La vie religieuse en Italie
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La vie religieuse en Italie
492596 13 SCP60310.1177/0037768613492596Social CompassDalpiaz : La vie religieuse en Italie Article La vie religieuse en Italie Giovanni DALPIAZ social compass Social Compass 60(3) 348–361 © The Author(s) 2013 Reprints and permissions: sagepub.co.uk/journalsPermissions.nav DOI: 10.1177/0037768613492596 scp.sagepub.com Faculté Théologique de Triveneto, Italie Résumé La vie religieuse en Italie est en train de changer de visage, ainsi que les modalités de sa présence dans la société. L’auteur analyse les dynamiques de ce changement. Autour des années 80 du siècle dernier on a connu l’arrêt du cycle d’expansion qui avait commencé à partir de 1870. Aujourd’hui les instituts religieux doivent affronter en premier lieu les problèmes posés par la nécessité de réduire leur présence sur le champ à cause de la baisse des vocations. En deuxième lieu, on voit bien l’affaiblissement de leur influence sur la société, qui auparavant était moyennée par plusieurs « œuvres » dans le domaine de l’institution, de la santé, du welfare, etc. On a essayé de trouver des solutions dans le sillon de la continuité, c’est à dire d’assurer le fonctionnement des œuvres, plutôt que d’expérimenter une différente manière de s’insérer dans la société. Mots-clés Église catholique, Instituts religieux, Italie, vocations Abstract Italian religious life is changing in both its institutional shape and its mode of social presence. This article analyses the dynamics of the change. The cycle of expansion that began in 1870 drew to a close around the 1980s. The lack of vocations, a factor that will tend to become more pronounced in the coming years, is forcing religious communities to re-think their presence in their local territory. The present response is to gradually close communities as the number of religious adherents diminishes and to rely increasingly on lay personnel to conduct religious activity. This approach is simply a reaction to a decline in numbers, and does not seem to be accompanied by a reflection on how structurally weaker religious communities might nevertheless continue to be a significant presence in society and in the Church. Keywords Catholic Church, Italy, religious orders, vocations Pour toute correspondance : Giovanni Dalpiaz, Faculté Théologique de Triveneto, Inst. Théol. S. Zénon de Vérone, via del Seminario 8, 37129 Vérone, 37011, Italie Email : [email protected] Dalpiaz : La vie religieuse en Italie 349 Une présence répandue La vie religieuse en Italie est une présence qui a profondément façonné la sensibilité religieuse, la vie culturelle et politique du pays. Il suffit de flâner quelques minutes dans les villes et les villages italiens pour rencontrer des couvents, des monastères, des églises qui témoignent visuellement d’une présence plurielle et répandue. Il est vrai que de nos jours la présence des Instituts religieux est beaucoup plus discrète, mais ces Instituts, surtout les féminins, conservent encore néanmoins une diffusion importante sur le terrain. Ces Instituts demeurent importants pour comprendre l’enracinement social du catholicisme italien. Leur nombre reste significatif, surtout en comparaison avec la situation européenne : en 20101 il y avait 2.922 communautés religieuses masculines et 8.163 féminines, sans compter les 510 monastères cloîtrés, ce qui fait au total 11.595 maisons religieuses2. Ce nombre se rapproche de celui des paroisses qui sont 18.983. Elles représentent avec leurs activités, même aujourd’hui, un facteur important pour orienter le consensus vers l’Église, en assurant le maintien de l’influence sur la société italienne, voire de l’hégémonie en certaines régions. Pour les Instituts religieux masculins, la paroisse est souvent leur propre raison d’être : une communauté sur deux parmi ses activités s’occupe d’une ou plusieurs paroisses. Il en va de même pour les sœurs, bien que leur présence se limite généralement au soutien de l’action du curé. Néanmoins, les sœurs ont parfois une responsabilité directe dans l’administration paroissiale, elles s’occupent de la formation des jeunes (écoles maternelles, catéchèse, etc.), d’une partie de la pastorale (visite aux familles, aux personnes âgées, etc.) et de l’organisation des initiatives de charité (aide aux pauvres, accueil des immigrants, etc.). Outre la direction des paroisses, les religieux et les religieuses trouvent leurs propres champs d’action dans les « œuvres » (écoles, hôpitaux, centres d’assistance, librairies, magasins, etc.). Il s’agit, presque toujours, de structures nées entre la fin du 19e siècle et le début du 20e siècle, et qui naissent en tant que réponse de « charité » au moment où la révolution industrielle, générant des migrations de la campagne à la ville, redessine les relations sociales au détriment de la solidarité parentale et villageoise qui étaient jusque-là les points de repère essentielles des relations humaines et de la formation culturelle et professionnelle. À ce moment-là, l’institution ecclésiale dans son ensemble n’est pas en mesure de comprendre l’ampleur et la profondeur d’un changement qui marque la fin de cette culture rurale avec laquelle elle s’était profondément identifiée au cours des siècles. Pour les hommes qui gouvernent l’Église la nouveauté est trop bouleversante pour qu’ils puissent en reconnaître le sens et en accueillir le côté positif. Ils maintiennent donc autant qu’ils le peuvent une attitude réticente, voire d’opposition. C’est grâce à l’intuition de quelques grandes personnalités (Rosimini, don Bosco, Murialdo, Cottolengo, etc.), qui agissent résolument en dehors des institutions religieuses, que l’on a pu élaborer une réflexion plus articulée sur ce changement : les problèmes sont alors identifiés et des propositions sont faites pour réagir aux dynamiques de marginalisation sociale. Cette réponse a deux objectifs mis en œuvre selon les différentes réalités rencontrées : la formation et la charité. Formation surtout religieuse, mais aussi professionnelle : il s’agit de donner à ces agriculteurs, jadis fidèles à l’église et désormais exposés aux risques de 350 Social Compass 60(3) la déchristianisation, des outils à la fois pour préserver le lien avec l’institution ecclésiale et pour pouvoir affronter les exigences professionnelles afin de pouvoir devenir de « bons » travailleurs. C’est ainsi que naissent de nombreux Instituts, tous assez semblables dans leurs objectifs, leur modèle d’organisation, leur physionomie spirituelle et, au moins au début, dans leur souci pour la réalité locale. Le « localisme » est la force qui les caractérise : les nouveaux Instituts répondent aux besoins immédiats et dessinent un programme d’aide social à la mesure de leur région. Ils suscitent ainsi l’estime et reçoivent un soutien économique pour élargir des initiatives que tous, même ceux qui critiquent l’institution ecclésiale, reconnaissent comme positives. Il s’agit d’un consensus qui nourrit et soutient à la fois de nouvelles vocations, la croissance numérique et la multiplication des œuvres. Les nouvelles Congrégations apparaissent pleines de vie, entreprenantes, créatives et acceptent de se confronter à la nouvelle organisation que la société était en train de mûrir. Mais il n’en va pas de même pour les Ordres plus anciens, monastiques ou mendiants (Franciscains, Dominicains, etc.) et pour les clercs réguliers (Jésuites, Camilliens, etc.). Ceux-ci se donnent comme objectif principal de maintenir un modèle de présence historiquement avérée selon un style spécifique de prédication, de formation chrétienne des laïcs, de maintien des relations intra-ecclésiales, etc. Ils s’engagent ainsi de façon prioritaire à préserver et à perpétuer une tradition pluriséculaire au sein de laquelle l’engagement social n’est pas une option préférentielle. Les œuvres de charité sont envisagés beaucoup plus comme un partage compatissant que comme un soutien à des initiatives contre la marginalisation et l’exclusion. Bien différente est la situation des religieuses. Pour elles, la prise en compte des changements socio-économiques et culturels, ainsi que la nécessité d’une présence active dans la vie pastorale a suscité une vie religieuse post-monastique, avec l’abandon du modèle cloîtré. Ce dernier conserve bien sûr une présence significative en Italie mais bien inférieure à celle dont il jouissait dans le passé. Il demeure d’ailleurs quantitativement minoritaire par rapport au développement de nouveaux Instituts. L’enracinement social de la vie religieuse italienne doit certainement son origine à la présence pluriséculaire des monastères et des couvents de la tradition mendiante. Par ailleurs, si cet enracinement est encore bien vivant, c’est grâce au changement de style produit par les nouvelles Congrégations entre la fin du 19e et le début du 20e siècle. Dans une église où beaucoup de fidèles étaient encore nostalgiques de l’ancien régime, ces Congrégations ont contribué à susciter une attention aux nouveaux groupes urbains qui éprouvaient dans leur chair l’émargination et le déracinement culturel. Cependant ce rôle social des Congrégations religieuses qui était, et qui à bien des égards est encore un point d’appui au consensus qu’il transmet, a produit une sécularisation du témoignage. Au début, à l’époque héroïque du Fondateur, le désir de manifester dans les œuvres de charité l’amour envers le pauvre, en tant qu’icône du Christ, avait suscité une œuvre d’assistance. Mais au fur et à mesure que le service se structurait et s’institutionnalisait, les exigences d’efficacité ont fait passer le témoignage à l’arrièreplan. Ainsi l’Institut, tout en conservant la même finalité, prenait en charge des « œuvres » de plus en plus professionnelles et se laïcisait. Il devenait finalement une agence dont on attend de bons services indépendamment de l’inspiration religieuse à l’origine. D’autant plus qu’entre-temps l’État avait développé son propre programme d’aide social, tout-àfait agnostique quant aux motivations, et qui est devenu un repère que même les Instituts Dalpiaz : La vie religieuse en Italie 351 ont dû suivre. Tout cela a changé la physionomie évangélique des œuvres et leur charme vocationnel, soulignant la transformation vers une sécularisation. En fait, la diminution de la présence des religieux a obligé à employer de plus en plus de personnel laïc, lié à l’Institut par un contrat de travail, conformément aux règles de la profession. La fin d’un cycle La vie religieuse, telle que nous la connaissons aujourd’hui, est née au 19e siècle et a été profondément façonné par les deux suppressions, la napoléonienne (1804-1810), et la savoyarde (au moment de la réunification du Royaume d’Italie en 1861). En soixante ans ces suppressions ont détruit plusieurs présences pluriséculaires et brisé des relations sociales qui semblaient indestructibles. Le besoin de concevoir un nouveau commencement à la vie religieuse a fini par aboutir d’une part à récrire et à réinventer la tradition, comme cela est arrivé pour la plupart des Ordres anciens, et d’autre part à forcer un renouveau de créativité nourri par le souci de manifester la solidarité envers ceux qui demeurent en graves difficultés économiques et sociales. Le rétablissement de la vie religieuse sur de nouvelles bases apparaît surtout impérieux du point de vue des vocations. Elles avaient été assez nombreuses pendant les décennies avant la Révolution Française, mais elles n’avaient pas pour autant une qualité spirituelle appropriée. Pour beaucoup, devenir religieux ou entrer dans la clôture monastique signifiait s’assurer une existence tranquille et économiquement garantie. La présence de grands ordres monastiques avec d’importants patrimoines était plutôt importante, surtout au centre et au sud de l’Italie. Par ailleurs, dans le milieu féminin, le modèle monastique connaissait, à côté d’un noyau de communautés soucieuses d’une observance régulière et fervente, une zone grise formée par de petits monastères, isolés dans des zones rurales, où les « vocations » forcées ou induites par la recherche d’une solution économique étaient assez nombreuses. La suppression napoléonienne change complètement en quelques années les points de repères. La perte des patrimoines et des bâtiments conventuels détruit un ensemble de relations communautaires et sociales, souvent de façon irréversible. Les Instituts plus anciens, en particulier ceux monastiques, sont alors bien affaiblis et ne récupèrent leur propre vigueur que partiellement durant les décennies de la restauration postnapoléonienne. Et quand, lentement et avec bien des tensions internes, les Instituts connaissent à nouveau une période de progrès, une deuxième suppression (1855-1866) renouvelle l’expropriation des terrains, du patrimoine, des bâtiments, avec une dispersion des religieux et la conséquente interruption de la vie commune. Ces événements politiques ont donc dévoilé la fragilité d’une vie religieuse plutôt faible quant à ses raisons spirituelles et à la qualité même du personnel ecclésiastique. Néanmoins la destruction et le changement du cadre législatif constituaient aussi une opportunité pour démarrer une réforme qui puisse donner une nouvelle place à la vie religieuse au sein de l’institution ecclésiale et par conséquent, un nouveau rôle social. Pour les Instituts de fondation ancienne, la reprise fut l’occasion pour achever une réforme visant au retour à l’esprit des origines, à l’observance sine glossa des règles et à un plus grand discernement dans l’accueil et la formation des nouvelles vocations. Le 352 Social Compass 60(3) Tableau 1. Religieux-religieuses en Italie de 1861 à 2010. Prêtres Religieux* Religieuses 1861 1881 1901 1921 1951 1971 1991 2010 108.607 30.632 42.664 68.844 7.191 28.172 67.147 7.792 40.250 55.364 7.309 71.679 45.677 24.112 144.171 42.176 29.184 154.790 37.765 24.540 125.887 33.161 20.751 91.286 *Religieux prêtres et religieux laïcs. Sources : 1961-1931 C. D’Agata, Statistica religiosa, Milano, Giuffrè, 1943 ; 1941-1961 : Annuario Pontificio, Rome, Vatican ; 1971-2001 : Annuarium Statisticum Ecclesiae, Rome, Vatican. Tableau 2. Variation du taux de croissance de religieux et religieuses dans la période 1871-2001 (Valeurs %). Rel.x* Rel.s 1861/81 1881/01 1901/21 1921/51 1951/71 1971/91 1991/01 –76,5 –34 +8,4 +42,9 –6,2 +78,1 +230 +101 +21 +7,4 –15,9 –18,7 –15,4 –27,5 *Religieux prêtres et religieux laics. Source : Annuarium statisticum Ecclesiae, Rome, Vatican. fait que la législation subversive de suppression ne s’applique pas aux instituts dédiés aux soins des malades et à l’éducation des jeunes encourage ceux qui pensent à une « nouvelle » vie religieuse, attentive à toute sorte de pauvreté, capable éventuellement de s’éloigner du couvent pour demeurer là où le malaise est le plus aigu et la nécessité plus grande. C’est dans ce contexte que la vie religieuse a pu retrouver son rôle spécifique dans la société italienne. Cette évolution a été possible grâce à un grand nombre de vocations, qui intéressa d’abord les nouvelles Congrégations, soulignant à quel point leurs choix étaient appréciés et composaient un projet de vie attrayant et capable d’enthousiasmer. Si la vie religieuse italienne du milieu du 19e siècle a connu une période d’expansion, la situation était bien différente au moment de l’unification de l’Italie. À ce moment-là la fin semblait arrivée : entre 1861 et 1871 les religieux passent de 30.632 à 9.163 et les religieuses, presque toutes des moniales, de 42.664 à 29.708, et elles continuent toujours à diminuer au cours des années suivantes (tableau 1). En suite la baisse s’arrête et commence une phase de relance, incertaine au début, et puis progressivement plus rapide (tableau 2). Le développement est plus vigoureux pour les Instituts masculins et féminins plus récents qui, comme nous l’avons vu, ont adopté un style inédit dans le témoignage de la charité, dans l’éducation des jeunes et dans le support de l’activité paroissiale. La croissance vocationnelle dans les Instituts plus anciens apparaît beaucoup plus lente et pénible, en particulier pour les monastères. On aperçoit une expansion qui se répand sur tout le territoire national, mais elle se manifeste avec une intensité particulière dans les régions du Nord. On y voit un réseau solide de communautés dans les régions rurales, même les plus éloignées et dans les villes, en particulier dans les banlieues. Les nouveaux Instituts féminins jouent un rôle essentiel en adoptant un modèle jusqu’alors inédit de petites communautés, quatre ou cinq personnes, en synergie avec la paroisse, ouvrant Dalpiaz : La vie religieuse en Italie 353 ainsi une voie pour retrouver un rapport immédiat avec le milieu social. Ainsi grâce à ce style, si différent de ce que l’on connaissait auparavant, les religieuses deviennent une présence amicale et proche. Cela constitue un changement vocationnel, parce qu’il s’agit d’une proposition à la vie religieuse qui, dans sa simplicité et sa proximité, fascine, ajoute de nouvelles énergies et contribue à alimenter l’expansion de ces Instituts. La phase de croissance dure presque un siècle (tableau 1). Le développement des Instituts féminins arrive au sommet en 1971 avec 154.790 religieuses, puis un déclin commence, rapide en ses symptômes, mais dont on pouvait entrevoir les premiers signes dans le ralentissement de la croissance vocationnelle déjà après la seconde guerre mondiale3. On retrouve une évolution analogue parmi les Instituts masculins, bien que l’augmentation en nombre reste toujours bien au-dessous de celle des Congrégations féminines. Même parmi les Instituts masculins, ceux de fondation récente, engagés dans les initiatives d’entraide et de formation, se développent plus rapidement, alors que les Ordres plus anciens ont du mal à retrouver l’épanouissement d’autrefois. Ainsi pour l’ensemble des congrégations masculines on ne peut parler d’une croissance considérable qu’autour des années trente du vingtième siècle (tableau 2). La décision bien réfléchie à la fin du 19e siècle d’ouvrir des séminaires « mineurs » pour accueillir et orienter ceux qui se trouvent intéressés par la vie religieuse engendre en grande partie cette augmentation en nombre. On adopte pour cela une proposition que le Concile de Trente avait clairement prévue pour les diocèses, celle notamment d’accueillir des adolescents dont la vocation n’est pas (encore) une décision, mais plutôt une inclination de l’âme, un germe à reconnaître, et de la nourrir dans un milieu protégé (seminarium = pépinière). Une pédagogie est alors adoptée pour accompagner et soutenir le développement d’une intuition vocationnelle, afin qu’elle puisse devenir une orientation consciente de l’existence. La vocation n’est pas donc au début de la formation, mais plutôt à la fin. Elle est un résultat, souhaité et recherché, mais non un point de départ ; ainsi la sélection procédait par une découverte progressive des critères que la personne devait présenter afin de pouvoir progresser. Le séminaire, au moins dans ses premières années, était généralement une structure ouverte : on accueillait beaucoup plus de jeunes que ceux qui y restaient. On savait dès le début que seule une petite fraction arriverait à l’entrée définitive dans l’Institut. Outre les bénéfices que les Instituts en tiraient en termes de régularité du flux vocationnel, la structure du séminaire, notamment dans les zones de l’Italie rurale et périphérique, remplaçant l’État, assurait un canal d’accès à l’éducation pour les classes populaires et la petite bourgeoisie. Ceci aide à expliquer son succès en termes de popularité et de participation. La crise du modèle du séminaire commence au début des années 60 du siècle dernier pour deux raisons différentes. Tout d’abord, l’État déclare obligatoire l’enseignement jusqu’à quatorze ans, ôtant aux séminaires la raison de leur suppléance éducative, et cela diminue sensiblement le nombre des inscrits. D’autre part, c’est le style de discernement vocationnel employé jusqu’à ce moment qui entre lui-même en crise. Au sein même du milieu ecclésial on commence à exprimer une critique tant de la pédagogie des séminaires mineurs, que de la manière dont on présente la vocation qui justifie d’elle-même leur existence. L’« appel » est considéré comme un appel divin qui émerge dans la conscience de la personne quand elle s’interroge sur le sens de l’existence et de son service ecclésial 354 Social Compass 60(3) spécifique. Une décision typique, donc, de l’adulte, qui décide de manière personnelle l’entrée dans l’Institut en arrivant à la majorité. Cependant, dès que le choix vocationnel est placé parmi les options existentielles de la personne adulte, ce choix vient inévitablement se ranger, par son propre, parmi d’autres : choix professionnel et mariage en premier lieu. Ainsi, en déplaçant progressivement vers le haut le moment des choix « définitifs », on assiste à un déplacement similaire vers le haut de l’âge d’entrée dans un Institut religieux. En quelques années la structure des séminaires change radicalement de physionomie : on assiste à une fermeture généralisée des séminaires mineurs4 alors que les séminaires majeurs assument la physionomie des instituts où l’on accueille des personnes qui en principe ont déjà exprimé un certain intérêt, une vocation, pour un engagement durable et total dans la mission de l’église et s’y préparent en fréquentant les études théologiques. Gérer la réorganisation Dans les années 80 du siècle dernier, les Instituts religieux ont commencé, avec difficulté, à constater que le changement de sensibilité religieuse signalé comme un simple processus de sécularisation commençait à avoir des retombées concrètes, notamment dans le domaine des ressources humaines, puis dans la nature même de leur témoignage. Après soixante-dix ou quatre-vingts ans au cours desquels on avait vécu une phase d’expansion et de croissance, on mesurait à présent une diminution drastique des vocations, une augmentation du vieillissement, la nécessité de restreindre et de réduire les présences. Pour beaucoup d’Instituts, surtout féminins, fondés dans la deuxième moitié du 19e siècle, il était question de faire face à des moments tout à fait inédits, puisque dans l’histoire de chaque institution il n’y avait eu aucune autre expérience semblable de déclin. Cependant, même pour les Congrégations aux traditions les plus anciennes, la situation se présentait avec des traits complètement nouveaux. L’expérience historiquement plus récente du déclin était parallèle à la période de la suppression du 19e siècle, mais désormais le contexte social et politique était tout à fait différent. L’affaiblissement n’était pas dû comme dans le passé à l’action subversive de l’État, mais plutôt à une silencieuse marginalisation sociale du discours religieux, sans que cela signifie une perte de l’estime et de la reconnaissance pour ce que la vie religieuse apporte dans la formation des jeunes, dans le soutien à ceux qui sont socialement défavorisés, dans les nombreuses œuvres qui soutiennent et souvent remplissent les vides du programme d’aide social de l’État. Appréciation pour ce que les religieux font, désintérêt pour les motivations de leur action : telles sont les coordonnées inédites de la situation. Au niveau social, on voudrait que les œuvres continuent à fonctionner mais sans le moindre souci pour ceux qui devraient animer ces œuvres, c’est-à-dire sans le moindre souci de la question vocationnelle. Les Instituts tout d’abord ont pensé que les difficultés étaient occasionnelles et qu’elles s’expliquaient par un excès de réformisme dans l’application du renouvellement voulu par le Concile Vatican II ou qu’elles étaient provoqués par la modernisation que l’Église n’arrivait pas encore à comprendre et recevoir d’une manière adéquate. On croyait qu’une fois ces difficultés surmontées, il serait possible de reprendre un chemin 355 Dalpiaz : La vie religieuse en Italie Tableau 3. Les communautés religieuses et leur amplitude moyenne en Italie. Année Religieuses Moniales Religieux Communautés Amplitude Communautés Amplitude Communautés Amplitude moyenne moyenne moyenne 1958 1988 1998 2008 2010 15.608 13.219 10.852 8.552 8.163 9,7 8,6 8,6 8,3 8,3 532 533 528 515 510 22,5 16.4 14,1 12,0 11,7 – 3.533 3.371 2.919 2.922 – 7,9 7,5 7,3 7,1 Sources : 1958 : Annuario Pontificio, Rome, Vatican ; 1988-2010 : Annuarium statisticum Ecclesiae, Rome, Vatican. de croissance momentanément suspendu. Ensuite on a commencé à se rendre compte que quelque chose de profond était en train de changer l’identité religieuse de la société italienne. La disponibilité à un engagement ecclésial « fort » comme celui de prendre part à un Institut religieux devenait de moins en moins fréquente. Ainsi la crise vocationnelle montrait ce qu’elle était véritablement : une interruption due à l’affaiblissement même des raisons qui avaient autrefois nourri la période de croissance. Précisément parce que ce n’était pas un changement temporaire, il fallait songer à nouveau et dans son ensemble à la spécificité de la présence que les Instituts voulaient assurer. Ainsi ont démarré beaucoup de réflexions autour d’un possible renouvellement. Le problème que l’on a dû surmonter n’est pas l’alternative entre les communautés que l’on devrait fermer et celles qui devraient être laissées ouvertes, mais plutôt comment les fermer, et comment, éventuellement, garantir avec le peu de religieux, ou sans aucune présence, la continuité des œuvres. C’est là que les laïcs devraient (ou pourraient) jouer un rôle important. À présent beaucoup d’œuvres, en premier lieu les écoles et les services d’assistance, sont déjà pris en charge par les laïcs. Cependant, même si la continuité dépend de leur présence, ils ne sont habituellement pas impliqués au niveau de la direction. Un obstacle majeur pour avancer dans cette direction est l’absence d’une culture de coopération dans les Instituts religieux : on tient à une conception hiérarchique des rapports et à une action marquée par l’asymétrie entre religieux/ses qui offrent un travail et des laïcs-dépendants. On craint que la collaboration puisse affaiblir le contrôle de la gestion des œuvres et, sauf dans quelques cas, la relation avec les employés laïcs ne va pas au-delà d’une vision très pragmatique des bénéfices mutuels : continuité du poste de travail (pour les laïcs) et conservation du patrimoine (pour les Instituts). Toutefois, il s’agit d’une prospective au souffle court. Dans bien des cas, probablement pour la plupart des communautés existantes, dans les 15-20 prochaines années il y aura une forte réduction ou, plus vraisemblablement, la fermeture. Si nous observons (tableau 3) comment, dans les cinquante dernières années, les Instituts ont réagi face à la diminution des vocations, nous nous rendons compte que le nombre moyen de religieux et de religieuses par maison a été maintenu sans grands changements au moyen d’un rassemblement régulier. On ferme une communauté pour récupérer des ressources humaines permettant d’en soutenir une autre. Toutefois au fur et à mesure de la diminution des nouvelles vocations, on 356 Social Compass 60(3) Tableau 4. Religieux/ses en Italie. Variation par rapport à 1958 (1958=100). Religieuses Moniales Religieux 1958 1988 1988 2008 2010 100 100 100 75 73 110 67 67 99 47 52 84 45 50 82 Sources : 1958 : Annuario Pontificio, Rome, Vatican ; 1988-2010 : Annuarium statisticum Ecclesiae, Rome, Vatican. Tableau 5. Religieux/ses en formation de 1970 à 2010. Novices M Prof. relig.x Novices F Prof. relig.s 1970 1980 1990 2000 2010 n.r. 3.890 3.018* n.r. 459** 2.253 862* n.r. 673 2.559 1.557 4.071 532 2.780 1.106 4.595 327 2.164 537 3.184 *UISM : Unione Italiana Superiore Maggiori **CISM : Conferenza Italiana Superiori Maggiori (2012). Source : Annuarium Statisticum Ecclesiae, Rome, Vatican. observe le nombre des décès augmenter et le phénomène des fermetures accélérer. Le cas des monastères cloîtrés est différent. Placés au sein d’une tradition caractérisée par une plus grande stabilité et un enracinement territorial, la fermeture apparaît comme l’aboutissement extrême, tandis que la diminution des vocations a un effet immédiat sur le nombre des sœurs qui font partie de la communauté. Par rapport au nombre des monastères qui reste pratiquement égal (532 en 1958 et 510 en 2010, avec un recul de -4%), le nombre des sœurs diminue sans cesse (de 22,5 moniales en 1958, à 16,4 en 1988, pour en arriver à 11,7 en 2010). La désaffection vocationnelle Le déclin numérique, qui, pendant quarante ans (tableaux 2 et 4), est en train de changer la physionomie de tous les Instituts, est dû essentiellement au fait que les nouvelles vocations ne peuvent compenser la diminution, c’est-à-dire en premier lieu la mortalité et les défections de ceux qui devraient être liés à l’Institut par un lien définitif 5. Si nous regardons l’évolution des entrées au noviciat et le nombre de profès/professes de vœux temporaires (tableau 5) nous nous rendons compte que, jusqu’en 2000, les rapports restent stables ; puis on constate le début d’un déclin. Au premier abord, la situation statistique semblerait indiquer la stabilité des données vocationnelles italiennes, mais cela n’est que partiellement vrai car parmi ceux qui sont en formation il y a un nombre important de candidats qui viennent, ou sont envoyés de l’étranger pour rejoindre l’Italie. Dans les Instituts masculins la proportion des religieux étrangers parmi les profès de vœux temporaires est passée de 26% en 2003 à 46% en 2006. Pour les religieuses il n’existe aucune documentation, cependant une indication intéressante pourrait venir du fait que parmi les moniales cloîtrées, Dalpiaz : La vie religieuse en Italie 357 dans les maisons étroitement liées au territoire et avec peu de raisons d’ouverture à l’étranger, le pourcentage des religieuses provenant de l’étranger (Asie, Amérique latine, Afrique, très peu d’Europe et d’Amérique du Nord) étaient en 2009 de 12% parmi les professes de vœux perpétuels, de 44% parmi les professes de vœux temporaires, de 25% parmi les novices et de 32% parmi celles qui, au moment du recensement, s’étaient approchées du monastère et se préparaient à commencer le noviciat7. On pourrait donc en conclure qu’il y a entre 30 et 40% de personnes provenant de l’étranger parmi les religieuses italiennes en formation. Le choix de s’ouvrir à des vocations provenant de l’étranger est certainement lié à la transition qui s’effectue à l’intérieur de la catholicité. Alors qu’en Europe et en Amérique du Nord l’Église connaît un affaiblissement rapide, tant pour le nombre des baptisés et de l’adhésion des fidèles que par rapport à la quantité du personnel ecclésiastique, dans d’autres continents les vocations sont en pleine expansion et dépassent même, en certains cas, les possibilités d’accueil et de formation8. La stratégie de répondre au désintérêt des jeunes italiens pour la vie religieuse par l’accueil de personnes venant d’ailleurs pose aux Instituts le problème de la différence et de l’intégration culturelle. Des questions sérieuses se posent, et très peu de communautés ont la capacité et les compétences pour les traiter de façon appropriée. On aboutit ainsi à des problèmes plus nombreux que ceux que l’on pensait résoudre. En essayant de surmonter la crise des vocations en les cherchant dans la vitalité d’autres pays, on résout un problème immédiat, mais on laisse pour l’avenir des décisions impopulaires. Face à la défection des vocations, encore incompréhensible car elle a été précédée d’une longue période de croissance, les Instituts se sont posés la question de la faute qu’ils avaient pu commettre et se sont demandés si cette erreur résidait dans la tiédeur et l’incertitude du renouvellement ou dans une excessive indulgence face à l’innovation et l’abandon de la tradition. Cependant le fait que toutes les formes de vie religieuse soient atteintes par la diminution des vocations (tableau 4) indique qu’à l’origine de cette évolution il y a des facteurs qui vont au-delà des styles de formation ou de la forme de mise à jour postconciliaire. Peu de personnes ont compris que la diminution des vocations indiquait une profonde transformation de la religiosité italienne. On assiste à la fin de la longue tradition d’un catholicisme populaire pour qui l’adhésion au dogme chrétien, souvent vécu en connivence avec des cultes et des idées préchrétiens, était d’abord un élément d’identité, un trait culturel. Mais après l’abandon d’une religiosité qui s’était développée en symbiose avec la culture d’une société rurale, agricole, on n’est pas encore arrivé à un nouveau modèle commun de catholicité. L’Église a essayé, au moins à partir du Vatican II, mais sans y parvenir, d’élaborer des projets décisifs et largement acceptés. Face à l’inaction, l’immobilité et l’incertitude de l’institution ecclésiale, la réponse la plus courante consiste à accepter que la thématique religieuse reste une question ouverte et mise de côté. Ainsi plusieurs continuent à songer au catholicisme comme leur propre milieu de croyance religieuse, indépendamment du degré de partage du dogme catholique et en limitant l’appartenance à l’exploitation de certains services spirituels ou éducatifs. D’autres cherchent à exprimer leur foi d’une manière compatible avec la sensibilité culturelle dans laquelle ils vivent, mais ont du mal à trouver à l’intérieur de l’institution ecclésiale des interlocuteurs capables de leur donner des réponses qui ne soient pas un refrain déjà entendu. 358 Social Compass 60(3) Dieu et Église : fin d’une correspondance La vaste manifestation d’appartenance à l’Église coexiste, dans le contexte italien, avec un manque de détermination généralisée en ce qui concerne l’adhésion au contenu doctrinal du catholicisme et un substantiel manque d’attention aux indications des évêques. La dimension institutionnelle de l’Église est acceptée comme une donnée, mais n’est pas reconnue dans son identité théologique. Pour un nombre toujours plus grand de personnes, même parmi les catholiques, l’aspect institutionnel n’est que le visage de la bureaucratie ecclésiale. On en accepte pragmatiquement l’existence lorsqu’elle propose des services utiles, comme la paroisse, ou l’Institut religieux qui s’occupe d’une œuvre sociale ou éducative. Autrement on s’en éloigne, on la regarde avec le regard méfiant de l’italien moyen qui entre en relation avec la bureaucratie. Ainsi, au fur et à mesure que l’on monte de niveau, de la paroisse au diocèse, à la Conférence épiscopale et jusqu’au Vatican, la méfiance augmente et les jugements critiques s’accentuent. Il y a un problème d’écart toujours plus grand dans la compréhension que l’Église a de sa propre identité. D’un côté, il n’est pas possible de séparer le Christ de l’Église, la tête et les membres du corps forment le « Christ total » (Christus totus). D’un autre côté, au quotidien, les gens, y compris une bonne partie des croyants, pensent que d’une part il y a Dieu et d’autre part l’institution : deux réalités qui ne coïncident pas et avec lesquelles les rapports sont différents. La non-correspondance entre Dieu et l’Église ne signifie pas encore qu’il y a séparation. Mais on y aboutira si on ne reconnaît plus à l’Église la fonction de médiation avec le divin. Cela signifie qu’on suppose possible une relation avec Dieu entièrement réalisée à l’intérieur de la conscience personnelle. Un changement important se réalise peu à peu, comme cela apparaît dans une récente enquête sur la religiosité dans les régions du Nord-Est9. L’affirmation « il n’y a aucun besoin de prêtres et de l’Église, chacun peut entrer en relation directe avec Dieu » est approuvée par 34% des personnes interrogées, et on arrive à 52% parmi les personnes de vingt ans dont 41% qui se disent catholiques. On ne peut pas nier que, par rapport à il y a trente-quarante ans, la tendance à remettre en question le rôle de médiation de l’Église ait bien augmentée. Celle-ci, particulièrement parmi les jeunes, perd son charme, est perçue et évaluée comme n’importe quelle structure rendant des services, même si l’on reconnaît que leur nature et leur style soient très particuliers, ainsi que la production de sens, de la formation morale et de l’accompagnement rituel dans les moments forts de l’existence. Que l’institution « Église » soit pour les nouvelles générations plus un problème qu’un recours est confirmé par le fait que les jeunes de vingt ans la perçoivent comme une réalité lointaine (72%), sévère (59%) et avec laquelle il est difficile d’entrer en relation (56%). À la différence de ce qui se passe avec Dieu qui, encore une fois pour les personnes de cet âge, est considéré comme indulgent (77%) et source de confort (87%). Nous voilà donc devant une relation « chaleureuse » avec Dieu, plus ou moins fondée sur des traits positifs et une autre relation « froide » avec l’institution ecclésiale, caractérisée par le malaise et la sévérité. Cela est encore confirmé par ces 43% de personnes de vingt ans qui se sont éloignées de l’Église durant les cinq dernières années. Il est évident que les générations plus jeunes sont en train de s’éloigner de la dimension institutionnelle de la religiosité. Cela signifie que l’on mette en question non pas le contenu doctrinal ou les normes morales, mais Dalpiaz : La vie religieuse en Italie 359 surtout le besoin d’une médiation ecclésiale pour avoir un rapport avec Dieu. On découvre donc une religiosité intime et subjective (on prie plus fréquemment que l’on ne va à la messe ; et pour les décisions morales, la conscience individuelle devance les normes ecclésiales). Par ailleurs la foi et la croyance ne s’identifient plus à l’acceptation de vérités dogmatiques définies, mais deviennent inclusives et ouvertes aux expériences spirituelles, éventuellement même à d’autres traditions religieuses. Conclusion C’est de ce désintérêt envers la dimension institutionnelle de la religion que provient la désaffection vocationnelle. La vocation à la vie religieuse, ou au sacerdoce diocésain, suppose la disponibilité personnelle à vivre sa propre expérience religieuse en accueillant une identité et un rôle dont les contenus sont définis par une Institution ecclésiale. Il y a là un renoncement à sa propre subjectivité qui, pour beaucoup, est un risque d’inauthenticité. Et cela engendre la peur d’être impliqué dans des structures qui mettent en péril la personnalité, car on en voit davantage les inconvénients et les limites que les traits positifs. Aujourd’hui la vocation est de moins en moins vécue comme une forme spirituelle, un style de vie ; elle est devenue l’expression d’une intuition spirituelle tout à fait personnelle. Pour la vivre on ne croit pas nécessaire d’assumer une appartenance institutionnelle. La simplicité d’une forme de vie érémitique ou la chaleur d’une petite fraternité ou encore l’immédiateté de la relation d’aide dans le volontariat suffit. Il y a donc d’une part, la perte d’importance et de crédibilité de la médiation ecclésiale pour la réalisation d’un rapport authentique avec Dieu et, d’autre part, l’interprétation de la vocation dans les termes d’une fascinante recherche spirituelle en réponse à une intuition personnelle de la vie évangélique. Ce sont là les raisons de la désaffection vocationnelle, mais l’institution a tendance à lire cette évolution uniquement comme un manque de vocations. Or ce qui ralentit et crée le problème est le fait de demander d’appartenir à une institution dont les jeunes mettent en question la légitimité spirituelle. Quand on identifie ainsi la racine du problème vocationnel dans cette nouvelle perception de l’engagement pour une institution ecclésiale, il apparaît aussitôt qu’on ne va pas avoir plus de vocations en s’orientant vers une plus grande rigueur formelle (renforcement de la discipline théologique, rigueur dans le comportement, austérité de le style de vie, etc.) ou, au contraire, en donnant un plus grand espace d’autonomie à la personne (pluralisme dans les options théologiques, révision de la discipline ecclésiastique, etc.). En effet ces interventions n’affectent pas la donnée fondamentale, notamment l’idée que la médiation ecclésiale est moins importante ou superflue dans la relation avec Dieu. On peut prévoir que dans l’avenir les vocations seront toujours motivées par un désir de s’engager pour l’Évangile, pour la vie et avant tout pour soi-même, mais par ailleurs, elles ne s’adresseront que de façon marginale aux institutions ecclésiales pour être reconnues et accueillies. Le passage par l’Institut apparaît toujours davantage comme une alternative superflue ou inutile pour un rapport plus direct avec Dieu, riche et plein de sens dans son imminence. Voilà la raison fondamentale pour laquelle il est difficile d’attendre dans les prochaines années (ou décennies ?) un revirement d’orientation et de dynamique vocationnelle des Instituts. Il semble plus probable, comme certains signes le montrent, tels que la 360 Social Compass 60(3) diminution du nombre de novices (tableau 5), qu’il y aura une nouvelle diminution du nombre de personnes désireuses de s’approcher de la vie religieuse. Dans les années à venir, on devra donc faire face à une réduction drastique du personnel ecclésiastique10 et on devra inévitablement réfléchir sur la façon dont l’Église devient une présence sociale et territoriale. Cependant, bien qu’il soit évident que déjà une réécriture de la géographie religieuse de l’Italie est en train de se faire, il y a un étonnant manque de réflexion. C’est le visage de la faiblesse d’une Église qui ne sait pas, ou ne veut pas comprendre le grand changement de la sensibilité religieuse des italiens et qui en même temps considère comme indicible le fait que l’ensemble de l’institution ecclésiale est en train de perdre sa portée, de se vider de son énergie et qu’elle n’a plus les ressources humaines pour se reproduire. C’est la fin d’un cycle historique, mais aussi la fin d’une manière de croire, et d’une manière d’être pour l’Église. Financement Aucun soutien financier spécifique émanant d’un organisme de financement public, d’une société commerciale ou du secteur non-marchand n’a été attribué à cette recherche. Notes 1. Annuarium statisticum ecclesiae (2010). 2. Pour saisir les particularités de la situation italienne on doit tenir compte du fait que cette année-là en Espagne et en France, des pays ayant une tradition catholique semblable à celle de l’Italie, le nombre des communautés religieuses était respectivement de 615 et de 4.246. Source : Annuarium statisticum ecclesiae (2010). 3. « Dans la décennie 1921-1931… [c’était] une augmentation globale de 40.529 sœurs, qui ont fait pousser la densité de 18,2 à 27,2 pour 10.000 habitants, [tandis que] dans les deux décennies suivantes, le nombre n’augmente que de 31.863 religieuses, avec une augmentation de la densité de 27,2 à 30,3 pour 10.000 habitants ». Annuario delle Religiose d’Italia (1959, XII). 4. Pour saisir l’ampleur de la transformation il faut considérer qu’en 1970 les séminaires mineurs qui étaient diocésains accueillaient 11.412 jeunes et ceux des Instituts religieux 14.425. En 2010 les présences étaient respectivement 1.732 et 1.180. 5. Les données statistiques ne permettent pas de documenter adéquatement la dynamique des défections en ce qui concerne les différents pays. Par rapport à l’ensemble de tous les Instituts on voit que parmi les religieux prêtres en 2010 les défections atteignent 0,32% (la mortalité de la même année avait une incidence de 2,08%). Pour religieux non prêtres l’Annuarium statisticum ecclesiae rassemble les religieux de vœux temporaires et ceux de veux définitifs, mettant ensemble des personnes qui n’ont pas encore pris une décision définitive et ceux qui l’ont déjà prise. Pour les religieuses, toujours au niveau mondial, l’incidence des abandons a été de 0,59%. 6. Conferenza Italiana Superiori Maggiori – CISM (2012). 7. L’information provient d’une recherche sur le monachisme féminin en Italie réalisée en 2009, pour une première présentation des résultats, voir Dalpiaz (2010). 8. Si encore en 1971 47% des baptisés, 64% des religieux et 39% des religieuses de vœux temporaires se trouvaient entre l’Europe et l’Amérique du Nord, en 2010 le pourcentage descendait à 31% pour les baptisés, à 24% pour les jeunes religieux et à 19% pour les religieuses. 9. Castegnaro (2012). Dalpiaz : La vie religieuse en Italie 361 10. À la fin de 2012, le 36% des religieux italiens et le 46% des religieuses avaient plus de soixante-dix ans. Références Annuario delle religiose d’Italia (1959) Rome : Paoline. Annuarium statisticum ecclesiae (2010) Rome : Vatican. Castegnaro A (2012) Nord-est una religiosità in rapida trasformazione. Aquileia : texte polycopié. CISM (2012) Annuario statistico 2012. Rome : CISM. Dalpiaz G (2010) Monachesimo femminile in Italia. Rilievi statistici e prospettive instituzionali. Vita consacrata 46(6) : 562–577. Biographie de l’auteur Giovanni DALPIAZ est moine bénédictin, sociologue et professeur à la Faculté Théologique du Triveneto, il enseigne la Sociologie de la religion au Studium Théologique San Bernardino de Vérone (agrégé Pontificia Universitas Antonianum) et à l’Inst. Théol. S. Zénon de Vérone. Adresse : Inst. Théol. S. Zénon de Vérone, via del Seminario 8, 37129 Vérone, Italie. Email : [email protected].