avec
priorité aux élèves. La procédure d’acceptation différée avec priorité aux élèves domine la procédure Affelnet dans toutes les dimensions considérées (i.e., les quatre
critères présentés). Afin de quantifier l’impact d’un tel changement de procédure,
nous avons mené des simulations sur 1000 élèves et 10 écoles en faisant varier les caractéristiques des préférences des parents. Cet impact est toujours positif et d’autant
plus fort que les préférences des familles sont indépendantes. Dans certains cas, près
de 75% des élèves bénéficieraient du changement. 13, 14 Pour finir, soulignons que le
type d’arguments exposé dans cette synthèse ont mené à l’adoption du mécanisme
d’acceptation différée avec priorité aux élèves dans de nombreuses grandes villes à
travers le globe (Boston, New-York, Hong-Kong, etc...).
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
HILLER, V. et O. TERCIEUX, [2012],« Choix d’écoles en France : une évaluation de la
procédure Affelnet », disponible à http ://www.pse.ens.fr/tercieux/Affelnet.pdf.
ROTH A.E. et SOTOMAYOR M. [1990] « Two-Sided Matching : A Study in GameTheoretic Modeling and Analysis, », Cambridge University Press.
13. Une analyse plus fine nécessiterait de travailler avec de vraies données, fournies par un rectorat.
14. Le rectorat présente souvent des chiffres de 80 à 90% d’élèves affectés à leurs premiers voeux. Notons
que ce critère est très délicat à interpréter dans le contexte actuel. En effet, les parents étant poussés à
être prudents dans leurs listes de choix, s’ils obtiennent leur premier choix reporté, ceci n’a aucune raison
d’être l’école qu’ils préférent. Ainsi, il est marquant que la proportion de parents obtenant leur premier
voeu ait cru ces dernières années. Une explication naturelle est que les parents ont appris progressivement
à se renseigner sur les taux de pression et ainsi ont pu mettre en oeuvre des stratégies prudentes (et bien
souvent excessivement prudentes), telles que celles recommandées par le rectorat (voir note de bas de
page numéro 9).