Voltaire, Camus, Claudel, recherche d`une confirmation ?

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Voltaire, Camus, Claudel, recherche d`une confirmation ?
Mémoire de doctorat, Patricia Llorens, sous la direction de Dr. Sabine van Wesemael
26 Juin 2009 Université d’Amsterdam (0021334)
Voltaire, Camus, Claudel, recherche d’une confirmation ?
Voltaire, Camus, Claudel, recherche d’une confirmation ?
Patricia LLorens
Mémoire de doctorat
Sous la direction de Dr. Sabine van Wesemael
Département de français
Université d'Amsterdam
26.06.2009
(0021334)
1
Mémoire de doctorat, Patricia Llorens, sous la direction de Dr. Sabine van Wesemael
26 Juin 2009 Université d’Amsterdam (0021334)
Voltaire, Camus, Claudel, recherche d’une confirmation ?
Mémoire de doctorat
Patricia LLorens 2009
(0021334)
Thème : Le rôle de la thématique de la guerre dans diverses œuvres
littéraires françaises.
Question de recherche : Quelle est la fonction du thème de la guerre dans
la littérature française dans Candide ou l’optimisme, Le Premier Homme
et Les Ames grises ?
Professeur : Sabine van Wezemael.
Je tiens tout particulièrement à remercier Dr. Sabine van Wesemael pour le soutien que celle-ci m’a apporté
tout au long de cette recherche et pour m’avoir apporté ses lumières. Je voudrais encore remercier Dr
Sabine van Wesemael pour la liberté de recherche que celle-ci m’a accordée .
Je tiens aussi à remercier mon mari, lecteur critique de ce parcours.
Je dédie ce mémoire à celle qui ne pourra assister à l’accomplissement de mes efforts.
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Mémoire de doctorat, Patricia Llorens, sous la direction de Dr. Sabine van Wesemael
26 Juin 2009 Université d’Amsterdam (0021334)
Voltaire, Camus, Claudel, recherche d’une confirmation ?
Table des matières :
1.
Introduction.
1.1. Relation entre l’auteur, son siècle et son oeuvre.
1.2. Thématique de la guerre dans la littérature :
2. Candide.
2.1. Courte historique.
2.2. Candide et Voltaire
2.2.1. Voltaire et l’ironie
2.3. Voltaire et la théorie du ‘tout est au mieux’ de Leibniz.
2.3.1. Mécanisme de validation :
2.4. Fonction des guerres et tueries dans l’œuvre de Voltaire
2.4.1.Dénonciations des tueries (guerres, massacres…)
2.4.2.Validation de la théorie de Voltaire
2.4.3. Là où l’ironie fait place au réalisme
2.5. Conclusion
3. Camus
3.1. Courte historique
3.2. Pluriphonisme dans l’œuvre de Camus, introduction
3.2.1. Camus et sa vision du monde
3.2.2. Repercussions , Edward Said
3.2.3. L’écrivain et ses personnages, relation pluriphoniques
3.3. Le Premier Homme
3.3.1. Résumé
3.4. Première rencontre avec le livre.
L’arrivée de la famille à Soférino, ‘La menace’
3.4.1. Mise en scène
3.4.2. Notions de fraternité et de mutisme dans l’œuvre
3.5. La thématique de la guerre dans l’œuvre
3.5.1. Cycle des personnages de la famille Cormery
3.5.2. La Recherche du père
3.5.3. Dénoncer la guerre et ses pratiques inhumaines
3.5.4.a Effet de balancier
3.5.4.b Fléau universel
3.6. Conclusion
4.
Claudel
4.1.
Introduction
4.1.1.
Résumé
4.2.
Les Âmes Grises et le Post-modernisme
4.2. 1. La discontinuité
4.2.2. Le mélange de réalités/de mondes
4.2.3. Les contradictions
4.2.4. Absence de militantisme ou de métarécit
4.3.
La guerre dans la littérature du début du 20e siècle
en contraste avec le thème de la guerre dans l’œuvre de Claudel
4.4.
Les Ames grises et la fonction de la guerre en arrière plan
4.4.1. Toile de fond
4.4.2. Contraste (monde à l’envers)
4.5.
Conclusion
5. Conclusion générale
6. Samenvatting in het Nederlands
7. Bibliographie
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Voltaire, Camus, Claudel, recherche d’une confirmation ?
1. Introduction.
De tous temps la guerre a été un sujet privilégié dans la littérature, en
particulier dans la littérature française. Le but de ce Mémoire est de ‘Définir la
fonction du thème de la guerre dans trois œuvres littéraires françaises’ de
porter un regard analytique sur ce thème. Pour chaque œuvre ce Mémoire sera
articulé en deux temps. Dans un premier temps, je me pencherai sur la relation
entre l’auteur, son siècle et son œuvre. Dans un second temps, une recherche
sera faite autour de l’évolution du thème de la guerre dans la littérature à
travers trois auteurs répartis dans le 18e, 20e et 21e siècles. Aucune œuvre du
19e siècle ne sera ici approfondi, mais je citerai toutefois l’œuvre de
Maupassant, Boule de Suif et quelques autres œuvres de divers auteurs, ceci
afin d’élargir quelque peu mon champs analytique pour le 19e et le 20e siècle
afin de souligner des points identiques ou contratifs des trois œuvres primaires
de ce mémoire. En amont de cette analyse, je tenterai d’expliquer le pourquoi
du choix de ce thème.
Réflexion.
Définir le sujet de mon mémoire n’a pas été une tâche facile. Quel auteur
choisir ? Quel livre choisir ? Quel thème choisir ? Quelles questions poser ?
Chaque auteur, chaque livre, chaque thème a ses particularités toutes plus
complexes les unes que les autres et chacune pouvant être le sujet d’un
Mémoire. Ma passion pour la littérature m’a bien souvent amenée à discourir
avec les protagonistes d’une œuvre, à écrire mes propres sentiments dans les
marges d’un livre, à mettre des points d’interrogation derrière une réflexion
d’un auteur ou à pousser plus loin celle-ci.
Faire un choix s’est avéré difficile et plusieurs fois j’ai pensé changer de
thème.
Deux éléments enfin m’ont permis de finaliser mon choix : mon mémoire de
fin de cours de 2007 et un passage dans ‘Les Fictions singulières’ de
Blanckeman.
La question principale de ce mémoire de fin de cours était : ‘Quelle est la
fonction de la guerre dans Les Ames grises ?’ Après avoir développé mon
analyse, je m’étais posé la question à savoir s’il ‘serait intéressant de retrouver
cette interrogation dans d’autres œuvres de ce début de siècle’. Un passage de
Blanckeman, exposé ci-après, a changé quelque peu ma question initiale.
‘Les romans s’inscrivent dans une civilisation dont ils saisissent le défaut de
civilité et figurent les cicatrices, les fractures, les cassures -toutes les atteintes
portées au corps social. Un romanesque de la chose publique incite à
l’indignation, à côté des formes anciennes d’engagement’1.
Pale engagement comparé à l’engagement des auteurs des générations
précédentes. Mais la constatation de Blanckeman est quelque peu trop vite
avancée à mon goût. La littérature contemporaine ne manque aucunement
1
Blanckeman. Bruno. Les fictions singulières, étude sur le roman français contemporain. Prétexte
Editeur. Paris 2002 p.8
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d’engagement, loin de là. Ses auteurs, pour certains, recherchent la
confrontation (Houellebecq, Beigbeder. Littell…) pour d’autres l’interpellation
la réflexion (Claudel, Modiano …). Certains veulent à tout prix ressusciter la
littérature française ou à l’inverse affirmer son existence ? Ces deux tentatives
sont superflues. Il faut être sensible à son évolution.
C’est cette évolution que je voudrais essayer de définir de façon modeste en
m’appuyant sur un thème bien défini dans le temps et dans la forme grâce à :
‘La fonction du thème de la guerre dans la littérature française dans Candide,
Le Premier Homme et Les Ames grises’. Pour ce qui est de la forme, je
m’autoriserai à faire des pas de géant car ce sujet, bien que défini, pourrait
paraître être un sujet de thèse alors que ce mémoire ne conduit que pour un
temps ma réflexion et ne se veut en aucun cas une analyse exhaustive.
1.1. Relation entre l’auteur, son siècle et son oeuvre.
Comme je l’ai cité dans mon introduction, je voudrais ouvrir ce paragraphe sur
une réflexion portant sur la relation de l’auteur avec son siècle et son œuvre.
Bien qu’il soit possible d’analyser une œuvre dans l’anonymat de son créateur,
on ne peut nier le fait que tout auteur réalisant un conte, une nouvelle ou un
roman (texte narratif) expose d’une façon ou d’une autre sa vision du monde,
ses réflexions, ses pensées ses idées en vue de les soumettre aux lecteurs, de les
lui faire partager. Le but en soi est variable selon que l’auteur veut avancer une
réflexion philosophique (Candide), émettre une critique : (Boule de Suif, La
Peste, La Condition humaine…) ou exposer des traumatismes ( Le Feu, Les
Champs d’honneur…).
Le choix du thème pour faire avancer le récit est variable, ce que je
développerai plus loin. Quoi qu’il en soit, chaque écrivain réagit en fonction de
son siècle. Qu’il soit philosophe, analytique, engagé, nihiliste ou impassible,
tout auteur est cerné par l’époque où celui-ci vit. Que l’on analyse Candide de
Voltaire, Le Premier Homme de Camus ou Les Ames grises de Claudel, chaque
auteur est le produit de son temps, chaque œuvre le reflet de son auteur.
Pourquoi alors séparer l’analyse littéraire de l’Histoire ? Comment concevoir
l’existence d’une œuvre sans la placer dans son temps ? Les écrivains nommés
ci-dessus ont tous été influencés par leur temps, ce qui est directement lisible
dans leur œuvre.
On retrouve dans les œuvres de Voltaire, en particulier dans Candide, les
grands débats sur la tolérance, l’esprit des Lumières, les positions du
philosophe Leibniz, la barbarie du XVIIIe siècle. Voltaire dénonce dans
Candide le fanatisme religieux, il y expose le débat sur la condition des nègres.
On y découvre aussi l’attirance pour la science et les expériences. Je cite
Marie-Hélène Dumestre : ‘Le conte [Candide] aborde quasiment tous les
domaines de réflexion du XVIIIe siècle : intérêt pour la science, critique des
excès de la religion, réflexion politique, satire sociale’.2
2
Dumestre. Marie-Hélène, Candide ou l’optimisme (1759) Voltaire. Profil d’une
œuvre.Hatier.2001.p34
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Candide a un contexte historique fabuleux, c’est l’œuvre d’un auteur qui règle
ses comptes avec son propre siècle. Les faits historiques y sont nombreux, la
Guerre de 7 ans (1756), le séisme de Lisbonne ou encore l’exécution de
l’amiral John Byng.
L’influence d’un siècle fait écho sur ses auteurs et ricoche sur leurs œuvres.
Albert Thibaudet a analysé ‘les générations littéraires’ de la Révolution
Française à l’Entre-deux Guerres du 20e siècle. De son analyse ressort les
fluctuations d’une génération à l’autre. L’écho d’un siècle sur un auteur est mis
en évidence. De Victor Hugo Thibaudet écrit ‘Hugo est porté par le siècle’3. Le
roman Notre Dame de Paris souligne selon Thibaudet, l’aspect critique du
‘défaut de l’humanité’.4 Pour ce critique littéraire, chaque période produit ses
écrivains. La génération qui a eu 20 ans en 1850 diffère complètement de celle
ayant eu 20 ans en 1820.5 Non seulement le siècle a son influence sur l’auteur
mais sa génération le façonne aussi.
Aucune œuvre du 19e siècle n’étant analysée dans ce mémoire, je voudrais
toutefois citer ici Boule de Suif de Maupassant, afin de suivre un semblant de
chronologie.
Venant après la vague du Romantisme, Maupassant (1850) critique ses
prédécesseurs. Le Romantisme serait un courant ayant un effet ‘anesthésiant’
accru par une sentimentalité hors paire. Ce courant éliminerait toute raison
inculquée par les philosophes du 18e siècle. Là aussi, réaction soufflée par la
génération précédant celle de Maupassant. Cette génération qui avait vingt ans
en 1850, était une génération angoissée qui en 1870/1871 atteindra des
profondeurs pessimistes.6 Maupassant réagit à ces prédécesseurs et à sa propre
Histoire, la guerre de 1870 à laquelle il a quelques temps participé. La
génération de Maupassant est celle qui a 20 ans en 1870.
Nous avançons maintenant vers le 20e siècle. Ce siècle aussi a marqué ses
écrivains. Thibaudet ‘perçoit’ la génération de 1914 comme ‘une génération
mutilée’.7 La génération de 1914 a bénéficié d’une scolarisation dès 1902, les
écrivains, tous pour la plupart, appartiennent à la bourgeoisie et ont reçu un
enseignement secondaire. Cette génération sera marquée par une ‘inquiétude
qui lui est propre’.8
La Première guerre mondiale a déclenché une chaîne de témoignages .
Barbusse fait partie de ces écrivains témoignant des horreurs de cette guerre et
du vécu des poilus. Barbusse n’est pas tout à fait de la génération de 1914 car il
a 40 ans lorsque la guerre éclate. Mais comme dira Thibaudet, ‘Tout le monde,
dans la génération de 1914, a été bon pour écrire un roman, de même que tout
le monde était bon pour faire un soldat’.9 Cette formule s’applique, il est vrai, à
Barbusse. Citer Barbusse ici n’est pas si fortuit qu’il ne parait. Barbusse et
3
Thibaudet. Albert. Histoire de la littérature française. CNRS Editions. Paris. 2007.p281.
Ibidem. p.279
5
Ibidem. p.390
6
Ibidem. P325, 329.
7
Ibidem. p539
8
Ibidem.p541
9
Ibidem.p557
4
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Camus ont été quelques temps en relation, Camus s’était engagé dans le même
mouvement antifasciste que Barbusse (voir paragraphe 3.1)
Passant de la Première guerre à la Deuxième guerre mondiale, je voudrais citer
ici l’œuvre de Vercors.
Né exactement 100 ans après Victor Hugo, Vercors a une écriture
philosophique, satirique. C’est un homme engagé et révolté. L’Histoire à
marqué sa vie et ses œuvres (dessins et nouvelles). De pessimiste avant la
guerre, sa vision du monde changea en un élan de révolte, l’homme engagé pris
la plume. ‘Le Silence de la mer’ est la 1er nouvelle éditée par les Editions de
minuit, éditions que Vercors créa. Son engagement fut total, il écrivit de
nombreux articles afin de dénoncer les atrocités en temps de guerre, que ce soit
celles des nazis, celles de la guerre d’Algérie, celles de la guerre d’Indochine
ou du Vietnam.
Pour le lecteur il est impossible de recevoir, d’analyser ou de comprendre
l’œuvre de Vercors sans être conscient de l’impacte qu’a eu l’Histoire sur sa
vision des choses, ceci vaut aussi pour les autres auteurs cités dans ce mémoire.
Camus, par exemple, est un écrivain qui a été grandement marqué par les
guerres. Sa vie a été prise comme dans un étau entre la Deuxième guerre
mondiale et la guerre d’Algérie.
Camus n’a pas grandi dans un environnement propice à un développement
culturel. Il était pauvre et a vécu à Belcourt dans un quartier de pauvres où ses
parents, tout comme les parents de ses amis de jeux, devaient travailler pour
survivre avec peine. Camus s’inscrira au PC dès les années 1935, il se détacha
de ce même parti en 1937. En 1938 il sera journaliste à Alger Républicain.
Camus défendra surtout les Musulmans et il écrira des articles sur la misère en
Kabylie. Camus découvrira une misère encore plus profonde que celle qu’il
n’avait vécue. Il est le premier écrivain qui ait montré du doigt les injustices de
sont pays. Ses critiques feront que Camus perdra sont emploi et ne pourra en
retrouver un autre, il sera obligé de partir en France. Dès 1940 Camus
travaillera à Paris Soir mais sera là aussi licencié car ce journal ne pourra plus
rester dans un Paris occupé. En 1943 Camus entre dans le réseau ‘Combat’, il
s’installera dans l’appartement de Gide. Camus fera partie d’un groupe
d’artistes qui se retrouvent autour du peintre Picasso, ce dernier ayant écrit une
farce appelée ‘le désir attrapé par la queue’. Là se retrouvent Leiris, Brassai,
Beauvoir, Sartre, Queneau et Maria Cassares. Après la libération de Paris avec
la fin de la guerre, Camus devient rédacteur en chef de Combat. La notoriété de
Camus s’accroît. Alors que la France se remet des atrocités de la guerre,
l’Algérie est déchirée par les attentats. Lors du défilé de la victoire sur les
Allemands, les Français et les Algériens s’affrontent. Les forces de l’ordre
répriment dans le sang ces affrontements faisant ainsi des milliers de morts du
côté des Algériens. Camus sera le seul intellectuel à dénoncer ce qui se passe
en Algérie. S’opère alors une cassure entre les Européens et les Algériens qui
ne veulent plus entendre parler d’assimilation. Camus se révoltera contre ces
tueries mais aussi contre la pratique de la torture à Madagascar et l’utilisation
de la bombe atomique à Hiroshima.
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Camus critiquera le communisme et ses pratiques, il refuse toute idée de
meurtre validé par l’hypothétique vision d’un monde meilleur qu’offrirait le
communisme. A partir de ce moment là, Sartre et Camus s’affronteront. Sartre
accuse Camus ‘d’incompétence philosophique’ et Camus dira être fatigué ‘de
recevoir sans trêve des leçons d’efficacité de la part de censeurs qui n’ont
jamais placer que leur fauteuil dans le sens de l’Histoire’10.
Entre temps, la guerre d’Algérie fait de nombreuses victimes. Camus ne voudra
pas choisir entre la France et l’Algérie, il s’imposera un silence autour des
événements mais interviendra encore afin de sauver des Algériens
nationalistes.
Des trois auteurs traités dans ce mémoire, Camus est certainement l’auteur qui
a été le plus directement touché par les guerres. Dans la partie développement,
nous verrons que Camus a été marqué indirectement par d’autres guerres et que
celles-ci bien qu’éloignées ont changé sa vie et sa vision du monde.
En faisant un pas de géant nous arrivons maintenant à ce début du 21e siècle et
à notre troisième auteur, Philippe Claudel.
Pour comprendre Claudel et son écriture, j’orienterai ma réflexion sur un autre
champs analytique. Né en 1962, Claudel est un auteur de l’immédiat.11 Auteur
de plusieurs romans, Claudel a reçu de nombreux prix littéraires.12 C’est un
écrivain reconnu et apprécié mais sur qui peu a été écrit. Pour cette raison je
me vois obligée de changer de champs analytique.
Depuis Aristote le regard porté sur la science et sur ce qui est scientifique a
évolué. Les discours qui tentent de légitimer la science ont aussi évolué.
Autrefois, les discours légitimant le savoir passaient par ce que nous
appelons « les grands récits », la religion, la raison, le progrès, le marxisme.
La direction prise par ‘l’appareil’ scientifique était définie et légitimée par
une vue implicite de l’histoire, par l’idée de progrès.
En quatrième de couverture de ‘La Condition Postmoderne’13 de François
Lyotard il est écrit :
‘Il y a eu des grands récits, l’émancipation du citoyen, la réalisation de l’Esprit, la
société sans classes. L’âge moderne y recourait pour légitimer ou critiquer ses savoirs
et ses actes’.
Après la deuxième guerre mondiale, les grands récits (méta récits) n’ont plus eu de
sens. Cette nouvelle ère est appelée l’ère ‘Postmoderne’. Le Postmodernisme est ce
que l’on pourrait appeler, la continuation, le prolongement radicale du modernisme.
Pour les Modernistes, il est impossible de définir ce que l’on voit, l’accent est mis
sur la subjectivité de la représentation des choses. Il est impossible de communiquer.
(La théorie de la connaissance = doute épistémologique)
10
Documentaire’Albert Camus 1913-1960 Une tragédie du bonheur’Film de Jean Dairel et Joël
Calmettes. Produit par CKF Production. Max Armanet et Philippe Cazer.
11
Les auteurs de l’immédiat, sont pour moi, les auteurs vivant dans la même génération que moi.
12
Le prix Marcel Pagnol, le prix Goncourt, le Goncourt des lycéens, le prix Renaudot, le prix des
libraires de Québec.
13
Lyotard, J-F : La Condition postmoderne. Les Editions de Minuit. Paris 1979
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Voltaire, Camus, Claudel, recherche d’une confirmation ?
Pour les Postmodernes, la réalité telle qu’on la voit n’existe pas, plusieurs mondes ou
plusieurs réalités peuvent exister. (Le doute est ontologique). Certains éléments
comme la discontinuité, le mélange des réalités et l’absence de militantisme ou de
méta-récit se retrouvent dans Les Âmes grises de Claudel. Il n’y est pas question de
savoir dans quel sens va l’Histoire ou de porter un jugement. Ceci est justement ce
qui caractérise l’œuvre de Claudel, ce qui le place dans sa ‘génération’ au sens où
Thibaudet l’avait employée. C’est une génération qui a eu 20 ans au début des années
80, qui est consciente de l’impacte du 20e siècle. Qui, sans avoir été directement
victime des nombreuses guerres14, en a été grandement choqué.
Pour Voltaire, Camus et d’une autre façon Claudel, l’Histoire a ricoché sur leurs
œuvres.
1.2. Thématique de la guerre dans la littérature :
Pourquoi les auteurs cités ici choisissent-ils le thème de la guerre comme
moyen pour représenter le monde et avancer leurs idées ? Certains auteurs
comme Barbusse décrivent les tranchées comme l’auteur les à lui-même
vécues, Barbusse décrit le monde insolite des soldats à l’intérieur des
tranchées. Pour cette œuvre la question à savoir pourquoi le thème de la guerre
a-t-il été choisi, ne se pose pas, il ne s’agit pas d’un thème adjacent ou
secondaire mais de la narration d’un événement précis (la guerre). Mais pour
Voltaire, Camus et Claudel, les récits ne sont pas la traduction directe d’une
tranche de leur vie, où d’un combat actif dans une guerre. Certes Camus a été
le témoin de la Deuxième guerre mondiale et des événements d’Algérie, il a
certes participé à la résistance, mais il n’a pas, comme l’avait fait Barbusse,
participé aux combats avec l’ennemi. Alors pourquoi choisir le thème de la
guerre pour illustrer sa pensée ? Pourquoi la guerre est-elle si présente dans Le
Premier Homme ? Pourquoi est-elle si présente dans Candide et dans Les Âmes
grises ? Qu’amène ce support à la réflexion de l’auteur ? Un même thème peut
soutenir diverses réflexions ou motifs chez un même auteur (ou si l’on compare
un auteur à un autre traitant d’un même thème).
Pour aborder la nature des hommes n’est-il pas possible de choisir un thème
dans le champs de la vie de tous les jours ? Les conflits ne sont-ils pas présents
juste aux abords de nos vies ? Pourquoi alors se servir de la guerre en toile de
fond ? Michèle Gellereau analyse cette démarche chez Maupassant comme
telle :
‘Mais la guerre ne sert pas seulement de toile de fond au récit, elle pénètre et l’occupe
entièrement. La capitulation, la trahison sont les sujets mêmes de l’œuvre. La guerre
sert également de prétexte pour réunir des personnages qui ne seraient jamais
rencontrés dans la société en temps de paix.’15
14
1 et 2e guerre mondiale, guerre d’Indochine, guerre d’Algérie, 1ere et 2e guerre du Golf, guerre de
l’ex-Yougoslavie et les actes terroristes du début du 21e siècle
15
Gellereau, Michèle. Boule de Suif Guy de Maupassant. Bertrand-Lacoste. Paris.p26.
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Voltaire, Camus, Claudel, recherche d’une confirmation ?
Ce qui est valable pour Maupassant l’est-il aussi pour Voltaire, Camus et
Claudel ?
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2. Candide.
Passons maintenant à la partie analytique de ce mémoire. Afin de faciliter la
compréhension du tout, je commencerai par l’œuvre de Voltaire et je poursuivrai
avec celle de Camus pour finir avec l’œuvre de Claudel.
La question principale portant sur l’analyse de Candide est la suivante,
Quelle fonction particulière a la thématique de la guerre dans Candide œuvre de
Voltaire, vu que la guerre et les conflits sont les thèmes récurrents dans ce
conte ?
2.1. Courte historique.
Le 18e siècle succède à un siècle lourd en événements. Louis XIV a marqué le 17e
siècle. Les conflits religieux ont bouleversé ce siècle. Après un temps de tolérance,
les persécutions contre les protestants reprennent de violence, le 18e siècle s’ouvre
sur une France financièrement épuisée, durcie et intolérante. Les contrastes avec le
siècle précédant sont grands. La Régence de Philippe d’Orléans amène un certain
libéralisme. Après l’austérité succède une atmosphère de frivolité, de joie de vivre.
C’est l’époque des fêtes galantes. C’est le temps de ‘l’aimable régence, où on fit tout
excepté pénitence’
La situation économique paraît s’améliorer, mais le règne de Louis XV replongera la
France dans des conflits de religions. A l’extérieur du pays, les conflits sont
nombreux, guerre de Succession de Pologne (1723-1738), guerre de succession
d’Autriche (1745-1748), rivalité franco-anglaise au Canada, guerre de 7 ans entre la
France et la Prusse (1756-1763). A l’intérieur du pays ce sont les maladies
dévastatrices comme la vérole ou la peste, les discordes religieuses entre Jésuites et
Jansénistes, la polémique contre les Lumières qui perturbent la France.
Après 59 ans de règne Louis XV laisse un trou dans les caisses royales. Louis XVI
hérite d’un pays alourdi par des impôts qui avaient déjà été augmentés. Les emprunts
étaient lourds et des réformes sont nécessaires. Turgot (1774-1776) propice aux idées
des philosophes, opte pour des réformes libérales avec la suppression des douanes
intérieures et la libération du commerce. C’est en voulant réformer les impôts et
toucher aux grosses fortunes que Turgot se rend indésirable. En soutenant la guerre
d’indépendance américaine (LaFayette 1778-1782), le roi agrandi le gouffre
financier. Ce soutien au peuple américain ne pouvant être financé par les impôts,
entraîne l’augmentation des emprunts qui sont triplés. Les réformes se faisant
attendre, le peuple perd confiance, les Etats généraux sont réunis, ceux-ci ne veulent
pas se contenter d’accepter des réformes, ils demandent des comptes au roi. La
Révolution française est au pas de la porte.
Au siècle des Lumières, la littérature devient une littérature critique où la monarchie,
l’aristocratie et l’église sont remises en cause. Les écrivains marquant ce siècle sont
entre autres, Diderot, Rousseau, Voltaire, Montesquieu et Bayle. Au 18e siècle le
philosophe est ‘un homme raisonné’ un homme de progrès, de dialogue et de
dynamisme. Ce siècle voit aussi la naissance d’un mythe, le progrès de l’humanité.
Grâce aux sciences, l’humanité oeuvrerait vers un avenir meilleur ou les sciences
11
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amèneraient à l’homme la croissance et l’essor qui le guideraient vers un avenir
centré sur la liberté et la connaissance . Les philosophes des Lumières s’emploient à
combattre l’ignorance et l’intolérance, fléaux qui entravent la marche vers le progrès.
L’obscurantisme et le fanatisme religieux est ce que les philosophes des Lumières
combattent en premier. Le deuxième combat des philosophes est celui qu’ils mènent
contre les sciences basées sur des raisonnements fondés sur des ‘a priori’. Ces
raisonnements seraient basés sur une argumentation logique qui elle ne serait pas
basée sur des faits.
2.2. Candide16 et Voltaire
Candide est un conte philosophique et initiatique retraçant les déboires d’un
jeune candide rejeté de son paradis terrestre et à la recherche de sa dulcinée
Cunégonde qu’il retrouvera en piteux états. Dans son livre, Voltaire nous
transporte de charybde en scylla, vers une réflexion philosophique. Voltaire
critique la théorie de l’optimisme de Leibniz incarnée par la vision
outrageusement positive de Pangloss. Ce dernier est critiqué par Martin,
(personnage pessimiste manichéen pour qui le mal règne partout ) et par le
narrateur. On reconnaît dans Martin le disciple de Pierre Bayle.
Voltaire encadre son récit de faits incontestables formant la matrice de
l’Histoire comme, par exemple : le tremblement de terre de Lisbonne,
l’exécution de l’amiral anglais Byng (pour qui Voltaire interviendra en vain
pour sauver cet homme) et les multiples guerres (voir paragraphe2.1. Courte
historique). La relation entre les personnages, les situations et les nombreuses
guerres, supportent la réflexion philosophique que l’écrivain veut engager
avec son lecteur. En mettant en évidence les maux de la civilisation du XVIIIe
siècle, Voltaire souligne le monde imparfait qui nous entoure. Il entame ainsi
une polémique ayant pour but de contredire la doctrine avance par Leibniz avec
son ‘tout est au mieux’. Candide est une œuvre critique de Voltaire, la satire et
l’ironie sont les armes du philosophe. Le lecteur est amené vers une réflexion
philosophique sur la finalité du monde, sur l’optimisme, sur les préjugés, sur
les connaissances et l’innocence.
2.2.1. Voltaire et l’ironie.
Voltaire est connu pour engager la réflexion entre le narrateur et le narrataire par le
biais de l’ironie. Candide est le modèle parfait de ce stratagème.
Après avoir été chassé du château de Thunder-Ten-Tronck. le ‘paradis terrestre’,
Candide se retrouve face à face avec des soldats Bulgares, s’en suit un discours entre
le personnage principal et l’un des soldats :
‘Les hommes ne sont faits que pour se secourir les uns les autres :- Vous avez raison dit
Candide : c est ce que monsieur Pangloss m’a toujours dit, et je vois bien que tout est au
mieux’17
16
Voltaire. Candide ou l’optimisme. Editions Pocket Classique. 1998
12
Mémoire de doctorat, Patricia Llorens, sous la direction de Dr. Sabine van Wesemael
26 Juin 2009 Université d’Amsterdam.
La tirade ci-dessus est en contradiction avec ce qui va se passer plus loin, Candide
sera enrôlé de force et devra servir sous les ordres des Bulgares. En s’échappant par
‘mégarde’, il sera maltraité, battu, laissé presque pour mort. Que penser alors de cette
simple citation où les hommes soit-disant faits ‘pour se secourir les uns les autre’
s’entretuent.
En associant cette réflexion à celle de Pangloss, Candide, et par ce biais Voltaire,
relie ensemble les deux pensées, celle des Bulgares et celle de Pangloss (Leibniz).
Dès le début cette civilité mal placée des guerriers choque et crée un porte à faux. Le
porte à faux, continue avec l’énumération des sévices endurés par ce pauvre Candide
et ou celui-ci est amené à choisir entre :
‘être fustigé 36 fois par tout le régiment ou de recevoir douze balles de plomb dans la cervelle. Le
choix paraît difficile mais Candide se déterminera en vertu du don de Dieu qu’on nomme liberté,
à passer 36 fois par les baguettes […] le régiment était composé de deux mille hommes’
L’ironie de ce passage est flagrante. Tout d’abord Candide doit choisir entre une
mort fulgurante, des balles de plomb dans la cervelle et un supplice long et tout aussi
mortel que sont les 72 mille coups de baguettes. Le choix des armes et leur nombre
est absurde, le ridicule de ces 12 balles et de ces 72 mille coups de baguettes saute
aux yeux. L’ironie s’amplifie lorsque Candide doit choisir ‘en vertu du don de Dieu
qu’on nomme liberté’.
Voltaire critique doublement ce ‘don de Dieu’.
Premièrement, Voltaire prétend que ce ‘don’ n’est pas nommé par tous mais
seulement par certains sous entendu Leibniz. Ce ‘on’ ne réfère pas à un ‘nous’
collectif mais à quelques uns excluant ainsi la personne de Voltaire. Il en aurait été
autrement si Voltaire avait utilisé la construction suivante : en vertu du don de Dieu
nommé liberté. Là, il n’y aurait pas été question de doute, ‘un don de Dieu nommé
liberté‘ aurait confirmé que ce don est reconnu par tous Voltaire inclus.
Deuxièmement, en mettant le mot liberté en italique, Voltaire accentue le doute
planant sur ce ‘don de Dieu’. Le lecteur pourrait traduire cette différence graphique
de deux façons :
• Soit le mot est rapporté,
• Soit le mot n’a pas sa signification première.
Quelle que soit la signification de ce mot en italique, en ayant recours à un tel
procédé, Voltaire annule la validité du mot liberté. Voltaire ironise. L’ironie en
rhétorique en revient à prétendre le contraire de ce que l’on dit18.
18
Aron, Saint Jacques, Viala : Dictionnaire du littéraire. PUF Paris, 2002 p.320
Ironie = « une figure par laquelle on veut faire entendre le contraire de ce qu’on dit »
13
Mémoire de doctorat, Patricia Llorens, sous la direction de Dr. Sabine van Wesemael
26 Juin 2009 Université d’Amsterdam.
2.3. Voltaire et la théorie du ‘tout est au mieux’ de Leibniz.
Le 18e siècle se caractérisera par une recherche rationaliste. Pour ce siècle, ‘Il s’agit
de découvrir les lois de fonctionnement de la matière ou des sociétés humaines par
l’observation dégagée d’a priori dogmatiques’.19 Le 18e siècle introduit une
‘différenciation du savoir et de la croyance’. 20 Le savoir, le domaine des
mathématiques par excellence, est ce qui ne peut être contesté et ce sur quoi les
hommes ne peuvent se départir. Par contre la croyance est le domaine des opinions,
ce qui est incertain et qui amène les hommes à des ‘dérives superstitieuses’.
‘Le savoir, dont le modèle est mathématique, ne souffre aucune contestation, et ne
saurait diviser les hommes, alors que la croyance, domaine de l’opinion, où n’est
possible aucune certitude, ne peut que susciter toutes les dérives superstitieuses,
les <sectes>, le fanatisme, l’intolérance et ses conséquences meurtrières’21
Comme je l’ai mentionné plus haut, Voltaire discrédite les thèses fondées sur des ‘a
priori’, en particulier celles de Leibniz. En effet, Leibniz, appelé aussi ‘l’avocat de
Dieu’ introduit en 1710 ses Essais de Théodicée où il explique un problème
métaphysique se résumant ainsi : ‘Comment justifier la présence du mal physique,
moral alors qu’existe Dieu’. Afin de soutenir sa théorie, Leibniz se base sur des ‘a
priori’.
‘…à l’égard de Dieu, l’on n’a point besoin de s’imaginer ou de vérifier des raisons
particulières qui l’aient pu porter à permettre le mal ; et l’on en doit inférer qu’il a
eu une infinité d’égard, dont le résultat lui a fait juger qu’il n’était pas à propos
d’empêcher certains maux. On doit même dire qu’il faut nécessairement qu’il y ait
eu de ces grandes, ou plutôt d’invincibles raisons, qui aient porté la divine sagesse à
la permission du mal, qui nous étonne, par cela même que cette permission est
arrivée ; car rien ne peut venir de Dieu, qui ne soit parfaitement conforme à la bonté,
à la justice et à la sainteté. Ainsi nous pouvons juger par l’événement ( ou a
posteriori) que cette permission était indispensable quoiqu’il ne nous soit pas
possible de le montrer (a priori) par le détail des raisons que Dieu peut avoir eues
pour cela ; comme il n’est pas nécessaire non plus que nous le montrions pour le
justifier.’ 22
Voltaire préconise des recherches fondées sur un système de recherches empiriques.
Leibniz avait développé une thèse basée sur des a priori afin de ‘justifier la présence
du mal physique, moral alors qu’existe Dieu’.23
Newton et Locke étaient pour Voltaire de grands exemples24 leur science étant
fondée à partir d’études empiriques.
19
Malkassian, Gérard: Candide: un débat philosophique. La critique de Leibniz par Voltaire. Ellipses
2005 p.17
20
Darmon, Delon : Histoire de la France littéraire classique. PUF. Paris. 2006 p399
21
Ibidem p 398.
22
Leibniz: Essais de théodicée. GF Flammarion. Paris. 1969 p.71
23
Bezbakh, Pierre. Histoire de la France des origines à 1914. Larousse 1977.p239
24
Malkassian, G. : Candide : un débat philosophique. Ellipses.Paris 2005 p44
14
Mémoire de doctorat, Patricia Llorens, sous la direction de Dr. Sabine van Wesemael
26 Juin 2009 Université d’Amsterdam.
Dans son ‘tout est au mieux dans le meilleur des mondes’ Voltaire critique la théorie
de Leibniz à travers le personnage de Pangloss,. ‘Il [Voltaire] porte une attaque
centrale contre Leibniz dont le représentant caricaturé est Pangloss’25.
Voulant souligner l’inexactitude et l’inefficacité de la théorie de Leibniz, Voltaire
soutient un discours où il avance par A + B des évidences faussées comme nous
montre l’analyse ci-dessous où la finalité d’un nez est mise en évidence par
l’existence des lunettes.
‘Il est démontré, disait-il, que les choses ne peuvent être autrement: car tout étant fait pour
une fin, tout est nécessairement pour la meilleure fin,. Remarquez bien que les nez ont été
faits pour porter des lunettes ; aussi avons-nous des lunettes. Les jambes sont visiblement
instituées pour être chaussées, et nous avons des chausses. Les pierres on été formées pour
être taillées et pour en faire des châteaux […]Par conséquent, ceux qui ont avancé que tout
est bien ont dit une sottise : il fallait dire que tout est au mieux.’26
Plus loin à la page 29, Candide essayera d’appliquer la théorie du ‘tout est au mieux’
de Pangloss.
Candide s’étant sauver de chez les Bulgares se retrouve en Hollande où ‘tout le
monde était riche’, on ‘y était chrétien’. Candide entame un discours avec un orateur
aux pensées charitables. L’orateur lui posant la question ‘Que venez-vous faire ici ?
Y êtes-vous pour la bonne cause ?’Candide répond avec modestie :
‘Tout est enchaîné nécessairement, et arrangé pour le mieux. Il a fallu que je fusse chassé
d’auprès de mademoiselle Cunégonde, que j’aie passé par les baguettes, et il faut que je
demande mon pain, jusqu’à ce que je puisse en gagner ; tout cela ne pouvait être
autrement.’27
Rabroué et menacé par l’orateur puis par sa femme, Candide fait la rencontre d’un
homme nommé Jacques qui lui porte secours. Revenu de ses émotions, Candide
reprend de plus belle :
‘Maître Pangloss me l’avait bien dit que tout est au mieux dans ce monde, car je suis
infiniment pus touché de votre extrême générosité que de la dureté de ce monsieur à manteau
noir, et de madame son épouse.’
Jusqu’ici, la théorie de Pangloss pourrait être affirmée. Pourtant l’évolution des
péripéties de Candide nous prouve le contraire. S’en suit alors, tout un mécanisme
d’annulation de la théorie du ‘tout est au mieux’.
25
Ibidem p3
Voltaire: Candide, p20
27
Ibidem p.29
26
15
Mémoire de doctorat, Patricia Llorens, sous la direction de Dr. Sabine van Wesemael
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2.3.1.Mécanisme de validation :
Au 18e siècle, les philosophes des Lumières dénoncent les préjugés. Selon ces
philosophes seule la raison pourrait amener l’humanité à la sagesse, une distinction
est faite entre les ‘croyances’ et les ‘savoirs’. Les savoirs doivent reposer sur des
modèles mathématiques, sans cela l’homme ne peut que ‘dériver’ vers le fanatisme et
l’intolérance.
‘Le savoir, dont le modèle est mathématique ne souffre aucune contestation, et ne saurait
diviser les hommes, alors que la croyance, domaine de l’opinion, où n’est possible aucune
certitude, ne peut que susciter toutes les dérives superstitieuses, les <sectes>, le fanatisme,
l’intolérance et ses conséquences meurtrières’28
A plusieurs reprises, Voltaire met en avant les difficultés du philosophe Pangloss à
démontrer mathématiquement ses théories. Selon Voltaire, une théorie ne peut-être
confirmée que si celle-ci est démontrée. Le savoir repose sur un système
mathématique. Par mathématique, je veux dire que la théorie avancée doit être
exposée et expliquée par une démonstration juste (démonstration), qui confirmée
(confirmation) validera (validation) la théorie de base (théorie validée), voir schéma
ci-après. Ce système valide la théorie en ce sens qu’il expose les données
scientifiques basées sur des faits, point de départ de toutes recherches. Tout système
se doit d’être démontré (prélude d’une analyse scientifique), sans démonstration, le
système ne peut être validé, c’est ce que j’appellerai ici le ‘mécanisme’. Ce
mécanisme peut s’appliquer sur une théorie non-scientifique ou scientifique. C’est
l’absence de ‘mécanisme de validation’ chez certains scientifiques et philosophes
(mécanisme; -théorie-exposition du système-validation de la théorie-) que
Voltaire cherche à rendre visible avec Candide.
Schématisation du ‘mécanisme de validation’
Théorie
théorie
validée
Exposition du
système
Validation
Démonstration
confirmation
28
Darmon. Delon Histoire de la France littéraire Tome 2.PUF Paris. P398
16
Mémoire de doctorat, Patricia Llorens, sous la direction de Dr. Sabine van Wesemael
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Voyons ici quelques exemples :
Après avoir essuyé une tempête, échappé à un tremblement de terre, été jeté en
prison et perdu son cher maître Pangloss, Candide rejette en bloc la théorie de
Pangloss. Martyrisé, Candide s’écrit :
‘Si c’est ici le meilleur des mondes possibles, que sont donc les autres ? Passe encore si je
n’étais que fessé, je l’ai été chez les Bulgares ; mais, ô mon cher Pangloss ! le plus grand des
philosophes, faut-il vous avoir vu pendre, sans que je sache pourquoi ! Ô mon cher
anabaptiste ! le meilleur des homme, faut-il que vous ayez été noyé dans le port ! ô
mademoiselle Cunégonde ! la perle des filles, faut-il qu’on vous ait fendu le ventre !’ 29
A partir de ce moment là, Candide commence à douter de la justesse des théories de
Pangloss.
D’autres mésaventures surviendront où Candide sera mis à mal. A mi-chemin du
conte, Candide rencontre un peuple particulier dans ses mœurs et ses coutumes.
L’Eldorado est le paradis terrestre où les hommes travaillent pour leurs plaisirs et où
les hommes ne se font pas la guerre. La rencontre avec ce pays nous dévoile plus
amplement la réflexion de Candide. C’est à partir de ce passage que Candide avoue
toujours avoir mis en doute les paroles de Pangloss.
‘C’est probablement le pays où tout va bien : car il faut absolument qu’il y ait un de cette
espèce. Et, quoi qu’en dît maître Pangloss, je me suis souvent aperçu que tout allait mal en
Westphalie.’30
A la fin du chapitre dix-neuf, Candide, à la recherche d’un compagnon de voyage
(qui s’avèrera être Martin) écoute des malheureux raconter leurs mésaventures. Les
ayant tous écoutés, il conclu par :
‘ce Pangloss, disait-il, serait bien embarrassé à démontrer son système’.31
Le système de Pangloss n’a pas été démontré ou prouvé. Tout n’est pas au mieux
dans le meilleur de mondes. La démonstration n’étant pas possible, la validation ne
peut se faire, la théorie est de ce fait annulée.
Au dernier chapitre Voltaire en finit avec la théorie de l’optimisme. Pangloss avait
soutenu cette théorie au long de ses aventures et malheurs. Pourtant c’est vers la
dernière page que Pangloss reniera en bloc sa croyance envers cette même théorie.
Lors d’un discours entre Martin, Candide et Pangloss, ce dernier renie avoir cru en
l’optimisme.
‘Pangloss avouait qu’il avait toujours terriblement souffert ; mais ayant soutenu une fois que
tout allait à merveille, il le soutenait toujours, et n’en croyait rien’32
29
Ibidem p.41
Ibidem p.86
31
Ibidem.p P101
32
Ibidem.p P 159
30
17
Mémoire de doctorat, Patricia Llorens, sous la direction de Dr. Sabine van Wesemael
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N’est-ce pas là une marque d’imposture ? Une fois de plus, la théorie du ‘Tout est au
mieux’ est mise en doute.
L’annulation de la théorie du ‘tout est au mieux’ se schématise ainsi :
Schématisation du ‘mécanisme de validation’ de Pangloss-Leibniz :
Théorie ‘du tout est au mieux’
Justification de la présence du Mal Physique moral alors que Dieu existe
Exposition du
Système de Pangloss-de l’optimisme
de Leibniz
Non-validation
Démonstration
(impossible)
Non-confirmation
Ne pouvant démontrer son mécanisme, la théorie de Pangloss, et par ce biais celle de
Leibniz, ne peut être validée, la théorie de celui-ci ne peut être perçue comme un
savoir et devient, de ce fait une opinion, ou ‘une foi’ (voir explication ci-dessous)
selon que cette croyance est subjectivement et/ou objectivement insuffisante.
Kant, philosophe allemand du 18e siècle, exposera dans ‘Critique de la raison pure’,
1787 Méthode, II, 3 sa théorie qui revient à dire que toute croyance devient science
lorsque celle-ci est ‘subjectivement et objectivement suffisante’. Toute croyance
devient foi lorsque cette première est ‘subjectivement suffisante et objectivement
insuffisante’.
« L’opinion est une croyance qui a conscience d’être insuffisante aussi
bien subjectivement qu’objectivement. Si la croyance n’est que
subjectivement suffisante, et si elle est en même temps tenue pour
objectivement insuffisante, elle s’appelle foi. Enfin la croyance suffisante
aussi bien subjectivement qu’objectivement s’appelle science ; la
suffisance subjective s’appelle conviction (pour moi-même) et la
suffisance objective certitude (pour tout le monde) »33
En reprenant ce modèle et en l’appliquant à la théorie de Leibniz, nous pouvons dire
que l’ ‘opinion’ de Leibniz ne pouvant être objectivement suffisante, car basée sur
des ‘a priori’ et subjectivement insuffisante, cette théorie ne peut être qu’une
croyance. Même si la théorie en question est subjectivement suffisante et
objectivement insuffisante, celle-ci ne pourra être acceptée comme une science et
33
op citaat. Histoire de la France littéraire tome 2. p404
18
Mémoire de doctorat, Patricia Llorens, sous la direction de Dr. Sabine van Wesemael
26 Juin 2009 Université d’Amsterdam.
restera dans le paradigme de la foi, croyance où la suffisance subjective s’appelle
conviction.
2.4. Fonction des guerres et tueries dans l’œuvre de Voltaire
Revenons maintenant à la question principale énoncée au paragraphe 2.
Quelle fonction particulière a la thématique de la guerre dans Candide œuvre de
Voltaire, vu que la guerre et les conflits sont les thèmes récurrents dans ce conte ?
En ne se basant juste que sur les démonstrations fantasmagoriques sur l’ironie,
Voltaire ne pourrait amener aussi loin sa propre démonstration. Pour cela, Voltaire a
besoin d’un élément plus fort que l’ironie et plus fort qu’une simple critique. Il lui
faut donc un ‘argument’ de taille. Il faut sortir du registre du conte afin de donner
plus de poids à sa critique. Le conte est comme la fable, un moyen de mettre en
évidence, avec ironie ou jeu, les imperfections d’une société. Nous verrons que c’est
en insistant sur l’effet du réel dans les passages sur les guerres, que Voltaire anéantit
la théorie de Leibniz. La réalité valide le ‘mécanisme’ de Voltaire.
‘
2.4.1. Dénonciations des tueries (guerres, massacres…)
Du début jusqu’à la fin du conte ce n’est que guerres, combats, tueries et
massacres. Au chapitre troisième Candide fuit la guerre entre les Abares
et les Bulgares, ‘Enfin tandis que les deux rois faisaient chanter des Te
Deum chacun dans son camp, il prit le parti d’aller raisonner ailleurs des
effets et des causes’. Le chapitre suivant, Candide, après avoir fuit se
retrouve nez à nez avec Pangloss ravagé par la vérole. Pangloss lui décrit
les scènes de massacres au château de Thunder-Ten-Tronck et le mal
qu’encouru Cunégonde :
‘après avoir été violée autant qu’on peut l’être ; ils ont cassé la tête à monsieur
le baron, qui voulait la défendre ; madame la baronne a été coupée en
morceaux ; mon propre pupille, traité précisément comme sa sœur ; et quand au
château, il n’est pas resté pierre sur pierre, pas une grange, pas un mouton, pas
un canard, pas un arbre ; mais nous avons été bien vengés, car les Abares en
ont fait autant dans une baronnie voisine qui appartenait à un seigneur bulgare.’
Le ton de cette description est léger, Cunégonde est ‘violée autant qu’on peut l’être’,
la baronne est ‘coupée en morceaux’. La légèreté avec laquelle le malheur de ces
deux femme est raconté est encore accru par ce ‘mais nous avons été bien vengés, car
les Abares en ont fait autant’.
Les malheurs sont partout présents dans chaque chapitre, sauf dans celui
correspondant à la visite de Candide en El Dorado. Ce n’est que scènes
affligeantes mais aussi comiques.
Tout au long du conte, la ‘théorie’ du ‘meilleur des mondes’ est attaquée
par Voltaire qui dénonce les conflits et les guerres.
19
Mémoire de doctorat, Patricia Llorens, sous la direction de Dr. Sabine van Wesemael
26 Juin 2009 Université d’Amsterdam.
2.4.2. Validation de la théorie de Voltaire.
Voyons maintenant quelques passages illustrant la tentative d’annulation
engagée par Voltaire. Prenons comme exemples le passage où Candide et
Martin débattent de la finalité du monde :
‘-Croyez-vous, dit Candide, que les hommes se soient toujours mutuellement
massacrés comme ils font aujourd’hui ? qu’ils aient toujours été menteurs,
fourbes, perfides, ingrats, brigands, faibles, volages, lâches, envieux,
gourmands, ivrognes, avares, ambitieux sanguinaires, calomniateurs,
débauchés, fanatiques, hypocrites et sots ?
-Croyez-vous, dit Martin, que les éperviers aient toujours mangé des pigeons quand ils
en ont trouvés ? – Oui, sans doute, dit candide. – Eh bien ! dit Martin, si les éperviers
ont toujours eu le même caractère, pourquoi voulez-vous que les hommes aient changé
le leur ?’34
Plus loin un autre exemple :
‘- Eh bien ! mon cher Pangloss, lui dit Candide, quand vous avez été pendu,
disséqué roué de coups, et que vous avez ramé aux galères, avez-vous toujours
pensé que tout allait le mieux du monde ?
- Je suis toujours de mon premier sentiment, répondit Pangloss ; car enfin je
suis philosophe : il ne me convient pas de me dédire, Leibniz ne pouvant pas
avoir tort, et l’harmonie préétablie étant d’ailleurs la plus belle chose du
monde, aussi bien que le plein et la matière subtile’.35
Voltaire met ici en contraste les malheurs survenus à Pangloss et
l’obstination de celui-ci à persévérer dans sa philosophie. Il est pour le
lecteur impossible alors de soutenir la théorie de Leibniz. Comment peut
on être optimiste après avoir vécu tant de malheurs. Le système du
philosophe Pangloss est démantelé.
En vue d’anéantir la théorie de l’optimisme, Voltaire introduit son
propre mécanisme. Comme nous l’avons souligné dans les paragraphes
ci-dessous, Voltaire emploie la thématique de la guerre et des massacres
comme démonstration de sa théorie.
34
35
Ibidem p107-108
Ibidem p154
20
Mémoire de doctorat, Patricia Llorens, sous la direction de Dr. Sabine van Wesemael
26 Juin 2009 Université d’Amsterdam.
Le mécanisme/système de Voltaire peut être ainsi schématisé :
Mécanisme de validation de Voltaire
Théorie (contre l’optimisme)
Théorie
validée
Exposition du système
de Voltaire
Démonstration par le biais de
Validation
confirmation
la thématique de la guerre
Dans Candide, la thématique de la guerre et des cruautés a la fonction de
validation de la théorie de Voltaire.
Les scènes de violences se suivent tout au long du conte. Ici il n’est plus
question d’ironie.
La destruction du château de Thunder-ten-tronckh par exemple est
entière :
‘il n’est pas resté pierre sur pierre, pas une grange, pas un mouton, pas un
canard, pas un arbre(…)’36
En entendant le discours de Pangloss, Candide est anéanti. Plus loin un
autre personnage ‘la vieille’ racontant sa propre histoire dira :
‘Maroc nageait dans le sang quand nous arrivâmes. Cinquante fils de
l’empereur Mulei-Ismael avaient chacun leur parti : ce qui produisait en effet
cinquante guerres civiles, de noirs contre noirs, de noirs contre basanés, de
basanés contre basanés, de mulâtres contre mulâtres : c’était un carnage
continuel dans toute l’étendue de l’empire.’ 37
Cette description a quelque chose d’apocalyptique. Plus loin la vielle femme
continue sa narration.
Et à la même page :
‘Enfin je vis toutes nos Italiennes et ma mère déchirées, coupées, massacrées par les
monstres qui se les disputaient. Les captifs, mes compagnons, ceux qui les avaient pris,
soldat, matelots, noirs, basanés, blancs, mulâtres, et enfin mon capitaine, tout fut tué, et
je demeurai mourante sur un tas de morts.’
36
37
Ibidem p32
Ibidem p57-58
21
Mémoire de doctorat, Patricia Llorens, sous la direction de Dr. Sabine van Wesemael
26 Juin 2009 Université d’Amsterdam.
Ce ne sont que des exemples successifs de tueries, de misères, de déshonneurs. Les
hommes se déchaînent les uns sur les autres. Voltaire dépeint la noirceur des êtres
humains, leur coté bestial, diabolique et malsain.
2.4.3. Là où l’ironie fait place au réalisme :
Je voudrais relever maintenant la particularité de certains passages se rapportant aux
guerres et massacres. Parfois, certaines descriptions sont plus réalistes que d’autres.
Les descriptions deviennent agressives et non affabulatrices. L’ironie fait place au
réalisme pictural. Même s’il est question d’une certaine ironie de fond, le passage cidessous contraste avec par exemple la description des armées abares ou bulgares.
Description réaliste
Description des batailles entre abares et
bulgares
‘Ici les vieillards criblés de coups
‘Rien n’est si beau, si leste, si brillant, si
regardaient mourir leurs femmes
bien ordonné que les deux armées. Les
trompettes, les fifres, les hautbois, les
égorgées, qui tenaient leurs enfants à
leurs mamelles sanglantes ; là des filles, tambours, les canons, formaient une
éventrées après avoir assouvi les besoins harmonie telle qu’il n’y en eut jamais en
naturels de quelques héros, rendaient les enfer. Les cannons renversèrent d’abord à
peu près six mille hommes de chaque
derniers soupirs ; d’autres, à demi
côté ; ensuite la mousqueterie ôta du
brûlées, criaient qu’on achevât de leur
donner la mort. Des cervelles étaient
meilleur des mondes environ neuf à dix
répandues sur la terre à côté de bras et de mille coquins qui en infectaient la
surface. La baïonnette fut aussi raison
jambes coupés.’38
suffisant de la mort de quelques milliers
d’hommes. Le tout pouvait bien se
monter à une trentaine de mille âmes.
Candide, qui tremblait comme un
philosophe, se cacha du mieux qu’il put
pendant cette boucherie héroïque.’39
Nous pouvons remarquer plusieurs points accentuant le tragique de la description
réaliste :
• La désolation des regards portés sur les femmes mourantes ; les vieillards
regardant leurs femmes.
• Les relations filiales accroissant la notion de malheur ; vieillards-femmes,
femmes-enfants.
• La violence des termes employés ; criblés de coups, égorgés, mamelles
sanglantes, filles éventrées, soupirs, demi brûlées, criaient, achevât.
• L’étendue du carnage ; ici, là, répandus.
38
39
Ibidem p28
Ibidem p.27
22
Mémoire de doctorat, Patricia Llorens, sous la direction de Dr. Sabine van Wesemael
26 Juin 2009 Université d’Amsterdam.
Les nombres évasifs des victimes, comme s’il était impossible de définir ou
compter les blessés ou morts ; les derniers, d’autres, des cervelles, de bras, de
jambes.
Ce passage-ci sort d’un autre registre que celui des descriptions à caractère
burlesque. La description des batailles entre les armées abares et bulgares est
aménagée autrement. Ici divers points peuvent être soulignés.
• Le lyrisme et l’emphase ; rien n’est plus bien, si leste, si brillant, si bien
ordonné.
• La musicalité du tout ; armées bien ordonnées, les trompettes, les fifres, les
hautbois, les tambours, l’harmonie.
• Le gargantuesque des chiffres ; six mille hommes, neuf à dix mille coquins,
quelques milliers d’hommes, une trentaine de mille âmes.
• Le ton ironique du passage ; une harmonie telle qu’il n’y en eut jamais en
enfer, les cannons ôtant les coquins du meilleur des mondes, la baïonnette fut
aussi raison suffisante de la mort, boucherie héroïque.
Tous ces termes font qu’il est impossible au lecteur de prendre au sérieux la scène
décrite. Le contraste entre ces deux descriptions est grand. D’un côté une peinture
réaliste des champs de batailles avec ces corps éventrés et à demi brûlés, de l’autre
un hymne aux grandes armées abares et bulgares. Ce même réalisme se retrouve
aussi dans la description du tremblement de terre de Lisbonne :
•
‘la mère s’élève en bouillonnant dans le port, et brise les vaisseaux qui sont à l’ancre. Des
tourbillons de flammes et de cendres couvrent les rues et les places publiques ; les maisons
s’écroulent, les toits sont renversés sur les fondements, et les fondements se dispersent ;
trente mille habitants de tout âge et de tout sexe sont écrasés sous des ruines’40
En 1755 Lisbonne fut ravagée par un raz de marée et un tremblement de terre où
périrent près de 30 000 victimes. Alarmé par ce désastre, Voltaire écrira son ‘Poème
sur le désastre de Lisbonne’ la même année. Dans Candide, Voltaire dépeint à sa
façon ce malheur. Ici le chiffre de ‘trente mille habitants’ n’a rien d’utopique ou de
gargantuesque, l’ironie est absente du passage, la description de cette ville détruite
presque entièrement, repousse la fiction.
Comparons maintenant ce réalisme à celui employé lors d’une narration non
fictionnelle. Prenons l’exemple de Barbusse dans Le Feu. Paru en 1916 et écrit
d’abord en 93 épisodes, ce roman retrace avec minutie les horreurs des tranchées de
la première guerre mondiale. Barbusse retrace avec précisions les massacres de la
guerre de 14-18 comme il les avait vécus. Rédigé lors de ses séjours prolongés dans
les hôpitaux d’arrière poste, Barbusse a su donner des couleurs et des résonances à
cette guerre.
‘On a passé la nuit à cavaler au galop dans la tranchée, d’un sens à l’autre, pour éviter les
rafales. Le petit Godefroy, tu le connais ? le milieu du corps emporté ; il s’est vidé de sang
sur place, en un instant comme un baquet qu’on renverse : petit comme il était, c’était
extraordinaire tout le sang qu’il avait ; il a fait un ruisseau d’au moins cinquante mètres dans
40
Candide p.37
23
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la tranchée. Gougnard a eu les jambes hachées par des éclats. On l’a ramassé pas tout à fait
mort…’41
Barbusse peint les tranchées avec détails. Ici, il n’est pas question de fiction. Que
dire alors des descriptions de Voltaire incérées dans un conte ? Dans Candide, les
passages réalistes choquent, ils dérangent par cette touche réaliste. Le conte se mue
en témoignage. Ces descriptions déplacent le conte vers le registre du roman vécu.
Un autre passage pourrait aussi être souligné par son réalisme. En route vers
Bordeaux, Candide s’est embarqué avec Martin sur un bateau en mer, les deux
hommes assistent au combat de deux vaisseaux :
‘Enfin l’un des deux vaisseaux français lâcha à l’autre une bordée si bas et si juste,
qu’il le coula à fond. Candide et Martin aperçurent distinctement une centaine
d’hommes sur le tillac du vaisseau qui s’enfonçait : ils levaient tous les mains au ciel,
et jetaient des clameurs effroyable : en un moment tout fut englouti.’42
Là encore l’ironie est absente, la narration est simple, le décor inexistant, les phrases
brèves et puis ‘en un moment tout fut englouti’
2.5. Conclusion
Fin 17e début 18e siècle Leibniz introduit la théorie de l’optimisme illustrée par le
‘tout est au mieux dans le meilleur des mondes’. En 1710 Leibniz publie ‘Théodicée’
œuvre où il élabore sa théorie en se basant sur des ‘a priori’. Voltaire s’insurge
contre cette théorie pour deux raisons, elle serait inexact car basée sur des
raisonnements faussés et elle idéaliserait la conception du monde.
Voltaire, philosophe des Lumières préconise, non seulement les théories fondées sur
un système de recherches empiriques (Newton, Locke) mais de plus il soulève le
problème des malheurs de ce bas monde.
Nous avons vu que l’ironie n’est pas le seul outil utilisé par Voltaire afin de réfuter
la théorie de Leibniz. L’énumération des nombreuses guerres, tueries, batailles et
catastrophes ainsi que la touche de réalisme sont des armes cinglantes. Voltaire
s’applique à démonter la non validité du ‘tout est au mieux dans le meilleur des
mondes’ par la validation de sa propre théorie, elle basée sur la démonstration
confirmée introduite par la thématique de la guerre.
En conclusion, nous pouvons dire que la thématique de la guerre dans l’œuvre de
Voltaire valide sa propre théorie. C’est en introduisant le réalisme des guerres et
malheurs que Voltaire pousse sa démonstration plus loin.
41
42
Barbusse. Le Feu. Edition Gallimard. 2007 (1er édition 1916)
Candide p.104
24
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3. Camus
Voyons à présent l’œuvre de Camus, Le Premier Homme.
La question principale portant sur l’analyse de Camus est la suivante,
Quelle fonction particulière a la thématique de la guerre dans Le Premier
Homme œuvre de Camus, vu que la guerre et les conflits sont des thèmes
ponctuels dans ce roman ?
3.1. Courte historique
Né le 7 novembre 1913 à Mondovi un village d’Algérie, Camus vivra toute son
enfance dans la misère. Il est élevé par sa grand-mère, une femme stricte et
autoritaire qui règne sur sa famille ; sa fille (Mm. Camus) presque sourde, son fils
(esprit simple) et ses deux petits fils. La mort du père de Camus, un an après la
naissance de son second fils Albert, obligera la mère de celui-ci à aller s’installer
chez sa propre mère à Belcourt, un quartier pauvre d’Algérie.
La sensibilité de Camus pour le monde qui l’entoure vient probablement du fait qu’il
a grandi dans un milieu pauvre, c’est ce milieu là que décrit Camus dans Le Premier
Homme. Camus développera une incommensurable tendresse pour les pauvres. Lui
seul voit la valeur humaine dans ceux que personne ne voit, en particulier la cécité
des intellectuels français qui ‘ne tournent leur fauteuil que dans le sens de
l’Histoire’43
Très vite, Albert Camus sera soutenu dans ses études par son instituteur Louis
Germain. Camus s’engagera dès l’âge de 20 ans dans un mouvement antifasciste
fondé par Henri Barbusse et Romain Rolland appelé ‘Amsterdam-Pleyel’. Plus tard
Camus créera le ‘Théâtre du travail’ et sera journaliste à Alger Républicain, vers
1943 il entrera dans la résistance et sera membre du réseau appelé ‘Combat’.
Après la deuxième guerre mondiale Sartre et Camus s’affronteront, Camus critique
l’engagement des intellectuels qui aboutit à une ‘révolution du type communiste’44.
A partir de cette année, 1952, Camus se retrouvera seul et incompris face aux
intellectuels français. En 1957, Camus recevra le Prix Nobel de littérature, trois ans
plus tard il décédera lors d’un accident de la route le 4 janvier 1960.
3.2. Pluriphonisme45 dans l’œuvre de Camus, introduction :
J’appellerai ‘pluriphonisme’ ici, les différentes voies de différents protagonistes
s’exprimant sur un même thème/sujet comme par exemple celui de la guerre. Chez
Camus le fait que plusieurs voies se font entendre dans ses œuvres passées et à
travers les différents protagonistes dans le Le Premier Homme. Ce pluriphonisme est
à ne pas confondre avec le polyphonisme de l’analyse de Bakhtine46 portant sur
l’œuvre de Dostoïevski. Bakhtine voit dans ‘Crime et châtiment’ une variété de voies
à l’intérieur d’un seul personnage (Raskolnikov) s’autoanalysant en fonction de
l’idée qu’il se fait des autres le jugeant.
43
Critique de Camus sur Sartre lors d’une querelle les opposant.
Alluin, Bernard :Ittinéraire Littéraire XXe siècle tome I.Hatire Paris. 1991.p401.
45
Pluriphonisme : ici les différentes voies de l’auteur,
46
Bakhtine, M : La Poétique de Dostoïesvski. Editions du Seuil. Chapitre I. 1970
44
25
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La particularité d’Albert Camus est que sa vision du monde oscille entre deux pôles
parfois diamétralement opposés. Dans les trois chapitres suivants nous verrons que la
difficulté d’une analyse des œuvres de Camus est due au fait que Camus a d’une part
une double représentation du monde, ici l’Europe, et d’autre part qu’il s’exprime à
travers plusieurs personnages.
3.2.1. Camus et sa vision du monde :
Si j’osais définir Albert Camus à près d’un demi siècle de sa disparition, je serais
tentée de dire qu’il est un homme aux tensions diverses. Enfant pauvre et anonyme il
est devenu un homme et écrivain mondialement connu. Fils de parents analphabètes,
il a remporté le prix Nobel de Littérature. Aimant intensément son pays natal ainsi
que ses habitants, il a du vivre le reste de sa vie en France et voir son Algérie se
déchirer. Homme ‘n’adhérant’ pas à la religion Catholique il ne la rejette pas non
plus comme nous le montre la citation ci-dessous :
‘Ne me sentant en possession d’aucune vérité absolue et d’aucun message, je ne partirai
jamais du principe que la vérité chrétienne est illusoire, mais seulement de ce fait que je n’ai
pu y entrer’.47
Ces tensions se sont souvent traduites par des dilemmes donnant lieu, dans ses
œuvres, à une pluralité de voies à l’intérieur d’un même thème.
Ces pluralité de voies engendrent chez Camus un fort mouvement de balancement,
par exemple, entre son ouverture sur une Europe unifiée et sa critique de la division
des pensées européennes. Ce balancement se manifeste dans ses écrits. D’un coté
Camus souligne la division européenne dans ses œuvres de fiction et de l’autre, dans
ses écrits politiques, il appelle au rassemblement comme en témoignent ses œuvres à
caractère politique dans Alger Républicain, Soir Républicain et Combat.
Chez Camus :
L’Europe de division
• Fiction camusienne
L’Europe d’unité
• Voix politique :
- Alger républicain
- Soir républicain
- Combat
Comme l’avance John Oswald dans son article paru dans Albert Camus et les
écritures du XXe siècle, c’est dans Lettres à un ami allemand que Camus embrasse
l’Europe comme étant une et unique, une par ses origines et unique par ses beautés.
En parlant de l’Europe, Camus écrit ‘Mon souvenir [de cette Europe] a fondu ces
images superposées pour en faire un seul visage qui est celui de ma plus grande
patrie.’48
47
Op. citat.Vanier Gilles : Pour comprendre l’existentialisme littérature et philosophie. L’Harmattan.
2001p.154-155.
48
Op.citat Broziak article de John Oswald.: Albert Camus et les écritures du XXe siècle. Artoix
Presse Université.2003p.195
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‘L’Europe n’est plus coupée en deux ; désormais, on voit bien qu’il y a division, mais cette
fois au sein même de l’œuvre camusienne- la voix européenne, politique, de guerre contre
une Europe fictionnelle de crise et de division.’49
John Oswald souligne plus loin que dans L’Homme révolté l’Europe est vue comme
une terre engendrant la révolte:
‘L’Europe constitue la terre où naît la Révolte, ou celle-ci fleurit mais aux dépens de
l’humanité qu’elle vise à l’origine à défendre. A mesure que la rébellion métaphysique
s’approfondit, le meurtre se trouve légitimé et le totalitarisme se développe, accompagné de
bagnes et de tortures’50
Si nous revenons maintenant à l’œuvre choisie ici pour notre analyse, nous
découvrons que cette pluralité et ce balancement au sein d’un même thème apparaît
aussi sous certaines formes à caractère moins politique il est vrai.
En lisant les commentaires de Oswald sur La Mort heureuse, nous comprenons que
pour Camus il existe une ‘tension’ au sein de l’Europe entre le nord et le sud’51. Cette
tension se retrouve aussi dans Le Premier Homme avec la venue de Jacques Cormery
à Saint Brieuc et son retour en Algérie.
Jacques Cormery regarde le paysage du nord de la France à travers la fenêtre de son
train. La description de la nature est sordide, brumeuse et sombre. Ce pays qui est le
nord de la France juste au dessus de Paris, n’a rien d’amical ou de chaleureux, c’est
un pays où le soleil ne chauffe pas, où l’espace est restreint où la nature a peu de
place et où les bourgades ont recouvert le pays. Le voyageur voit passer ‘les terres
cultivées’ harassées par une agriculture intensive où peu de place est laissé à la
nature :
‘Quarante ans plus tard, un homme, dans le couloir du train de Saint-Brieuc, regardait d’un
air désapprobateur défiler, sous le pâle soleil d’un après-midi de printemps, ce pays étroit et
plat couvert de villages et de maisons laides, qui s’étend de Paris à la Manche. Les près et les
champs d’une terre cultivée depuis des siècles jusqu’au dernier mètre carré se succédaient
devant lui.’52
Le ton mate de la description continue une fois le protagoniste arrivé dans le village
de St Brieuc, ici aussi la description est sombre, morose :‘Il parcourait maintenant les
rues étroites et tristes, bordées de maisons banales aux vilaines tuiles rouges’53
Une impression de mal être se dégage de ces descriptions ;
• pâle soleil.
• pays étroit et plat.
• maisons laides.
• terre cultivée depuis des siècles.
• dernier mètre carré.
49
Ibidem p.195
Ibidem p.196
51
Ibidem p 194
52
Camus. A, Le Premier Homme. p.29
53
Ibidem. p.31
50
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• Maisons banales.
• Vilaines tuiles.
Puis, deux chapitres plus loin, Jacques Cormery revient à sa terre natale et déjà, sur
le bateau qui le ramène en Algérie, la nature se fait plus clémente, plus chaleureuse.
Les adjectifs, les substantifs et les verbes sont plus accueillants et chaleureux;
• houle légère
• chaleur de juillet
• rebords de cuivre
• reflets du soleil.
‘Une houle légère et courte faisait rouler le navire dans la chaleur de juillet. Jacques
Cormery, étendu à demi nu dans sa cabine, regardait danser sur les rebords de cuivre du
hublot les reflets du soleil émietté sur la mer.’
Le ton de ce passage-ci contraste avec le passage cité plus haut, on passe d’un
paysage austère à un paysage avenant. La tension entre le nord et le sud se traduit
aussi chez Camus par ses descriptions de paysages.
3.2.2. Repercussions , Edward Said:
La double représentation du monde que Camus nous révèle dans ses écrits mène
parfois le lecteur à une analyse plus critique, pour ne pas dire négative, de ses
oeuvres.
Critiqué par de nombreux intellectuels français de son vivant, Camus le fut aussi près
de trente années après sa mort par l’écrivain Edward W. Saïd.
E.W.Saïd a accusé Camus d’un regard pro- Algérie française et donc proimpérialisme. Saïd a-t-il tenu compte du combat de Camus pour la paix et l’entente
entre les deux peuples ? Tient-il compte de la dénonciation des atrocités dans ses
articles publiés dans Combat au lendemain des événements du 8 mai 1945 ? Camus
n’a-t-il pas dénoncé les pratiques de la torture ?
Camus a été un écrivain anticolonialiste, Saïd l’a accusé de porter un regard
d’impérialiste sur le peuple arabe à travers ses personnages. Un exemple pouvant
illustrer la critique de Saïd est l’attitude de Meursault, dans L’Etranger, quant à son
regard porté sur les Arabes. Bien que nous ne sachions rien de ses pensées,
Meursault nous apparaît comme un personnage indifférent vis à vis de sa victime. Ne
l’a-t-il pas criblé de balles ? Pourtant cette analyse ne correspond pas à la vision que
Camus a des Arabes d’Algérie. Le Premier Homme en est la preuve.
Le Premier Homme fait effet boomerang. Ecrit avant la critique de Saïd, mais publié
longtemps après la parution de Cultuur and impérialism (1993) la critique de Saïd
envers Camus est comme anéantie. Le Premier Homme est la contradiction
‘anachronique’ de cette critique. Plusieurs passages dans le roman démontent la
bonté et l’ouverture de Camus envers les Arabes. Par exemple avec le passage de
l’attentat (p86/87) où J.C protège un jeune Arabe après un attentat, le faisant rentrer
chez un ami à lui:
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« Il n’a rien fait, dit Jacques. Fais-le entrer chez toi. Puis s’adressant à son ami Jean ‘Il n’a
rien fait, dit Jacques. – Il faut tous les tuer – C’est ce qu’on dit dans la colère. Réfléchis »54
Un autre exemple est la description des femmes arabes (p.302), descriptions
respectueuses de leurs yeux ‘sensuels’ et ‘doux’ où le ‘doux’ apporte une note de
respect que seul ‘sensuels’ n’apporterait pas. Ce passage clarifie le trouble souvent
controversé entre les Arabes et les Pieds-noirs, cette fraternité bouleversée, cette
attirance incomprise d’un peuple envers un autre peuple. Camus exprime, une
entente vouée à la discorde : ‘ce peuple attirant et inquiétant proche et séparé…’ p.
302.
En parlant de la place faite à Camus dans l’analyse littéraire de Saïd, Bernard
Mouralis conclue la façon suivante:
‘elle correspond sans doute au refus d’admettre qu’un écrivain, issu de la population
européenne de l’Algérie coloniale, ait pu échapper à ses déterminations sociales et produire
un œuvre ‘universelle’. Mais la place de Camus dans la bibliothèque saïdienne tient peut-être
aussi à la relation entre écrivain de langue anglaise et écrivain de langue française’55
Dans Misère de la Kabylie, Camus dénonce la misère et les drames de la Kabylie. En
1930 il aura été le premier à écrire sur ce sujet, bien avant Sartre.56 .
Dans le chapitre qui suit, la compréhension du monde de Camus à travers ses œuvres
est rendu encore plus difficile. Outre le champs discursif différent d’une œuvre à
l’autre, nous verrons que Camus s’exprime à travers divers personnages donnant
ainsi à son œuvre des voies différentes.
3.2.3. L’écrivain et ses personnages, relation pluriphoniques
Dans son livre Albert Camus ou l’homme à la recherche d’une morale Bernard East
avance que Camus ne pouvait être identifié à travers un seul personnage. En se
basant entre autre sur L’Homme Révolté, East dit que pour Camus les divers
personnages sont différentes voies. L’auteur, maître de ses pensées, est amené à se
fondre dans chaque personnage rendant ainsi possible l’élaboration d’une pensée
complexe, témoin de la complexité de ‘l’agir humain’.
‘On aurait tord de vouloir identifier l’auteur par tel ou tel personnage précis de son œuvre
romanesque ou théâtrale. Il prend la voie de chacun pour s’exprimer, pour développer la
complexité de sa pensée et élaborer les potentialités qui existent au niveau de l’agir
humain.’57
Ceci souligne la richesse de l’auteur :‘ L’auteur est plus riche que chacun de ses
personnages, c’est pourquoi chacun représente une part de ce qu’il est..’58
54
Camus. A, Le premier homme. p.88
Mouralis, Bernard ‘Edward Said et Albert Camus : un malentendu’. Broziak. p.254
56
Marx-Scouras: ‘ On tue des instituteurs : Camus et les impératifs pédagogiques’. Brodziak p298
57
Ibidem p 26/27
58
Bernard East : Albert Camus ou l’Homme à la recherche d’une morale. Editions du Cerf.
Paris/Editions Bellarmin. Montréal.1984. p27
55
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Selon Camus, un écrivain se ‘trahit’ dans tous ses personnages :‘Sans doute, un
romancier se traduit et se trahit dans tous ses personnages en même temps : chacun
représente une de ses tendances ou de ses tentations.’59
En soulignant ce point Camus donne la clé pour une compréhension de son œuvre.
Outre la relation entre les réflexions des personnages et les idées de Camus, nous
devons aussi entrevoir la relation entre les œuvres de cet écrivain. Si les personnages
à l’intérieur des œuvres se ‘relient’ entre eux, la relation entre les œuvres ellesmêmes a été soulignée dans le chapitre précédant. Camus avait apparemment un plan
bien défini pour s’exprimer à travers ses œuvres, il voulait exprimer la négation en
articulant son projet en trois mouvements : la négation, le positif et l’amour.
‘J’avais un plan précis, quand j’ai commencé mon œuvre : je voulais d’abord exprimer la
négation. Sous trois formes. Romanesque : ce fut L’Etranger. Dramatique : Caligula Le
malentendu. Idéologique : le Mythe de Sisyphe. Je n’aurais pu en parler si je ne l’avais vécu,
je n’ai aucune imagination. Mais c’était pour moi, si vous voulez bien, le doute méthodique
de Descartes. Je savais que l’on peut vivre dans la négation et je l’annonçais dans la préface
du Mythe de Sisyphe, je prévoyais le positif sous les trois formes encore. Romanesque : La
Peste, Dramatique : L’état de siège et les Les justes. Idéologique : L’homme révolté.
J’entrevoyais déjà une troisième couche, autour du thème de l’amour. Ce sont les projets
que j’ai en train.’60
C’est à cette dernière partie qu’appartient Le Premier Homme que nous allons
analyser dans les paragraphes suivants.
Bernard East résume en une phrase le pluriphonisme des voies de Camus :
‘Chaque phrase, chaque énoncé et surtout chaque mot prononcé par l’un ou l’autre de ses
personnages, ne peuvent prendre leur sens que s’ils sont lus en ayant comme horizon
l’ensemble de son œuvre.’61
Ce pluriphonisme engendre un balancement des visions de Camus d’une œuvre à une
autre et d’un personnage à un autre.
3.3.
Le Premier Homme
Le roman de Camus a cette particularité que les deux autres œuvres étudiées dans ce
mémoire n’ont pas. En effet, Le Premier Homme est une œuvre publiée
posthumément. Pour cette raison, je me pencherai ici plus amplement sur la structure
de ce roman.
Le livre est la publication du manuscrit trouvé près de Camus lors de son tragique
accident avec Gallimard le 4 janvier 1960. Le roman a été publié en 1994 chez les
éditions Gallimard. Camus avait dédié ce manuscrit à : ‘A toi qui ne pourras jamais
59
Ibidem notes de texte p 27, Notes no 71 (de Essais critiques II, 1143) op.citat p27 East B.
op.citat East B p 26. Note no. 68, extrait de L’homme révolté II TC, 1610
61
East, Bernard : Albert Camus ou l’Homme à la recherche d’une morale. Editions du Cerf.
Paris/Editions Bellarmin. Montréal.1984. p26
60
30
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lire ce livre’, à supposer la mère de Camus parce que celle-ci n’avait jamais appris à
lire.
La composition du livre est a remarquer. Edité sans mise à jour de l’auteur, l’éditeur
et Catherine Camus (sa fille) ont du introduire divers passages et donner diverses
explications aux lecteurs afin de présenter une œuvre quasi complète.
Le livre se compose en premier lieu d’une note de l’éditeur où Catherine Camus
explique quels ajouts ou transformations le manuscrit a subis ; amélioration de la
ponctuation, explication de certains changements et ainsi de suite.
Le corps du texte est divisé en deux grandes parties, la première partie intitulée
Recherche du père composée de 7 chapitres et la deuxième partie composée
seulement de 2 chapitres. En annexes se trouvent 5 feuillets, qui à l’origine se
trouvaient répartis dans le manuscrit de Camus. S’en suit le ‘les Notes et Plans’ du
‘carnet’ intitulé ‘Le Premier Homme’. Viennent enfin deux lettres, l’une envoyée par
Camus à son instituteur Monsieur Germain le 19 novembre 1957 après l’obtention du
Prix Nobel de littérature ( instituteur, personnage important dans l’œuvre et dans la
vie de Camus) et l’autre écrite par ce même instituteur le 30 avril 1959 en
remerciement de l’envoie d’un livre portant sur Camus et dédicacé par son auteur.
3.3.1. Résumé :
Le roman Le Premier Homme retrace l’autobiographie du personnage principal
Jacques Cormery à la recherche de l’image de son père. Il existe un certain parallèle
entre le déroulement de la vie de Jacques Cormery et celle d’Albert Camus.
La première partie s’ouvre sur le 1er chapitre sans intitulé où l’écrivain relate la
venue de la famille Cormery à Solférino et la naissance quelque peu inattendue de
Jacques Cormery. Le second chapitre amène le personnage principal là où il
commencera la ‘recherche du père’ c’est à dire à St Brieux sur la tombe de son père
décédé le 11 octobre 1914 à la bataille de la Marne. C’est d’ici que part le récit de la
vie de Jacques Cormery de ses parents et ses aïeux. En alternance, J. Cormery relate
sa jeunesse, la recherche de l’identité de son père et l’histoire de sa famille. Certains
chapitres sont consacrés à sa mère vers la fin des années 50 et le retour en arrière
avec la guerre du Maroc, chapitre 6 la famille, la vie des membres de la famille,
l’école, et enfin le dernier chapitre (chapitre. 7) avec la colonisation de l’Algérie et la
figure du père.
Le chapitre 7 a cette particularité qu’il explique l’Algérie et sa colonisation. C’est à
travers cette narration que Camus expose sa vision de la nature de l’homme. Le
dernier chapitre de la première partie est un chapitre clé et charnière. Vient ensuite la
2e partie intitulée ‘Le fils ou le premier homme’ qui s’ouvre sur le chapitre ‘le lycée’
lui-même suivit de deux autres chapitres non numérotés : ‘le poulailler et
l’égorgement de la poule’ et ‘jeudis et vacances’. Le dernier chapitre (chap.2)
‘obscur à soi-même’ ne contient que 9 pages. C’est à l’intérieur de ce chapitre que
Camus décrit la situation de l’Algérie française, c’est aussi à la fin de ce même
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chapitre que Camus dévoile sa ‘troisième couche’ celle ‘autour du thème de
l’amour’62.
Le roman s’arrête à ce chapitre quoique dans le manuscrit initial il était mentionné
qu’un autre chapitre intitulé ‘l’adolescent’ devait lui succéder. Cette œuvre n’était
donc aucunement finie comme l’a annoncé Catherine Camus dans ‘Note de l’éditeur’
à la page 9.
3.4.
Première rencontre avec le livre. L’arrivée de la famille à Soférino,
‘La menace’.
L’entrée en matière se fait par la description d’un orage et des nuages au dessus des
voyageurs. La menace vient de haut et de loin, elle tourne, plane et s’effondre sur le
convoi.
Le cheminement de l’orage et de ses nuages est décrit comme la stratégie animalière
d’un fauve ou d’un rapace. Comme si le malheur attendait sa proie, sournoisement et
tapi dans un coin, pour se fondre sur elle.
Stratégie animalière- la proie :
‘Trois jours auparavant, ils s’étaient gonflés au-dessus de l’Atlantique, avaient attendu le vent
d’ouest, puis s’étaient ébranlés, lentement d’abord et de plus en plus vite, avaient survolé les
eaux phosphorescentes de l’automne, droit vers le continent (…) reformés en troupeaux sur
les hauts plateaux d’Algérie(..) essayaient de gagner la mer Tyrrhénienne pour s’y perdre’63
Les conditions atmosphériques sont personnifiées. Les éléments se ‘rejoignent’ et
s’allient afin de former un tout menaçant, la menace attend le moment propice pour
se jeter sur les voyageurs. Tout est prémédité, l’attente, la poursuite en crescendo,
lentement puis de plus en plus vite, puis s’alliant à d’autres bêtes, filant droit sur
leurs proies : ‘Au dessus de la carriole qui roulait sur une route caillouteuse, de gros
et épais nuages filaient vers l’est dans le crépuscule’64
Cette menace vient de loin ‘Après une course de milliers de kilomètres’, dans
l’espace mais aussi dans le temps ‘passant sur ce pays sans nom à peine plus vite que
ne l’avaient fait pendant des millénaires les empires et les peuples’65.
En une seule phrase, Camus retrace l’épopée d’empires disparus et de peuples
errants. Camus universalise la quête de l’homme, des peuples à la recherche d’une
terre promise ou d’une quelconque identité.
62
Tiré de la note 68 p26 de : Albert Camus, l’homme à la recherche d’une morale. Bellarmin.
Montréal.1984 :
‘…J’avais un plan précis, quand j’ai commencé mon œuvre : je voulais d’abord exprimer la négation. Sous trois formes.
Romanesque : ce fut L’étranger. Dramatique : Caligula, le malentendu. Idéologique : le Mythe de Sisyphe. Je n’aurais pu en
parler si je ne l’avais vécu, je n’ai aucune imagination. Mais c’était pour moi, si vous voulez bien, le doute méthodique de
Descartes. Je savais que l’on peut vivre dans la négation et je l’annonçais dans la préface du Mythe de Sisyphe, je prévoyais le
positif sous les trois formes encore. Romanesque : La peste. Dramatique : L’état de siége et les Les justes. Idéologique :
L’homme révolté. J’entrevoyais déjà une troisième couche, autour du thème de l’amour. Ce sont les projets que j’ai en train. HR
II TC, 1610’
63
Ibidem p13
Camus Le Premier Homme p13
65
Ibidem .p.13
64
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Mémoire de doctorat, Patricia Llorens, sous la direction de Dr. Sabine van Wesemael
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3.4.1. Mise en scène :
La mise en scène du premier chapitre nous fait penser à une mise en scène filmique
où la caméra visionne les tourments météorologiques qui se bousculent dans les airs,
puis se figent au dessus d’une carriole et zoome sur les voyageurs. Il y a d’abord un
recul vis à vis des personnages et de leur histoire. Le zoom se fait de haut en bas, de
l’extérieur vers l’intérieur. De l’immensité de l’universel (éléments, temps, espaces,
histoire universelle) vers le détail, les voyageurs. Les chevaux sont décrits puis les
passagers. Camus n’introduit pas les personnages par leurs noms respectifs mais par
leur qualité : Arabe, homme, femme (leur caractère universel ?). Camus souligne
ainsi l’anonymat des personnages, l’universalité de l’espace et du temps est ainsi
prolongée à travers les protagonistes. L’identité des personnages ne sera divulguée
qu’à la page 17, cinq pages après le début du roman. Cet anonymat a quelque chose
de messianique, de biblique. Nous pouvons aussi retrouver cette ‘démarche’ dans le
second chapitre. Le personnage principal J. C. n’est défini qu’à la cinquième page du
chapitre ‘Saint Brieuc’. La première rencontre entre le lecteur et le personnage se fait
dans l’anonymat. Le personnage principal est défini par ‘un homme’, pas de nom pas
d’indice, juste un homme qui pourrait en être tant. Revenons ici au premier chapitre,
la page 17 étant la catalyse de l’histoire (tout comme le chapitre 7). Le lecteur entre
enfin dans l’histoire des personnages avec la scène de l’accouchement dans la
maison du petit village de Solferino.
Dans le premier chapitre du livre plane un sentiment mythique, pour ne pas dire
biblique, une sensation des origines lointaines, un mélange entre le Déluge, l’arche
de Noé et la Nativité.
Les éléments sont prêts à s’abattre sur la carriole, l’arche de Noé (l’équipage
vulnérable), cette dernière composée d’un Arabe représentant peut être l’ancien
monde et l’Afrique, d’un homme représentant l’Europe et d’une femme, la promesse
d’un nouvel avenir avec la nativité, la naissance du petit Jacques Cormery.
Sarocchi66 souligne les signes mythiques et bibliques de ce premier chapitre :
« Ces nomades, dans leur carriole puis leur gîte de fortune, semblent des rescapés du déluge.
Le petit Jacques, tel un Moise, est comme sauvé des eaux (…) Aussi bien le thème christique,
insinué dans les initiales du héros [Jacques Cormery], peut se lire dans cette naissance
humble, ces apprêts rudimentaires. Certains traits- l’époux agenouillé, le messianique ‘il est
venu-, accusent l’analogies.(…) L’épisode perd tout caractère prosaïque, accidentel, pour
signifier une élection, une destinée hors série, celle d’un ‘premier homme’ 67»
Cette destinée, celle d’un ‘premier homme’, se rattache aussi bien à Jacques Cormery
qu’à Henry Cormery. Pour le fils, par sa destinée, pour le père, par sa vision du
monde.
D’autres éléments, relevés par Sarocchi, accentuent le coté mythique du premier
chapitre. En effet Sarocchi remarque le nom de la mère ‘Lucie’=lux = lumière68 :
66
Sarocchi. Le Dernier Camus ou Le Premier Homme. Nizet. Paris. 1995
Ibidem p31
68
Ibidem p 27
67
33
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‘La mère, enfin se prénomme Lucie, c’est-à-dire quand retenant la lumière-lux-dans son
étymon elle rappelle telle ou telle sylphide errant dans les friches de La Mort heureuse
(Lucide) et Lucienne l’épouse de Meursault’.
Il y a un enchevêtrement de personnages - figures emblématiques, entre le père
d’Albert Camus, Lucien Camus, et le personnage de la mère à travers Lucie Cormery
leur patronyme, Moise-Jacques Cormery - Jésus Christ mais aussi l’Arabe, l’homme
et les terres d’Europe et d’Afrique. De plus nous pouvons comparer l’unicité du
personnage principal avec l’unicité du Christ. Le titre de Le Premier Homme
pouvant s’appliquer au Christ dans ce sens que celui-ci a un père spirituel, tout
comme plus tard Jacques Cormery privé de figure paternelle, aura lui aussi un père
spirituel, son instituteur bienveillant.
3.4.2. Notions de fraternité et de mutisme dans l’œuvre
Plusieurs fois nous entrevoyons la fraternité entre Henri et l’Arabe de la calèche.
Cette fraternité est souvent visible à travers un partage entre les deux hommes de
nature d’origine si différente. Les hommes ne possédant que très peu, ou même rien
se ‘retrouvent’ dans leur humilité. Les échanges de paroles sont rares. Ce n’est pas le
langage qui les unis mais leur faculté à comprendre l’autre juste par quelques signes,
juste en observant . Un bel exemple est donné succédant à la scène de
l’accouchement. Lucie vient juste de mettre au monde son petit garçon. Le docteur
arrivant après l’effort et voulant ausculter la mère, fait sortir Henri Cormery. Ce
dernier va s’asseoir à côté de l’Arabe, la scène suivante s’en suit.
‘Sous la vigne, l’Arabe, toujours couvert de son sac attendait. Il regarda Cormery, qui ne lui
dit rien. « Tiens », dit l’Arabe, et il tendit un bout de son sac. Cormery s’abrita. Il sentait
l’épaule du vieil Arabe et l’odeur de fumée qui se dégageait de ses vêtements, et la pluie qui
tombait sur le sac au-dessous de leurs deux têtes. « C’est un garçon, dit-il sans regarder son
compagnon – Dieu soit loué, répondit l’Arabe. Tu es un chef »
Pas de dialogue intense, pas de grandes phrases, l’intensité de ce moment, de ce
partage du sac protégeant de la pluie, ces quelques mots échangés est la
concentration de deux mondes vivants l’un à côté de l’autre. Nous pourrions aussi
observer que le mutisme de certains personnages dans cette œuvre est caractéristique
de l’approche de Camus quant à la pureté de ceux-ci.
Tout d’abord l’Arabe qui ne parle que très peu, le père que nous n’entendons qu’aux
moments forts de sa vie et bien sûr le mutisme de Lucie qui est sourde mais non
muette et pourtant qui ne parle presque jamais. En parlant de sa mère, celle de
Jacques ou d’Albert ? Camus écrit :
‘Et ce qu’il désirait le plus au monde, qui était que sa mère lût tout ce qui était sa vie et sa
chair, cela était impossible. Son amour, son seul amour serait à jamais muet.’69
69
Ibidem p.337 (annexe, Notes et plans)
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Camus a une sensibilité par rapport à ces personnes sans voies. Il ne faudrait peut
être pas prendre à la lettre ce mutisme mais l’interpréter en temps que symbole de
milliers de gens qui ne sont pas écoutés ou entendus. Ces ‘muets’ sont sans parole
car ils n’intéressent personne, ils sont les pauvres de cette société, ceux qui vivent
leur vie sans se plaindre. Dans les notes et plan accompagnant le manuscrit, Camus
note : ‘Arracher cette famille pauvre au destin des pauvres qui est de disparaître de
l’histoire sans laisser de traces. Les Muets. Ils étaient et ils sont plus grands que
moi.’70
A plusieurs reprises Camus reprend en d’autres termes cette notion de mutisme.
Revenant de Saint Brieuc et se rendant en Algérie, Jacques Cormery repense les deux
terres que ‘La Méditerranée séparait’. Il s’agit ici de la France et de l’Algérie. La
première ou ‘les souvenirs et les noms étaient conservés’ la seconde ‘où le vent de
sable effaçait les traces des hommes sur de grands espaces’. En analysant le parcours
de J.C., le narrateur omniscient en vient à décrire les efforts de cet homme qui
jusqu’alors n’avait qu’ ‘essayé d’échapper à l’anonymat, à la vie pauvre, ignorante
obstinée, il n’avait pu vivre au niveau de cette patience aveugle, sans phrases, sans
autre projet que l’immédiat.’71
Nous retrouvons ici encore cette sensibilité de l’absence de discours, où les ‘sans
phrases’ tombent dans l’anonymat. Outre Le Premier Homme, Camus a mis en scène
d’autres personnages à qui la voix manque. L’Etranger par exemple, Meursault n’est
pas prolixe. La première partie du roman résonne de son silence. Il faut attendre la
deuxième partie du livre pour entendre son discours, la partie où il sera condamné et
ou il fustige contre l’aumônier juste avant son exécution.
3.5.
La thématique de la guerre dans l’œuvre
Revenons maintenant à la question initiale de ce mémoire, quelle fonction
particulière a la thématique de la guerre dans Le Premier Homme. La guerre est un
thème ponctuel dans ce roman, les personnages sont confrontés aux nombreuses
guerres qui ont échelonnées le 19e et 20e siècle.
• 1871 guerre contre les Prussiens.
• 1914-18 guerre contre les Allemands.
• 1939-44 guerre contre les Allemands.
• 1954-62 guerre d’Algérie.
A ces guerres s’ajoutent les révoltes de 1830 et 1848 et la ‘guerre’ contre le Maroc.
Sarocchi relie la thématique de la guerre dans Le Premier Homme à l’histoire
coloniale de l’Algérie. Sarocchi insiste sur le chapitre 7 car celui-ci est la charnière
du roman. Il a une positon centrale dans le livre, il est situé au centre de la narration,
ce chapitre explique l’origine de la famille Cormery. Sarocchi entrevoit entre la
colonisation de l’Algérie et la bataille de la Marne, une ligne invisible qui relierait
tout ces événements.
70
71
Camus, A.: Le Premier Homme. p.338
Ibidem p.214-215
35
Gide : ‘Les
plus prolixes
sont ceux
qui ont le
moins à
dire.’
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‘Mais la catastrophe de la Marne est, pour Camus, le dernier chaînon d’une longue histoire
liée à la colonie algérienne ; ce qui s’achève sur le front (…) s’est ébranlé avec les premières
vagues de l’immigration’72
En partant de ce point, une analyse plus générale est encore possible. La guerre de
14-18 peut être ‘Le dernier chaînon d’une longue histoire’ de la famille Cormery,
mais c’est aussi un exemple parmi tant d’autres du fléau universel.
3.5.1. Cycle des personnages de la famille Cormery:
L’histoire des aïeux de Jacques Cormery est balisée par les guerres du 19e et 20e
siècle. Tout commence en 1848 année où fut fondé Solférino par des quarantehuitards chassés de France et partis en Algérie afin de s’installer sur des ‘terres
promises’. Comme le raconte Veillard à la page 202 de nombreux révolutionnaires
de 1848 s’étaient expatriés vers l’Algérie colonisée depuis 1830 et qui pour les 2/3 y
perdront leur vie.
Lors de l’arrivée de la famille Cormery au village, celui-ci était depuis longtemps
habité par des Français, des Arabes et des Espagnols. En 1850, les parents de Lucy
Cormery avaient fuient le Mahonnais où la misère régnait et étaient venus s’installer
en Algérie. Les parents de Henri Cormery eux, avaient fuient en 1871 la guerre
contre les Prussiens. Ne voulant pas rester dans une Alsace occupée, ils trouvent
refuge sur la terre algérienne.
‘…ceux qui avaient atterri ailleurs dans les mêmes conditions, avec le mêmes souffrances,
fuyant la misère ou la persécution, à la rencontre de la douleur et de la pierre. Tels les
Espagnols de Mahon, d’où descendait la mère de Jacques, ou ces Alsaciens qui en 71 avaient
refusé la domination allemande et opté pour la France, et on leur avait donné les terres des
insurgés de 71, tués ou emprisonnés, réfractaires prenant la place chaude des rebelles,
persécutés-persécuteurs d’où était né son père qui, quarante ans plus tard, était arrivé sur ces
lieux, du même air sombre et buté, tout entier tourné vers l’avenir…’73
En 1914, Henri Cormery est appelé à prendre les armes et à se battre sur le sol
français contre les Allemands que ses parents avaient fuis. Il perdra la vie après avoir
reçu un obus sur la tête. En 1939, c’est la 2e guerre mondiale.
En 1954 c’est le début des affrontements entre les Algériens et les Français, cette
guerre aboutira à la décolonisation de l’Algérie en 1962.
Dans le chapitre 7, Camus nous donne l’impression que la guerre s’acharne sur ces
homme comme un fléau universel, tout comme l’orage s’acharnait sur les voyageurs
dans leur calèche aux premières pages de l’œuvre (paragraphe 3.4) .
Dans le chapitre 7, le lecteur a l’impression que la guerre suit sa proie. C’est comme
si elle attendait depuis des décennies ses victimes. A la page 212 du livre, la guerre,
tout comme l’orage au début du roman, est personnifiée.
‘…depuis l’orphelinat jusqu’à l’hôpital, en passant par le mariage inévitable, une vie qui
s’était construite autour de lui, malgré lui, jusqu’à ce que la guerre le tue et l’enterre, à jamais
72
73
Sarocchi.p.38
Camus, A.: Le Premier Homme. Gallimard. Paris. 1991 p.210
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désormais inconnu des siens et de son fils, rendu lui aussi à l’immense oubli qui était la patrie
définitive des hommes de sa race…’74
La guerre devient ici autonome, les hommes ne se tuent pas entre eux, c’est la guerre
qui prend l’initiative. Soulignons maintenant le choix du temps des verbes, placée
après un imparfait, la narration au subjonctif présent surprend. Ce présent actualise
l’emprise de la guerre sur les êtres, comme si à tout moments elle pouvait frapper. En
prenant par exemple un passé du subjonctif ; ‘la guerre l’ait tué et l’ait enterré’,
l’emprise de la guerre sur les hommes aurait été comme neutralisée parce que située
dans le passé. Ce qui est passé parait au lecteur comme clos. La narration au présent
du subjonctif fait effet de balancier entre le passé et le présent, il y a comme une
unité de temps entre le passé et le présent ce qui donne une notion d’intemporel.
(voir plus loin le chapitre 3.5.4 a). La guerre a une emprise sur l’immédiat.
Un second point à relever ici est l’utilisation du pronom relatif ‘l’ avec le verbe
enterrer. Que la guerre tue des hommes, cela nous pouvons l’affirmer, mais qu’elle
les enterre, cela est impossible. Le verbe enterrer ne peut s’utiliser que sous une
forme bien précise. Un être vivant peut enterrer un être mort, ou des êtres vivants
peuvent enterrer un être mort, ou plusieurs êtres morts. Toutes autres formes sont
impossibles, c’est un principe de pertinence75. Ici la guerre prend une forme
humaine, elle vit dans le passé et dans le présent, elle possède des facultés humaines.
La notion d’oubli est aussi à relever dans ce passage. Cet oubli accompagnant les
guerres est confirmé dans le passage venant juste après :
‘Comme si l’histoire des hommes, cette histoire qui n’avait pas cessé de cheminer sur l’une de ses
plus vieilles terres en y laissant si peu de traces, s’évaporait sous le soleil incessant avec le
souvenir de ceux qui l’avaient vraiment faite, réduite à des crises de violence et de meurtre, des
flambées de haine, des torrents de sang vite gonflés, vite asséchés comme les oueds du pays. La
nuit maintenant montait du sol elle-même et commençait de tout noyer, morts et vivants, sous le
merveilleux ciel toujours présent.’76
3.5.2. La Recherche du père :
Dans Le Premier Homme le thème principal de l’œuvre est la recherche des
origines ou le cycle (auto)biographique du personnage principal. La thématique
de la guerre n’apparaît qu’en filigrane dans le récit, mais tient un rôle important dans
cette œuvre. Camus utilise les images de la guerre introduites par le rôle du père pour
définir les limites de l’acceptable.
La recherche du père est la trame de la recherche des origines du personnage
principal. C’est en essayant de retrouver les traces de son père que Jacques façonne,
retrace, ébauche son passé, son présent. Comprendre ce qui fut élude les questions
présentes. Sarocchi rattache, la quête des origines et la recherche du père, avec ‘Une
74
Ibidem. p.212
Dortier, Jean-Francois : Le langage, nature, histoire et usage. Editions Sciences Humaines.
2001.p :70
‘la pragmatique suppose donc que, au delà du décodage linguistique, l’interprétation d’un énoncé
implique des processus inférentiels reposant sur des informations non linguistiques, généralement
appelées son contexte’
76
Camus. p.212
75
37
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enquête sur la guerre’ : ‘L’enquête sur le père coïncide, dans Le Premier Homme,
avec une enquête sur la guerre’77
‘Pour la première fois ici, Camus ose , autrement que sur le mode symbolique de La Peste,
didactique des Lettres à un ami allemand , laconique de La Chute ou théorique de L’Homme
révolté, montrer la guerre et en faire, pour autant qu’il ne dorlote pas les souvenirs d’enfance,
la pulsation même du récit’78
En parlant des ‘lieux que hante la mémoire du disparu’ en particulier de Mondovi,
Sarocchi propose l’analyse suivante :
‘Leur destin y rencontre celui de l’Algérie française, et, en déca, celui plus général, de la
horde humaine. Camus y force l’énigme paternelle jusque dans son ultime cache. Le Premier
Homme est donc une sorte de Télémachie, ‘recherche du père’, que traverse et trouble une
Iliade, répertoire de la guerre en ses vicissitudes et son ubiquité, Iliade et Télémachie qui
l’une l’autre se terminent et l’une par l’autre fonctionne’79
Ce qui nous intéresse dans cette recherche c’est le rôle que joue la thématique de la
guerre dans ce roman. La guerre n’est pas le sujet initial de cette œuvre. A l’encontre
de La Peste qui traite de l’engagement ou du non engagement des êtres face à la
guerre, Le Premier Homme ne traite pas en premier lieu de l’héroïsme ou de
l’engagement des hommes, il traite des origines du personnage principal.
Dans la recherche des origines, la personne qui fit le plus la lumière sur la vie
antérieure du père est le maître d’école. Cet homme avait combattu dans le même
bataillon que le père et vécu les mêmes horreurs. En quelques sorte ils étaient
semblables, non identiques mais semblables. Relevons aussi que pour Camus, les
hommes partageant les mêmes nuits, les mêmes ‘lits’ développent, outre un lien de
fraternité, un sentiment d’appartenance effaçant ainsi toute forme de différence.
Dans L’Hôte, de L’Exil et le Royaume, Camus écrit :
‘Les hommes, qui partagent les mêmes chambres, soldats ou prisonniers, contractent un lien
étrange comme si, leurs armures quittées avec les vêtements, ils se rejoignent chaque soir, par
dessus leurs différences, dans la vieille communauté du songe et de la fatigue’80.
Le lien annoncé dans L’Hôte est aussi visible dans Le Premier Homme.
3.5.3. Dénoncer la guerre et ses pratiques inhumaines
Les guerres sont dans l’œuvre les catalyses de la narration. Camus expose par
personne interposée, ici le père, ses pensées sur les cycles ou pulsations de la guerre
et des hommes.
C’est à travers ce personnage que Camus défini les limites de l’inacceptable comme
nous allons le voir ici. Dans la 1er partie du livre au chapitre 5 intitulé ‘Le père. Sa
mort. La guerre. L’attentat’, Camus introduit le thème de la conscience humaine. J.
77
Sarrocchi. P37
Ibidem. p.37
79
Sarocchi p35
80
Camus, L’Exil et le Royaume Gallimard. Collection Folio.2001 p.94. Edition originale 1957
78
38
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Cormery se souvenant d’un passé lointain relate l’épisode de la guerre contre le
Maroc où son père âgé de 29 ans seulement avait du prendre les armes et ‘faire du
service actif contre les Marocains’. Levesque, ancien directeur d’école de J.
Cormery, qui avait été enrôlé en même temps que le père de J. Cormery, raconte un
fragment de l’horreur qu’ils avaient vécue.
Ces deux jeunes soldat devant relever la garde, s’étaient rendus en haut de la colline
où étaient placés les gardes. A leur arrivée ils découvrent le massacre de ces pauvres
jeunes hommes mutilés et égorgés : ‘Il avait été égorgé et, dans sa bouche, cette
boursouflure livide était son sexe entier’81. Henri, pourtant peu expansif dénonce ces
actes barbares ou l’homme n’est plus homme. S’en suit un échange de propos entre
Henri Cormery et Levesque : ‘Levesque, qui réfléchissait, avait répondu que, pour
eux c’était ainsi que devaient agir les hommes, qu’on était chez eux, et qu’ils usaient
de tous moyens’82.
En faisant intervenir l’instituteur, nous avons l’impression que Camus excuse ce
massacre, comme s’il penchait vers la ‘théorie’ celle où les actes des Algériens sont
minimisés parce que justement ils n’ont que ce moyen de révolte contre les
‘impérialistes’. A travers l’instituteur nous pouvons aussi entendre les bien pensants
(peut être les intellectuels du continent) défendant la cause des Marocains et des
Algériens. Ces propos pourraient aussi être soutenus par Camus lui-même. Mais
Camus n’en reste pas là, le dialogue entre Levesque et Henri Cormery va plus loin,
au delà de la raison, pour aboutir dans la sphère de l’éthique ;
‘Cormery avait pris son ait buté. « Peut-être. Mais ils ont tort. Un homme ne fait pas ça »
Levesque avait dit que pour eux, dans certaines circonstances, un homme doit tout se
permettre et [ tout détruire]. Mais Cormery avait crié comme pris de folie furieuse : « Non,
un homme ça s’empêche. Voilà ce qu’est un homme, ou sinon… »Et puis il s’était calmé.
« Moi, avait-il dit d’une voix sourde, je suis pauvre, je sors de l’orphelinat, on me met cet
habit, on me traîne à la guerre, mais je m’empêche.’83
Pris ‘de folie furieuse’ Cormery fustige contre l’idée d’un massacre justifié par une
‘cause défendable’. Pour lui, et à travers lui, nous entendons la voix de Camus, pour
qui rien n’excuse ces débordements, pas une idéologie quelconque et encore moins
des circonstances atténuantes. Pour Camus et Henri, un homme a une limite qu’en
tant qu’homme ils se doit de garder et pour se faire, il se doit de ‘s’empêcher’.
Le dialogue entre les deux protagonistes se prolonge et la pensée de Camus se
cristallise, Levesque poursuit : ‘Il y a des Français qui ne s’empêchent pas, avait [dit]
Levesque. – Alors, eux non plus, ce ne sont pas des hommes’84. Pour le père et pour
Camus, il n’est pas question de culture ou d’origine, que se soit dans l’un des deux
camps, un homme n’est homme que s’il reste à l’intérieur de certaines limites et
rejette toutes formes de barbarie, pour lui ‘la fin ne justifie pas les moyens’ rien
n’excuse ce rabaissement vers la bestialité. Dans un passage cité à la page 95, la
grand-mère de Jacques relate un événement survenu dans la famille. Le père avait
voulu assister à l’exécution d’un ouvrier agricole Pirette . Le condamné avait selon
81
Camus p.77
Ibidem p. 78
83
Le Premier Homme. p.78
84
Ibidem p. 78
82
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les dires, tué à coups de marteaux ses patrons ainsi que leurs trois enfants. De retour
de l’exécution, Henri refuse en bloc ce qu’il avait vu. Ce refus se traduit par des
vomissements, un visage blême et un mutisme total. La vue d’une condamnation le
révolte, une limite est franchie, homme de peu de mots, il se cloître dans un mutisme.
Pour Camus, les limites de l’éthique est ce qui fait la différence entre un sauvage
(une bête) et un homme.
Si la colère de Henri traduit celle de Camus, pouvons nous prétendre que la révolte
de l’auteur ne se fait qu’en un sens, Français contre Arabe (vision colonialiste de
Camus selon Edward Saïd, paragraphe 3.2.2.).
Dans le passage nommé ci- après, nous pouvons lire qu’il n’y a pas de différence
entre les exactions des Français et celles des Arabes et que les limites à ne pas
franchir sont les mêmes. Ceci est valable pour toutes les cultures, pour tous les
hommes, et Cormery de poursuivre : ‘Et soudain, il cria : «Sale race ! Quelle race !
Tous, tous…’. Ce passage nous transporte vers un passage similaire dans l’Hôte de
l’Exil et le royaume. Balducci, le gendarme chargé d’un prisonnier arabe, s’est rendu
chez Daru l’instituteur dans les montagnes, Balducci est appelé à repartir vers une
autre destination et explique à Daru comment ce dernier doit s’y prendre pour livrer
l’Arabe aux gendarmes. Juste avant son départ, Balducci explique à Daru les raisons
pour lesquelles l’Arabe doit être jugé. La scène se passe dans l’école vidée de ses
élèves :
‘…On le cherchait depuis un mois, mais ils le cachaient. Il a tué son cousin.
- Il est contre nous ?
- Je ne crois pas. Mais on ne peut jamais savoir.
- Pourquoi a-t-il tué ?
- Des affaires de famille, je crois. L’un devait du grain à l’autre, paraît-il. Ca n’est
pas clair. Enfin bref, il a tué le cousin d’un coup de serpe. Tu sais, comme un
mouton, zic !… Balducci fit le geste de passer une lame sur sa gorge […] Une
colère subite vint à Daru contre cet homme, contre tous les hommes et leur sale
méchanceté, leurs haines inlassable, leur folie du sang.’85
La colère du père de Cormery et la colère de Daru se ressemblent, elles traduisent la
colère de Camus quant au manque de retenue des hommes.
Dans la partie ‘Notes et plans’ de l’annexe, Camus ajoute (ou peut être a-t-il voulu
souligner) :
‘J. : « Personne ne peut imaginer le mal dont j’ai souffert… On honore les hommes qui ont
fait de grandes choses. Mais on devrait faire plus encore pour certains qui, malgré ce qu’ils
étaient, ont su se retenir de commettre les plus grands forfaits. Oui, honorez-moi.’86
Cette phrase est énigmatique car nous pouvons tout supposer. De quels hommes
honorés s’agit-il ici ? Comment interpréter ce ‘malgré ce qu’ils étaient ‘? De quelles
infamies se sont retenus ces ‘certains’ ? Le ‘Oui, honorez-moi’ s’adresse-t-il à
Jacques Cormery ou à Albert Camus ? Toutes ces questions restent en suspend. Cet
extrait pourrait être directement lié au passage que nous venons d’étudier.
85
86
Camus, A. : L’Exil et le Royaume. Gallimard. Paris. 1957 p.87
Camus, Le Premier Homme p.330
40
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3.5.4.a Effet de balancier.
Nous avons vu que l’écrivain utilise les images de la guerre pour définir les limites
de l’inacceptable (rôle du père)
La fonction du thème de la guerre ici est évidente, il s’agit d’une (auto)biographie
partielle où les points historiques doivent être mentionnés donc où les événements
comme par exemple les guerres, font partie intégrante de la narration. Toutefois, la
façon dont Camus traite ces passages est particulière. Ce n’est pas simplement une
narration factuelle.
Camus introduit une critique. Le père fustige ces hommes qui en temps de guerre se
comportent comme des bêtes. Un homme pour Henry est un être qui reste digne dans
ses actes (paragraphe 3.5.3.).
On retrouve l’homme révolté dans Henri. Il subit son destin, si destin il y a. Il vit sa
vie sans poser de questions. Il fait ce qu’on lui demande de faire, tuer par exemple,
mais il le fait sans se rendre à la bestialité. Il refuse ‘d’être entamé’ Henri reste
honnête envers lui même et les autres.
Les parents d’Henri ont fui l’Alsace lors de la guerre de 1870/71 pour s’installer en
Algérie. Les parents de la mère de Jacques venaient de Mahonnais pour fuir vers
l’Algérie. Le passage ici nous fait découvrir la machine implacable a tuer qu’est la
guerre. Les parents d’Henri ont fui leur pays natal pensant se protéger. Pourtant
Henri né en Algérie sera envoyé en 1914 combattre les Allemands. La guerre
poursuit les hommes, ces victimes à travers le temps, elle tombe sur cette famille
comme si elle les attendait depuis longtemps.
Un va et viens se produit entre le passé et le présent. Dans le chapitre St Brieuc, le
fils Cormery découvre la date de naissance et de décès de son père. Venant se
recueillir sur la tombe de son père, Jacques réalise tout à coup que son père a
toujours été plus jeune que lui. Mort à 29 ans, Jacques qui en a 40 est frappé par
cette découverte :
‘Soudain une idée le frappa qui l’ébranla jusque dans son corps. Il avait 40 ans. L’homme
enterré sous cette dalle, et qui avait été son père, était plus jeune que lui’.87
Jacques découvre un anachronisme dans la perception de son monde. Cette
découverte renforce la notion d’absurdité du temps. L’ordre des années qui se
succèdent est bousculé, le passé, le présent se mélangent. L’ordre est devenu chaos.
‘Quelque chose ici n’était pas dans l’ordre naturel et, à vrai dire, il n’y avait pas d’ordre mais
seulement folie et chaos là où le fils était plus âgé que le père. La suite du temps lui-même se
fracassait autour de lui immobile […] et les années cessaient de s’ordonner suivant ce grand
fleuve qui coule vers sa fin. Elles n’étaient plus que fracas, ressac et remous où Jacques
Cormery se débattait maintenant aux prises avec l’angoisse et la pitié.’88
L’effet de balancier est produit par le retour incessant des guerres et la notion que le
passé et le présent se confondent par moment. (Le paragraphe 3.5.1 a déjà introduit
87
88
Camus. P. 34
Camus p.34-35
41
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l’effet de balancier avec l’analyse du présent du subjonctif). Cet effet de balancier
accentue ce que nous appellerons le fléau universel dans le chapitre suivant.
3.5.4.b Fléau universel
Le rôle du père ici, est évident, c’est par lui que le thème de la guerre est introduit.
Voyons à présent le rôle de la mère.
La mère est le personnage qui exprime le mieux cette notion de fléau universel. La
mère n’a aucune connaissances historiques, géographiques ou politiques, pourtant
c’est à travers elle que Camus traduit ce sentiment de fléau universel, le passage
suivant introduit le mieux ce fléau. Cette femme bien que quasiment sans voie dans
cette œuvre tient un rôle prépondérant en ce qui concerne l’analyse de l’œuvre. C’est
par elle que le mécanisme du fléau universel est introduit.
‘La guerre était là, comme un vilain nuage, gros de menaces obscures, mais qu’on ne pouvait
empêcher d’envahir le ciel, pas plus qu’on ne pouvait empêcher l’arriver des sauterelles ou
les orages dévastateurs qui fondaient sur les plateaux algériens.’.89
Ce passage rappelle quelque peu le début du livre où l’entrée en matière se fait par la
description d’un nuage au dessus des voyageurs (paragraphe 3.4.), les nuages
attendaient leurs proies, ici la guerre est comparée à ‘un nuage gros de menaces
obscures’. Ce ‘vilain gros nuage’ qu’est la guerre est aussi comparé à un fléau naturel
qu’est l’arrivée des sauterelles.
A la page 85, après avoir repensé au décès de son mari, Lucie Cormery repart dans sa
réflexion.
‘Et puis plus rien ne restait, ni en elle ni dans cette maison, de cet homme dévoré par un feu
universel et dont il ne restait qu’un souvenir impalpable comme des cendres d’une aile de
papillon brûlée dans un incendie de forêt’90
Cette phrase souligne le rapport de force entre l’homme et la guerre. Au papillon,
animal fragile, éphémère s’oppose l’incendie de forêt, dévastateur, indompté.
L’apposition de ces deux figures augmente la sensation d’un déséquilibre. Henri
Cormery pareil à un papillon, fut dévoré par ce feu universel qui détruit jusqu’à son
souvenir.
En quelques pages, on passe de la guerre de 14-18 avec la disparition du père à la
guerre d’Algérie avec ses attentats : ‘C’est au moment où Lucie Cormery entra dans
la pièce que l’explosion retentie’91. Jacques essaye de rassurer sa mère mais celle-ci
le regard curieux, repart dans ses réflexions ;
‘Elle le regardait d’un curieux air indécis, comme si elle était partagée entre la foi qu’elle
avait dans l’intelligence de son fils et sa certitude que la vie tout entière était faite d’un
malheur contre lequel on ne pouvait rien et qu’on pouvait seulement endurer. […]Elle avait
89
Ibidem p80-81
Camus, A.: Le Premier Homme. Gallimard. Paris. 1991 p.85
91
Ibidem. p86
90
42
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grandi, comme toute sa race, dans le danger, et le danger pouvait lui serrer le cœur, elle
l’endurait comme le reste.’ 92
Lucie Cormery incarne l’incertitude, tout comme le père Cormery incarne la révolte
(paragraphe 3.5.2.). De tous les protagonistes c’est par la mère qu’est amenée la
vision d’un monde sous l’emprise d’un fléau universel où la notion de temps
échappe. La personnification de la guerre est ici aussi mise en évidence : ‘le danger
pouvait lui serrer le cœur’ là encore l’utilisation de pronom personnel, cette fois-ci
‘lui’(paragraphe 3.5.1).
‘…elle avait ignoré que le temps avait changé. Pour elle, c’était toujours le même temps d’où
le malheur à tout moment pouvait sortir sans crier gare.’93
Réaffirmation d’un fléau universel à caractère intemporel : ‘le même temps’, ‘à tout
moment’ et imprévisible ; ‘sans crier gare’. Le temps coule sans emprise sur le
continu de guerres enchaînées, on dirait deux rouleaux, le temps et les guerres. Le
fait que Camus passe en une page de la 1er guerre mondiale aux attentas de la guerre
d’Algérie, fait que la chronologie est bouleversée. Les notions de temps sont floues.
Ceci affirme le sentiment que le temps n’a pas d’ emprise sur l’histoire, mais juste
sur les hommes. Les guerres qui vont et qui viennent, le sentiment qu’elles
s’acharnent sur les êtres, que ces êtres sont rattrapés par le temps qui oscille entre le
passé et le présent, le mutisme quant à quelconque avenir, font que les guerres sont
perçues comme un fléau universel.
3.6.
Conclusion :
Paru prés de 35 ans après le décès d’Albert Camus, le premier homme est une oeuvre
posthume. La particularité de cette œuvre n’est pas seulement sa parution tardive
mais le fait qu’elle se situe dans le cycle de l’amour appelé aussi la ‘troisième
couche’ selon le plan de Camus. Le Premier Homme relate l’autobiographie de
Jacques Cormery (en partie celle de Camus) et le cheminement des êtres qui
l’entourent durant le 19e et 20 e siècle. A travers les œuvres précédentes de Camus et
à travers les divers personnages de cette œuvre, Camus nous fait entendre plusieurs
voies. Le rôle du père et de la mère sont primordiales dans la narration. Le père
introduit les limites de l’inacceptable, la mère incarne l’incertitude et exprime la
notion de fléau, les guerres personnalisées et soutenues par un effet de balancier
entre le passé et le présent, introduisent ce que nous avons appelé ‘le fléau universel’.
La fonction particulière de la thématique de la guerre dans Le Premier Homme est de
personnifier ce fléau universel.
92
93
Ibidem. p88
Ibidem. p96
43
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4.
Claudel
Nous arrivons maintenant à la dernière partie de cette analyse, partie portant sur une
œuvre du 21e siècle, Les Ames grises de Philippe Claudel.
Question de recherche : Quelle est la fonction de la thématique de la guerre dans
l’œuvre de Claudel ?
4.1.Introduction:
Afin de pouvoir souligner la fonction du thème de la guerre dans cette œuvre,
j’articulerai mon analyse en trois temps.
C’est pour cela qu’un regard sera porté sur le thème de la guerre vers le début du 20e
siècle, sans toutefois en faire une analyse exhaustive.
Dans un premier temps, l’œuvre de Claudel sera définie par rapport au Postmodernisme. Dans un deuxième temps, un aperçu sera donné de l’évolution du
thème de la guerre dans la littérature du début du 20e siècle. Dans un troisième
temps, un essai sera fait afin de définir la fonction de la guerre dans l’œuvre de
Claudel.
4.1.1. Résumé :
Dans une ville du nord appelée V. un policier est à la recherche du meurtrier de la
petite ‘Belle de jour’ retrouvée morte en 1917 sur les bords d’un canal, pas très loin
du château d’un homme solitaire, le procureur Destinat. La petite n’avait alors que 10
ans. Le coupable de ce meurtre n’a jamais été retrouvé. Vingt ans plus tard, le
policier, soupçonnant le procureur, se souvient de cette période de sa vie où il perdit
sa femme Clémence en couche ainsi que son bébé. Dans un cahier qu’il noircit de ses
souvenirs, il relate son investigation et présente les personnages en relation de près
ou de loin avec l’affaire. La guerre de 14-18 se fait entendre au loin mais n’est pas le
thème principal de ce récit. Les personnages se ressemblent, ils sont tous gris comme
leurs âmes, sauf peut être : Belle de jour, Clémence et une jeune institutrice venue
au village pour des raisons personnelles.
La structure de la narration est particulière, il ne s’agit pas ici de structure linéaire mais
de structure fragmentée. Ce sont tous des témoignages en kaléidoscope qui forment la
vérité autour de ce meurtre et autour de la vie du personnage principal. L’histoire est
prise entre deux périodes, celle de l’événement et celle après l’événement. Le récit
balance entre plusieurs années autour de la Première guerre mondiale et vingt ans
plus tard. D’autres événements survenus en 1894, 1897, 1921 ou 1925 influenceront
ou précipiteront l’histoire.
En 2005 Philippe Claudel réalisera l’adaptation cinématographique de son oeuvre. La
dualité des mondes entourant le personnage principal sera moins apparente dans le
film que dans le roman. La thématique de la guerre, par contre, gardera sa fonction
dans le film. Cette fonction nous allons tâcher de la définir dans les paragraphes
suivants.
44
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4.2. Les Âmes Grises et le Post-modernisme94 :
Le Postmodernisme est ce que l’on pourrait dire, la continuation/prolongement
radicale du modernisme. Pour les Modernistes, il est impossible de définir ce que
l’on voit, l’accent est mis sur la subjectivité de la représentation des choses. Il est
impossible de communiquer. (La théorie de la connaissance = doute
épistémologique)
Pour les Postmodernes, la réalité telle qu’on la voit n’existe pas, plusieurs mondes ou
réalités peuvent exister. (Le doute est ontologique). Certains éléments que l’on
associe au Postmodernisme se retrouvent dans Les âmes grises, il s’agit de :
a) La discontinuité.
b) Le mélange des réalités.
c) La contradiction.
d) L’absence de militantisme ou de méta récit.
Retrouvons maintenant ces quatre points dans l’œuvre.
4.2.1. La discontinuité :
Le roman débute en 1937, 20 ans après les faits expliqués le long de l’histoire.
P.11 ‘Mais il faut tout de même que j’essaie de dire. De dire ce qui depuis vingt
ans me travaille’.
De suite après nous passons en décembre 1917, les personnages principaux sont
dépeints ainsi que l’histoire du village P 18.
Destinat le procureur
Bourrache le père
Mierck le juge
Ensuite nous sautons dans les années 1897-98 avec l’histoire de la petite maison du
château et de ses locataires. De retour en 1914 p. 48, avec la folie du maître d’école
et l’arrivée de l’institutrice Lysia Verhareine (22 ans). Un saut en avant p. 81, la
rencontre dans la colline et la mort de Lysia (1915). Un report en avant, p. 109, un
matin de 1917 (la petite morte)
De retour en arrière, avec Matziev et l’affaire Dreyfus (1894), p.118. Puis dans le
même chapitre retour au présent avec l’apparition de Joséphine Maulpas 20 ans après
le meurtre donc en 1937.
Plus loin, 3 jours après le meurtre de décembre 1917 le passage ou Joséphine
raconte la scène de sa rencontre le bord de l’eau et la scène avec le juge, la mort de
Clémence, la capture des déserteurs, la torture, p.135.
Le 27 septembre 21, la mort de Destinat dans le parc, p. 235.
94
Van Luxemburg. Over literatuur. Coutinho. Bussum. 1999. p.233 :
‘In postmodernistische literatuur en kunst wordt de status van de werkelijkheid in twijfel getrokken.
Dit hoeft niet te betekenen dat men meent dat we in een onwerkelijk sprookje leven. De onzekerheid
over de werkelijkheid houdt iets anders in. Enerzijds betekent het dat het bestaan van één enkele
werkelijkheid wordt betwijfeld. Er is geen reden om aan te nemen dat we allen in dezelfde
werkelijkheid leven; we kunnen dat, vanwege de onkenbaarheid van de realiteit, immers nooit
bewijzen. Evengoed is het mogelijk dat er meerdere werelden zijn, die met elkaar in conflict zijn,
naast elkaar bestaan, maar niet kunnen samengaan. Anderzijds houdt die twijfel de opvatting in dat
werelden slechts ‘bestaan’, toegankelijk zijn, via taal.’
45
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Quelques années plus tard, le policier entre dans le château et découvre les lettres de
Lysia avec l’annonce de la mort de son fiancé, il découverte aussi des photographies,
p. 241. Dans le même chapitre à la page 275, la lettre d’Alfred Vignot à la recherche
du meurtrier.
De nouveau 20 ans après le meurtre, la confession du meurtre du bébé, p. 278.
Il ne s’agit pas ici de structure linéaire mais de structure fragmentée, ce sont tous des
témoignages en kaléidoscope qui forment l’histoire. L’auteur effectue des vas et
viens dans le temps qui entraînent le lecteur dans un tourbillon temporel. Il est même
parfois difficile au lecteur de suivre l’auteur. Il est donc bien question de
discontinuité.
4.2.2. Le mélange de réalités/de mondes :
Le mélange de réalités se retrouve aussi dans l’œuvre et est surtout exprimé par la
perception de ce qui est vrai chez les personnages.
Chez l’instituteur c’est sa folie, il vit dans son monde de guerre, il habite dans un
pays qui n’est pas celui des autres, il parle une langue que personne ne comprend.
‘La folie, c’est un pays où n’entre pas qui veut [ …] Il parlait tout seul, disait le
plus souvent des mots que personne ne comprenait, s’arrêtait par moments pour
combattre avec une baguette de noisetier un adversaire invisible…’95
Chez l’institutrice, elle vit à la charnière entre le monde de Destinat celui des autres
et le monde de la guerre et des morts. Le personnage principal la décrira comme
quelqu’un assis au bord d’un gouffre.
‘ en allant désormais chaque fois, comme un pèlerinage jusqu’à cet endroit du
près où j’avais vu la jeune institutrice assise au bord de notre monde’96
Chez le policier (et à travers celui-ci le lecteur), la certitude que Destinat est
coupable car tous les faits le culpabilisent, ce ne sera que la lettre d’Alfred Vignot
reçue en 1925 qui changera la vision de cet homme envers Destinat et qui lui
montrera une autre réalité. Pour le lecteur, un moment charnière car qui faut-il
croire !
Chez Despiaux, le jeune gendarme qui avait gardé et veillé le jeune déserteur, cet
homme novice et solitaire devant l’horreur plus grande que lui, reproche au policier
son absence à ce moment là. Il juge et reproche à son compagnon le fait de l’avoir
laissé seul, la nuit, face à ce martyre. Il vit dans son histoire sans connaître le désastre
de l’autre réalité, la mort de la femme du policier. Ce jeune gendarme vit dans son
propre monde, celui des regrets : ‘et vous, qu’il me dit alors, d’une voix affûtée
comme un reproche, où vous étiez cette nuit-là’97
plus bas venant du policier : ‘je savais, comme lui sans doute, qu’on peut
vivre dans les regrets comme dans un pays’.98
95
Claudel. P.51
Claudel p.89
97
Ibidem. p.204
98
Ibidem. p.204
96
46
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Tous ces personnages ont une perception fixe de leur réalité, ils ont une vision
kaléidoscopique (fragmentée) des événements. Il n’existe pas une seule réalité, il en
existe plusieurs sans que toutefois nous sachions laquelle est probable, chaque
protagoniste vit dans son propre monde. A la fin il est toujours impossible de savoir
qui des deux, le procureur ou le soldat, a tué la petite. Toutes ces visions fragmentées
forment le kaléidoscope de la réalité. Il n’est pas question ‘de subjectivité de la
représentation des choses’ comme chez les modernistes. Ici plusieurs mondes ou
réalités existent.
4.2.3. Les contradictions :
Les contradictions qui apparaissent dans le roman se situent au niveau des fonctions
de certains personnages. Par le terme de fonction il faut comprendre la ‘fonction
professionnelle’ comme par exemple avec :
Le procureur = magistrat représentant du ministère chargé de l’accusation, du
réquisitoire.
Le juge = magistrat chargé d’appliquer les lois et de rendre la justice.
Le policier = personne qui appartient à un service de police chargé de faire respecter
l’ordre dans le civil/ en temps de paix.
Le soldat = la main armée, homme servant dans une armée, le dernier maillon en
temps de guerre.
Ce qui est étonnant dans le roman c’est que ces quatre ‘fonctions professionnelles’
qui normalement devraient toutes rendre justice, sont représentées par des hommes
aux mains sales.
Le procureur, Destinat est accusé de barbarie. En parlant de ces victimes il est dit :
‘…parmi toutes les têtes qu’il avait obtenues, il y en a certainement qui avaient
appartenu à de parfais innocents qu’on a conduits à l’échafaud en les maintenant
fermement par les bras et les pieds tandis qu’ils gueulaient leur blancheur de
vierge’99
A cela s’ajoute le crime : ‘l’un des deux avait tué, c’est sûr, mais l’autre aurait pu le
faire et au fond, entre l’intention et le crime, la différence était nulle’100
Le juge est dépeint comme un homme malsain, cruel et ignoble et goinfre qui mange
des œufs au pied de la petite, et qui participe à la torture du soldat.
Le soldat est d’abord présenté comme la victime forcée à avouer une faute
qu’il n’aurait pas commise. Plus tard nous apprenons qu’il est de la pire
espèce. P.276 :
‘…il avait un mort sur la conscience, ou plutôt une morte, qu’il avait torturée
méticuleusement -il y avait les détails dans la lettre- avant de l’étrangler et de la
violer.’101
99
Claudel p.94
Ibidem p.222
101
Ibidem p.276
100
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Le policier, celui qui cherche à savoir, à connaître les vérités, mais aussi celui qui
tuera son propre bébé.
Tous ces personnages sont des ‘âmes grises’, là encore une contradiction !!
4.2.4. Absence de militantisme ou de métarécit :
Dans Les âmes grises il n’est pas question de savoir dans quel sens va l’Histoire ou
de porter un jugement sur les protagonistes. L’auteur ne défend pas telle ou telle
cause. L’enquête effectuée par le policier n’est pas menée à son terme. Le policier
rassemble des indices mais ne pose jamais de vraies questions à Destinat.
Rencontrant Destinat le long de la berge, ce dernier lui demande (p.227/228) :
‘Vous ne m’avez jamais demandé si…’ […] ‘Aurais-je eu une réponse ?’ […] ‘Il faut se
méfier des réponses, elles ne sont jamais ce qu’on veut qu’elles soient, ne croyez-vous pas ?’
Le policier mettra 20 ans à cerner le tout, sans toutefois découvrir qui tua la petite :
‘J’ai pris des années à rassembler les fils, à retrouver les mots, les parcours, les questions, les
réponses.’102179
Nous pouvons aussi remarquer qu’à part l’affaire Dreyfus, il existe peu de faits
historiques explicitement décrits dans ce roman,. De plus, le discernement entre le
bien et le mal est flou, deux vérités se superposent et se rejoignent dans les hommes
et c’est pour cela qu’ils sont appelés des âmes grises. Il s’opère un jeu sur le niveau
des réalités comme nous l’avons déjà remarqué dans le paragraphe ‘mélange de
réalités/de monde’.
4.3.
La guerre dans la littérature du début du 20e siècle en contraste avec le
thème de la guerre dans l’œuvre de Claudel.
Quelles différences de traitement de sujet pouvons nous observer entre une œuvre
comme Le Feu du début du 20e siècle et Les âmes grises ?
Avant la guerre de 14-18, le combattant était associé à un être héroïque qui allait de
l’avant. C’était un homme audacieux. Une analyse de Becker103 nous éclaire sur ce
point.
‘…le combat est imaginé à travers l’image d’Epinal de la charge de cavalerie (Reischoffen),
de l’assaut décisif qui règle en une bataille le destin de la guerre (Sadowa, Sedan), de
l’offensive à outrance’104
La dynamique des batailles, mettait en évidence la valeur et la gloire des
combattants, leur courage et leur entrain. Ces hommes partaient à la bataille le
sourire aux lèvres.
‘Il ne suffit pas d’accepter le devoir, il faut y adhérer entièrement. D’où l’insistance sur la
gaieté du soldat, le fait qu’il chante, qu’il fasse volontiers, joyeusement, son métier’105
102
Ibidem p.179
Becker.Winter. Guerre et cultures 1914-1918.Paris. Armand Colin.1994
104
Ibidem p.14
103
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A l’opposé de cette gaieté, de cette légèreté juvénile, se trouve la représentation de
l’adversaire. Le Prussien était dépeint comme un barbare étant capable d’atrocités
illimitées. C’était un être sanguinaire. Bien sûr, ces descriptions ne pourront résister à
la réalité des tranchées. Le mythe du combattant glorieux et joyeux ne pourra tenir
longtemps. La misère des hommes prendra petit à petit le dessus et les narrations
changeront de tonalité, il n’est plus question d’héroïsme et de marche en avant mais
de pertes et d’horreurs comme par exemple dans Le Feu106 de Henri Barbusse.
‘Le gros Lamuse, vide de sang, avait une figure tuméfiée et plissée dont les yeux
s’enfonçaient graduellement dans leurs trous, l’un plus que l’autre. On l’a entouré d’une toile
de tente qui se trempe d’une tache noirâtre à la place du cou. Il a eu l’épaule droite hachée
par plusieurs balles et le bras ne tient plus que par les lanières d’étoffe de la manche et des
ficelles qu’on y a mises. La première nuit qu’on l’a placé là, ce bras pendait hors du tas des
morts et sa main jaune, recroquevillée sur une poignée de terre, touchait les figures des
passants. On a épinglé le bras à la capote’107
Evidemment, le regard posé sur l’ennemi évolue lui aussi. L’adversaire monstrueux
et barbare se mue en homme de combat, identique presque au poilu : ‘ les journaux
de tranchée les108 montrent comme d’autres hommes, et non comme des brutes ou
des barbares, et dès 1915’109.
Dans Le Feu, des doutes apparaissent quant à la déshumanisation des ‘boches’:
‘A ! mon vieux, dit Tirloir, on parle de la sale race boche. Les hommes de troupe, j’suis pas si
c’est vrai ou si on nous monte le coup là –dessus aussi, et si, au fond, ce ne sont pas des
hommes à peu près comme nous.
C’est probablement des hommes comme nous, fait Eudore.’110
Si nous nous tournons maintenant vers l’œuvre de Claudel (début 21e siècle) nous
pouvons constater qu’il n’y est pas question de dynamique de batailles. Les combats,
en tant que tels, ne sont que vaguement mentionnés. Là où Barbusse réservait un
chapitre entier à l’horreur de la guerre, Claudel lui, ne réserve que quelques passages
courts comme par exemple:
‘Le souffle des obus, la peur, les copains qui geignent et meurent à vingt mètres accrochés
dans les barbelés. Les rats rongeants les morts, au loin tout ça !’.111
Ce court passage qui décrit si bien l’essentiel est comme anéantit par les quatre mots
finals : ‘au loin tout ça !’
Les soldats du front ne sont pas des héros, ils ont pris des allures d’ombres.
En parlant de ces hommes. L’auteur écrit:
105
Ibidem p.14
Barbusse, Henri. Le feu. Gallimard. Paris. 2007
107
Ibidem p.264
108
Les = les Prussiens.
109
Becker. Guerre et cultures. P16
110
Barbusse, Le Feu. P44
111
Claudel, p49
106
49
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‘…debout, les yeux absents, sans un geste, sans un mot, et sur lesquels la pluie ne paraissait
pas avoir de prise. On aurait cru une armée d’ombres […] Tous avaient pris la rigidité des
statues, leurs yeux qui semblaient alors n’être plus que deux trous noirs et sans fin ouverts
sur l’envers du monde’. 112
Alors que Barbusse plaide contre cette guerre, Claudel, lui, ne prend pas position.
Eliane Tonnet-Lacroix113 a écrit en parlant de l’époque postmoderne que l’homme se
retourne souvent vers le passé pour deux raisons, par nostalgie ou pour en faire le
procès. Pourtant avec Les âmes grises, il n’est pas question de nostalgie d’une
certaine époque et encore moins de procès. Nous devons alors nous poser la question
à savoir : Quelle est la fonction de la guerre dans Les âmes grises ?
4.4. Les Ames grises et la fonction de la guerre en arrière plan :
A la fin du 20e siècle, début du 21e siècle, les récits d’enquêtes, d’investigations
policières sont nombreux dans les romans, nous pouvons par exemple nommer trois
œuvres :
Modiano114 = Dora Bruder
Japrisot115 = Un long dimanche de fiançailles.
Claudel = Les Ames grises
Dans ces romans il est question d’enquête policière, chez Modiano l’enquête porte
sur les conditions de la disparition de la petite Bruder, chez Japrisot, sur le
déroulement d’une nuit dramatique et chez Claudel, sur le meurtre d’une petite fille.
En prenant Les Ames grises nous pouvons dire que la structure est double. D’un côté
il y a la recherche, le récit de l’investigation et de l’autre, le récit de tout ce qui a été
caché. Deux mondes s’opposent.
L’enquête fait ressortir l’obscurité des êtres et met en cause non seulement la vision
que les autres ont du personnage principal, mais surtout la vision que le personnage a
de lui-même.
La description des faits à pour but de donner une vision pure et limpide des
événements passés alors que chaque intervention du protagoniste est une
interprétation et donc une vision colorée influencée par le personnage principal luimême.
Quelle est donc la fonction de la guerre dans le roman ?
L’enquête ne porte pas sur l’Histoire avec un grand H (chez Modiano avec Dora
Bruder), il n’y est pas non plus question de métarécit. L’enquête porte sur un meurtre
commis dans le village. La guerre et donc l’Histoire n’a rien à faire dans
112
Ibidem p.161
Tonnet-Lacroix : La littérature française et francophone de 1945 a l’an 2000. Paris. L’Harmattan.
2003. P.256 : ‘L’homme de l’époque postmoderne regarde volontiers vers le passé, avec nostalgie ou pour
en faire le procès.’
113
114
115
Modiano. Dora Bruder.Gallimard.Paris 2004
Japrisot. Un long dimanche de fiancailles. Editions Gallimard. Paris. 2004
50
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l’investigation. Cette guerre nous ne l’apercevons que parfois, elle sert de toile de
fond, de contraste (ou de monde à l’envers).
4.4.1. Toile de fond
La description des combats est inexistante. Il n’y a pas de description d’offensives ou
de massacres. Les Allemands n’ont aucune place dans l’œuvre de Claudel, c’est
comme si l’ennemi n’existait pas. La guerre fait toile de fond, c’est quelque chose
d’irréel, un décor :
‘Au loin, la ligne de front se confondait avec celle du ciel, si bien que par
moments, on aurait cru que de multiples soleils se levaient en même temps, puis
retombaient dans un bruit de pétard avorté. La guerre déroulait son petit carnaval
viril sur des kilomètres et de là où nous étions on aurait pu croire à un simulacre
organisé dans un décor pour nains de cirque’.116
Cette description a quelque chose de féerique, de musical. Si l’on reprend
l’œuvre de Barbusse, nous voyons que la guerre a des odeurs, des voix, elle
est une bête vivante, p.245 :
‘Dans une odeur de soufre, de poudre noire, d’étoffes brûlées, de terre calcinée,
qui rôde en nappes sur la campagne, toute la ménagerie donne, déchaînée.
Meuglements, rugissements, grondements farouches et étranges, miaulements de
chats qui vous déchirent férocement les oreilles et vous fouillent le ventre, ou bien
le long ululement pénétrant qu’exhale la sirène d’un bateau en détresse sur la mer.’
117
Chez Barbusse l’apocalypse du combat, chez Claudel tout se situe en arrière
pays, l’avant scène étant le village et les coulisses la guerre/l’Histoire.
4.4.2. Contraste (monde à l’envers)
La guerre c’est aussi la représentation de notre monde à l’envers : ‘La guerre, c’est le
monde cul par-dessus tête elle parvient à faire d’un amputé le plus heureux des
hommes’
Claudel expose deux mondes qui ne sont en définitive pas si différents. En général, la
guerre est antonyme de paix, mais chez Claudel elle est le contraste et non le
contraire. Les soldats sont des ombres (p. 161) mais les ombres n’existent qu’à partir
d’un objet118 réel. Ces soldats, sont-ils les ombres des villageois, ou de eux-mêmes ?
Être l’ombre de soi-même c’est être encore une partie de ce que l’on a été. Il y a une
relation directe entre l’objet et son ombre, tout comme il y a une relation entre le
décor et la scène.
Nous pourrions nous poser la question à savoir pourquoi cette mise en relation entre
la scène et le décor, l’objet et son ombre ?
Cette mise en relation de deux mondes, cette juxtaposition témoigne d’un décalage
absurde de la vie. En temps de guerre les hommes sont tenus de tuer en temps de
116
Claudel p.87
Barbusse p.245
118
entendre Objet=sujet, terme.
117
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paix ils sont exécutés pour les mêmes motifs. D’un coté l’on massacre légalement, de
l’autre le meurtre est condamné par une peine capitale après un procès légal, :
‘Bien sûr qu’on a tué, on est même venu nous chercher pour ça, pour tuer ceux d’en face qui
nous ressemblent comme des frères. Pour les tuer et pour qu’ils nous tuent, c’est des gens
119
comme vous qui nous ont dit de le faire…’
Le vous et le nous différencient les deux mondes, le nous étant mis pour les soldats et
donc la guerre, le vous pour les notables (ceux qui ne font pas la guerre) ici Mierck,
Destinat, le policier ou les villageois. Mierck accuse Rifolon et le petit Breton
d’avoir tuer une petite fille alors qu’en d’autres lieux ceux-ci ont été appelés pour ça.
Ce décalage que l’on pourrait appeler absurde, se retrouve aussi dans Le Feu ::
‘Qu’est-ce que vous foutez là !’’Ben, nous tirons : on nous a dit d’tirer, on tire, qu’on a dit.
Pisqu’on nous l’a dit, y doit y avoir une raison, d’ssous ; nous attendons qu’on nous dise de
faire aut’chose que d’tirer.’120
La responsabilité d’un meurtre accompli ou non incombe entièrement celui qui en est
l’auteur. Claudel le souligne vers la fin de son livre: ‘L’un deux avait tué, c’est sûr,
mais l’autre aurait pu le faire, et au fond, entre l’intention et le crime, la différence
était nulle’121
C’est bien pour cela que les personnages du roman sont des âmes grises. Même Lysia
pourrait être une âme grise car comme beaucoup, elle aussi tuerais pour sauver son
fiancé.
4.5.
Conclusion :
Nous avons vu que le thème de la guerre servait de toile de fond et de contraste. De
cette analyse nous avons pu visualiser la juxtaposition de deux mondes et ainsi
témoigner d’un décalage absurde, un homme est condamné pour meurtre et d’autres
non, qui sont les âmes blanches et qui sont les âmes grises ?
Dans Les âmes grises il n’est pas question de grand discours, le personnage principal
ne fait pas l’apologie d’un monde sans guerre, il ne condamne personne, il regarde,
cherche des indices, essaye de comprendre, se met à la recherche de la vérité mais ne
pousse toutefois pas son enquête jusqu’au bout. L’enquête a pour but de reconstruire
des évènements, une histoire, non pas d’éluder une énigme afin de fournir un
coupable et lui faire purger sa peine.
Cette reconstruction amène le lecteur sur un tableau d’ensemble : un décor et une
scène, elle juxtapose deux mondes contrastés, nous montrant un décalage absurde.
Autre qu’un pamphlet, qu’une accusation, cette œuvre nous amène à réfléchir
presque solennellement sur la cohérence de notre monde. La fonction de la guerre
dans Les âmes grises n’est autre que le miroir de nos âmes, c’est la représentation de
notre monde à l’envers.
119
Les âmes grises. P.185
Barbusse p.68
121
Claudel p277
120
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5. Conclusion générale :
Le but primaire de ce mémoire a été de définir la fonction de la thématique de la
guerre dans trois œuvres de la littérature française à savoir : Candide ou l’optimisme
de Voltaire, Le Premier Homme d’Albert Camus et Les Ames grises de Philippe
Claudel. Après avoir placé les auteurs et leurs œuvres dans un contexte historique,
nous avons pu ressortir quelques points importants relatifs à chaque auteur en
relation avec son siècle.
Voltaire, en tant que philosophe des Lumières a écrit une œuvre critique. Il a
introduit dans Candide des éléments historiques survenus au 18e siècle ainsi que
certaines polémiques de son temps (l’obscurantisme, le fanatisme religieux,
l’abolition de l’esclavage, la recherche raisonnée…).
Camus, lui, a dénoncé dans ses écrits les injustices de son pays : la France et
l’Algérie. Il a refusé toute idée de meurtre validé par une hypothétique vision d’un
monde meilleur. Acculé par les nombreuses guerres qui ont échelonné le 20e siècle,
Camus a une position particulière si nous le comparons aux deux autres auteurs
traités ici. En effet, Camus a été directement pris entre deux guerres ; la deuxième
guerre mondiale et la guerre d’Algérie. Son engagement propre à ce milieu de siècle
se retrouve jusque dans la narration de Le Premier Homme.
Pour Claudel, l’influence de son siècle se fait surtout ressentir dans son écriture que
nous avons appelée post-moderne selon la définition de Lyotard. Après la deuxième
guerre mondiale, les critiques littéraires ont vu dans les écrivains une absence de
‘grand récits’ comme la religion, la raison, l’engagement. Cette relation siècle-auteur
est différente chez Claudel de celles nommées pour Voltaire ou Camus pour qui
l’impact de l’histoire se fait directement ressentir dans leurs œuvres respectives.
Revenons maintenant au but primaire de ce mémoire et revoyons pour chaque auteur
la fonction de la guerre dans les œuvres choisies.
Pour Voltaire, la thématique de la guerre s’est avérée avoir comme but, l’annulation
de la théorie de Leibniz du ‘Tout est au mieux’. En introduisant un mécanisme de
validation, Voltaire met en contraste l’impossibilité de Leibniz de prouver ou valider
sa théorie basée sur des à priori et la possibilité de la validation de sa propre théorie
(celle de Voltaire). Afin de démontrer le juste de ses dires, Voltaire souligne
l’énumération des nombreuses guerres et tueries. C’est en introduisant le réalisme
des passages traitant des guerres et malheurs que Voltaire approfondit sa
démonstration et affine son système de validation, but de la thématique de la guerre
dans l’œuvre.
Pour Camus, la thématique de la guerre a une toute autre fonction. La particularité de
l’œuvre de Camus est l’élaboration d’une pensée complexe mise en avant par le biais
de ce que nous avons appelé le pluriphonisme. Ce pluriphonisme engendre un
balancement des visions de Camus d’un personnage à un autre. Deux personnages
majeurs supportent ce ‘procédé’ ;le père Cormery et la mère Cormery. Le père est la
figure dénonçant l’attitude des hommes devant des événements précis, c’est par lui
que Camus introduit le thème de la guerre. La mère, par contre, est la figure muette
qui introduit la notion de guerre ‘fléau universel’. C’est en donnant une voix à la
guerre que Camus personnifie ce ‘fléau universel’, nous pouvons ainsi en déduire
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que la fonction particulière de la thématique de la guerre dans Le Premier Homme est
de personnifier ce ‘fléau universel’.
Pour Claudel, la guerre dans Les Ames grises n’est que très peu apparente. Les
descriptions des tranchées et des combats sont inexistantes. La guerre est comme
rejetée en arrière plan, elle sert de décor. La supposée présence de celle-ci en toile de
font introduit une sensation de contraste entre le monde apparent et l’autre monde, le
monde à l’envers (monde où ce qui est interdit en temps normal est chose courante
en temps de guerre). Nous pouvons dire que la fonction de la thématique de la guerre
est d’introduire une forme de miroir où les âmes (grises) se reflèteraient.
La thématique de la guerre est pour ces trois auteurs un prétexte pour réunir les
éléments d’un discours propre à chaque écrivain, discours que nous avons pu
ressortie ici. Ce prétexte est peut être le seul point commun aux trois auteurs.
Voltaire utilise des touches de réalisme dans ses descriptions guerrières afin
d’appuyer sa théorie initiale et ainsi de la confirmer. Camus et Claudel ne
recherchent pas de confirmation. Camus souligne le rapport de force entre l’homme
et la guerre personnifiée, les personnages comme la mère et le père incarnent
l’incertitude et la révolte. Chez Claudel, plusieurs mondes ou réalités existent. En ce
point nous pourrions dire que Camus et Claudel sont proches l’un de l’autre car la
dualité des mondes se retrouve aussi chez Camus à travers le pluriphonisme et
l’incertitude avancée par le personnage de la mère.
En conclusion, nous pouvons dire que les trois auteurs `se servent d’un même thème
mais manipulent ce thème de façons différentes. Voltaire confirme sa théorie
première alors que Camus et Claudel dévoilent une perception de mondes instables et
divers, introduisant ainsi une dualité des mondes.
.
Au terme de cette étude, nous avons pu survoler trois siècles, trois auteurs, trois
œuvres et définir trois ‘fonctions de la thématique de la guerre’ différentes. Nous
pouvons maintenant distinguer trois notions de cette fonction. Chez Voltaire il s’agit
de démontrer par A + B une validation d’un système, chez Camus de souligner la
personnification d’un fléau et chez Claudel de mettre en évidence un effet de miroir.
Pour Voltaire, il est question de recherche d’une confirmation, ce qui n’est pas le cas
pour les deux autres auteurs.
Voltaire, Camus et Claudel se sont retournés vers le passé, non pas par nostalgie
mais parce que le présent est imprégné de maux, de souffrances et de cicatrices qui
régissent le présent.
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Samenvatting in het Nederlands:
Het doel van deze scriptie is om het thema oorlog binnen drie Franse litteraire werken te definiëren.Deze drie werken zijn:
Candide ou l’optimisme. van Voltaire, Le Premier Homme van Albert Camus en Les Ames grises de Philippe Claudel. De
schrijvers en hun werken zijn eerst in hun historische context geplaatst, om een aantal relevante punten van de schrijvers in
relatie tot hun respectievelijke tijden te benoemen.
In zijn hoedanigheid als filosoof van de Verlichting heeft Voltaire een kritisch werk geschreven. Hij heeft in zijn Candide een
aantal historische gebeurtenissen uit de 18e eeuw alsmede enkele discussiepunten uit zijn tijd opgenomen (obscurantisme,
religieus fanatisme, afschaffing van de slavernij, wetenschappelijk onderzoek).
Camus heeft in zijn werk de onrechtvaardigheden van zijn vaderland(en), zowel in Frankrijk als in Algerije, aan de kaak
gesteld. Elk idee dat er zogenaamd rechtsgeldig gemoord mag worden voor de strijd voor een betere wereld, wijst hij resoluut
af.
In het nauw gedreven door de gefaseerde opeenvolging van oorlogen in de 20e eeuw, neemt Camus in vergelijking met de twee
andere auteurs welke hier besproken worden, een speciale plek in. Camus zat klem tussen twee oorlogen: de 2e WO en de
Algerijnse onafhankelijkheidsoorlog.Zijn directe betrokkenheid bij dit deel van de 20e eeuw vinden wij in het verhaal van Le
Premier Homme terug.
Bij Claudel vinden wij de invloed van zijn eeuw terug in zijn schrijfstijl: het zogenaamde post-modernisme conform de definitie
van Lyotard. De literaire critici merken op dat het de schrijvers van na de 2e WO ontbreekt aan ‘grote thema’s zoals: religie,
filosofie en maatschappelijke betrokkenheid. Voor Claudel is de relatie eeuw-schrijver duidelijk anders dan voor Voltaire en
Camus bij welke de impact van de geschiedenis letterlijk terug te vinden is in hun respectievelijke werken.
Het doel van deze scriptie is om voor elke auteur te bekijken wat de rol van oorlog in de gekozen werken is.
Bij Voltaire blijkt dat hij het middel oorlog gebruikt om de theorie van Leibniz te ontkrachten. Door het gebruik van een vorm
van bekrachtigen, laat Voltaire het contrast zien tussen de onmogelijkheid van Leinbniz inzake het bewijzen van zijn théorie en
die van Voltaire. Om zijn gelijk te bewijzen geeft Voltaire een opeensomming van oorlogen en moorden. Door bij een aantal
passages gedetailleerd op de werkelijkheid van oorlogen in te gaan, verdiept Voltaire zijn betoog en verfijnt zijn mechanisme
van bekrachtigingen. Dat was het uiteindelijke doel van zijn werk.
Het thema oorlog heeft bij Camus een hele andere functie. Het opvallende in het werk van Camus is de uitwerking van een
complexe gedachte door het toepassen van een kunstgreep welke wij het pluriphonisme noemen. Door dit pluriphonisme
ontstaat er een afwisseling in de visie van Camus betreffende het ene of het andere personage. Dit mechanisme wordt door twee
belangrijke hoofdpersonen ondersteund: vader en moeder Cormery. De vader is degene die het gedrag van mensen welke
geconfronteerd worden met specifieke gebeurtenissen, met name oorlog, aan de kaak stelt. De moeder daarentegen is de
zwijgzame figuur die de oorlog kenmerkt als een plaag. Door de oorlog een stem te geven verpersoonlijkt Camus deze
universele plaag. Hieruit kunnen wij afleiden dat het verpersoonlijken van dit gegeven het specifieke punt is bij het gebruik van
het thema oorlog in Le Premier homme.
In Les Ames grises van Claudel is de oorlog eigenlijk niet zo aanwezig. De auteur schrijft bijvoorbeeld niets over de loopgraven
en andere gevechten. De oorlog dient voornamelijk als decor. Deze gesuggereerde achtergrond roept echter wel een contrast op
tussen de zichtbare wereld en de wereld waarin alles op zijn kop staat. Een wereld waarin datgene dat normaal verboden is, heel
gewoon is. Op deze wijze kunnen wij stellen dat Claudel de oorlog bepruikt om de zielen een spiegel voor te houden.
Voor alle drie de auteurs is het gebruik van de oorlogsthematiek een aanleiding om alle facetten van hun redenering te
verenigen. Waarschijnlijk is deze aanleiding het enige gemeenschappelijke punt tussen de drie auteurs.
In zijn beschrijvingen van de oorlog gebuikt Voltaire vleugjes realisme om op die manier zijn oorspronkelijke theorie te
bekrachtigen en uiteindelijk bevestigd te krijgen. Camus en Claudel zoeken daarentegen niet naar een bevestiging. Camus
benadrukt de onderlinge krachtmeting tussen de mens en de verpersoonlijkte oorlog, waarbij de personages van de moeder en
de vader zowel onzekerheid als verzet belichamen. Bij Claudel leven verschillende werelden of realiteiten naast elkaar. Ook bij
Camus is er een soort dualiteit met aan een kant het pluriphonisme en aan de andere kant de vergaande mate van onzekerheid
door de moeder naar voren gebracht. Concluderend kunnen wij zeggen dat de drie auteurs hetzelfde thema gebruiken maar ieder
op hun eigen manier in zetten.
Aan de hand van deze studie hebben wij drie eeuwen, drie auteurs en drie literaire werken beschouwd en drie verschillende
functies van oorlogsthematiek gedefinieerd. Wij zijn nu in staat drie verschillende noties te onderscheiden. Bij Voltaire gaat het
om een geldig verklaring van een systeem te bewijzen, bij Camus gaat het erom de verpersoonlijking van de plaag (oorlog) te
benadrukken en bij Claudel tenslotte, gaat het om het voorhouden van een spiegel voor de zielen.
Bij Voltaire gaat het om het zoeken naar bevestiging wat niet het geval is bij de twee andere auteurs.
Voltaire, Camus en Claudel hebben zich gebogen over het verleden, niet vanuit nostalgie maar omdat het heden doordrenkt is
en beheerst wordt door pijn, lijden en littekens.
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17. Delon. Marchal : La littérature francaise :Dynamiue et histoire II. Gallimard
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http://www.academie-francaise.fr/Immortels/discours_divers/messmer_2002.html
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www.historel.net/poesies/poesie22.htm
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