Les vacances : panacée à la santé psychologique des travailleurs?

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Les vacances : panacée à la santé psychologique des travailleurs?
David Emmanuel Hatier
Dr Jean-Sébastien Boudrias
Psychologue
M. Hatier est candidat au doctorat en
psychologie du travail et des organisations à l’Université de Montréal.
Le Dr Boudrias est professeur en
psychologie du travail et des organisations à l’Université de Montréal.
_Les vacances : panacée à la santé
psychologique des travailleurs?
les plus communes de récupérer entre les épisodes de travail.
Bien que leurs durées diffèrent, il semble que chacune ait des
effets souhaitables et distinctifs sur la santé psychologique
des travailleurs.
Le stress et la pression au travail auraient augmenté dans les
dernières décennies (Schaufeli, Leiter et Maslach, 2009). En
outre, les demandes du travail débordent de plus en plus dans
la vie hors travail, diminuant ainsi la possibilité de récupérer
suffisamment (Derks et Bakker, 2012). Selon l’APA (2014), 31 %
des travailleurs rapportent être généralement tendus et seulement 23 % d’entre eux rapportent être pleins d’énergie lorsqu’ils
sont au travail. Ainsi, de plus en plus de travailleurs ne sont pas
en mesure de récupérer suffisamment sur une base régulière.
Il ne fait aucun doute que prendre des vacances favorise la récupération. Les vacances seraient d’abord bénéfiques à la santé
physique. Une étude longitudinale sur une période de neuf ans
(Gump et Matthews, 2000) montre que la prévalence de la
mortalité des hommes à risque de maladies coronariennes baisse
de façon notable chez ceux qui ont l’habitude de prendre des
vacances annuelles. Les vacances seraient aussi bénéfiques à
la santé psychologique et au bien-être. De récentes études
concluent que les vacances favorisent la diminution des
symptômes d’épuisement professionnel et l’augmentation de
l’engagement au travail et de la flexibilité cognitive (De Bloom
et coll., 2014; Kühnel et Sonnentag, 2011).
Toutefois, la plupart des effets bénéfiques des vacances sur la
santé psychologique auraient une portée assez limitée dans le
temps. Les effets commenceraient à s’estomper après seulement quelques jours de travail et disparaîtraient entièrement
deux à quatre semaines plus tard. Une charge de travail élevée
accélérerait la disparition des effets bénéfiques, tandis que la
relaxation entre les journées de travail permettrait de les préserver
plus longuement (Kühnel et Sonnentag, 2011). Au-delà de cette
période, les travailleurs reviennent généralement à une santé
psychologique comparable à celle précédant leurs vacances.
Ainsi, bien que les vacances soient une occasion privilégiée pour
les travailleurs d’expérimenter une santé psychologique optimale
(De Bloom et coll., 2011), elles n’en sont (peut-être) pas la
panacée. Des pensées récurrentes telles que « j’ai hâte d’être en
vacances », « je suis tellement bien en vacances », « mes vacances
sont déjà finies » et « j’aimerais retourner en vacances » sont des
manifestations de cette réalité.
Les vacances ne sont pas le remède universel. D’une part, elles
sont relativement peu fréquentes. D’autre part, leurs effets sont
généralement de courte durée. Afin de récupérer suffisamment en
tout temps, les travailleurs doivent donc miser sur des épisodes
plus fréquents et plus courts.
_Une réponse rapide
au besoin de récupérer
Le besoin de récupérer se manifeste généralement à la fin
des journées de travail (Van Veldhoven et Broersen, 2003).
Ainsi, les intervalles entre les journées de travail (p. ex. le soir)
représentent une première occasion de satisfaire le besoin de
récupérer. Cependant, certaines circonstances de vie (responsa­
bilités familiales exigeantes, longs déplacements entre le travail
et la résidence, etc.) peuvent nuire à la récupération quotidienne.
Les fins de semaine sont une autre occasion assez fréquente de
récupérer. Elles laissent généralement plus de temps pour faire
des activités relaxantes et plaisantes.
_Qu’est-ce que la récupération?
La récupération est le processus physiologique par lequel les
organismes biologiques tentent de refaire le plein de ressources
énergétiques. Chez l’humain, ce processus est caractérisé par une
régulation à la baisse du niveau d’activation psychophysiologique.
Le besoin de récupérer apparaît à la suite de stimuli, tels que les
demandes du travail, qui sollicitent ou diminuent les ressources de
l’individu (Demerouti, Bakker et Fried, 2012). Sans une récupération suffisante, le stress occasionné par les demandes du travail
finit par s’accumuler et créer des problèmes de santé physique
et psychologique, dont la fatigue chronique et l’épuisement
professionnel (Zijlstra, Cropley et Rydstedt, 2014).
_Comment récupérer?
La récupération est rendue possible aussitôt que l’individu
est coupé de la source de stress (Meijman et Mulder, 1998).
Toutefois, bien que nécessaire, une simple coupure n’est pas
suffisante. Pour récupérer, l’individu doit aussi vivre certaines
expériences psychologiques et physiques propices à diminuer
son niveau d’activation et à restaurer diverses ressources (niveau
d’énergie, estime de soi, sentiment d’efficacité personnelle, etc.;
Hobfoll, 1998). Depuis les études de Sonnentag et Fritz (2007),
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volume 32 / numéro 04 / juillet 2015
Le soir, la fin de semaine et les vacances sont les occasions
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la documentation scientifique fait état principalement de quatre
expériences caractérisant la récupération : le détachement psycho­
logique, la relaxation, le sentiment de maîtrise et le contrôle sur le
temps libre.
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Le détachement psychologique réfère à une distanciation non
seulement physique et virtuelle, mais surtout mentale de la
situation de travail. L’individu « distancé » est temporairement
désengagé des problèmes et des opportunités relatifs au travail.
Le détachement psychologique est particulièrement important
lorsque la pression au travail est forte et lorsque les pensées
négatives qui y sont associées peuvent devenir envahissantes
(Sonnentag et Bayer, 2005).
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La relaxation est un processus psychophysiologique caractérisé
par un état de faible activation physique et mentale. Elle peut
découler d’une grande variété d’activités, telles que la médita­
tion, la lecture, le visionnement d’un film, la marche ou encore
la conversation avec des amis ou des proches.
Le sentiment de maîtrise est soutenu par des activités qui, pour
la personne, représentent des défis intéressants ou des occasions
d’apprendre autre chose. Ces activités favorisent le développement de nouvelles habiletés et du sentiment d’efficacité personnelle, sans pour autant surtaxer les capacités de la personne.
Finalement, le contrôle sur le temps libre réfère au degré avec
lequel un individu sent qu’il peut décider de son emploi du temps
à l’extérieur du travail, entre autres en pouvant choisir quand et
comment il agira. Une personne qui ressent du contrôle prend
plus facilement du recul vis-à-vis des situations stressantes et a
plus l’occasion de choisir des activités ayant le potentiel de l’aider
à récupérer.
Ainsi, les deux premières expériences (détachement psychologique
et relaxation) permettent surtout de « faire le vide » en diminuant
l’activation, alors que les deux autres (maîtrise et contrôle)
permettent surtout de « faire le plein » en régénérant les
ressources par l’implication dans des activités gratifiantes
(De Bloom, Geurts et Kompier, 2010). L’ensemble des quatre
expériences psychologiques seraient importantes à vivre en
dehors du travail afin de permettre une véritable récupération,
ce qu’une simple coupure du milieu de travail ne garantit pas.
et la santé psychologique ultérieure. La santé psychologique a été
appréhendée de façon bidimensionnelle, c’est-à-dire à la fois en
matière de détresse et de bien-être.
Nos résultats se fondent sur les liens répertoriés dans 23 études
publiées entre 2002 et 2015, impliquant au total 9308 participants (Hatier et Boudrias, 2014). À l’intérieur de ces études,
le délai entre la mesure des expériences de récupération et la
mesure ultérieure de santé psychologique varie de quelques
heures à cinq ans (médiane : trois semaines).
Il appert que les expériences de récupération hors travail sont
positivement liées à la bonne santé psychologique, mesurée par
exemple en matière d’affects positifs, d’engagement au travail
et de satisfaction au travail ou dans la vie. À l’inverse, elles sont
négativement liées à la mauvaise santé psychologique, mesurée
par exemple en matière de dépression, d’anxiété et d’épuisement
professionnel (voir le tableau 1).
On observe que les expériences permettant de diminuer
l’activation (détachement psychologique et relaxation) sont
légèrement plus liées à la santé que les expériences permettant
de modifier l’activation (maîtrise dans les loisirs et contrôle sur
le temps libre). Somme toute, ces résultats méta-analytiques
sont solides et permettent de généraliser que des expériences
psychologiques permettant de « faire le vide du travail » et
de « faire le plein d’énergie » seraient bénéfiques à la santé
psychologique. Les quatre expériences de récupération
apporteraient leur lot de bienfaits.
Par ailleurs, cinq études qui s’intéressent aux effets des fins de
semaine et huit études qui s’intéressent aux effets des vacances
ont été décortiquées afin de comparer leurs apports respectifs
sur la santé psychologique. Ces études présentent des données
sur la santé psychologique des travailleurs avant le moment de
répit et après le retour au travail. L’analyse de ce sous-ensemble
d’études révèle que les vacances permettraient surtout d’éliminer
les symptômes de mauvaise santé psychologique (d=0,42; effet
modéré), mais auraient très peu d’impact sur les symptômes de
bonne santé psychologique (d=0,08; effet marginal). Les fins
de semaine, quant à elles, auraient des effets similaires sur la
mauvaise et la bonne santé psychologique (d=0,30; effet faible).
Ainsi, les travailleurs peuvent retirer des bénéfices qualitativement
distincts à la suite des différents types de répit.
_Une synthèse empirique
de la documentation
_Pistes pour favoriser la récupération
Bien que la documentation scientifique indique que la récupération est généralement corrélée avec une meilleure santé
psychologique des travailleurs, une synthèse des études longitudinales est requise pour établir avec plus de certitude et de
précision l’apport des quatre expériences de récupération. Pour
ce faire, nous avons réalisé une méta-analyse synthétisant les
liens observés entre les expériences de récupération hors travail
Les intervalles entre les journées de travail, les fins de semaine et
les vacances peuvent être des moments privilégiés de récupération
pour autant qu’ils soient caractérisés par des expériences de récupération. Hahn et coll. (2011) suggèrent des pistes intéressantes
quant à l’utilisation des périodes de repos. En voici quelques-unes :
1) choisir des activités qui sont intrinsèquement satisfaisantes
(sports, loisirs, etc.) et qui sollicitent des compétences/habiletés
dossier
tableau 1
Corrélations (corrigées pour l’atténuation)
Avec la bonne santé psychologique
Avec la mauvaise santé psychologique
Détachement psychologique
+0,26
-0,26
Relaxation
+0,28
-0,25
Sentiment de maîtrise
+0,18
-0,13
Contrôle sur le temps libre
+0,19
-0,20
qui sont différentes de celles sollicitées par le travail; 2) se fixer
un objectif précis sur la quantité de temps que l’on souhaite
consacrer à une activité « ressourçante » spécifique (p. ex. une
heure par fin de semaine); 3) augmenter le contrôle de son
temps hors travail en éliminant ou en diminuant les activités
non essentielles; 4) faire un inventaire de la façon dont on
utilise son temps hors travail de façon à identifier/segmenter
des moments pour soi; 5) développer des habitudes saines
qui préparent le corps et l’esprit à la récupération, en créant des
associations entre ces habitudes et la récupération subséquente
(p. ex. lecture avant de dormir); 6) pratiquer des activités qui
favorisent une faible activation et dormir en quantité suffisante,
selon un horaire régulier; 7) organiser son environnement
et ses habitudes hors travail de manière à être en mesure de
« se déconnecter » facilement du travail (p. ex. éteindre son téléphone intelligent durant la pratique d’une activité « ressourçante »);
8) être convaincu que l’on peut réussir à décrocher!
Quant aux vacances plus spécifiquement, il pourrait être avantageux pour les travailleurs de miser sur des congés plus courts
(une ou deux semaines), mais plus fréquents. Comme des incidents négatifs sont susceptibles de survenir durant les vacances,
les travailleurs qui misent sur une longue période de vacances
annuelles prennent un risque en mettant tous leurs œufs dans
le même panier. Lorsque des imprévus gâchent les vacances, le
processus de récupération risque d’être interrompu et le besoin
de récupérer peut se voir augmenté (De Bloom, Geurts et
Kompier, 2013).
Lors du retour au travail après les vacances, les bienfaits de
celles-ci peuvent être prolongés en prenant du temps pour
relaxer et en entretenant délibérément les cognitions positives
associées aux vacances (savouring). De cette façon, le plaisir
associé aux vacances serait prolongé après la reprise du travail
(De Bloom et coll., 2011).
_Remerciements
Les auteurs remercient Inès Fizazi, étudiante au baccalauréat
en psychologie à l’Université de Montréal, pour sa collaboration
à la préparation de cet article.
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volume 32 / numéro 04 / juillet 2015
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