Chap 09-Le temps des démocraties populaires
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Chap 09-Le temps des démocraties populaires
Chapitre IX LE TEMPS DES DEMOCRATIES POPULAIRES I. LA SOVIETISATION DE L'EUROPE DE L'EST (1945-1953) Comment les Soviétiques mettent-ils sous tutelle l'Europe de l'Est ? A. L'union autour des communistes en 1945 1. Le prestige des communistes Aux lendemains de la guerre, l'influence des partis communistes s'accroît dans tous les pays de l'est de l'Europe. Les communistes bénéficient du prestige de leur victoire contre le nazisme. En Yougoslavie et en Albanie, les armées des partisans ont libéré le territoire et se sont emparées du pouvoir. L'Armée rouge a libéré et occupe la partie orientale de l'Allemagne et les pays alliés de l'Allemagne nazie : Hongrie, Bulgarie et Roumanie. Les Soviétiques y soutiennent les « partis frères » qui profitent également du discrédit dont souffrent les partis de droite. 2. Des gouvernements de Front national En Yougoslavie et en Albanie, les communistes sont assez puissants pour gouverner seuls. En Hongrie, Pologne et Tchécoslovaquie, des gouvernements de coalition se constituent: ces «Front nationaux» associent libéraux, sociaux-démocrates et communistes dans des proportions variables selon les pays. En Pologne, Wladislaw Gomulka, chef du parti ouvrier polonais, et le communiste Klement Gottwald en Tchécoslovaquie, se déclarent favorables à des réformes économiques et sociales graduelles sans remettre en cause le système parlementaire. Ils prônent l'établissement d'une «démocratie populaire», un régime qu'ils présentent comme intermédiaire entre le capitalisme occidental et le socialisme soviétique. 3. Des réponses aux aspirations populaires Les gouvernements procèdent au partage des terres. Ils répondent à une revendication ancienne dans des pays où la répartition de la propriété était très inégalitaire. Dès 1945, en Albanie, Pologne, Roumanie, Hongrie et Tchécoslovaquie, les terres des grandes propriétés sont redistribuées. En Bulgarie, les communistes encouragent le mouvement coopératif. La nationalisation des grandes usines, banques, commerces privés s'appuie aussi sur un large consensus populaire. En faisant disparaître la catégorie des grands propriétaires terriens ou celle des capitalistes, les communistes se débarrassent aussi de leurs ennemis politiques potentiels les plus puissants. B. L'alignement soviétique forcé sur l'Union 1. La réaction au plan Marshall En juillet 1947, l'URSS contraint la Tchécoslovaquie et la Pologne à refuser l'aide Marshall, ce qui les coupe de leurs alliés occidentaux. À l'automne 1947, lors de la fondation du Kominform, le responsable soviétique Andreï Jdanov somme les partis communistes de resserrer les rangs autour de l'URSS et de rompre leur alliance avec les socialistes et les libéraux. Cette double injonction contraint les chefs communistes à remettre en cause la ligne politique antérieure fondée sur le respect du jeu parlementaire. 2. L'élimination des non-communistes Dans toutes les démocraties populaires, les partis libéraux et socialistes sont alors écartés du pouvoir puis dissous ou absorbés par le parti communiste (tactique du «salami»). Ce processus culmine en Tchécoslovaquie avec le «coup de Prague». Depuis 1946, ce pays était dirigé par un gouvernement de coalition regroupant cinq partis sous la présidence du libéral Edvard Benes. En février 1948, des pressions politiques et une mobilisation populaire organisée par les communistes poussent les ministres libéraux à démissionner. Le 7 juin 1948, Benes, qui refuse de ratifier une nouvelle constitution mettant fin à la démocratie parlementaire, quitte ses fonctions. Les communistes restent seuls au pouvoir. 3. La condamnation des communistes nationaux L'alignement forcé sur le modèle du parti unique va de pair avec un renforcement du contrôle soviétique sur la vie politique et économique (création du CAEM en 1949) des démocraties populaires. Le 28 juin 1948, le Kominform condamne le nationalisme yougoslave ; Tito refusant de faire son autocritique, la Yougoslavie est expulsée de l'organisation. On assiste à la stalinisation des autres pays d'Europe de l'Est. Une vague de procès et de purges frappe les dirigeants communistes les plus indépendants, accusés de «titisme», de «nationalisme» et de «sionisme». II. LE MODELE DE LA DEMOCRATIE POPULAIRE Quelles sont les caractéristiques des démocraties populaires ? A. Des régimes autoritaires 1. Le rôle dirigeant du peuple La démocratie populaire se présente comme une forme d'alternative à la «démocratie bourgeoise». Les constitutions de la fin des années 1940 insistent sur le rôle dirigeant du peuple et tout particulièrement du prolétariat. Ce dernier exercerait le pouvoir à la base par le biais des organisations de masse et participerait aux décisions économiques dans les entreprises industrielles et agricoles étatisées. 2. La dictature du parti unique En réalité, le pouvoir est entre les mains des dirigeants communistes. À partir de 1948, les partis sont épurés de leurs membres les plus critiques. Des apparatchiks, se prévalant d'une origine ouvrière mais formés dans les écoles du parti, souvent à Moscou, appliquent la ligne politique. Des partis non communistes se maintiennent, mais ils ont un rôle négligeable et les élections sont purement formelles. Dans ces États, généralement qualifiés de socialistes à partir des années 1960, le pluripartisme et la démocratie ont disparu. Toute organisation autonome politique ou sociale y est sévèrement réprimée au moyen d'une police politique pléthorique et redoutable. La propagande est omniprésente. B. Une économie dirigée 1. Une économie étatisée et planifiée Une industrialisation rapide vise à moderniser les pays tout en poursuivant un but politique : accroître le nombre des ouvriers. Les dirigeants communistes privilégient d'abord l'industrie lourde au sein de grands complexes étatisés (comme Nowa Huta en Pologne) et dans le cadre d'une planification rigide 1 et très centralisée. À la campagne, de vastes mouvements de collectivisation des terres ont lieu dans les années 1950. Partout, ils se heurtent à de violentes résistances. Les paysans délaissent le travail sur les fermes collectives au profit de leurs lopins individuels. 2. Les réformes des années 1960 Les besoins des entreprises et de la population sont mal évalués. Les productions agricoles sont insuffisantes. Le développement des biens d'équipement se fait au détriment des biens de consommation. Ces facteurs conduisent à une situation de pénurie, plus ou moins affirmée, et obligent à des révisions. En Pologne, une grande partie des terres est reprivatisée après 1956. En Yougoslavie dès 1950, et plus encore à partir de 1965, le modèle de planification soviétique centralisée est abandonné. Dans les années 1960, d'autres pays se lancent aussi dans des expériences qui accroissent l'autonomie des entreprises : la Pologne, la Bulgarie, la Hongrie où cette politique débouche sur une réhabilitation partielle de la petite entreprise privée dans les années 1980. En Pologne, en revanche, l'expérience est rapidement abandonnée. C. Une société encadrée 1. Les avancées sociales Le développement rapide de l'industrialisation favorise la promotion sociale. Les anciens paysans pauvres trouvent dans les usines des revenus réguliers. Par ailleurs, la généralisation et l'allongement de l'enseignement, y compris pour les catégories populaires, permettent la formation d'une nouvelle intelligentsia loyale au régime. Tous bénéficient d'un meilleur encadrement sanitaire et d'une protection sociale étendue. Les femmes, très fortement incitées à travailler, sont tout particulièrement concernées par ces bouleversements. 2. Les formes de contrôle Il est impossible d'assumer des fonctions dirigeantes dans la vie économique, politique ou culturelle sans être membre du parti communiste. Par ailleurs, la participation quasi obligatoire aux activités des organisations de masse - jeunesses communistes, organisations culturelles et de loisir... - permet aux autorités d'encadrer la population. Les syndicats sont transformés en "courroie de transmission" du parti. À partir des années 1970, ces organisations exercent toutefois un contrôle moins rigide sur leurs membres tant que ceux-ci ne formulent pas de critique politique. III. LA TUTELLE SOVIETIQUE DANS LES ANNEES 1950-1960 Comment l'URSS étouffe-t-elle les contestations en Europe de l'Est? A. Une mainmise réaffirmée 1. Les espoirs de la déstalinisation La mort de Staline en mars 1953 et la déstalinisation qui suit semblent entraîner un relâchement des tensions dans le bloc soviétique : en mai 1955, Khrouchtchev renoue les relations avec la Yougoslavie. En 1956, il admet que «les formes de passage au socialisme seront de plus en plus variées». En avril 1956, le Kominform est dissous. 2. Des Instruments de contrôle renforcés Pourtant, la signature du pacte de Varsovie en mai 1955 constitue une réplique à d'éventuelles contestations dans le camp socialiste : les troupes des différents pays, placées sous commandement de l'URSS, vont servir à maintenir l'ordre dans le bloc. Le CAEM devient dans les années 1960 le cadre de planification des économies des pays membres, orientées vers la spécialisation et l'interdépendance. Les démocraties populaires bénéficient de livraisons de matières premières à des taux avantageux, mais les plus riches d'entre elles, la RDA et la Tchécoslovaquie, doivent livrer la meilleure part de leur production industrielle à l'URSS. B. Des tentatives réprimées d'émancipation 1. Les révoltes des années 1950 Après la mort de Staline, des mouvements de protestation contre les conditions de travail souvent pénibles et des projets pour instaurer un socialisme démocratique se multiplient. En juin 1953, l'annonce d'un relèvement des normes de production de travail entraîne grèves et manifestations à Berlin et dans les grandes villes de RDA. Le mouvement hongrois de septembre 1956 est plus nettement politique : il est lancé par des étudiants et des intellectuels auxquels se rallient plus tardivement les ouvriers. Il porte au pouvoir le communiste réformateur Imre Nagy, qui annonce l'établissement d'une démocratie parlementaire puis la sortie du pacte de Varsovie. En Hongrie, comme en RDA, les troupes soviétiques écrasent l'insurrection. En Pologne, le mouvement, qui débute avec les grèves de Poznan en juin 1956, est d'abord social. Le communiste «national» Gomulka revient au pouvoir et réussit à éviter l'intervention soviétique ; il peut ainsi entamer la décollectivisation des terres et renouer les relations avec l'Église catholique mais il ne remet pas en cause le pacte de Varsovie. 2. L'écrasement du printemps de Prague en 1968 Le «printemps de Prague» a une double dimension sociale et politique. En avril 1968, sous la direction d'Alexander Dubcek, le parti communiste définit une voie tchécoslovaque au socialisme : les réformateurs veulent à la fois résoudre la crise économique en assouplissant la planification et démocratiser la vie politique. Des conseils ouvriers sont mis en place, la liberté d'expression est reconnue. Mais les troupes du pacte de Varsovie envahissent le pays en août 1968 et forcent les dirigeants à la "normalisation",. La répression est violente. C. Les pays spécificité qui affirment leur 1. Les ruptures yougoslave et albanaise Les Yougoslaves, hostiles à la stalinisation de leur pays, restent en dehors du CAEM et refusent de rejoindre le pacte de Varsovie en 1955. Au printemps 1958, Tito réaffirme la spécificité de la voie yougoslave fondée sur une planification moins rigide. Il protège l'indépendance nationale grâce à des alliances avec les démocraties occidentales. En 1961, l'Albanie rompt ses relations diplomatiques avec l'URSS et quitte le CAEM puis le pacte de Varsovie en 1968. 2. La «singularité» roumaine Gheorghiu-Dej, dès 1962, puis son successeur, Nicolae Ceausescu, à partir de 1965, s'opposent à la création d'un organisme de planification unique pour tous les pays du CAEM. Ceausescu noue des liens avec l'Occident. Il condamne l'intervention des forces du pacte de Varsovie en Tchécoslovaquie 2 en 1968. La popularité qu'il acquiert ainsi lui permet d'installer une dictature à partir des années 1970. IV. DE LA CRISE DES ANNEES 1970 A L'IMPLOSION EN 1989 Pourquoi et comment les régimes d'Europe de l'Est s'effondrent-ils? A. Les facteurs de l'effondrement 1. La crise économique des années 1970 Les pays socialistes ne parviennent pas à passer à une phase de croissance intensive fondée sur le progrès technique et une organisation efficace de la production. Le mécontentement suscité par les pénuries persistantes provoque la démobilisation croissante des ouvriers (retards, absences, vols de matériel). La médiocrité des conditions de travail et d'existence suscite des grèves violentes chez les mineurs roumains, en 1977 et 1981. En Pologne, en juin 1976, les ouvriers de Radom et d'Ursus organisent de grandes manifestations violemment réprimées. 2. Le développement des mouvements de contestation La dissidence se développe dans les années 1970. En Tchécoslovaquie, des intellectuels sont à l'origine de la Charte 77. En RDA, des courants pacifistes et écologistes se développent dans la jeunesse et reçoivent le soutien de certains pasteurs. En revanche, en Roumanie et en Bulgarie, la dictature politique très sévère, exercée avec la collaboration des Églises, empêche toute organisation autonome. Seule la Pologne voit se développer un vaste mouvement social qui aboutit à la crise de 1980 et à la reconnaissance de Solidarité, premier syndicat indépendant, dirigé par Lech Walesa. Les partis associés au pouvoir comme le parti paysan, la presse clandestine et les associations catholiques jouent aussi un rôle important dans ce processus. souhaitent conserver les acquis sociaux des régimes tout en les libéralisant. Mais les grandes manifestations d'octobre 1989, à Leipzig puis dans toutes les grandes villes de RDA, en conduisant à l'ouverture du mur, ouvrent la voie à l'unification et à la disparition du régime. En Tchécoslovaquie, la «révolution de velours» débute le 17 novembre : sous la pression des manifestations, le président Husak démissionne, une démocratie parlementaire est mise en place. En décembre 1989, Alexandre Dubcek est élu à la présidence du Parlement, et Vaclav Havel devient président de la République. 3. Des révolutions brutales dans les Balkans En Roumanie et en Bulgarie, les chefs tyranniques tombent victimes de complots au sein de leurs propres troupes mais sans que cela entraîne immédiatement un changement de système politique. Jikov, qui dirige le PC bulgare d'une main de fer depuis 1954, est destitué le 10 novembre 1989. Ceausescu, qui exerce depuis 1965 le pouvoir en Roumanie, est jugé et exécuté avec sa femme en décembre 1989. En Yougoslavie, après la mort de Tito en 1980, les tendances autonomistes se sont affirmées. Elles conduisent à l'implosion du pays et du régime en 1990. 3. Le rôle décisif des réformes de Gorbatchev Les réformes de Gorbatchev encouragent les dirigeants les plus libéraux, en Pologne et en Hongrie, à entamer des réformes. En mars 1988, le dirigeant soviétique, en visite dans la capitale yougoslave, affirme le droit à l'indépendance des différents États et se déclare favorable aux voies nationales vers le socialisme. L'accueil que lui réservent les foules à Prague en 1987 et à Berlin en 1989 témoigne de sa grande popularité à l'est. B. La diversité des voies de sortie du communisme 1. La démocratisation en Pologne et en Hongrie Dans ces deux pays, à l'issue d'une longue phase de démocratisation des partis communistes, des négociations sont entreprises avec les partis d'opposition. Des tables rondes conduisent à la tenue d'élections libres. En Pologne, le dialogue avec les partis autonomes et les associations catholiques à partir de 1983 aboutit à la tenue d'élections quasi libres en juin 1989 ; les communistes doivent abandonner la direction du gouvernement. En Hongrie, une évolution de même type, initiée en 1987, conduit à la rédaction d'une nouvelle Constitution en février 1989, qui prévoit des élections libres. Le 23 octobre, les députés proclament la IVe République hongroise. 2. La pression populaire en RDA et en Tchécoslovaquie Dans ces pays, les manifestations de rue jouent un rôle décisif. Les mouvements qui prennent la tête de la protestation 3