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24 –
Storytelling
Par Anouk Brissac| Photo Frédéric Stucin
Médecin de
campagne
Sortie le
23 mars.
– Marianne Denicourt
toujours !
La revoilà, la grande fille du cinéma d’auteur français, l’égérie dégingandée du Desplechin des années 90. Après 20 ans
d’une carrière ciné en demi-teinte, elle revient pour de bon dans Médecin de campagne où elle ausculte tout le Val d’Oise
pour pas un rond. À son tour de se laisser examiner (gratos), histoire de voir comment ça va depuis tout ce temps.
ôté physique, Marianne Denicourt,
ce sont des jambes longues comme
des ciseaux, les bras déliés d’une
princesse vaporeuse et un sourire
gigantesque qui lui fend le visage comme un
élastique. Et de bon gènes aussi, qui, à bientôt 50 ans, la font ressembler, tête coupée,
à celle qu’elle était à 20 ans dans Hôtel de
France (1986), filmée par son prof de théâtre
de l’époque, Patrice Chéreau. Côté ondes,
l’actrice diffuse à la fois l’aplomb calme d’une
femme politique, le magnétisme fébrile d’une
danseuse et la détente de la bonne copine qui
a bourlingué et qui en a de bien belles à vous
raconter. De quoi faire sauter l’aiguille d’un
interlocuteur pas préparé. Nous on sait qui est
assis en face de nous dans cet hôtel parisien où
a lieu la rencontre. Une égérie générationnelle
qui déclenchait chez nos copains garçons à la
fois l’envie de la désaper et de faire du zèle à
la bibli. « Vous pouvez ne pas me croire mais je
ne me rends pas du tout compte que j’incarne
cette époque, c’est drôle hein ? » Un peu, oui,
quand on pense à la déflagration que furent
La Vie des morts (1991), La Sentinelle (1992)
et Comment je me suis disputée (ma vie
sexuelle) (1996) de son fiancé d’alors, Arnaud
Desplechin, qui érigèrent très haut son degré
de désirabilité auprès du cinéma français.
C
Libre, belle, bien câblée, Marianne Denicourt était la grande brunette intimidante de
la bande à Nono. Elle avait déjà un peu tourné
avant ça (avec Doillon, Deville, Rivette) et
fait le tour du monde, jeune fille, en Ophélie
dans le Hamlet mis en scène par Chéreau (« Il
aimait que ses acteurs soient fébriles. Quand
il y avait des jours de relâche il nous disait :
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« Dormez pas trop. »). Elle était des leurs, une
intello plutôt bien née tendance Rive Gauche,
biberonnée aux lettres entre un père documentariste qui pigeait aux Temps Modernes,
une mère comédienne et une sœur future
réalisatrice (Emmanuelle Cuau).
Et puis la pellicule s’est enrayée. Marianne Denicourt s’est faite rare au cinéma,
pour ne réapparaître que sporadiquement
en second rôle dans des films pas terribles.
Elle assume en une formule : « Jouer est une
fête et je ne me la gâche jamais. » Alors, dans
cette bamboche débridée, est-ce les belles
propositions qui ont manqué ? Ses choix qui
ont foiré ? La vraie vie qui l’a rattrapée ? « J’ai
fait beaucoup de choses pourtant, mais moins
médiatiques que le cinéma. Je me suis laissée
emmener par la vie en fait. J’ai passé des années
à partir loin, à faire des tournées théâtrales, des
lectures au bout du monde, à décider soudain
de réaliser des documentaires en Afghanistan.
J’aime aller fureter au grand air. Je vois bien
que je n’ai pas assez entretenu le réseau, mais
ma nature profonde m’a amenée ailleurs, c’est
ainsi. J’aime la nature, moins les tapis rouges,
donc c’est normal qu’on m’ait oubliée. Et puis
j’ai eu une vie qui ressemble à une vie, j’ai vécu
des choses difficiles, des choses merveilleuses,
mais ça n’a pas été le calme plat. » C’est vrai
que la dernière fois que les médias ont parlé
d’elle, c’était pour son livre Mauvais génie
et le procès qu’elle intentait à Desplechin en
2006, à qui elle reprochait d’avoir exploité
des éléments douloureux de sa vie privée (la
mort de son mari, la disparition de son père)
et d’avoir violement attaqué son fils dans Rois
et Reine. De quoi entacher leur éminent passé
et se poser comme un répulsif irrévocable à
toute tentation de nostalgie.
En préambule de son grand « retour »
dans Médecin de campagne où elle tient
pour la première fois depuis longtemps le
haut de l’affiche (aux côtés de François Cluzet), elle décrochait l’an dernier sa première
nomination aux Césars pour Hippocrate, du
même Thomas Lilti. Chef d’un service hospitalier, elle réapparaissait sur nos écrans avec
cette présence solide et responsable qui, 20
ans auparavant, lui faisait dominer ses petites copines d’une bonne tête. « Thomas a
été content de ce que j’ai fait sur Hippocrate
et m’a proposé Médecin de campagne. Mais
sans François au générique, ça aurait pu ne
pas se faire. C’est une grosse vedette et pourtant il a été si bienveillant, si valorisant, alors
que j’aurais pu être intimidée. »
Cette défaillance d’ego, un symptôme de
son déficit carriériste ? « Attention, je ne me
sens pas illégitime, je n’ai aucun doute sur le fait
que j’aime mon métier et que je le fais du mieux
que je peux. Mais c’est vrai que pour moi jouer
est un art sans “moi”. Stanilavski disait : “Il
faut partir de soi.” C’est à dire qu’il faut partir,
dégager, mais de soi. Et surtout partir. On est
là pour disparaître au profit d’un personnage,
d’un auteur. Une qualité pour la vie, pas forcement pour faire carrière. Mais il n’est jamais
trop tard. Parfois il est trop tôt mais il n’est
jamais trop tard. Ce qui m’arrive avec Médecin de campagne, c’est chouette. » Un esprit
sain dans un corps sain, Marianne Denicourt
renouvelle haut la main son certificat de (re)
travail au cinéma.
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