Racisme, xénophobie et médias
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Racisme, xénophobie et médias
Racisme, xénophobie et médias Vers le respect et la compréhension de toutes les religions et les cultures Séminaire de l'UE dans le cadre du Partenariat euro-méditerranéen Vienne, 22-23 mai 2006 organisé par: • Présidence autrichienne du Conseil de l'Union européenne • Commission européenne Observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes (EUMC) Rapport et documentation de la conférence Racisme, xénophobie et médias: séminaire EUROMED à Vienne, 22-23 mai 2006 AVIS DE NON-RESPONSABILITÉ: le présent rapport a été rédigé et édité par la Commission européenne et l'Observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes (EUMC). Les opinions et informations qu'il contient ne reflètent pas nécessairement la politique ou la position de la Commission européenne ni celle de l'EUMC. 2 Racisme, xénophobie et médias: séminaire EUROMED à Vienne, 22-23 mai 2006 Avant-propos Le racisme est la plus grave des menaces à l'homme – le maximum de haine pour le minimum de raison Abraham J. Heschel Les premiers mois de l'année 2006 ont vu un débat des plus animé au sujet du rôle et de la responsabilité non seulement des médias mais également des acteurs politiques et sociétaux dans les relations interculturelles. La crise provoquée par la publication de caricatures du prophète Mahomet dans un quotidien danois a déclenché un intense débat international sur la liberté d'expression, le discours haineux et l'impact des médias sur les relations interculturelles. Ce débat devrait néanmoins dépasser les événements récents et s'élargir pour porter sur le problème déjà ancien du discours raciste et xénophobe et des autres formes d'intolérance, notamment vis-à-vis des convictions, religieuses ou non. Ce problème préoccupe les partenaires euroméditerranéens depuis la signature de la déclaration de Barcelone en 1995. Protéger les personnes contre le discours raciste et xénophobe est un principe fondamental de toute société démocratique. Le discours haineux ébranle la liberté d'expression: tout comme l'incitation à la haine, il vise délibérément à nuire à des personnes ou des groupes de personnes. La protection contre le discours haineux doit être associée à l'exercice de la liberté d'expression. Ensemble, ces deux éléments donnent un sens à la démocratie. Au-delà du recours ultime qu'est l'action en justice contre le discours raciste, quels autres moyens peuvent-ils être envisagés? Ne pouvons-nous travailler avec les médias et les encourager à étudier les possibilités d'améliorer les normes relatives au reportage et à la rédaction, et de mettre en œuvre leurs propres codes de conduite? Tous les acteurs ont beaucoup à gagner d'une collaboration plus étroite des médias avec la société civile et les organisations à orientation religieuse. L'instauration d'un dialogue ouvert à tous est la meilleure façon de s'atteler au problème du racisme et de la xénophobie mais aussi de promouvoir la liberté d'expression, d'une part, et le respect des convictions religieuses, d'autre part. Tel était le propos du séminaire euro-méditerranéen consacré au thème « Racisme, xénophobie et médias ». Cet événement a offert à ses participants un cadre propice à ce dialogue en les encourageant à présenter 3 Racisme, xénophobie et médias: séminaire EUROMED à Vienne, 22-23 mai 2006 des propositions pratiques visant à résoudre les nombreux problèmes liés au racisme et à la xénophobie. Ce rapport constitue un résumé de ces débats et propositions. L'heure est venue de penser au suivi de ces propositions. Nous nous engageons à travailler à cette fin et, en partenariat étroit avec tous les acteurs concernés – journalistes et organisations médiatiques – à réfléchir comment, ensemble, nous pouvons transformer ces propositions en actions. Hans Winkler Secrétaire d'État Ministère des Affaires étrangères Autriche Benita Ferrero-Waldner Beate Winkler Commissaire européenne Directrice Relations extérieures et EUMC Politique européenne de voisinage 4 Racisme, xénophobie et médias: séminaire EUROMED à Vienne, 22-23 mai 2006 Synthèse Depuis longtemps déjà, le Partenariat euro-méditerranéen encourage le dialogue des cultures entre l'UE et les pays du sud méditerranéen.1 Outre ses objectifs politiques et économiques, il œuvre sans cesse à la promotion du dialogue interculturel et interconfessionnel. En même temps, des moyens ont été étudiés pour renforcer les initiatives de lutte contre le racisme, la xénophobie et les autres formes d'intolérance, notamment vis-à-vis des convictions religieuses ou non religieuses. Dès le départ, l'initiative « Euromed et les médias » a désigné la xénophobie et le racisme comme l'un des domaines clés sur lesquels se pencher et agir dans le cadre de son dialogue et de son engagement avec les principaux professionnels des médias de la région. Ces préoccupations ont débouché sur la conférence euro-méditerranéenne intitulée « Racisme, xénophobie et médias: vers le respect et la compréhension de toutes les religions et les cultures », qui s'est tenue les 22 et 23 mai 2006 à Vienne sous les auspices de la présidence autrichienne du Conseil de l'UE en coopération avec la Commission européenne et l'Observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes (EUMC). Plus de 100 éminents journalistes, professionnels des médias et représentants de la société civile d'Europe, d'Afrique du Nord et du MoyenOrient se sont réunis pour échanger leurs vues sur le problème commun du racisme ou du discours haineux, pour formuler des suggestions pragmatiques et réalistes et pour déterminer ensemble comment les médias pourraient avoir une influence positive sur les relations interculturelles. La conférence a bénéficié d'une représentation de presque tous les États membres de l'UE et de la totalité des dix partenaires méditerranéens de l'UE. Les thèmes examinés étaient notamment: l'amélioration des normes en matière de reportage et le renforcement de la responsabilité des journalistes, les politiques d'autorégulation dans l'UE et les pays du sud méditerranéen, l'impact du reportage sur les minorités ethniques et religieuses, la création (délibérée ou involontaire) de stéréotypes négatifs, les pratiques d'embauche dans le secteur des médias, l'équilibre entre liberté d'expression et protection contre le discours haineux, et une meilleure exploitation du savoir-faire et de l'expérience de la société civile. 1 Le partenariat euro-méditerranéen comprend 35 membres: les 25 États membres de l'UE et 10 partenaires méditerranéens (Algérie, Égypte, Israël, Jordanie, Liban, Maroc, Autorité palestinienne, Syrie, Tunisie et Turquie). La Libye a un statut d'observateur depuis 1999. 5 Racisme, xénophobie et médias: séminaire EUROMED à Vienne, 22-23 mai 2006 Après un échange de vues ouvert, les participants à la conférence ont recensé, entre autres, les améliorations qui pourraient être apportées aux pratiques et aux structures du journalisme pour favoriser la compréhension des différences culturelles. Ils se sont accordés à dire que la liberté d'expression implique une certaine responsabilité. Même si tous étaient sensibilisés au rôle des systèmes réglementaires, l'accent a surtout été placé sur la mise en place d'une autorégulation efficace à confier aux organismes normatifs volontaires du domaine des médias. Certains journalistes ont en outre exprimé le souhait d'étudier (davantage) la diversité culturelle et religieuse dans le cadre de leur formation. Le présent rapport résume les actions et activités recensées que l'on peut prévoir d'inclure dans une approche positive et pratique des problèmes en question. Ces éléments seront incorporés à l'ensemble des recommandations de l'initiative « Euromed et les médias », en vue de leur développement ultérieur et de leur transfert potentiel vers des programmes et projets futurs. Si cela s'avère utile, ils pourront également être présentés à des organisations et des forums internationaux dans ce domaine. Des recommandations essentielles ont été élaborées en suivant, d'un bout à l'autre de la conférence, le fil conducteur que voici: comment les médias peuvent présenter de façon plus complète et plus équilibrée les questions de nature raciale, ethnique ou religieuse tout en respectant la liberté d'expression et l'indépendance rédactionnelle. Ces recommandations portent sur les améliorations ci-dessous: • • • • • • assurer une meilleure représentation des minorités dans les salles de presse grâce à des formations et à un recrutement ciblés; incorporer davantage de diversité dans des programmes réalistes d'intégration dans les politiques; faire de la formation en compréhension interculturelle une composante standard des études de journalisme; établir une mise en réseau et un partage d'informations et de bonnes pratiques entre les médias de différentes régions (programmes de jumelage et d'échange, formations, forums et contacts réguliers); instaurer plus de dialogue entre les groupes ethniques, religieux et culturels et les médias afin d'améliorer la qualité des reportages, d'informer complètement les acteurs sur les sensibilités dans les relations interculturelles, et d'éviter les stéréotypes négatifs et le langage incitant à la haine; améliorer l'autorégulation et multiplier les initiatives propres aux médias afin de promouvoir des normes éthiques et professionnelles en matière de reportage; 6 Racisme, xénophobie et médias: séminaire EUROMED à Vienne, 22-23 mai 2006 • • • mettre davantage l'accent sur une couverture médiatique complète, présentant l'expression de voix minoritaires et soulignant des initiatives interculturelles positives et des exemples de bonnes pratiques; garantir la continuité du soutien européen au dialogue interculturel et aux initiatives interconfessionnelles; créer un forum permettant aux propriétaires des médias de débattre du racisme, de la xénophobie et des questions connexes ainsi que de l'impact de la couverture médiatique sur les relations interculturelles. 7 Racisme, xénophobie et médias: séminaire EUROMED à Vienne, 22-23 mai 2006 Table des matières Avant-propos................................................................................................................ 3 Synthèse ........................................................................................................................ 5 Table des matières ....................................................................................................... 8 1. Contexte ........................................................................................................... 9 2. Délibérations de la conférence ..................................................................... 11 2.1. 2.2. 2.5. DISCOURS D'OUVERTURE DES ORGANISATEURS .............................................11 DISCOURS PRINCIPAL DU RAPPORTEUR SPÉCIAL DES NATIONS UNIES SUR LE RACISME ..........................................................................................13 DÉBATS D'EXPERTS ET EN PLÉNIÈRE...................................................................16 SÉANCES DES GROUPES DE TRAVAIL ..................................................................19 Régulation et politique rédactionnelle dans les États membres de l'UE….............................................................................................................. 19 Régulation et politique rédactionnelle dans les pays du sud méditerranéen.................................................................................................. 19 Diversité culturelle dans les programmes et les structures médiatiques ..................................................................................................... 20 Relations entre médias, société civile et mécanismes institutionnels pour combattre le racisme et la xénophobie.................................................... 21 DISCOURS DE CLÔTURE .........................................................................................22 3. Conclusions, recommandations et propositions d'actions......................... 24 3.1. PROPOSITIONS À CONSIDÉRER PAR LES ORGANISATIONS DE MÉDIAS ......................................................................................................................24 PROPOSITIONS D'ACTIONS À MENER PAR LES INSTITUTIONS DE FORMATION ET LES ORGANISMES PROFESSIONNELS DU SECTEUR DU JOURNALISME.....................................................................................................27 PROPOSITIONS D’ACTIONS À MENER PAR LA SOCIÉTÉ CIVILE ET LES GROUPES MINORITAIRES................................................................................28 PROPOSITIONS D’ACTIONS À MENER PAR LES COMMUNAUTÉS RELIGIEUSES ............................................................................................................29 PROPOSITIONS DE SOUTIEN À APPORTER PAR LES INSTITUTIONS ET FONDATIONS EUROPÉENNES ET INTERNATIONALES ...................................30 2.3. 2.4. 2.4.1. 2.4.2. 2.4.3. 2.4.4. 3.2. 3.3. 3.4. 3.5. 8 Racisme, xénophobie et médias: séminaire EUROMED à Vienne, 22-23 mai 2006 1. Contexte Même si le thème de la conférence n'avait rien de nouveau pour les affaires euro-méditerranéennes, il a mobilisé plus que jamais l'attention après l'enchaînement d'événements et de réactions provoqué par la « controverse des caricatures », à la suite de la publication fin 2005 par un quotidien danois de caricatures représentant le prophète Mahomet. À l'origine, les organisateurs de la conférence avaient prévu des débats au niveau technique uniquement, réservés aux professionnels des médias et aux organisations de la société civile. Néanmoins, ce concept a dû être repensé en raison du retentissement politique croissant de la crise provoquée par la « controverse des caricatures ». Il a été décidé d'ajouter une séance publique aux délibérations dans le but de permettre un débat politique et public actif et de donner une visibilité appropriée à la conférence et à son thème. Grâce à ce changement de programme, des représentants politiques, des experts et le public ont pu participer à un débat animé. Les groupes de travail sont cependant restés le domaine particulier des médias et de la société civile, dont les délibérations ont été conduites selon la règle de Chatham House.2 La séance publique a attiré quelque 200 participants, faisant salle pleine, et les débats d'experts qui ont suivi ont rassemblé une centaine d'éminents journalistes, de professionnels des médias et de représentants de la société civile d'Europe, d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient. Les 35 pays participant au Partenariat euro-méditerranéen ont été largement représentés. OBJECTIFS ET RÉALISATIONS DE LA CONFÉRENCE La conférence euro-méditerranéenne a constitué pour les responsables politiques et les professionnels des médias un forum leur permettant de partager leurs visions d'approches différentes ou communes du racisme et de la xénophobie, et de promouvoir le respect dans les médias de tous les groupes culturels et religieux. Le séminaire s'articulait autour de trois 2 La règle de Chatham House énonce ceci: «Lorsqu'une réunion, en tout ou en partie, est tenue selon la règle de Chatham House, ses participants sont libres d'utiliser les informations qui leur sont données, mais ne peuvent divulguer ni l'identité ni l'affiliation des orateurs ni celles de tout autre participant à la réunion». La règle de Chatham House a été créée par cette institution dans le but d'assurer l'anonymat aux orateurs et d'encourager l'ouverture et le partage d'information. Elle est suivie dans le monde entier pour favoriser la tenue de débats libres. Source: site web de Chatham House: www.riia.org/index.php?id=14 9 Racisme, xénophobie et médias: séminaire EUROMED à Vienne, 22-23 mai 2006 domaines définis au cours de débats menés antérieurement dans la région euro-méditerranéenne: 1. la réglementation (législation et mécanismes d'application); 2. l'autorégulation (codes de conduite, normes rédactionnelles, mécanismes de plaintes); 3. les approches structurelles (formation à la diversité, recrutement, représentation des groupes culturels et religieux dans les programmes médiatiques). Le programme de la conférence se composait de séances plénières et de groupes de travail d'experts. La séance plénière d'ouverture a jeté les bases des débats à mener lors des séances des groupes de travail. Ceux-ci comptaient un président et un rapporteur chargé de rendre compte du travail du groupe devant la plénière et d'en résumer les conclusions principales. Ces conclusions ont été utilisées pour la rédaction des conclusions générales de la conférence, résumées dans le présent rapport. Le séminaire a recensé les actions et activités que l'on peut prévoir d'inclure dans une approche positive et pratique du problème commun posé par le racisme ou le discours haineux mais aussi de la question de la diversité religieuse et culturelle dans les médias. Les participants ont examiné et suggéré des initiatives à entreprendre dans les pays de l'UE et du sud méditerranéen tant au niveau individuel que dans des domaines de coopération, en tenant compte des points communs et des différences entre les divers pays et régions. 10 Racisme, xénophobie et médias: séminaire EUROMED à Vienne, 22-23 mai 2006 2. Délibérations de la conférence 2.1. DISCOURS D'OUVERTURE DES ORGANISATEURS 3 La conférence a été ouverte avec les discours prononcés par Hans Winkler, secrétaire d'État autrichien, Benita Ferrero-Waldner, commissaire européenne aux relations extérieures et à la Politique européenne de voisinage, et Beate Winkler, directrice de l'Observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes (EUMC). Hans Winkler, secrétaire d'État, ministère fédéral des Affaires étrangères, Autriche: « La liberté d’expression et la liberté de la presse sont les fruits d’années d’âpres luttes en Europe. Elles constituent des droits sur lesquels se fonde une démocratie qui fonctionne. À ce titre, elles ne doivent à aucun prix être mises en danger. Ces libertés permettent des idées et des discussions axées sur la controverse. La liberté d’expression doit néanmoins être exercée de manière responsable, surtout lorsque la protection des droits et des sentiments d’autrui est concernée », a déclaré le secrétaire d'État autrichien, Hans Winkler, à l'occasion de l'ouverture de la conférence. « La liberté d’expression, l’entente mutuelle et le respect de la culture et de la religion d’autrui ne sont pas incompatibles mais complémentaires. Notre objectif principal doit être l’engagement crédible d’une Europe démocratique et pluraliste dans le cadre du dialogue des cultures et des civilisations ». M. Winkler a en outre souligné que « le changement d'attitude et la transformation sociale ne se produiront que si nous réussissons à ouvrir notre esprit et notre cœur par l'éducation et la prise de conscience ». Le secrétaire d'État autrichien a suggéré ceci: « Pour atteindre un degré plus élevé d'objectivité et favoriser la compréhension de la situation des membres des groupes minoritaires, nous pourrions par exemple engager plus de journalistes issus de tels groupes et soutenir la participation d'immigrants aux activités des médias. Ces personnes bénéficieraient ainsi d'une plate-forme assurant leur représentation, ce qui pourrait contribuer à réduire les préjugés et les stéréotypes dont elles font l'objet. En même temps, ce type d'initiative pourrait aider les minorités et en particulier les immigrants dans leur recherche d'identité ». 3 Pour le texte intégral des discours, voir l'annexe 2. 11 Racisme, xénophobie et médias: séminaire EUROMED à Vienne, 22-23 mai 2006 Benita Ferrero-Waldner, commissaire aux relations extérieures et à la Politique européenne de voisinage, Commission européenne: De par sa triste expérience, l'Europe ne connaît que trop bien la menace constituée par le racisme, la xénophobie et l'intolérance, a lancé la commissaire pour entamer son discours. C'est du cataclysme d'intolérance qui a englouti l'Europe du XXème siècle que l'Union européenne est née. Aujourd'hui, l'Europe est unie par sa diversité et sa détermination à empêcher qu'une telle menace ne la submerge à nouveau. L'Europe ne nie cependant pas que des problèmes persistent sur ce plan. Elle continue à se battre pour vaincre la « vieille haine » qu'est l'antisémitisme, a ajouté Mme Ferrero-Waldner. Il reste encore beaucoup à faire pour lutter contre les préjugés dans les médias et la société en général, qu'il s'agisse d'islamophobie, d'antisémitisme ou d'autres formes d'intolérance religieuse ou ethnique. Les inquiétudes et les craintes du public naissent souvent de perceptions imaginaires ou fausses. La commissaire a cité l'exemple de la prétendue menace pour l'emploi et la sécurité formée par les immigrants, en ajoutant que l'immigration occupe par nécessité une place prioritaire dans l'agenda politique puis en soulignant ses aspects positifs. Dans un appel à l'action adressé aux médias réunis, tout en soulignant leur rôle de pivot et leur pouvoir de façonner les attitudes de la société, elle leur a demandé instamment d'agir contre le racisme et la xénophobie. Au sujet de la liberté d'expression et de culte, la commissaire FerreroWaldner a insisté sur leur caractère non négociable de ces libertés, la seconde étant un droit fondamental des personnes et des communautés. La liberté d'expression est un principe essentiel des valeurs de l'Europe mais sa préservation dépend du comportement responsable de tout un chacun. À cet égard, il n'appartient pas aux autorités publiques ni à la Commission européenne de réglementer les médias ou d'imposer des codes d'éthique. Cette réglementation devrait provenir des médias eux-mêmes. Clôturant son discours par une évocation de l'Année européenne du dialogue interculturel en 2008, la commissaire a souligné la nécessité d'atteindre, audelà des élites, l'homme et la femme de la rue dans le cadre de la lutte contre le racisme et la xénophobie. À cet égard, les médias ont un rôle clé à jouer. Beate Winkler, directrice de l'Observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes (EUMC): « Le dialogue entre les médias, la société civile, les groupes idéologiques et les décideurs politiques constitue la voie par laquelle éradiquer le racisme », 12 Racisme, xénophobie et médias: séminaire EUROMED à Vienne, 22-23 mai 2006 a déclaré Beate Winkler. « Les rapports de l'EUMC sur l'antisémitisme et sur l'islamophobie ainsi que ses rapports annuels montrent que les médias ont une incidence sur la situation des minorités culturelles, religieuses ou ethniques. Les médias peuvent refléter et alimenter l'intolérance existant parmi le public. Une solution doit être trouvée à ce problème. Protéger les gens contre le discours raciste et xénophobe est un principe fondamental de notre société démocratique. C'est pourquoi tous les États membres de l'UE maintiennent, dans leur système juridique, certaines limites légitimes à la liberté d'expression. Les médias sont toutefois notre principal allié dans la mesure où ils peuvent largement sensibiliser le public au fait que les différences culturelles enrichissent nos sociétés et notre vie quotidienne. Ce rôle positif que les médias sont susceptibles de jouer peut être renforcé par la diffusion d'émissions grand public illustrant la diversité culturelle, par l'embauche de journalistes issus de cultures différentes et par la formation interculturelle des journalistes. » Beate Winkler a fait trois propositions concrètes, à examiner dans le cadre du séminaire: • • • encourager les médias à suivre l'exemple de certains émetteurs publics en mettant sur pied des groupes de travail sur la diversité, chargés de développer ces questions au niveau interne; lancer et soutenir des initiatives d'embauche et de formation destinées spécifiquement aux membres des groupes minoritaires sous-représentés dans les médias; étendre les programmes de formation médiatique existants et y inclure une formation à la diversité afin d'aider les journalistes et rédacteurs à mieux comprendre les questions relatives au racisme et à la xénophobie ainsi que les différences religieuses et culturelles. 2.2. DISCOURS PRINCIPAL DU RAPPORTEUR SPÉCIAL DES NATIONS UNIES SUR LE RACISME Les allocutions d'ouverture ont été suivies par le discours principal de Doudou Diène, rapporteur spécial des Nations unies sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et l'intolérance qui y est associée: Dans son discours, Doudou Diène a souligné les tendances suivantes qui concernent le racisme en Europe: l'instrumentalisation politique et la banalisation du racisme, caractérisées par l'influence grandissante de platesformes politiques racistes d'extrême droite dans les programmes politiques 13 Racisme, xénophobie et médias: séminaire EUROMED à Vienne, 22-23 mai 2006 des partis démocratiques; la légitimation intellectuelle du racisme par des universitaires et des médias; et l'augmentation des manifestations violentes de nature raciste et xénophobe, comme en témoignent les crimes récemment perpétrés en Belgique. Selon M. Diène, en plus de la résurgence d'anciennes formes de racisme contre les Noirs, les Arabes et les Juifs, de nouvelles formes de discrimination apparaissent. Il suffit pour s'en convaincre de considérer la multiplication des expressions politiques, juridiques et populaires d'intolérance et de discrimination envers les musulmans en Europe, surtout depuis les attentats commis le 11 septembre contre les ÉtatsUnis. M. Diène a identifié les nouvelles cibles du racisme: les étrangers, immigrants et demandeurs d'asile, dont on fait des criminels ne méritant pas d'être traités en vertu des conventions internationales. Pour lui, le facteur sous-jacent le plus inquiétant est la non-reconnaissance par les élites européennes, tant politiques qu'intellectuelles, de la profondeur et de la portée de la crise identitaire que traversent les sociétés de l'Europe. La confrontation entre les anciennes identités nationales, définies en termes ethniques et religieux par les livres d'éducation et d'histoire, et la réalité de la dynamique multiculturelle dans les sociétés européennes, est à la base de la résurgence du racisme et de la xénophobie en Europe. L'affaire des caricatures danoises constitue une illustration de cette crise identitaire, laquelle est une question négligée par les débats européens. M. Diène a parlé d'une approche de «strip-tease» de l'intégration en Europe: les étrangers, immigrants et demandeurs d'asile sont tenus d'entrer « nus » en Europe, c.-à-d. sans spécificité ou identité culturelle, religieuse, voire ethnique. Telle est la condition pour être accepté sur le continent. Le rapporteur spécial conçoit que les pays européens cherchent à imposer certaines valeurs et normes. Il a cependant appelé les Européens à reconnaître et accepter cette réalité fondamentale: ces gens ne viennent pas du cosmos mais de contextes culturels et spirituels riches; l'intégration devrait donc être imprégnée d'un esprit de dialogue interculturel, de donnant-donnant et de pratique de la diversité culturelle. Pour M. Diène, le rôle des médias, dans le respect total de la liberté d'expression et d'information, devrait être le suivant: • • prendre davantage en compte la profondeur historique du racisme et de la xénophobie, et en particulier de l'islamophobie en Europe; replacer dans son contexte la résurgence des manifestations violentes du racisme et de la xénophobie, en particulier la banalisation et l'instrumentalisation politique de ces deux phénomènes, ainsi que la menace que le racisme fait peser sur le processus démocratique; 14 Racisme, xénophobie et médias: séminaire EUROMED à Vienne, 22-23 mai 2006 • • s'opposer à la légitimation intellectuelle des préjugés et de la haine; réfléchir plus en profondeur, du point de vue rédactionnel et structurel, à la dynamique multiculturelle des sociétés européennes. 15 Racisme, xénophobie et médias: séminaire EUROMED à Vienne, 22-23 mai 2006 2.3. DÉBATS D'EXPERTS ET EN PLÉNIÈRE Après les discours d'ouverture et le discours principal, le thème des médias et du racisme a fait l'objet d'un débat d'experts, animé par les participants suivants: • • • • Isil Gachet, secrétaire exécutive, Commission européenne contre le racisme et l'intolérance (ECRI), Conseil de l'Europe Miklós Haraszti, représentant de l'OSCE pour la liberté des médias David Gardner, rédacteur en affaires internationales, Financial Times Aidan White, secrétaire général, Fédération internationale des journalistes Le modérateur du débat était Gerfried Sperl, rédacteur en chef du quotidien autrichien Der Standard. Dans son intervention, Isil Gachet, secrétaire exécutive de la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance (ECRI), a évoqué le travail de son institution, qui « mène des activités visant à garantir une vie libre de discriminations à toute personne présente sur le territoire du Conseil de l'Europe ». Elle a exposé les trois domaines principaux pour lesquels l'ECRI recommande l'adoption de mesures et d'actions: (1) la législation; (2) l'autorégulation; (3) les approches structurelles. Selon Mme Gachet, ces trois domaines doivent être abordés selon une démarche intégrée. Elle a souligné la nécessité de criminaliser les actes de racisme. La liberté d'expression peut être restreinte dans le but de combattre le racisme, conformément à l'article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), comme l'a confirmé la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. La recommandation de politique générale n° 7 de l'ECRI fournit des orientations concernant la législation nationale pour lutter contre le racisme et la discrimination raciale.4 Elle contient également des dispositions à l'encontre de l'expression raciste. Ces dispositions ne visent pas les médias de façon spécifique mais sont à appliquer en général, qu'elles soient enfreintes par les médias ou toute autre partie. De telles infractions ne sont cependant considérées que si elles ont été commises intentionnellement. Mme Gachet a ajouté ceci: « C'est peut-être là la meilleure protection pour ceux qui craignent une rupture de l'équilibre entre les divers droits fondamentaux ». Pour conclure son intervention, elle a souligné qu'« il est 4 Recommandation de politique générale n° 7 de l'ECRI sur la législation nationale pour lutter contre le racisme et la discrimination raciale. Adoptée par l'ECRI le 13 décembre 2002. http://www.coe.int/t/e/human_rights/ecri/ 16 Racisme, xénophobie et médias: séminaire EUROMED à Vienne, 22-23 mai 2006 tout à fait possible de combattre le racisme en respectant la liberté d'expression. » Le second expert à intervenir était Miklós Haraszti, représentant de l'OSCE pour la liberté des médias. L'une des tâches qui lui reviennent en particulier est la lutte contre l'intolérance dans les médias. Toutefois, à l'occasion du Conseil ministériel de l'OSCE, organisé en 2004 à Sofia, il a également été chargé de combattre les abus potentiels des réglementations sur le discours haineux, au cas où celles-ci permettraient de faire taire les différences d'opinion légitime ou les avis alternatifs. « Le problème, c'est que nous ne disposons pas d'outils universels pour apprécier ce qui constitue une restriction d'expression légitime. En même temps, des pays de plus en plus nombreux adoptent, en toute bonne foi, des législations en la matière ». Cette évolution peut mettre en danger la liberté d'expression en tant que valeur universelle. Dans son intervention, M. Haraszti a insisté sur le fait que la protection de la dignité, sans s'opposer à la liberté d'expression, doit en faire partie. Selon lui, la liberté d'expression est une forme de tolérance garantie constitutionnellement qui, du point de vue historique, sociologique et statistique, a des liens étroits avec la liberté de culte. À cet égard, il a souligné l'importance de construire la tolérance au travers du dialogue interculturel. David Gardner, rédacteur en affaires internationales au Financial Times, a évoqué la controverse des caricatures en précisant que, en principe, le quotidien danois avait le droit de publier ces documents, quelle qu'ait pu être leur grossièreté ou stupidité. Il a dénoncé l'instrumentalisation politique de « l'affaire des caricatures ». M. Gardner s'est étendu sur la manipulation de cette controverse et sur l'interaction entre certains gouvernements et la manifestation « publique » de la colère. Selon lui, certains gouvernements se sont réjouis de voir cette colère dirigée vers les caricatures et ceux qui les ont publiées car elle justifiait l'approche de ces gouvernements consistant à contrôler étroitement ce qui pouvait être imprimé ou non. Il a trouvé ironique que le débat sur la liberté d'expression finisse par alimenter les souhaits des nombreuses personnes qui voulaient la voir restreinte. De plus, selon M. Gardner, la liberté d'expression devrait être considérée comme un droit important mais ne pas donner lieu à des abus. En même temps, le journaliste a souligné le fait que les religions devaient accepter l'éventualité d'être visées par la satire. Aidan White, secrétaire général de la Fédération internationale des journalistes, a examiné la question de savoir comment les médias peuvent être encouragés à agir de façon positive. À cet égard, il a souligné le rôle important que les partis et dirigeants politiques sont susceptibles de jouer en donnant le ton des débats. Selon lui, les hommes politiques doivent être 17 Racisme, xénophobie et médias: séminaire EUROMED à Vienne, 22-23 mai 2006 considérés comme responsables des solutions à apporter au problème posé par la montée du racisme, de la xénophobie, de l'antisémitisme et de l'islamophobie. Rejoignant en cela M. Gardner, il a estimé que la liberté d'expression comprenait le droit de choquer. Toutefois, selon lui, la liberté d'expression concerne non seulement le droit de publier mais également le droit de ne pas publier. M. White a précisé que, en fin de compte, à peine 1 % des publications européennes ont décidé de publier les caricatures controversées. Il a mis en garde contre l'ingérence gouvernementale croissante dans les affaires médiatiques, et insisté sur le fait que la réglementation de l'éthique relevait uniquement de la compétence collective des journalistes professionnels. Les médias devraient cependant être encouragés à agir de façon positive dans le but d'éliminer les stéréotypes, d'empêcher l'alimentation du racisme et le sensationnalisme des reportages. À cet égard, M. White a souligné l'importance du dialogue avec les médias et entre les médias. À son avis, « nous n'avons pas besoin de plus d'images positives dans les médias; il nous faut plutôt dire (toute) la vérité. Nous avons besoin que les médias expriment la vérité et l'indépendance ». M. White a conclu son intervention en affirmant que certains médias manquaient de contexte et de qualité. Et d'ajouter que les médias devaient par conséquent lancer une initiative de journalisme éthique qui pourrait renforcer l'éthique et la crédibilité du journalisme, améliorer sa qualité, réaffirmer l'indépendance rédactionnelle et promouvoir l'excellence dans la formation et l'embauche. Au cours de la plénière publique qui a suivi, les représentants des pays Euromed, les experts et le public se sont lancés dans un débat animé. Alors que la controverse des caricatures et ses répercussions occupaient la place centrale du débat, des vues divergentes ont été exprimées concernant la responsabilité des médias et des responsables politiques vis-à-vis de l'escalade des événements. Un consensus a par contre été atteint au sujet de la nécessité pour les journalistes de prendre davantage conscience du contexte politique dans lequel ils travaillent et font leurs reportages. Cette séance plénière constituait la fin du volet public de la conférence. Les séances des groupes de travail qui ont suivi ont été organisées à un niveau expert, réunissant des professionnels des médias, des organisations de la société civile ainsi que des représentants de minorités culturelles ou religieuses. 18 Racisme, xénophobie et médias: séminaire EUROMED à Vienne, 22-23 mai 2006 2.4. SÉANCES DES GROUPES DE TRAVAIL 2.4.1. Régulation et politique rédactionnelle dans les États membres de l'UE Bettina Peters, directrice des programmes au Centre européen de journalisme, a présidé ce groupe de travail. Les exposés principaux ont été donnés par William Gore, directeur adjoint de la Commission britannique des plaintes de la presse, et Fuad Nahdi, éditeur du magazine musulman QNews au Royaume-Uni. Le groupe de travail s'est penché sur les expériences et les défis concernant: • • • la régulation (lois et organismes publics); l'autorégulation (organismes bénévoles du secteur des médias); les pratiques et initiatives rédactionnelles – ce que les médias peuvent faire. Il a examiné les initiatives existantes des organismes publics de régulation, en se référant en particulier à la Plate-forme européenne des instances de régulation (www.epra.org), au Réseau des instances de régulation méditerranéennes (www.rirm.org) et à la Broadcasting Regulation and Cultural Diversity (www.brcd.net). En élaborant ses recommandations, le groupe de travail s'est mis d'accord sur la nécessité de tenir compte du contexte lorsqu'on parle de racisme, de xénophobie et des médias. Selon les participants à ce groupe de travail, ce contexte se caractérise par des relations communautaires fragiles, par un environnement politique volatile ayant engendré des susceptibilités et des suspicions, et par la perception d'un conflit entre l'Ouest et l'Islam. Ils pensent que d'autres facteurs influencent ce contexte, notamment une crise de l'identité européenne et des changements au sein même du secteur des médias (moins de programmes grand public, moins d'intervenants, présence des « bloggeurs », concurrence plus forte, etc.). 2.4.2. Régulation et politique rédactionnelle dans les pays du sud méditerranéen Ramez Maluf, directeur de l'Institut de Beyrouth des arts médiatiques, a présidé ce groupe de travail. Les exposés principaux ont été donnés par Ibrahim Nawar, de l'Arab Press Freedom Watch, et Barbara Surk, correspondante au Moyen-Orient du quotidien Delo. 19 Racisme, xénophobie et médias: séminaire EUROMED à Vienne, 22-23 mai 2006 Pour ce qui est du volet thématique, ce groupe de travail a abordé les mêmes questions que le groupe de travail n° 1 mais dans le cadre des pays du sud méditerranéen. Concernant le contexte régional, il a recensé cinq déficits majeurs: • • • • • l'environnement juridique (liberté de la presse, systèmes d'octroi de licences); le quasi-monopole d'État accordé aux médias de radiodiffusion et télédiffusion; l'absence d'associations de la presse ou de syndicats de journalistes; le manque de régimes ou cadres d'autorégulation; le fait que la pratique professionnelle ne reflète pas la diversité d'opinions existant dans la société civile. En guise de réponse à l’absence de dispositifs d’auto-régulation, la COPEAM (Conférence des Opérateurs audio-visuels méditerranéens) a mis en place la Charte de Séville (7 mai 2005) qui contient des engagements de la part des chaines du Nord et du Sud de la Méditerranée (http://www.copeam.org). 26 chaines et stations de télevision et de radio publiques issues de pays euro-méditerranéens ont jusqu’à ce jour signé cette Charte. En élaborant ses suggestions d'améliorations et ses recommandations, le groupe de travail a également examiné la situation dans l'UE, où il estime que les médias présentent un portrait stéréotypé des religions et groupes culturels différents. La nécessité de transférer davantage de connaissances et d'échanger des expériences entre le « nord » et le « sud » était la conclusion principale formulée par ce groupe de travail. 2.4.3. Diversité culturelle dans les programmes et les structures médiatiques Anastasia Crickley, présidente du conseil d'administration de l'EUMC, a présidé ce groupe de travail. Les exposés principaux ont été donnés par Noha Mellor, maître de conférence à l'université d'East London, Michael Jempson, directeur de MediaWise Trust, et Édouard Pellet, délégué pour la diversité et l'intégration chez France Télévisions. Ce groupe de travail s'est penché sur la représentation des minorités culturelles et religieuses dans les médias. Il a identifié les barrières à la diversité culturelle dans les programmes et les structures médiatiques, et 20 Racisme, xénophobie et médias: séminaire EUROMED à Vienne, 22-23 mai 2006 élaboré des suggestions d'améliorations. La politique d'embauche et la gestion de la diversité dans le secteur des médias ont été au cœur des débats. Dans ce contexte, le groupe de travail a écouté avec intérêt l'un des orateurs principaux parler de la réussite d'une expérience de mise en place d'un bureau de la diversité chez un émetteur public national. Le groupe de travail a également débattu de l'importance de faire entendre la voix des minorités ethniques et culturelles dans les médias. À cet effet, il peut être fait appel aux médias alternatifs mais ce sont surtout les médias grand public qui doivent devenir accessibles. Enfin, le groupe de travail a souligné la nécessité de parler davantage des différences culturelles et religieuses dans la formation des journalistes et les dialogues médiatiques internationaux. 2.4.4. Relations entre médias, société civile et mécanismes institutionnels pour combattre le racisme et la xénophobie Le Dr Traugott Schoefthaller, directeur exécutif de la Fondation euroméditerranéenne Anna Lindh pour le dialogue entre les cultures, a présidé ce groupe de travail. Les exposés principaux ont été donnés par Zeynep Tugrul, de l'Association pour la solidarité avec les demandeurs d'asile et immigrants (Turquie) et David Meyer, membre de l'exécutif du Centre européen juif d'information. Ce groupe de travail a cherché à savoir comment introduire dans les médias les perspectives des personnes issues de minorités ou des communautés confessionnelles, et comment tisser une relation constructive entre la société civile et les médias. Il a débattu des sensibilités culturelles relatives au langage employé dans le discours public et médiatique. Ses participants ont écouté l'un des orateurs principaux parler des idées fausses associées aux réfugiés qui peuvent résulter de la couverture médiatique; il arrive ainsi que l'on ne fasse pas la distinction entre réfugiés et immigrants économiques. De plus, le groupe de travail a écouté les exemples de bonnes pratiques et d'initiatives positives réunissant des membres de communautés juives et musulmanes. Dans ce contexte, il a souligné que de telles initiatives ne bénéficiaient pas d'une couverture suffisante dans les médias, un problème qu'il attribue dans une certaine mesure à l'incapacité des organisations de la société civile à créer du matériel que les médias jugent intéressant à couvrir. Le groupe de travail a estimé que le dialogue interculturel et le rôle des médias dans ce dialogue étaient essentiels pour affaiblir les images stéréotypées des religions et groupes culturels divers. 21 Racisme, xénophobie et médias: séminaire EUROMED à Vienne, 22-23 mai 2006 CONCLUSIONS DES GROUPES DE TRAVAIL Chaque groupe de travail a élaboré des recommandations concrètes visant des améliorations dans les domaines examinés. Ces recommandations ont été synthétisées en une série de propositions d'actions, que le lecteur trouvera dans les conclusions du présent rapport. 2.5. DISCOURS DE CLÔTURE La conférence s'est achevée avec le discours de clôture de Thomas Hammarberg, commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l'Europe: Se fondant sur sa propre expérience de journaliste, Thomas Hammarberg a appelé les institutions politiques à mieux comprendre l'éthique professionnelle de ce métier. Les journalistes doivent se méfier des deux principales menaces externes pesant sur leur indépendance: la censure et les intérêts économiques. Leur instinct professionnel devrait donc les inciter à s'opposer à toute instrumentalisation visant un but politique ou social, même souhaitable. « Les journalistes n'aiment pas être les porte-voix de certains intérêts politiques. Ils sont cependant enchantés de contribuer à des développements positifs simplement en faisant bien leur travail ». M. Hammerberg a admis que les normes éthiques étaient la prérogative des journalistes. Toutefois, il a jugé nécessaire d'évaluer l'efficacité des instances d'autorégulation et des organismes bénévoles (bureaux de plaintes et médiateurs des médias). Il a reconnu qu'il était délicat de rechercher un équilibre entre liberté d'expression et liberté de culte, comme le prône la Convention européenne des droits de l’homme. Pour M. Hammerberg, il faudrait pouvoir définir plus clairement ce qui constitue une restriction légitime de la liberté d'expression, justifiée par la protection des droits d'autrui. Il a jugé nécessaire de porter davantage de cas semblables devant la Cour européenne des droits de l’homme, qui pourra ainsi définir ces limites au travers de la jurisprudence. Le commissaire aux droits de l’homme a conclu son intervention en suggérant que le problème du discours raciste dans les médias pourrait être solutionné en agissant dans quatre domaines liés entre eux: 1. renforcer l'éducation aux droits de l’homme; 2. contrecarrer le discours xénophobe dans les campagnes politiques; 3. encourager les ONG à informer les médias sur les questions de droits de l’homme; 22 Racisme, xénophobie et médias: séminaire EUROMED à Vienne, 22-23 mai 2006 4. promouvoir le dialogue pour améliorer la compréhension mutuelle des différences culturelles. 23 Racisme, xénophobie et médias: séminaire EUROMED à Vienne, 22-23 mai 2006 3. Conclusions, recommandations et propositions d'actions Les ateliers se sont concrétisés par des recommandations pratiques sur les façons de s'atteler au problème commun du racisme ou du discours haineux, et de promouvoir la compréhension et le respect entre les cultures. Le résumé ci-dessous énumère les principales propositions d'actions qui ont été adressées aux divers intervenants. Ce résumé ne peut rendre compte de toutes les spécificités régionales et nationales qui ont été représentées dans les groupes de travail. Il est donc possible que certaines des recommandations les plus générales ne concernent pas de la même façon tous les pays de la région Euromed. Le résumé à pour but de donner une vue d'ensemble des actions que les participants ont jugées nécessaires dans l'ensemble de la région. 3.1. PROPOSITIONS À CONSIDÉRER PAR LES ORGANISATIONS DE MEDIAS Renforcer l'autorégulation et les normes éthiques Les instances bénévoles des organisations de médias peuvent jouer un rôle constructif d'autorégulation du secteur et de renforcement des normes éthiques tout en maintenant l'indépendance rédactionnelle. Elles peuvent surveiller le respect des codes de conduite existants et arbitrer les plaintes des citoyens. Pour garantir l'efficacité des organismes des plaintes de presse, des médiateurs des médias et des autres instances d'autorégulation, les participants suggèrent que les organisations de médias: • • veillent à ce que l'autorégulation soit accessible à l'utilisateur et fondée sur un code clair et une procédure de plaintes facile et gratuite, mais aussi à ce que les instances d'autorégulations agissent rapidement et avec transparence, et bénéficient du soutien du secteur des médias, cela afin que les décisions soient appliquées de façon crédible; rendent l'autorégulation plus visible pour le public, avec plus de coordination et de publicité au niveau européen, associées à un dialogue plus suivi entre les instances d'autorégulation des deux côtés de la Méditerranée; 24 Racisme, xénophobie et médias: séminaire EUROMED à Vienne, 22-23 mai 2006 • • partagent les connaissances et expériences européennes des systèmes d'autorégulation avec les médias des pays du sud méditerranéen; accroissent la sensibilisation des journalistes et rédacteurs aux codes et normes éthiques existants. 25 Racisme, xénophobie et médias: séminaire EUROMED à Vienne, 22-23 mai 2006 Assurer la diversité du personnel dans le secteur des médias Introduire la diversité dans le personnel ne mènera pas automatiquement à une meilleure représentation des intérêts des minorités dans les programmes grand public. Néanmoins, si des membres plus nombreux des minorités ethniques, culturelles ou religieuses réussissent dans les médias, ce secteur reflétera avec plus de fidélité la diversité de la société. Les ressources humaines multiculturelles peuvent également être un facteur du succès économique des médias car elles permettent à ceux-ci de s'adresser à une audience elle-même de plus en plus diversifiée. Les participants encouragent les médias grand public à: • • • faire usage des dispositions de la législation antidiscrimination, dans les cas où elles sont applicables, et augmenter le nombre de journalistes issus de minorités grâce aux politiques d'égalité des chances associées à des actions positives (par ex. embauche ciblée, bourses, formation); mettre en place des bureaux de diversité chargés d'entreprendre des audits de la diversité et de développer des programmes d'action de diversité pour le compte de la direction; étudier la possibilité de faire des compétences interculturelles une qualification requise pour les professionnels des médias. S'engager avec la société civile et des groupes minoritaires dans la production de programmes Il importe que la société civile et les médias s'entendent mieux sur les questions relatives aux différences culturelles et religieuses. En s'engageant en particulier avec des groupes minoritaires, les médias pourront plus facilement améliorer la qualité des reportages, connaître les sensibilités touchant aux relations interculturelles et éviter les stéréotypes négatifs. Les participants recommandent aux professionnels des médias de: • • • exploiter toute la diversité des sources d'informations et donner une voix aux communautés minoritaires et aux sujets des reportages (c.à-d. les réfugiés, immigrants et groupes religieux); développer des formats de programme consacrés aux membres de diverses communautés et à leur vie quotidienne (situations vécues); présenter, dans les programmes populaires, la diversité comme un aspect normal de la société (situations fictives). 26 Racisme, xénophobie et médias: séminaire EUROMED à Vienne, 22-23 mai 2006 Dialogue et coopération entre professionnels des médias de différentes cultures Les professionnels des médias ont besoin de poursuivre les débats sur les normes rédactionnelles relatives aux relations interculturelles. Les échanges internationaux ont pour effet de sensibiliser aux restrictions de la liberté d'expression dans différentes sociétés, et de renforcer la solidarité professionnelle entre journalistes. Les participants suggèrent aux organisations de médias de: • • • • • • • créer un forum où les propriétaires de médias pourront débattre des questions de racisme et de xénophobie ainsi que de l'impact de la couverture médiatique sur les relations interculturelles; promouvoir l'échange de bonnes pratiques de journalisme responsable et éthique, et déterminer comment éviter le langage incitant aux préjugés, à l'hostilité et aux tensions entre communautés (notamment en consultation avec les dirigeants des communautés); adopter une « charte de la diversité », un document contenant des engagements spécifiques par média (avec un soutien politique) et un rapport annuel d'avancement dans ce domaine, à présenter à l'occasion d'une « journée de la diversité »; utiliser et étendre les programmes de jumelage international entre les professionnels des médias, en se centrant sur les jeunes journalistes afin de veiller à ce que les professionnels de demain soient sensibilisés aux différentes cultures; s'engager dans des coproductions internationales susceptibles d'améliorer la compréhension entre les cultures; permettre davantage aux experts du sud d'accéder et de s'associer aux médias du nord en tant qu'éditorialistes, commentateurs, etc.; institutionnaliser la coopération d'Euromed dans le domaine des médias en mettant en place des secrétariats et des réseaux d'outils d'information spécifiques (par ex. une lettre d'information pour les femmes journalistes). 3.2. PROPOSITIONS D'ACTIONS À MENER PAR LES INSTITUTIONS DE FORMATION ET LES ORGANISMES PROFESSIONNELS DU SECTEUR DU JOURNALISME Soutenir la formation et l'éducation à la diversité pour les journalistes et les rédacteurs 27 Racisme, xénophobie et médias: séminaire EUROMED à Vienne, 22-23 mai 2006 Assurer l'excellence de la formation et de l'éducation des journalistes devrait permettre de renforcer les normes professionnelles et de combattre l'ignorance à l'égard des différences et préoccupations culturelles. Les participants encouragent les institutions de formation du secteur du journalisme (notamment les écoles de journalisme) et les organismes professionnels (associations et unions) de ce secteur à: • • • • • recenser les lacunes des programmes d'enseignement et développer des initiatives de formation spécifiques pour améliorer l'appui à une éducation de qualité concernant les questions de racisme. Ces initiatives de formation devraient s'adresser aux rédacteurs, journalistes en activité, professeurs de journalisme et instances d'autorégulation; faire de la formation à la diversité un élément standard des programmes d'enseignement des journalistes, avec notamment l'apprentissage des différences religieuses et culturelles; tendre la main aux groupes minoritaires et encourager leurs jeunes à faire carrière dans le journalisme (par ex. grâce à des bourses); développer des programmes de formation dans le cadre desquels des professionnels du « nord » sont envoyés dans le « sud » et vice-versa; élaborer des manuels, boîtes à outils, glossaires et autres matériels d'auto-appentissage à l'intention des journalistes (ex.: « Online Tool for Journalists Reporting on Migration », www.emn.at/media). 3.3. PROPOSITIONS D'ACTIONS À MENER PAR LA SOCIÉTÉ CIVILE ET LES GROUPES MINORITAIRES Développer les capacités des médias dans la société civile Les organisations de la société civile et les groupes minoritaires peuvent faire entendre leur voix dans les médias s'ils réussissent à mettre au point des stratégies de communication proactives et fournissent aux journalistes des informations cohérentes et fiables. Ce faisant, ils aideront aussi à contrecarrer la description standard des communautés culturelles comme des blocs monolithiques. Les participants proposent que la société civile: • établisse des relations médiatiques matures en désignant et formant des porte-parole spécialisés, capables d'expliquer les thèmes en question dans le jargon journalistique et de parler au nom des communautés minoritaires et des groupes vulnérables; 28 Racisme, xénophobie et médias: séminaire EUROMED à Vienne, 22-23 mai 2006 • • • élabore pour les médias des guides relatifs aux divers groupes de la société, avec une explication des contextes, des sources, des données fiables, etc. (ex.: « British Muslims: Media Guide », http://www.fairuk.org/docs/British_Muslims_Media_Guide.pdf); développe et soutienne à l'intention des médias des initiatives au départ de la société civile, en tant que source alternative d'information pour les médias grand public; encourage les jeunes issus de groupes minoritaires à faire carrière dans le journalisme. Renforcer la capacité de la société civile à contrôler les médias La société civile peut jouer un rôle clé dans la surveillance de l'évolution des médias. Les participants recommandent de: • développer des compétences et capacités permettant de surveiller les reportages médiatiques et d'interagir avec les organismes gérant les plaintes (médiateurs, organismes de promotion de l'égalité, conseils de la presse) pour dénoncer les cas de racisme ou de discours haineux. 3.4. PROPOSITIONS D'ACTIONS À MENER PAR LES COMMUNAUTÉS RELIGIEUSES Développer et promouvoir des initiatives interconfessionnelles innovantes Les dirigeants religieux jouissent d'un grand prestige moral dans leurs communautés respectives. Ils peuvent donc jouer un rôle important de conciliation dans les relations interconfessionnelles et interculturelles. Des initiatives interconfessionnelles innovantes peuvent également constituer des sujets de reportage intéressants pour les médias. Les participants proposent que les communautés religieuses: • • • lancent des projets de jumelage entre les synagogues, églises et mosquées, et soutiennent les échanges de lettres d'information entre les lieux de culte; installent, dans les lieux de culte, des expositions présentant les autres religions; poursuivent les initiatives interculturelles et interconfessionnelles, et en fassent la promotion parmi leurs congrégations. 29 Racisme, xénophobie et médias: séminaire EUROMED à Vienne, 22-23 mai 2006 3.5. PROPOSITIONS DE SOUTIEN À APPORTER PAR LES INSTITUTIONS ET FONDATIONS EUROPEENNES ET INTERNATIONALES Soutenir la recherche et le travail en réseau des médias Les institutions et fondations européennes et internationales peuvent faciliter le dialogue entre les professionnels des médias et les groupements de la société civile et donner du sens à ce dialogue. Les séminaires, conférences et ateliers internationaux améliorent l'échange, entre les régions, de connaissances sur les diverses cultures et valeurs, et aident à transmettre ces connaissances à la population en général. Les participants encouragent les institutions et fondations européennes et internationales à: • • • • • • • organiser un atelier ou une table ronde à l'intention des rédacteurs en chef et des « dépisteurs d'achat de livres » de l'ensemble des 35 pays Euromed afin de pouvoir débattre du racisme et de la xénophobie au plus haut niveau médiatique; financer la publication d'un livre blanc pour les médias qui met en évidence les lois, politiques et pratiques liées à la régulation et à la diversité; soutenir la production par les médias des pays Euromed d'un livre blanc sur les normes communes en matière de journalisme; soutenir les initiatives de travail en réseau et de formation visant notamment la diversité dans les reportages, l'éthique de la pratique et les initiatives transfrontalières de journalisme éthique; continuer les échanges de journalistes et les initiatives médiatiques telles que le prix Euromed du journalisme sur la diversité culturelle; financer la recherche qui étudie la présence et la forme du discours discriminatoire dans les médias, et l'impact de ce discours sur les perceptions et attitudes publiques; soutenir les initiatives et projets interconfessionnels et interculturels. Créer un environnement propice à l'adoption de bonnes pratiques rédactionnelles par les médias Il appartient aux institutions politiques de créer un cadre politique et juridique qui promeut la diversité dans les médias et œuvre à maîtriser le racisme. Le cadre juridique de base est déjà en place. Il se compose, entre 30 Racisme, xénophobie et médias: séminaire EUROMED à Vienne, 22-23 mai 2006 autres, de la Convention européenne des droits de l’homme (en particulier son article 10), de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale et, dans l'UE, de sa législation antidiscrimination. Ce cadre doit être complété par des mécanismes transparents et efficaces assurant la régulation des médias. Les participants proposent que les institutions politiques: • • • • établissent clairement le rôle et la position des mécanismes de régulation par rapport à la loi, et protègent les systèmes de régulation contre toute interférence indésirable; s'attaquent aux causes profondes du racisme et des préjugés au travers du système éducatif, par exemple en introduisant des éléments interculturels dans les programmes scolaires standard; créent des liens entre les années thématiques de l'UE et des Nations unies centrées sur des questions relatives à la lutte contre le racisme et l'amélioration de la compréhension interculturelle, par exemple à l'occasion de l'Année européenne du dialogue interculturel, proposée pour 2008; instaurent une Journée mondiale de la tolérance religieuse, qui pourrait faire partie d'une campagne médiatique plus vaste destinée à expliquer les trois religions abrahamiques. 31