Les rivières de Seine-et-Marne 1ère partie
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Les rivières de Seine-et-Marne 1ère partie
Liste des cours d’eau présentés dans cet ouvrage L’Ourcq, la Thérouanne, la Beuvronne, le Petit Morin, le Grand Morin, l’Aubetin, la Gondoire, la Marne, l’Yerres et ses affluents, la Voulzie, l’Auxence, l’Ancœur, l’Orvanne et le Lunain, le Loing, l’Ecole, la Seine. Rivières Promenade matinale au bord de la Seine. Escale nautique à Lagny-sur-Marne. Partie de pêche à Vaux-le-Pénil. Entre boucles de la Marne au nord, circonvolutions de l’Yerres au centre, et amples courbes de la Seine au sud, le département de Seine-et-Marne est drainé par de multiples rivières et leur dense réseau de ruisseaux. Les principales rivières seine-et-marnaises sont présentées dans ce livre original par deux auteurs qui se sont passionnés pour elles. Christian de Bartillat pour l’histoire, et Michel Billecocq pour l’environnement, y racontent les rivières, au fil de l’eau et du temps, dévoilant leurs paysages et révélant leurs monuments. Mais au-delà, chaque rivière devient à son tour prétexte à d’autres évocations, depuis la gestion des cours d’eau ou le droit de leur usage, jusqu’à la protection des eaux souterraines, et aux multiples secteurs et acteurs impliqués dans l’avenir des rivières et de leurs abords. Partie de pêche à Vaux-le-Pénil. Rivières de Seine-et-Marne de Seine-et-Marne « Rivières de Seine-et-Marne », un ouvrage pour découvrir ou retrouver, pour comprendre ou porter un regard nouveau sur un élément majeur du patrimoine : ces vecteurs de l’eau que sont rus, ruisseaux, rivières, canaux et fleuves, drainant ou irriguant, disparaissant ou débordant, constituant autant de liens entre ciel, terre et océans. Carte page 245 Chiner chez les bouquinistes à Melun. couveCG2.indd 1 Christian de Bartillat Photo de couverture : un lavoir sur l’Yerres à Rozay-en-Brie. 13/07/08 20:27:04 6/08/08 17:41 Page III P ré face I-VIII:EAU Les rivières sont, peut-être, le principal fil conducteur de l’Histoire, et si rois ou empereurs en décidèrent bien des fois, c’est l’Etat qui s’en trouva finalement doté, du moins pour celles où l’on pouvait naviguer. Après les incessantes disputes de meuniers et mariniers, de riverains entre eux, détournant l’eau à leur profit, puis des pêcheurs avec des entreprises aux rejets dévastateurs, il fallut bien de grands projets pour décider des modes de naviguer, et de nombreuses règles pour dire le droit d’usage, de pêche, de passage, et les obligations d’entretien ou enfin de qualité des rejets. Le droit de l’eau fait partie des plus anciens et des plus complexes, et plusieurs Services de l’Etat ont la charge de son explication, et de son application, qu’il s’agisse de navigation sur les plus grandes, ou de l’instruction et de la surveillance de toute demande de travaux, de prélèvement ou de rejet sur quelque cours d’eau que ce soit. Selon les lieux, et la nature de l’usage requis ou constaté, peuvent ainsi intervenir le Service de la Navigation, la Direction Départementale de l’Agriculture et de la Forêt – prochainement réunie à celle de l’Equipement – mais aussi la Direction Régionale de l’Industrie de la Recherche et de l’Environnement, la Direction Régionale de l’Environnement, elles aussi bientôt fusionnées, ou encore la Direction des Services Vétérinaires. Le droit de l’eau comprenant un volet particulier consacré à la pêche, d’autres acteurs ont aussi compétence pour veiller à son respect... C’est en raison de cette multiplicité que, dans chaque département, une mission Inter Services de l’Eau coordonne le tout. Mais l’amélioration de la qualité des rivières, évoquée ici ou là dans le présent ouvrage, n’est que la résultante de bien plus de forces conjuguées : celles des riverains, communes, entreprises industrielles, compagnies gestionnaires de l’eau, syndicats de rivière, associations, Département, Région, et enfin de l’Agence de l’Eau, moteur indispensable, mutualisant et redistribuant ressources et compétences. Pour qui ne les connaît pas, les rivières de Seine-et-Marne révèlent ici leur diversité, illustrée d’agréable façon par la photographie. Et si ce bel ouvrage ressemble fort à un hymne, il se révèle aussi, parfois, sans complaisance, moyen probable d’y faire foi. Michel Guillot, Préfet de Seine-et-Marne ≈ ≈ L’Aubetin à Saint-Augustin. III ≈ 6/08/08 17:41 Page V P ré face I-VIII:EAU Alors que la qualité de l’eau des rivières, l’équilibre de leurs écoulements, et leur rapport au paysage sont principalement affaire de riverains, de communes, ou de l’Etat, le Conseil général veille depuis fort longtemps au destin des cours d’eau de Seine-et-Marne. D’abord engagé dans la lutte contre les pollutions, puis dans l’aide à l’assainissement et au bon fonctionnement des ouvrages d’épuration, il fut parmi les premiers à contribuer à l’entretien des rivières. De la protection contre les inondations à l’étude des potentialités piscicoles, de la restauration des rivières et de leur patrimoine, aux équipements favorisant le tourisme fluvial, ou de la gestion des espaces naturels aux itinéraires de randonnée bordant les rivières, le Département agit quotidiennement, en maître d’ouvrage, en conseiller, et par le biais de multiples subventions ; c’est donc très légitimement, que l’an dernier, il a inscrit l’eau parmi les thèmes majeurs de son Agenda 21. Autour du Département, plusieurs de ses proches partenaires apportent aussi leur concours pour un mieux-être des rivières : Services d’Incendie et de Secours à la moindre alerte, Maison de l’environnement en pédagogie constante auprès des jeunes seine-et-marnais, Initiatives 77 par l’accompagnement de chantiers d’insertion, enfin AQUI’ Brie en veille et formation là où les cours d’eau gagnent la nappe souterraine. C’est aujourd’hui le Conseil d’Architecture, d’Urbanisme et de l’Environnement qui, par la forme originale de l’ouvrage signé avec les Presses du Village, enrichit à son tour ces multiples apports. Les rivières du plus vaste département d’Ile-de-France s’y racontent, mêlant passé et présent, facilitant leur compréhension, et les inscrivant aussi bien dans les paysages de Seine-et-Marne que dans le grand cycle de l’eau : anecdotes et pédagogie y flirtent, avec amusement et un rien de poésie. Le Conseil général se réjouit de la publication de « Rivières de Seine-et-Marne », dont les deux auteurs nous font partager leurs savoirs, si différents, dans une passion commune. Vincent Eblé, Président du Conseil général de Seine-et-Marne ≈ ≈ Péniche sur la Seine. V ≈ 6/08/08 17:41 Page VII P ré face I-VIII:EAU S’il fallait identifier, parmi les forces primordiales, celle qui a le plus façonné les paysages, nul doute que ce serait l’eau, formée en rivières innombrables. Après avoir contribué à la conception et à la réalisation de l’atlas des paysages du département, c’est vers elles que le Conseil d’Architecture, d’Urbanisme et de l’Environnement de Seine-et-Marne porte son regard. La rivière est lieu de convergence, par le réseau affluent tissé dans son bassin, et par ses franchissements, moments d’échanges, de mélanges, de conflits, et de créativité. Les rivières ont creusé les plateaux et laissé leurs méandres : chaque rive, tour à tour, est maîtresse ou soumise, et pour peu qu’entre elles émergent des îles, villages et villes y naissent et s’y étendent. Les plus modestes rus ont fait parcs et châteaux ; d’autres, recréés, deviennent trame urbaine. Et tandis que chaque année d’éphémères ruisseaux s’en reviennent, entre des terres qui se ressuient, les plus grandes rivières portent voiles et lourds bateaux. Par ces divers cours, l’eau se révèle fondatrice de paysages, initiatrice d’urbanisme, reflet d’architecture, révélatrice d’environnement. Dérivée, canalisée, retenue ou libérée, elle raconte l’histoire du temps, celui d’avant les hommes, puis des premiers humains et des siècles passés, jusqu’à notre quotidienne empreinte, en défi pour demain. Chaque rivière est une unique histoire, toute en nuances pour celle-ci, en contrastes pour celle-là. L’une s’auréole de passé, l’autre s’enivre d’avenir. Ici on sauvegarde, là on produit, ailleurs on construit ; ici ou là, là ou ailleurs, presque toujours, heureusement, se mélangent. Tout au long des cours d’eau, et aidé par ceux qui les connaissent, les gèrent ou les protègent, le CAUE partage, ici, ses réflexions. De chaque rivière alors, vient une pensée qui n’a de sens que mêlée à toutes les autres, comme le font, chaque jour, de multiples ruisseaux, donnant une rivière, puis une autre encore, jusqu’à devenir fleuve, pour nous dire de les regarder plus, afin de mieux nous voir. Dominique Satiat, Président du Conseil d’Architecture, d’Urbanisme et de l’Environnement de Seine-et-Marne ≈ ≈ Le Grand Morin à Pommeuse. VII ≈ 1-9:EAU 6/08/08 17:52 Page 1 Christian de Bartillat Les Presses du Village Michel Billecocq Conseil d’Architecture, d’Urbanisme et de l’Environnement de Seine-et-Marne Rivières de Seine-et-Marne 21/08/08 17:34 Page 5 A Gabriel P r é a mb u l e 1-9:EAU En ce mois de mars 2065, Igor venait d’avoir 15 ans ; dans un coin du grand écran devant lequel son professeur d’Histoire du Monde commentait les résultats du dernier contrôle, la sonde murale externe affichait déjà 29 degrés, alors qu’il n’était pas 11 heures. A l’intérieur il faisait bon, 26 degrés, valeur au-dessous de laquelle on ne cherchait plus à descendre, car même si le dispositif de rafraîchissement fonctionnait à l’énergie solaire, on évitait d’accentuer les écarts entre températures du dehors et de l’intérieur ; et cela depuis la grande crise, mondiale, de l’énergie. C’était son grand-père, Antonin, qui lui avait tout raconté, et Igor apprenait plus vite en l’écoutant que lorsqu’il était en classe. Pourtant, le I-Tout qu’il portait au poignet, lui permettait de tout savoir, de tout écouter ou filmer, de joindre n’importe qui à l’autre bout du monde, d’ouvrir la porte du logement familial ou de payer ses achats ; il pouvait aussi reconnaître sa voix pour la traduire en n’importe quelle langue, et même, comble du bonheur, enregistrer les cours à sa place… ce contre quoi luttaient toujours les professeurs, pour qui l’effort individuel restait la clef de l’apprentissage et de la compréhension future. Quand Antonin avait eu l’âge qu’Igor avait aujourd’hui, il avait connu les crises successives de l’économie mondiale engendrées par la raréfaction progressive du pétrole, la spéculation, et l’envolée de ses coûts : elles avaient accru le fossé existant entre les différentes parties de la planète et les diverses couches des sociétés, fossé que ce siècle n’avait, hélas, toujours pas réussi à combler. Au moins, le rapport entre transports collectifs et déplacements individuels s’en était-il trouvé considérablement modifié. La recherche, la production et la construction avaient, quant à elles, rapidement progressé, à la fois dans le champ des énergies nouvelles, et dans leur gestion, de plus en plus économe. ≈ Etangs de pêche à Episy. Quand ils en parlaient, Antonin montrait à Igor en quoi toutes les mesures prises n’avaient pas suffi, malheureusement, à enrayer les phénomènes de dérive climatique d’une part, et d’appauvrissement de la biodiversité de l’autre. Progressivement, et parmi de nombreuses autres conséquences, il avait bien fallu se rendre à l’évidence : le régime pluviométrique de l’Ile de France, par exemple, n’avait plus grand chose à voir avec celui des statistiques sur lesquelles s’étaient appuyés ingénieurs, géomètres, et autres bureaux d’études, pendant tout le XXe siècle et le début du suivant. Si l’on avait longtemps réussi à dire que dans le passé il y avait déjà eu un phénomène de même ampleur que celui que l’on venait de connaître, il était venu un jour où tous durent admettre que presque chaque année, désormais, il se produisait un événement à caractère exceptionnel, tantôt tempête, tantôt orage, inondation, ou encore sécheresse. En fait, c’était l’année moyenne qui avait disparu, comme la température de référence qui, comme on l’avait craint, mais trop tard, ne cessait de progresser. La répartition mondiale de l’eau douce, quant à elle, restait une préoccupation majeure, malgré le dessalement de l’eau de mer ; malgré aussi les immenses 5 ≈ 1-9:EAU 6/08/08 17:52 Page 6 aqueducs, parfois intercontinentaux, que l’on avait construits au milieu du XXIe siècle. Depuis cette même époque, une large part de la population humaine se redistribuait, non sans douleur, sur les terres émergées, à plus grande distance des océans dont le niveau montait inexorablement, de cyclones en tsunamis, tandis qu’aux pôles les glaces finissaient de fondre. Dans ce monde régi par les plus hautes technologies, et où la science avait repoussé, jour après jour, les limites du savoir, l’Eau était redevenue une sorte de déesse mère, toujours auréolée de mystères, malgré la simplicité de sa formule chimique – deux atomes d’hydrogène pour un d’oxygène – et des principes physiques auxquels elle avait toujours fidèlement répondu : passer par trois états, solide, liquide et gazeux, en l’espace de 100°C. Ce jour-là, pour illustrer ses propos, Antonin avait choisi de parler des rivières : il y avait de moins en moins de régularité dans leurs périodes de crue et, inversement, de plus en plus d’endroits où des inondations brutales se produisaient, y compris là où, de mémoire d’homme, on n’en avait jamais connues. D’où le besoin de prendre du recul par rapport à leurs rives, et de réserver des espaces, pour absorber ces sautes d’humeur ; la Seine dans la Bassée, l’Yerres, le Grand Morin ou encore plusieurs de leurs petits affluents avaient nécessité la délimitation et l’aménagement de ces prudentes réserves. On avait, malgré tout, gagné sur quelques plans : comme tous ceux de sa génération, Antonin avait suivi le retour des saumons, filmés alors qu’ils franchissaient les habiles ouvrages leur permettant de rejoindre ces ruisseaux où ils retrouvaient les gestes initiaux de la vie. Mais, malgré tous les progrès en la matière, le souci de la qualité de l’eau demeurait. Cela remontait à deux siècles plus tôt, quand Paris était venu chercher en Seine-et-Marne les sources qui l’alimenteraient : l’insidieuse pollution qui y avait été découverte, bien plus tard, s’était poursuivie longtemps après que l’on eut cessé d’employer certains herbicides aussi bien en agriculture, que sur les voies ferrées, au bord des routes, ou dans les jardins des particuliers. A tel point que le laboratoire départemental avait été intégralement reconverti à l’unique et constante surveillance des rivières, des rejets qui s’y produisaient, des nappes d’eau souterraine, et de toutes les zones humides. Ainsi, à chaque fois que d’obscurs chemins souterrains faisaient réapparaître l’eau, en source vive ou en vasque lentement débordante, il avait été jugé indispensable d’en repérer le lieu, et de l’analyser à un rythme soutenu ; car il fallait savoir si les pratiques de gestion de l’espace agricole ou forestier, industriel, privatif ou public n’hypothéquaient pas, encore, les chances de sauvegarde et de progression du vivant que l’eau, seule, pouvait continuer de générer. Tout en faisant défiler sur le panneau mural, ses photos, conservées, des rivières de Seine-et-Marne, Antonin montra à Igor que dans leur lit et sur leurs berges, on avait retrouvé de multiples traces et ouvrages témoignant du génie humain. Leurs cours eux-mêmes n’étaient que le résultat d’incessants travaux de correction, stabilisation, retenue ou dérivation, travaux dont certains avaient, 6 ≈ 6/08/08 17:52 Page 7 plus tard, été jugés malencontreux. A force d’observer certains cours d’eau, de plus en plus contraints et enserrés dans de maigres couloirs végétaux, on avait finalement décidé de les reconsidérer, dans leur globalité. Plus personne ne contestait que leur entretien, régulier et précis, soit devenu d’intérêt général. Qu’ils soient espaces de détente, corridors écologiques, cadre de vie recherché, ruisselets ayant créé des châteaux, émissaires drainant d’interminables villes et des champs immenses, ou encore longs chenaux de transport, canaux, rivières, fleuves et ruisseaux avaient enfin été « reconnus ». Cela avait commencé par le simple fait qu’à chaque fois qu’une route croisait l’un d’eux, on en voyait systématiquement le nom, même pour ces affluents qui restaient secs une grande partie de l’année. Il en était avec les rivières comme pour les hommes entre eux : on les respectait d’autant plus que l’on avait appris à les connaître. Des rivières trop longtemps cachées avaient été rendues à l’air libre ; des rus ignorés s’étaient révélés le jour où des élus, soucieux de paysage, en avaient écarté toute forme de publicité et nombre d’édifices utilitaires mais disgracieux. Au milieu des paysages de la Brie que certains avaient pu trouver monotones, on avait redécouvert les lignes arborées et les denses lisières soulignant à nouveau le parcours, permanent ou éphémère, de l’eau. Et dans toutes les écoles, il n’y eut plus de cours d’Histoire du Monde qui ne commençât par le passionnant cycle de l’eau, en partant à sa découverte dehors, car à lui seul il racontait toute l’histoire de la Terre, de la Vie, et de l’Homme. P r é a mb u l e 1-9:EAU En ce moment où Igor n’était déjà presque plus adolescent, le concept de développement durable faisait partie de ceux que l’on n’apprenait plus, car on le vivait au quotidien. On en était, de plus en plus, à se référer à un autre, venu d’un mot oublié, que l’on tentait de décliner à nouveau : l’Harmonie. Alors qu’ils en dissertaient, à propos de chacune des rivières de Seine-et-Marne, Antonin s’arrêta. Il entreprit de conter à Igor ce qui n’était plus qu’une vieille anecdote datant de la fin du siècle précédent : un jour, quelqu’un avait formulé la surprenante hypothèse de la mémoire de l’eau. Comme tant d’autres, à l’époque de cette annonce, ils en rirent tous deux, pendant un long moment. Mais, lorsqu’à nouveau Antonin reprit le cours, tour à tour calme ou bien rapide, des rivières, l’esprit d’Igor s’échappa ; il se demandait si l’eau qui s’écoulait, en cet instant précis, dans les rivières d’Ile-de-France, et d’ailleurs, n’en savait pas bien plus qu’eux deux sur toute l’Histoire du Monde… Dans les yeux d’Antonin, sans qu’aucun se le dise, il crut voir la réponse. M. B. ■ 7 ≈ 1-9:EAU 6/08/08 17:52 Page 8 La Marne et ses affluents 10 Ourcq 12 Les mésaventures de l’Ourcq ≈ Le canal de l’Ourcq en roue libre Dérivation et canalisation de l’eau : aqueduc parisien sur ordre impérial Thérouanne 26 La Thérouanne en terre de mémoire ≈ La Thérouanne introuvable Droit de l’eau et entretien des rivières : l’eau n’appartient à personne Beuvronne 36 Sous les ailes de Roissy : la Beuvronne ≈ Beuvronne et Biberonne à tous vents Pollution et dépollution de l’eau : les pêcheurs n’ont pas remplacé les castors Petit Morin 44 Trois Régions pour un Petit Morin ≈ Le Petit Morin, juvénile et frondeur Diversité écologique, des rivières aux vallées : au cœur de la biodiversité Grand Morin 54 Curieux ouvrages du Grand Morin ≈ Le Grand Morin des cités aquatiques Protection contre les inondations : vivre auprès de la rivière Aubetin 70 Les deux vies de l’Aubetin ≈ L’Aubetin, une rivière ancienne Agriculture, drainage et petites rivières : dessins de grandes cultures Gondoire 80 La Gondoire en parenthèse Devenir des eaux de pluie en ville : quand il pleut sur la ville Marne 88 La Marne en tournis incessants ≈ Entre le champagne et le petit vin blanc, la Marne et l’eau sacrée Gestion des grands cours d’eau : indispensables alliances L’Yerres et ses affluents Yerres Les mystères de l’Yerres ≈ L’Yerres ou le clavecin de la Brie Rivières et nappes souterraines : eau du dessus et du dessous 8 ≈ 110 112 6/08/08 17:52 Page 9 La Seine et ses affluents 140 Voulzie 142 S omm air e 1-9:EAU L’étrange destin de la Voulzie ≈ Le Durteint et la Voulzie se faufilent dans la ville basse de Provins Alimentation en eau potable : infernales molécules Auxence 154 Auxence d’en haut, Vieille Seine d’en bas ≈ La vallée de l’Auxence ou le grand virage dans le Montois Enjeux d’une vallée alluviale : secrets de Bassée, entre sable et peupliers Ancœur 164 L’Ancoeur : le roi en fit toute une histoire ≈ L’Almont et l’Ancœur ou deux bijoux dans un seul lit Sites classés et paysages : paysages à jardiner Orvanne et Lunain 176 Orvanne et Lunain, famille du bocage ≈ Le bocage aquatique des deux rivières Pêche, poissons, pêcheurs : petit poisson deviendra grand Loing 192 Le Loing, en lien de Seine et Loire ≈ Le Loing dédoublé Protection des bords d’eau : berges : l’enjeu essentiel Ecole 208 Quand l’Ecole descend de son perchoir ≈ L’Ecole mouille son lit au large de la forêt de Fontainebleau Richesse d’un Parc naturel régional : territoire recherche qualité Seine 218 Seine, fleuve magistral ≈ La Seine allongée et la Seine debout Navigation sur le fleuve : la voie de l’eau, d’hier à demain Carte des rivières de Seine-et-Marne 245 Références 247 Au début de chaque chapitre, le cours de la rivière est symbolisé avec les noms des communes qu’elle traverse. Toutes les communes ne pouvant être citées, on a le plus souvent fait figurer celles qui sont évoquées, ensuite, dans le texte. 9 ≈ 12-25Ourcq:EAU 8/08/08 14:04 Page 14 Les mésaventures de l’Ourcq L ’Ourcq a dû être une grande rivière ; la force de sa vallée, dans le paysage, en témoigne. Bien avant qu’il devienne canal des ducs, par le creusement de son propre cours, puis qu’il s’adjoigne le canal que nous lui connaissons aujourd’hui, il a dû forcer le passage, coincé contre la roche, pour parvenir jusqu’à la Marne. Entre ce qui deviendrait Lizy « sur Ourcq » et Mary « sur Marne », il a dû longtemps hésiter, comme la Marne elle-même, en cherchant son passage dans les graviers que celle-ci, sauvage et puissante, déplaçait : tantôt îlots, tantôt terre ferme, où plantes et arbres croissaient rapidement, s’étouffaient, s’écroulaient et les barraient, les contraignant à creuser de nouveaux cours à la prochaine saison de crues. De ces péripéties annuelles, il reste cette vaste étendue presque plane, de sables et de graviers, où Marne et Ourcq se réunissent, au pied de la corniche qui leur a résisté, laissant encore deux îles : de Mary, et de la Cornaille. Aujourd’hui discipliné, l’Ourcq serpente toujours, en contrebas de son canal. Ses marais, drainés de rigoles et fossés, sont ≈ Marais et peupleraie au bord de l’Ourcq à Ocquerre. 8/08/08 14:04 Page 15 L’Ourcq au fil de l’eau 12-25Ourcq:EAU ≈ Paysage de la vallée du ru de Chaton. devenus peupleraies, mais lorsqu’on les découvre, des hauteurs de la route, sinueuse, qui s’élève de Crouy-sur-Ourcq à May-en-Multien, on devine aisément ce long travail de l’eau, dissimulée, mais toujours présente, sous l’exubérante végétation qu’elle génère. L’Ourcq vient du département de l’Aisne, où il a pris naissance à plus de 50 km de son entrée en Seine-et-Marne : 40 km de cours naturel, une dizaine pour la rivière canalisée à partir de l’amont de La Ferté-Milon jusqu’à Mareuilsur-Ourcq – où le canal lui-même débute – et 4 km ensuite pour atteindre son principal affluent de rive gauche : le Clignon, qui sert de limite aux deux départements. L’Ourcq parcourt encore une vingtaine de km, avant de confluer avec la Marne. En rive droite, il ne recevra alors que la Gergogne à May-en-Multien, tandis qu’en rive gauche, le rejoignent le ru de la Croix Hélène à Crouy, le ru de Chaton à Ocquerre et celui de Méranne à Lizy. De 4 mètres de large à la confluence du Clignon, il en fait à peine le double en arrivant en Marne, où il sépare les territoires de Lizy et de Mary. L’importante forêt de Retz, dans la région de Villers-Cotterets, constituait autrefois l’une des sources d’approvisionnement en bois de Paris, comme le fut aussi, plus au sud la forêt de Crécy sur les rives du Grand Morin. Au milieu du 18e siècle, afin d’améliorer les transports par voie d’eau, Louis de Régemortes fut chargé, sur ordre du Duc d’Orléans, de l’aménagement de la rivière Ourcq ; d’anciens ouvrages, dont certains avaient été réalisés avant même cette époque, se devinent encore parfois, de nos jours, sur le cours de la rivière. Depuis la création du canal de l’Ourcq, la gestion de la rivière est devenue complexe, l’existence et le mode de fonctionnement de celui-là ayant conduit à 15 ≈ 12-25Ourcq:EAU 8/08/08 14:04 Page 16 prélever une grande partie du débit de la rivière et de ses affluents, pour l’alimenter. La canal étant devenu propriété de la Ville de Paris, c’est elle qui détient les « droits d’eau » sur la rivière Ourcq, et qui en dérive les quantités nécessaires au maintien du fil d’eau dans cet ouvrage. Dès lors, le niveau de la rivière varie, parfois brutalement, provoquant érosion puis envasement. En période d’étiage, à la fin des étés secs, le débit de l’Ourcq peut n’être que de 600 litres par seconde, ce qui est bien peu au regard du bassin versant qu’il draine avec ses affluents. En période de crue, lorsque, proportionnellement, la gestion du canal nécessite moins d’eau que d’habitude, l’Ourcq peut manifester des débits de 30 à 60 m3/s à Lizy-sur-Ourcq, soit cent fois plus qu’en étiage, y provoquant de conséquentes inondations. De son ancien caractère de rivière navigable, l’Ourcq a gardé un statut particulier, la domanialité, expression de sa propriété par la collectivité – et non plus les riverains – traduite par une contrainte imposée à ceux-ci : la servitude de marchepied, permettant son entretien. Pour mieux assurer celui-ci, une structure originale de gestion s’est créée en 1985 : le Syndicat intercommunal pour l’aména- ≈ Pavillon d’entrée du château de Gesvres-le-Duc. 16 ≈ 8/08/08 14:04 Page 17 L’Ourcq au fil de l’eau 12-25Ourcq:EAU ≈ La rivière Ourcq à Lizy-sur-Ourcq. gement et la gestion de la rivière d’Ourcq, constitué par la Ville de Paris, et 9 communes… appartenant à 3 départements : l’Aisne, l’Oise, et la Seine-etMarne. Dans le but de maîtriser les variations de débit de la rivière, le syndicat a automatisé la manœuvre de deux vannages, à Crouy et Lizy, et recruté un garderivière qui veille constamment au bon état du lit de l’Ourcq et de ses berges. Au plan piscicole, cette rivière est dite « de seconde catégorie » (cf p. 5253) ; la police de l’eau (cf p. 34-35) y est assurée par la Direction départementale de l’agriculture et de la forêt. Deux associations se partagent le droit de pêche sur le cours seine-et-marnais de l’Ourcq : l’Epinoche crouycienne et le Gardon rouge lizéen. La qualité des eaux de la rivière est assez satisfaisante, malgré un traitement parfois insuffisant des effluents domestiques ; elle est plutôt meilleure au niveau de la confluence avec la Marne qu’à son entrée en Seine-etMarne, l’importance des zones de marais, une faible population, et la rareté des entreprises industrielles en étant probablement la cause. A l’aval, les activités développées dans le secteur de Lizy et Mary, avec principalement l’imprimerie Québécor (anciennement Didier) font l’objet de traitements limitant leur impact sur le cours d’eau. Néanmoins, si l’on voulait redonner à l’Ourcq une plus grande richesse piscicole, quelques travaux dans le lit de la rivière, et la garantie d’un débit minimum, augmenteraient la productivité d’une rivière attrayante, qui se dissimule dans un paysage de qualité, franchi fièrement par un récent viaduc permettant aux trains à grande vitesse de rapprocher l’est de la France et la région capitale. M. B. ■ 17 ≈ 8/08/08 14:04 Page 19 Le Canal de l’Ourcq en roue libre L’Ourcq au fil du temp s 12-25Ourcq:EAU L e canal de 108 km qui se termine après le bassin de La Villette dans les prolongements souterrains de Saint-Martin et Saint-Denis est une œuvre d’art aquatique qui complète et transfigure le réseau naturel. Il s’agit d’un jardin glissant côtoyé par ses chemins de halage et d’une rangée d’arbres assurant le gardiennage de l’ombre. Sa pente qui est constante paraît si limpide qu’on penserait à une eau immobile avec des mouvements légers jusqu’au moment où le réseau se plisse au gré du vent. Le canal peut être séparé en fragments autonomes. Le fleuve canalisé va de Port-aux-Perches jusqu’à Mary-sur-Marne où l’Ourcq plus ou moins délivré se jette dans la Marne sous le regard du canal qui les surplombe de haut. Le canal suit à peu près fidèlement les méandres de la Marne jusqu’à Fresnes. Désormais divorcé, il s’élance d’un seul jet avant de réaliser son entrée triomphale dans le bassin de la Villette couronné par la Rotonde de Ledoux sur laquelle il bute pour traverser la rivière souterraine qui s’en va en direction de la Seine. Ce canal – notamment sa partie supérieure – a une très longue histoire d’au ≈ Usine élévatoire de Villersles-Rigault. 19 ≈ 12-25Ourcq:EAU 8/08/08 14:04 Page 20 moins quatre siècles. Elle débute avec François Ier et se poursuit avec la famille d’Orléans propriétaire de la forêt de Retz qui avait intérêt à faire descendre ses bois coupés vers Paris. Au XVIe siècle, il s’agit de faire naviguer les bateaux sur l’Ourcq. Un travail vite interrompu débute en 1529 puis Catherine de Médicis relance le projet et en 1562, le premier navire arrive dans Paris en liesse. Le canal des Ducs, autonome, est engagé par Riquet pour Louis XIV à l’est de Meaux et par Louis de Régemortes au XVIIIe. Puis tout s’arrête jusqu’à Bonaparte qui fait réaliser le bassin d’arrivée et, dès 1822, souvent grâce à la main d’œuvre prussienne, le premier navire venant de La Ferté-Milon arrive au bassin chargé de la circulation commerciale et de l’alimentation en eau de la capitale. Bien sûr, une guerre larvée demeurera entre les transporteurs qui veulent faire marcher l’eau et les meuniers qui veulent la retenir. Après la cinquantaine de kilomètres de la rivière depuis sa source à Courmont, on atteint le réseau canalisé à Port-aux-Perches jusqu’à Mareuil. Puis c’est la traversée émerveillée de La Ferté-Milon où apparaît comme un fantôme la forteresse branlante du XIVe siècle dominant l’église à mi-pente et la maison d’enfance de Racine ainsi que celle de la belle-famille de La Fontaine. En aval, des frondaisons étendues cachent une écluse, l’église et le château du grand Veneur. Plus loin, un bassin circulaire devient déversoir de la rivière à Mareuil. Désormais, pendant que l’Ourcq divague dans les forêts et les marécages, nous nous trouvons dans le canal impérial où à Neufchelles le pont suspendu qui porte le Clignon trace la frontière du département. Car le canal vorace a tôt fait d’avaler une partie de ses affluents mercenaires. A Crouy-sur-Ourcq se trouve le donjon de cinq étages. Il faut monter jusqu’à May pour regarder la grande vallée marécageuse où flirtent le canal et l’Ourcq. En plein centre des Marais, 20 ≈ ≈ Pompes de l’usine élévatoire de Trilbardou. 8/08/08 14:04 Page 21 L’Ourcq au fil du temp s 12-25Ourcq:EAU ≈ Affiche des bâteaux-poste. au croisement de deux avenues, un superbe pavillon solitaire se reflétait dans les douves alimentées par l’Ourcq jusqu’en 1732. C’est à ce moment que le duc de Gesvres fit appel à l’hydraulicien Drancy qui eut l’idée de capter la Gergogne et de la faire passer par-dessus le canal pour emplir les fossés… Ce château de la Belle aux bois dormant qui possédait une superbe galerie de peintures demeura la maison de plaisance de cette famille. Ne fut-elle pas par son argent et ses extravagances une des principales à la Cour pendant trois siècles ? Puis le canal aborde Lizy-sur-Ourcq après Ocquerre où se trouve en aval du pont l’emplacement de l’entreprise Bourgeois spécialisée jadis dans la fabrication des flûtes de l’Ourcq. Le bateau poste à voyageurs, particulièrement filiforme (22 m 70 de longueur et 2 m de large), a circulé de Paris à Meaux de 1837 à 1860, tiré par des chevaux rapides, arborant au mat une flamme rouge, et annoncé par un cor de chasse. Ce salon flottant, pendant son passage, évinçait ≈ Écluse de Vignely. 21 ≈ 12-25Ourcq:EAU 8/08/08 14:04 Page 22 ≈ Usine élévatoire de Trilbardou. tout autre navigation. Il fallait toujours un homme pour la conduite du cheval et un autre au gouvernail. En plus des voyageurs, il y avait toujours au XIXe siècle le flottage du bois, et le transport de la pierre et du plâtre. A partir du XXe siècle le canal travailleur fut remplacé par le chemin de fer. L’instrument de transport outre le bateau de plaisance devint celui de la promenade à vélo pour aller plus vite que l’eau, à pied pour se trouver en retrait, ou la pêche et la demi-somnolence qui nous mène à la rêverie au bord de la poésie qui coule. Lizy fut au XVIe siècle une cité protestante. Les familles du Broullat et d’Angenne firent établir le prêche dans le château du XVIe dont le beau parc est étalé sur une île où les bras de l’Ourcq se multiplient avant d’atteindre la confluence à Mary qui autrefois construisait des bateaux. La comtesse d’Harville – héritière de la Trousse – y fit construire une belle demeure de style colonial. Elle fut enterrée en 1821, au cimetière de Mary où se trouvent désormais d’innombrables mausolées des gens du voyage. Tout à côté, Mary est le site confluent où la Marne absorbe l’Ourcq. A Villersles-Rigault se trouve une usine élévatrice qui aspire l’eau de la Marne pour la porter 12 mètres plus haut. Dans ce lieu, construit par Louis Dominique Girard, on n’a jamais pu réaliser un élévateur qui permettrait aux navires de passer de l’Ourcq à la Marne et viceversa ce qui éviterait cent kilomètres de détour. A Congis le canal pompe une partie de la Thérouanne et s’étend sur de vastes espaces d’eau. Puis le canal suit les circonvolutions de la Marne à Varreddes ressemblant à un jardin flottant. A Beauval se trouvait un transbordeur et un parc d’aérostation de dirigeables. 22 ≈ ≈ Détente et pêche au bord du canal à Trilbardou. 8/08/08 14:04 Page 23 A Crégy et à Meaux, le canal est enfoui dans la verdure. Vignely est dans l’angle de la Marne et du canal : on y voit une écluse avec un moulin et une ancienne écurie pour les chevaux des bateaux de poste. Quant à Trilbardou, c’est un site essentiel du canal avant que celui-ci ne se dissocie de la Marne à partir de Fresnes. C’est là que se trouve aux pieds d’un château néo-Renaissance la station de pompage de l’ingénieur Sagebien à laquelle est associé un récent musée du canal de l’Ourcq. A Charmentray, les jardins descendent jusqu’à la berge. Précy occupe une presqu’île. A Fresnes, non loin de la belle église, s’élevait le château de Guénégaud dont la chapelle, qui était une sœur du Val de Grâce, a été rasée en 1820. La ville de Claye se plait au bord de son canal étendu bordé de jardins d’agréments. A Gressy, la Beuvronne sort de la propriété du savant Macquer à la grande pièce d’eau et la rivière va donner une partie de son flot au canal, l’autre s’en allant en direction de Claye. L’Ourcq au fil du temp s 12-25Ourcq:EAU ≈ À Congis-sur-Thérouanne, l’arrivée de la Thérouanne dans le canal de l’Ourcq. Enfin à Villeparisis où l’on va quitter la Seine-et-Marne, on garde le souvenir de Balzac et de Laure de Berny dont la maison a été détruite. Continuant à descendre en droite ligne il faut visiter le parc forestier de la Poudrerie, centre d’arboriculture, mystère des ateliers disparus et la tranchée de Sevran, oasis linéaire d’où l’on ne devine absolument pas l’environnement urbain contigu. Le canal de l’Ourcq est sans aucun doute une des merveilles de Seine-etMarne et un véritable centre de loisirs. Cette œuvre qui se situe du côté de l’art et de la méditation a été évacuée de son trafic au profit des chemins de fer et camionnages. Qu’on lui laisse la paix et qu’on préserve sa beauté naturelle. Tout doit être réalisé pour en multiplier la paisible attraction. C. de B. ■ 23 ≈ 12-25Ourcq:EAU 8/08/08 14:04 Page 24 Aqueduc parisien sur ordre impérial vez-vous déjà vu l’eau d’un canal couler ? aux écluses, certainement, mais ailleurs ? et bien, si vous croisez, ou longez le canal de l’Ourcq, vous le verrez couler, comme une rivière, et parfois même plus vite que nombre d’entre elles, comme à Vernelle, ou Marnoue-la-Poterie. Et juste à côté, au fond du vallon, l’Ourcq, la rivière, coule elle aussi, mais affaiblie de l’eau qu’elle a laissée à son canal. Celui-ci est un dévoreur de cours d’eau ; tout ce qui lui vient d’une rive plus haute que lui semble n’avoir qu’un seul but : satisfaire cette boulimique fausse rivière qui s’alimente sans cesse pour avoir assez d’eau lors de son arrivée dans Paris : le Clignon, la Thérouanne, la Beuvronne, et d’autres en font les frais, qui achèvent ensuite, modestement, leur parcours, vers l’Ourcq ou bien la Marne. Le canal, lui, laisse la rivière se fondre dans la Marne, feint de l’ignorer, et continue sans elle ; après les méandres de l’Ourcq, fidèlement copiés, il s’approche de ceux de la Marne, et les fait siens à leur tour : s’accrochant au coteau de Varreddes, enserrant Meaux, il ne manque aucun virage. C’est en 1825 qu’il fut mis en service ; on le qualifia d’impérial, car Napoléon lui avait fixé pour objectif d’alimenter Paris A ≈ Ci-contre, Meaux, écluse St Lazare. ≈ Page de droite, Congis, le pont levant, et une surverse du canal vers la Marne. 24 ≈ en eau potable, en plus d’assurer le transport du bois et du blé vers la capitale. A l’époque, l’eau courante étant réputée potable, contrairement aux eaux dormantes, il fallait une pente à ce canal, qui fut créé à partir de Mareuil-sur-Ourcq, par creusement d’une dérivation de la rivière anciennement aménagée, ou « canal des ducs », dont il empruntait, et emprunte toujours, l’essentiel de l’eau. Dans le département voisin, c’est la Ginette, affluent de rive droite, qui cède ses eaux au nouveau canal ; puis, en rive gauche, le Clignon, qui tout en séparant les départements de l’Aisne de la Seine-et-Marne, est à son tour en grande partie dévié dans un petit ouvrage qui enjambe la rivière Ourcq, pour se déverser dans le nouveau canal… C’est plus des trois quarts du débit reçu par l’Ourcq et ses affluents, entre Mareuil et sa confluence en Marne, que le nouveau, l’Impérial, est en droit d’absorber, pour effectuer un périple d’une centaine de kilomètres, dont plus de 70 rien qu’en Seine-et-Marne. Deux passionnantes usines élévatoires, situées à Villers les Rigault sur la commune de Congis-sur-Thérouanne, et à Trilbardou, furent même créées pour lui apporter, en période de sécheresse, de l’eau de la Marne. 8/08/08 14:04 Page 25 D’une largeur moyenne de onze mètres, pour 1 mètre et demi de profondeur, le canal de l’Ourcq compense les 12 mètres de différence d’altitude entre son entrée et sa sortie seine-et-marnaises par le jeu de cinq écluses, situées à Varreddes, Meaux, Villenoy, Vignely et Fresnes-sur-Marne. On y naviguait encore au siècle dernier, sur des embarcations en bois adaptées à ses dimensions : les flûtes de l’Ourcq (28m de long et 3 de large) d’abord halées depuis la berge et guidées à la perche, puis métallisées et motorisées, comme le sont les quelques automoteurs de l’Ourcq que conserve la Ville de Paris pour entretenir le canal. Le plus souvent bordé d’arbres d’alignement, le canal de l’Ourcq continue d’apporter quotidiennement 200 000 m3 d’eau à Paris, afin d’y maintenir les plans d’eau des canaux parisiens. Ne servant plus à l’alimentation en eau potable, mais au lavage des voiries, il est le support de deux activités : la pêche, exercée, en Seineet-Marne, par environ 7 000 pêcheurs, regroupés en 11 associations, et la navigation de plaisance. Il faut cependant du temps pour le parcourir, comme en témoignent les panneaux d’information qui le bordent : pour arriver à Claye-Souilly depuis le parc de la Villette à Paris, il vous faudra 5 heures – distance : 25 km – et de Claye-Souilly au Portaux-Perches, point d’origine de la rivière canalisée à la Ferté-Milon, dans l’Aisne, comptez encore 15 heures pour le suivre sur près de 80 km. Sachant qu’à cet endroit, on ne peut que faire demi-tour, un projet d’ascenseur à bateaux est évoqué depuis plusieurs années, qui permettrait, là où le canal et la Marne se trouvent côte à côte, à Congis-sur-Thérouanne, de passer du canal à la Marne, ou l’inverse, en autorisant ainsi un parcours en boucle depuis Paris, ce qui augmenterait certainement le taux de fréquentation de ce paisible canal. La qualité de son eau, quant à elle, résulte directement de celle de ses diverses sources d’alimentation : que l’Ourcq, à l‘amont, ou la Beuvronne, à l’aval, subissent des pollutions, et celles-ci se répercutent dans le canal. Généralement de qualité plutôt satisfaisante, régulièrement faucardé afin d’empêcher un développement excessif de la végétation aquatique, il est classé en seconde catégorie piscicole, comme la rivière elle-même. A certains endroits, le canal tourne tellement qu’il finit par surprendre : on le quitte, le redécouvre : on croit qu’il coule à gauche, et c’est à droite qu’il va… Puis d’un coup, à Fresnes-sur-Marne, c’est de celle-ci qu’il se sépare, pour ne plus la retrouver. Encore quelques vagues boucles pour contourner les collines boisées de l’Aulnoye, et le voilà qui se met à filer, presque droit, enfin, comme le feraient tous les canaux. Il a choisi la plaine de France pour entrer dans Paris, effleurer la Villette, donner le canal Saint-Denis, devenir Saint-Martin et, se cachant sous la Bastille, finir en Arsenal, juste à l’amont de ces îles qui, elles, ont fait Paris. M. B. ■ L’Ourcq Incidences 12-25Ourcq:EAU 25 ≈ 26-35The?roua:EAU 7/08/08 9:57 Page 28 La Thérouanne en terre de mémoire La Thérouanne ne fait rien comme les autres rivières de Seine-et-Marne : partant du nord-ouest du département, elle s’en va vers le sud-est, alors que les autres cours d’eau convergent, en général, vers Paris. Elle doit cette orientation aux collines de la Goële qui, du nord de Meaux, s’élèvent à Penchard, puis à Monthyon, se couvrent de bois à Montgé, et donnent la butte de Dammartin, dernier relief que survolent les avions venant de la plupart des pays d’Europe avant de s’abaisser dans l’axe des pistes de l’aéroport de Roissy. Ainsi empêchée de rejoindre la Marne par un chemin plus court, elle coule jusqu’à ne plus rencontrer un tel obstacle, pour la retrouver quelques kilomètres seulement après la confluence de l’Ourcq. Rivière modeste, qui ne dépasse pas 25 km de longueur, elle est totalement seine-et-marnaise. Entre les sources de Gouesche à Saint-Pathus, et sa confluence à Congis-sur-Thérouanne, elle accueille le ru de Vaux venant des collines de Goële, longe l’étang de Rougemont après Oissery, se divise, fréquemment, en petits bras, reçoit le ru d’Avernes qui, avec ses propres affluents, sort du massif de Montgé et draine Saint-Soupplets, puis celui de Brégy venant du département de l’Oise et celui du Bois Colot, au sud, pour finir avec les ruisseaux des Elouats et de Beauval, qui coulent de part et d’autre de la butte de Trocy-en-Multien. Les terres du plateau où serpente la Thérouanne sont faites de riches limons portant blé, maïs, betterave et colza ; elles sentent la Picardie, et au-delà, le nord: on a pavé des entrées de champs, la brique apparaît dans les vestiges d’une distillerie ; 28 ≈ ≈ Paysage de la Thérouanne. 9:57 Page 29 ≈ Monument Hildevert à Forfry. les paysages s’exposent au vent, les haies sont rares, et les fermes grandes et peu nombreuses. Mais pour les attentifs, cette terre riche et laborieuse se révèle terre de mémoire : croix, monuments, drapeaux dans les cimetières, et parfois, encore, impacts de tirs sur les murs, obligent au souvenir de ceux qui y ont défendu la patrie. Dans ces horizons longs, c’est la petite vallée de la Thérouanne et les vallons de ses affluents qui attirent le regard. Les routes y plongent de temps à autre, passant marais, prairies, peupleraies ou anciennes cressonnières. Elles ne convergent vraiment qu’à Etrépilly qui, avec Oissery à l’amont, et Congis à l’aval, sont les seuls bourgs à s’être construits autour de la rivière, les autres se nichant sur le plateau, ou se perchant sur ses rebords, chacun près de son ru, ou, au moins, de sa fontaine. Le cours de la Thérouanne aurait pu être tranquille ; c’était compter sans l’intérêt qui lui a été porté lors de la construction du canal de l’Ourcq (l’impérial…). Elle est ainsi deux fois moins large et profonde à sa confluence (1,5 mètre et 30 centimètres), qu’au milieu de son cours. La cause s’en trouve au Gué-à-Tresmes, juste avant Congis, où un petit canal lui prélève une grande part de son eau, s’écarte de son cours, et rejoint le canal de l’Ourcq. Un peu plus loin, la rivière passe sous celui-ci, traverse discrètement Congis et, à la Gueule du Ru, se raccorde au petit bras de Marne qui contourne l’île d’Ancre. Des 17 000 habitants de son bassin versant, les trois quarts se trouvent à l’amont, là où l’on est le plus près de Paris, de l’aéroport, et des grandes carrières de gypse qui, à Saint-Soupplets, donnent le plâtre. Une zone industrielle ici, des serres à Oissery, la moderne usine de traitement des déchets ménagers de toute la partie nord de la Seine-et-Marne, à Monthyon, quelques autres carrières plus modestes et de rares élevages constituent, avec, comme partout, commerce et artisanat, l’essentiel des activités de cette petite région. Avant le prélèvement de son eau au Gué-à-Tresmes, le débit de la Thérouanne est, en moyenne, de 600 litres par seconde, mais lors d’une crue exceptionnelle, c’était le 10 juillet 2000, il s’éleva à 11 m3/s. Sa qualité est plutôt moyenne, car dès l’amont elle subit de nombreux rejets, trop conséquents au regard de ses modestes dimensions ; elle s’améliore vers l’aval avec néanmoins des teneurs toujours élevées d’azote et de phosphore qui y exagèrent le développement d’algues, et réduisent ses potentialités piscicoles ; d’ailleurs une seule association y exerce la La Thérouan n e 7/08/08 au fil de l’eau 26-35The?roua:EAU 29 ≈ 26-35The?roua:EAU 7/08/08 9:57 Page 30 pêche, principalement dans son cours aval. L’étang de Rougemont est classé parmi les zones naturelles d’intérêt écologique, floristique ou faunistique (ZNIEFF cf. p. 52) en raison notamment de sa flore spécifique des milieux humides. Sur les sept moulins recensés en 1851, deux sont parvenus jusqu’à nos jours, à Etrépilly et au Gué-à-Tresmes. La Thérouanne est menacée : à l’ouest, où elle débute, les villes se développent sous l’attraction de l’agglomération parisienne toute proche. La ruralité du reste de son cours ne suffit pas pour annuler l’impact des eaux qu’elle recueille à l’amont : réguler le débit des apports d’eau qu’elle reçoit par temps de pluie, mais aussi améliorer la qualité de toutes les eaux que l’on y rejette, directement, ou par le biais de ses affluents, devraient devenir des priorités reconnues collectivement, à l’échelle de son bassin versant. Elle nous le rendrait bien, au détour de promenades qui, pour beaucoup, restent à inventer. ≈ Le château de Fontaine-les-Nonnes. Launette, la petite voisine du nord Au moment de quitter la Thérouanne, il nous faut faire une modeste entorse à la logique des bassins versants (Marne d’abord, Yerres puis Seine), car sinon, nous omettrions de citer un cours d’eau, très discret dans notre département, mais ≈ Ancien moulin à Etrépilly. 30 ≈ 7/08/08 9:57 Page 31 La Thérouan n e au fil de l’eau 26-35The?roua:EAU ≈ Bords de la Thérouanne à Etrepilly. ≈ Pont sur la Thérouanne à Oissery. qui reçoit les eaux de villes qui ont, elles aussi, brutalement grandi depuis que des avions se posent à Roissy. Il s’agit de la Launette qui fait partie du bassin de l’Oise ; et cette petite exception géographique est due aux collines de Goële, que domine Dammartin. Une butte ayant toujours plusieurs côtés il fallait bien que des ruisseaux se dirigent vers le nord, et regardent le département voisin : à la suite de sa source située à Marchémoret, ce sont les eaux issues de Rouvres, d’Othis, la ville construite au milieu des champs, et d’une partie de Dammartin, qui alimentent la Launette, par petits rus interposés. Après avoir quitté le département, la Launette passe par Ermenonville et l’abbaye de Chaalis, puis elle rejoint la Nonette qui borde Senlis et coule fièrement, plus large qu’un canal, au parc de Chantilly, avant de se jeter dans l’Oise. A ConflansSainte-Honorine, et comme l’avaient fait, avant Paris, toutes les autres rivières de Seine-et-Marne, Launette, Nonette et Oise, à leur tour donnent la Seine. M. B. ■ 31 ≈ 26-35The?roua:EAU 21/08/08 17:35 Page 32 La Thérouanne introuvable J ’ai pour la Thérouanne une affection toute particulière. Elle coule joliment au fond de mon jardin. Ailleurs elle est bien difficile à suivre, elle s’éloigne à la limite des champs, inaccessible lorsqu’on cherche à se rapprocher ou surgit de part et d’autre d’un pont nous laissant stupéfait. Ses méandres nous confisquent une grande partie de sa vue. Les sources sont à Saint-Pathus où la rivière est encore un ru, les autres lui donnent au fur et à mesure de plus en plus de consistance. Cette rivière a plus de vingt kilomètres, elle a deux sœurs, la Gergogne et la Grivette dans l’Oise, qui coulent dans le même sens et se jettent dans l’Ourcq. A Oissery se trouve le tombeau des Barres, un vaillant chevalier du Moyen Age dont le château était voisin. Il fut enterré entre ses deux femmes. On y cultive fleurs et arbres en quantité. Puis la rivière se repose dans l’étang de Rougemont et musarde jusqu’aux ruines romantiques de Forfry qui se disloquent de plus en plus dans le fracas du temps. A la Ramée demeure, près du 32 ≈ ≈ Les ruines de Forfry. 7/08/08 ≈ Notre-Dame-de-la-Marne. 9:57 Page 33 pont, un moulin rénové avant que la rivière ne croise la jolie demeure de la Marre habitée pendant la Révolution par le marquis de Boissy, puis le château de Fontaine-les-Nonnes qui conserve un beau porche et fut pendant des siècles le domaine des religieuses aux vêtements blancs, guimpes plissées et capuches noires. Elles représentaient les plus grandes familles de la région. Le monastère éminent a traversé non sans mal la guerre de Cent ans et les batailles de la Réforme. Les religieuses furent évincées à la Révolution laissant la famille Aubry Vitet proche des princes. Etrepilly, fille de l’évêché et haut lieu de la bataille de la Marne, au vaste cimetière militaire, possède une place où voisinent l’église au clocher du XVIe siècle, la ferme de l’Evêque, la maison de maître où habita le seigneur de Longvilliers, gouverneur de la Martinique qui laisse aujourd’hui la place aux Presses du Village, après avoir été la demeure du célèbre serrurier Fichet qui inventa le coffre-fort. On arrive bientôt à Congis où le château du comte de la Myre Mory est devenu lycée technique. Dans le cimetière voisin, onze jeunes de Choisy furent fusillés et enterrés par les Allemands. Un peu plus loin la Thérouanne se laisse boire en partie par le canal assoiffé avant d’aller se jeter dans la Marne. C. de B. ■ La Thérouan ne au fil du temp s 26-35The?roua:EAU ≈ Le cimetière de Chambry. 33 ≈ L’eau n’appartient à personne C ≈ Page de droite, Ru des Avernes à Forfry. ≈ Exemple de la constitution d’embâcles au pied d’un pont. 34 ≈ omme presque toutes les rivières, la Thérouanne est un cours d’eau « non domanial », ce qui signifie que ses berges, et le lit (le fond) de la rivière font partie des propriétés riveraines ; seule l’eau qui s’y écoule est le bien de tous. Ce sont donc les riverains qui, en leur qualité de propriétaires, ont la charge de l’entretien des berges. A l’inverse, et c’est alors plutôt le cas des fleuves, ou de larges rivières, les cours d’eau « domaniaux » relèvent de la gestion de l’Etat ; celui-ci peut être propriétaire, ou non, des berges, mais en tout cas c’est lui qui en assure la gestion et l’entretien ; presque toujours c’est au niveau d’ouvrages tels que les écluses que l’Etat possède les berges, et donc le lit, de ces rivières. Ailleurs, là où l’Etat n’est pas propriétaire, les propriétés riveraines sont frappées de servitude (de marchepied, ou de halage sur la rive où, autrefois, des chevaux tiraient les convois flottants). Un cours d’eau est domanial généralement parce qu’il est navigable, et c’est cette capacité à supporter la navigation qui a justifié, en son temps, les investissements réalisés par l’Etat, longtemps au travers du Service de la Navigation, et depuis 1991 par un Etablissement public : Voies Navigables de France. Lorsque les cours d’eau faisaient, activement, tourner les roues des moulins, une bonne gestion, tout au long de la rivière, était indispensable pour satisfaire l’intérêt collectif : dérivations, bras d’amenée et de décharge, et cours d’eau eux-mêmes étaient entretenus afin d’éviter le colmatage des ouvrages, ou des débordements nocifs. L’abandon progressif des moulins, avec l’émergence de machines à vapeur alimentées au charbon, puis de l’électricité, ainsi que de nouveaux moyens de transport s’affranchissant des cours d’eau, ont rapidement provoqué le désintérêt vis à vis de ceux-ci. La végétation des rives reprit rapidement son exubérance, et d’année en année, branches puis arbres tombèrent à l’eau, constituant des embâcles (accumulation de bois mort, obstruant les cours d’eau) à l’origine de nouveaux débordements, d’érosion de berges, et de déstabilisation des constructions. Afin de se substituer aux riverains qui, dans leur très grande majorité, ne s’intéressaient plus à la rivière ou ne savaient plus comment en entretenir les berges, presque partout les communes se sont groupées en syndicats, d’aménagement, puis d’entretien de rivière. En Seine-et-Marne, ce mouvement s’est surtout manifesté à partir de 1960, et accéléré à la suite des grandes crues des années 1980. Le Syndicat Intercommunal d’Aménagement de la Thérouanne s’est constitué en 1968, à partir des 8 communes sur le territoire desquelles elle coulait ; il s’est élargi plus tard aux 14 communes dont tout ou partie du territoire faisait partie de son bassin versant (ensemble des terres où l’eau de pluie, en ruisselant, s’écoule vers la même rivière). Les divers syndicats qui se sont constitués comme celui de la Thérouanne, étaient assistés par la Direction départementale de l’agriculture ou celle de l’équipement, afin d’entreprendre des travaux, souvent lourds, de restauration du lit des rivières, de certains barrages, des berges… Par la suite, ils ont engagé des programmes d’entretien, élaborés, et suivis, par l’Equipe départementale d’assistance technique à l’entretien des rivières 7/08/08 9:57 Page 35 créée par le Conseil général, avec un financement de l’Agence de l’Eau Seine-Normandie. Ces travaux d’entretien régulier, répartis sur 4 ou 5 années pour couvrir l’ensemble du cours de la rivière, voire de ses affluents, sont subventionnés par le Département et l’Agence de l’Eau, ou, dans le cas du bassin versant de la Marne, par l’Entente interdépartementale pour l’aménagement de la rivière Marne et de ses affluents (cf p. 108). Un seul syndicat, dans le sud du département, fait participer financièrement les riverains à ces travaux d’entretien ; partout ailleurs, c’est la contribution des communes qui composent le syndicat, généralement en fonction du poids de leur population et de la longueur de berges sur leur territoire, qui constitue le budget de celui-ci. Les travaux d’entretien consistent d’une part à enlever les embâcles et à curer ponctuellement les zones les plus envasées, et d’autre part à éliminer les arbres morts ainsi que les branches basses qui peuvent faire obstacle à l’écoulement des eaux en période de crue. En zone de culture, c’est plus souvent un débroussaillage qui est effectué. On tente néanmoins d’essayer d’obtenir des riverains qu’ils admettent de laisser repousser des arbustes et des arbres en haut de la berge : cela permet de tenir celle-ci, surtout lorsque les ragondins, qui se sont multipliés à outrance, y creusent trop de terriers. Cela permet d’ombrager la rivière, de constituer des abris pour les poissons d’un côté, mais aussi pour les oiseaux de l’autre, et enfin de marquer à nouveau le passage des cours d’eau dans le paysage. La réglementation sur l’eau est l’une des plus complexes ; sur chaque cours d’eau, même le plus modeste, il y a des droits et des obligations, des autorisations à obtenir (prélèvement, rejet) ou des interdictions, que deux types d’agents sont susceptibles d’instruire ou de rappeler aux collectivités, entreprises, ou personnes concernées. La police de l’eau, la plus générale, et la police plus spécifique de la pêche, sont exercées par des agents de l’Etat : ceux La Thérouan ne Incidences 26-35The?roua:EAU de la Direction Départementale de l’Agriculture et de la Forêt (en cours de regroupement avec celle de l’Equipement) ou ceux du Service de la Navigation, ces derniers intervenant uniquement sur les cours d’eau domaniaux : Seine, Marne, Yonne. Des gardepêches assermentés, et des agents de l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques peuvent eux aussi intervenir, et dresser procès-verbal en cas d’infraction à l’une de ces polices, tout comme les représentants de la Police ou de la Gendarmerie. Dans le cas de la Thérouanne, police de l’eau et police de la pêche sont donc exercées par la Direction départementale de l’agriculture et de la forêt, comme dans tous les autres cours d’eau secondaires de Seine-et-Marne. Enfin, pour pouvoir assurer l’entretien régulier de ces cours d’eau, il a fallu instaurer des servitudes de passage, au moins sur l’une de leurs rives, afin de garantir le passage des personnes et des matériels nécessaires à celui-ci ; les rivières du département en disposent depuis de nombreuses années. Ce qui fait qu’en fin de compte, pour préserver une eau qui n’appartient à personne, la gestion des rivières est plus complexe qu’il n’y paraît ! M. B. ■ 35 ≈ 36-43Beuvr:EAU 7/08/08 10:02 Page 38 Sous les ailes de Roissy : la Beuvronne L a petite Beuvronne a fort à faire, elle qui, avec la Biberonne, marque (mais jusqu’à quand ?) la fin de l’agglomération capitale, à son nord-est, là où les pistes de Roissy s’avancent sur les riches terres de la plaine de France. Ici, blé, betterave, colza, mais aussi pomme de terre résistent aux immenses chantiers de l’aéroport, de ses nouveaux accès routiers, des zones d’activités et commerciales, ou des nouvelles habitations. Du nord au sud, les villages, même agrandis, restent serrés autour de leurs clochers, se succédant le long des deux petites rivières, que survolent sans cesse bon nombre des cinquante millions de passagers qui, chaque année, partent, arrivent, ou transitent ici. Eux ne les devinent qu’à peine ; tout au plus voient-ils la mosaïque des champs de céréales faite de bruns, de verts, et de jaunes – question de saison – et peut-être cette barre boisée de la Goële, qui, plus à l’est encore, arrête un peu le paysage. La Beuvronne, dont la source est à Vinantes, la Biberonne, qui vient de Moussyle-Neuf, et tous leurs affluents – avant le passage du canal de l’Ourcq, à Gressy – naissent de ces collines boisées qui, sur d’autres côtés, ont donné Thérouanne et Launette : les rus du Pré de Vilaine, et de Thieux pour la Biberonne ; les rus du Rossignol et de l’Abîme pour la Beuvronne. Après le canal, les affluents coulent de l’ouest : la Reneuse, qui, avec son propre affluent, le ru des Cerceaux, vient des villes (Villeparisis pour elle, ≈ La Beuvronne à Gressy. 38 ≈ 7/08/08 10:02 Page 39 La Beuvronn e au fil de l’eau 36-43Beuvr:EAU ≈ A Vinantes, source de la Beuvronne. Mitry-Mory pour lui), se heurte au canal de l’Ourcq, le longe et, comme le ru des Grues qui a suivi le canal, mais de l’autre côté, rejoint la Beuvronne au moment où celle-ci vient de glisser sous le canal, en lui laissant une bonne part de son débit, dernier apport d’eau avant que le canal quitte la Seine-et-Marne. La Beuvronne est un cours d’eau non domanial, de 2e catégorie piscicole. Les vallées de la Beuvronne et de la Biberonne sont peu marquées, mais comme les bourgs et villages s’y sont installés, et qu’entre eux subsiste un cordon de prairies, haies, bosquets, marais et peupleraies, elles se repèrent aisément. Environ quinze moulins suivaient leurs cours ou celui de leurs affluents, et près de la moitié existe encore. La principale ville traversée par la Beuvronne est Claye-Souilly, où le canal, aussi, serpente. La rivière y est modeste (3 à 5 mètres de large, pour 50 à 80 centimètres de profondeur), mais en période de crue, elle peut y provoquer de sérieuses inondations, qui ont entraîné de multiples études et travaux. A son aval, elle se divise dans des marais, échange ses eaux avec le fossé de Montigny, qui la rejoint ensuite à Fresnes-sur-Marne ; à nouveau divisée, elle longe ce qui fut le parc du château de Fresnes, aujourd’hui disparu, et, toujours dédoublée, finit sa course en rejoignant la Marne. Au total, la Beuvronne aura parcouru une vingtaine de kilomètres, que complètent 39 ≈ 36-43Beuvr:EAU 7/08/08 10:02 Page 40 ≈ A Nantouillet. les douze de la Biberonne. Pour l’entretenir, ainsi que ses affluents, deux syndicats se partagent son cours : celui du Bassin de la Haute-Beuvronne, pour tout ce qui se trouve au nord du canal de l’Ourcq, et celui de la Reneuse et de la Basse Beuvronne, pour le reste. Un projet de véloroute – voie réservée aux vélos et rollers – existe : partant du canal, il longerait la Beuvronne puis la Biberonne, pour s’en aller vers les forêts et châteaux de l’Oise, puis se raccorder plus au nord à des itinéraires européens. Le cadre naturel et bâti des deux petites vallées pourrait en faire un parcours agréable, quitte à se laisser distraire au passage des avions, comme le font tous les jours amateurs et curieux, le long des routes qui bordent l’aéroport. Mais pour cela, et en raison de la richesse agricole des terres de la Plaine de France, il faudrait s’obliger à limiter les futures emprises des développements à venir, même si depuis quelques temps on entre, aussi, dans l’aéroport par l’est, et que la Seine-et-Marne en espère plus de perspectives que de nuisances. M. B. ■ 40 ≈ ≈ La vallée de la Biberonne à Compans. 7/08/08 10:02 Page 41 Beuvronne et Biberonne à tous vents D ≈ Le château de Nantouillet. eux petites rivières essentielles, alimentées d’innombrables rus adjacents, descendent des collines de Goële en direction du Parisis au nord, l’est étant réuni au pays de Meaux. Ce lieu de guerre et souvent de victoire est une plaine agricole et, de l’est à l’ouest, un grand réseau de routes antiques allant de Meaux à Paris traverse le grand relais de poste de Claye-Souilly ville commerçante et laborieuse où le canal de l’Ourcq véhicula longtemps voyageurs et marchandises. Deux rivières alimentent le réseau. La Beuvronne qui vient de Vinantes, dont le nom est explicite et peut-être aussi de Montgé, pour croiser au large le collège de Juilly dont beaucoup d’élèves devinrent des célébrités comme le maréchal de Villars ou Jérôme Bonaparte. Le collège, fondé par les pères de Bérulle et de Condren en 1640, prit la suite d’une abbaye où jaillit la source Sainte Geneviève. Le collège a traversé sans encombre le tourment révolutionnaire grâce à Fouché, ancien élève et Lamenais a promené sa mince silhouette de professeur. On voit dans la chapelle les statues de Nicolas Dangu et du cardinal de Bérulle. Un peu plus bas surgit le château de Nantouillet « où les formes de l’architecture ogivale viennent expirer dans les apparences nouvelles de la Renaissance Italienne ». Il fut bâti en 1525 par le cardinal Duprat, chancelier La Beuvronne au fil du temp s 36-43Beuvr:EAU 36-43Beuvr:EAU 7/08/08 10:02 Page 42 de François Ier, évêque de Meaux. Ce personnage irascible et autoritaire aimait la viande d’ânon et sur le tard fut affecté d’une telle obésité qu’il fallut à sa place échancrer la table. La façade d’entrée est ornée d’une niche sculptée. L’église voisine a un portail dont le tympan est décoré de déesses antiques. La Beuvronne est rejointe à Saint-Mesmes par la Biberonne, « enfantine » et souvent perdue dans les blés. Elle a pris naissance à Moussy-le-Neuf où l’on voit les ruines du prieuré de sainte Opportune morte en 770 puis Moussy-le-Vieux, domaine des Bouteilléz de Senlis, qui conserve le mausolée superbe d’un de ses membres. Le château de style Louis XIII, propriété des Brissac, est le domaine des Gueules cassées, les défigurés de la guerre 1914-18. Enfin, le beau village de Gressy qui possède la maison et le parc Macquer lequel avait choisi ces lieux pour ses amusements botaniques et ses plantations exotiques. La rivière passe une chute, le paysage de la rivière y est bucolique et le beau village neuf vieillit trop vite. Un peu plus loin la Beuvronne va laisser une partie de son eau au canal de l’Ourcq qui donne aux pontonniers et aux mariniers un rude travail. L’eau laissée par le canal poursuit son chemin à travers Claye-Souilly, ville de relais de poste, pour filer vers la Marne en arrosant jadis les douves de Fresnes. Car hélas, la plupart des châteaux des grands commis et de l’Etat ont été détruits par les guerres et submergés par les lotissements. C. de B. ■ ≈ Collège de Juilly. ≈ Ancien moulin de Thieux. 42 ≈ 7/08/08 10:02 Page 43 Les pêcheurs n’ont pas remplacé les castors a Beuvronne, comme la Biberonne et, dans un département voisin, la Bièvre, ont une racine commune, signifiant « castor ». Il y eut donc un temps où, loin de Lutèce, toutes ces petites rivières s’alimentaient à partir de sources claires, erraient dans des marécages, se divisaient, se déplaçaient, servaient de frayère aux poissons qui y remontaient depuis la Marne, attirant oiseaux et mammifères qui savaient y trouver abri et nourriture. Les castors, alors présents dans tout notre pays, trouvaient là un parfait lieu de vie : des arbres en grand nombre dont ils se nourrissaient, ou qu’ils tiraient à l’eau pour y édifier de quoi accueillir leur future famille. Aujourd’hui, seuls les noms de ces rivières et la physionomie de leurs petites vallées laissent imaginer ce qu’elles furent, mais il n’y a plus de castors, qui furent beaucoup chassés, et très peu de poissons. Pour ces derniers, la ville est trop près, avec tout ce qu’elle engendre d’eaux ruisselant après les pluies sur routes et parkings, et celles dites « usées» provenant de chaque foyer ou des entreprises. Ces eaux ont beau être dirigées vers des stations d’épuration que l’on améliore sans cesse, elles n’en ressortent jamais pures, et ne continuent à s’améliorer que par le jeu des cycles naturels qui se produisent en rivière. Lors de la grande expansion économique qui suivit la dernière guerre, l’essor des entreprises, l’extension des villes, l’intense développement des transports et la modernisation de l’agriculture se sont faits au bénéfice d’une évolution de la société, mais au détriment des ressources naturelles alors considérées comme disponibles à souhait. L’eau en fut une des premières victimes, elle qui se mit à charrier des poissons morts par milliers avant Paris, dans Paris, et après Paris ; comme partout. Au début des années 60, afin d’enrayer ce phénomène, six Agences de Bassin furent créées en France. Sur un principe voisin de celui des mutuelles, chacun contribuait à leurs budgets (au travers des factures d’eau), redistribué ensuite aux communes, entreprises ou exploitants, qui construisaient des réseaux d’assainissement, des stations d’épuration, des captages ou usines de production d’eau potable, aménageaient ou restauraient les rivières… Cette longue reconquête n’est pas finie, même si de notables progrès ont été accomplis. Les Agences de Bassin sont deve- L La Beuvron ne Incidences 36-43Beuvr:EAU nues des Agences de l’Eau, et l’Ile-de-France fait partie de celle qui gère les rivières du bassin de la Seine et de Normandie. Les entreprises, nombreuses dans la zone industrielle de Mitry-Mory et Compans, sont conseillées et surveillées par la Direction régionale de l’industrie, de la recherche et de l’environnement. Pour améliorer le fonctionnement des stations d’épuration, les Agences de l’Eau ont provoqué la création de Services d’assistance technique aux exploitants de stations d’épuration, afin d’aider les communes, syndicats d’assainissement, industriels ou éleveurs, à tirer le meilleur parti de ces nouveaux équipements. Celui de Seine-et-Marne a plus de trente ans, et fait partie des services du Département, comme le Laboratoire d’analyse des eaux auquel il confie l’analyse des échantillons d’eau qu’il prélève chaque jour. Dans le cas de la Beuvronne, et malgré les efforts d’équipement déjà réalisés, y compris au niveau de l’aéroport qui régule, et surveille, ses eaux pluviales avant leur rejet, la Biberonne, la Beuvronne, la Reneuse, le ru des Cerceaux et celui des Grues sont trop souvent de mauvaise qualité ; la faiblesse de leur débit au regard de tout ce qu’ils recueillent, en est aussi la cause. On leur a fixé un objectif ambitieux : être simplement de qualité acceptable, autorisant la vie des poissons les moins exigeants. Peut-être que demain, si les efforts engagés par les entreprises, les communes, et les sociétés des eaux qui gèrent leurs dispositifs d’assainissement, s’amplifient, les pêcheurs remplaceront-ils, enfin, les castors, le long de leurs berges ? M. B. ■ 43 ≈ 44-53Ptitmorin:EAU 7/08/08 10:21 Page 46 ≈ La vallée à Orly-sur-Morin. Trois régions pour un Petit Morin L e Petit Morin est certainement l’une des plus belles rivières de Seine-etMarne ; et curieusement, même si sa longueur totale dépasse à peine les 80 km, ils lui suffisent pour connaître trois régions : Champagne-Ardenne, Picardie, Ile-de-France. Dans la première, il paraît au marais de Saint-Gond, puis y fait la moitié de son cours; il traverse rapidement la seconde, crée la limite entre celle-ci et la troisième, où il poursuit sa course afin de confluer avec la Marne, à La Ferté-sous-Jouarre. La vallée du Petit Morin est certainement, elle aussi, l’une des plus belles de Seine-et-Marne ; d’assez large, et toute agricole, à l’amont, elle se resserre dès Verdelot, se boise sur ses versants, s’ouvre sur des prairies, égrenne ses villages, s’écarte à peine pour recevoir ses affluents, garde ses moulins, jumelle Saint-Cyr avec Montmartre, porte les cryptes de Jouarre, et s’estompe à la Ferté dont elle accueille les faubourgs. Le Petit Morin et sa vallée ont la beauté des choses simples. On pense à eux dans un projet de parc naturel régional ; ils y feraient bonne figure. Le bassin versant du Petit Morin couvre 600 km2, dont 250 en Seine-et-Marne, où la largeur du cours d’eau passe de 6 à 15 mètres, et sa profondeur de 0,8 à 1,5 m. Le Petit Morin est un cours d’eau non domanial, classé en seconde catégorie piscicole. Il reçoit les eaux de nombreux petits affluents dont les plus importants sont : le ru Moreau à Verdelot, le ru de Bellot, l’Avaleau à Sablonnières – qui vient du point haut des paysages du Morin, et aussi de 46 ≈ ≈ Petit canal au moulin d’Ormoy-le-bas. 7/08/08 10:21 Page 47 Le Petit Mo rin au fil de l’eau 44-53Ptitmorin:EAU ≈ Eglise de Villeneuve-sur-Bellot. ≈ Vue de la passerelle sur un brasset alimentant le moulin d’Ormoy-le-bas. Seine-et-Marne, à un peu plus de 200 mètres ! – puis le ru de la Fonderie à Orly, enfin le ru de Choisel au lieu-dit les Marais et celui de Vorpillère face au coteau de Jouarre. Ce Morin est vif, et présente à l’aval, un débit moyen assez soutenu (3m3/s) ; le 30 décembre 2001, il afficha un débit maximum de 52 m3/s. Sa qualité, déjà assez bonne à l’amont, a tendance à s’améliorer vers l’aval. Les berges, privées, étant assez peu accessibles, une seule association de pêche y est présente, qui regroupe néanmoins près de 200 pêcheurs. A Verdelot, on pratique le canoë et le kayak ; deux campings s’inscrivent dans la vallée. Quelques entreprises jalonnent le cours du Morin, et relèvent principalement de l’agro-alimentaire ; à Bellot, une cidrerie a dû fermer ; mais les pommes de la vallée donnent encore, à Verdelot, un cidre de belle tenue. Sur les 19 moulins encore présents, soit presque autant qu’au XIXe siècle, cinq seulement sont franchissables par les poissons, et très rares sont ceux qui ont encore une fonction utilitaire : l’un d’eux, néanmoins, produit de l’électricité. La rivière engendrant assez peu de nuisances pendant les crues (à la Ferté, c’est surtout l’influence de la Marne qui se fait sentir, y compris sur la fin du cours du Morin ; et ailleurs ce sont surtout des prairies qui sont inondées), les communes n’ont pas toutes été incitées à se substituer aux riverains pour prendre en charge l’entretien de la rivière. Ainsi, un syndicat ne regroupe-t-il que les quatre communes de l’aval : la Ferté, Jouarre, Saint-Cyr et Saint-Ouen, tandis qu’à l’amont il n’y a que Montdauphin qui ait adhéré à un autre syndicat dont le siège se trouve dans le département voisin. La pression urbaine s’exerce surtout à l’approche de la confluence avec la Marne, où habitent les trois-quarts des 14000 habitants de la vallée seine-et-marnaise, là où 47 ≈ 44-53Ptitmorin:EAU 7/08/08 10:21 Page 48 ≈ La vallée du Petit Morin à Montdauphin. aussi se trouvent ses sites les plus fréquentés : l’abbaye de Jouarre en premier lieu, et, secondairement, le musée des Pays de Seine-et-Marne à Saint-Cyr-sur-Morin. Pour conserver son attrait à la vallée du Petit Morin, et y éviter l’effet de mitage qui transparaît déjà, il faudra veiller à ce que les développements urbains y soient bien réfléchis, et les autorisations de constructions individuelles examinées avec exigence. Par ailleurs, en augmentant le niveau de traitement de certains rejets venant des zones d’habitat, en coordonnant les manœuvres des vannages des moulins, et en assurant un minimum d’entretien de la végétation des berges, là où aucun syndicat ne s’est encore constitué, on donnerait au Petit Morin de meilleures caractéristiques, physiques et biologiques, permettant à une espèce noble, comme la truite, d’y prospérer. De même, en entretenant le cours aval de ses principaux affluents, ceux-ci pourraient devenir d’intéressants sites de frayères, favorisant la reproduction naturelle des poissons dans une vallée riche de ses ressources naturelles et de ses paysages. M. B. ■ 48 ≈ ≈ Musée départemental des Pays de Seine-et-Marne. 7/08/08 10:21 Page 49 Le Petit Morin, juvénile et frondeur Le Petit Mo rin au fil du temp s 44-53Ptitmorin:EAU D ≈ Moulin sur le Petit-Morin par Pressac (collection particulière). eux rivières dont l’une est plus grande que l’autre ont été qualifiées de petit et de grand étant donné leur longueur, leur profondeur et leur débit. Loin de nous l’idée de les qualifier comme on le fit pour la Seine et la Loire inférieure. Il est vrai du reste que l’origine du mot « mucre » ou « lumiorité » est encore incertain mais définit un lit profondément creusé. Sa vallée de part en part est étroite et parfaitement naturelle. En le remontant, mais je l’ai aussi descendu tant de fois, on le trouve courageux et intrépide, parfaitement équilibré, avec son entourage de feuillages et de collines plus ou moins escarpées se distinguant ainsi presque totalement des cours d’eau de plaine. Du reste en revoyant comme je les ai vus tant de fois, ces sinueux chemins d’eau, je les découvre sans cesse différents. A chaque mois de l’année, chaque jour, chaque heure, chaque instant, je ne les découvrirais semblables. Jamais la même couleur, jamais les mêmes reflets, jamais les mêmes mouvements. On pourrait dire jamais les mêmes. Pourtant un peu avant qu’il ne se jette dans la Marne à la Ferté-sous-Jouarre, le Petit Morin traverse, à Saint-Cyr-sur-Morin un domaine culturel qui le transfigure. Car Saint-Cyr fut d’abord Montmartre tant ce village, si bien caché, fut proche de la vie de bohême parisienne. Cet ensemble se résume en trois noms qui le symbolisent et se trouvent aujourd’hui quasiment réunis dans le Musée départemental des Pays de Seineet-Marne. Julien Caille et l’Œuf Dur, Pierre Mac Orlan et son havre du fantastique social, enfin Pierre Guibert et l’Hôtel Moderne qui réunit tous les adeptes et où s’édifie la pyramide des souvenirs de là-bas et d’à côté. L’auteur de « Quai des Brumes» avait épousé la fille de Frédé, du « Lapin Agile » cabaret de Montmartre. Julien Caille autre baron de la bande, cordial frondeur créa une réplique en transformant son hôtel en colonie de la Butte. Tout en mangeant 49 ≈ 44-53Ptitmorin:EAU 7/08/08 10:21 Page 50 gai et buvant sec dans la fermette dont il reste une peinture sur le bâtiment, on faisait des tas de gamineries. On peignit un tableau fort remarqué avec la queue d’un âne. Un peu plus loin se trouvait la maison de Mac Orlan. Cet ancien combattant du brouillard des ports et de la misère, avait donné au monde de la nuit et de l’aube sa dimension de l’imaginaire. Il allait de plus en plus à l’Hôtel Moderne avec son bonnet à pompon, sa pipe et son perroquet Dagobert. Car l’Hôtel Moderne réunissait des amis comme Chabrol, Brassens, Clavel, Gréco ou Flip. Et le restaurateur de ces cerveaux branchés fut aussi le gardien d’une collection d’ethnographie devenue Musée des Pays de Seine-et-Marne. Sortant de Saint-Cyr on remonte une vallée aux églises modestes, aux châteaux disparus, aux villages blottis le long de la rivière ou perchés aux sommets des collines. A Saint-Ouen le château s’écroule. A Bussières se situe le chalet de Scribe, auteur dramatique. A Sablonnières se devine le reste d’un ≈ Portrait de Mac Orlan par Flip (collection particulière). ≈ La Maison de Mac Orlan par lui-même (collection particulière). 50 ≈ 7/08/08 10:21 Page 51 Le Petit Mo rin au fil du temp s 44-53Ptitmorin:EAU ≈ Reflets de l’église de Saint-Cyr-sur-Morin. ≈ La forteresse de Launoy Renault qui domine la vallée du Petit-Morin. château des Maupeou. C’est là que se déroule le roman de Médéric Charot. Bellot garde encore son manoir aux quatre tourelles. Villeneuve conserve sa place du marché. Verdelot aux confins du diocèse de Meaux, de Troyes, et de Soissons possède le point le plus élevé du département à 215 mètres. Son église s’agrandit du côté du chœur mais est diminuée du côté de la nef. Si le manoir demeure la résidence du seigneur, la majestueuse forteresse de Launoy-Renault, jadis entourée de bois et d’étangs, est devenue, à cet emplacement stratégique, une simple demeure ayant appartenu à la famille d’Espence. Remarquons la superbe façade Renaissance. Puis la rivière va devenir rurale et prend sa source en pleins champs dans le marais de Saint Gond. C. de B. ■ 51 ≈ 44-53Ptitmorin:EAU 7/08/08 10:21 Page 52 Au cœur de la biodiversité e Petit Morin et sa vallée font la démonstration de l’intérêt écologique que peuvent revêtir certaines parties du territoire. Le caractère relativement préservé du cours d’eau et la variété des paysages de la vallée, ont en effet permis l’installation et le maintien d’espèces animales ou végétales souvent exigeantes. Dans la rivière, c’est la présence du chabot et de la lamproie de Planer qui a conduit à en inscrire une large portion, de Verdelot à Saint-Cyr, sur la liste des sites « Natura 2000 », ensemble de lieux répertoriés au niveau européen, dans lesquels vivent des espèces suffisamment rares pour justifier leur protection, et celle des milieux qui les accueillent. On a vu précédemment que c’est aussi dans ce secteur qu’il y a eu le moins d’interventions humaines (hormis la création, ancienne, de moulins) ce qui justifiera de pratiquer avec beaucoup de précautions toute recherche d’amélioration de la rivière, par exemple, dans un but piscicole. D’ailleurs, dans les sites Natura 2000, un document d’objectifs doit être établi afin de guider toute intervention, et de permettre le maintien des espèces remarquables qui ont justifié leur création. En fonction de leurs caractéristiques (température L 52 ≈ de l’eau, vitesse du courant, nature des substrats composant le lit de la rivière : pierres, sable, vase) les cours d’eau sont classés en deux catégories, exprimant leur potentialité sur le plan piscicole. La première catégorie, ou salmonicole, correspond aux rivières d’eau vive où la truite peut vivre et se reproduire, en compagnie des loches et chabots. La seconde catégorie, ou cyprinicole, est celle des rivières aux eaux plus lentes, et généralement plus profondes, où vivent gardons, carpes et brochets. En Ile-de-France, compte-tenu de la géographie, les secondes sont les mieux représentées. Le Petit Morin entre dans cette deuxième catégorie, mais se trouve presque à la limite des deux, et présente un peuplement intermédiaire, caractérisé par la présence de goujons et de vairons. La vallée, quant à elle, présente une multiplicité de facteurs favorables à la diversité de la vie, végétale et animale, expression de la biodiversité : la pente relativement forte de ses coteaux, celui de rive droite presque toujours exposé au sud, et celui de rive gauche au nord, ces changements d’exposition induisant des variations d’ensoleillement, de température et d’humidité qui engendrent à leur 21/08/08 17:36 Page 53 tour, la multiplicité des milieux ; les diverses couches géologiques que la rivière a entaillées (limons, sables, argile à meulière, calcaire de Brie) qui influent sur la nature du sol, et permettent à des espèces ayant des exigences différentes de se répartir en fonction de la structure du sol, ou de sa teneur en argile ou en calcaire ; un fond de vallée encore largement occupé par des prairies, pâtures, quelques peupleraies, et une ripisylve – boisement des berges – pratiquement continue ; des pentes boisées, en friche, ou en vergers ; de nombreuses mares résultant de l’extraction de la meulière comme sur les hauteurs de Reuil-en-Brie et de La Ferté-sous-Jouarre ; ou encore l’absence de voies de communication importantes, et de nuisances industrielles. Toutes ces caractéristiques ayant été repérées, la Direction régionale de l’environnement, service de l’Etat, a délimité dans la vallée plusieurs zones naturelles d’intérêt écologique, floristique ou faunistique (ou ZNIEFF) dites de type 2 lorsqu’il s’agit d’assez grands territoires réunissant potentiellement des milieux favorables à la présence de plusieurs espèces dignes d’intérêt – ici, toute la vallée de Verdelot à Jouarre – ou de type 1, lorsqu’un espace, souvent de taille moindre, correspond strictement au type d’habitat permettant à une ou deux espèces remarquables de s’y maintenir ; c’est le cas de certains coteaux d’Orly à Jouarre, et près du ru de Bellot. Sans engendrer des contraintes aussi fortes qu’un site répertorié Natura 2000, ces ZNIEFF doivent néanmoins être prises en compte dans les documents d’urbanisme des communes, afin d’éclairer toute décision susceptible d’affecter les territoires concernés, et, le cas échéant, de réglementer certaines pratiques, d’interdire certains projets, ou en permettre la mise en œuvre moyennant l’instauration de mesures compensatoires. Il est, enfin, dans la vallée du Petit Morin, un lieu de conservation de variétés végétales qui ont longtemps donné à celle-ci une activité renommée : à Saint-Cyr-sur-Morin, au Musée départemental des Pays de Seine-et-Marne, sont cultivées onze variétés d’osier, ces saules aux rameaux à la fois souples et résistants, dont on faisait des vanneries ; bel exemple révélant d’une autre manière l’intérêt patrimonial de cette vallée. M. B. ■ Le Petit Mo rin Incidences 44-53Ptitmorin:EAU 53 ≈ 54-69Gdmorin:EAU 8/08/08 14:05 Page 56 Curieux ouvrages du Grand Morin Q uand le Grand Morin fait parler de lui, c’est, le plus souvent, parce qu’il est sorti de son lit. En période de crue, il a en effet forte réputation : il gonfle rapidement, un peu comme le font les torrents, car ses nombreux affluents s’écoulent sur des pentes généralement fortes, et ont vite fait de le grossir. Tout le reste du temps, le Grand Morin reste à découvrir, et pour cela, à mettre en valeur. C’est à Lachy, dans le département de la Marne, que ce Morin-là a débuté son parcours, à 165 mètres d’altitude, et parcouru 40 km, avant d’entrer en Seineet-Marne où il s’écoule sur un peu plus de 76 km. Son bassin versant est vaste : 1200 km2, dont les deux tiers sont en Seine-et-Marne, répartis sur 66 communes. Il y reçoit une foule d’affluents ; cependant, nombreux sont ceux qui ne coulent qu’en période humide, demeurant secs plusieurs mois durant, chaque été. Cela ne les empêche pas de dessiner des vallons, et parfois plutôt des ravins, de s’entourer de bois, nécessiter des ponts, ou au moins des passerelles auprès de leurs gués. Ceux qui montrent un débit en tout temps, sont, en rive droite du Morin : les rus de Raboireau , de l’Orgeval, du Liéton, de la Fosse aux Coqs et du Mesnil. Le ru de Raboireau vient de Rebais, donne une jolie vallée, et conflue à Chauffry ; l’Orgeval ne mesure qu’un seul kilomètre, mais il est le résultat de deux autres bien plus longs – les rus de Rognon et des Avenelles – ≈ Vannage à Coulommiers. Page de droite, ancienne vanne à Pontmoulin. 56 ≈ 54-69Gdmorin:EAU 8/08/08 14:05 Page 57 54-69Gdmorin:EAU 8/08/08 14:05 Page 58 qui s’écoulent de la forêt du Mans pour le premier, et pour le second, de Doue, dont l’église culmine, solitaire sur sa butte, à 202 mètres ; le Liéton vient de terres qui s’appelaient étangs, et conflue à Mouroux ; le ru de la Fosse aux Coqs se borde d’un joli lavoir au pied de la collégiale de Crécy ; le Mesnil enfin, descend du plateau de Coulommes, où s’exploite un gisement de pétrole, et alimentait un moulin avant de rejoindre le Morin, à Couilly-Pont-aux-Dames. Sur sa rive gauche, se jettent principalement : le Vannetin ou ru de Piétrée, l’Aubetin, puis les rus de Binel et de Lochy. Le Vannetin est un ruisseau d’assez belle qualité, d’ailleurs classé en 1re catégorie piscicole, qui coule à Choisy-enBrie, dans une vallée presque symétrique à celle du Raboireau, et conflue à Saint-Siméon, après un parcours de 18 km ; l’Aubetin est le principal affluent du Grand Morin, et fera l’objet d’un autre développement, tant il constitue une vraie rivière ; le ru de Binel est court, mais il naît dans la forêt de Crécy qui l’alimente constamment en eau, ce qui lui a valu de faire tourner un moulin ; enfin le ru de Lochy, désormais grossi des eaux qui lui viennent de la ville nouvelle, descend de là-haut, de ce rebord du plateau qui s’affaisse pour laisser la place au confluent de Marne et Morin. Tout au long de son cours, le Grand Morin se divise en de nombreux bras, que ce soit dû, ou non, à la présence de ses moulins : plus de 50 y étaient recensés dans le passé, dont un bon nombre subsiste. A part eux, villes et villages s’étaient généralement implantés à une distance prudente de cet impétueux ≈ A Condé-Sainte-Libiaire ce pont permet au canal de Chalifert de passer au-dessus du Grand Morin. 14:05 Page 59 au fil de l’eau 8/08/08 Le Grand Mo rin 54-69Gdmorin:EAU ≈ Le Grand Morin traverse Coulommiers. cours d’eau : sur une butte, au pied du coteau ou en remontant sur celui-ci. Au cours du temps, de faubourgs en extensions urbaines, plusieurs l’ont, malgré tout, rejoint puis traversé, s’étendant au-delà. A La Ferté-Gaucher, il est dans le bourg. A Coulommiers, l’histoire de la ville et celle de la rivière sont intimement mêlées : le Morin y a plusieurs bras et surtout une fausse-rivière, creusée au début du XVIIe siècle pour évacuer les eaux, en contournant la ville ; elle l’a, depuis, dépassée elle-aussi. A Crécy-la-Chapelle il joue avec l’eau de ses brassets, bordés de petits lavoirs et surmontés de passerelles, en autant d’accès aux anciennes maisons. Plus à l’aval, on se contient, en retrait, jusqu’à ce que le Grand Morin conflue avec la Marne. Il le fait de curieuse façon : son ancien cours est sur Esbly, car un nouveau débouché, plus direct, lui a été trouvé à la fin du XIXe siècle, à Condé-Sainte-Libiaire. Cette principale confluence se fait après passage du Morin sous un large pont, aux nombreuses et massives arches, qui porte le canal de Chalifert, un de ces canaux destinés à raccourcir le temps de navigation sur la Marne. Problème : ce pont, on le verra, est source de complication pour la rivière, car il lui fait obstacle en période de crue. Il fut aussi un temps, de 1846 jusqu’à la fin des années trente, où l’on prit l’eau du Morin ≈ Lavoirs à Crécy-la-Chapelle et à Chauffry. 59 ≈ 54-69Gdmorin:EAU 8/08/08 14:05 Page 60 pour alimenter ce canal de Chalifert; à Saint-Germain-sur-Morin cela se voit encore : une ancienne écluse, comblée de terre, n’est plus en lien avec le Morin, mais constitue le début d’un long canal rectiligne qui rejoignait celui de Chalifert. C’est la « branche alimentaire » ; l’eau s’y trouve prisonnière, immobile, et, à cet endroit, recouverte de milliers de lentilles d’eau au travers desquelles seuls quelques canards se risquent un passage ; à l’autre extrémité, sur la commune d’Esbly, elle a une belle embouchure sur le canal ; un tel site mériterait un projet. A rivière complexe, statut compliqué : le Morin ayant longtemps servi à transporter vers Paris le bois de la toute proche forêt de Crécy, il fut rendu navigable en 1618, et donc domanial, depuis le moulin de Coude, à Dammartin-sur-Tigeaux, jusqu’à sa confluence avec la Marne. Trois siècles plus tard, en 1926, il fut radié des voies navigables. De son côté, le petit bras d’Esbly, qui avait perdu le privilège de mener les plus gros flots du Morin à la Marne, redevint non domanial comme le sont le reste du Grand Morin et tous ses affluents. Enfin, deux syndicats interviennent pour l’aménagement et l’entretien du Grand Morin ; leur nature et leur rôle seront précisés plus loin. De bonne qualité dès son entrée en Seine-et-Marne jusqu’à La Ferté-Gaucher, malgré, souvent, une légère opacité, le Grand Morin y est classé en première catégorie piscicole. Par la suite, sa qualité diminue surtout du fait des rejets urbains; il y est classé en deuxième catégorie piscicole et ce, jusqu’à sa confluence. Rivière aux dimensions intéressantes (15 mètres de largeur, en moyenne, et de 50 cm à 1 m de profondeur moyenne, avec des creux de plus de deux mètres), le Grand Morin présente des berges généralement abruptes, mais aussi une alternance régulière de zones vives sur des graviers, et de secteurs lents avec de forts herbiers. Cette variété constitue un ensemble favorable à la vie et à la reproduction du poisson. Douze associations agréées pour la pêche se succèdent le long de son cours, regroupant environ 1 800 pêcheurs. Son profil permet aussi au Morin d’accueillir des canoës que l’on voit en divers sites, comme devant la petite base de loisirs de Saint-Rémy-de-la-Vanne. Rivière 60 ≈ ≈ Non loin de Saint-Rémyde-la-Vanne. 14:05 Page 61 au fil de l’eau 8/08/08 Le Grand Mo rin 54-69Gdmorin:EAU ≈ Ancien moulin à Boissy-le-Châtel transformé en galerie d’art contemporain. industrieuse, le Grand Morin subissait fréquemment, il y a seulement deux ou trois décennies, des pollutions chroniques ou accidentelles qui émurent nombre de riverains et de pêcheurs. Plus rien de cela aujourd’hui, pour deux causes principales : les communes ne cessent d’améliorer leurs dispositifs d’assainissement et d’épuration ; tandis que du côté des industries, c’est surtout – et malheureusement – leur raréfaction qui est la cause de leur moindre impact sur le Morin. Ainsi ne reste-t-il en amont de Coulommiers, comme grandes entreprises directement implantées sur les rives de celui-ci, qu’une faïencerie à La Ferté-Gaucher et une papeterie à Jouy-sur-Morin, alors que les papeteries, pour ne citer qu’elles, avaient longtemps été présentes, et en nombre, sur ce Morin, attirées par sa force et la qualité de ses eaux. Maintenant, de vastes bâtiments peinent à trouver preneur, et les friches s’emparent de sites où les roues des moulins ne tournent plus. Signe d’espoir peut-être : l’un d’eux, à Boissy-leChâtel, s’est transformé en lieu d’exposition d’art contemporain. Très vite autour du Morin, à part quelques prairies, petits boisements et peupleraies, et jusque sur le grand plateau d’où viennent ses affluents, les terres sont vouées à la culture du blé, surtout, comme partout en Brie, mais aussi ≈ Les Sources avant de se jeter dans le Grand Morin. 61 ≈ 54-69Gdmorin:EAU 8/08/08 14:05 Page 62 des pois, du maïs, du colza, des tournesols, ou encore de l’avoine. Ce grand plateau n’est jamais monotone ; c’est encore la Brie, mais celle des deux Morin parsemée de boisements, ondulant légèrement, offrant constamment de nouveaux horizons qui ne s’ouvrent largement que lorsqu’ils portent sur la vallée. Comme dans celle du Petit Morin les vergers de pommiers tendent à régresser, n’occupant que quelques pentes qu’ils partagent avec des prés où se maintient un peu d’élevage, principalement bovin. On voit cependant des chevaux, des moutons, ici ou là. Les grandes forêts sont plutôt rares : bois de Doue et du Mans au nord-ouest, forêt de Crécy au sud-ouest ; mais lorsque leur pente était trop forte pour la culture, les coteaux du Morin, comme les vallons de presque tous ses affluents, se sont largement boisés une fois la vigne et les vergers disparus. Cela donne de beaux sites, surtout lorsque le Morin, se heurtant à des roches plus dures, a dessiné des méandres, parfois resserrés, ce qui lui a valu l’inscription du territoire de plusieurs communes (Guérard, La Celle-surMorin, Dammartin-sur-Tigeaux, Voulangis et Crécy-la-Chapelle) au titre de la loi du 2 mai 1930 sur la protection des monuments naturels et des sites de caractère (cf p. 174-175). Loin de constituer une récompense, une telle mesure revient à reconnaître la qualité d’un site, mais aussi la réalité des menaces qui pèsent sur celui-ci. Ce qui est vrai à cet endroit peut donner matière à réflexion pour le reste de la vallée, dont l’ensemble reste, encore, de caractère. Encore… car il n’est que de la sillonner pour saisir la mutation, qui se produit sous nos yeux : si l’habitat de plusieurs communes reste remarquablement groupé, ne s’étendant que sur des parcelles vides au cœur des bourgs, ou directement attenantes à ceux-ci ou à leurs hameaux, sur d’autres, les constructions, sans retenue, se succèdent au long de chaque route qui s’écarte du pays. Ici comme, malheureusement, trop souvent dans bien d’autres lieux, certaines entrées de ville ou de bourg ne se distinguent plus, sauf par des constructions éparses ≈ Moulin de La Celle-sur-Morin. 62 ≈ 8/08/08 14:05 Page 63 Le Grand Mo rin au fil de l’eau 54-69Gdmorin:EAU ≈ Les saules à Tigeaux. et des enseignes excessives ; viennent aussi l’appropriation des berges d’un côté, et celle des points de vue de l’autre, les prétentieuses tourelles, les clôtures qui ne sont plus protectrices mais offensives, hérissées de toutes parts, aux pilasses surmontées d’inutiles ajouts dominateurs… On pourrait dire cela de toutes sortes d’autres régions ; mais ici, il est encore temps, et la vallée du Grand Morin peut encore évoluer dans la qualité, souvent synonyme de simplicité, rarement de surcoût. Pendant ce temps, au fond de la vallée, là où serpente ce Morin que l’on ne voit qu’à peine, des bâtiments s’abandonnent, en même temps que s’est arrêté le train qui allait de Coulommiers à La FertéGaucher. Il a été parfait du temps où il fallait desservir les usines du fond de vallée ; désormais, il ne va plus là où l’on vit, et, laissant ses barrières se figer, et sa voie se couvrir de ronces, il accentue encore cette lancinante impression d’abandon de la rivière. Certes il y a moins de travail sur les rives du Morin, mais faut-il, en plus, en oublier celui-ci, ou lorsqu’une activité revient, l’admettre sans exigence, sur le premier terrain venu ? Les eaux du Grand Morin sont de plus en plus belles, et la rivière bien entretenue, mais on ne le sait pas, car on ne les voit pas, sauf en de rares endroits, 63 ≈ 54-69Gdmorin:EAU 8/08/08 14:05 Page 64 ≈ Passerelle à Crécy-la-Chapelle. comme à la Celle-en-Bas, ou Voulangis, où l’on a fait la démonstration de la beauté du Morin : ici c’est la simplicité d’une prairie entre deux eaux, un vieux pont et des moulins, là c’est l’entretien minutieux d’anciens saules, reconnus remarquables, sur le site où nous est rappelé que les peintres du « Cercle artistique » posaient leur chevalet, près du moulin de Saint-Martin, face au clocher de Crécy. Même si cette tendance se retrouve à quelques endroits, surtout à l’aval de Crécy, il faudra se mobiliser largement pour redécouvrir les berges du Grand Morin, à commencer, tout simplement, pour les habitants des communes qui le bordent. Comme on l’a dit pour le Petit Morin, un projet de Parc naturel régional est mis à l’étude par la Région sur ce nord-est de l’Ile-de-France ; des associations, de particuliers, d’élus, tous passionnés du Morin, se sont constituées pour promouvoir cette idée. Ce devrait être l’occasion de lancer le débat sur le devenir de cette belle vallée ; elle peut se banaliser, et même se dégrader, si on n’y prend garde, ou devenir, pour tous, un passionnant projet, en parlant de rivière, de vallée, et des gens, et jamais autrement que des trois à la fois. M. B. ■ ≈ Un brasset à Crécy-la-Chapelle. 64 ≈ 14:05 Page 65 au fil du temp s 8/08/08 Le Grand Mo rin 54-69Gdmorin:EAU ≈ Le Musée et les pavillons du Parc des Capucins à Coulommiers. Le Grand Morin des cités aquatiques L e Grand Morin est sans doute l’une des rivières les plus émouvantes de Seine-et-Marne et celle qui se rapproche le plus d’une œuvre d’art. C’est la raison pour laquelle cet ample réservoir de chimères a inspiré tant de peintres remarquables qu’on dénomme les peintres de la Vallée et c’est elle qui contient une large réserve de folklore, d’écrivains en face de la Seine chevaleresque de Fontainebleau la Royale et la Marne de Meaux la Sainte. C’est la région des plumes du terroir. La rivière, elle-même est à sa juste dimension, ni trop large pour se prélasser sur les plaines, ni trop étroite pour être reléguée à l’état secondaire. Nous sommes dans la Brie laitière ou Brie des étangs, souvent effacés par une culture intensive. Les jolis coteaux-jardins recouverts de vignes et de pommiers sont aujourd’hui tapissés d’arbres et de résidences. Alexis Martin nous dit que ces vingt lieues de promenade sont un enchantement. Il n’y a guère de villages où l’on ne découvre une église des XIII ou XVIe siècles. Quelques moulins, étangs et cascatelles et des bourgades qui ont conservé leur place du marché, ensembles harmonieux bordés de maisons de style. ≈ Le Parc des Capucins, lumière d’automne. 65 ≈ Sortis de la Champagne, nous nous acheminons vers La Ferté-Gaucher dont le prieuré est remarquable. On l’avait appelée « la ville aux bêtes », mais les habitants s’en défendaient en disant « il en passe plus qu’il en reste ». Aux alentours se distinguent la chapelle de la Commanderie de Coutan et le petit château de Lescherolles. A Chartronges vivait la famille de Villefosse qui égrène ses souvenirs non loin de Saint-Barthélemy où Marc Villin nous conte les maîtres d’école d’avant-hier. A Jouy-surMorin, les papeteries du Marais fabriquaient les assignats et les billets de la Banque de France. Saint-Siméon est décoré dans son église des fresques naïves de son curé. Avant Coulommiers se dresse la « forteresse courroucée » de Boissy-le-Châtel. A partir de Coulommiers nous tombons dans une rivière devenue dormante, toute chargée de pittoresque et de poésie où quelques cités converties en petites Venise, sont parsemées de canaux.Tout s’y passe. Catherine de Gonzague y construisit à la fin du XVIe siècle un château qui ressemblait au Palais du Luxembourg. Il en reste un beau jardin côtoyé par le Musée des Capucins avec sa crypte en forme de grotte décorée de coquillages. Au château de Montanglaust, sur la colline, se trouve la demeure des parents de La Fontaine non loin de la superbe Commanderie des Templiers qui fut sauvée de justesse. Dans la cité se trouve une imprimerie célèbre, une ancienne prison convertie en bibliothèque, une halle aux fromages et une Caisse d’Epargne qui ressemble à un palais. Au collège vécut Henri Massoul qui écrivit la chronique des lieux où la Révolution fut particulièrement virulente. A partir de l’endroit où se décharge l’Aubetin, la rivière et sa vallée deviennent de plus en plus pittoresques, traversant les lieux enchanteurs de Dammartin-surTigeaux et Serbonne puis l’époustouflante collégiale de la Chapelle-sur-Crécy située entre le château neuf, et les vestiges de l’ancien ; Julien Green écrit « Elle est admirable et belle et les autos qui passent n’arrivent pas à 66 ≈ ≈ Moulin sur les bords du Grand Morin par Chamaliard (col. part.) ≈ Panneau touristique de la Vallée des peintres. 14:05 Page 67 au fil du temp s 8/08/08 Le Grand Mo rin 54-69Gdmorin:EAU ≈ Collégiale de Crécy-la-Chapelle. ≈ La Commanderie des templiers à Coulommiers. la tirer de sa longue méditation. Elle sut garder sa foi. ». A Crécy, autrefois fortifiée, une partie des murailles demeure et trois tours, dont la tour Chatelain où séjourna Corot. Le Morin se divise en de multiples canaux agrémentés de pittoresques passerelles. Les lieux savamment aménagés n’ont pas pris une ride. La seigneurie qui appartenait à la famille d’Orléans, avant la Révolution, est devenue une belle cité bourgeoise. Non loin de là se trouve le village de Villiers-sur-Morin au centre de la Vallée des peintres. Amédée Servin en fut le conducteur et Toulouse Lautrec couvrit les murs de l’auberge du «Cercle Artistique» de fresques disparues. Les paysages qu’engendre la rivière continuent légitimement d’inspirer peintres et écrivains. Vercors vécut 14 ans à Villiers-sur-Morin ; il y écrivit «le Silence de la Mer» en 1942. La commune suivante est celle de Couilly-Pont-auxDames dont l’abbaye était célèbre et où se trouve aujourd’hui la Maison de retraite des artistes fondée par Cocquelin. Puis, en déclivité, la rivière divisée va se jeter dans la Marne dans le beau paysage châtelain de Condé-SainteLibiaire. C. de B. ■ 67 ≈ 54-69Gdmorin:EAU 8/08/08 14:05 Page 68 Vivre auprès de la rivière vril 1983 ; les rivières d’Ile-de-France débordent. Il a beaucoup plu, après un hiver humide, et les nappes d’eau souterraines ont été bien rechargées. Au plus fort de sa crue, le Grand Morin débite, en moyenne journalière, près de 130 m3 d’eau par seconde, quarante fois plus qu’en été. Il se heurte aux arches du pont-canal de Chalifert, y accumule branches et troncs arrachés plus haut ; cela le bloque un peu plus. De l’autre côté, la Marne, elle aussi, est sortie de son lit ; plus forte que lui, elle passe d’abord, et empêche le Morin de libérer ses eaux. Le canal tremble de tout ce tumulte qui se déroule à ses pieds, et le Morin, empêché d’avancer, se répand où il peut. Couilly-Pont-auxDames, Saint-Germain-sur-Morin, Montry, Esbly… partout on colmate, on évacue les maisons trop basses, les pavillons trop près. Les captages d’eau potable, qui puisent l’eau sous les alluvions, et les stations d’épuration, inévitablement proches de la rivière, aux points bas des communes, ne sont plus accessibles autrement qu’en canot. L’eau se trouble et devient impropre à la consommation ; il faut avoir recours à l’eau embouteillée, et aux A ≈ Le Grand Morin en crue entre Voulangis et Crécy. 68 ≈ citernes des pompiers. La vie de la vallée, la vie ordinaire, s’est arrêtée. On guette l’éclaircie, les yeux rivés sur ces échelles de crue qui jalonnent la rivière. Quand enfin l’eau se retire, on voit bien ce qu’est un champ d’expansion des crues et pourquoi il ne faut rien y bâtir. Contraignantes, ces lignes de débordement figurent, progressivement, sur les documents d’urbanisme des communes ; ne les trouvent illogiques que ceux qui n’ont pas vécu ces inondations, ou celles de décembre 1988, ou encore, les inconscients. L’Ile-de-France a, généralement, le temps de s’organiser avant une crue de ses rivières ; le Grand Morin y ferait presque exception. L’eau peut aller très vite de l’entrée du département à Coulommiers : huit heures, à peine le temps d’alerter et de s’organiser, de coordonner le mouvement des vannages de multiples moulins, là où leur état le permet. Plusieurs sont habités, ou propriété des communes, ou encore utiles, et donc entretenus. Par contre, nombreux sont ceux qui montrent, lorsque l’on parvient à les apercevoir, des ouvrages fort délabrés, car devenus usines, puis abandonnés, ils gardent 14:06 Page 69 grille close. Les chutes d’eau peuvent être importantes – jusqu’à 2,5 m – et presque tous ces barrages restent infranchissables par les poissons, empêchant truites ou brochets de remonter la rivière. Les inondations du Morin étant fréquentes et souvent dévastatrices, surtout à l’approche de sa confluence avec la Marne, deux syndicats se sont, historiquement, constitués pour prendre en main la gestion d’une rivière délaissée par ses riverains, dépassés par l’importance des travaux, ou simplement absents : celui d’Etude et de travaux pour l’aménagement et l’entretien du bassin du Grand Morin le plus ancien, dont la compétence va de Boissyle-Chatel à la confluence et s’est étendue ensuite à plusieurs petits affluents, parfois torrentueux, comme le ru de Villiers ; et celui d’Aménagement de la vallée du Haut Morin qui, après avoir modestement débuté par les deux communes de La FertéGaucher et Jouy-sur-Morin, a admirablement réussi à rallier toutes les communes de Seine-et-Marne depuis l’amont du précédent syndicat, à Chauffry, et celles du département de la Marne jusqu’à la source du Grand Morin. Etudes et travaux se sont succédés pendant des années. A la confluence, quatre imposants « épis » ont été implantés en rive droite du Morin, afin d’orienter ses eaux de crue vers le milieu du pontcanal de Chalifert, et non sur le côté comme il le faisait spontanément, afin d’en faciliter l’écoulement vers la Marne. Surprenants au départ, ces ouvrages se sont fondus dans la végétation des berges, et rares sont les jours où vous n’apercevrez pas, sur chaque épi, son pêcheur, confortablement installé ! Ailleurs, ce sont les van- nages de plusieurs moulins qui ont été rénovés, afin de pouvoir agir sur le débit de la rivière en fonction de ses crues ou, à l’inverse, de ses étiages d’été, pour y maintenir une hauteur d’eau suffisante. Puis des balises donnant simultanément l’alerte à diverses autorités, élus et services, ont été implantées à Châtillon-sur-Morin (dans la Marne), à Meilleray, et à Mouroux. Enfin, comme sur toutes les autres rivières de Seine-et-Marne, se déroule sur l’ensemble de la rivière, et plusieurs de ses affluents, un programme permanent d’entretien de la végétation des rives, sélectionnant les arbres dont les racines tiennent bien la berge – ce qui, contrairement aux idées reçues, n’est pas du tout le cas des peupliers – et éliminant ceux qui ont pu, malgré tout, tomber à la rivière, à la suite d’une crue ou d’un trop fort coup de vent. Là où la végétation n’existait plus, on a même replanté les berges, pour qu’elles résistent à l’érosion, lors des crues : les saules de Serbonne en sont témoins, qui redessinent le Morin. On a parlé aussi de digues qui pourraient retenir, quelques heures, ou quelques jours, les eaux excédentaires des plus grandes crues… les études sur le Morin ne s’arrêteront pas de sitôt. Elles s’inscriront à l’avenir dans une procédure nouvelle, lourde, mais concertée : un Schéma d’Aménagement et de Gestion des Eaux, dont les prescriptions s’imposeront dans tous les domaines pouvant influer sur la quantité ou la qualité de l’eau, qu’elle soit de surface ou souterraine. Celui des deux Morin, interdépartemental et interrégional, est engagé ; on y parle des rivières, des vallées, et des gens : long, difficile, mais prometteur. M. B. ■ Incidences 8/08/08 Le Grand Mo rin 54-69Gdmorin:EAU 69 ≈ 70-79Aubetin:EAU 7/08/08 10:47 Page 72 Les deux vies de l’Aubetin Q uand il entre sur le territoire de Villiers-Saint-Georges, l’Aubetin n’est qu’un ruisseau, provenant de cette Champagne qui commence déjà à l’est de la Seine et Marne : pays de grands horizons, en damier d’interminables pièces de culture. Ici, la terre, drainée, est riche. Le blé est partout, puis l’orge, les pois, le colza ; quelques cultures secondaires, maïs, féverolle, y créent presque l’événement. Il y a peu de bois et pas de haies ; les villages, petits, se sont installés au moindre prétexte de ce qui, sur ce plateau, est un changement de relief. On vit loin de ce ruisseau sans importance, simple exutoire des eaux de fin d’hiver, collectées sous des hectares de terres labourées qui portent encore le nom d’Etang, d’Eponge, de Noues ou de Prés. L’Aubetin ralentit lorsqu’il vient longer la Nationale 4, et, dans ce secteur plus humide, se borde de peupliers ; sa vallée n’est alors qu’une légère dépression dans le plateau. Non loin du pressoir de Béton-Bazoches, il passe enfin au milieu du village, donnant à croire qu’il s’est accordé les droits d’une rivière ; cela ne lui arrivera plus, et seuls des moulins, et de rares fermes, s’accrocheront à son cours. De tout temps on a préféré ses coteaux, et même, surtout, le rebord du plateau, comme à Dagny, entre ses premiers méandres. Seul le village d’Amillis est presque descendu jusqu’à ce ru, encore tellement paresseux, qu’il s’y couvre de nénuphars. De là, la vallée se resserre, les anciens vergers donnent encore quelques pommes, mais les pentes, inéluctablement, se boisent ; elles s’appellent Montagne, Tertre, Vignes, ou Bellevue. On y devine parfois des cabanons, mais surtout d’anciennes et simples maisons briardes transformées en élégantes résidences. Au fond, entre quelques prairies, les bosquets dissimulent l’Aubetin ; on ne le devine qu’au moment de le traverser. Il a plus d’eau, longe un étang à Beautheil, et devient enfin attrayant pour la pêche. A Saints, deux châteaux l’acceptent dans leur parc. La vallée, pittoresque, donne Mauperthuis, moulin et pyramide, la source de Sainte Aubierge, halte reposante, puis les courtes cascades du Poncet, que l’on ne citerait pas ailleurs, mais qui, en Brie, sont une rareté. De là jusqu’à sa confluence avec le Grand Morin à Pommeuse, quelques habitations s’approchent de l’eau, toujours avec prudence, puis un dernier moulin, sous le viaduc qui porte la voie ferrée. 72 ≈ ≈ Vannage et cascades. 7/08/08 10:47 Page 73 L’Aubeti n au fil de l’eau 70-79Aubetin:EAU ≈ Pont sur l’Aubetin à Pommeuse. Au total, l’Aubetin aura parcouru 55 kilomètres en Seine-et-Marne, et reçu les eaux de plusieurs affluents, essentiellement sur sa rive droite. En effet, lui viennent du plateau qui le sépare du Grand Morin : le ru de Turenne au point précis de son entrée en Seine-et-Marne, puis les rus de Volmerot, Saint-Géroche, de Chevru, Baguette, Maclin, Loef et enfin l’Oursine. Alors qu’en rive gauche, on ne trouve guère que ceux des Nouvelles, Puisé, de l’Etang et des Rieux et au-delà, de simples fossés, drainant de faibles bassins versants souvent boisés, et qui ravinent lors de fortes pluies. Si l’amont de l’Aubetin, et la plupart de ses affluents, contiennent peu d’eau l’été, c’est qu’ils reposent en grande partie sur des formations géologiques faites de marnes et surtout de calcaires dans lesquels leurs eaux s’infiltrent assez facilement. Mais en hiver lorsqu’il arrive que les nappes d’eau souterraines soient hautes, l’Aubetin peut se manifester par de fortes crues qui expliquent probablement la distance prise par les habitations par rapport à son cours : au mois de février 1978, un débit de 15 m3 par seconde était ainsi mesuré à Mauperthuis, à comparer, par exemple, aux 5 m3/s de débit moyen annuel du Grand Morin, là précisément où il reçoit l’Aubetin. La population du bassin versant est modeste, et se concentre principalement à l’aval de son cours, de Saints à Pommeuse. Il y a très peu d’activité industrielle dans cette vallée qui comptait jusqu’à 17 moulins dans le passé : seulement quatre se trouvaient entre Villiers Saint-Georges et Amillis, le plus grand nombre jalonnant la rivière entre Beautheil et Pommeuse. On n’en compte plus désormais que 5 ou 6, en général parfaitement restaurés. Les eaux de l’Aubetin sont de qualité très moyenne car elles montrent des excès d’éléments azotés, phosphorés et phytosanitaires. Il est néanmoins classé 73 ≈ 70-79Aubetin:EAU 7/08/08 10:47 Page 74 ≈ La vallée à Saints. en première catégorie piscicole compte tenu de son potentiel. Sur ce cours d’eau non domanial, il n’y a pas de syndicat assurant l’entretien de l’ensemble de la rivière ; celui qui existe est centré sur la partie de son cours qui a fait l’objet de travaux liés à l’agriculture ainsi qu’à son aval immédiat, soit de Villiers-Saint-Georges à Frétoy. A l’autre extrémité de la rivière, avant sa confluence avec le Grand Morin, c’est le Syndicat du bassin du Grand Morin qui assure l’entretien de l’Aubetin, au niveau de Pommeuse. A son aval, cette vallée, au caractère rural encore affirmé, se trouve désormais bien proche des extensions urbaines induites par le développement de Marnela-Vallée ; il faut souhaiter que l’agriculture puisse s’y perpétuer, empêchant une déprise qui ferait de chaque parcelle un espace convoité, au risque de déplorer un jour tous les méfaits d’inévitables inondations. Les communes de Saint-Augustin et Pommeuse ne s’y sont pas trompées, en demandant au Département la création d’un « espace naturel sensible » (cf p. 206-207) sur le parcours le plus menacé. Quant à l’amont de l’Aubetin, la réalisation de petits travaux : plantations en berge, pose de blocs rocheux au fond du cours, ici ou là, pour recréer des zones de turbulence, y faciliteraient le retour de la vie piscicole que cette rivière mérite, sous réserve aussi d’y atténuer certains impacts des grandes cultures. Enfin, on peut se demander si à l’échelle d’une telle rivière, un syndicat regroupant toutes les communes riveraines ne serait pas le gage d’une meilleure gestion, globale, de celle-ci. Le Schéma d’aménagement et de gestion des eaux des Deux Morin, déjà évoqué, le dira peut-être ? M. B. ■ 74 ≈ 7/08/08 10:47 Page 75 L’Aubetin, une rivière ancienne L’Aubet in au fil du temp s 70-79Aubetin:EAU L ≈ Sur les bords de l’Aubetin par Hervé le Bordeles. (Coll. particulière). ’Aubetin est une rivière chargée en témoignages du passé. La plupart des communes conservent des vestiges du néolithique et de l’époque GalloRomaine car la rivière Alba la claire, se trouve à l’intersection puis sur le cours du chemin « ferré » qui va de Rome à Boulogne, non loin des ruines sorties de terre de Chailly-en-Brie et de Chateaubleau de part et d’autre du pays des Meldes et des Senons. Débutant par la troublante forteresse de Montaiguillon perdue dans la forêt et regardant Provins, la rivière se termine à Pommeuse en traversant le Pons Mucrae pour aboutir là où était une superbe forteresse située au point stratégique de la Confluence. A Beautheil surgit le menhir qui inspecte à la fois « la vallée des saints » et la « serpentine » de l’Yerres qui caracolent côte à côte sans se regarder. L’Aubetin n’est pas seulement l’eau claire et calcaire mais aussi l’eau bénite des temps mérovingiens, toute entourée, il fut un temps, de vignes de messe et d’une multitude d’étangs des carpes du vendredi. C’est ainsi qu’au cours du VIe siècle, fleurit le Christianisme dans nos campagnes, et naquit le superbe monastère de Sainte Fare dont l’église a conservé le cœur de la princesse 75 ≈ 70-79Aubetin:EAU 7/08/08 10:47 Page 76 7/08/08 10:48 Page 77 L’Aubet in au fil du temp s 70-79Aubetin:EAU ≈ A gauche, ruines d’une fabrique, vestiges du parc du château de Mauperthuis. A droite, la source et la chapelle de Sainte Aubierge. de Clèves héroïne du célèbre roman de Madame La Fayette. C’est le long du promenoir des Anges que réside l’abbé Perrin dans sa forteresse spirituelle où ses poèmes ondulent entre ciel et terre. Non loin de là, Sainte Aubierge, troisième abbesse, dont la chapelle et la source en permanence à 10°5, attirent les malades et les jeunes filles qui cherchent un mari. Puis Saint Blandin construisit un ermitage Sainte Flodoberthe à Amillis qui protège encore la demeure des Bénédictines charitables. Dagny garde le souvenir de Saint Jéroche qui planta son bâton, qu’il ne put retirer, de sorte qu’il devint un buisson d’épines en perpétuelle floraison. Les rives étaient autrefois parsemées de moulins et on peut admirer sous le viaduc du chemin de fer de Paris à Coulommiers le moulin du Gué Plat dont la mécanique a été reconstituée, et le moulin des îles qui hanta Vercors qui y vécut les trente dernières années de sa vie. Mais la rivière a voulu dans la commune de Mauperthuis se terminer en apothéose : c’est là que Montesquiou avec l’aide de Ledoux et de Brogniard construisit à la fin du XVIIIe un château exemplaire aujourd’hui démoli versant sur un jardin classique envahi par la forêt vengeresse. Il élabore le long de la rivière une folie merveilleuse allant jusqu’au manoir des Coteaux composite où vécut Maman-Quiou gouvernante du Roi de Rome : la plupart de ces rêves sont aujourd’hui disparus mais il nous reste le moulin de Mitsou qui joue avec la rivière et la sublime pyramide délabrée issue d’un souterrain qui traversait l’allée montant à l’obélisque. C’est là que le Comte de Provence, futur Louis XVIII assista en 1775 à une fête mirifique qui se termina selon Delille par une joute sur le lac. Plus tard au début du XIXe siècle, dans Mademoiselle de Maupin, Théophile Gautier évoque les paysages de son enfance imaginaire au bord de l’Aubetin. C. de B. ■ ≈ Abreuvoir à Saint-Augustin. Menhir à Beautheil. 77 ≈ 70-79Aubetin:EAU 7/08/08 10:48 Page 78 ≈ Paysage agricole de l’Aubetin à Dagny. Dessins de grandes cultures ême si les terres de la Brie ont la réputation d’être profondes et riches, en raison de l’épaisseur du loess déposé sur ce vaste plateau lors des dernières grandes glaciations, cette affirmation perd de sa force au fur et à mesure que l’on se dirige vers la Champagne, où l’épaisseur de ces limons diminue. Quoiqu’il en soit, la teneur de ces terres en particules argileuses les rend particulièrement humides, et lourdes, en hiver, et la productivité de la Brie tient, comme dans la plupart des grandes régions agricoles, au drainage de celles-ci. Cette opération consiste à favoriser l’évacuation de l’eau présente en excès dans le sol à l’aide de drains, qui sont enterrés à une profondeur et à un écartement calculés en fonction de la nature du sol. Longtemps réalisés M ≈ Page de droite, Frétoy, bande enherbée. 78 ≈ en terre cuite, en éléments juxtaposés les uns aux autres, ces drains sont depuis quelques décennies faits de tubes en plastique, perforés. La mise en place des réseaux de drainage est une opération lourde financièrement, et techniquement, car elle nécessite de définir les conditions d’écoulement des eaux excédentaires vers le réseau hydrographique. Il en a résulté un curage actif des cours d’eau et, bien souvent, leur surcreusement, afin que le débouché des collecteurs de drainage se fasse bien au-dessus du lit – donc du fond – des rivières. Par ailleurs, la mécanisation de l’agriculture a obligé, ici comme ailleurs, mais depuis bien longtemps en Brie, à supprimer le petit parcellaire agricole, afin de constituer de très grandes entités, 7/08/08 10:48 Page 79 aux dimensions adaptées à l’usage de matériel devenu de plus en plus conséquent, comme les moissonneuses-batteuses. Ce regroupement, combiné à la redistribution des terres, ainsi redessinées, entre les agriculteurs concernés, a été permis par les opérations de remembrement rural. Presque toujours, ces opérations foncières complexes, et longues, se sont accompagnées d’alignement de chemins, de creusement de fossés, de suppression de haies ou de petits bosquets, et du recalibrage des cours d’eau, qui consiste à en redéfinir les dimensions : (largeur, profondeur), mai aussi, si besoin, le tracé. Des mesures compensatoires, en particulier en cas de suppression de haies ou de boisements, sont prévues, et résultent d’études d’impact devenues, depuis, obligatoires. Ainsi tout le cours amont de l’Aubetin, et celui de ses affluents situés sur le grand plateau agricole, comme de nombreux autres petites rivières de Seine-et-Marne, et d’ailleurs, attestent-ils d’une adaptation à l’évolution d’une agriculture voulue particulièrement productive, et compétitive. Aujourd’hui, l’évaluation de l’impact de ce type de travaux sur l’état et le fonctionnement des rivières, mais aussi des nappes d’eau souterraines, fait que, désormais, de telles opérations s’inscrivent dans une nouvelle forme d’aménagement du territoire : l’aménagement foncier agricole et forestier, dans lequel la préservation des milieux naturels est clairement inscrite. De plus, progressivement, une prise de conscience collective, et une meilleure gestion des cours d’eau, permettent de voir, ici ou là, mais encore très timidement, des zones humides se reconstituer, des arbustes et des arbres revenir ombrager les ruisseaux, ou de nouveaux espaces apparaître destinés à assurer une fonction de tampon vis à vis des eaux de drainage ou de ruissellement. A tous les niveaux, depuis l’Europe jusqu’à l’exploitant, on tente de concilier production agricole et environnement ; les bandes enherbées implantées le long de la plupart des cours d’eau en sont un exemple ; sont-elles suffisantes ? sont-elles efficaces ? s’inscriront-elles dans la durée ou seront-elles remises en cause ? Autant de questions dont les réponses influeront sur le devenir de l’Aubetin, comme des autres rivières de Seine-et-Marne, et d’ailleurs. M. B. ■ L’Aubetin Incidences 70-79Aubetin:EAU 79 ≈ 80-87Gondoire:EAU 25/08/08 9:16 Page 82 La Gondoire en parenthèse L a Gondoire est bien petite pour qu’on en parle, mais avec ses affluents, Gassets, Sainte Geneviève, et Brosse, ce sont bien eux qui ont fait le décor dans lequel tout le reste s’est inscrit : châteaux, villages, chemins, parcs, champs, étang, perspectives… et ville nouvelle. Juste au sud de la Marne, dans un ultime rebond du grand plateau briard qui dure depuis la Seine, la petite Gondoire offre une dernière vallée, presque perchée, au pied de côtes qui portèrent des vignes. L’entrée dans Paris n’est qu’à vingt kilomètres, la belle distance, autrefois, pour châteaux et résidences. Ce val, de la Gondoire et de la Brosse, est vallée de châteaux et de parcs, dont certains prestigieux : Jossigny, Fontenelle à Chanteloup-en-Brie, et Guermantes d’un côté ; Ferrières et Rentilly de l’autre ; le tout en un rien de carrosse, de cheval, de marche, ou de voiture. La Gondoire et ses affluents sont des cours d’eau non domaniaux, de 2e catégorie piscicole. A sa confluence avec la Marne, en aval de ce qui est aujourd’hui la base de loisirs de Torcy, le débit de cet ensemble est faible : 3 à 400 litres par seconde en moyenne ; près de la moitié provient du ru de la Brosse, affluent principal, issu des bois de Ferrières et du plan d’eau de la Taffarette, dont l’eau sourd du parc du château, et qui reçoit ensuite le petit ru de Bussy. A la fin de son parcours, bordé d’une piste cyclable, la Gondoire ne mesure que 2 à 3 mètres de large pour une cinquantaine de centimètres de hauteur ; ses berges restent hautes cependant, car il lui arrive d’avoir à faire transiter vers la Marne des débits bien plus élevés, comme ce 7 juillet de l’an 2000, où elle débita ≈ L’Orangerie du Château de Rentilly à Bussy-Saint-Martin. 82 ≈ 9:16 Page 83 jusqu’à 10 m3/s ! On verra plus loin pourquoi, et aussi ce qui fait que son eau n’est pas de la meilleure qualité : on n’y voit donc guère de poissons, ni de pêcheurs. Comme pour la Beuvronne, un objectif lui a été assigné : redevenir de qualité « acceptable », ce qui n’est pas impossible, mais cependant ambitieux. Malgré leurs faibles débits, qui avaient probablement, néanmoins, l’avantage d’être assez réguliers, la Gondoire et la Brosse ont fait tourner des moulins ; sur le cours de ce dernier, celui de Russon vient d’être restauré pour montrer ce que furent les moulins. Avant de confluer avec la Gondoire, la Brosse traverse l’étang de la Loy, créé de longue date et qui, il y a peu, se mourrait d’envasement et d’envahissement par la végétation. Il a été habilement restauré, et est devenu l’un des points d’attrait de circuits de promenade, pédestres, cyclistes, et équestres, au fond d’une vallée préservée. Ce lieu de respiration, encore agricole, et au fil de l’eau 25/08/08 La Gondoi re 80-87Gondoire:EAU ≈ La Gondoire à Gouvernes. 83 ≈ 80-87Gondoire:EAU 25/08/08 9:16 Page 84 ≈ Promenade du site classé des rus de la Brosse et de la Gondoire. paysagé avec justesse, a été voulu par la Communauté de communes concernée par ces divers cours d’eau. Elle a rencontré la même volonté de préservation auprès de l’Etat, qui avait « classé » une partie des vallées de la Brosse et de la Gondoire, de la Région qui en faisait simultanément un de ses territoires d’acquisition, de l’Agence de l’Eau et du Département qui acceptaient eux aussi de financer cette originale, et sûrement bénéfique, enclave de nature entre deux parts d’une ville nouvelle. La Gondoire est bien petite, qui ne mesure qu’une dizaine de kilomètres, mais sa vallée a conservé châteaux, parcs, chemins, champs, étang et perspectives. Le site classé des vallées de la Brosse et de la Gondoire constitue un exemple de sauvetage, et de création, d’un cadre de vie, un havre de nature au milieu de la ville, en passe de réussir. Il ne reste qu’à penser aux rivières elles-mêmes, afin que leurs eaux soient dignes du cadre dans lequel elles s’écoulent. M. B. ■ ≈ La vallée du ru de la Brosse. 84 ≈ 25/08/08 9:16 Page 85 La Gondoir e Incidences 80-87Gondoire:EAU Quand il pleut sur la ville si faible distance de la capitale, un territoire comme celui que draine la Gondoire est inévitablement rejoint, un jour ou l’autre, par les développements induits par cette encombrante voisine. Un jour, ce fut – il y a un peu plus de trente ans – celui où les Villes Nouvelles furent décidées pour structurer les développements urbains : Marne-laVallée débutera dans le département voisin et s’étendra, un autre jour, jusqu’ici. Peu de temps passe ; l’autoroute s’allonge entre Ferrières et Jossigny ; la Région achète les bois de Ferrières pour sauver cette grande trame verte allant jusqu’à la forêt de Crécy. Au nord, ce sont toujours de riches terres à blé, de rares et grosses fermes, et des villages minuscules. On commence à venir habiter la vallée ; elle est hors la ville. Pourtant, sur les plans, c’est bien là, entre Marne et autoroute que les nouveaux secteurs de Marne-la-Vallée sont prévus ; Bussy-Saint-Georges, puis les communes qui constitueront le Syndicat d’Agglomération Nouvelle des Portes de la Brie. Les équipes de Disney repèrent le lieu, le comparent à d’autres, A l’estiment par rapport à Paris, aux avions de Roissy, aux Lignes à Grande Vitesse qui le relieraient à de multiples villes et à d’autres pays. L’Etat est pour, la Région et le Département aussi ; le nouveau parc Disney, apportant sa version imagée et contemporaine des châteaux, sera là. EPAFrance, un second établissement public d’aménagement se crée, à l’image de celui qui est toujours en train de construire les précédents secteurs de Marne-laVallée. Il faudra être à la hauteur, à temps, avec des routes, des ponts, des kilomètres de tuyaux pour l’eau propre dans un sens, et pour les eaux sales dans l’autre, des logements, les équipements qui vont avec, écoles, collèges, lycée… et puis prévoir d’autres activités, pour un développement suffisamment varié. Il faut acheter les terres, exproprier, réorganiser ; les villages sont submergés, les grues permanentes, hôtels, immeubles et pavillons, parc de loisirs, golf, gares, centre commercial… Et de tout cela, il faut évacuer les eaux naturelles, celles des pluies qui s’enfonçaient, avant, dans les limons, ruisselant parfois, pour rejoindre, à petite vitesse et ≈ Le ru des Gassets à Serris. 85 ≈ 80-87Gondoire:EAU ≈ Page de droite, Notre-dame du Val. ≈ Retenue d’eau pluviale au Val d’Europe. 86 ≈ 25/08/08 9:16 Page 86 faible débit, la modeste Gondoire ou ses affluents d’opérette. Il y a longtemps qu’en ville on ne mélange plus les eaux pluviales – celles qui ruissellent sur toitures, parkings et chaussées – et les eaux usées. Si les secondes sont dirigées ici vers la station d’épuration, performante, de Saint-Thibault-des-Vignes, on avait déjà placé sous les rues, des collecteurs déversant directement les premières, les eaux pluviales, dans les rivières. Jusqu’aux voitures, aux vidanges sauvages, aux déjections canines de maîtres indisciplinés, aux accidents de transport, aux débordements de cuves, à l’ignorance (on croit trop souvent que l’eau des caniveaux s’en va dans les stations d’épuration), à l’insouciance… et les eaux de pluie, une fois passées sur la ville, polluent presque autant que les autres. A force, on finit par se dire que si les eaux pluviales et les eaux usées sont mélangées dans la plupart des vieux centres des villes ou des villages, où l’on n’avait posé qu’un seul réseau d’assainissement, le fameux « tout à l’égout », c’était finalement peut-être aussi bien que tout parte dans les stations d’épuration, afin d’y traiter aussi une partie des eaux pluviales. Jusqu’à ce que leur débit soit tel, lors de fortes ou longues pluies, que le trop plein va quand même, directement, en rivière, entraînant avec lui une part des eaux usées… Rien n’est parfait. On a déduit de statistiques sur le régime des pluies, la dimension que devaient avoir les réseaux d’eau pluviale. Jusqu’à l’orage exceptionnel, et demain, aux modifications du climat. Les mentalités changent et les techniques aussi : avec les villes nouvelles, on crée les réseaux, dès le départ, aux bonnes dimensions par rapport à la taille qu’aura la ville, mais, pour ne pas les faire immenses, pour la pluie exceptionnelle, apparaissent les bassins de retenue des eaux pluviales : on les intègre à la ville, qui va jusqu’à s’organiser autour d’eux. Ces plans d’eau deviennent miroirs, étapes dans des parcs, restituant, tout à coup, aux yeux de chacun, le parcours de ces imperceptibles ruisseaux qui étaient là, avant la cité. Une tranchée pour les trains, cela complique les choses ; il faut descendre, pomper, relever, ou franchir : retrouver le parcours du ru des Gassets, intégré dans un parc à l’entrée de Serris, devient difficile. Malgré cela, voici le bassin n°8 où se reflètent quartier des Charmilles d’une part et centre commercial du Val d’Europe de l’autre ; puis celui de Notre Dame du Val sur celui de Bussy, et celui de la Broce sur le ru de la Brosse… Et finalement, malgré cette incroyable transformation du paysage, où l’imperméabilisation génère des flots croissants d’eau pluviale, de bassin en bassin, on atténue, on retarde, on régule, car la petite Gondoire et les autres ne peuvent guère changer de dimensions. Ces bassins, et les quelques équipements épurateurs qui, parfois, les précèdent, ont un deuxième rôle, piégeant déchets, hydrocarbures, épurant ce qu’ils peuvent grâce aux organismes qui s’y développent, et parvenant même, finalement, à tolérer une vie de poisson. N’empêche que toutes les eaux pluviales n’aboutissent pas dans les retenues, se fondant alors en rivière sans épuration ; n’em-pêche que des eaux usées, celles qui 25/08/08 9:16 Page 87 La Gondoir e Incidences 80-87Gondoire:EAU devraient aller vers la station d’épuration, s’écoulent encore parfois, plus ou moins discrètement, dans les cours d’eau. Et pendant ce temps-là, malgré tous les travaux déjà réalisés, la Gondoire, comme nombre de petites rivières recevant les eaux de villes trop grandes pour elles, suffoque aux fortes pluies, ne parvenant pas à retrouver une eau de qualité acceptable. Ces nouveaux étangs, ces lacs, que l’on retrouve aussi en canaux à Sénart, restent un trait de caractère des villes nouvelles, ou, ailleurs, de grands ensembles neufs. Mais les mentalités changent, et les techniques aussi ; les tuyaux coûtent fort cher et polluent beaucoup, les plans d’eau dépolluent, mais l’eau qu’ils rejettent grossit les cours d’eau au lieu de s’infiltrer, comme avant, en alimentant les nappes d’eau souterraines. Tous conviennent maintenant qu’il faut, raisonnablement, densifier les villes, les reconstruire sur elles-mêmes, sur leurs friches, plutôt que d’avancer toujours sur ces terres de culture qui méritent bien plus de considération. On cherche à gagner de l’espace et à réduire l’imperméabilisation : des toitures en terrasse végétalisée apparaissent, qui retiennent, évaporent et limitent la quantité d’eau à rejeter ; au bord des chaussées on voit des noues, fossés en herbe, peu profonds, parfois plantés, où l’eau s’épure et s’infiltre, limitant les tuyaux ; on encourage la récupération individuelle, ou collective, des eaux de pluie à des fins d’arrosage ou, avec prudence, chez soi, pour alimenter les chasses d’eau : ce sera autant d’eau potable économisée. Au point de se demander si, finalement, avec celle des rivières, ce ne serait pas l’eau de pluie qui serait en passe de redessiner bien des formes urbaines. La Gondoire et ses affluents sont trop timides pour que l’on parle d’eux, sauf que de tout temps des châteaux les ont pris pour écrin, et que pour le tout dernier, qui s’accompagne de milliers d’habitants, et reçoit 14 millions de visiteurs chaque année, ce sont eux qui, toujours, s’imposent à nous : tandis que l’on restaure l’étang de la Loy, pour le redécouvrir, surgissent de nouvelles architectures qui, pour exister, se reflètent dans les eaux qui iront les rejoindre, doucement. M.B. ■ 87 ≈ 88-109marne:EAU 7/08/08 11:20 Page 88 à Vaires-sur-Marne Saacy-sur-Marne Ussy-sur-Marne Varreddes Trilport La Marne Nanteuil-sur-Marne 88 ≈ La Ferté-sous-Jouarre Mary-sur-Marne Germigny-l’Evêque Meaux 88-109marne:EAU 7/08/08 11:20 Page 89 à Nanteuil-sur-Marne La Marne La Marne en tournis incessants Entre le champagne et le petit vin blanc, la Marne et l’eau sacrée Indispensables alliances Torcy Lagny-sur-Marne Noisiel Champs-sur-Marne Jablines Précy-sur-Marne Chalifert Thorigny Vaires-sur-Marne Chelles 89 ≈ 88-109marne:EAU 7/08/08 11:20 Page 90 La Marne en tournis incessants S i la Seine et la Marne étaient sœurs, la cadette serait la plus turbulente : faisant fi des boucles, amples et majestueuses, tracées par son aînée, la petite tourbillonne et, prise à son vertige, attire l’attention et vous le donne aussi. Ainsi est la Marne, qui bouillonnera jusqu’à retrouver son aînée, dont elle fera le tiers quand celle-ci, l’apaisant, glissera en simples clapotis sous les ponts de Paris. Sur ses 525 kilomètres de longueur, un cinquième de la Marne est en Seine-et-Marne, et sur cette bonne centaine, deux tiers seulement sont considérés navigables : à force de tourner en tous sens, au point de revenir presque là où elle est passée auparavant, elle s’est tellement allongée que l’on a fini par couper court, pour mieux naviguer. Lors de son passage en Seine-et-Marne, depuis Citry, où elle se partage avec le département de l’Aisne, jusqu’à Chelles et Champs-sur-Marne, d’où elle fera le Val de Marne, cette large rivière sert souvent de limite entre les 53 communes qu’elle arrose. Dans la région voisine, la Marne a buté sur les côtes de Champagne qui, comme on le voudra, commencent, ou s’achèvent, en Seineet-Marne où l’on cultive quelques dizaines d’hectares de vigne pour le pétillant breuvage. Géologiquement, c’est face à la résistance que ces côtes lui opposaient, ≈ Entre Mary-sur-Marne et Isles-les-Meldeuses. 11:20 Page 91 au fil de l’eau 7/08/08 La Marne 88-109marne:EAU ≈ Changis-sur-Marne. que la Marne s’est mise à déposer à droite ce qu’elle arrachait à gauche, et inversement, comme le font toutes les rivières qui creusent leur vallée. Selon la façon que l’on a de compter les méandres qui résultent de ce patient processus d’érosion, engagé il y a plusieurs centaines de milliers d’années, au moins 7 peuvent se lire dans le paysage seine-et-marnais : ceux de Nanteuil, de SainteAulde, de Jaignes-Tancrou-Mary, de Varreddes, de Meaux, de TrilbardouCharmentray, et enfin d’Annet, chacun ayant bien sûr son retour sur une, deux, ou trois autres communes. Le plus resserré, là où la rivière semble attaquer l’obstacle par les deux côtés, est au cœur de Meaux, qui ne s’est pas implantée par pur hasard, face à cette sorte d’éperon : 425 mètres séparent la Marne, de son trajet vers le nord, à son retour en direction du sud. C’est en ce site que fut construit ce qui est peut-être l’un des plus anciens canaux de France, destiné à court-circuiter cette étroite boucle de rivière : celui du Cornillon, daté du début du XIIIe siècle. Une belle écluse, aujourd’hui inactive et en cours de restauration, y sert seulement à contenir l’eau du plan d’eau amont à deux mètres environ au-dessus du plan d’eau aval, en fonction des mouvements du barrage situé, ≈ Meaux, le canal du Cornillon. 91 ≈ 88-109marne:EAU 7/08/08 11:20 Page 92 un peu plus loin, dans cette boucle. Qui regarde bien Meaux ne peut s’empêcher de penser que tout en ces lieux appelait une ville, et une cathédrale. Six autres barrages jalonnent le cours de la rivière en Seine-et-Marne, où la navigation commerciale est moins active que sur la Seine, compte-tenu des dimensions des diverses écluses ainsi que de la rivière elle-même, qui n’a pas été aménagée à « grand gabarit » comme ce fut le cas pour celle-là. (cf p. 241243). Mais sans ces barrages, et sans ces écluses, la navigation serait impossible sur la Marne comme sur de nombreux autres cours d’eau, car ce sont ces ouvrages qui maintiennent un plan d’eau de hauteur suffisante pour que l’on puisse y naviguer. Mis à part le Cornillon, sans usage au moins depuis le milieu du XIXe siècle, deux autres canaux raccourcissent les temps de navigation sur la Marne. D’abord celui de Chalifert, long de 12 km, et inauguré en 1846. Il débute à Meaux, juste au sud du Cornillon, suit la Marne jusqu’à la confluence du Grand Morin, au-dessus duquel il passe, est rejoint par la « branche alimentaire » – même si celle-ci ne l’alimente plus depuis longtemps – et s’enfonce sous la colline de Chalifert, pour rejoindre la Marne 300 mètres plus loin, évitant ainsi ses deux derniers méandres seine-et-marnais. Peu de temps après, les péniches qui la descendent s’engagent, à Vaires-sur-Marne, dans le canal de Chelles, qui les conduit dans le département voisin, à Neuilly-surMarne, en 5 km ; mis en service 20 ans après le précédent, il évite un secteur où la rivière divague entre de nombreuses îles dont plusieurs sont devenues, 92 ≈ ≈ Meaux, la cathédrale et la halte fluviale. 11:20 Page 93 récemment, réserves naturelles. A côté de la navigation commerciale, la plaisance se fait, progressivement, une petite place dans le trafic aux écluses ; les villes s’équipent de haltes nautiques, se tournant, de plus en plus, vers une rivière assez longtemps ignorée : Lagny-sur-Marne, Meaux ou La Ferté-sous-Jouarre misent ainsi sur le tourisme fluvial. La pêche, quant à elle, est généralement bonne en Marne, malgré ses berges généralement abruptes et les variations parfois brutales de son niveau : 15 associations de pêche, 7500 pêcheurs, la fréquentent. Catégorie piscicole : deuxième, puisque grande rivière, aux eaux profondes et peu rapides ; domaniale : oui ; navigable : oui, sauf dans les méandres que des canaux évitent. Polices de l’eau et de la pêche : Service de la Navigation de la Seine. ≈ Canal de Chalifert entrée du tunnel. au fil de l’eau 7/08/08 La Marne 88-109marne:EAU Contrairement à ses affluents, il n’y eut jamais beaucoup de moulins sur la Marne, au regard de sa longueur. En 1850, on en comptait moins de 40 sur le cours seine-et-marnais de la rivière, le tiers se tenant autour de Meaux. Là, sur le pont datant du XVIe siècle, se serraient les plus connus d’entre eux, détruits, reconstruits puis disparus, définitivement, lors d’un violent incendie, dans les années 1920. Mais la Marne a longtemps travaillé pour les moulins des autres : de la Ferté-sous-Jouarre partirent, des décennies durant, et souvent au-delà des frontières de France, les robustes meules qu’on y fabriquait. A la Ferté, le port aux meules en garde le souvenir : on y employa des restes de meules que l’on ne pouvait vendre. Industrielle, la Marne le fut, et l’est encore, mais presque modestement. Elle a plutôt donné dans l’agro-alimentaire : d’imposants silos stockent et expédient toujours les grains produits dans les grandes plaines de Brie, du Multien et de l’Orxois ; mais la sucrerie de Villenoy, comme la centrale 93 ≈ 88-109marne:EAU 21/08/08 17:37 Page 94 ≈ Le site Menier à Noisiel. thermique de Vaires, ont fermé leurs portes. Il reste William Saurin à SaintThibault-des-Vignes, de l’industrie chimique, du traitement de métaux, ou encore le siège de Nestlé France à Noisiel préservant les remarquables architectures datant de l’époque, et du succès, du chocolat Menier. Encore actif aussi est le lourd transport des sables et graviers que la Marne a accumulé dans ses méandres, et que l’on extrait en de multiples lieux, pour la construction et les travaux publics. Et puis, au milieu de tout cela, de modernes usines pompent l’eau de la rivière, la filtrent, la traitent, la désinfectent, l’analysent, la goûtent, et l’envoient, eau devenue potable, desservir des milliers d’habitants : à Meaux, à Annet-surMarne, et plus loin à Neuilly-sur-Marne, la rivière est ainsi puits et source à la fois, dans des usines aux contrôles permanents, qui ont le regard fixé sur la rivière, prêtes à réagir à la moindre anomalie. La qualité des eaux de la Marne est plutôt bonne ; on y décèle néanmoins l’impact des grandes agglomérations comme celles de Meaux, ou de Lagny-Marne-la-Vallée. N’empêche qu’en ce début de XXIe siècle, elle tiendrait presque l’objectif fixé : « eau de bonne qualité » si ce n’était la présence, infime, mais détectée, de ces pesticides que l’on emploie en grande culture, sur les voies ferrées, en ville, ou dans presque tous les jardins particuliers. Une telle observation n’est pas spécifique à cette rivière, car plus on se place à l’aval d’un grand bassin versant, comme l’est celui de la Marne, couvrant plusieurs départements, plus on retrouve ces produits, de façon presque constante, véhiculés par de multiples voies. Les réduire, encore, est un combat de longue haleine ; sur l’Yerres, une rivière voisine (cf p. 137-139), une démarche est initiée pour tenter d’y parvenir. On a déjà vu quels étaient les principaux affluents de la Marne : Ourcq, Thérouanne, Beuvronne en rive droite, Petit Morin, Grand Morin et Gondoire en rive gauche. Elle en reçoit bien d’autres, souvent discrets, au point que certains en sont même secs l’été, mais qui tous ont fait la géographie, puis l’histoire : celle des villages et de leurs lavoirs, celle des moulins quand 94 ≈ ≈ Page de droite le canal de Chelles qui va de Vaires-sur-Marne à Neuilly-sur-Marne. 88-109marne:EAU 7/08/08 11:20 Page 95 88-109marne:EAU 7/08/08 11:20 Page 96 l’eau était suffisante, celle des vallons et des marais, et celle des villes enfin quand s’approchant trop de Paris celles-ci les rattrapèrent. En rive droite, et parmi quelques autres, se succèdent ainsi : le ru de Sainte-Aulde au-delà duquel s’arrête la Seine-et-Marne, ceux de Courtablond à Ussy et de Chivres à Jaignes, le ru de Rutel qui coule de la Goële et conflue à Villenoy, et à Chelles enfin, celui de Chantereine, devenu ru des villes, souffrant de ne plus être un simple ru des champs. En rive gauche, confluent : le ru de Péreuse à Sammeron, celui des Cygnes à Nanteuil-les-Meaux, l’original Rapinet à Jablines, où le marais de Lesches a été aménagé pour recueillir les brochets remontant la Marne lors du frai, dans le but de produire des brochetons en grand nombre, le ru de Maubuée à Noisiel, succession de plans d’eau organisant le Val Maubuée, vaste secteur de Marne-la-Vallée, et pour finir, le petit Merdereau, serpentant juste au-delà des perspectives du parc de Champs. Un autre ruisseau, qui deviendra rivière dans le département voisin, pour s’y jeter en Marne, prend sa source en forêt de Ferrières : le Morbras ; il fut longtemps malade d’avoir vu grandir si vite Roissy-en-Brie et Pontault-Combault, encore simples villages au milieu du XXe siècle. Il a demandé bien des investissements, dont les plus importants furent de collecter les eaux usées de sa vallée pour les traiter dans la station d’épuration de Valenton, d’où elles se rejettent, non plus en Marne, mais en Seine. Le ruisseau, lui, reçoit toujours les eaux pluviales, prétraitées quand on le peut ; doté d’un bassin de retenue en aval de Roissy-en-Brie, il devient, en Val de Marne, rivière urbaine, modeste, mais objet de toutes les attentions. Il est un autre affluent qui conflue d’abord avec le Surmelin, et à travers lui, avec la Marne, bien avant que cette dernière entre dans notre département, mais qui pourtant… le traverse, aussi, de part en part : la Dhuys, dont les sources furent captées pour alimenter Paris en eau potable. L’aqueduc, devenu de 96 ≈ ≈ Halte fluviale à La Ferté-sous-Jouarre. ≈ Sculptures de Jacques Servières à Chessy. 11:20 Page 97 la Dhuis, est par sa longueur un imposant ouvrage (131 km), doté d’une très faible pente puisqu’il n’a que 20 mètres de différence d’altitude entre son départ au captage, et son arrivée au réservoir de Ménilmontant. Mis en service en 1865, pour apporter 20 000 m3 d’eau potable, par jour, aux parisiens, il se devine tout au long de son périple seine-et-marnais. Interminable couloir herbu, souvent bordé de haies ou d’arbres comme le serait une rivière, l’aqueduc de la Dhuis, lui aussi, tourne et retourne, accroché au moindre dénivelé, pour aller doucement, par simple gravité, jusqu’à la capitale. Chemin sans nom, ou bien promenade, on le voit ici enjamber une rivière, on le devine là, passant sous une autre en siphon. Bien que son tracé continue vers Paris, son eau est interceptée au niveau du parc EuroDisney, afin d’y diversifier l’approvisionnement en eau potable, avec la Marne traitée, et l’eau souterraine captée. La Marne, il la franchissait plus loin, entre Chessy et Dampmart, par un pont que la guerre fit sauter ; la traversant autrement, il a laissé ses pierres devenir œuvres d’art. Une fois en rive droite, il s’élève en belvédère, sur ces derniers coteaux boisés de Marne qui regardent au sud, là où villes anciennes et villes neuves se mêlent ; il vient d’entrer dans l’agglomération parisienne, en surplomb de la grande rivière à laquelle, très loin, l’eau de la Dhuys s’est déjà mêlée. Ainsi va la Marne, viticole, agricole, urbaine, sinueuse, offrant ses paysages : villages accrochés au flanc de ses rondeurs, églises trapues, châteaux cachés, fermes aux lourds pigeonniers, îles retrouvées, bruissants barrages, brusque jusqu’à ses berges, beige de terres érodées, enjambée de viaducs, écrin de au fil de l’eau 7/08/08 La Marne 88-109marne:EAU 97 ≈ 88-109marne:EAU 7/08/08 11:20 Page 98 cathédrale, blanchie de villes nouvelles, débordante, grande et presque illisible, pour cause d’incessants volte-faces. Au cœur de ses boucles, là où l’on a pris, où l’on prend encore, les matériaux roulés, usés et affinés, qu’elle a charriés au cours des millénaires, ses paysages changent : les agriculteurs ont cédé la place aux carriers, et derrière eux se découvrent de vastes plans d’eau, car il vaut mieux l’eau de la nappe, qui apparaît, que d’apporter des matériaux – divers et parfois trop – pour remplacer le sable pur. Il n’en fallait pas plus pour que la Marne devienne récréative, sportive, écologique : Vaires-sur-Marne, Torcy, Jablines-Annet, les bases de loisirs se spécialisent et se succèdent en remontant la rivière ; on est près de Paris, de sa dense banlieue privée de forêts et de grands espaces ; on vient facilement sur ces plages où l’on se croit en vacances. A Congis-sur-Thérouanne, on joue la carte de l’environnement depuis que des milliers d’oiseaux ont retenu le lac de gravière comme escale annuelle, ou demeure permanente. Ainsi s’en va la Marne, qui fut tour à tour, pays de combats, rivière de peintres, puis de fête juste après Seine-et-Marne : nourricière pour Paris, tournant, se retournant, demandant du temps. Dans ses panoramas, bien souvent elle se cache, tourbillonne, nous donnant son vertige, disant de revenir. M. B. ■ ≈ Poincy, halte fluviale. ≈ Kayak sur la Marne en crue au barrage de Noisiel. 98 ≈ 7/08/08 11:20 Page 99 La Marne au fil du temp s 88-109marne:EAU Entre le champagne et le petit vin blanc, la Marne et l’eau sacrée M ≈ Nanteuil : les vendanges en Champagne. on Dieu ! Si la Marne pouvait raconter à la première personne tout ce qu’elle a vu, entendu, ce serait une histoire interminable. Elle alternerait la parole divine qu’elle véhicule le long des cathédrales ou des églises et la féerie de ses reflets d’une histoire qui la transforme en musée vivant. Quelquefois, dans ses débordements, elle a voulu aller plus loin et investir les rues et les venelles et, en 1909, nos cités furent presque englouties. L’active « Matrona » aux eaux virulentes, aux chutes trépidantes, est aussi fantaisiste dans les séries de méandres contrariés et sinusoïdes. Sa ligne droite qui ne dépasserait pas quarante kilomètres en réalise au moins cent vingt dans ces courbes alternatives où elle bute sur massifs de forêts, carrières, cités ou les récentes bases nautiques comme Jablines « en bord de mer ». C’est également dans ces aires de repos que sont déposés les vestiges archaïques ou Gallo Romains. Les villages et les cités de cette époque étaient presque aussi nombreux qu’aujourd’hui. Il faudrait bien pour alimenter la mémoire en dresser les maquettes. Quant aux incidents de la vie quotidienne, ils sont à peine chuchotés. 99 ≈ 88-109marne:EAU 7/08/08 11:20 Page 100 ≈ Vues de l’Abbaye de Jouarre. Dans le domaine du passé antérieur ne faut-il pas commencer par la fin où, sous les ballastières de Vaires et Torcy, l’Abbé Bonno découvrit vers 1880 les restes de l’époque Chelléenne qu’Armand Lanoux a vu se réveiller dans les monstres de béton où sont implantés les banlieusards mélangés de l’est parisien. Il rêvait du retour de Sylvie, (égérie de Gérard de Nerval), – Dame Nature – réfugiée dans les forêts du Valois. Chelles commence avec l’assassinat par Frédégonde de Chilpéric dont le monument funéraire se promène dans le jardin public. Ce rendez-vous de chasse devint le palais de Clotilde qui y fonda un oratoire lequel devint l’une des plus célèbres abbayes de France. L’Irlandaise sainte Bertille en fût la première abbesse. On dirait plus tard que si l’on n’était Reine de France on devenait abbesse de Chelles. Le musée local Alfred Bonno nous laisse admirer le trésor de Bathilde exhumé de la châsse de l’église Saint-André. On voit apparaître la superbe chasuble. Nous ferons ici, dans un rassemblement de merveilles, un petit tour dans l’autre monde. Un peu plus tôt vers le premier siècle de notre ère, les routes de Rome à Boulogne et de Paris à Reims, se croisent à Meaux près de la cathédrale, la place du Forum et du temple, intersection du Cardo et du Decumanus meldois qui se dirigent vers le Brasset, lit de l’ancien fleuve, en croisant les thermes et le théâtre. César y voyait un port étendu chargé de navires de guerre et de commerce. La cité, qui avait 60 hectares (au lieu de 100 pour Paris) au temps de la Paix Romaine, se rétrécit après les invasions pour devenir un castrum entouré de murailles dont on voit encore le petit appareil boulevard Jean Rose au pied de la « maison Bossuet ». 100 ≈ 7/08/08 11:20 Page 101 La Marne au fil du temp s 88-109marne:EAU ≈ Détail des ruines de Montceaux-les-Meaux. ≈ Lagny-sur-Marne, l’ancien cloître. La paix gallo-romaine a permis l’édification, en campagne, de villas plantureuses. Les mérovingiens nous laissent, à Chelles par exemple, des monuments de haute importance de cette époque de floraison chrétienne dont la Marne exprime la quintessence. Tout d’abord le vaste monastère de Jouarre où sainte Fare, fille de Chagnéric, est intronisée comme ses frères Dadon à Rebais et Radon à Reuil. Elle est rejointe par Agilberte et Ébrégésile, sa sœur Balde et sa nièce Telchilde. Sur ce balcon, la prière et l’élévation imprègnent encore ce monastère à la tour du XIIe siècle et au cloître du XVIIIe, proche de l’église Saint-Pierre dont le pèlerinage du XIXe siècle ne comptait pas moins de 8 à 10 000 participants. Pourtant le trésor du lieu est encore souterrain dans la crypte aux tombeaux lumineux. À la même époque que Bertille et Fare apparaissent saint Fursy à Lagny et saint Faron évêque de Meaux dont le parent saint Fiacre fût un grand défricheur et s’assit sur la pierre molle, guérisseuse des maladies du bas ventre et symbole de la fertilité. Au temps de Charlemagne « empereur de Trèves », la Marne est peu évoquée hormis les missi dominici et l’apparition du fromage de Brie « roi des fromages, fromage des rois ». Dès lors au temps des marins Normands notre fleuve est en grande turbulence où se multiplient des brigandages, des vols et des assassinats. La rivière se colore de rouge et Trilbardou qui veille est souvent attaqué. La rivière redevient plus limpide au temps des Capétiens. Il ne nous reste plus aucune de ces forteresses qui surveillaient la Marne au temps du Moyen Âge. De celle de La Ferté-sous-Jouarre, où régnèrent les Condé, 101 ≈ 88-109marne:EAU 7/08/08 11:20 Page 102 nous n’avons plus qu’une belle gravure d’un château carré et massif. Le château des Comtes de Champagne à Meaux a dévalé dans la rivière aux moulins superbes et celui de Lagny a tout de même conservé en bordure de Marne des portes fortifiées. On voit encore près de la fontaine Saint-Fursy les cinq pignons qui donnent, à la place comme au quartier des marchés à Meaux, un sens de l’harmonie médiévale. Si la puissance civile du grand Moyen Âge a pratiquement disparu, comme les grandes foires des comtes de Champagne, une large procession de sanctuaires conduite par la cathédrale, tracent le chemin du fleuve en direction du ciel. Le raide édifice de Meaux garde nef et abside harmonieuses et une tour du XVIe siècle à côté de la « mal coiffée ». Et depuis l’entrée jusqu’au mariage avec la Seine, on va découvrir une suite d’églises qui l’abritent dans la sainteté. À part quelques exceptions romanes, ces témoins du XIIe siècle, détruits par la guerre de 100 ans, ont été le plus souvent reconstruits dans la seconde partie du XVe siècle flamboyant et la première partie du XVIe siècle ≈ Eglises de Méry-sur-Marne et Sainte-Aulde. ≈ Le château de Guermantes. 102 ≈ 7/08/08 11:20 Page 103 La Marne au fil du temp s 88-109marne:EAU ≈ Château de Champs-sur-Marne. ≈ Meaux : le jardin Bossuet. où fleurit le style Renaissance. Dans la grande abbatiale de Lagny, se voit encore un vitrail moderne où Jeanne d’Arc ressuscite un enfant mort. Ainsi ce siècle de paix entre deux périodes de guerre fit illustrer la Marne de merveilles. Du reste, la découverte de la poudre à canon et de l’artillerie – dont Jean Bureau fut l’un des protagonistes – rend désormais les forteresses inutiles, même celle de Meaux qui, au cours de la guerre de 100 ans, devint anglaise pendant 17 ans malgré le courage des chenapans qui la gardaient, et qui tenaient plus de la bête que de l’homme accompli. L’agriculture, qui périclitait depuis la fin du XIIIe siècle en raison des frimas, des misères et des bandits de grands chemins, avait laissé d’immenses territoires en jachères et des villages vidés de leurs habitants. Une fois de plus l’eau rouge de la Marne avait vaincu celle d’un bénitier dominant. Avec le Vert Galant, le fleuve reprend son rôle véhiculaire. C’est au premier quart du XVIe siècle que surgit l’humanisme, le livre imprimé et de superbes châteaux comme Montceaux les Meaux construit par Catherine de Médicis où Henri IV se repose de ses succès avec la pacification de l’Édit de Nantes. C’est à Meaux que rayonnent les évêques Briçonnet et Lefèvre d’Étaples qui veulent traduire en français les textes sacrés, enlever les églises aux Cordeliers provocateurs et évacuer les superstitions. Une grande partie du pays commerçant devient réformée notamment les marchés de Meaux, de La Ferté, de Lizy dont les seigneurs étaient protestants. Il s’en suit de grands massacres, brûleries atroces et de l’autre côté pillages des églises, se terminant par l’exode provoquant la 103 ≈ 88-109marne:EAU 7/08/08 11:21 Page 104 fin d’un épanouissement commercial. En 1598, Henri IV vainqueur du duc de Mayenne obèse qu’il avait fait transpirer, fait son entrée triomphale à Meaux. Le XVIIe siècle, qui a souffert de la Fronde et des Lorrains, est le siècle « mitré » du jardin de Bossuet dont la foi profonde illumine le corps et l’esprit visionnaire. Il dit à ses prêtres qu’ils sont envoyés sur la terre comme Jésus Christ. Son voisin de Germigny-l’Évèque, le curé de Saint-Jean-les-deux-Jumeaux, qui va souvent à Meaux dans le palais Renaissance, voit quelquefois passer sur la route d’Allemagne, le long d’une Marne droite, l’immense cohorte militaire du Roi Soleil qui fait allouer quelques pistoles aux pauvres. Il croit farouchement à l’unité religieuse de la France et c’est au château de Lizy que se déroule le dernier synode qui met fin à la tolérance. Les XVII et XVIIIe siècles, pacifiques sur le territoire de la France, sont ceux des laboureurs et des châteaux de plaisance. En descendant le fleuve on voit tout d’abord Luzancy dont la façade orientée vers la Marne verse sur un parc à la française. C’est là que vécu Ladislas, comte de Bercheny, Hongrois devenu maréchal de France. Plus on se rapproche de Paris, plus on rencontre, autour de la forteresse en carton de Disneyland, les demeures richissimes de Parisiens en réceptions et fêtes permanentes. Certains sont détruits comme le Coupvray des Rohan, écroulé, ou le Croissy de Liszt et de Marie d’Agoult, bombardé à la fin de la seconde guerre mondiale. Mais demeurent le joli manoir de Jossigny, la ferme du Génitoy où furent élevés les bâtards de Louis XIV, l’approche Proustienne de Guermantes avec sa belle inutile, et le château d’Or de Champs entouré de son jardin de dentelle. Le dernier témoignage avant les Menier sera Ferrières où la demeure anglaise en galerie des Rothschild fût embouteillée de bibelots superbes. Chateaubriand évoque encore le château de Noisiel, propriété des Lévis où « l’esprit apaisé il regarde les ruines de l’abbaye de Chelles et voit les barques 104 ≈ ≈ Ancienne usine Menier. Moulin Saulnier. 7/08/08 11:21 Page 105 arrêtées sur la Marne ». C’est à côté de ce paquebot aménagé par les Menier que les quatre ou cinq générations des « princes du chocolat », édifièrent ce « Versailles de l’industrie » sur notre Marne « l’Ileuse » comme disait Ronsard, en inondant le monde entier de plaques savoureuses. À l’ombre du château et du palais se trouvaient rassemblées les cités ouvrières dont la population légèrement vassalisée faisait « partie de la famille ». Celle-ci qui ne connaissait pas de limite à sa fortune s’approvisionnait en cacao dans ses vastes propriétés du Nicaragua, et en lait par ses vaches de la ferme du Buisson aujourd’hui convertie en centre culturel. Submergés par les fêtes et les commémorations, les Menier recevaient le haut du panier sur leur yacht de 65 marins dans leur île du Saint-Laurent, avant de baisser les rideaux devant les poings tendus de 1936 en s’écriant « qu’ils ne méritaient pas le drapeau Rouge ». Cette merveille industrielle a été fort heureusement rachetée par Nestlé, l’héritier légitime, qui l’a remise en état. À l’extrémité inverse se trouvent à La Ferté-sous-Jouarre les spécialistes mondiaux de l’extraction et du façonnage de la meulière, tout d’abord animée par des petits patrons aux villas et hôtels réservés, avant la concentration progressive. Le travail des carriers était successivement l’extraction de la pierre dans les alentours, le transport par des travailleurs musclés et ceux qui, dans les ateliers concentrés, affinaient moulaient, cerclaient et polissaient les superbes roues avant que les marchandises ne fussent acheminées par voie d’eau puis par les chemins de fer. Peu à peu cette industrie magistrale, en une lente agonie, périclita vers la seconde guerre mondiale. Céline ne manque pas d’écrire, « il y a des gens qui meurent en un mitant et des gens qui meurent toute une vie ». C’étaient les damnés de la terre. C’était le cas des meuliers. La Marne au fil du temp s 88-109marne:EAU ≈ Bords de Marne à la Ferté-sous-Jouarre. 105 ≈ 88-109marne:EAU 7/08/08 11:21 Page 106 N’oublions pas que, sur les bordures du fleuve, surgissaient très souvent les vignobles qui disparurent vers la fin du XIXe siècle à la fois par la maladie et par leur qualité exécrable. Mais on y trouvera toujours les pêcheurs attendant le poisson miraculeux. A propos de « miracle », ce fût, en septembre 1914, celui de la bataille de la Marne qui bloqua les armées de Von Klug et dont les ponts comme dit Pierre Mac Orlan furent parmi les plus grands blessés. Les officiers furent décimés à la tête des troupes, et Péguy fut tué face au château de Monthyon. Monseigneur Marbeau en demeure le défenseur spirituel et le monument Américain, où va ouvrir bientôt un musée, commémore hautement le sang sacré. Certes le XIXe siècle, comme le XXe siècle, voit la floraison de l’archéologie militante du réveil des Arts et traditions populaires et de la littérature régionale, avant que la « solitude peuplée » et les loisirs omniprésents ne rendent aux uns l’image de tous les autres. Parmi les écrivains de dimension nationale on trouve Bossuet qui préfère le ciel, Beckett qui illustre l’enfer des mots, Léon Bloy le croyant désespéré qui égratigne Lagny alias « cochon-surMarne » et Armand Lanoux qui tonifie le paysage autour de Chelles. Si la Marne a été bénie par le ciel et rougie par le sang, et reflète les monuments de ses rivages sombres ou enflammés, elle fût sans cesse recréée et transfigurée par les peintres souvent impressionnistes du XIXe et du XXe siècle. La voilà dévoilée par les palettes innombrables qui se l’arrachent afin de la rendre et de la parachever. On distingue l’école de Luzancy dont le fondateur fût Corot car la rivière « coulait dans ses veines ». Il fût le maître d’Alexandre Bouché puis de Meslé qui planta ses chevalets à Chamigny. À La Ferté, Planson 106 ≈ ≈ Passerelle à Chelles. La Marne au fil du temp s ≈ La Marne par André Planson (Coll. particulière). l’ami de Mac Orlan, nous met la Marne en état de jubilation festive et Hayden au niveau d’une couleur intense. À Meaux, Pinal en 1913 peint la cathédrale et les moulins bientôt détruits qui se noient dans la fange. Quant au centre de Lagny, il voit se réunir une grande partie des maîtres impressionnistes et pointillistes comme Cavallo Peduzzi, Gausson et Collin qui grave une péniche inoubliable avant que la Fresnaye puisse intégrer le cubisme dans une vision de la Ferté-sous-Jouarre. On jettera quand même un coup d’œil au-delà de la frontière où séjournaient les peintres les plus réputés. C’est vers la fin du siècle le temps de la belle époque et des cartes postales. Les Parisiens du dimanche en goguette viennent boire le petit vin blanc, écouter l’accordéon joyeux, regarder les baigneurs s’égayer et canoter les couples amoureux. On se souvient de Dufy qui nous fait entrer dans l’univers de Nogent-sur-Marne. Avec les peintres, notre Marne toute chavirée, presque folle, virevolte dans le plaisir et la galanterie, s’aplatissant sur elle-même et se dédoublant à ravir pour remplir les musées de la mémoire et animer les rêves nocturnes. Au XXe siècle où les villages et les villes s’étalent en tous sens, ici et là quand « chacun est devenu tout le monde », le paysage se fige dans d’innombrables instruments anonymes et les fermes mécanisées ont perdu leurs ruraux. Pourtant la cité nouvelle de Marne-la-Vallée a voulu se remplir d’œuvres d’art et d’ensembles gravitant autour d’espaces verts. C. de B. ■ 107 ≈ 88-109marne:EAU 7/08/08 11:21 Page 108 Indispensables alliances lus de cinquante communes bordant la Marne, rien que dans notre département, c’est presque autant d’habituées, pourrait-on dire, à ce que celleci les inonde, car plus de 6 000 hectares y sont réputés inondables, dont 300 en zone urbaine. C’est que la Marne est vive ; il n’y a pas si longtemps qu’un peu plus haut, son lit, comme celui de certains de ses affluents, se déplaçait au gré des crues. Pour l’assagir un peu, en lui laissant assez d’eau l’été pour naviguer et produire l’eau potable, et en en retenant le plus possible, en hiver, afin de limiter l’ampleur de ses inondations, un très vaste lac de retenue, celui du Der-Chantecoq fut créé près de Saint-Dizier. D’une contenance de 350 millions de m3, il fut mis en service en 1974. Il est géré par les Grands Lacs de Seine, institution des barrages réservoirs du bassin de la Seine, regroupant Paris et les départements de la petite couronne, directement intéressés par cette double fonction. En pratique, la réduction des inondations bénéficie aussi à tous les territoires situés entre le lac et l’agglomération parisienne, et donc, sans P ≈ La Marne en crue à Noisiel. 108 ≈ aucun doute, à la Seine-et-Marne. Il n’empêche que si de fortes pluies succèdent à un hiver très pluvieux, un tel lac ne peut retenir toutes les eaux de ruissellement, surtout qu’entre celui-ci et Paris, plusieurs affluents de la Marne viennent grossir ses eaux, provoquant alors, malgré le lac, des inondations parfois spectaculaires. Gournay-sur-Marne, aval immédiat de la Seine-etMarne ; on y enregistre en permanence le débit de la rivière. Le débit moyen, mensuel, y est de 110 m3 par seconde ; en février, la moyenne mensuelle est de 180 m3/s, et en août, de 55 m3/s ; jusque là, rien de surprenant. Mais si, en 1976, année de grande sécheresse, le débit minimum observé, cette fois sur une journée, n’était plus que de 8 m3/s, en 1983, année de grandes crues, la valeur maximale, toujours sur une journée, fut de 540. Le nombre d’habitations inondées y fut très élevé ; l’activité des entreprises interrompue, les transports perturbés, les pompiers sur la brèche, jour et nuit, et 3 000 hectares de terrains agricoles furent inondés, dont 7/08/08 11:21 Page 109 2 000 une première fois en avril et une seconde fois à la fin du mois de mai. Il y avait déjà eu quelques crues sérieuses dans les années passées ; comme à chaque fois, et comme partout, à l’aval, on s’en prend à ceux qui, à l’amont, ont drainé les terres ou rectifié le cours des ruisseaux, et à l’amont, on réplique qu’on a trop construit, à l’aval, dans des zones reconnues inondables, ou qui auraient dû l’être. Et tout le monde a raison ; à la longue, et une fois les inondations terminées, mieux vaut en débattre tranquillement. C’est ce que firent les Conseils généraux des 5 départements concernés – Aisne, Marne, Haute-Marne, Meuse et Seine-et-Marne – qui fondèrent le 2 avril 1984 l’Entente interdépartementale pour l’aménagement de la rivière Marne et de ses affluents : une « Entente Marne », sur le modèle de l’Entente Oise-Aisne, créée bien avant, mais dans des circonstances similaires. Longues études et lourds travaux s’en suivirent. A l’amont, le cours de certaines rivières devait être stabilisé, et des ouvrages modernisés. En Seine-et-Marne, des murets anti-crues ou le renforcement de berges contre l’érosion, s’avéraient nécessaires à La Fertésous-Jouarre, Germigny l’Evêque, Meaux, Esbly, Lagny ou Chelles. Sur les affluents, le Grand Morin surtout, les barrages, vannages, pertuis et autres ouvrages rappelant l’histoire des rivières, furent diagnostiqués pour identifier ceux à maintenir, à moderniser, à modifier. Sur les affluents toujours, il fallait promouvoir la constitution de syndicats afin de les prendre en main, de façon globale et cohérente ; la Seine-et-Marne n’était pas en retard. Partout il fallait mieux gérer la végétation des berges – la ripisylve – et replanter là où elle n’existait pas, pour mieux tenir celles-ci. Enfin fut mise en évidence la perturbation résultant des deux secteurs où la Marne n’était pas navigable : les arbres des berges y périssaient, bien naturellement, perdant branches puis troncs dans la rivière, en retenant d’autres entraînés par les crues, faisant barrage et freinant l’eau qui, du coup, montait encore plus. Cela faisait nombre d’années que, faute de moyens, le Service de la Navigation n’entretenait plus que le chenal de la Marne, cette partie généralement centrale du cours d’eau, là où elle est rendue navigable, ainsi que tous les ouvrages nécessaires à la navigation, et cela lui faisait déjà beaucoup. Le Département décida donc qu’il remettrait luimême en état les deux tronçons de Marne que la création des canaux de Chalifert et de Chelles avaient rendus non navigables, soit 36 kilomètres de rivière. Depuis, il les entretient régulièrement, au rythme d’environ 7 km par an, en cycle quinquennal. Au même titre qu’un syndicat de rivière, il est aidé en cela par l’Agence de l’Eau et l’Entente Marne, qui prennent en charge la moitié des dépenses. Des crues, il en reviendra, des inondations aussi ; quelques centimètres de moins, à de tels moments, peuvent changer beaucoup de choses ; tout ce qui aura été fait dans ce but, pendant tous les autres mois de l’année, et pendant des années, depuis les plus petites rivières jusqu’aux plus grandes, prend alors tout son sens. Institution, Entente, Agence… structures supplémentaires, peut-être méconnues, mais indispensables lieux d’échange, de compréhension, de coordination, et de réalisation. Petits ruisseaux et grandes rivières mettent toujours leurs forces en commun ; riverains, associations, communes, Départements, Régions et Etat sont toujours bien inspirés lorsqu’ils font de même. M. B. ■ La Marn e Incidences 88-109marne:EAU 109 ≈ 112-139Yerres:EAU 7/08/08 17:12 Page 114 Les mystères de l’Yerres L ’Yerres est étrange rivière. Elle suinte, coule, se fait discrète, s’arrête, peut disparaître, se passe à pied ; elle revient, semble assoupie, recouvre ses gués ; elle coule à flots, coupe sa vallée ; elle fait la une, une fois, parfois, puis se retire, longtemps, souvent. Elle seule égaie la Brie ; munie de tous ses affluents, elle l’effleure, la sillonne, elle est sur les limons, laissant ici ou là une faible butte de grès ; elle passe les meulières, serpente sur leur argile, s’obstine sur le calcaire. Elle y a creusé sa vallée, toute arrondie de ses méandres, boisés ; avant il y avait des vignes. A force de l’user, c’est la roche, à son tour, qui la surprend ; sans qu’elle s’en aperçoive, la voilà qui se fend, se dissout et se creuse. La rivière croit la vaincre, mais c’est la roche qui l’avale, se saoulant de son eau ; et puis là-bas enfin, au moment de quitter Seine-et-Marne, l’eau affleure la roche, elle redevient rivière, pour ne plus s’arrêter. L’Yerres et ses affluents sont comme était l’Aubetin, et comme seront la Voulzie ou l’Ancoeur : un début presque plat, au tracé agricole, même si certains viennent, avant, des forêts. Très peu d’eau en été, et beaucoup en hiver si les pluies ont été abondantes et que les drains fonctionnent : lorsque le plateau de Brie se ressuie, l’eau de milliers d’hectares converge vers l’Yerres, seule rivière du centre de Seine-et-Marne ; son bassin versant couvre 900 km2 dans le département, correspondant à tout ou partie de 67 communes. Elle-même ≈ Passerelle à Soignolles-en-Brie. 114 ≈ 7/08/08 17:12 Page 115 L’Yerres au fil de l’eau 112-139Yerres:EAU ≈ Parc de Rozay-en-Brie. n’apparaît vraiment qu’à la sortie de l’étang de Guerlande, en limite de la forêt de Crécy; elle résulte du ru des Tournelles, qui a reçu celui des Marnières et donné cet étang. L’Yerres s’écoulera alors sur 96 km, dont 76 en Seine-etMarne, avant de rejoindre la Seine dans le département voisin, à VilleneuveSaint-Georges. Mais l’Yerres et presque tous ses affluents fonctionnent sur un seul modèle : tant qu’ils restent sur la première couche du sous-sol du plateau de Brie – argiles vertes, meulières et calcaire de Brie – ils ont de l’eau aussi longtemps que la nappe contenue dans ces calcaires en a. Mais dès qu’ils creusent un peu plus, ou bien s’ils débutent leur cours tout à l’est, là où le calcaire de Champigny affleure sous les limons, c’est à une roche de nature karstique qu’ils se frottent. Certes, on est bien loin du Jura ou des Causses, mais la pierre s’y comporte comme là-bas, et sur les cartes anciennes de multiples gouffres y étaient signalés. En fait de gouffre, ce ne sont souvent que simples dépressions, aux allures d’étangs ou de mares, que la rivière alimente, et dont elle ressort rarement. Au cours du temps, et pour de multiples raisons, on a généralement cherché à les contourner ou à les colmater ; en 1834 on en obstruait déjà sur le cours de l’Yerres. Mais la nature reprend vite ses droits, et en fin d’été il est des lieux où l’on peut voir l’Yerres, ou certains de ses affluents, couler ici, puis stagner là, et un peu plus loin, enfin, s’assécher, laissant subsister seulement leurs lits, de boue puis de cailloux, comme autant de chemins creux, parfois 115 ≈ 112-139Yerres:EAU 7/08/08 17:12 Page 116 ≈ L’Yerres à Pézarches. dissimulés sous la frondaison des arbres qui les accompagnent : l’eau du haut a rejoint celle du bas, qui circule de veinule en fissure, dans les calcaires, pour devenir nappe d’eau souterraine, celle du Champigny. Revenons à Guerlande, et tâchons désormais de suivre l’Yerres : elle est à Pézarches, fossé insignifiant, encombré d’iris et de phragmites, ressemblant encore au marais dont elle vient, s’élargissant à peine ; septembre, un peu d’eau s’y voit encore mais on ne sait si elle coule. Heureusement, à la sortie de Touquin, elle reçoit, en rive gauche, son premier affluent : le ru de Beuvron ou de l’Etang de Beuvron, qui peut couler plus qu’elle. Il vient des terres et des bois au-delà desquels est l’Aubetin, là où se séparent les bassins versants de la Marne et de la Seine. Long d’une dizaine de kilomètres, il vit l’amont de son cours redressé entre 1972 et 1975 ; depuis, il est entretenu par le syndicat qui porte son nom ; avant Touquin il a reçu le ru Français provenant de l’étang des Rigaux, qui servit longtemps de bassin de décantation pour des effluents de l’une des papeteries du Grand Morin. Après l’apport du Beuvron, l’Yerres creuse un peu plus, se renforce de l’eau de quelques fontaines, du ru de Saint-Jean à Ormeaux, et s’en va jusqu’à la limite de Nesles et de Rozay où ont été creusés plusieurs étangs, réservés à la pêche ; elle les alimente, par dérivation d’une partie de son cours. Mais juste avant, elle a été rejointe, en rive gauche, par l’un de ses trois plus longs affluents : la Visandre. 116 ≈ ≈ La vallée de la Visandre à Voinsles. 17:12 Page 117 La Visandre apparaît à Courchamp sous le nom de Luisandre, devient ru des Luisantes, et prend son nom définitif au nord de Jouy-le-Châtel. Pour autant, et même en ayant reçu ses propres affluents, ru Vallot, Grand ru de l’Abbaye ou ru de Réveillon, cela ne lui donne pas d’eau en été. A eux tous ils drainent pourtant 12 000 hectares dont 10 000 de terres de culture, le reste en forêt de Jouy, quelques bourgs et modestes villages, mais ils ne sont qu’émissaires agricoles, ressuyant les terres en fin d’hiver. A l’aval des carrières exploitant le calcaire, à Pécy et à Jouy, la Visandre se trouve un peu alimentée en eau, mais quelques centaines de mètres plus loin, elle l’a déjà perdue. A la fin de son parcours, de 30 kilomètres, son lit fait 3 mètres de large, mais c’est en prévision de la saison humide, comme l’attestent aussi les larges ponts qui la surplombent. Le syndicat intercommunal de la Visandre et du Réveillon gère l’ensemble de ce réseau, sur lequel ont débuté en 1982 des travaux de recalibrage, curage, ou rectification d’ouvrages, et dont il assure désormais l’entretien régulier. A peine grossie, l’Yerres, souvent appelée Yères jusque là, passe au sud de la Nationale 4, entre dans Rozay-en-Brie qui lui a fait un parc en face de son lavoir, recueille, en rive gauche, les eaux du ru des Fontaines Blanches, puis borde Bernay et son hameau Pompierre, où l’Yvron la rejoint, à nouveau sur sa rive gauche. L’Yvron est, en longueur, son plus important affluent : 33 kilomètres séparent Pompierre de sa source à Chenoise, où il est busé. C’est aussi le cas de plusieurs de ses propres affluents, dont un quart du linéaire est busé, car on est, ici aussi, en pleine Brie ; 87 % des 16 000 hectares de son bassin versant sont voués aux grandes cultures, principalement au blé, à la betterave et à l’orge, puis au colza et au maïs. Pour faciliter l’écoulement des eaux en fin d’hiver, depuis 1972 ces rus ont été reprofilés, et le fond des ouvrages qui faisaient obstacle à l’eau, abaissé. Dans le secteur de Gastins, là où subsiste l’un des derniers moulins à vent de la Brie, l’Yvron se rapproche du calcaire de Champigny, et son débit s’affaiblit. au fil de l’eau 7/08/08 L’Yerres 112-139Yerres:EAU 117 ≈ 112-139Yerres:EAU 7/08/08 17:12 Page 118 On a compté sur le vent, là où l’on ne pouvait compter sur l’eau pour faire tourner les meules. Même s’il y a un peu plus d’eau à Courpalay, lorsque l’Yvron finit son cours, il n’apporte à l’Yerres, en période d’étiage, que quelques litres d’eau par seconde, alors qu’à cet endroit il a parcouru bien plus de kilomètres qu’elle. Le Syndicat de l’Yvron se charge de l’entretenir, ainsi que ses affluents, sur un rythme quadriennal à raison de 19km de rus, par an, en moyenne. Peu après, arrivant à Courtomer là où il lui arrive de s’étendre largement en période de crue, l’Yerres commence sa relation, complexe, avec le calcaire de Champigny ; d’ici jusqu’à Evry-Grégysur-Yerres, alors qu’elle trace une douzaine de méandres, elle y perd une partie de son eau, malgré les apports que tentent de lui faire Marsange, Bréon ou ru d’Avon. Les débits de l’Yerres sont mesurés à Courtomer : moyenne annuelle 1,6 m3/s, moyenne en février 4,6 m3/s, mais moyenne en août 0,2 m3/s, ce qui fait bien peu. Tout au long de ce nouveau parcours, où elle ne coulera qu’au pied des villages, sauf peut-être à Soignolles-en-Brie qui l’a bien approchée, sa lame d’eau peut devenir si mince qu’on la passe à gué en voiture, ou en bottes à pied, tandis que des passerelles, de grès, de bois ou de fer permettent de la franchir en tout temps, sauf une fois, parfois, lorsqu’elle inonde trop. Avant de quitter Courtomer, elle laisse sur sa droite, au milieu d’un champ, le menhir de Pierre Couvée, puis se resserre autour d’Argentières, et passe sous les arches du viaduc qui ne sert plus aux trains, mais à la randonnée (GR 1) : elle est arrivée ≈ Ci-contre, Rampillon qui limite au sud le bassin de l’Yvron. Page de droite, l’Yerres au lavoir de Rozay-en-Brie. ≈ L’Yvron à Gastins. 118 ≈ 112-139Yerres:EAU 7/08/08 17:12 Page 120 dans la cité des Couperin, Chaumes-en-Brie, qui a fait de l’Yerres l’une de ses entrées de ville, et dont le territoire donne une bonne idée des paysages de l’Yerres ; avant de quitter Chaumes et son originale ferme de Forest, l’Yerres reçoit le Bréon. Le ru de Bréon est affluent de rive droite ; il vient de la forêt de Crécy, au niveau de Crèvecœur en Brie, et a parcouru 20 km avant de confluer avec l’Yerres ; il mesure alors un peu plus de 3 mètres de large, possède un débit moyen annuel de 250 l/s, qui peut tomber cependant à 5 l/s, comme au mois d’août 1990. Sa vallée ne manque pas de charme, surtout de Fontenay-Trésigny jusqu’à Chaumes. Mais plusieurs communes qui s’agrandissent, puis FontenayTrésigny et les diverses activités qui se développent autour, cela fait beaucoup pour un cours d’eau d’aussi faible débit. Les poissons que l’on peut trouver à son aval semblent d’ailleurs plus provenir des étangs situés près des ruines du château du Vivier, ou bien de l’Yerres, que du Bréon lui-même. Avec ses affluents, il a été aménagé et entretenu par un syndicat créé de longue date (1967). Aussitôt après, l’Yerres entre sur le territoire d’Ozouer le Voulgis, où elle commence par sinuer entre deux massifs forestiers ; à la sortie du premier elle reçoit la Marsange, passe au bas du village, et à la sortie du second reçoit le ru d’Avon. La Marsange, en rive droite elle 120 ≈ ≈ Le ru de Monnoury, affluent du Bréon, à Fontenay-Trésigny. ≈ La Marsange à Ozouer-le-Voulgis. 17:12 Page 121 aussi, provient de la forêt de Crécy, comme plusieurs de ses affluents alimentés par le drainage de la forêt et la nappe des calcaires de Brie ; certains vont jusqu’à reprendre les eaux pluviales du plus récent secteur de Marne-la-Vallée. Cela permet à la Marsange d’avoir, à Favières, une allure de rivière, plutôt calme, modeste, mais rivière quand même, ce dont elle n’aura pas toujours l’air. Elle entre à Tournan-en-Brie, s’étoffe du ru des Boissières, de quelques sources, est contenue par un barrage, chute, et ressort de la ville en passant par un parc. Plus loin, elle reçoit le ru des Monbarres qui, avant Gretz-Armainvilliers, s’appelait Buronnerie, et a donné l’étang du grand domaine d’Armainvilliers. Comme elle, après avoir traversé sa ville, il sort le long d’un espace vert. Ces deux villes, bien situées le long de la Nationale 4, ont connu un tel développement urbain et industriel que la Marsange, et surtout le Monbarres, n’arrivaient plus à s’en remettre, tant ils étaient constamment pollués. Or, à peine la Marsange, grossie du Monbarres, a t’elle quitté Tournan, qu’elle disparaît, presque brutalement, dans une zone de gouffres, entraînant avec elle toute trace laissée par les activités humaines, domestiques, industrielles ou agricoles, qui, auparavant, les avaient pris, elle et ses affluents, pour exutoire. Depuis quelques années, et avec la patience qu’il faut à certains élus pour parvenir à mener à bien des projets au fil de l’eau 7/08/08 L’Yerres 112-139Yerres:EAU ≈ La Marsange à Favières. 121 ≈ 112-139Yerres:EAU 7/08/08 17:12 Page 122 ≈ L’Yerres à Chaumes-en-Brie. d’intérêt pourtant général, les eaux usées de ces deux villes mais aussi de Presles-en-Brie sont traitées dans une moderne station d’épuration située à limite de cette commune et de Liverdy-en-Brie qui y enverra aussi ses effluents. Heureusement, puisque c’est à l’entrée de Presles que la rivière s’arrête, bien souvent : en fin d’été, ci-gît la première Marsange, en lit étroit, sec et caillouteux. Mais assez vite, avec des eaux de source collectées plus haut dans le bourg, puis celles qui, certainement, drainent la grande tranchée faite pour que passent les TGV, voilà que notre rivière retrouve de l’eau. Avec le rejet de la nouvelle station d’épuration, et l’aide de fontaines, cette seconde Marsange se remet à couler à Liverdy-en-Brie, elle longe les prés, glisse sur ses gués, et finit par aller jusqu’à l’Yerres… Depuis 1981 le Syndicat intercommunal d’aménagement de la Marsange a entrepris de très nombreux travaux sur celleci et ses affluents, et depuis, les entretient. Il n’empêche qu’à l’issue de ses 30 km, cette étrange rivière, pourra aussi bien être à la fois Marsange du haut et Marsange du bas, et grossir alors fortement l’Yerres en y déversant 3 à 4 m3 d’eau par seconde, comme ce fut le cas en janvier 1995, ou n’être que la seconde Marsange, celle d’après Presles-en-Brie, en ne donnant à l’Yerres que quelques litres d’eau par seconde ; ou même rien. Le modeste ru d’Avon, lui, rejoint l’Yerres sur sa gauche. Sa source est sur le grand plateau, à Quiers ; son cours, de 20 km, est totalement dénudé à l’amont, et un peu boisé seulement à l’aval. Même s’il se voit à peine, l’Avon a sur son bassin versant, du monde et de grandes activités : au tout début de son cours le complexe industriel de Grandpuits avec la fabrication d’engrais, puis Mormant, 122 ≈ ≈ Le lavoir d’Ozouer-le-Voulgis. 17:12 Page 123 et à Verneuil l’Etang ces immenses silos devenus signaux, tant ils se voient de loin, ainsi que face à eux, la production de semences agricoles. On est au cœur de la Brie céréalière, qu’on ne peut cultiver plus ; les arbres n’y entourent que fermes ou hameaux ; ici, avant toute chose, la terre produit. Après être sorti du parc du château de Vernouillet, l’Avon se divise, par deux fois, en deux bras, à Guignes-Rabutin et à Yèbles ; l’un de ces bras est celui des Meuniers. Car contrairement à certains de ses plus grands voisins, ce bien modeste ru, coule peu, mais toujours ; il fit tourner jusqu’à cinq moulins, autant que la Marsange ! Il est dommage qu’il ne soit pas plus mis en valeur, et que la qualité de son eau soit assez médiocre; en voilà encore un à qui l’on a beaucoup demandé… Avezvous remarqué que les deux vont souvent de pair ? Si on voit la rivière, on la veut plus claire. Avant sa confluence, l’Avon s’entoure d’arbres ; il ne mesure qu’un mètre cinquante de large, pour 20 à 50 cm de hauteur d’eau ; son débit peut varier de 30 l/s en étiage, à 230 l/s en période de crue. Pour un si petit cours d’eau l’histoire veut que deux syndicats gèrent sa destinée : le Syndicat intercommunal à vocation multiple de Mormant à l’amont, et le Syndicat du ru d’Avon, à partir de Verneuil l’Etang. Vraiment modeste l’Avon ? Quittons Ozouer-les-trois-rivières où une source alimente encore le grand lavoir au centre du village. En contrebas, l’Yerres a pris de la largeur, et de la force en période de hautes eaux. Ses méandres sont plus marqués, et à chaque fois qu’elle tourne, un village, un hameau, un château, s’en approchent. Les Etards, Solers, Barneau, Soignolles, Cordon, Suisnes, Evry, Grégy : presque toujours le même scénario, d’abord sur la hauteur, 40 mètres plus haut, puis de plus en plus près de la rivière dont on reste cependant, presque toujours, distant. Au pont de Soignolles le ru de Fontaine apporte l’eau de Coubert juste après ces saules aux troncs crevassés que l’on a su conserver, les retaillant régulièrement en « tétard », et qui sont pour la faune sauvage autant de milieux de vie complémentaires à la rivière. A GrisySuisnes, c’est la Barbançonne qui, serpentant entre bois et prés, finit par trouver l’Yerres, elle aussi sur sa rive droite. La Barbançonne ne mesure pas 10 km, et n’a pas d’affluent ; elle a formé une jolie mare, mais réceptionne les eaux de nombreux fossés (réseaux d’eau pluviale d’un quartier de Gretz-Armainvilliers, RN4, forêt de la Léchelle, TGV, routes départementales, douves du château de Cossigny…), ainsi que des effluents de stations d’épuration ; puis, une partie de son eau est pompée afin au fil de l’eau 7/08/08 L’Yerres 112-139Yerres:EAU 123 ≈ 112-139Yerres:EAU 7/08/08 17:12 Page 124 ≈ Parc du moulin de Pompierre. ≈ L’Yerres à Bernay-Vilbert. 124 ≈ 7/08/08 17:12 Page 125 L’Yerres au fil de l’eau 112-139Yerres:EAU ≈ Maison du XVIe siècle à colombages, Rozay-en-Brie. d’irriguer, et une autre s’infiltre pour ne réapparaître qu’avant sa confluence avec l’Yerres. Suffisant pour que les cinq communes qu’elle draine se réunissent en syndicat afin d’en améliorer la gestion, car sa petite vallée le vaut bien. Avant Barneau, ce hameau de Soignolles, il est un lieu dénommé Mont, alors qu’il n’avait de hauteur que celle du coteau d’Yerres. On le voit aujourd’hui de fort loin, comme une surprise sur ce plateau, à son rebord sur la rivière. Ici se sont accumulés, et se stockent toujours, des tonnes de déchets, de plus en plus triés, de plus en plus inertes, constamment surveillés, mais qui, devenus relief, témoigneront à jamais d’une époque de grande consommation, et de collective insouciance. Ici de nouvelles collines sont apparues sur la Brie, et le TGV y passe. Mais regardons mieux le plateau : ces apparentes levées de terre émergent ailleurs, en de multiples endroits, avec toutes sortes de finalités. Puisqu’il faut probablement les considérer comme un nouveau fait de société, ne devraientelles pas bénéficier d’intentions paysagères plus fortes, et qui intègreraient leur succession, avérée ou potentielle, dans un même paysage ? Lorsque les villes nouvelles furent décidées, on qualifia les espaces intermédiaires, comme cette vallée de l’Yerres et le plateau où elle s’insère, de Zones naturelles d’équilibre. On ne le dit plus, mais c’est pourtant le sentiment qui s’en dégage. C’est le pays des gués : petites routes et chemins passent d’une rive à l’autre. En haut, c’est la culture, en bas aussi quand la vallée est large ; il y a des serres et certaines produisent encore ces roses qui furent renommées, partant à Paris par le petit train dont la voie est devenue promenade. Il y a des fermes pour la cueillette et des pépinières, un lycée agricole entouré de ses pâtures, et de multiples bois qui descendent jusqu’à la rivière: espaces convoités où les bourgs grossissent, et les hameaux se rénovent, en général avec goût. Mais, là comme ailleurs, il serait probablement bénéfique de parvenir à encadrer, plutôt qu’à subir, certaines implantations aujourd’hui illégales de cabanons et caravanes qui se fixent, s’entourent, et se construisent, obligeant tôt ou tard la collectivité à assainir et goudronner. Serait-il illusoire de chercher à anticiper, de penser 125 ≈ 112-139Yerres:EAU 7/08/08 17:12 Page 126 ≈ Passage du gué à Solers. à toutes les formes d’habitat, les permettre et les organiser, en des lieux appropriés, plus proches des bourgs, plutôt que de constater ces zones incertaines qui accroissent, de toute façon un jour les charges collectives, et spécialisent les lieux entre ceux où l’on se regarde et ceux où l’on ferme les yeux ? Depuis le ru d’Avon, l’Yerres n’a plus reçu, en rive gauche, que de brefs ruisseaux. C’est que le grand plateau commence à regarder vers l’ouest et le sud. Au début il est tellement plat qu’une goutte d’eau ne saurait où aller : les immenses parcelles de terre y avaient des noms de mares, seuls exutoires possibles, peut-être en genre de gouffres. Et puis, vient le moment où l’Yerres passe sous la Francilienne, à l’endroit précis où elle peut n’être, parfois, que chemin sec ; rapidement, sur sa droite, le ru du Cornillot la rejoint. Avec le Tuboeuf qui le précède et quelques autres, il sort de Brie-Comte-Robert, au clocher surplombant des rues bien restaurées, au château émergeant patiemment de ses douves, qui, elles aussi, donnent leur eau à l’Yerres. Brie ne s’est pas construite sur la rivière, mais elle en est la porte, et peut-être la clef. Car c’est là, que, du plateau, le paysage s’ouvre vers sa vallée ; et c’est là qu’au fond de la vallée, l’Yerres regonfle, ou réapparaît ; juste après le Cornillot, elle longe le bois aux Loups, qui est sur Combs-la-Ville ; la nappe du Champigny l’a rejointe, et disparaissent les gués. Un dernier espace, encore cultivé, sera protégé : Etat, Région, Département et communes se sont concertés. La vallée se creuse, en méandres serrés, boisés, urbanisés. Ville nouvelle au sud, autre département au nord : l’Yerres quitte la Seine-et-Marne, elle a quinze à vingt mètres de large, et peut en avoir deux de profondeur; mais on ne la voit presque plus. Elle a déjà changé. Avant d’atteindre la Seine, l’Yerres reçoit de nouveaux affluents ; l’un d’eux a pris sa source en Seine-et-Marne et y a fait un parcours remarqué : le Réveillon 126 ≈