legal alert

Transcription

legal alert
LEGAL ALERT
Luxembourg, Aout 2016
LA MODERNISATION DU DROIT
LUXEMBOURGEOIS DES SOCIETES
PAR LA LOI DU 10 AOUT 2016
Cent et un ans jour pour jour après la publication de la loi du 10 août
1915 concernant les sociétés commerciales, la loi tant attendue de
modernisation du droit des sociétés vient d’être publiée. Poursuivant les
objectifs traditionnels du droit luxembourgeois des affaires – assurer
tout à la fois la liberté des opérateurs et la sécurité des tiers -, la loi du
10 août 2016 réforme tant le droit commun des sociétés que le droit
spécial des sociétés commerciales.
I.- REFORME DU DROIT COMMUN DES SOCIETES
Pour l’essentiel, la loi nouvelle concerne les titres et certaines opérations marquantes de la vie
des sociétés.
A.- Les titres.
Les précisions et enrichissements apportés au droit des titres emportent, en premier lieu,
plusieurs modifications du titre IX – Des sociétés du Code civil.
En cas de démembrement des droits sociaux, le nouvel article 1852 bis du Code civil règle de
manière supplétive les délicates questions de l’attribution du droit de vote et du droit au
bénéfice. Il fixe les droits respectifs du nu-propriétaire et de l’usufruitier en cas de rachat par la
société de ses propres titres ainsi que les droits de l’usufruitier lors de la liquidation de la
société sur les sommes versées au nu-propriétaire ou sur les biens qui lui ont été remis.
L’article 1853 alinéa 2 détermine la part dans les bénéfices ou les pertes de l’apporteur en
industrie, tandis que son troisième alinéa consacre les titres traçants (connus de la pratique
sous l’appellation de « tracking shares »), catégorie qui confère au porteur des droits
financiers particuliers en fonction d’actifs ou d’activités de la société émettrice.
Enfin, l’article 1855 est complété par un alinéa 3 qui conforte le régime des conventions de
portage, en affirmant leur validité dès lors qu’elles n’ont pas pour objet de tourner la prohibition
des clauses léonines.
En second lieu, la loi nouvelle enrichit le régime des titres en ajoutant à la loi modifiée du 10
août 1915 un article 11 ter reconnaissant, ainsi que la doctrine l’avait pressenti, le droit pour
toute société d’émettre des obligations (y compris en procédant à des émissions publiques).
Un nouvel article 11 quater spécifie en outre que, dans les sociétés autres que les sociétés
anonymes, l’émission d’obligations convertibles et de droits de souscription obéit aux
dispositions légales concernant les cessions de parts ou d’actions et l’agrément d’un nonassocié.
B.- La vie des sociétés.
La modernisation du droit des sociétés porte sur le régime de la transformation et de la
dissolution-confusion et tend à uniformiser les causes de nullité pour toutes les sociétés
dotées de la personnalité juridique.
La section XV quater – La transformation de la loi de 1915 (articles 308 bis-15 à 308 bis-26)
est réécrite. Désormais, un état comptable doit être établi pour toute transformation, faisant
l’objet d’un rapport d’un réviseur d’entreprises et complété (sauf renonciation par tous les
associés et autres porteurs de titres conférant un droit de vote) par un rapport de l’organe de
gestion. Des règles particulières de présence et de majorité s’imposent à l’assemblée qui doit,
en principe, être constatée par acte authentique.
Par ailleurs, le nouvel article 1865 bis du Code civil régit la dissolution-confusion (réunion de
toutes les parts en une seule main), en accordant un certain délai à l’associé unique pour
régulariser.
Enfin, la loi nouvelle (article 12 ter) étend aux sociétés civiles, aux sociétés en nom collectif et
aux sociétés en commandite simple le régime des nullités des sociétés de capitaux.
II.- REFORME DU DROIT DES SOCIETES COMMERCIALES
La loi nouvelle concerne tant les sociétés par actions que les autres formes de sociétés.
A.- Les sociétés par actions.
Plusieurs dispositions modifient le régime de la société anonyme : elle peut désormais émettre
des actions sans valeur nominale sous le pair comptable des actions anciennes (art. 32, § 6 et
7) et des actions gratuites aux membres de son personnel (art. 32-3). Les augmentations de
capital par compensation de créances (art. 32-1(5)) sont reconnues. L’émission d’obligations
convertibles et autres instruments donnant accès au capital est encadrée (art. 32-4). Les
restrictions à l’émission des actions sans droit de vote, prévues à l’ancien article 44,
disparaissent ; en contrepartie, l’article 45, §2, précise que les droits financiers de ces actions
doivent être fixés dans les statuts.
En ce qui concerne le droit de vote, l’article 67 (4) introduit le principe d’un droit proportionnel
au capital lorsque les actions sont de valeur inégale, tandis que l’aménagement du droit de
vote au moyen de conventions entre actionnaires est consacré à l’article 67 bis.
La gouvernance de la société anonyme est enrichie à un double titre : d’une part, la loi (art. 54
et 60 bis-14) reconnaît au conseil d’administration et au conseil de surveillance le pouvoir de
créer des comités, dont la composition et les attributions sont fixées par les conseils, et qui
constituent donc de véritables organes sociaux ; d’autre part, selon les articles 60-1 et 60-2, le
conseil d’administration peut confier ses pouvoirs de gestion à un comité de direction ou à un
directeur général, sans que cette délégation puisse porter sur la politique générale de la
société ou sur l’ensemble des actes réservés au conseil en vertu d’autres dispositions de la
loi.
L’article 63 bis reconnaît aux minoritaires détenant au moins 10% du capital le droit d’engager
une action pour le compte de la société (« actio mandati ») contre les membres du conseil
d’administration, du directoire ou du conseil de surveillance.
Enfin, pour favoriser la mobilité des sociétés, le nouvel article 67-1 est modifié : désormais,
sauf clause contraire des statuts, l’unanimité n’est plus requise pour le changement de
nationalité.
Les formes de sociétés par actions sont enrichies par l’introduction de la société par actions
simplifiée (SAS), inspirée du droit français, (Section IV bis. – Des sociétés par actions
simplifiées, art. 101-18 et s.). Son régime est à la fois simple et souple. Il laisse une large part
aux aménagements statutaires : les attributions du conseil d’administration ou du délégué à la
gestion journalière sont exercées par le président de la société et, si les statuts l’ont prévu, par
un ou plusieurs directeurs ; ce sont également les statuts qui déterminent les décisions devant
être prises collectivement par les associés. La liberté contractuelle connaît cependant une
limite importante : la société ne peut procéder à une émission publique d’actions (art. 101-19).
Pour le reste, dans la mesure où elles sont compatibles avec le régime légal de la SAS, la loi
lui rend applicable, avec certaines exceptions, les dispositions régissant les sociétés
anonymes.
Enfin, pour supprimer l’ambiguïté pouvant résulter d’un jugement du Tribunal
d’arrondissement de Luxembourg du 13 décembre 2013 (n° 145725), l’article 107, alinéa 1er,
relatif à la gérance de la société en commandite par actions spécifie que, lorsque la gérance
est confiée à une personne morale, celle-ci n’est pas tenue de désigner une personne
physique comme représentant permanent.
B.- Les autres sociétés.
Plusieurs articles de la loi nouvelle concernent la SARL : son capital social est arrondi à
12.000 €, il est divisé en parts, avec ou sans mention de valeur (art. 182), le nombre maximum
de ses associés est porté à 100 avec, en cas de dépassement, l’octroi d’un délai d’un an à la
société pour se transformer (art. 181).
D’autres innovations méritent d’être relevées, qui reviennent à étendre à la SARL des
dispositions applicables à la société anonyme. Le notaire est appelé à exercer son contrôle
lors de la société (art. 183 (2)). La société peut émettre des parts bénéficiaires (non
représentatives du capital) ainsi que des parts rachetables, en respectant le principe d’égalité
de traitement de tous les associés et les droits des tiers (art. 182). Aux articles 184 (6) et 196
bis, la notion de « catégorie de parts sociales » est reconnue. L’article 195 bis consacre, quant
à lui, les conventions de vote entre associés dont il énumère les causes de nullité.
Par rapport aux actions, le régime des titres de la SARL conserve cependant certaines
spécificités : le législateur n’est pas allé jusqu’à admettre la création de parts sociales sans
droit de vote ; aux termes de l’article 188, la société ne peut pas procéder à une émission
publique de parts sociales (ni, a fortiori, de parts bénéficiaires).
Innovation inspirée du droit français, les apports en industrie peuvent désormais donner lieu à
l’émission de parts sociales en industrie, non représentatives du capital (art. 183 (3)). Dans la
mesure où elles ne donnent pas accès au capital, à l’instar des parts bénéficiaires, leur
émission n’est pas soumise à un contrôle révisoral.
Enfin, la loi retouche le régime des sociétés coopératives (art. 115) en abaissant à deux
membres au lieu de sept le nombre minimum pour la constitution d’une telle société et en lui
permettant, conformément à la pratique actuelle, de se constituer en société à responsabilité
limitée ou illimitée.
Longuement réfléchie, et conforme à l’esprit du droit luxembourgeois, cette réforme du droit
des sociétés devrait donc contribuer à renforcer l’attractivité de la Place.
CONTACTS :
Yann Paclot
Avocat aux Barreaux de Paris et de Luxembourg
[email protected]
Renata Jobubauskaite
Avocat à la Cour au Barreau de Luxembourg
[email protected]