Les rivières de Seine-et-Marne 1ère partie

Transcription

Les rivières de Seine-et-Marne 1ère partie
Liste des cours d’eau présentés dans cet ouvrage
L’Ourcq, la Thérouanne, la Beuvronne,
le Petit Morin, le Grand Morin,
l’Aubetin, la Gondoire, la Marne,
l’Yerres et ses affluents, la Voulzie,
l’Auxence, l’Ancœur, l’Orvanne et le Lunain,
le Loing, l’Ecole, la Seine.
Rivières
Promenade matinale au bord de la Seine.
Escale nautique à Lagny-sur-Marne.
Partie de pêche à Vaux-le-Pénil.
Entre boucles de la Marne au nord, circonvolutions de l’Yerres au centre, et amples courbes de
la Seine au sud, le département de Seine-et-Marne est drainé par de multiples rivières et leur
dense réseau de ruisseaux.
Les principales rivières seine-et-marnaises sont présentées dans ce livre original par deux
auteurs qui se sont passionnés pour elles. Christian de Bartillat pour l’histoire, et Michel
Billecocq pour l’environnement, y racontent les rivières, au fil de l’eau et du temps, dévoilant
leurs paysages et révélant leurs monuments.
Mais au-delà, chaque rivière devient à son tour prétexte à d’autres évocations, depuis la gestion
des cours d’eau ou le droit de leur usage, jusqu’à la protection des eaux souterraines, et aux
multiples secteurs et acteurs impliqués dans l’avenir des rivières et de leurs abords.
Partie de pêche à Vaux-le-Pénil.
Rivières de Seine-et-Marne
de Seine-et-Marne
« Rivières de Seine-et-Marne », un ouvrage pour découvrir ou retrouver, pour comprendre ou
porter un regard nouveau sur un élément majeur du patrimoine : ces vecteurs de l’eau que sont
rus, ruisseaux, rivières, canaux et fleuves, drainant ou irriguant, disparaissant ou débordant,
constituant autant de liens entre ciel, terre et océans.
Carte page 245
Chiner chez
les bouquinistes
à Melun.
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Christian de Bartillat
Photo de couverture : un lavoir sur l’Yerres à Rozay-en-Brie.
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Les rivières sont, peut-être, le principal fil conducteur de l’Histoire, et si rois
ou empereurs en décidèrent bien des fois, c’est l’Etat qui s’en trouva finalement
doté, du moins pour celles où l’on pouvait naviguer. Après les incessantes
disputes de meuniers et mariniers, de riverains entre eux, détournant l’eau à
leur profit, puis des pêcheurs avec des entreprises aux rejets dévastateurs, il
fallut bien de grands projets pour décider des modes de naviguer, et de nombreuses règles pour dire le droit d’usage, de pêche, de passage, et les obligations
d’entretien ou enfin de qualité des rejets.
Le droit de l’eau fait partie des plus anciens et des plus complexes, et plusieurs
Services de l’Etat ont la charge de son explication, et de son application, qu’il
s’agisse de navigation sur les plus grandes, ou de l’instruction et de la surveillance de toute demande de travaux, de prélèvement ou de rejet sur quelque
cours d’eau que ce soit. Selon les lieux, et la nature de l’usage requis ou constaté,
peuvent ainsi intervenir le Service de la Navigation, la Direction Départementale
de l’Agriculture et de la Forêt – prochainement réunie à celle de l’Equipement –
mais aussi la Direction Régionale de l’Industrie de la Recherche et de
l’Environnement, la Direction Régionale de l’Environnement, elles aussi bientôt
fusionnées, ou encore la Direction des Services Vétérinaires. Le droit de l’eau
comprenant un volet particulier consacré à la pêche, d’autres acteurs ont aussi
compétence pour veiller à son respect... C’est en raison de cette multiplicité que,
dans chaque département, une mission Inter Services de l’Eau coordonne le tout.
Mais l’amélioration de la qualité des rivières, évoquée ici ou là dans le présent ouvrage, n’est que la résultante de bien plus de forces conjuguées : celles
des riverains, communes, entreprises industrielles, compagnies gestionnaires de
l’eau, syndicats de rivière, associations, Département, Région, et enfin de
l’Agence de l’Eau, moteur indispensable, mutualisant et redistribuant ressources
et compétences.
Pour qui ne les connaît pas, les rivières de Seine-et-Marne révèlent ici leur
diversité, illustrée d’agréable façon par la photographie. Et si ce bel ouvrage
ressemble fort à un hymne, il se révèle aussi, parfois, sans complaisance, moyen
probable d’y faire foi.
Michel Guillot,
Préfet de Seine-et-Marne
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L’Aubetin à Saint-Augustin.
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I-VIII:EAU
Alors que la qualité de l’eau des rivières, l’équilibre de leurs écoulements, et
leur rapport au paysage sont principalement affaire de riverains, de communes,
ou de l’Etat, le Conseil général veille depuis fort longtemps au destin des cours
d’eau de Seine-et-Marne. D’abord engagé dans la lutte contre les pollutions,
puis dans l’aide à l’assainissement et au bon fonctionnement des ouvrages
d’épuration, il fut parmi les premiers à contribuer à l’entretien des rivières.
De la protection contre les inondations à l’étude des potentialités piscicoles,
de la restauration des rivières et de leur patrimoine, aux équipements favorisant
le tourisme fluvial, ou de la gestion des espaces naturels aux itinéraires de
randonnée bordant les rivières, le Département agit quotidiennement, en maître
d’ouvrage, en conseiller, et par le biais de multiples subventions ; c’est donc très
légitimement, que l’an dernier, il a inscrit l’eau parmi les thèmes majeurs de
son Agenda 21.
Autour du Département, plusieurs de ses proches partenaires apportent aussi
leur concours pour un mieux-être des rivières : Services d’Incendie et de
Secours à la moindre alerte, Maison de l’environnement en pédagogie constante
auprès des jeunes seine-et-marnais, Initiatives 77 par l’accompagnement
de chantiers d’insertion, enfin AQUI’ Brie en veille et formation là où les cours
d’eau gagnent la nappe souterraine. C’est aujourd’hui le Conseil d’Architecture,
d’Urbanisme et de l’Environnement qui, par la forme originale de l’ouvrage
signé avec les Presses du Village, enrichit à son tour ces multiples apports.
Les rivières du plus vaste département d’Ile-de-France s’y racontent, mêlant
passé et présent, facilitant leur compréhension, et les inscrivant aussi bien dans
les paysages de Seine-et-Marne que dans le grand cycle de l’eau : anecdotes
et pédagogie y flirtent, avec amusement et un rien de poésie. Le Conseil général
se réjouit de la publication de « Rivières de Seine-et-Marne », dont les deux
auteurs nous font partager leurs savoirs, si différents, dans une passion commune.
Vincent Eblé,
Président du Conseil général de Seine-et-Marne
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Péniche sur la Seine.
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S’il fallait identifier, parmi les forces primordiales, celle qui a le plus façonné
les paysages, nul doute que ce serait l’eau, formée en rivières innombrables.
Après avoir contribué à la conception et à la réalisation de l’atlas des paysages
du département, c’est vers elles que le Conseil d’Architecture, d’Urbanisme
et de l’Environnement de Seine-et-Marne porte son regard.
La rivière est lieu de convergence, par le réseau affluent tissé dans son bassin,
et par ses franchissements, moments d’échanges, de mélanges, de conflits, et de
créativité. Les rivières ont creusé les plateaux et laissé leurs méandres : chaque
rive, tour à tour, est maîtresse ou soumise, et pour peu qu’entre elles émergent
des îles, villages et villes y naissent et s’y étendent. Les plus modestes rus ont fait
parcs et châteaux ; d’autres, recréés, deviennent trame urbaine. Et tandis
que chaque année d’éphémères ruisseaux s’en reviennent, entre des terres qui
se ressuient, les plus grandes rivières portent voiles et lourds bateaux.
Par ces divers cours, l’eau se révèle fondatrice de paysages, initiatrice
d’urbanisme, reflet d’architecture, révélatrice d’environnement. Dérivée, canalisée,
retenue ou libérée, elle raconte l’histoire du temps, celui d’avant les hommes,
puis des premiers humains et des siècles passés, jusqu’à notre quotidienne
empreinte, en défi pour demain.
Chaque rivière est une unique histoire, toute en nuances pour celle-ci, en
contrastes pour celle-là. L’une s’auréole de passé, l’autre s’enivre d’avenir. Ici on
sauvegarde, là on produit, ailleurs on construit ; ici ou là, là ou ailleurs, presque
toujours, heureusement, se mélangent. Tout au long des cours d’eau, et aidé par
ceux qui les connaissent, les gèrent ou les protègent, le CAUE partage, ici, ses
réflexions. De chaque rivière alors, vient une pensée qui n’a de sens que mêlée
à toutes les autres, comme le font, chaque jour, de multiples ruisseaux, donnant
une rivière, puis une autre encore, jusqu’à devenir fleuve, pour nous dire de les
regarder plus, afin de mieux nous voir.
Dominique Satiat,
Président du Conseil d’Architecture, d’Urbanisme
et de l’Environnement de Seine-et-Marne
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Le Grand Morin
à Pommeuse.
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Christian de Bartillat
Les Presses du Village
Michel Billecocq
Conseil d’Architecture, d’Urbanisme
et de l’Environnement de Seine-et-Marne
Rivières
de Seine-et-Marne
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A Gabriel
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En ce mois de mars 2065, Igor venait d’avoir 15 ans ; dans un coin du grand
écran devant lequel son professeur d’Histoire du Monde commentait les résultats
du dernier contrôle, la sonde murale externe affichait déjà 29 degrés, alors qu’il
n’était pas 11 heures. A l’intérieur il faisait bon, 26 degrés, valeur au-dessous de
laquelle on ne cherchait plus à descendre, car même si le dispositif de rafraîchissement fonctionnait à l’énergie solaire, on évitait d’accentuer les écarts entre températures du dehors et de l’intérieur ; et cela depuis la grande crise, mondiale, de
l’énergie. C’était son grand-père, Antonin, qui lui avait tout raconté, et Igor
apprenait plus vite en l’écoutant que lorsqu’il était en classe. Pourtant, le I-Tout
qu’il portait au poignet, lui permettait de tout savoir, de tout écouter ou filmer,
de joindre n’importe qui à l’autre bout du monde, d’ouvrir la porte du logement
familial ou de payer ses achats ; il pouvait aussi reconnaître sa voix pour la
traduire en n’importe quelle langue, et même, comble du bonheur, enregistrer
les cours à sa place… ce contre quoi luttaient toujours les professeurs, pour qui
l’effort individuel restait la clef de l’apprentissage et de la compréhension future.
Quand Antonin avait eu l’âge qu’Igor avait aujourd’hui, il avait connu les
crises successives de l’économie mondiale engendrées par la raréfaction progressive du pétrole, la spéculation, et l’envolée de ses coûts : elles avaient accru
le fossé existant entre les différentes parties de la planète et les diverses couches
des sociétés, fossé que ce siècle n’avait, hélas, toujours pas réussi à combler.
Au moins, le rapport entre transports collectifs et déplacements individuels
s’en était-il trouvé considérablement modifié. La recherche, la production et
la construction avaient, quant à elles, rapidement progressé, à la fois dans
le champ des énergies nouvelles, et dans leur gestion, de plus en plus économe.
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Etangs de pêche à Episy.
Quand ils en parlaient, Antonin montrait à Igor en quoi toutes les mesures
prises n’avaient pas suffi, malheureusement, à enrayer les phénomènes de dérive
climatique d’une part, et d’appauvrissement de la biodiversité de l’autre.
Progressivement, et parmi de nombreuses autres conséquences, il avait bien
fallu se rendre à l’évidence : le régime pluviométrique de l’Ile de France, par
exemple, n’avait plus grand chose à voir avec celui des statistiques sur lesquelles
s’étaient appuyés ingénieurs, géomètres, et autres bureaux d’études, pendant
tout le XXe siècle et le début du suivant. Si l’on avait longtemps réussi à dire que
dans le passé il y avait déjà eu un phénomène de même ampleur que celui que
l’on venait de connaître, il était venu un jour où tous durent admettre que
presque chaque année, désormais, il se produisait un événement à caractère
exceptionnel, tantôt tempête, tantôt orage, inondation, ou encore sécheresse.
En fait, c’était l’année moyenne qui avait disparu, comme la température de
référence qui, comme on l’avait craint, mais trop tard, ne cessait de progresser.
La répartition mondiale de l’eau douce, quant à elle, restait une préoccupation majeure, malgré le dessalement de l’eau de mer ; malgré aussi les immenses
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aqueducs, parfois intercontinentaux, que l’on avait construits au milieu du
XXIe siècle. Depuis cette même époque, une large part de la population humaine
se redistribuait, non sans douleur, sur les terres émergées, à plus grande distance
des océans dont le niveau montait inexorablement, de cyclones en tsunamis,
tandis qu’aux pôles les glaces finissaient de fondre. Dans ce monde régi par les
plus hautes technologies, et où la science avait repoussé, jour après jour, les
limites du savoir, l’Eau était redevenue une sorte de déesse mère, toujours
auréolée de mystères, malgré la simplicité de sa formule chimique – deux atomes
d’hydrogène pour un d’oxygène – et des principes physiques auxquels elle avait
toujours fidèlement répondu : passer par trois états, solide, liquide et gazeux, en
l’espace de 100°C.
Ce jour-là, pour illustrer ses propos, Antonin avait choisi de parler des rivières :
il y avait de moins en moins de régularité dans leurs périodes de crue et, inversement, de plus en plus d’endroits où des inondations brutales se produisaient,
y compris là où, de mémoire d’homme, on n’en avait jamais connues. D’où le
besoin de prendre du recul par rapport à leurs rives, et de réserver des espaces,
pour absorber ces sautes d’humeur ; la Seine dans la Bassée, l’Yerres, le Grand
Morin ou encore plusieurs de leurs petits affluents avaient nécessité la délimitation et l’aménagement de ces prudentes réserves. On avait, malgré tout, gagné
sur quelques plans : comme tous ceux de sa génération, Antonin avait suivi le
retour des saumons, filmés alors qu’ils franchissaient les habiles ouvrages leur
permettant de rejoindre ces ruisseaux où ils retrouvaient les gestes initiaux de la
vie. Mais, malgré tous les progrès en la matière, le souci de la qualité de l’eau
demeurait. Cela remontait à deux siècles plus tôt, quand Paris était venu chercher en Seine-et-Marne les sources qui l’alimenteraient : l’insidieuse pollution
qui y avait été découverte, bien plus tard, s’était poursuivie longtemps après que
l’on eut cessé d’employer certains herbicides aussi bien en agriculture, que sur
les voies ferrées, au bord des routes, ou dans les jardins des particuliers. A tel
point que le laboratoire départemental avait été intégralement reconverti à
l’unique et constante surveillance des rivières, des rejets qui s’y produisaient,
des nappes d’eau souterraine, et de toutes les zones humides. Ainsi, à chaque
fois que d’obscurs chemins souterrains faisaient réapparaître l’eau, en source
vive ou en vasque lentement débordante, il avait été jugé indispensable d’en
repérer le lieu, et de l’analyser à un rythme soutenu ; car il fallait savoir si les
pratiques de gestion de l’espace agricole ou forestier, industriel, privatif ou
public n’hypothéquaient pas, encore, les chances de sauvegarde et de progression du vivant que l’eau, seule, pouvait continuer de générer.
Tout en faisant défiler sur le panneau mural, ses photos, conservées, des
rivières de Seine-et-Marne, Antonin montra à Igor que dans leur lit et sur leurs
berges, on avait retrouvé de multiples traces et ouvrages témoignant du génie
humain. Leurs cours eux-mêmes n’étaient que le résultat d’incessants travaux
de correction, stabilisation, retenue ou dérivation, travaux dont certains avaient,
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plus tard, été jugés malencontreux.
A force d’observer certains cours
d’eau, de plus en plus contraints et
enserrés dans de maigres couloirs
végétaux, on avait finalement décidé
de les reconsidérer, dans leur globalité.
Plus personne ne contestait que leur
entretien, régulier et précis, soit devenu
d’intérêt général. Qu’ils soient espaces
de détente, corridors écologiques,
cadre de vie recherché, ruisselets ayant
créé des châteaux, émissaires drainant
d’interminables villes et des champs
immenses, ou encore longs chenaux
de transport, canaux, rivières, fleuves
et ruisseaux avaient enfin été « reconnus ». Cela avait commencé par le simple
fait qu’à chaque fois qu’une route croisait l’un d’eux, on en voyait systématiquement le nom, même pour ces affluents qui restaient secs une grande partie
de l’année. Il en était avec les rivières comme pour les hommes entre eux : on
les respectait d’autant plus que l’on avait appris à les connaître. Des rivières trop
longtemps cachées avaient été rendues à l’air libre ; des rus ignorés s’étaient
révélés le jour où des élus, soucieux de paysage, en avaient écarté toute forme
de publicité et nombre d’édifices utilitaires mais disgracieux. Au milieu des paysages de la Brie que certains avaient pu trouver monotones, on avait redécouvert
les lignes arborées et les denses lisières soulignant à nouveau le parcours, permanent ou éphémère, de l’eau. Et dans toutes les écoles, il n’y eut plus de cours
d’Histoire du Monde qui ne commençât par le passionnant cycle de l’eau,
en partant à sa découverte dehors, car à lui seul il racontait toute l’histoire de
la Terre, de la Vie, et de l’Homme.
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En ce moment où Igor n’était déjà presque plus adolescent, le concept de
développement durable faisait partie de ceux que l’on n’apprenait plus, car on
le vivait au quotidien. On en était, de plus en plus, à se référer à un autre, venu
d’un mot oublié, que l’on tentait de décliner à nouveau : l’Harmonie. Alors
qu’ils en dissertaient, à propos de chacune des rivières de Seine-et-Marne,
Antonin s’arrêta. Il entreprit de conter à Igor ce qui n’était plus qu’une vieille
anecdote datant de la fin du siècle précédent : un jour, quelqu’un avait formulé
la surprenante hypothèse de la mémoire de l’eau. Comme tant d’autres,
à l’époque de cette annonce, ils en rirent tous deux, pendant un long moment.
Mais, lorsqu’à nouveau Antonin reprit le cours, tour à tour calme ou bien rapide, des rivières, l’esprit d’Igor s’échappa ; il se demandait si l’eau qui
s’écoulait, en cet instant précis, dans les rivières d’Ile-de-France, et d’ailleurs,
n’en savait pas bien plus qu’eux deux sur toute l’Histoire du Monde…
Dans les yeux d’Antonin, sans qu’aucun se le dise, il crut voir la réponse. M. B. ■
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La Marne et ses affluents
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Ourcq
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Les mésaventures de l’Ourcq ≈ Le canal de l’Ourcq en roue libre
Dérivation et canalisation de l’eau : aqueduc parisien sur ordre impérial
Thérouanne
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La Thérouanne en terre de mémoire ≈ La Thérouanne introuvable
Droit de l’eau et entretien des rivières : l’eau n’appartient à personne
Beuvronne
36
Sous les ailes de Roissy : la Beuvronne ≈ Beuvronne et Biberonne à tous vents
Pollution et dépollution de l’eau : les pêcheurs n’ont pas remplacé les castors
Petit Morin
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Trois Régions pour un Petit Morin ≈ Le Petit Morin, juvénile et frondeur
Diversité écologique, des rivières aux vallées : au cœur de la biodiversité
Grand Morin
54
Curieux ouvrages du Grand Morin ≈ Le Grand Morin des cités aquatiques
Protection contre les inondations : vivre auprès de la rivière
Aubetin
70
Les deux vies de l’Aubetin ≈ L’Aubetin, une rivière ancienne
Agriculture, drainage et petites rivières : dessins de grandes cultures
Gondoire
80
La Gondoire en parenthèse
Devenir des eaux de pluie en ville : quand il pleut sur la ville
Marne
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La Marne en tournis incessants ≈ Entre le champagne et le petit vin blanc, la Marne et l’eau sacrée
Gestion des grands cours d’eau : indispensables alliances
L’Yerres et ses affluents
Yerres
Les mystères de l’Yerres ≈ L’Yerres ou le clavecin de la Brie
Rivières et nappes souterraines : eau du dessus et du dessous
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La Seine et ses affluents
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Voulzie
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S omm air e
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L’étrange destin de la Voulzie ≈ Le Durteint et la Voulzie se faufilent dans la ville basse de Provins
Alimentation en eau potable : infernales molécules
Auxence
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Auxence d’en haut, Vieille Seine d’en bas ≈ La vallée de l’Auxence ou le grand virage dans le Montois
Enjeux d’une vallée alluviale : secrets de Bassée, entre sable et peupliers
Ancœur
164
L’Ancoeur : le roi en fit toute une histoire ≈ L’Almont et l’Ancœur ou deux bijoux dans un seul lit
Sites classés et paysages : paysages à jardiner
Orvanne et Lunain
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Orvanne et Lunain, famille du bocage ≈ Le bocage aquatique des deux rivières
Pêche, poissons, pêcheurs : petit poisson deviendra grand
Loing
192
Le Loing, en lien de Seine et Loire ≈ Le Loing dédoublé
Protection des bords d’eau : berges : l’enjeu essentiel
Ecole
208
Quand l’Ecole descend de son perchoir ≈ L’Ecole mouille son lit au large de la forêt de Fontainebleau
Richesse d’un Parc naturel régional : territoire recherche qualité
Seine
218
Seine, fleuve magistral ≈ La Seine allongée et la Seine debout
Navigation sur le fleuve : la voie de l’eau, d’hier à demain
Carte des rivières de Seine-et-Marne
245
Références
247
Au début de chaque chapitre, le cours de la rivière est symbolisé avec les noms des communes qu’elle traverse.
Toutes les communes ne pouvant être citées, on a le plus souvent fait figurer celles qui sont évoquées, ensuite,
dans le texte.
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Les mésaventures de l’Ourcq
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’Ourcq a dû être une grande rivière ; la force de sa vallée, dans le paysage,
en témoigne. Bien avant qu’il devienne canal des ducs, par le creusement de
son propre cours, puis qu’il s’adjoigne le canal que nous lui connaissons
aujourd’hui, il a dû forcer le passage, coincé contre la roche, pour parvenir
jusqu’à la Marne. Entre ce qui deviendrait Lizy « sur Ourcq » et Mary « sur
Marne », il a dû longtemps hésiter, comme la Marne elle-même, en cherchant
son passage dans les graviers que celle-ci, sauvage et puissante, déplaçait : tantôt
îlots, tantôt terre ferme, où plantes et arbres croissaient rapidement,
s’étouffaient, s’écroulaient et les barraient, les contraignant à creuser de
nouveaux cours à la prochaine saison de crues. De ces péripéties annuelles, il
reste cette vaste étendue presque plane, de sables et de graviers, où Marne et
Ourcq se réunissent, au pied de la corniche qui leur a résisté, laissant encore
deux îles : de Mary, et de la Cornaille. Aujourd’hui discipliné, l’Ourcq serpente
toujours, en contrebas de son canal. Ses marais, drainés de rigoles et fossés, sont
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Marais et peupleraie au bord
de l’Ourcq à Ocquerre.
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L’Ourcq
au fil de l’eau
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Paysage de la vallée
du ru de Chaton.
devenus peupleraies, mais lorsqu’on les découvre, des hauteurs de la route,
sinueuse, qui s’élève de Crouy-sur-Ourcq à May-en-Multien, on devine aisément
ce long travail de l’eau, dissimulée, mais toujours présente, sous l’exubérante
végétation qu’elle génère.
L’Ourcq vient du département de l’Aisne, où il a pris naissance à plus de
50 km de son entrée en Seine-et-Marne : 40 km de cours naturel, une dizaine
pour la rivière canalisée à partir de l’amont de La Ferté-Milon jusqu’à Mareuilsur-Ourcq – où le canal lui-même débute – et 4 km ensuite pour atteindre son
principal affluent de rive gauche : le Clignon, qui sert de limite aux deux départements. L’Ourcq parcourt encore une vingtaine de km, avant de confluer avec
la Marne. En rive droite, il ne recevra alors que la Gergogne à May-en-Multien,
tandis qu’en rive gauche, le rejoignent le ru de la Croix Hélène à Crouy, le ru de
Chaton à Ocquerre et celui de Méranne à Lizy. De 4 mètres de large à
la confluence du Clignon, il en fait à peine le double en arrivant en Marne, où
il sépare les territoires de Lizy et de Mary.
L’importante forêt de Retz, dans la région de Villers-Cotterets, constituait
autrefois l’une des sources d’approvisionnement en bois de Paris, comme le fut
aussi, plus au sud la forêt de Crécy sur les rives du Grand Morin. Au milieu du
18e siècle, afin d’améliorer les transports par voie d’eau, Louis de Régemortes
fut chargé, sur ordre du Duc d’Orléans, de l’aménagement de la rivière Ourcq ;
d’anciens ouvrages, dont certains avaient été réalisés avant même cette époque,
se devinent encore parfois, de nos jours, sur le cours de la rivière.
Depuis la création du canal de l’Ourcq, la gestion de la rivière est devenue
complexe, l’existence et le mode de fonctionnement de celui-là ayant conduit à
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prélever une grande partie du débit
de la rivière et de ses affluents, pour
l’alimenter. La canal étant devenu
propriété de la Ville de Paris, c’est elle
qui détient les « droits d’eau » sur la
rivière Ourcq, et qui en dérive
les quantités nécessaires au maintien
du fil d’eau dans cet ouvrage. Dès
lors, le niveau de la rivière varie, parfois brutalement, provoquant érosion
puis envasement. En période d’étiage,
à la fin des étés secs, le débit de
l’Ourcq peut n’être que de 600 litres par seconde, ce qui est bien peu au regard
du bassin versant qu’il draine avec ses affluents. En période de crue, lorsque,
proportionnellement, la gestion du canal nécessite moins d’eau que d’habitude,
l’Ourcq peut manifester des débits de 30 à 60 m3/s à Lizy-sur-Ourcq, soit cent
fois plus qu’en étiage, y provoquant de conséquentes inondations. De son
ancien caractère de rivière navigable, l’Ourcq a gardé un statut particulier,
la domanialité, expression de sa propriété par la collectivité – et non plus les
riverains – traduite par une contrainte imposée à ceux-ci : la servitude de marchepied, permettant son entretien. Pour mieux assurer celui-ci, une structure originale
de gestion s’est créée en 1985 : le Syndicat intercommunal pour l’aména-
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Pavillon d’entrée du château
de Gesvres-le-Duc.
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L’Ourcq
au fil de l’eau
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La rivière Ourcq
à Lizy-sur-Ourcq.
gement et la gestion de la rivière d’Ourcq, constitué par la Ville de Paris, et
9 communes… appartenant à 3 départements : l’Aisne, l’Oise, et la Seine-etMarne. Dans le but de maîtriser les variations de débit de la rivière, le syndicat a
automatisé la manœuvre de deux vannages, à Crouy et Lizy, et recruté un garderivière qui veille constamment au bon état du lit de l’Ourcq et de ses berges.
Au plan piscicole, cette rivière est dite « de seconde catégorie » (cf p. 5253) ; la police de l’eau (cf p. 34-35) y est assurée par la Direction départementale de l’agriculture et de la forêt. Deux associations se partagent le droit de
pêche sur le cours seine-et-marnais de l’Ourcq : l’Epinoche crouycienne et le
Gardon rouge lizéen. La qualité des eaux de la rivière est assez satisfaisante, malgré un traitement parfois insuffisant des effluents domestiques ; elle est plutôt
meilleure au niveau de la confluence avec la Marne qu’à son entrée en Seine-etMarne, l’importance des zones de marais, une faible population, et la rareté des
entreprises industrielles en étant probablement la cause. A l’aval, les activités
développées dans le secteur de Lizy et Mary, avec principalement l’imprimerie
Québécor (anciennement Didier) font l’objet de traitements limitant leur impact
sur le cours d’eau. Néanmoins, si l’on voulait redonner à l’Ourcq une plus
grande richesse piscicole, quelques travaux dans le lit de la rivière, et la garantie
d’un débit minimum, augmenteraient la productivité d’une rivière attrayante,
qui se dissimule dans un paysage de qualité, franchi fièrement par un récent
viaduc permettant aux trains à grande vitesse de rapprocher l’est de la France et
la région capitale. M. B. ■
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≈
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Le Canal de l’Ourcq en roue libre
L’Ourcq
au fil du temp
s
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L
e canal de 108 km qui se termine après le bassin de La Villette dans les
prolongements souterrains de Saint-Martin et Saint-Denis est une œuvre
d’art aquatique qui complète et transfigure le réseau naturel. Il s’agit d’un
jardin glissant côtoyé par ses chemins de halage et d’une rangée d’arbres assurant le gardiennage de l’ombre. Sa pente qui est constante paraît si limpide
qu’on penserait à une eau immobile avec des mouvements légers jusqu’au
moment où le réseau se plisse au gré du vent.
Le canal peut être séparé en fragments autonomes. Le fleuve canalisé va de
Port-aux-Perches jusqu’à Mary-sur-Marne où l’Ourcq plus ou moins délivré se
jette dans la Marne sous le regard du canal qui les surplombe de haut. Le canal
suit à peu près fidèlement les méandres de la Marne jusqu’à Fresnes. Désormais
divorcé, il s’élance d’un seul jet avant de réaliser son entrée triomphale dans le
bassin de la Villette couronné par la Rotonde de Ledoux sur laquelle il bute pour
traverser la rivière souterraine qui s’en va en direction de la Seine.
Ce canal – notamment sa partie supérieure – a une très longue histoire d’au
≈
Usine élévatoire
de Villersles-Rigault.
19
≈
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moins quatre siècles. Elle débute avec François Ier et se poursuit avec la famille
d’Orléans propriétaire de la forêt de Retz qui avait intérêt à faire descendre ses
bois coupés vers Paris. Au XVIe siècle, il s’agit de faire naviguer les bateaux sur
l’Ourcq. Un travail vite interrompu débute en 1529 puis Catherine de Médicis
relance le projet et en 1562, le premier navire arrive dans Paris en liesse.
Le canal des Ducs, autonome, est engagé par Riquet pour Louis XIV à l’est de
Meaux et par Louis de Régemortes au XVIIIe. Puis tout s’arrête jusqu’à
Bonaparte qui fait réaliser le bassin d’arrivée et, dès 1822, souvent grâce à la
main d’œuvre prussienne, le premier navire venant de La Ferté-Milon arrive au
bassin chargé de la circulation commerciale et de l’alimentation en eau de
la capitale. Bien sûr, une guerre larvée demeurera entre les transporteurs qui
veulent faire marcher l’eau et les meuniers qui veulent la retenir.
Après la cinquantaine de kilomètres de la rivière depuis sa source à
Courmont, on atteint le réseau canalisé à Port-aux-Perches jusqu’à Mareuil. Puis
c’est la traversée émerveillée de La Ferté-Milon où apparaît comme un fantôme
la forteresse branlante du XIVe siècle dominant l’église à mi-pente et la maison
d’enfance de Racine ainsi que celle de la belle-famille de La Fontaine. En aval,
des frondaisons étendues cachent une écluse, l’église et le château du grand
Veneur. Plus loin, un bassin circulaire devient déversoir de la rivière à Mareuil.
Désormais, pendant que l’Ourcq divague dans les forêts et les marécages,
nous nous trouvons dans le canal impérial où à Neufchelles le pont suspendu
qui porte le Clignon trace la frontière du département. Car le canal vorace a tôt
fait d’avaler une partie de ses affluents mercenaires. A Crouy-sur-Ourcq se trouve
le donjon de cinq étages. Il faut monter jusqu’à May pour regarder la grande
vallée marécageuse où flirtent le canal et l’Ourcq. En plein centre des Marais,
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≈
≈
Pompes de l’usine
élévatoire de Trilbardou.
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L’Ourcq
au fil du temp
s
12-25Ourcq:EAU
≈
Affiche des bâteaux-poste.
au croisement de deux avenues, un superbe pavillon solitaire se reflétait dans les
douves alimentées par l’Ourcq jusqu’en 1732. C’est à ce moment que le duc de
Gesvres fit appel à l’hydraulicien Drancy qui eut l’idée de capter la Gergogne et
de la faire passer par-dessus le canal pour emplir les fossés… Ce château de la
Belle aux bois dormant qui possédait une superbe galerie de peintures demeura
la maison de plaisance de cette famille. Ne fut-elle pas par son argent et ses
extravagances une des principales à la Cour pendant trois siècles ?
Puis le canal aborde Lizy-sur-Ourcq après Ocquerre où se trouve en aval du
pont l’emplacement de l’entreprise Bourgeois spécialisée jadis dans la fabrication
des flûtes de l’Ourcq. Le bateau poste à voyageurs, particulièrement filiforme
(22 m 70 de longueur et 2 m de large), a circulé de Paris à Meaux de 1837 à
1860, tiré par des chevaux rapides, arborant au mat une flamme rouge, et
annoncé par un cor de chasse. Ce salon flottant, pendant son passage, évinçait
≈
Écluse
de Vignely.
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≈
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≈
Usine élévatoire
de Trilbardou.
tout autre navigation. Il fallait toujours un homme pour la conduite du cheval et
un autre au gouvernail. En plus des voyageurs, il y avait toujours au XIXe siècle
le flottage du bois, et le transport de la pierre et du plâtre. A partir du XXe siècle
le canal travailleur fut remplacé par le chemin de fer. L’instrument de transport
outre le bateau de plaisance devint celui de la promenade à vélo pour aller plus
vite que l’eau, à pied pour se trouver en retrait, ou la pêche et la demi-somnolence qui nous mène à la rêverie au bord de la poésie qui coule.
Lizy fut au XVIe siècle une cité protestante. Les familles du Broullat et
d’Angenne firent établir le prêche dans le château du XVIe dont le beau parc est
étalé sur une île où les bras de l’Ourcq se multiplient avant d’atteindre la
confluence à Mary qui autrefois construisait des bateaux. La comtesse d’Harville
– héritière de la Trousse – y fit construire une belle demeure de style colonial.
Elle fut enterrée en 1821, au cimetière de Mary où se trouvent désormais
d’innombrables mausolées des gens du voyage.
Tout à côté, Mary est le site confluent où la Marne absorbe l’Ourcq. A Villersles-Rigault se trouve une usine élévatrice qui aspire l’eau de la Marne pour la
porter 12 mètres plus haut. Dans ce lieu, construit par Louis Dominique Girard,
on n’a jamais pu réaliser un élévateur qui permettrait aux navires de passer de
l’Ourcq à la Marne et viceversa ce qui éviterait cent kilomètres de détour. A Congis le
canal pompe une partie de la
Thérouanne et s’étend sur de
vastes espaces d’eau. Puis le
canal suit les circonvolutions
de la Marne à Varreddes ressemblant à un jardin flottant. A
Beauval se trouvait un transbordeur et un parc d’aérostation de
dirigeables.
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≈
≈
Détente et pêche
au bord du canal
à Trilbardou.
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A Crégy et à Meaux, le canal est enfoui dans la verdure. Vignely est dans l’angle
de la Marne et du canal : on y voit une écluse avec un moulin et une ancienne
écurie pour les chevaux des bateaux de poste.
Quant à Trilbardou, c’est un site essentiel du canal avant que celui-ci ne se
dissocie de la Marne à partir de Fresnes. C’est là que se trouve aux pieds d’un
château néo-Renaissance la station de pompage de l’ingénieur Sagebien à
laquelle est associé un récent musée du canal de l’Ourcq. A Charmentray, les jardins descendent jusqu’à la berge. Précy occupe une presqu’île. A Fresnes, non
loin de la belle église, s’élevait le château de Guénégaud dont la chapelle, qui
était une sœur du Val de Grâce, a été rasée en 1820. La ville de Claye se plait au
bord de son canal étendu bordé de jardins d’agréments. A Gressy, la Beuvronne
sort de la propriété du savant Macquer à la grande pièce d’eau et la rivière va
donner une partie de son flot au canal, l’autre s’en allant en direction de Claye.
L’Ourcq
au fil du temp
s
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≈
À Congis-sur-Thérouanne,
l’arrivée de la Thérouanne
dans le canal de l’Ourcq.
Enfin à Villeparisis où l’on va quitter la Seine-et-Marne, on garde le souvenir de
Balzac et de Laure de Berny dont la maison a été détruite. Continuant à descendre en droite ligne il faut visiter le parc forestier de la Poudrerie, centre
d’arboriculture, mystère des ateliers disparus et la tranchée de Sevran, oasis
linéaire d’où l’on ne devine absolument pas l’environnement urbain contigu.
Le canal de l’Ourcq est sans aucun doute une des merveilles de Seine-etMarne et un véritable centre de loisirs. Cette œuvre qui se situe du côté de l’art
et de la méditation a été évacuée de son trafic au profit des chemins de fer et
camionnages. Qu’on lui laisse la paix et qu’on préserve sa beauté naturelle. Tout
doit être réalisé pour en multiplier la paisible attraction. C. de B. ■
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Aqueduc parisien sur ordre impérial
vez-vous déjà vu l’eau d’un canal couler ? aux
écluses, certainement, mais ailleurs ? et bien, si
vous croisez, ou longez le canal de l’Ourcq, vous le
verrez couler, comme une rivière, et parfois même
plus vite que nombre d’entre elles, comme à
Vernelle, ou Marnoue-la-Poterie. Et juste à côté, au
fond du vallon, l’Ourcq, la rivière, coule elle aussi,
mais affaiblie de l’eau qu’elle a laissée à son canal.
Celui-ci est un dévoreur de cours d’eau ; tout ce qui
lui vient d’une rive plus haute que lui semble n’avoir
qu’un seul but : satisfaire cette boulimique fausse
rivière qui s’alimente sans cesse pour avoir assez
d’eau lors de son arrivée dans Paris : le Clignon,
la Thérouanne, la Beuvronne, et d’autres en font
les frais, qui achèvent ensuite, modestement, leur
parcours, vers l’Ourcq ou bien la Marne.
Le canal, lui, laisse la rivière se fondre dans la Marne,
feint de l’ignorer, et continue sans elle ; après les
méandres de l’Ourcq, fidèlement copiés, il s’approche
de ceux de la Marne, et les fait siens à leur tour :
s’accrochant au coteau de Varreddes, enserrant
Meaux, il ne manque aucun virage. C’est en 1825
qu’il fut mis en service ; on le qualifia d’impérial, car
Napoléon lui avait fixé pour objectif d’alimenter Paris
A
≈
Ci-contre,
Meaux, écluse
St Lazare.
≈
Page de droite,
Congis,
le pont levant,
et une surverse
du canal vers
la Marne.
24
≈
en eau potable, en plus d’assurer le transport du bois
et du blé vers la capitale. A l’époque, l’eau courante
étant réputée potable, contrairement aux eaux dormantes, il fallait une pente à ce canal, qui fut créé à
partir de Mareuil-sur-Ourcq, par creusement d’une
dérivation de la rivière anciennement aménagée, ou
« canal des ducs », dont il empruntait, et emprunte
toujours, l’essentiel de l’eau. Dans le département voisin, c’est la Ginette, affluent de rive droite, qui cède
ses eaux au nouveau canal ; puis, en rive gauche, le
Clignon, qui tout en séparant les départements
de l’Aisne de la Seine-et-Marne, est à son tour en
grande partie dévié dans un petit ouvrage qui enjambe
la rivière Ourcq, pour se déverser dans le nouveau
canal… C’est plus des trois quarts du débit reçu
par l’Ourcq et ses affluents, entre Mareuil et sa
confluence en Marne, que le nouveau, l’Impérial, est
en droit d’absorber, pour effectuer un périple d’une
centaine de kilomètres, dont plus de 70 rien qu’en
Seine-et-Marne. Deux passionnantes usines élévatoires, situées à Villers les Rigault sur la commune de
Congis-sur-Thérouanne, et à Trilbardou, furent même
créées pour lui apporter, en période de sécheresse,
de l’eau de la Marne.
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D’une largeur moyenne de onze mètres, pour
1 mètre et demi de profondeur, le canal de l’Ourcq
compense les 12 mètres de différence d’altitude
entre son entrée et sa sortie seine-et-marnaises par
le jeu de cinq écluses, situées à Varreddes, Meaux,
Villenoy, Vignely et Fresnes-sur-Marne. On y naviguait encore au siècle dernier, sur des embarcations
en bois adaptées à ses dimensions : les flûtes de
l’Ourcq (28m de long et 3 de large) d’abord halées
depuis la berge et guidées à la perche, puis métallisées et motorisées, comme le sont les quelques
automoteurs de l’Ourcq que conserve la Ville de
Paris pour entretenir le canal. Le plus souvent bordé
d’arbres d’alignement, le canal de l’Ourcq continue
d’apporter quotidiennement 200 000 m3 d’eau à
Paris, afin d’y maintenir les plans d’eau des canaux
parisiens. Ne servant plus à l’alimentation en eau
potable, mais au lavage des voiries, il est le support de deux activités : la pêche, exercée, en Seineet-Marne, par environ 7 000 pêcheurs, regroupés en
11 associations, et la navigation de plaisance.
Il faut cependant du temps pour le parcourir,
comme en témoignent les panneaux d’information
qui le bordent : pour arriver à Claye-Souilly depuis
le parc de la Villette à Paris, il vous faudra 5 heures – distance : 25 km – et de Claye-Souilly au Portaux-Perches, point d’origine de la rivière canalisée à
la Ferté-Milon, dans l’Aisne, comptez encore
15 heures pour le suivre sur près de 80 km.
Sachant qu’à cet endroit, on ne peut que faire
demi-tour, un projet d’ascenseur à bateaux est
évoqué depuis plusieurs années, qui permettrait, là
où le canal et la Marne se trouvent côte à côte, à
Congis-sur-Thérouanne, de passer du canal à la
Marne, ou l’inverse, en autorisant ainsi un parcours
en boucle depuis Paris, ce qui augmenterait certainement le taux de fréquentation de ce paisible
canal. La qualité de son eau, quant à elle, résulte
directement de celle de ses diverses sources
d’alimentation : que l’Ourcq, à l‘amont, ou la
Beuvronne, à l’aval, subissent des pollutions, et celles-ci se répercutent dans le canal. Généralement
de qualité plutôt satisfaisante, régulièrement faucardé afin d’empêcher un développement excessif
de la végétation aquatique, il est classé en seconde catégorie piscicole, comme la rivière elle-même.
A certains endroits, le canal tourne tellement qu’il
finit par surprendre : on le quitte, le redécouvre :
on croit qu’il coule à gauche, et c’est à droite qu’il
va… Puis d’un coup, à Fresnes-sur-Marne, c’est de
celle-ci qu’il se sépare, pour ne plus la retrouver.
Encore quelques vagues boucles pour contourner les
collines boisées de l’Aulnoye, et le voilà qui se met
à filer, presque droit, enfin, comme le feraient tous
les canaux. Il a choisi la plaine de France pour entrer
dans Paris, effleurer la Villette, donner le canal
Saint-Denis, devenir Saint-Martin et, se cachant
sous la Bastille, finir en Arsenal, juste à l’amont de
ces îles qui, elles, ont fait Paris. M. B. ■
L’Ourcq
Incidences
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La Thérouanne en terre de mémoire
La Thérouanne ne fait rien comme les autres rivières de Seine-et-Marne : partant
du nord-ouest du département, elle s’en va vers le sud-est, alors que les autres
cours d’eau convergent, en général, vers Paris. Elle doit cette orientation aux
collines de la Goële qui, du nord de Meaux, s’élèvent à Penchard, puis à
Monthyon, se couvrent de bois à Montgé, et donnent la butte de Dammartin,
dernier relief que survolent les avions venant de la plupart des pays d’Europe
avant de s’abaisser dans l’axe des pistes de l’aéroport de Roissy. Ainsi empêchée
de rejoindre la Marne par un chemin plus court, elle coule jusqu’à ne plus
rencontrer un tel obstacle, pour la retrouver quelques kilomètres seulement
après la confluence de l’Ourcq. Rivière modeste, qui ne dépasse pas 25 km de
longueur, elle est totalement seine-et-marnaise. Entre les sources de Gouesche à
Saint-Pathus, et sa confluence à Congis-sur-Thérouanne, elle accueille le ru de
Vaux venant des collines de Goële, longe l’étang de Rougemont après Oissery, se
divise, fréquemment, en petits bras, reçoit le ru d’Avernes qui, avec ses propres
affluents, sort du massif de Montgé et draine Saint-Soupplets, puis celui de
Brégy venant du département de l’Oise et celui du Bois Colot, au sud, pour finir
avec les ruisseaux des Elouats et de Beauval, qui coulent de part et d’autre de la
butte de Trocy-en-Multien.
Les terres du plateau où serpente la Thérouanne sont faites de riches limons
portant blé, maïs, betterave et colza ; elles sentent la Picardie, et au-delà, le nord: on
a pavé des entrées de champs, la brique apparaît dans les vestiges d’une distillerie ;
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≈
≈
Paysage
de la Thérouanne.
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≈
Monument Hildevert
à Forfry.
les paysages s’exposent au vent, les
haies sont rares, et les fermes grandes et peu nombreuses. Mais pour
les attentifs, cette terre riche et
laborieuse se révèle terre de
mémoire : croix, monuments, drapeaux dans les cimetières, et parfois, encore, impacts de tirs sur les
murs, obligent au souvenir de
ceux qui y ont défendu la patrie.
Dans ces horizons longs, c’est la
petite vallée de la Thérouanne et
les vallons de ses affluents qui attirent le regard. Les routes y plongent de temps à autre, passant
marais, prairies, peupleraies ou
anciennes cressonnières. Elles ne
convergent vraiment qu’à Etrépilly
qui, avec Oissery à l’amont, et
Congis à l’aval, sont les seuls bourgs
à s’être construits autour de la rivière, les autres se nichant sur le plateau, ou se perchant sur ses rebords, chacun près de son ru, ou, au moins, de sa fontaine.
Le cours de la Thérouanne aurait pu être tranquille ; c’était compter sans
l’intérêt qui lui a été porté lors de la construction du canal de l’Ourcq
(l’impérial…). Elle est ainsi deux fois moins large et profonde à sa confluence
(1,5 mètre et 30 centimètres), qu’au milieu de son cours. La cause s’en trouve
au Gué-à-Tresmes, juste avant Congis, où un petit canal lui prélève une grande
part de son eau, s’écarte de son cours, et rejoint le canal de l’Ourcq. Un peu
plus loin, la rivière passe sous celui-ci, traverse discrètement Congis et, à la
Gueule du Ru, se raccorde au petit bras de Marne qui contourne l’île d’Ancre.
Des 17 000 habitants de son bassin versant, les trois quarts se trouvent à
l’amont, là où l’on est le plus près de Paris, de l’aéroport, et des grandes carrières de gypse qui, à Saint-Soupplets, donnent le plâtre. Une zone industrielle ici,
des serres à Oissery, la moderne usine de traitement des déchets ménagers de
toute la partie nord de la Seine-et-Marne, à Monthyon, quelques autres carrières
plus modestes et de rares élevages constituent, avec, comme partout, commerce
et artisanat, l’essentiel des activités de cette petite région. Avant le prélèvement
de son eau au Gué-à-Tresmes, le débit de la Thérouanne est, en moyenne, de
600 litres par seconde, mais lors d’une crue exceptionnelle, c’était le 10 juillet
2000, il s’éleva à 11 m3/s. Sa qualité est plutôt moyenne, car dès l’amont elle
subit de nombreux rejets, trop conséquents au regard de ses modestes dimensions ; elle s’améliore vers l’aval avec néanmoins des teneurs toujours élevées
d’azote et de phosphore qui y exagèrent le développement d’algues, et réduisent ses potentialités piscicoles ; d’ailleurs une seule association y exerce la
La Thérouan
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pêche, principalement dans son cours
aval. L’étang de Rougemont est classé
parmi les zones naturelles d’intérêt
écologique, floristique ou faunistique
(ZNIEFF cf. p. 52) en raison notamment de sa flore spécifique des
milieux humides. Sur les sept moulins recensés en 1851, deux sont parvenus jusqu’à nos jours, à Etrépilly et
au Gué-à-Tresmes.
La Thérouanne est menacée : à
l’ouest, où elle débute, les villes se
développent sous l’attraction de
l’agglomération parisienne toute proche. La ruralité du reste de son cours
ne suffit pas pour annuler l’impact
des eaux qu’elle recueille à l’amont :
réguler le débit des apports d’eau
qu’elle reçoit par temps de pluie,
mais aussi améliorer la qualité de toutes les eaux que l’on y rejette, directement,
ou par le biais de ses affluents, devraient devenir des priorités reconnues collectivement, à l’échelle de son bassin versant. Elle nous le rendrait bien, au détour
de promenades qui, pour beaucoup, restent à inventer.
≈
Le château
de Fontaine-les-Nonnes.
Launette, la petite voisine du nord
Au moment de quitter la Thérouanne, il nous faut faire une modeste entorse à la
logique des bassins versants (Marne d’abord, Yerres puis Seine), car sinon, nous
omettrions de citer un cours d’eau, très discret dans notre département, mais
≈
Ancien moulin à Etrépilly.
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La Thérouan
n
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au fil de l’eau
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Bords de la Thérouanne
à Etrepilly.
≈
Pont sur la Thérouanne
à Oissery.
qui reçoit les eaux de villes qui ont, elles aussi, brutalement grandi depuis que
des avions se posent à Roissy. Il s’agit de la Launette qui fait partie du bassin de
l’Oise ; et cette petite exception géographique est due aux collines de Goële,
que domine Dammartin. Une butte ayant toujours plusieurs côtés il fallait bien
que des ruisseaux se dirigent vers le nord, et regardent le département voisin :
à la suite de sa source située à Marchémoret, ce sont les eaux issues de Rouvres,
d’Othis, la ville construite au milieu des champs, et d’une partie de Dammartin,
qui alimentent la Launette, par petits rus interposés. Après avoir quitté le département, la Launette passe par Ermenonville et l’abbaye de Chaalis, puis elle
rejoint la Nonette qui borde
Senlis et coule fièrement,
plus large qu’un canal, au
parc de Chantilly, avant de se
jeter dans l’Oise. A ConflansSainte-Honorine, et comme
l’avaient fait, avant Paris,
toutes les autres rivières de
Seine-et-Marne, Launette,
Nonette et Oise, à leur tour
donnent la Seine. M. B. ■
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La Thérouanne introuvable
J
’ai pour la Thérouanne une affection toute particulière. Elle coule joliment
au fond de mon jardin. Ailleurs elle est bien difficile à suivre, elle s’éloigne
à la limite des champs, inaccessible lorsqu’on cherche à se rapprocher ou
surgit de part et d’autre d’un pont nous laissant stupéfait. Ses méandres nous
confisquent une grande partie de sa vue.
Les sources sont à Saint-Pathus où la rivière est encore un ru, les autres lui
donnent au fur et à mesure de plus en plus de consistance.
Cette rivière a plus de vingt kilomètres, elle a deux sœurs, la Gergogne et
la Grivette dans l’Oise, qui coulent dans le même sens et se jettent dans l’Ourcq.
A Oissery se trouve le tombeau des Barres, un vaillant chevalier du Moyen Age
dont le château était voisin.
Il fut enterré entre ses deux
femmes. On y cultive fleurs et
arbres en quantité. Puis la rivière se repose dans l’étang de
Rougemont et musarde jusqu’aux ruines romantiques de
Forfry qui se disloquent de plus
en plus dans le fracas du temps.
A la Ramée demeure, près du
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≈
≈
Les ruines de Forfry.
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≈
Notre-Dame-de-la-Marne.
9:57
Page 33
pont, un moulin rénové avant que la
rivière ne croise la jolie demeure de la
Marre habitée pendant la Révolution
par le marquis de Boissy, puis le château de Fontaine-les-Nonnes qui
conserve un beau porche et fut pendant
des siècles le domaine des religieuses
aux vêtements blancs, guimpes plissées
et capuches noires. Elles représentaient
les plus grandes familles de la région.
Le monastère éminent a traversé non
sans mal la guerre de Cent ans et
les batailles de la Réforme. Les religieuses furent évincées à la Révolution laissant la famille Aubry Vitet proche des
princes. Etrepilly, fille de l’évêché et
haut lieu de la bataille de la Marne, au
vaste cimetière militaire, possède une place où voisinent l’église au clocher du
XVIe siècle, la ferme de l’Evêque, la maison de maître où habita le seigneur
de Longvilliers, gouverneur de la Martinique qui laisse aujourd’hui la place aux
Presses du Village, après avoir été la demeure du célèbre serrurier Fichet qui inventa
le coffre-fort.
On arrive bientôt à Congis où le château du comte de la Myre Mory est devenu lycée technique. Dans le cimetière voisin, onze jeunes de Choisy furent
fusillés et enterrés par les Allemands. Un peu plus loin la Thérouanne se laisse
boire en partie par le canal assoiffé avant d’aller se jeter dans la Marne. C. de B. ■
La Thérouan
ne
au fil du temp
s
26-35The?roua:EAU
≈
Le cimetière de Chambry.
33
≈
L’eau n’appartient à personne
C
≈
Page de droite,
Ru des Avernes
à Forfry.
≈
Exemple
de la constitution
d’embâcles au
pied d’un pont.
34
≈
omme presque toutes les rivières, la Thérouanne
est un cours d’eau « non domanial », ce qui signifie que ses berges, et le lit (le fond) de la rivière font
partie des propriétés riveraines ; seule l’eau qui s’y
écoule est le bien de tous. Ce sont donc les riverains
qui, en leur qualité de propriétaires, ont la charge de
l’entretien des berges. A l’inverse, et c’est alors plutôt le cas des fleuves, ou de larges rivières, les cours
d’eau « domaniaux » relèvent de la gestion de l’Etat ;
celui-ci peut être propriétaire, ou non, des berges,
mais en tout cas c’est lui qui en assure la gestion
et l’entretien ; presque toujours c’est au niveau d’ouvrages tels que les écluses que l’Etat possède les
berges, et donc le lit, de ces rivières. Ailleurs, là où
l’Etat n’est pas propriétaire, les propriétés riveraines
sont frappées de servitude (de marchepied, ou de
halage sur la rive où, autrefois, des chevaux tiraient
les convois flottants). Un cours d’eau est domanial
généralement parce qu’il est navigable, et c’est cette
capacité à supporter la navigation qui a justifié, en
son temps, les investissements réalisés par l’Etat,
longtemps au travers du Service de la Navigation, et
depuis 1991 par un Etablissement public : Voies
Navigables de France.
Lorsque les cours d’eau faisaient, activement, tourner
les roues des moulins, une bonne gestion, tout au
long de la rivière, était indispensable pour satisfaire
l’intérêt collectif : dérivations, bras d’amenée et de
décharge, et cours d’eau eux-mêmes étaient entretenus afin d’éviter le colmatage des ouvrages, ou des
débordements nocifs. L’abandon progressif des moulins, avec l’émergence de machines à vapeur alimentées au charbon, puis de l’électricité, ainsi que de
nouveaux moyens de transport s’affranchissant des
cours d’eau, ont rapidement provoqué le désintérêt
vis à vis de ceux-ci. La végétation des rives reprit rapidement son exubérance, et d’année en année, branches puis arbres tombèrent à l’eau, constituant des
embâcles (accumulation de bois mort, obstruant les
cours d’eau) à l’origine de nouveaux débordements,
d’érosion de berges, et de déstabilisation des constructions. Afin de se substituer aux riverains qui, dans
leur très grande majorité, ne s’intéressaient plus à la
rivière ou ne savaient plus comment en entretenir
les berges, presque partout les communes se sont
groupées en syndicats, d’aménagement, puis d’entretien de rivière. En Seine-et-Marne, ce mouvement
s’est surtout manifesté à partir de 1960, et accéléré
à la suite des grandes crues des années 1980. Le
Syndicat Intercommunal d’Aménagement de la
Thérouanne s’est constitué en 1968, à partir des
8 communes sur le territoire desquelles elle coulait ;
il s’est élargi plus tard aux 14 communes dont tout
ou partie du territoire faisait partie de son bassin
versant (ensemble des terres
où l’eau de pluie, en ruisselant,
s’écoule vers la même rivière).
Les divers syndicats qui se sont
constitués comme celui de la
Thérouanne, étaient assistés par
la Direction départementale de
l’agriculture ou celle de l’équipement, afin d’entreprendre des
travaux, souvent lourds, de restauration du lit des rivières, de
certains barrages, des berges…
Par la suite, ils ont engagé des
programmes d’entretien, élaborés, et suivis, par l’Equipe départementale d’assistance technique à l’entretien des rivières
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créée par le Conseil général, avec un
financement de l’Agence de l’Eau
Seine-Normandie. Ces travaux d’entretien régulier, répartis sur 4 ou 5
années pour couvrir l’ensemble du
cours de la rivière, voire de ses
affluents, sont subventionnés par le
Département et l’Agence de l’Eau, ou,
dans le cas du bassin versant de la
Marne, par l’Entente interdépartementale pour l’aménagement de la
rivière Marne et de ses affluents
(cf p. 108). Un seul syndicat, dans le
sud du département, fait participer
financièrement les riverains à ces travaux d’entretien ; partout ailleurs,
c’est la contribution des communes
qui composent le syndicat, généralement en fonction du poids de leur
population et de la longueur de berges
sur leur territoire, qui constitue le budget de celui-ci. Les travaux d’entretien
consistent d’une part à enlever les
embâcles et à curer ponctuellement les zones les plus
envasées, et d’autre part à éliminer les arbres morts
ainsi que les branches basses qui peuvent faire obstacle à l’écoulement des eaux en période de crue.
En zone de culture, c’est plus souvent un débroussaillage qui est effectué. On tente néanmoins
d’essayer d’obtenir des riverains qu’ils admettent de
laisser repousser des arbustes et des arbres en haut
de la berge : cela permet de tenir celle-ci, surtout
lorsque les ragondins, qui se sont multipliés à outrance, y creusent trop de terriers. Cela permet
d’ombrager la rivière, de constituer des abris pour
les poissons d’un côté, mais aussi pour les oiseaux de
l’autre, et enfin de marquer à nouveau le passage des
cours d’eau dans le paysage.
La réglementation sur l’eau est l’une des plus complexes ; sur chaque cours d’eau, même le plus
modeste, il y a des droits et des obligations, des
autorisations à obtenir (prélèvement, rejet) ou des
interdictions, que deux types d’agents sont susceptibles d’instruire ou de rappeler aux collectivités, entreprises, ou personnes concernées. La police de l’eau,
la plus générale, et la police plus spécifique de la
pêche, sont exercées par des agents de l’Etat : ceux
La Thérouan
ne
Incidences
26-35The?roua:EAU
de la Direction Départementale de l’Agriculture et de
la Forêt (en cours de regroupement avec celle de
l’Equipement) ou ceux du Service de la Navigation,
ces derniers intervenant uniquement sur les cours
d’eau domaniaux : Seine, Marne, Yonne. Des gardepêches assermentés, et des agents de l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques peuvent eux
aussi intervenir, et dresser procès-verbal en cas
d’infraction à l’une de ces polices, tout comme les
représentants de la Police ou de la Gendarmerie.
Dans le cas de la Thérouanne, police de l’eau et
police de la pêche sont donc exercées par la Direction
départementale de l’agriculture et de la forêt, comme
dans tous les autres cours d’eau secondaires de
Seine-et-Marne.
Enfin, pour pouvoir assurer l’entretien régulier de ces
cours d’eau, il a fallu instaurer des servitudes de
passage, au moins sur l’une de leurs rives, afin de
garantir le passage des personnes et des matériels
nécessaires à celui-ci ; les rivières du département en
disposent depuis de nombreuses années.
Ce qui fait qu’en fin de compte, pour préserver
une eau qui n’appartient à personne, la gestion des
rivières est plus complexe qu’il n’y paraît ! M. B. ■
35
≈
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Sous les ailes de Roissy : la Beuvronne
L
a petite Beuvronne a fort à faire, elle qui, avec la Biberonne, marque (mais
jusqu’à quand ?) la fin de l’agglomération capitale, à son nord-est, là où les
pistes de Roissy s’avancent sur les riches terres de la plaine de France.
Ici, blé, betterave, colza, mais aussi pomme de terre résistent aux immenses
chantiers de l’aéroport, de ses nouveaux accès routiers, des zones d’activités
et commerciales, ou des nouvelles habitations. Du nord au sud, les villages,
même agrandis, restent serrés autour de leurs clochers, se succédant le long
des deux petites rivières, que survolent sans cesse bon nombre des cinquante
millions de passagers qui, chaque année, partent, arrivent, ou transitent ici. Eux
ne les devinent qu’à peine ; tout au plus voient-ils la mosaïque des champs de
céréales faite de bruns, de verts, et de jaunes – question de saison – et peut-être
cette barre boisée de la Goële, qui, plus à l’est encore, arrête un peu le paysage.
La Beuvronne, dont la source est à Vinantes, la Biberonne, qui vient de Moussyle-Neuf, et tous leurs affluents – avant le passage du canal de l’Ourcq, à Gressy –
naissent de ces collines boisées qui, sur d’autres côtés, ont donné Thérouanne
et Launette : les rus du Pré de Vilaine, et de Thieux pour la Biberonne ; les rus
du Rossignol et de l’Abîme pour la Beuvronne.
Après le canal, les affluents coulent de l’ouest : la Reneuse, qui, avec son
propre affluent, le ru des Cerceaux, vient des villes (Villeparisis pour elle,
≈
La Beuvronne à Gressy.
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La Beuvronn
e
au fil de l’eau
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≈
A Vinantes, source
de la Beuvronne.
Mitry-Mory pour lui), se heurte au canal de l’Ourcq, le longe et, comme le
ru des Grues qui a suivi le canal, mais de l’autre côté, rejoint la Beuvronne au
moment où celle-ci vient de glisser sous le canal, en lui laissant une bonne part
de son débit, dernier apport d’eau avant que le canal quitte la Seine-et-Marne.
La Beuvronne est un cours d’eau non domanial, de 2e catégorie piscicole.
Les vallées de la Beuvronne et de la Biberonne sont peu marquées, mais comme
les bourgs et villages s’y sont installés, et qu’entre eux subsiste un cordon
de prairies, haies, bosquets, marais et peupleraies, elles se repèrent aisément.
Environ quinze moulins suivaient leurs cours ou celui de leurs affluents, et près
de la moitié existe encore. La principale ville traversée par la Beuvronne est
Claye-Souilly, où le canal, aussi, serpente. La rivière y est modeste (3 à 5 mètres
de large, pour 50 à 80 centimètres de profondeur), mais en période de crue,
elle peut y provoquer de sérieuses inondations, qui ont entraîné de multiples
études et travaux. A son aval, elle se divise dans des marais, échange ses eaux
avec le fossé de Montigny, qui la rejoint ensuite à Fresnes-sur-Marne ; à nouveau
divisée, elle longe ce qui fut le parc du château de Fresnes, aujourd’hui disparu,
et, toujours dédoublée, finit sa course en rejoignant la Marne. Au total,
la Beuvronne aura parcouru une vingtaine de kilomètres, que complètent
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≈
A Nantouillet.
les douze de la Biberonne. Pour l’entretenir, ainsi que ses affluents, deux syndicats
se partagent son cours : celui du Bassin de la Haute-Beuvronne, pour tout ce qui
se trouve au nord du canal de l’Ourcq, et celui de la Reneuse et de la Basse
Beuvronne, pour le reste.
Un projet de véloroute – voie réservée aux vélos et rollers – existe : partant du
canal, il longerait la Beuvronne puis la Biberonne, pour s’en aller vers les forêts et
châteaux de l’Oise, puis se raccorder plus au nord à des itinéraires européens.
Le cadre naturel et bâti des deux petites vallées pourrait en faire un parcours
agréable, quitte à se laisser distraire au passage des avions, comme le font tous les
jours amateurs et curieux, le long des routes qui bordent l’aéroport. Mais pour
cela, et en raison de la richesse
agricole des terres de la Plaine
de France, il faudrait s’obliger
à limiter les futures emprises
des développements à venir,
même si depuis quelques
temps on entre, aussi, dans
l’aéroport par l’est, et que
la Seine-et-Marne en espère
plus de perspectives que
de nuisances. M. B. ■
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≈
La vallée
de la Biberonne
à Compans.
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Beuvronne et Biberonne à tous vents
D
≈
Le château de Nantouillet.
eux petites rivières essentielles, alimentées d’innombrables rus adjacents,
descendent des collines de Goële en direction du Parisis au nord, l’est étant
réuni au pays de Meaux. Ce lieu de guerre et souvent de victoire est
une plaine agricole et, de l’est à l’ouest, un grand réseau de routes antiques
allant de Meaux à Paris traverse le grand relais de poste de Claye-Souilly ville
commerçante et laborieuse où le canal de l’Ourcq véhicula longtemps
voyageurs et marchandises.
Deux rivières alimentent le réseau. La Beuvronne qui vient de Vinantes, dont
le nom est explicite et peut-être aussi de Montgé, pour croiser au large le collège
de Juilly dont beaucoup d’élèves devinrent des célébrités comme le maréchal
de Villars ou Jérôme Bonaparte. Le collège, fondé par les pères de Bérulle et
de Condren en 1640, prit la suite d’une abbaye où jaillit la source Sainte
Geneviève. Le collège a traversé sans encombre le tourment révolutionnaire
grâce à Fouché, ancien élève et Lamenais a promené sa mince silhouette de
professeur. On voit dans la chapelle les statues de Nicolas Dangu et du cardinal
de Bérulle.
Un peu plus bas surgit le château de Nantouillet « où les formes
de l’architecture ogivale viennent expirer dans les apparences nouvelles de
la Renaissance Italienne ». Il fut bâti en 1525 par le cardinal Duprat, chancelier
La Beuvronne
au fil du temp
s
36-43Beuvr:EAU
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de François Ier, évêque de Meaux.
Ce personnage irascible et autoritaire aimait la viande d’ânon et sur
le tard fut affecté d’une telle
obésité qu’il fallut à sa place
échancrer la table. La façade
d’entrée est ornée d’une niche
sculptée. L’église voisine a un
portail dont le tympan est décoré
de déesses antiques. La Beuvronne
est rejointe à Saint-Mesmes par
la Biberonne, « enfantine » et
souvent perdue dans les blés. Elle
a pris naissance à Moussy-le-Neuf
où l’on voit les ruines du prieuré de sainte Opportune morte en 770 puis
Moussy-le-Vieux, domaine des Bouteilléz de Senlis, qui conserve le mausolée
superbe d’un de ses membres. Le château de style Louis XIII, propriété des
Brissac, est le domaine des Gueules cassées, les défigurés de la guerre 1914-18.
Enfin, le beau village de Gressy qui possède la maison et le parc Macquer lequel
avait choisi ces lieux pour ses amusements botaniques et ses plantations
exotiques. La rivière passe une chute, le paysage de la rivière y est bucolique
et le beau village neuf vieillit trop vite.
Un peu plus loin la Beuvronne va laisser une partie de son eau au canal
de l’Ourcq qui donne aux pontonniers et aux mariniers un rude travail. L’eau
laissée par le canal poursuit son chemin à travers Claye-Souilly, ville de relais
de poste, pour filer vers la Marne en arrosant jadis les douves de Fresnes.
Car hélas, la plupart des châteaux des grands commis et de l’Etat ont été détruits
par les guerres et submergés par les lotissements. C. de B. ■
≈
Collège de Juilly.
≈
Ancien moulin
de Thieux.
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≈
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Les pêcheurs n’ont pas remplacé les castors
a Beuvronne, comme la Biberonne et, dans un
département voisin, la Bièvre, ont une racine commune, signifiant « castor ». Il y eut donc un temps où,
loin de Lutèce, toutes ces petites rivières s’alimentaient
à partir de sources claires, erraient dans des marécages,
se divisaient, se déplaçaient, servaient de frayère aux
poissons qui y remontaient depuis la Marne, attirant
oiseaux et mammifères qui savaient y trouver abri
et nourriture. Les castors, alors présents dans tout notre
pays, trouvaient là un parfait lieu de vie : des arbres en
grand nombre dont ils se nourrissaient, ou qu’ils tiraient
à l’eau pour y édifier de quoi accueillir leur future
famille. Aujourd’hui, seuls les noms de ces rivières et la
physionomie de leurs petites vallées laissent imaginer
ce qu’elles furent, mais il n’y a plus de castors, qui
furent beaucoup chassés, et très peu de poissons. Pour
ces derniers, la ville est trop près, avec tout ce qu’elle
engendre d’eaux ruisselant après les pluies sur routes et
parkings, et celles dites « usées» provenant de chaque
foyer ou des entreprises. Ces eaux ont beau être dirigées
vers des stations d’épuration que l’on améliore sans
cesse, elles n’en ressortent jamais pures, et ne continuent à s’améliorer que par le jeu des cycles naturels
qui se produisent en rivière.
Lors de la grande expansion économique qui suivit la
dernière guerre, l’essor des entreprises, l’extension des
villes, l’intense développement des transports et la
modernisation de l’agriculture se sont faits au bénéfice
d’une évolution de la société, mais au détriment
des ressources naturelles alors considérées comme
disponibles à souhait. L’eau en fut une des premières
victimes, elle qui se mit à charrier des poissons morts
par milliers avant Paris, dans Paris, et après Paris ;
comme partout. Au début des années 60, afin d’enrayer
ce phénomène, six Agences de Bassin furent créées
en France. Sur un principe voisin de celui des mutuelles, chacun contribuait à leurs budgets (au travers des
factures d’eau), redistribué ensuite aux communes,
entreprises ou exploitants, qui construisaient des
réseaux d’assainissement, des stations d’épuration,
des captages ou usines de production d’eau potable,
aménageaient ou restauraient les rivières… Cette longue
reconquête n’est pas finie, même si de notables progrès
ont été accomplis. Les Agences de Bassin sont deve-
L
La Beuvron
ne
Incidences
36-43Beuvr:EAU
nues des Agences de l’Eau, et l’Ile-de-France fait partie
de celle qui gère les rivières du bassin de la Seine et de
Normandie. Les entreprises, nombreuses dans la zone
industrielle de Mitry-Mory et Compans, sont conseillées
et surveillées par la Direction régionale de l’industrie,
de la recherche et de l’environnement. Pour améliorer
le fonctionnement des stations d’épuration, les Agences
de l’Eau ont provoqué la création de Services d’assistance
technique aux exploitants de stations d’épuration, afin
d’aider les communes, syndicats d’assainissement,
industriels ou éleveurs, à tirer le meilleur parti de ces
nouveaux équipements. Celui de Seine-et-Marne a plus
de trente ans, et fait partie des services du Département,
comme le Laboratoire d’analyse des eaux auquel il confie
l’analyse des échantillons d’eau qu’il prélève chaque jour.
Dans le cas de la Beuvronne, et malgré les efforts
d’équipement déjà réalisés, y compris au niveau de
l’aéroport qui régule, et surveille, ses eaux pluviales
avant leur rejet, la Biberonne, la Beuvronne, la Reneuse,
le ru des Cerceaux et celui des Grues sont trop souvent
de mauvaise qualité ; la faiblesse de leur débit au regard
de tout ce qu’ils recueillent, en est aussi la cause.
On leur a fixé un objectif ambitieux : être simplement
de qualité acceptable, autorisant la vie des poissons
les moins exigeants. Peut-être que demain, si les efforts
engagés par les entreprises, les communes, et les
sociétés des eaux qui gèrent leurs dispositifs d’assainissement, s’amplifient, les pêcheurs remplaceront-ils,
enfin, les castors, le long de leurs berges ? M. B. ■
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La vallée à Orly-sur-Morin.
Trois régions pour un Petit Morin
L
e Petit Morin est certainement l’une des plus belles rivières de Seine-etMarne ; et curieusement, même si sa longueur totale dépasse à peine les
80 km, ils lui suffisent pour connaître trois régions : Champagne-Ardenne,
Picardie, Ile-de-France. Dans la première, il paraît au marais de Saint-Gond, puis
y fait la moitié de son cours; il traverse rapidement la seconde, crée la limite
entre celle-ci et la troisième, où il poursuit sa course afin de confluer avec la
Marne, à La Ferté-sous-Jouarre. La vallée du Petit Morin est certainement, elle
aussi, l’une des plus belles de Seine-et-Marne ; d’assez large, et toute agricole, à
l’amont, elle se resserre dès Verdelot, se boise sur ses versants, s’ouvre sur des
prairies, égrenne ses villages, s’écarte à peine pour recevoir ses affluents, garde
ses moulins, jumelle Saint-Cyr avec Montmartre, porte les cryptes de Jouarre, et
s’estompe à la Ferté dont elle accueille les
faubourgs. Le Petit Morin et sa vallée ont
la beauté des choses simples. On pense à
eux dans un projet de parc naturel régional ;
ils y feraient bonne figure.
Le bassin versant du Petit Morin couvre
600 km2, dont 250 en Seine-et-Marne, où
la largeur du cours d’eau passe de 6 à
15 mètres, et sa profondeur de 0,8 à 1,5 m.
Le Petit Morin est un cours d’eau non
domanial, classé en seconde catégorie piscicole. Il reçoit les eaux de nombreux petits
affluents dont les plus importants sont : le
ru Moreau à Verdelot, le ru de Bellot,
l’Avaleau à Sablonnières – qui vient du point
haut des paysages du Morin, et aussi de
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≈
Petit canal au moulin
d’Ormoy-le-bas.
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Le Petit Mo
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au fil de l’eau
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Eglise
de Villeneuve-sur-Bellot.
≈
Vue de la passerelle
sur un brasset alimentant
le moulin d’Ormoy-le-bas.
Seine-et-Marne, à un peu plus de 200 mètres ! – puis le ru de la Fonderie à Orly,
enfin le ru de Choisel au lieu-dit les Marais et celui de Vorpillère face au coteau
de Jouarre. Ce Morin est vif, et présente à l’aval, un débit moyen assez soutenu
(3m3/s) ; le 30 décembre 2001, il afficha un débit maximum de 52 m3/s.
Sa qualité, déjà assez bonne à l’amont, a tendance à s’améliorer vers l’aval.
Les berges, privées, étant assez peu accessibles, une seule association de pêche
y est présente, qui regroupe néanmoins près de 200 pêcheurs. A Verdelot,
on pratique le canoë et le kayak ; deux campings s’inscrivent dans la vallée.
Quelques entreprises jalonnent le cours du Morin, et relèvent principalement
de l’agro-alimentaire ; à Bellot, une cidrerie a dû fermer ; mais les pommes de
la vallée donnent encore, à Verdelot, un cidre de belle tenue. Sur les 19 moulins
encore présents, soit presque autant qu’au XIXe siècle, cinq seulement sont franchissables par les poissons, et très rares sont ceux qui ont encore une fonction
utilitaire : l’un d’eux, néanmoins, produit de l’électricité. La rivière engendrant
assez peu de nuisances pendant les crues (à la Ferté, c’est surtout l’influence de
la Marne qui se fait sentir, y compris sur la fin du cours du Morin ; et ailleurs ce
sont surtout des prairies qui sont inondées),
les communes n’ont pas toutes été incitées à
se substituer aux riverains pour prendre
en charge l’entretien de la rivière. Ainsi, un
syndicat ne regroupe-t-il que les quatre communes de l’aval : la Ferté, Jouarre, Saint-Cyr
et Saint-Ouen, tandis qu’à l’amont il n’y a
que Montdauphin qui ait adhéré à un autre
syndicat dont le siège se trouve dans le département voisin. La pression urbaine s’exerce
surtout à l’approche de la confluence avec la
Marne, où habitent les trois-quarts des 14000
habitants de la vallée seine-et-marnaise, là où
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La vallée du Petit Morin
à Montdauphin.
aussi se trouvent ses sites les plus fréquentés : l’abbaye de Jouarre en premier lieu,
et, secondairement, le musée des Pays de Seine-et-Marne à Saint-Cyr-sur-Morin.
Pour conserver son attrait à la vallée du Petit Morin, et y éviter l’effet
de mitage qui transparaît déjà, il faudra veiller à ce que les développements
urbains y soient bien réfléchis, et les autorisations de constructions individuelles
examinées avec exigence. Par ailleurs, en augmentant le niveau de traitement de
certains rejets venant des zones d’habitat, en coordonnant les manœuvres des
vannages des moulins, et en assurant un
minimum d’entretien de la végétation
des berges, là où aucun syndicat ne s’est
encore constitué, on donnerait au Petit
Morin de meilleures caractéristiques,
physiques et biologiques, permettant
à une espèce noble, comme la truite,
d’y prospérer. De même, en entretenant
le cours aval de ses principaux affluents,
ceux-ci pourraient devenir d’intéressants sites de frayères, favorisant la
reproduction naturelle des poissons
dans une vallée riche de ses ressources
naturelles et de ses paysages. M. B. ■
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≈
Musée départemental des
Pays de Seine-et-Marne.
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Le Petit Morin, juvénile et frondeur
Le Petit Mo
rin
au fil du temp
s
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D
≈
Moulin sur le Petit-Morin
par Pressac
(collection particulière).
eux rivières dont l’une est plus grande que l’autre ont été qualifiées de
petit et de grand étant donné leur longueur, leur profondeur et leur débit.
Loin de nous l’idée de les qualifier comme on le fit pour la Seine et
la Loire inférieure. Il est vrai du reste que l’origine du mot « mucre » ou
« lumiorité » est encore incertain mais définit un lit profondément creusé. Sa
vallée de part en part est étroite et parfaitement naturelle. En le remontant, mais
je l’ai aussi descendu tant de fois, on le trouve courageux et intrépide, parfaitement équilibré, avec son entourage de feuillages et de collines plus ou moins
escarpées se distinguant ainsi presque totalement des cours d’eau de plaine.
Du reste en revoyant comme je les ai vus tant de fois, ces sinueux chemins
d’eau, je les découvre sans cesse différents. A chaque mois de l’année, chaque
jour, chaque heure, chaque instant, je ne les découvrirais semblables. Jamais
la même couleur, jamais les mêmes reflets, jamais les mêmes mouvements.
On pourrait dire jamais les mêmes.
Pourtant un peu avant qu’il ne se jette dans la Marne à la Ferté-sous-Jouarre,
le Petit Morin traverse, à Saint-Cyr-sur-Morin un domaine culturel qui le transfigure. Car Saint-Cyr fut d’abord Montmartre tant ce village, si bien caché, fut
proche de la vie de bohême
parisienne. Cet ensemble se
résume en trois noms qui
le symbolisent et se trouvent aujourd’hui quasiment
réunis dans le Musée départemental des Pays de Seineet-Marne. Julien Caille et
l’Œuf Dur, Pierre Mac Orlan
et son havre du fantastique
social, enfin Pierre Guibert
et l’Hôtel Moderne qui réunit tous les adeptes et
où s’édifie la pyramide des
souvenirs de là-bas et d’à
côté. L’auteur de « Quai des
Brumes» avait épousé la fille
de Frédé, du « Lapin Agile »
cabaret de Montmartre. Julien
Caille autre baron de la
bande, cordial frondeur créa
une réplique en transformant son hôtel en colonie
de la Butte. Tout en mangeant
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gai et buvant sec dans la fermette dont il
reste une peinture sur le bâtiment, on
faisait des tas de gamineries. On peignit
un tableau fort remarqué avec la queue
d’un âne.
Un peu plus loin se trouvait la maison
de Mac Orlan. Cet ancien combattant du
brouillard des ports et de la misère, avait
donné au monde de la nuit et de l’aube
sa dimension de l’imaginaire. Il allait de
plus en plus à l’Hôtel Moderne avec son
bonnet à pompon, sa pipe et son perroquet Dagobert. Car l’Hôtel Moderne
réunissait des amis comme Chabrol,
Brassens, Clavel, Gréco ou Flip. Et le
restaurateur de ces cerveaux branchés fut
aussi le gardien d’une collection d’ethnographie devenue Musée des Pays
de Seine-et-Marne.
Sortant de Saint-Cyr on remonte une vallée aux églises modestes, aux
châteaux disparus, aux villages blottis le long de la rivière ou perchés aux
sommets des collines. A Saint-Ouen le château s’écroule. A Bussières se situe
le chalet de Scribe, auteur dramatique. A Sablonnières se devine le reste d’un
≈
Portrait de Mac Orlan
par Flip
(collection particulière).
≈
La Maison de Mac Orlan
par lui-même
(collection particulière).
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Le Petit Mo
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au fil du temp
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Reflets de l’église
de Saint-Cyr-sur-Morin.
≈
La forteresse de Launoy
Renault qui domine la vallée
du Petit-Morin.
château des Maupeou. C’est là que se déroule le roman de Médéric Charot.
Bellot garde encore son manoir aux quatre tourelles. Villeneuve conserve
sa place du marché. Verdelot aux confins du diocèse de Meaux, de Troyes,
et de Soissons possède le point le plus élevé du département à 215 mètres.
Son église s’agrandit du côté du chœur mais est diminuée du côté de la nef.
Si le manoir demeure la résidence du seigneur, la majestueuse forteresse
de Launoy-Renault, jadis entourée de bois et d’étangs, est devenue, à cet
emplacement stratégique, une
simple demeure ayant appartenu à la famille d’Espence.
Remarquons la superbe façade
Renaissance.
Puis la rivière va devenir
rurale et prend sa source en
pleins champs dans le marais
de Saint Gond. C. de B. ■
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Au cœur de la biodiversité
e Petit Morin et sa vallée font la démonstration de
l’intérêt écologique que peuvent revêtir certaines
parties du territoire. Le caractère relativement préservé du cours d’eau et la variété des paysages de la
vallée, ont en effet permis l’installation et le maintien
d’espèces animales ou végétales souvent exigeantes.
Dans la rivière, c’est la présence du chabot et de la
lamproie de Planer qui a conduit à en inscrire une
large portion, de Verdelot à Saint-Cyr, sur la liste des
sites « Natura 2000 », ensemble de lieux répertoriés au niveau européen, dans lesquels vivent
des espèces suffisamment rares pour justifier leur
protection, et celle des milieux qui les accueillent.
On a vu précédemment que c’est aussi dans ce secteur qu’il y a eu le moins d’interventions humaines
(hormis la création, ancienne, de moulins) ce
qui justifiera de pratiquer avec beaucoup de
précautions toute recherche d’amélioration de la
rivière, par exemple, dans un but piscicole.
D’ailleurs, dans les sites Natura 2000, un document d’objectifs doit être établi afin de guider toute
intervention, et de permettre le maintien des
espèces remarquables qui ont justifié leur création.
En fonction de leurs caractéristiques (température
L
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≈
de l’eau, vitesse du courant, nature des substrats
composant le lit de la rivière : pierres, sable, vase)
les cours d’eau sont classés en deux catégories,
exprimant leur potentialité sur le plan piscicole.
La première catégorie, ou salmonicole, correspond
aux rivières d’eau vive où la truite peut vivre et se
reproduire, en compagnie des loches et chabots.
La seconde catégorie, ou cyprinicole, est celle des
rivières aux eaux plus lentes, et généralement plus
profondes, où vivent gardons, carpes et brochets.
En Ile-de-France, compte-tenu de la géographie,
les secondes sont les mieux représentées. Le Petit
Morin entre dans cette deuxième catégorie, mais
se trouve presque à la limite des deux, et présente
un peuplement intermédiaire, caractérisé par la
présence de goujons et de vairons.
La vallée, quant à elle, présente une multiplicité de
facteurs favorables à la diversité de la vie, végétale et animale, expression de la biodiversité : la
pente relativement forte de ses coteaux, celui de
rive droite presque toujours exposé au sud, et celui
de rive gauche au nord, ces changements d’exposition induisant des variations d’ensoleillement,
de température et d’humidité qui engendrent à leur
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tour, la multiplicité des milieux ; les diverses
couches géologiques que la rivière a entaillées
(limons, sables, argile à meulière, calcaire de Brie)
qui influent sur la nature du sol, et permettent
à des espèces ayant des exigences différentes de se
répartir en fonction de la structure du sol, ou
de sa teneur en argile ou en calcaire ; un fond de
vallée encore largement occupé par des prairies,
pâtures, quelques peupleraies, et une ripisylve –
boisement des berges – pratiquement continue ;
des pentes boisées, en friche, ou en vergers ;
de nombreuses mares résultant de l’extraction de la
meulière comme sur les hauteurs de Reuil-en-Brie
et de La Ferté-sous-Jouarre ; ou encore l’absence
de voies de communication importantes, et de
nuisances industrielles. Toutes ces caractéristiques
ayant été repérées, la Direction régionale de
l’environnement, service de
l’Etat, a délimité dans la vallée
plusieurs zones naturelles d’intérêt écologique, floristique ou
faunistique (ou ZNIEFF) dites
de type 2 lorsqu’il s’agit d’assez
grands territoires réunissant
potentiellement des milieux
favorables à la présence de plusieurs espèces dignes d’intérêt –
ici, toute la vallée de Verdelot à
Jouarre – ou de type 1, lorsqu’un
espace, souvent de taille
moindre, correspond strictement
au type d’habitat permettant
à une ou deux espèces remarquables de s’y maintenir ; c’est
le cas de certains coteaux d’Orly
à Jouarre, et près du ru de
Bellot. Sans engendrer des
contraintes aussi fortes qu’un
site répertorié Natura 2000, ces
ZNIEFF doivent néanmoins être
prises en compte dans les documents d’urbanisme des communes, afin d’éclairer toute décision susceptible d’affecter les territoires concernés, et, le cas
échéant, de réglementer certaines
pratiques,
d’interdire
certains projets, ou en permettre la mise en
œuvre moyennant l’instauration de mesures
compensatoires.
Il est, enfin, dans la vallée du Petit Morin, un lieu
de conservation de variétés végétales qui ont
longtemps donné à celle-ci une activité renommée :
à Saint-Cyr-sur-Morin, au Musée départemental
des Pays de Seine-et-Marne, sont cultivées onze
variétés d’osier, ces saules aux rameaux à la fois
souples et résistants, dont on faisait des vanneries ;
bel exemple révélant d’une autre manière l’intérêt
patrimonial de cette vallée. M. B. ■
Le Petit Mo
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Incidences
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Curieux ouvrages du Grand Morin
Q
uand le Grand Morin fait parler de lui, c’est, le plus souvent, parce qu’il
est sorti de son lit. En période de crue, il a en effet forte réputation : il
gonfle rapidement, un peu comme le font les torrents, car ses nombreux
affluents s’écoulent sur des pentes généralement fortes, et ont vite fait de
le grossir. Tout le reste du temps, le Grand Morin reste à découvrir, et pour cela,
à mettre en valeur.
C’est à Lachy, dans le département de la Marne, que ce Morin-là a débuté son
parcours, à 165 mètres d’altitude, et parcouru 40 km, avant d’entrer en Seineet-Marne où il s’écoule sur un peu plus de 76 km. Son bassin versant est vaste :
1200 km2, dont les deux tiers sont en Seine-et-Marne, répartis sur 66 communes. Il y reçoit une foule d’affluents ; cependant, nombreux sont ceux qui ne
coulent qu’en période humide, demeurant secs plusieurs mois durant, chaque
été. Cela ne les empêche pas de dessiner des vallons, et parfois plutôt des ravins,
de s’entourer de bois, nécessiter des ponts, ou au moins des passerelles auprès
de leurs gués. Ceux qui montrent un débit en tout temps, sont, en rive droite
du Morin : les rus de Raboireau , de l’Orgeval, du Liéton, de la Fosse aux Coqs
et du Mesnil. Le ru de Raboireau vient de Rebais, donne une jolie vallée,
et conflue à Chauffry ; l’Orgeval ne mesure qu’un seul kilomètre, mais il est
le résultat de deux autres bien plus longs – les rus de Rognon et des Avenelles –
≈
Vannage à Coulommiers.
Page de droite, ancienne
vanne à Pontmoulin.
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qui s’écoulent de la forêt du Mans pour le premier, et pour le second, de Doue,
dont l’église culmine, solitaire sur sa butte, à 202 mètres ; le Liéton vient de
terres qui s’appelaient étangs, et conflue à Mouroux ; le ru de la Fosse aux Coqs
se borde d’un joli lavoir au pied de la collégiale de Crécy ; le Mesnil enfin, descend du plateau de Coulommes, où s’exploite un gisement de pétrole, et
alimentait un moulin avant de rejoindre le Morin, à Couilly-Pont-aux-Dames.
Sur sa rive gauche, se jettent principalement : le Vannetin ou ru de Piétrée,
l’Aubetin, puis les rus de Binel et de Lochy. Le Vannetin est un ruisseau d’assez
belle qualité, d’ailleurs classé en 1re catégorie piscicole, qui coule à Choisy-enBrie, dans une vallée presque symétrique à celle du Raboireau, et conflue
à Saint-Siméon, après un parcours de 18 km ; l’Aubetin est le principal affluent
du Grand Morin, et fera l’objet d’un autre développement, tant il constitue une
vraie rivière ; le ru de Binel est court, mais il naît dans la forêt de Crécy qui
l’alimente constamment en eau, ce qui lui a valu de faire tourner un moulin ;
enfin le ru de Lochy, désormais grossi des eaux qui lui viennent de la ville nouvelle, descend de là-haut, de ce rebord du plateau qui s’affaisse pour laisser
la place au confluent de Marne et Morin.
Tout au long de son cours, le Grand Morin se divise en de nombreux bras,
que ce soit dû, ou non, à la présence de ses moulins : plus de 50 y étaient recensés dans le passé, dont un bon nombre subsiste. A part eux, villes et villages
s’étaient généralement implantés à une distance prudente de cet impétueux
≈
A Condé-Sainte-Libiaire
ce pont permet au canal
de Chalifert de passer
au-dessus du Grand Morin.
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au fil de l’eau
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Le Grand Morin traverse
Coulommiers.
cours d’eau : sur une butte, au pied du coteau ou en remontant sur celui-ci. Au
cours du temps, de faubourgs en extensions urbaines, plusieurs l’ont, malgré
tout, rejoint puis traversé, s’étendant au-delà. A La Ferté-Gaucher, il est dans le
bourg. A Coulommiers, l’histoire de la ville et celle de la rivière sont intimement mêlées : le Morin y a plusieurs bras et surtout une fausse-rivière, creusée
au début du XVIIe siècle pour évacuer les eaux, en contournant la ville ; elle l’a,
depuis, dépassée elle-aussi. A Crécy-la-Chapelle il joue avec l’eau de ses brassets,
bordés de petits lavoirs et surmontés de passerelles, en autant d’accès aux
anciennes maisons. Plus à l’aval, on se contient, en retrait, jusqu’à ce que
le Grand Morin conflue avec la Marne. Il le fait de curieuse façon : son ancien
cours est sur Esbly, car un nouveau débouché, plus direct, lui a été trouvé à
la fin du XIXe siècle, à Condé-Sainte-Libiaire. Cette principale confluence se fait
après passage du Morin sous un large pont, aux nombreuses et massives arches,
qui porte le canal de Chalifert, un de ces canaux destinés à raccourcir le temps
de navigation sur la Marne. Problème : ce pont, on le verra, est source de complication pour la rivière, car il lui fait obstacle en période de crue. Il fut aussi un
temps, de 1846 jusqu’à la fin des années trente, où l’on prit l’eau du Morin
≈
Lavoirs à Crécy-la-Chapelle
et à Chauffry.
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pour alimenter ce canal de Chalifert; à Saint-Germain-sur-Morin cela se voit
encore : une ancienne écluse, comblée de terre, n’est plus en lien avec le Morin,
mais constitue le début d’un long canal rectiligne qui rejoignait celui de
Chalifert. C’est la « branche alimentaire » ; l’eau s’y trouve prisonnière, immobile, et, à cet endroit, recouverte de milliers de lentilles d’eau au travers desquelles seuls quelques canards se risquent un passage ; à l’autre extrémité, sur la
commune d’Esbly, elle a une belle embouchure sur le canal ; un tel site mériterait un projet. A rivière complexe, statut compliqué : le Morin ayant longtemps
servi à transporter vers Paris le bois de la toute proche forêt de Crécy, il fut
rendu navigable en 1618, et donc domanial, depuis le moulin de Coude, à
Dammartin-sur-Tigeaux, jusqu’à sa confluence avec la Marne. Trois siècles plus
tard, en 1926, il fut radié des voies navigables. De son côté, le petit bras d’Esbly,
qui avait perdu le privilège de mener les plus gros flots du Morin à la Marne,
redevint non domanial comme le sont le reste du Grand Morin et tous ses
affluents. Enfin, deux syndicats interviennent pour l’aménagement et l’entretien
du Grand Morin ; leur nature et leur rôle seront précisés plus loin.
De bonne qualité dès son entrée en Seine-et-Marne jusqu’à La Ferté-Gaucher,
malgré, souvent, une légère opacité, le Grand Morin y est classé en première
catégorie piscicole. Par la suite, sa qualité diminue surtout du fait des rejets
urbains; il y est classé en deuxième catégorie piscicole et ce, jusqu’à sa
confluence. Rivière aux dimensions intéressantes (15 mètres de largeur, en
moyenne, et de 50 cm à 1 m de profondeur moyenne, avec des creux de plus
de deux mètres), le Grand Morin présente des berges généralement abruptes,
mais aussi une alternance régulière de zones vives sur des graviers, et de
secteurs lents avec de forts herbiers. Cette variété constitue un ensemble favorable
à la vie et à la reproduction du poisson. Douze associations agréées pour la
pêche se succèdent le long de son cours, regroupant environ 1 800 pêcheurs.
Son profil permet aussi au Morin d’accueillir des canoës que l’on voit en divers
sites, comme devant la petite base de loisirs de Saint-Rémy-de-la-Vanne. Rivière
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≈
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Non loin de Saint-Rémyde-la-Vanne.
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Ancien moulin
à Boissy-le-Châtel
transformé en galerie
d’art contemporain.
industrieuse, le Grand Morin subissait fréquemment, il y a seulement deux
ou trois décennies, des pollutions chroniques ou accidentelles qui émurent
nombre de riverains et de pêcheurs. Plus rien de cela aujourd’hui, pour deux
causes principales : les communes ne cessent d’améliorer leurs dispositifs
d’assainissement et d’épuration ; tandis que du côté des industries, c’est surtout
– et malheureusement – leur raréfaction qui est la cause de leur moindre impact
sur le Morin. Ainsi ne reste-t-il en amont de Coulommiers, comme grandes
entreprises directement implantées sur les rives de celui-ci, qu’une faïencerie
à La Ferté-Gaucher et une papeterie à Jouy-sur-Morin, alors que les papeteries,
pour ne citer qu’elles, avaient longtemps été présentes, et en nombre, sur ce
Morin, attirées par sa force et la qualité de ses eaux. Maintenant, de vastes bâtiments peinent à trouver preneur, et les friches s’emparent de sites où les roues
des moulins ne tournent plus. Signe d’espoir peut-être : l’un d’eux, à Boissy-leChâtel, s’est transformé en lieu d’exposition d’art contemporain.
Très vite autour du Morin, à part quelques prairies, petits boisements et peupleraies, et jusque sur le grand plateau d’où viennent ses affluents, les terres
sont vouées à la culture du blé, surtout, comme partout en Brie, mais aussi
≈
Les Sources avant de se
jeter dans le Grand Morin.
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des pois, du maïs, du colza, des tournesols, ou encore de l’avoine. Ce grand
plateau n’est jamais monotone ; c’est encore la Brie, mais celle des deux Morin
parsemée de boisements, ondulant légèrement, offrant constamment de nouveaux horizons qui ne s’ouvrent largement que lorsqu’ils portent sur la vallée.
Comme dans celle du Petit Morin les vergers de pommiers tendent à régresser,
n’occupant que quelques pentes qu’ils partagent avec des prés où se maintient
un peu d’élevage, principalement bovin. On voit cependant des chevaux, des
moutons, ici ou là. Les grandes forêts sont plutôt rares : bois de Doue et du
Mans au nord-ouest, forêt de Crécy au sud-ouest ; mais lorsque leur pente était
trop forte pour la culture, les coteaux du Morin, comme les vallons de presque
tous ses affluents, se sont largement boisés une fois la vigne et les vergers disparus.
Cela donne de beaux sites, surtout lorsque le Morin, se heurtant à des roches
plus dures, a dessiné des méandres, parfois resserrés, ce qui lui a valu
l’inscription du territoire de plusieurs communes (Guérard, La Celle-surMorin, Dammartin-sur-Tigeaux, Voulangis et Crécy-la-Chapelle) au titre de la
loi du 2 mai 1930 sur la protection des monuments naturels et des sites de
caractère (cf p. 174-175). Loin de constituer une récompense, une telle mesure
revient à reconnaître la qualité d’un site, mais aussi la réalité des menaces qui
pèsent sur celui-ci. Ce qui est vrai à cet endroit peut donner matière à réflexion
pour le reste de la vallée, dont l’ensemble reste, encore, de caractère. Encore…
car il n’est que de la sillonner pour saisir la mutation, qui se produit sous nos
yeux : si l’habitat de plusieurs communes reste remarquablement groupé,
ne s’étendant que sur des parcelles vides au cœur des bourgs, ou directement
attenantes à ceux-ci ou à leurs hameaux, sur d’autres, les constructions, sans
retenue, se succèdent au long de chaque route qui s’écarte du pays. Ici comme,
malheureusement, trop souvent dans bien d’autres lieux, certaines entrées
de ville ou de bourg ne se distinguent plus, sauf par des constructions éparses
≈
Moulin de
La Celle-sur-Morin.
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au fil de l’eau
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Les saules à Tigeaux.
et des enseignes excessives ; viennent aussi l’appropriation des berges d’un
côté, et celle des points de vue de l’autre, les prétentieuses tourelles, les clôtures
qui ne sont plus protectrices mais offensives, hérissées de toutes parts, aux
pilasses surmontées d’inutiles ajouts dominateurs… On pourrait dire cela
de toutes sortes d’autres régions ; mais ici, il est encore temps, et la vallée
du Grand Morin peut encore évoluer dans la qualité, souvent synonyme de
simplicité, rarement de surcoût. Pendant ce temps, au fond de la vallée, là
où serpente ce Morin que l’on ne voit qu’à peine, des bâtiments s’abandonnent,
en même temps que s’est arrêté le train qui allait de Coulommiers à La FertéGaucher. Il a été parfait du temps où il fallait desservir les usines du fond de
vallée ; désormais, il ne va plus là où l’on vit, et, laissant ses barrières se figer,
et sa voie se couvrir de ronces, il accentue encore cette lancinante impression
d’abandon de la rivière. Certes il y a moins de travail sur les rives du Morin,
mais faut-il, en plus, en oublier celui-ci, ou lorsqu’une activité revient,
l’admettre sans exigence, sur le premier terrain venu ?
Les eaux du Grand Morin sont de plus en plus belles, et la rivière bien entretenue, mais on ne le sait pas, car on ne les voit pas, sauf en de rares endroits,
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Passerelle
à Crécy-la-Chapelle.
comme à la Celle-en-Bas, ou Voulangis, où l’on a fait la démonstration de la
beauté du Morin : ici c’est la simplicité d’une prairie entre deux eaux, un vieux
pont et des moulins, là c’est l’entretien minutieux d’anciens saules, reconnus
remarquables, sur le site où nous est rappelé que les peintres du « Cercle artistique » posaient leur chevalet, près du moulin de Saint-Martin, face au clocher
de Crécy. Même si cette tendance se retrouve à quelques endroits, surtout à l’aval
de Crécy, il faudra se mobiliser largement pour redécouvrir les berges du Grand
Morin, à commencer, tout simplement, pour les habitants des communes qui
le bordent. Comme on l’a dit pour le Petit Morin, un projet de Parc naturel
régional est mis à l’étude par la Région sur ce nord-est de l’Ile-de-France ;
des associations, de particuliers, d’élus, tous passionnés du Morin, se sont constituées pour promouvoir cette idée. Ce devrait être l’occasion de lancer le débat
sur le devenir de cette belle vallée ; elle peut se banaliser, et même se dégrader, si
on n’y prend garde, ou devenir, pour tous, un passionnant projet, en parlant de
rivière, de vallée, et des gens, et jamais autrement que des trois à la fois. M. B. ■
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Un brasset
à Crécy-la-Chapelle.
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Le Musée et les pavillons
du Parc des Capucins
à Coulommiers.
Le Grand Morin des cités aquatiques
L
e Grand Morin est sans doute l’une des rivières les plus émouvantes de
Seine-et-Marne et celle qui se rapproche le plus d’une œuvre d’art. C’est
la raison pour laquelle cet ample réservoir de chimères a inspiré tant de
peintres remarquables qu’on dénomme les peintres de la Vallée et c’est elle qui
contient une large réserve de folklore, d’écrivains en face de la Seine chevaleresque de Fontainebleau la Royale et la Marne de Meaux la Sainte. C’est la région
des plumes du terroir. La rivière, elle-même est à sa juste dimension, ni trop
large pour se prélasser sur les plaines, ni trop étroite pour être reléguée à l’état
secondaire. Nous sommes dans la Brie laitière ou Brie des étangs, souvent
effacés par une culture intensive. Les jolis coteaux-jardins recouverts de vignes
et de pommiers sont aujourd’hui tapissés d’arbres et de résidences. Alexis
Martin nous dit que ces vingt lieues de promenade sont un enchantement. Il n’y
a guère de villages où l’on ne découvre une église des XIII ou XVIe siècles.
Quelques moulins, étangs et cascatelles et des bourgades qui ont conservé leur
place du marché, ensembles harmonieux bordés de maisons de style.
≈
Le Parc des Capucins,
lumière d’automne.
65
≈
Sortis de la Champagne, nous nous
acheminons vers La Ferté-Gaucher dont
le prieuré est remarquable. On l’avait
appelée « la ville aux bêtes », mais
les habitants s’en défendaient en disant
« il en passe plus qu’il en reste ». Aux
alentours se distinguent la chapelle de
la Commanderie de Coutan et le petit
château de Lescherolles. A Chartronges
vivait la famille de Villefosse qui égrène
ses souvenirs non loin de Saint-Barthélemy où Marc Villin nous conte les
maîtres d’école d’avant-hier. A Jouy-surMorin, les papeteries du Marais fabriquaient les assignats et les billets de la
Banque de France. Saint-Siméon est
décoré dans son église des fresques naïves de son curé. Avant Coulommiers se
dresse la « forteresse courroucée » de
Boissy-le-Châtel.
A partir de Coulommiers nous tombons dans une rivière devenue dormante, toute chargée de pittoresque et de
poésie où quelques cités converties en
petites Venise, sont parsemées de canaux.Tout s’y passe. Catherine de Gonzague y
construisit à la fin du XVIe siècle un château qui ressemblait
au Palais du Luxembourg. Il en reste un beau jardin côtoyé
par le Musée des Capucins avec sa crypte en forme de grotte décorée de coquillages. Au château de Montanglaust, sur
la colline, se trouve la demeure des parents de La Fontaine
non loin de la superbe Commanderie des Templiers qui fut
sauvée de justesse. Dans la cité se trouve une imprimerie
célèbre, une ancienne prison convertie en bibliothèque,
une halle aux fromages et une Caisse d’Epargne qui ressemble à un palais. Au collège vécut Henri Massoul qui
écrivit la chronique des lieux où la Révolution fut particulièrement virulente.
A partir de l’endroit où se décharge l’Aubetin, la rivière et sa vallée deviennent de plus en plus pittoresques,
traversant les lieux enchanteurs de Dammartin-surTigeaux et Serbonne puis l’époustouflante collégiale
de la Chapelle-sur-Crécy située entre le château neuf,
et les vestiges de l’ancien ; Julien Green écrit « Elle est
admirable et belle et les autos qui passent n’arrivent pas à
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≈
≈
Moulin sur les bords
du Grand Morin
par Chamaliard (col. part.)
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Panneau touristique
de la Vallée des peintres.
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Le Grand Mo
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Collégiale
de Crécy-la-Chapelle.
≈
La Commanderie des
templiers à Coulommiers.
la tirer de sa longue méditation. Elle sut garder sa foi. ». A Crécy, autrefois
fortifiée, une partie des murailles demeure et trois tours, dont la tour Chatelain
où séjourna Corot. Le Morin se divise en de multiples canaux agrémentés
de pittoresques passerelles. Les lieux savamment aménagés n’ont pas pris une
ride. La seigneurie qui appartenait à la famille d’Orléans, avant la Révolution,
est devenue une belle cité bourgeoise.
Non loin de là se trouve le village de Villiers-sur-Morin
au centre de la Vallée des peintres. Amédée Servin en fut
le conducteur et Toulouse Lautrec couvrit les murs
de l’auberge du «Cercle Artistique» de fresques disparues.
Les paysages qu’engendre la rivière continuent
légitimement d’inspirer peintres et écrivains.
Vercors vécut 14 ans à Villiers-sur-Morin ; il y écrivit
«le Silence de la Mer» en 1942.
La commune suivante est celle de Couilly-Pont-auxDames dont l’abbaye était célèbre et où se trouve aujourd’hui la Maison de retraite des artistes fondée par
Cocquelin.
Puis, en déclivité, la rivière divisée va se jeter dans
la Marne dans le beau paysage châtelain de Condé-SainteLibiaire. C. de B. ■
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Vivre auprès de la rivière
vril 1983 ; les rivières d’Ile-de-France débordent. Il a beaucoup plu, après un hiver humide,
et les nappes d’eau souterraines ont été bien
rechargées. Au plus fort de sa crue, le Grand Morin
débite, en moyenne journalière, près de 130 m3
d’eau par seconde, quarante fois plus qu’en été.
Il se heurte aux arches du pont-canal de Chalifert,
y accumule branches et troncs arrachés plus haut ;
cela le bloque un peu plus. De l’autre côté, la
Marne, elle aussi, est sortie de son lit ; plus forte
que lui, elle passe d’abord, et empêche le Morin de
libérer ses eaux. Le canal tremble de tout ce tumulte
qui se déroule à ses pieds, et le Morin, empêché
d’avancer, se répand où il peut. Couilly-Pont-auxDames, Saint-Germain-sur-Morin, Montry, Esbly…
partout on colmate, on évacue les maisons trop
basses, les pavillons trop près. Les captages d’eau
potable, qui puisent l’eau sous les alluvions, et
les stations d’épuration, inévitablement proches de
la rivière, aux points bas des communes, ne sont
plus accessibles autrement qu’en canot. L’eau se
trouble et devient impropre à la consommation ;
il faut avoir recours à l’eau embouteillée, et aux
A
≈
Le Grand Morin
en crue entre
Voulangis
et Crécy.
68
≈
citernes des pompiers. La vie de la vallée, la vie
ordinaire, s’est arrêtée. On guette l’éclaircie,
les yeux rivés sur ces échelles de crue qui jalonnent
la rivière. Quand enfin l’eau se retire, on voit bien
ce qu’est un champ d’expansion des crues et pourquoi il ne faut rien y bâtir. Contraignantes, ces
lignes de débordement figurent, progressivement,
sur les documents d’urbanisme des communes ;
ne les trouvent illogiques que ceux qui n’ont pas
vécu ces inondations, ou celles de décembre 1988,
ou encore, les inconscients.
L’Ile-de-France a, généralement, le temps de s’organiser avant une crue de ses rivières ; le Grand
Morin y ferait presque exception. L’eau peut aller
très vite de l’entrée du département à Coulommiers :
huit heures, à peine le temps d’alerter et de s’organiser, de coordonner le mouvement des vannages de
multiples moulins, là où leur état le permet.
Plusieurs sont habités, ou propriété des communes, ou encore utiles, et donc entretenus. Par contre,
nombreux sont ceux qui montrent, lorsque l’on parvient à les apercevoir, des ouvrages fort délabrés,
car devenus usines, puis abandonnés, ils gardent
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grille close. Les chutes d’eau peuvent être importantes – jusqu’à 2,5 m – et presque tous ces barrages restent infranchissables par les poissons, empêchant truites ou brochets de remonter la rivière. Les
inondations du Morin étant fréquentes et souvent
dévastatrices, surtout à l’approche de sa confluence
avec la Marne, deux syndicats se sont, historiquement, constitués pour prendre en main la gestion
d’une rivière délaissée par ses riverains, dépassés
par l’importance des travaux, ou simplement
absents : celui d’Etude et de travaux pour l’aménagement et l’entretien du bassin du Grand Morin
le plus ancien, dont la compétence va de Boissyle-Chatel à la confluence et s’est étendue ensuite
à plusieurs petits affluents, parfois torrentueux,
comme le ru de Villiers ; et celui d’Aménagement de
la vallée du Haut Morin qui, après avoir modestement débuté par les deux communes de La FertéGaucher et Jouy-sur-Morin, a admirablement réussi
à rallier toutes les communes de Seine-et-Marne
depuis l’amont du précédent syndicat, à Chauffry,
et celles du département de la Marne jusqu’à
la source du Grand Morin.
Etudes et travaux se sont succédés pendant des
années. A la confluence, quatre imposants « épis »
ont été implantés en rive droite du Morin, afin
d’orienter ses eaux de crue vers le milieu du pontcanal de Chalifert, et non sur le côté comme
il le faisait spontanément, afin d’en faciliter l’écoulement vers la Marne. Surprenants au départ,
ces ouvrages se sont fondus dans la végétation
des berges, et rares sont les jours où vous
n’apercevrez pas, sur chaque épi, son pêcheur,
confortablement installé ! Ailleurs, ce sont les van-
nages de plusieurs moulins qui ont été rénovés, afin
de pouvoir agir sur le débit de la rivière en fonction
de ses crues ou, à l’inverse, de ses étiages d’été,
pour y maintenir une hauteur d’eau suffisante. Puis
des balises donnant simultanément l’alerte à diverses autorités, élus et services, ont été implantées
à Châtillon-sur-Morin (dans la Marne), à Meilleray,
et à Mouroux. Enfin, comme sur toutes les autres rivières de Seine-et-Marne, se déroule sur l’ensemble
de la rivière, et plusieurs de ses affluents, un programme permanent d’entretien de la végétation des
rives, sélectionnant les arbres dont les racines tiennent bien la berge – ce qui, contrairement aux idées
reçues, n’est pas du tout le cas des peupliers – et
éliminant ceux qui ont pu, malgré tout, tomber à la
rivière, à la suite d’une crue ou d’un trop fort coup
de vent. Là où la végétation n’existait plus, on a
même replanté les berges, pour qu’elles résistent à
l’érosion, lors des crues : les saules de Serbonne
en sont témoins, qui redessinent le Morin. On a
parlé aussi de digues qui pourraient retenir,
quelques heures, ou quelques jours, les eaux excédentaires des plus grandes crues… les études sur le
Morin ne s’arrêteront pas de sitôt. Elles s’inscriront
à l’avenir dans une procédure nouvelle, lourde, mais
concertée : un Schéma d’Aménagement et de
Gestion des Eaux, dont les prescriptions s’imposeront dans tous les domaines pouvant influer sur la
quantité ou la qualité de l’eau, qu’elle soit de surface ou souterraine. Celui des deux Morin, interdépartemental et interrégional, est engagé ; on y parle
des rivières, des vallées, et des gens : long, difficile, mais prometteur. M. B. ■
Incidences
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Le Grand Mo
rin
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69
≈
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Les deux vies de l’Aubetin
Q
uand il entre sur le territoire de Villiers-Saint-Georges, l’Aubetin n’est
qu’un ruisseau, provenant de cette Champagne qui commence déjà à l’est
de la Seine et Marne : pays de grands horizons, en damier d’interminables
pièces de culture. Ici, la terre, drainée, est riche. Le blé est partout, puis l’orge,
les pois, le colza ; quelques cultures secondaires, maïs, féverolle, y créent
presque l’événement. Il y a peu de bois et pas de haies ; les villages, petits, se
sont installés au moindre prétexte de ce qui, sur ce plateau, est un changement
de relief. On vit loin de ce ruisseau sans importance, simple exutoire des eaux
de fin d’hiver, collectées sous des hectares de terres labourées qui portent encore
le nom d’Etang, d’Eponge, de Noues ou de Prés.
L’Aubetin ralentit lorsqu’il vient longer la Nationale 4, et, dans ce secteur
plus humide, se borde de peupliers ; sa vallée n’est alors qu’une légère dépression dans le plateau. Non loin du pressoir de Béton-Bazoches, il passe enfin au
milieu du village, donnant à croire qu’il s’est accordé les droits d’une rivière ;
cela ne lui arrivera plus, et seuls des moulins, et de rares fermes, s’accrocheront
à son cours. De tout temps on a préféré ses coteaux, et même, surtout, le rebord
du plateau, comme à Dagny, entre ses premiers méandres. Seul le village
d’Amillis est presque descendu jusqu’à ce ru, encore tellement paresseux, qu’il
s’y couvre de nénuphars. De là, la vallée se resserre, les anciens vergers donnent
encore quelques pommes, mais les pentes, inéluctablement, se boisent ; elles
s’appellent Montagne, Tertre, Vignes, ou Bellevue. On y devine parfois des cabanons, mais surtout d’anciennes et simples maisons briardes transformées en
élégantes résidences. Au fond, entre quelques prairies, les bosquets dissimulent
l’Aubetin ; on ne le devine qu’au moment de le traverser. Il a plus d’eau, longe
un étang à Beautheil, et devient enfin attrayant pour la pêche. A Saints,
deux châteaux l’acceptent dans leur parc. La vallée, pittoresque, donne
Mauperthuis, moulin et
pyramide, la source de
Sainte Aubierge, halte reposante, puis les courtes
cascades du Poncet, que l’on
ne citerait pas ailleurs, mais
qui, en Brie, sont une rareté.
De là jusqu’à sa confluence
avec le Grand Morin à Pommeuse, quelques habitations
s’approchent de l’eau, toujours avec prudence, puis
un dernier moulin, sous
le viaduc qui porte la voie
ferrée.
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≈
≈
Vannage et cascades.
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L’Aubeti
n
au fil de l’eau
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≈
Pont sur l’Aubetin
à Pommeuse.
Au total, l’Aubetin aura parcouru 55 kilomètres en Seine-et-Marne, et reçu les
eaux de plusieurs affluents, essentiellement sur sa rive droite. En effet, lui viennent
du plateau qui le sépare du Grand Morin : le ru de Turenne au point précis de son
entrée en Seine-et-Marne, puis les rus de Volmerot, Saint-Géroche, de Chevru,
Baguette, Maclin, Loef et enfin l’Oursine. Alors qu’en rive gauche, on ne trouve
guère que ceux des Nouvelles, Puisé, de l’Etang et des Rieux et au-delà, de simples
fossés, drainant de faibles bassins versants souvent boisés, et qui ravinent lors
de fortes pluies.
Si l’amont de l’Aubetin, et la plupart de ses affluents, contiennent peu d’eau
l’été, c’est qu’ils reposent en grande partie sur des formations géologiques faites
de marnes et surtout de calcaires dans lesquels leurs eaux s’infiltrent assez
facilement. Mais en hiver lorsqu’il arrive que les nappes d’eau souterraines
soient hautes, l’Aubetin peut se manifester par de fortes crues qui expliquent
probablement la distance prise par les habitations par rapport à son cours :
au mois de février 1978, un débit de 15 m3 par seconde était ainsi mesuré
à Mauperthuis, à comparer, par exemple, aux 5 m3/s de débit moyen annuel
du Grand Morin, là précisément où il reçoit l’Aubetin.
La population du bassin versant est modeste, et se concentre principalement
à l’aval de son cours, de Saints à Pommeuse. Il y a très peu d’activité industrielle
dans cette vallée qui comptait jusqu’à 17 moulins dans le passé : seulement
quatre se trouvaient entre Villiers Saint-Georges et Amillis, le plus grand nombre
jalonnant la rivière entre Beautheil et Pommeuse. On n’en compte plus
désormais que 5 ou 6, en général parfaitement restaurés.
Les eaux de l’Aubetin sont de qualité très moyenne car elles montrent des
excès d’éléments azotés, phosphorés et phytosanitaires. Il est néanmoins classé
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≈
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≈
La vallée à Saints.
en première catégorie piscicole compte tenu de son potentiel. Sur ce cours
d’eau non domanial, il n’y a pas de syndicat assurant l’entretien de l’ensemble
de la rivière ; celui qui existe est centré sur la partie de son cours qui a fait
l’objet de travaux liés à l’agriculture ainsi qu’à son aval immédiat, soit de
Villiers-Saint-Georges à Frétoy. A l’autre extrémité de la rivière, avant sa
confluence avec le Grand Morin, c’est le Syndicat du bassin du Grand Morin qui
assure l’entretien de l’Aubetin, au niveau de Pommeuse.
A son aval, cette vallée, au caractère rural encore affirmé, se trouve désormais
bien proche des extensions urbaines induites par le développement de Marnela-Vallée ; il faut souhaiter que l’agriculture puisse s’y perpétuer, empêchant
une déprise qui ferait de chaque parcelle un espace convoité, au risque
de déplorer un jour tous les méfaits d’inévitables inondations.
Les communes de Saint-Augustin et Pommeuse ne s’y sont pas trompées,
en demandant au Département la création d’un « espace naturel sensible »
(cf p. 206-207) sur le parcours le plus menacé. Quant à l’amont de l’Aubetin,
la réalisation de petits travaux : plantations en berge, pose de blocs rocheux
au fond du cours, ici ou là, pour recréer des zones de turbulence, y faciliteraient
le retour de la vie piscicole que cette rivière mérite, sous réserve aussi d’y
atténuer certains impacts des grandes cultures.
Enfin, on peut se demander si à l’échelle d’une telle rivière, un syndicat
regroupant toutes les communes riveraines ne serait pas le gage d’une meilleure
gestion, globale, de celle-ci. Le Schéma d’aménagement et de gestion des eaux
des Deux Morin, déjà évoqué, le dira peut-être ? M. B. ■
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L’Aubetin, une rivière ancienne
L’Aubet
in
au fil du temp
s
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L
≈
Sur les bords de l’Aubetin
par Hervé le Bordeles.
(Coll. particulière).
’Aubetin est une rivière chargée en témoignages du passé. La plupart des
communes conservent des vestiges du néolithique et de l’époque GalloRomaine car la rivière Alba la claire, se trouve à l’intersection puis sur le
cours du chemin « ferré » qui va de Rome à Boulogne, non loin des ruines
sorties de terre de Chailly-en-Brie et de Chateaubleau de part et d’autre du
pays des Meldes et des Senons.
Débutant par la troublante forteresse de Montaiguillon perdue dans la forêt
et regardant Provins, la rivière se termine à Pommeuse en traversant le
Pons Mucrae pour aboutir là où était une superbe forteresse située au point stratégique de la Confluence. A Beautheil surgit le menhir qui inspecte à la fois
« la vallée des saints » et la « serpentine » de l’Yerres qui caracolent côte à côte
sans se regarder.
L’Aubetin n’est pas seulement l’eau claire et calcaire mais aussi l’eau bénite
des temps mérovingiens, toute entourée, il fut un temps, de vignes de messe
et d’une multitude d’étangs des carpes du vendredi. C’est ainsi qu’au cours du
VIe siècle, fleurit le Christianisme dans nos campagnes, et naquit le superbe
monastère de Sainte Fare dont l’église a conservé le cœur de la princesse
75
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L’Aubet
in
au fil du temp
s
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≈
A gauche, ruines d’une
fabrique, vestiges du parc
du château de Mauperthuis.
A droite, la source et la
chapelle de Sainte Aubierge.
de Clèves héroïne du célèbre roman de Madame La Fayette. C’est le long du
promenoir des Anges que réside l’abbé Perrin dans sa forteresse spirituelle où
ses poèmes ondulent entre ciel et terre. Non loin de là, Sainte Aubierge, troisième
abbesse, dont la chapelle et la source en permanence à 10°5, attirent les
malades et les jeunes filles qui cherchent un mari. Puis Saint Blandin construisit
un ermitage Sainte Flodoberthe à Amillis qui protège encore la demeure des
Bénédictines charitables.
Dagny garde le souvenir de Saint Jéroche qui planta son bâton, qu’il ne put
retirer, de sorte qu’il devint un buisson d’épines en perpétuelle floraison.
Les rives étaient autrefois parsemées de moulins et on peut admirer sous
le viaduc du chemin de fer de Paris à Coulommiers le moulin du Gué Plat dont
la mécanique a été reconstituée, et le moulin des îles qui hanta Vercors qui
y vécut les trente dernières années de sa vie.
Mais la rivière a voulu dans la commune de Mauperthuis se terminer en
apothéose : c’est là que Montesquiou avec l’aide de Ledoux et de Brogniard
construisit à la fin du XVIIIe un château exemplaire aujourd’hui démoli versant
sur un jardin classique envahi par la forêt vengeresse. Il élabore le long de
la rivière une folie merveilleuse allant jusqu’au manoir des Coteaux composite
où vécut Maman-Quiou gouvernante du Roi de Rome : la plupart de ces rêves
sont aujourd’hui disparus mais il nous reste le moulin de Mitsou qui joue avec
la rivière et la sublime pyramide délabrée issue d’un souterrain qui traversait
l’allée montant à l’obélisque. C’est là que le Comte de Provence, futur
Louis XVIII assista en 1775 à une fête mirifique qui se termina selon Delille
par une joute sur le lac. Plus tard au début du XIXe siècle, dans Mademoiselle
de Maupin, Théophile Gautier évoque les paysages de son enfance imaginaire
au bord de l’Aubetin. C. de B. ■
≈
Abreuvoir
à Saint-Augustin.
Menhir
à Beautheil.
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≈
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≈
Paysage
agricole
de l’Aubetin
à Dagny.
Dessins de grandes cultures
ême si les terres de la Brie ont la réputation
d’être profondes et riches, en raison de
l’épaisseur du loess déposé sur ce vaste plateau
lors des dernières grandes glaciations, cette affirmation perd de sa force au fur et à mesure que
l’on se dirige vers la Champagne, où l’épaisseur
de ces limons diminue. Quoiqu’il en soit, la
teneur de ces terres en particules argileuses les
rend particulièrement humides, et lourdes, en
hiver, et la productivité de la Brie tient, comme
dans la plupart des grandes régions agricoles, au
drainage de celles-ci. Cette opération consiste à
favoriser l’évacuation de l’eau présente en excès
dans le sol à l’aide de drains, qui sont enterrés
à une profondeur et à un écartement calculés en
fonction de la nature du sol. Longtemps réalisés
M
≈
Page de droite,
Frétoy, bande
enherbée.
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≈
en terre cuite, en éléments juxtaposés les uns aux
autres, ces drains sont depuis quelques décennies
faits de tubes en plastique, perforés.
La mise en place des réseaux de drainage est une
opération lourde financièrement, et techniquement, car elle nécessite de définir les conditions
d’écoulement des eaux excédentaires vers le
réseau hydrographique. Il en a résulté un curage
actif des cours d’eau et, bien souvent, leur surcreusement, afin que le débouché des collecteurs
de drainage se fasse bien au-dessus du lit – donc
du fond – des rivières.
Par ailleurs, la mécanisation de l’agriculture a
obligé, ici comme ailleurs, mais depuis bien longtemps en Brie, à supprimer le petit parcellaire
agricole, afin de constituer de très grandes entités,
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aux dimensions adaptées à l’usage de matériel
devenu de plus en plus conséquent, comme les
moissonneuses-batteuses.
Ce regroupement, combiné à la redistribution des
terres, ainsi redessinées, entre les agriculteurs
concernés, a été permis par les opérations
de remembrement rural. Presque toujours, ces
opérations foncières complexes, et longues,
se sont accompagnées d’alignement de chemins,
de creusement de fossés, de suppression de haies
ou de petits bosquets, et du recalibrage des cours
d’eau, qui consiste à en redéfinir les dimensions :
(largeur, profondeur), mai aussi, si besoin, le
tracé. Des mesures compensatoires, en particulier
en cas de suppression de haies ou de boisements,
sont prévues, et résultent d’études d’impact
devenues, depuis, obligatoires.
Ainsi tout le cours amont de l’Aubetin, et celui de
ses affluents situés sur le grand plateau agricole,
comme de nombreux autres petites rivières de
Seine-et-Marne, et d’ailleurs, attestent-ils d’une
adaptation à l’évolution d’une agriculture voulue
particulièrement productive, et compétitive.
Aujourd’hui, l’évaluation de l’impact de ce type
de travaux sur l’état et le fonctionnement des rivières,
mais aussi des nappes d’eau souterraines, fait
que, désormais, de telles opérations s’inscrivent
dans une nouvelle forme d’aménagement du territoire : l’aménagement foncier agricole et forestier,
dans lequel la préservation des milieux naturels
est clairement inscrite.
De plus, progressivement, une prise de conscience
collective, et une meilleure gestion des cours
d’eau, permettent de voir, ici ou là, mais encore
très timidement, des zones humides se reconstituer, des arbustes et des arbres revenir ombrager
les ruisseaux, ou de nouveaux espaces apparaître
destinés à assurer une fonction de tampon vis à vis
des eaux de drainage ou de ruissellement.
A tous les niveaux, depuis l’Europe jusqu’à
l’exploitant, on tente de concilier production agricole et environnement ; les bandes enherbées
implantées le long de la plupart des cours d’eau en
sont un exemple ; sont-elles suffisantes ? sont-elles
efficaces ? s’inscriront-elles dans la durée ou
seront-elles remises en cause ?
Autant de questions dont les réponses influeront
sur le devenir de l’Aubetin, comme des autres
rivières de Seine-et-Marne, et d’ailleurs. M. B. ■
L’Aubetin
Incidences
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La Gondoire en parenthèse
L
a Gondoire est bien petite pour qu’on en parle, mais avec ses affluents,
Gassets, Sainte Geneviève, et Brosse, ce sont bien eux qui ont fait le décor
dans lequel tout le reste s’est inscrit : châteaux, villages, chemins, parcs,
champs, étang, perspectives… et ville nouvelle. Juste au sud de la Marne, dans
un ultime rebond du grand plateau briard qui dure depuis la Seine, la petite
Gondoire offre une dernière vallée, presque perchée, au pied de côtes qui portèrent des vignes. L’entrée dans Paris n’est qu’à vingt kilomètres, la belle distance,
autrefois, pour châteaux et résidences. Ce val, de la Gondoire et de la Brosse, est
vallée de châteaux et de parcs, dont certains prestigieux : Jossigny, Fontenelle
à Chanteloup-en-Brie, et Guermantes d’un côté ; Ferrières et Rentilly de l’autre ;
le tout en un rien de carrosse, de cheval, de marche, ou de voiture.
La Gondoire et ses affluents sont des cours d’eau non domaniaux, de 2e catégorie piscicole. A sa confluence avec la Marne, en aval de ce qui est aujourd’hui
la base de loisirs de Torcy, le débit de cet ensemble est faible : 3 à 400 litres par
seconde en moyenne ; près de la moitié provient du ru de la Brosse, affluent
principal, issu des bois de Ferrières et du plan d’eau de la Taffarette, dont l’eau
sourd du parc du château, et qui reçoit ensuite le petit ru de Bussy. A la fin
de son parcours, bordé d’une piste cyclable, la Gondoire ne mesure que 2 à
3 mètres de large pour une cinquantaine de centimètres de hauteur ; ses berges
restent hautes cependant, car il lui arrive d’avoir à faire transiter vers la Marne
des débits bien plus élevés, comme ce 7 juillet de l’an 2000, où elle débita
≈
L’Orangerie du Château
de Rentilly
à Bussy-Saint-Martin.
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≈
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jusqu’à 10 m3/s ! On verra plus loin pourquoi, et aussi ce qui fait que son eau
n’est pas de la meilleure qualité : on n’y voit donc guère de poissons, ni de
pêcheurs. Comme pour la Beuvronne, un objectif lui a été assigné : redevenir de
qualité « acceptable », ce qui n’est pas impossible, mais cependant ambitieux.
Malgré leurs faibles débits, qui avaient probablement, néanmoins, l’avantage
d’être assez réguliers, la Gondoire et la Brosse ont fait tourner des moulins ; sur
le cours de ce dernier, celui de Russon vient d’être restauré pour montrer ce que
furent les moulins. Avant de confluer avec la Gondoire, la Brosse traverse l’étang
de la Loy, créé de longue date et qui, il y a peu, se mourrait d’envasement
et d’envahissement par la végétation. Il a été habilement restauré, et est devenu
l’un des points d’attrait de circuits de promenade, pédestres, cyclistes, et équestres, au fond d’une vallée préservée. Ce lieu de respiration, encore agricole, et
au fil de l’eau
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La Gondoi
re
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La Gondoire à Gouvernes.
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≈
Promenade du site classé
des rus de la Brosse
et de la Gondoire.
paysagé avec justesse, a été voulu par la Communauté de communes concernée
par ces divers cours d’eau. Elle a rencontré la même volonté de préservation
auprès de l’Etat, qui avait « classé » une partie des vallées de la Brosse et de
la Gondoire, de la Région qui en faisait simultanément un de ses territoires
d’acquisition, de l’Agence de l’Eau et du Département qui acceptaient eux aussi
de financer cette originale, et sûrement bénéfique, enclave de nature entre deux
parts d’une ville nouvelle.
La Gondoire est bien petite, qui ne mesure qu’une dizaine de kilomètres,
mais sa vallée a conservé châteaux, parcs, chemins, champs, étang et perspectives.
Le site classé des vallées de la Brosse et de la Gondoire constitue un exemple
de sauvetage, et de création, d’un cadre de vie, un havre de nature au milieu
de la ville, en passe de réussir. Il ne reste qu’à penser aux rivières elles-mêmes,
afin que leurs eaux soient dignes du cadre dans lequel elles s’écoulent. M. B. ■
≈
La vallée du ru de la Brosse.
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La Gondoir
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Incidences
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Quand il pleut sur la ville
si faible distance de la capitale, un territoire
comme celui que draine la Gondoire est inévitablement rejoint, un jour ou l’autre, par les développements induits par cette encombrante voisine.
Un jour, ce fut – il y a un peu plus de trente ans –
celui où les Villes Nouvelles furent décidées pour
structurer les développements urbains : Marne-laVallée débutera dans le département voisin et
s’étendra, un autre jour, jusqu’ici.
Peu de temps passe ; l’autoroute s’allonge entre
Ferrières et Jossigny ; la Région achète les bois de
Ferrières pour sauver cette grande trame verte allant
jusqu’à la forêt de Crécy. Au nord, ce sont toujours
de riches terres à blé, de rares et grosses fermes,
et des villages minuscules. On commence à venir
habiter la vallée ; elle est hors la ville. Pourtant,
sur les plans, c’est bien là, entre Marne et autoroute
que les nouveaux secteurs de Marne-la-Vallée sont
prévus ; Bussy-Saint-Georges, puis les communes
qui constitueront le Syndicat d’Agglomération
Nouvelle des Portes de la Brie. Les équipes de
Disney repèrent le lieu, le comparent à d’autres,
A
l’estiment par rapport à Paris, aux avions de Roissy,
aux Lignes à Grande Vitesse qui le relieraient à de
multiples villes et à d’autres pays. L’Etat est pour, la
Région et le Département aussi ; le nouveau parc
Disney, apportant sa version imagée et contemporaine des châteaux, sera là. EPAFrance, un second
établissement public d’aménagement se crée,
à l’image de celui qui est toujours en train de
construire les précédents secteurs de Marne-laVallée. Il faudra être à la hauteur, à temps, avec
des routes, des ponts, des kilomètres de tuyaux pour
l’eau propre dans un sens, et pour les eaux sales
dans l’autre, des logements, les équipements qui
vont avec, écoles, collèges, lycée… et puis prévoir
d’autres activités, pour un développement suffisamment varié. Il faut acheter les terres, exproprier,
réorganiser ; les villages sont submergés, les grues
permanentes, hôtels, immeubles et pavillons, parc
de loisirs, golf, gares, centre commercial… Et de
tout cela, il faut évacuer les eaux naturelles, celles
des pluies qui s’enfonçaient, avant, dans les limons,
ruisselant parfois, pour rejoindre, à petite vitesse et
≈
Le ru des Gassets
à Serris.
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≈
80-87Gondoire:EAU
≈
Page de droite,
Notre-dame
du Val.
≈
Retenue d’eau
pluviale au
Val d’Europe.
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≈
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faible débit, la modeste Gondoire ou ses affluents
d’opérette.
Il y a longtemps qu’en ville on ne mélange plus les
eaux pluviales – celles qui ruissellent sur toitures,
parkings et chaussées – et les eaux usées. Si les
secondes sont dirigées ici vers la station d’épuration, performante, de Saint-Thibault-des-Vignes,
on avait déjà placé sous les rues, des collecteurs
déversant directement les premières, les eaux
pluviales, dans les rivières. Jusqu’aux voitures,
aux vidanges sauvages, aux déjections canines
de maîtres indisciplinés, aux accidents de transport,
aux débordements de cuves, à l’ignorance (on croit
trop souvent que l’eau des caniveaux s’en va dans
les stations d’épuration), à l’insouciance… et les
eaux de pluie, une fois passées sur la ville, polluent
presque autant que les autres. A force, on finit par
se dire que si les eaux pluviales et les eaux usées
sont mélangées dans la plupart des vieux centres
des villes ou des villages, où l’on n’avait posé qu’un
seul réseau d’assainissement, le fameux « tout
à l’égout », c’était finalement peut-être aussi bien
que tout parte dans les stations d’épuration, afin
d’y traiter aussi une partie des eaux pluviales.
Jusqu’à ce que leur débit soit tel, lors de fortes
ou longues pluies, que le trop plein va quand même,
directement, en rivière, entraînant avec lui une part
des eaux usées… Rien n’est parfait. On a déduit
de statistiques sur le régime des pluies, la dimension
que devaient avoir les réseaux d’eau pluviale.
Jusqu’à l’orage exceptionnel, et demain, aux modifications du climat. Les mentalités changent et les
techniques aussi : avec les villes nouvelles, on crée
les réseaux, dès le départ, aux bonnes dimensions
par rapport à la taille qu’aura la ville, mais, pour
ne pas les faire immenses, pour la pluie exceptionnelle, apparaissent les bassins de retenue des eaux
pluviales : on les intègre à la ville, qui va jusqu’à
s’organiser autour d’eux. Ces plans d’eau deviennent
miroirs, étapes dans des parcs, restituant, tout
à coup, aux yeux de chacun, le parcours de ces
imperceptibles ruisseaux qui étaient là, avant
la cité. Une tranchée pour les trains, cela complique
les choses ; il faut descendre, pomper, relever,
ou franchir : retrouver le parcours du ru des Gassets,
intégré dans un parc à l’entrée de Serris, devient
difficile. Malgré cela, voici le bassin n°8 où
se reflètent quartier des Charmilles d’une part
et centre commercial du Val d’Europe de l’autre ;
puis celui de Notre Dame du Val sur celui de Bussy,
et celui de la Broce sur le ru de la Brosse… Et finalement, malgré cette incroyable transformation
du paysage, où l’imperméabilisation génère des flots
croissants d’eau pluviale, de bassin en bassin,
on atténue, on retarde, on
régule, car la petite Gondoire
et les autres ne peuvent
guère changer de dimensions. Ces bassins, et les
quelques équipements épurateurs qui, parfois, les
précèdent, ont un deuxième
rôle, piégeant déchets, hydrocarbures, épurant ce qu’ils
peuvent grâce aux organismes
qui s’y développent, et parvenant même, finalement, à
tolérer une vie de poisson.
N’empêche que toutes les
eaux pluviales n’aboutissent
pas dans les retenues, se
fondant alors en rivière sans
épuration ; n’em-pêche que
des eaux usées, celles qui
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La Gondoir
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Incidences
80-87Gondoire:EAU
devraient aller vers la station d’épuration, s’écoulent
encore parfois, plus ou moins discrètement, dans les
cours d’eau. Et pendant ce temps-là, malgré tous les
travaux déjà réalisés, la Gondoire, comme nombre
de petites rivières recevant les eaux de villes trop grandes pour elles, suffoque aux fortes pluies, ne parvenant
pas à retrouver une eau de qualité acceptable.
Ces nouveaux étangs, ces lacs, que l’on retrouve
aussi en canaux à Sénart, restent un trait de caractère des villes nouvelles, ou, ailleurs, de grands
ensembles neufs. Mais les mentalités changent,
et les techniques aussi ; les tuyaux coûtent fort cher
et polluent beaucoup, les plans d’eau dépolluent,
mais l’eau qu’ils rejettent grossit les cours d’eau
au lieu de s’infiltrer, comme avant, en alimentant
les nappes d’eau souterraines. Tous conviennent
maintenant qu’il faut, raisonnablement, densifier
les villes, les reconstruire sur elles-mêmes, sur leurs
friches, plutôt que d’avancer toujours sur ces terres
de culture qui méritent bien plus de considération.
On cherche à gagner de l’espace et à réduire
l’imperméabilisation : des toitures en terrasse
végétalisée apparaissent, qui retiennent, évaporent
et limitent la quantité d’eau à rejeter ; au bord
des chaussées on voit des noues, fossés en herbe,
peu profonds, parfois plantés, où l’eau s’épure
et s’infiltre, limitant les tuyaux ; on encourage
la récupération individuelle, ou collective, des eaux
de pluie à des fins d’arrosage ou, avec prudence,
chez soi, pour alimenter les chasses d’eau : ce sera
autant d’eau potable économisée. Au point de
se demander si, finalement, avec celle des rivières,
ce ne serait pas l’eau de pluie qui serait en passe
de redessiner bien des formes urbaines.
La Gondoire et ses affluents sont trop timides pour
que l’on parle d’eux, sauf que de tout temps des
châteaux les ont pris pour écrin, et que pour le tout
dernier, qui s’accompagne de milliers d’habitants,
et reçoit 14 millions de visiteurs chaque année,
ce sont eux qui, toujours, s’imposent à nous :
tandis que l’on restaure l’étang de la Loy, pour le
redécouvrir, surgissent de nouvelles architectures
qui, pour exister, se reflètent dans les eaux qui iront
les rejoindre, doucement. M.B. ■
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à Vaires-sur-Marne
Saacy-sur-Marne
Ussy-sur-Marne
Varreddes
Trilport
La Marne
Nanteuil-sur-Marne
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La Ferté-sous-Jouarre
Mary-sur-Marne
Germigny-l’Evêque
Meaux
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à Nanteuil-sur-Marne
La Marne
La Marne en tournis incessants
Entre le champagne et le petit vin blanc, la Marne et l’eau sacrée
Indispensables alliances
Torcy
Lagny-sur-Marne
Noisiel
Champs-sur-Marne
Jablines
Précy-sur-Marne
Chalifert
Thorigny
Vaires-sur-Marne
Chelles
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La Marne en tournis incessants
S
i la Seine et la Marne étaient sœurs, la cadette serait la plus turbulente : faisant
fi des boucles, amples et majestueuses, tracées par son aînée, la petite tourbillonne et, prise à son vertige, attire l’attention et vous le donne aussi.
Ainsi est la Marne, qui bouillonnera jusqu’à retrouver son aînée, dont elle fera
le tiers quand celle-ci, l’apaisant, glissera en simples clapotis sous les ponts de
Paris. Sur ses 525 kilomètres de longueur, un cinquième de la Marne est en
Seine-et-Marne, et sur cette bonne centaine, deux tiers seulement sont considérés
navigables : à force de tourner en tous sens, au point de revenir presque là où
elle est passée auparavant, elle s’est tellement allongée que l’on a fini par couper
court, pour mieux naviguer.
Lors de son passage en Seine-et-Marne, depuis Citry, où elle se partage avec le
département de l’Aisne, jusqu’à Chelles et Champs-sur-Marne, d’où elle fera le
Val de Marne, cette large rivière sert souvent de limite entre les 53 communes
qu’elle arrose. Dans la région voisine, la Marne a buté sur les côtes de
Champagne qui, comme on le voudra, commencent, ou s’achèvent, en Seineet-Marne où l’on cultive quelques dizaines d’hectares de vigne pour le pétillant
breuvage. Géologiquement, c’est face à la résistance que ces côtes lui opposaient,
≈
Entre Mary-sur-Marne
et Isles-les-Meldeuses.
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au fil de l’eau
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La Marne
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≈
Changis-sur-Marne.
que la Marne s’est mise à déposer à droite ce qu’elle arrachait à gauche, et
inversement, comme le font toutes les rivières qui creusent leur vallée. Selon la
façon que l’on a de compter les méandres qui résultent de ce patient processus
d’érosion, engagé il y a plusieurs centaines de milliers d’années, au moins
7 peuvent se lire dans le paysage seine-et-marnais : ceux de Nanteuil, de SainteAulde, de Jaignes-Tancrou-Mary, de Varreddes, de Meaux, de TrilbardouCharmentray, et enfin d’Annet, chacun ayant bien sûr son retour sur une, deux,
ou trois autres communes. Le plus resserré, là où la rivière semble attaquer
l’obstacle par les deux côtés, est au cœur de Meaux, qui ne s’est pas implantée
par pur hasard, face à cette sorte d’éperon : 425 mètres séparent la Marne, de
son trajet vers le nord, à son retour en direction du sud. C’est en ce site que fut
construit ce qui est peut-être l’un des plus anciens canaux de France, destiné à
court-circuiter cette étroite boucle de rivière : celui du Cornillon, daté du début
du XIIIe siècle. Une belle écluse, aujourd’hui inactive et en cours de restauration,
y sert seulement à contenir l’eau du plan d’eau amont à deux mètres environ
au-dessus du plan d’eau aval, en fonction des mouvements du barrage situé,
≈
Meaux, le canal du Cornillon.
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un peu plus loin, dans cette boucle. Qui regarde bien Meaux ne peut
s’empêcher de penser que tout en ces lieux appelait une ville, et une cathédrale.
Six autres barrages jalonnent le cours de la rivière en Seine-et-Marne, où la
navigation commerciale est moins active que sur la Seine, compte-tenu des
dimensions des diverses écluses ainsi que de la rivière elle-même, qui n’a pas
été aménagée à « grand gabarit » comme ce fut le cas pour celle-là. (cf p. 241243). Mais sans ces barrages, et sans ces écluses, la navigation serait impossible
sur la Marne comme sur de nombreux autres cours d’eau, car ce sont ces ouvrages
qui maintiennent un plan d’eau de hauteur suffisante pour que l’on puisse
y naviguer. Mis à part le Cornillon, sans usage au moins depuis le milieu du
XIXe siècle, deux autres canaux raccourcissent les temps de navigation sur la
Marne. D’abord celui de Chalifert, long de 12 km, et inauguré en 1846. Il débute
à Meaux, juste au sud du Cornillon, suit la Marne jusqu’à la confluence du
Grand Morin, au-dessus duquel il passe, est rejoint par la « branche
alimentaire » – même si celle-ci ne l’alimente plus depuis longtemps – et
s’enfonce sous la colline de Chalifert, pour rejoindre la Marne 300 mètres plus
loin, évitant ainsi ses deux derniers méandres seine-et-marnais. Peu de temps
après, les péniches qui la descendent s’engagent, à Vaires-sur-Marne, dans le
canal de Chelles, qui les conduit dans le département voisin, à Neuilly-surMarne, en 5 km ; mis en service 20 ans après le précédent, il évite un secteur où
la rivière divague entre de nombreuses îles dont plusieurs sont devenues,
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≈
≈
Meaux, la cathédrale
et la halte fluviale.
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récemment, réserves naturelles. A côté de la navigation commerciale, la plaisance
se fait, progressivement, une petite place dans le trafic aux écluses ; les villes
s’équipent de haltes nautiques, se tournant, de plus en plus, vers une rivière
assez longtemps ignorée : Lagny-sur-Marne, Meaux ou La Ferté-sous-Jouarre
misent ainsi sur le tourisme fluvial. La pêche, quant à elle, est généralement
bonne en Marne, malgré ses berges généralement abruptes et les variations parfois
brutales de son niveau : 15 associations de pêche, 7500 pêcheurs, la fréquentent.
Catégorie piscicole : deuxième, puisque grande rivière, aux eaux profondes et peu
rapides ; domaniale : oui ; navigable : oui, sauf dans les méandres que des canaux
évitent. Polices de l’eau et de la pêche : Service de la Navigation de la Seine.
≈
Canal de Chalifert
entrée du tunnel.
au fil de l’eau
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La Marne
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Contrairement à ses affluents, il n’y eut jamais beaucoup de moulins sur
la Marne, au regard de sa longueur. En 1850, on en comptait moins de 40 sur
le cours seine-et-marnais de la rivière, le tiers se tenant autour de Meaux. Là, sur
le pont datant du XVIe siècle, se serraient les plus connus d’entre eux, détruits,
reconstruits puis disparus, définitivement, lors d’un violent incendie, dans les
années 1920. Mais la Marne a longtemps travaillé pour les moulins des autres :
de la Ferté-sous-Jouarre partirent, des décennies durant, et souvent au-delà des
frontières de France, les robustes meules qu’on y fabriquait. A la Ferté, le port
aux meules en garde le souvenir : on y employa des restes de meules que l’on
ne pouvait vendre. Industrielle, la Marne le fut, et l’est encore, mais presque
modestement. Elle a plutôt donné dans l’agro-alimentaire : d’imposants silos
stockent et expédient toujours les grains produits dans les grandes plaines de
Brie, du Multien et de l’Orxois ; mais la sucrerie de Villenoy, comme la centrale
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Le site Menier
à Noisiel.
thermique de Vaires, ont fermé leurs portes. Il reste William Saurin à SaintThibault-des-Vignes, de l’industrie chimique, du traitement de métaux, ou
encore le siège de Nestlé France à Noisiel préservant les remarquables architectures
datant de l’époque, et du succès, du chocolat Menier. Encore actif aussi est
le lourd transport des sables et graviers que la Marne a accumulé dans ses méandres,
et que l’on extrait en de multiples lieux, pour la construction et les travaux
publics. Et puis, au milieu de tout cela, de modernes usines pompent l’eau de la
rivière, la filtrent, la traitent, la désinfectent, l’analysent, la goûtent, et l’envoient,
eau devenue potable, desservir des milliers d’habitants : à Meaux, à Annet-surMarne, et plus loin à Neuilly-sur-Marne, la rivière est ainsi puits et source à
la fois, dans des usines aux contrôles permanents, qui ont le regard fixé sur
la rivière, prêtes à réagir à la moindre anomalie. La qualité des eaux de la Marne
est plutôt bonne ; on y décèle néanmoins l’impact des grandes agglomérations
comme celles de Meaux, ou de Lagny-Marne-la-Vallée. N’empêche qu’en ce
début de XXIe siècle, elle tiendrait presque l’objectif fixé : « eau de bonne qualité »
si ce n’était la présence, infime, mais détectée, de ces pesticides que l’on emploie
en grande culture, sur les voies ferrées, en ville, ou dans presque tous
les jardins particuliers. Une telle observation n’est pas spécifique à cette rivière,
car plus on se place à l’aval d’un grand bassin versant, comme l’est celui de
la Marne, couvrant plusieurs départements, plus on retrouve ces produits, de façon
presque constante, véhiculés par de multiples voies. Les réduire, encore, est
un combat de longue haleine ; sur l’Yerres, une rivière voisine (cf p. 137-139),
une démarche est initiée pour tenter d’y parvenir.
On a déjà vu quels étaient les principaux affluents de la Marne : Ourcq,
Thérouanne, Beuvronne en rive droite, Petit Morin, Grand Morin et Gondoire
en rive gauche. Elle en reçoit bien d’autres, souvent discrets, au point que
certains en sont même secs l’été, mais qui tous ont fait la géographie,
puis l’histoire : celle des villages et de leurs lavoirs, celle des moulins quand
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Page de droite le canal
de Chelles qui va
de Vaires-sur-Marne
à Neuilly-sur-Marne.
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l’eau était suffisante, celle des vallons et des marais, et celle des villes enfin
quand s’approchant trop de Paris celles-ci les rattrapèrent. En rive droite, et
parmi quelques autres, se succèdent ainsi : le ru de Sainte-Aulde au-delà duquel
s’arrête la Seine-et-Marne, ceux de Courtablond à Ussy et de Chivres à Jaignes,
le ru de Rutel qui coule de la Goële et conflue à Villenoy, et à Chelles enfin, celui
de Chantereine, devenu ru des villes, souffrant de ne plus être un simple ru des
champs. En rive gauche, confluent : le ru de Péreuse à Sammeron, celui des
Cygnes à Nanteuil-les-Meaux, l’original Rapinet à Jablines, où le marais
de Lesches a été aménagé pour recueillir les brochets remontant la Marne lors
du frai, dans le but de produire des brochetons en grand nombre, le ru de
Maubuée à Noisiel, succession de plans d’eau organisant le Val Maubuée, vaste
secteur de Marne-la-Vallée, et pour finir, le petit Merdereau, serpentant juste
au-delà des perspectives du parc de Champs. Un autre ruisseau, qui deviendra
rivière dans le département voisin, pour s’y jeter en Marne, prend sa source en
forêt de Ferrières : le Morbras ; il fut longtemps malade d’avoir vu grandir
si vite Roissy-en-Brie et Pontault-Combault, encore simples villages au milieu
du XXe siècle. Il a demandé bien des investissements, dont les plus importants
furent de collecter les eaux usées de sa vallée pour les traiter dans la station
d’épuration de Valenton, d’où elles se rejettent, non plus en Marne, mais en
Seine. Le ruisseau, lui, reçoit toujours les eaux pluviales, prétraitées quand on
le peut ; doté d’un bassin de retenue en aval de Roissy-en-Brie, il devient, en Val
de Marne, rivière urbaine, modeste, mais objet de toutes les attentions.
Il est un autre affluent qui conflue d’abord avec le Surmelin, et à travers lui,
avec la Marne, bien avant que cette dernière entre dans notre département, mais
qui pourtant… le traverse, aussi, de part en part : la Dhuys, dont les sources
furent captées pour alimenter Paris en eau potable. L’aqueduc, devenu de
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≈
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Halte fluviale
à La Ferté-sous-Jouarre.
≈
Sculptures de
Jacques Servières
à Chessy.
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la Dhuis, est par sa longueur un imposant ouvrage (131 km), doté d’une très
faible pente puisqu’il n’a que 20 mètres de différence d’altitude entre son
départ au captage, et son arrivée au réservoir de Ménilmontant. Mis en service
en 1865, pour apporter 20 000 m3 d’eau potable, par jour, aux parisiens, il se
devine tout au long de son périple seine-et-marnais. Interminable couloir
herbu, souvent bordé de haies ou d’arbres comme le serait une rivière, l’aqueduc
de la Dhuis, lui aussi, tourne et retourne, accroché au moindre dénivelé, pour
aller doucement, par simple gravité, jusqu’à la capitale. Chemin sans nom, ou
bien promenade, on le voit ici enjamber une rivière, on le devine là, passant
sous une autre en siphon. Bien que son tracé continue vers Paris, son eau est
interceptée au niveau du parc EuroDisney, afin d’y diversifier l’approvisionnement en eau potable, avec la Marne traitée, et l’eau souterraine captée.
La Marne, il la franchissait plus loin, entre Chessy et Dampmart, par un pont que
la guerre fit sauter ; la traversant autrement, il a laissé ses pierres devenir œuvres
d’art. Une fois en rive droite, il s’élève en belvédère, sur ces derniers coteaux
boisés de Marne qui regardent au sud, là où villes anciennes et villes neuves
se mêlent ; il vient d’entrer dans l’agglomération parisienne, en surplomb de
la grande rivière à laquelle, très loin, l’eau de la Dhuys s’est déjà mêlée.
Ainsi va la Marne, viticole, agricole, urbaine, sinueuse, offrant ses paysages :
villages accrochés au flanc de ses rondeurs, églises trapues, châteaux cachés,
fermes aux lourds pigeonniers, îles retrouvées, bruissants barrages, brusque
jusqu’à ses berges, beige de terres érodées, enjambée de viaducs, écrin de
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cathédrale, blanchie de villes
nouvelles, débordante, grande et presque illisible, pour
cause d’incessants volte-faces.
Au cœur de ses boucles, là où
l’on a pris, où l’on prend
encore, les matériaux roulés,
usés et affinés, qu’elle a charriés au cours des millénaires,
ses paysages changent : les
agriculteurs ont cédé la place aux carriers, et derrière eux se découvrent
de vastes plans d’eau, car il vaut mieux l’eau de la nappe, qui apparaît, que
d’apporter des matériaux – divers et parfois trop – pour remplacer le sable pur.
Il n’en fallait pas plus pour que la Marne devienne récréative, sportive, écologique : Vaires-sur-Marne, Torcy, Jablines-Annet, les bases de loisirs se spécialisent
et se succèdent en remontant la rivière ; on est près de Paris, de sa dense
banlieue privée de forêts et de grands espaces ; on vient facilement sur ces
plages où l’on se croit en vacances. A Congis-sur-Thérouanne, on joue la carte
de l’environnement depuis que des milliers d’oiseaux ont retenu le lac de
gravière comme escale annuelle, ou demeure permanente.
Ainsi s’en va la Marne, qui fut tour à tour, pays de combats, rivière de peintres,
puis de fête juste après Seine-et-Marne : nourricière pour Paris, tournant,
se retournant, demandant du temps. Dans ses panoramas, bien souvent elle
se cache, tourbillonne, nous donnant son vertige, disant de revenir. M. B. ■
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Poincy, halte fluviale.
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Kayak sur la Marne en crue
au barrage de Noisiel.
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La Marne
au fil du temp
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Entre le champagne et le petit vin blanc,
la Marne et l’eau sacrée
M
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Nanteuil : les vendanges
en Champagne.
on Dieu ! Si la Marne pouvait raconter à la première personne tout ce
qu’elle a vu, entendu, ce serait une histoire interminable. Elle alternerait
la parole divine qu’elle véhicule le long des cathédrales ou des églises
et la féerie de ses reflets d’une histoire qui la transforme en musée vivant.
Quelquefois, dans ses débordements, elle a voulu aller plus loin et investir
les rues et les venelles et, en 1909, nos cités furent presque englouties.
L’active « Matrona » aux eaux virulentes, aux chutes trépidantes, est aussi fantaisiste dans les séries de méandres contrariés et sinusoïdes. Sa ligne droite qui ne
dépasserait pas quarante kilomètres en réalise au moins cent vingt dans ces courbes
alternatives où elle bute sur massifs de forêts, carrières, cités ou les récentes bases
nautiques comme Jablines « en bord de mer ». C’est également dans ces aires
de repos que sont déposés les vestiges archaïques ou Gallo Romains. Les villages
et les cités de cette époque étaient presque aussi nombreux qu’aujourd’hui.
Il faudrait bien pour alimenter la mémoire en dresser les maquettes. Quant aux
incidents de la vie quotidienne, ils sont à peine chuchotés.
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Vues de l’Abbaye de Jouarre.
Dans le domaine du passé antérieur ne faut-il pas commencer par la fin où,
sous les ballastières de Vaires et Torcy, l’Abbé Bonno découvrit vers 1880
les restes de l’époque Chelléenne qu’Armand Lanoux a vu se réveiller dans
les monstres de béton où sont implantés les banlieusards mélangés de l’est
parisien. Il rêvait du retour de Sylvie, (égérie de Gérard de Nerval), – Dame
Nature – réfugiée dans les forêts du Valois.
Chelles commence avec l’assassinat par Frédégonde de Chilpéric dont
le monument funéraire se promène dans le jardin public. Ce rendez-vous
de chasse devint le palais de Clotilde qui y fonda un oratoire lequel devint
l’une des plus célèbres abbayes de France. L’Irlandaise sainte Bertille en fût
la première abbesse. On dirait plus tard que si l’on n’était Reine de France
on devenait abbesse de Chelles. Le musée local Alfred Bonno nous laisse admirer
le trésor de Bathilde exhumé de la châsse de l’église Saint-André. On voit
apparaître la superbe chasuble. Nous ferons ici, dans un rassemblement de
merveilles, un petit tour dans l’autre monde.
Un peu plus tôt vers le premier siècle de notre ère, les routes de Rome
à Boulogne et de Paris à Reims, se croisent à Meaux près de la cathédrale, la place
du Forum et du temple, intersection du Cardo et du Decumanus meldois qui
se dirigent vers le Brasset, lit de l’ancien fleuve, en croisant les thermes et le théâtre.
César y voyait un port étendu chargé de navires de guerre et de commerce. La cité,
qui avait 60 hectares (au lieu de 100 pour Paris) au temps de la Paix Romaine, se
rétrécit après les invasions pour devenir un castrum entouré de murailles dont on
voit encore le petit appareil boulevard Jean Rose au pied de la « maison Bossuet ».
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Détail des ruines
de Montceaux-les-Meaux.
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Lagny-sur-Marne, l’ancien
cloître.
La paix gallo-romaine a permis l’édification, en campagne, de villas plantureuses. Les mérovingiens nous laissent, à Chelles par exemple, des monuments
de haute importance de cette époque de floraison chrétienne dont la Marne
exprime la quintessence. Tout d’abord le vaste monastère de Jouarre où sainte
Fare, fille de Chagnéric, est intronisée comme ses frères Dadon à Rebais
et Radon à Reuil. Elle est rejointe par Agilberte et Ébrégésile, sa sœur Balde et
sa nièce Telchilde. Sur ce balcon, la prière et l’élévation imprègnent encore
ce monastère à la tour du XIIe siècle et au cloître du XVIIIe, proche de l’église
Saint-Pierre dont le pèlerinage du XIXe siècle ne comptait pas moins de 8
à 10 000 participants. Pourtant le trésor du lieu est encore souterrain dans
la crypte aux tombeaux lumineux. À la même époque que Bertille et Fare
apparaissent saint Fursy à Lagny et saint Faron évêque de Meaux dont le parent
saint Fiacre fût un grand défricheur et s’assit sur la pierre molle, guérisseuse
des maladies du bas ventre et symbole de la fertilité.
Au temps de Charlemagne « empereur de Trèves », la Marne est peu évoquée
hormis les missi dominici et l’apparition du fromage de Brie « roi des fromages,
fromage des rois ».
Dès lors au temps des marins Normands notre fleuve est en grande turbulence où se multiplient des brigandages, des vols et des assassinats. La rivière
se colore de rouge et Trilbardou qui veille est souvent attaqué. La rivière
redevient plus limpide au temps des Capétiens.
Il ne nous reste plus aucune de ces forteresses qui surveillaient la Marne au
temps du Moyen Âge. De celle de La Ferté-sous-Jouarre, où régnèrent les Condé,
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nous n’avons plus qu’une belle gravure d’un château carré et massif. Le château
des Comtes de Champagne à Meaux a dévalé dans la rivière aux moulins superbes
et celui de Lagny a tout de même conservé en bordure de Marne des portes
fortifiées. On voit encore près de la fontaine Saint-Fursy les cinq pignons qui
donnent, à la place comme au quartier des marchés à Meaux, un sens de
l’harmonie médiévale. Si la puissance civile du grand Moyen Âge a pratiquement
disparu, comme les grandes foires des comtes de Champagne, une large procession de sanctuaires conduite par la cathédrale, tracent le chemin du fleuve
en direction du ciel. Le raide édifice de Meaux garde nef et abside harmonieuses
et une tour du XVIe siècle à côté de la « mal coiffée ». Et depuis l’entrée jusqu’au
mariage avec la Seine, on va découvrir une suite d’églises qui l’abritent dans
la sainteté. À part quelques exceptions romanes, ces témoins du XIIe siècle,
détruits par la guerre de 100 ans, ont été le plus souvent reconstruits dans
la seconde partie du XVe siècle flamboyant et la première partie du XVIe siècle
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Eglises de Méry-sur-Marne
et Sainte-Aulde.
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Le château de Guermantes.
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Château de
Champs-sur-Marne.
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Meaux :
le jardin Bossuet.
où fleurit le style Renaissance. Dans la grande abbatiale de Lagny, se voit encore
un vitrail moderne où Jeanne d’Arc ressuscite un enfant mort. Ainsi ce siècle
de paix entre deux périodes de guerre fit illustrer la Marne de merveilles.
Du reste, la découverte de la poudre à canon et de l’artillerie – dont Jean Bureau
fut l’un des protagonistes – rend désormais les forteresses inutiles, même celle
de Meaux qui, au cours de la guerre de 100 ans, devint anglaise pendant 17 ans
malgré le courage des chenapans qui la gardaient, et qui tenaient plus de la bête
que de l’homme accompli. L’agriculture, qui périclitait depuis la fin du XIIIe
siècle en raison des frimas, des misères et des bandits de grands chemins, avait
laissé d’immenses territoires en jachères et des villages vidés de leurs habitants.
Une fois de plus l’eau rouge de la Marne avait vaincu celle d’un bénitier dominant.
Avec le Vert Galant, le fleuve reprend son rôle véhiculaire. C’est au premier
quart du XVIe siècle que surgit l’humanisme, le livre imprimé et de superbes
châteaux comme Montceaux les Meaux construit par Catherine de Médicis où
Henri IV se repose de ses succès avec la
pacification de l’Édit de Nantes. C’est
à Meaux que rayonnent les évêques
Briçonnet et Lefèvre d’Étaples qui
veulent traduire en français les textes
sacrés, enlever les églises aux Cordeliers provocateurs et évacuer les
superstitions. Une grande partie du
pays commerçant devient réformée
notamment les marchés de Meaux,
de La Ferté, de Lizy dont les seigneurs
étaient protestants. Il s’en suit
de grands massacres, brûleries atroces
et de l’autre côté pillages des églises,
se terminant par l’exode provoquant la
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fin d’un épanouissement commercial. En 1598, Henri IV vainqueur du duc
de Mayenne obèse qu’il avait fait transpirer, fait son entrée triomphale à Meaux.
Le XVIIe siècle, qui a souffert de la Fronde et des Lorrains, est le siècle « mitré »
du jardin de Bossuet dont la foi profonde illumine le corps et l’esprit visionnaire.
Il dit à ses prêtres qu’ils sont envoyés sur la terre comme Jésus Christ. Son voisin
de Germigny-l’Évèque, le curé de Saint-Jean-les-deux-Jumeaux, qui va souvent
à Meaux dans le palais Renaissance, voit quelquefois passer sur la route
d’Allemagne, le long d’une Marne droite, l’immense cohorte militaire du Roi
Soleil qui fait allouer quelques pistoles aux pauvres. Il croit farouchement
à l’unité religieuse de la France et c’est au château de Lizy que se déroule le
dernier synode qui met fin à la tolérance. Les XVII et XVIIIe siècles, pacifiques
sur le territoire de la France, sont ceux des laboureurs et des châteaux de
plaisance. En descendant le fleuve on voit tout d’abord Luzancy dont la façade
orientée vers la Marne verse sur un parc à la française. C’est là que vécu Ladislas,
comte de Bercheny, Hongrois devenu maréchal de France. Plus on se rapproche
de Paris, plus on rencontre, autour de la forteresse en carton de Disneyland,
les demeures richissimes de Parisiens en réceptions et fêtes permanentes.
Certains sont détruits comme le Coupvray des Rohan, écroulé, ou le Croissy
de Liszt et de Marie d’Agoult, bombardé à la fin de la seconde guerre mondiale.
Mais demeurent le joli manoir de Jossigny, la ferme du Génitoy où furent élevés
les bâtards de Louis XIV, l’approche Proustienne de Guermantes avec sa belle
inutile, et le château d’Or de Champs entouré de son jardin de dentelle. Le
dernier témoignage avant les Menier sera Ferrières où la demeure anglaise
en galerie des Rothschild fût embouteillée de bibelots superbes.
Chateaubriand évoque encore le château de Noisiel, propriété des Lévis
où « l’esprit apaisé il regarde les ruines de l’abbaye de Chelles et voit les barques
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Ancienne usine Menier.
Moulin Saulnier.
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arrêtées sur la Marne ». C’est à côté de ce paquebot aménagé par les Menier que
les quatre ou cinq générations des « princes du chocolat », édifièrent ce
« Versailles de l’industrie » sur notre Marne « l’Ileuse » comme disait Ronsard,
en inondant le monde entier de plaques savoureuses. À l’ombre du château et
du palais se trouvaient rassemblées les cités ouvrières dont la population légèrement
vassalisée faisait « partie de la famille ». Celle-ci qui ne connaissait pas de limite
à sa fortune s’approvisionnait en cacao dans ses vastes propriétés du Nicaragua,
et en lait par ses vaches de la ferme du Buisson aujourd’hui convertie en centre
culturel. Submergés par les fêtes et les commémorations, les Menier recevaient
le haut du panier sur leur yacht de 65 marins dans leur île du Saint-Laurent,
avant de baisser les rideaux devant les poings tendus de 1936 en s’écriant
« qu’ils ne méritaient pas le drapeau Rouge ». Cette merveille industrielle
a été fort heureusement rachetée par Nestlé, l’héritier légitime, qui l’a remise
en état.
À l’extrémité inverse se trouvent à La Ferté-sous-Jouarre les spécialistes
mondiaux de l’extraction et du façonnage de la meulière, tout d’abord animée
par des petits patrons aux villas et hôtels réservés, avant la concentration
progressive. Le travail des carriers était successivement l’extraction de la pierre
dans les alentours, le transport par des travailleurs musclés et ceux qui, dans
les ateliers concentrés, affinaient moulaient, cerclaient et polissaient les
superbes roues avant que les marchandises ne fussent acheminées par voie
d’eau puis par les chemins de fer. Peu à peu cette industrie magistrale, en une
lente agonie, périclita vers la seconde guerre mondiale. Céline ne manque pas
d’écrire, « il y a des gens qui meurent en un mitant et des gens qui meurent
toute une vie ». C’étaient les damnés de la terre. C’était le cas des meuliers.
La Marne
au fil du temp
s
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Bords de Marne
à la Ferté-sous-Jouarre.
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≈
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N’oublions pas que, sur les bordures du fleuve, surgissaient très souvent les
vignobles qui disparurent vers la fin du XIXe siècle à la fois par la maladie et par
leur qualité exécrable. Mais on y trouvera toujours les pêcheurs attendant
le poisson miraculeux. A propos de « miracle », ce fût, en septembre 1914, celui
de la bataille de la Marne qui bloqua les armées de Von Klug et dont les ponts
comme dit Pierre Mac Orlan furent parmi les plus grands blessés. Les officiers
furent décimés à la tête des troupes, et Péguy fut tué face au château
de Monthyon. Monseigneur Marbeau en demeure le défenseur spirituel et le
monument Américain, où va ouvrir bientôt un musée, commémore hautement
le sang sacré. Certes le XIXe siècle, comme le XXe siècle, voit la floraison
de l’archéologie militante du réveil des Arts et traditions populaires et de la
littérature régionale, avant que la « solitude peuplée » et les loisirs omniprésents
ne rendent aux uns l’image de tous les autres. Parmi les écrivains de dimension
nationale on trouve Bossuet qui préfère le ciel, Beckett qui illustre l’enfer
des mots, Léon Bloy le croyant désespéré qui égratigne Lagny alias « cochon-surMarne » et Armand Lanoux qui tonifie le paysage autour de Chelles.
Si la Marne a été bénie par le ciel et rougie par le sang, et reflète les monuments de ses rivages sombres ou enflammés, elle fût sans cesse recréée et transfigurée par les peintres souvent impressionnistes du XIXe et du XXe siècle.
La voilà dévoilée par les palettes innombrables qui se l’arrachent afin de la rendre et de la parachever. On distingue l’école de Luzancy dont le fondateur
fût Corot car la rivière « coulait dans ses veines ». Il fût le maître d’Alexandre
Bouché puis de Meslé qui planta ses chevalets à Chamigny. À La Ferté, Planson
106
≈
≈
Passerelle à Chelles.
La Marne
au fil du temp
s
≈
La Marne par André Planson
(Coll. particulière).
l’ami de Mac Orlan, nous met la Marne en état de jubilation festive et Hayden
au niveau d’une couleur intense. À Meaux, Pinal en 1913 peint la cathédrale
et les moulins bientôt détruits qui se noient dans la fange. Quant au centre
de Lagny, il voit se réunir une grande partie des maîtres impressionnistes et
pointillistes comme Cavallo Peduzzi, Gausson et Collin qui grave une péniche
inoubliable avant que la Fresnaye puisse intégrer le cubisme dans une vision de
la Ferté-sous-Jouarre.
On jettera quand même un coup d’œil au-delà de la frontière où séjournaient les peintres les plus réputés. C’est vers la fin du siècle le temps de la belle
époque et des cartes postales. Les Parisiens du dimanche en goguette viennent
boire le petit vin blanc, écouter l’accordéon joyeux, regarder les baigneurs s’égayer et canoter les couples amoureux. On se souvient de Dufy qui nous fait
entrer dans l’univers de Nogent-sur-Marne. Avec les peintres, notre Marne toute
chavirée, presque folle, virevolte dans le plaisir et la galanterie, s’aplatissant sur
elle-même et se dédoublant à ravir pour remplir les musées de la mémoire et
animer les rêves nocturnes.
Au XXe siècle où les villages et les villes s’étalent en tous sens, ici et là quand
« chacun est devenu tout le monde », le paysage se fige dans d’innombrables
instruments anonymes et les fermes mécanisées ont perdu leurs ruraux.
Pourtant la cité nouvelle de Marne-la-Vallée a voulu se remplir d’œuvres d’art et
d’ensembles gravitant autour d’espaces verts. C. de B. ■
107
≈
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Indispensables alliances
lus de cinquante communes bordant la Marne,
rien que dans notre département, c’est presque
autant d’habituées, pourrait-on dire, à ce que celleci les inonde, car plus de 6 000 hectares y sont
réputés inondables, dont 300 en zone urbaine.
C’est que la Marne est vive ; il n’y a pas si longtemps qu’un peu plus haut, son lit, comme celui de
certains de ses affluents, se déplaçait au gré des
crues. Pour l’assagir un peu, en lui laissant assez
d’eau l’été pour naviguer et produire l’eau potable,
et en en retenant le plus possible, en hiver, afin de
limiter l’ampleur de ses inondations, un très vaste
lac de retenue, celui du Der-Chantecoq fut créé
près de Saint-Dizier. D’une contenance de
350 millions de m3, il fut mis en service en 1974.
Il est géré par les Grands Lacs de Seine, institution
des barrages réservoirs du bassin de la Seine,
regroupant Paris et les départements de la petite
couronne, directement intéressés par cette double
fonction. En pratique, la réduction des inondations
bénéficie aussi à tous les territoires situés entre le
lac et l’agglomération parisienne, et donc, sans
P
≈
La Marne
en crue
à Noisiel.
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≈
aucun doute, à la Seine-et-Marne. Il n’empêche
que si de fortes pluies succèdent à un hiver très
pluvieux, un tel lac ne peut retenir toutes les eaux
de ruissellement, surtout qu’entre celui-ci et Paris,
plusieurs affluents de la Marne viennent grossir ses
eaux, provoquant alors, malgré le lac, des inondations parfois spectaculaires.
Gournay-sur-Marne, aval immédiat de la Seine-etMarne ; on y enregistre en permanence le débit de
la rivière. Le débit moyen, mensuel, y est de 110 m3
par seconde ; en février, la moyenne mensuelle est
de 180 m3/s, et en août, de 55 m3/s ; jusque là, rien
de surprenant. Mais si, en 1976, année de grande
sécheresse, le débit minimum observé, cette fois
sur une journée, n’était plus que de 8 m3/s, en
1983, année de grandes crues, la valeur maximale,
toujours sur une journée, fut de 540. Le nombre
d’habitations inondées y fut très élevé ; l’activité
des entreprises interrompue, les transports perturbés,
les pompiers sur la brèche, jour et nuit, et 3 000
hectares de terrains agricoles furent inondés, dont
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2 000 une première fois en avril et une seconde fois
à la fin du mois de mai. Il y avait déjà eu quelques
crues sérieuses dans les années passées ; comme
à chaque fois, et comme partout, à l’aval, on s’en
prend à ceux qui, à l’amont, ont drainé les terres
ou rectifié le cours des ruisseaux, et à l’amont, on
réplique qu’on a trop construit, à l’aval, dans des
zones reconnues inondables, ou qui auraient dû
l’être. Et tout le monde a raison ; à la longue, et une
fois les inondations terminées, mieux vaut en débattre tranquillement. C’est ce que firent les Conseils
généraux des 5 départements concernés – Aisne,
Marne, Haute-Marne, Meuse et Seine-et-Marne –
qui fondèrent le 2 avril 1984 l’Entente interdépartementale pour l’aménagement de la rivière Marne
et de ses affluents : une « Entente Marne », sur le
modèle de l’Entente Oise-Aisne, créée bien avant,
mais dans des circonstances similaires. Longues
études et lourds travaux s’en suivirent. A l’amont,
le cours de certaines rivières devait être stabilisé,
et des ouvrages modernisés. En Seine-et-Marne, des
murets anti-crues ou le renforcement de berges
contre l’érosion, s’avéraient nécessaires à La Fertésous-Jouarre, Germigny l’Evêque, Meaux, Esbly,
Lagny ou Chelles. Sur les affluents, le Grand Morin
surtout, les barrages, vannages, pertuis et autres
ouvrages rappelant l’histoire des rivières, furent
diagnostiqués pour identifier ceux à maintenir, à
moderniser, à modifier. Sur les affluents toujours,
il fallait promouvoir la constitution de syndicats afin
de les prendre en main, de façon globale et cohérente ; la Seine-et-Marne n’était pas en retard.
Partout il fallait mieux gérer la végétation des berges
– la ripisylve – et replanter là où elle n’existait pas,
pour mieux tenir celles-ci. Enfin fut mise en
évidence la perturbation résultant des deux secteurs
où la Marne n’était pas navigable : les arbres des
berges y périssaient, bien naturellement, perdant
branches puis troncs dans la rivière, en retenant
d’autres entraînés par les crues, faisant barrage et
freinant l’eau qui, du coup, montait encore plus.
Cela faisait nombre d’années que, faute de moyens,
le Service de la Navigation n’entretenait plus que
le chenal de la Marne, cette partie généralement
centrale du cours d’eau, là où elle est rendue navigable, ainsi que tous les ouvrages nécessaires à la
navigation, et cela lui faisait déjà beaucoup.
Le Département décida donc qu’il remettrait luimême en état les deux tronçons de Marne que la
création des canaux de Chalifert et de Chelles
avaient rendus non navigables, soit 36 kilomètres de
rivière. Depuis, il les entretient régulièrement, au
rythme d’environ 7 km par an, en cycle quinquennal.
Au même titre qu’un syndicat de rivière, il est aidé
en cela par l’Agence de l’Eau et l’Entente Marne,
qui prennent en charge la moitié des dépenses.
Des crues, il en reviendra, des inondations aussi ;
quelques centimètres de moins, à de tels moments,
peuvent changer beaucoup de choses ; tout ce
qui aura été fait dans ce but, pendant tous les
autres mois de l’année, et pendant des années,
depuis les plus petites rivières jusqu’aux plus
grandes, prend alors tout son sens. Institution,
Entente, Agence… structures supplémentaires,
peut-être méconnues, mais indispensables lieux
d’échange, de compréhension, de coordination,
et de réalisation. Petits ruisseaux et grandes rivières
mettent toujours leurs forces en commun ; riverains,
associations, communes, Départements, Régions
et Etat sont toujours bien inspirés lorsqu’ils font
de même. M. B. ■
La Marn
e
Incidences
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Les mystères de l’Yerres
L
’Yerres est étrange rivière. Elle suinte, coule, se fait discrète, s’arrête, peut
disparaître, se passe à pied ; elle revient, semble assoupie, recouvre ses gués ;
elle coule à flots, coupe sa vallée ; elle fait la une, une fois, parfois, puis se
retire, longtemps, souvent.
Elle seule égaie la Brie ; munie de tous ses affluents, elle l’effleure, la sillonne,
elle est sur les limons, laissant ici ou là une faible butte de grès ; elle passe les
meulières, serpente sur leur argile, s’obstine sur le calcaire. Elle y a creusé sa
vallée, toute arrondie de ses méandres, boisés ; avant il y avait des vignes. A force
de l’user, c’est la roche, à son tour, qui la surprend ; sans qu’elle s’en aperçoive,
la voilà qui se fend, se dissout et se creuse. La rivière croit la vaincre, mais c’est
la roche qui l’avale, se saoulant de son eau ; et puis là-bas enfin, au moment
de quitter Seine-et-Marne, l’eau affleure la roche, elle redevient rivière, pour ne
plus s’arrêter.
L’Yerres et ses affluents sont comme était l’Aubetin, et comme seront
la Voulzie ou l’Ancoeur : un début presque plat, au tracé agricole, même si
certains viennent, avant, des forêts. Très peu d’eau en été, et beaucoup en hiver
si les pluies ont été abondantes et que les drains fonctionnent : lorsque le plateau
de Brie se ressuie, l’eau de milliers d’hectares converge vers l’Yerres, seule
rivière du centre de Seine-et-Marne ; son bassin versant couvre 900 km2 dans
le département, correspondant à tout ou partie de 67 communes. Elle-même
≈
Passerelle
à Soignolles-en-Brie.
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≈
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L’Yerres
au fil de l’eau
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≈
Parc de
Rozay-en-Brie.
n’apparaît vraiment qu’à la sortie de l’étang de Guerlande, en limite de la forêt
de Crécy; elle résulte du ru des Tournelles, qui a reçu celui des Marnières
et donné cet étang. L’Yerres s’écoulera alors sur 96 km, dont 76 en Seine-etMarne, avant de rejoindre la Seine dans le département voisin, à VilleneuveSaint-Georges. Mais l’Yerres et presque tous ses affluents fonctionnent sur un
seul modèle : tant qu’ils restent sur la première couche du sous-sol du plateau
de Brie – argiles vertes, meulières et calcaire de Brie – ils ont de l’eau aussi
longtemps que la nappe contenue dans ces calcaires en a. Mais dès qu’ils creusent
un peu plus, ou bien s’ils débutent leur cours tout à l’est, là où le calcaire de
Champigny affleure sous les limons, c’est à une roche de nature karstique qu’ils
se frottent. Certes, on est bien loin du Jura ou des Causses, mais la pierre
s’y comporte comme là-bas, et sur les cartes anciennes de multiples gouffres y
étaient signalés. En fait de gouffre, ce ne sont souvent que simples dépressions,
aux allures d’étangs ou de mares, que la rivière alimente, et dont elle ressort
rarement. Au cours du temps, et pour de multiples raisons, on a généralement
cherché à les contourner ou à les colmater ; en 1834 on en obstruait déjà sur
le cours de l’Yerres. Mais la nature reprend vite ses droits, et en fin d’été il est
des lieux où l’on peut voir l’Yerres, ou certains de ses affluents, couler ici, puis
stagner là, et un peu plus loin, enfin, s’assécher, laissant subsister seulement
leurs lits, de boue puis de cailloux, comme autant de chemins creux, parfois
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L’Yerres à Pézarches.
dissimulés sous la frondaison des arbres qui les accompagnent : l’eau du haut
a rejoint celle du bas, qui circule de veinule en fissure, dans les calcaires, pour
devenir nappe d’eau souterraine, celle du Champigny.
Revenons à Guerlande, et tâchons désormais de suivre l’Yerres : elle est
à Pézarches, fossé insignifiant, encombré d’iris et de phragmites, ressemblant
encore au marais dont elle vient, s’élargissant à peine ; septembre, un peu d’eau
s’y voit encore mais on ne sait si elle coule. Heureusement, à la sortie de
Touquin, elle reçoit, en rive gauche, son premier affluent : le ru de Beuvron ou
de l’Etang de Beuvron, qui peut couler plus qu’elle. Il vient des terres et des bois
au-delà desquels est l’Aubetin, là où se séparent les bassins versants de la Marne
et de la Seine. Long d’une dizaine de kilomètres, il vit l’amont de son cours
redressé entre 1972 et 1975 ; depuis, il est entretenu par le syndicat qui porte
son nom ; avant Touquin il a reçu le ru Français provenant de l’étang des
Rigaux, qui servit longtemps de bassin de décantation pour des effluents de
l’une des papeteries du Grand Morin. Après l’apport du Beuvron, l’Yerres creuse
un peu plus, se renforce
de l’eau de quelques fontaines,
du ru de Saint-Jean à Ormeaux,
et s’en va jusqu’à la limite de
Nesles et de Rozay où ont été
creusés plusieurs étangs, réservés à la pêche ; elle les alimente, par dérivation d’une partie
de son cours. Mais juste avant,
elle a été rejointe, en rive gauche, par l’un de ses trois plus
longs affluents : la Visandre.
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La vallée de la Visandre
à Voinsles.
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La Visandre apparaît à Courchamp sous le nom de Luisandre, devient ru des
Luisantes, et prend son nom définitif au nord de Jouy-le-Châtel. Pour autant, et
même en ayant reçu ses propres affluents, ru Vallot, Grand ru de l’Abbaye ou ru
de Réveillon, cela ne lui donne pas d’eau en été. A eux tous ils drainent pourtant
12 000 hectares dont 10 000 de terres de culture, le reste en forêt de Jouy,
quelques bourgs et modestes villages, mais ils ne sont qu’émissaires agricoles,
ressuyant les terres en fin d’hiver. A l’aval des carrières exploitant le calcaire,
à Pécy et à Jouy, la Visandre se trouve un peu alimentée en eau, mais quelques
centaines de mètres plus loin, elle l’a déjà perdue. A la fin de son parcours, de
30 kilomètres, son lit fait 3 mètres de large, mais c’est en prévision de la saison
humide, comme l’attestent aussi les larges ponts qui la surplombent. Le syndicat intercommunal de la Visandre et du Réveillon gère l’ensemble de ce réseau,
sur lequel ont débuté en 1982 des travaux de recalibrage, curage, ou rectification d’ouvrages, et dont il assure désormais l’entretien régulier.
A peine grossie, l’Yerres, souvent appelée Yères jusque là, passe au sud de la
Nationale 4, entre dans Rozay-en-Brie qui lui a fait un parc en face de son lavoir,
recueille, en rive gauche, les eaux du ru des Fontaines Blanches, puis borde
Bernay et son hameau Pompierre, où l’Yvron la rejoint, à nouveau sur sa rive
gauche.
L’Yvron est, en longueur, son plus important affluent : 33 kilomètres séparent
Pompierre de sa source à Chenoise, où il est busé. C’est aussi le cas de plusieurs de
ses propres affluents, dont un quart du linéaire est busé, car on est, ici aussi,
en pleine Brie ; 87 % des 16 000 hectares de son bassin versant sont voués aux
grandes cultures, principalement au blé, à la betterave et à l’orge, puis au colza et
au maïs. Pour faciliter l’écoulement des eaux en fin d’hiver, depuis 1972 ces rus
ont été reprofilés, et le fond des ouvrages qui faisaient obstacle à l’eau, abaissé.
Dans le secteur de Gastins, là où subsiste l’un des derniers moulins à vent de
la Brie, l’Yvron se rapproche du calcaire de Champigny, et son débit s’affaiblit.
au fil de l’eau
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L’Yerres
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On a compté sur le vent, là où l’on ne
pouvait compter sur l’eau pour faire
tourner les meules. Même s’il y a un peu
plus d’eau à Courpalay, lorsque l’Yvron
finit son cours, il n’apporte à l’Yerres, en
période d’étiage, que quelques litres
d’eau par seconde, alors qu’à cet endroit
il a parcouru bien plus de kilomètres
qu’elle. Le Syndicat de l’Yvron se charge
de l’entretenir, ainsi que ses affluents,
sur un rythme quadriennal à raison de
19km de rus, par an, en moyenne.
Peu après, arrivant à Courtomer
là où il lui arrive de s’étendre largement en période de crue, l’Yerres commence
sa relation, complexe, avec le calcaire de Champigny ; d’ici jusqu’à Evry-Grégysur-Yerres, alors qu’elle trace une douzaine de méandres, elle y perd une partie
de son eau, malgré les apports que tentent de lui faire Marsange, Bréon ou ru
d’Avon. Les débits de l’Yerres sont mesurés à Courtomer : moyenne annuelle
1,6 m3/s, moyenne en février 4,6 m3/s, mais moyenne en août 0,2 m3/s, ce qui
fait bien peu. Tout au long de ce nouveau parcours, où elle ne coulera qu’au
pied des villages, sauf peut-être à Soignolles-en-Brie qui l’a bien approchée,
sa lame d’eau peut devenir si mince qu’on la passe à gué en voiture, ou en bottes
à pied, tandis que des passerelles, de grès, de bois ou de fer permettent de la
franchir en tout temps, sauf une fois, parfois, lorsqu’elle inonde trop. Avant
de quitter Courtomer, elle laisse sur sa droite, au milieu d’un champ, le menhir
de Pierre Couvée, puis se resserre autour d’Argentières, et passe sous les arches
du viaduc qui ne sert plus aux trains, mais à la randonnée (GR 1) : elle est arrivée
≈
Ci-contre, Rampillon
qui limite au sud
le bassin de l’Yvron.
Page de droite, l’Yerres
au lavoir de Rozay-en-Brie.
≈
L’Yvron à Gastins.
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≈
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dans la cité des Couperin, Chaumes-en-Brie, qui a fait de l’Yerres l’une de ses
entrées de ville, et dont le territoire donne une bonne idée des paysages de
l’Yerres ; avant de quitter Chaumes et son originale ferme de Forest, l’Yerres
reçoit le Bréon.
Le ru de Bréon est affluent de rive droite ; il vient de la forêt de Crécy, au
niveau de Crèvecœur en Brie, et a parcouru 20 km avant de confluer avec
l’Yerres ; il mesure alors un peu plus de 3 mètres de large, possède un débit
moyen annuel de 250 l/s, qui peut tomber cependant à 5 l/s, comme au mois
d’août 1990. Sa vallée ne manque pas de charme, surtout de Fontenay-Trésigny
jusqu’à Chaumes. Mais plusieurs communes qui s’agrandissent, puis FontenayTrésigny et les diverses activités qui se développent autour, cela fait beaucoup
pour un cours d’eau d’aussi faible débit. Les poissons que l’on peut trouver à
son aval semblent d’ailleurs plus provenir des étangs situés près des ruines
du château du Vivier, ou bien de l’Yerres, que du Bréon lui-même. Avec ses
affluents, il a été aménagé et entretenu par un syndicat créé de
longue date (1967).
Aussitôt après, l’Yerres entre sur
le territoire d’Ozouer le Voulgis, où
elle commence par sinuer entre
deux massifs forestiers ; à la sortie
du premier elle reçoit la Marsange,
passe au bas du village, et à la sortie
du second reçoit le ru d’Avon.
La Marsange, en rive droite elle
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≈
≈
Le ru de Monnoury,
affluent du Bréon,
à Fontenay-Trésigny.
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La Marsange
à Ozouer-le-Voulgis.
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aussi, provient de la forêt de Crécy, comme plusieurs de ses affluents alimentés
par le drainage de la forêt et la nappe des calcaires de Brie ; certains vont jusqu’à
reprendre les eaux pluviales du plus récent secteur de Marne-la-Vallée. Cela
permet à la Marsange d’avoir, à Favières, une allure de rivière, plutôt calme,
modeste, mais rivière quand même, ce dont elle n’aura pas toujours l’air. Elle
entre à Tournan-en-Brie, s’étoffe du ru des Boissières, de quelques sources, est
contenue par un barrage, chute, et ressort de la ville en passant par un parc. Plus
loin, elle reçoit le ru des Monbarres qui, avant Gretz-Armainvilliers, s’appelait
Buronnerie, et a donné l’étang du grand domaine d’Armainvilliers. Comme
elle, après avoir traversé sa ville, il sort le long d’un espace vert. Ces deux villes,
bien situées le long de la Nationale 4, ont connu un tel développement urbain
et industriel que la Marsange, et surtout le Monbarres, n’arrivaient plus à s’en
remettre, tant ils étaient constamment pollués. Or, à peine la Marsange, grossie
du Monbarres, a t’elle quitté Tournan, qu’elle disparaît, presque brutalement,
dans une zone de gouffres, entraînant avec elle toute trace laissée par les activités
humaines, domestiques, industrielles ou agricoles, qui, auparavant, les avaient
pris, elle et ses affluents, pour exutoire. Depuis quelques années, et avec la
patience qu’il faut à certains élus pour parvenir à mener à bien des projets
au fil de l’eau
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L’Yerres
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La Marsange à Favières.
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L’Yerres à Chaumes-en-Brie.
d’intérêt pourtant général, les eaux usées de ces deux villes mais aussi de
Presles-en-Brie sont traitées dans une moderne station d’épuration située
à limite de cette commune et de Liverdy-en-Brie qui y enverra aussi ses
effluents. Heureusement, puisque c’est à l’entrée de Presles que la rivière
s’arrête, bien souvent : en fin d’été, ci-gît la première Marsange, en lit étroit, sec
et caillouteux. Mais assez vite, avec des eaux de source collectées plus haut dans
le bourg, puis celles qui, certainement, drainent la grande tranchée faite pour
que passent les TGV, voilà que notre rivière retrouve de l’eau. Avec le rejet de
la nouvelle station d’épuration, et l’aide de fontaines, cette seconde Marsange se
remet à couler à Liverdy-en-Brie, elle longe les prés, glisse sur ses gués, et finit
par aller jusqu’à l’Yerres… Depuis 1981 le Syndicat intercommunal
d’aménagement de la Marsange a entrepris de très nombreux travaux sur celleci et ses affluents, et depuis, les entretient. Il n’empêche qu’à l’issue de ses
30 km, cette étrange rivière, pourra aussi bien être à la fois Marsange du haut et
Marsange du bas, et grossir alors fortement l’Yerres en y déversant 3 à 4 m3
d’eau par seconde, comme ce fut le cas en janvier 1995, ou n’être que la seconde
Marsange, celle d’après Presles-en-Brie, en ne donnant à l’Yerres que quelques
litres d’eau par seconde ; ou même rien.
Le modeste ru d’Avon, lui, rejoint l’Yerres sur sa gauche. Sa source est sur le
grand plateau, à Quiers ; son cours, de 20 km, est totalement dénudé à l’amont,
et un peu boisé seulement à l’aval. Même s’il se voit à peine, l’Avon a sur son
bassin versant, du monde et de grandes activités : au tout début de son cours le
complexe industriel de Grandpuits avec la fabrication d’engrais, puis Mormant,
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Le lavoir d’Ozouer-le-Voulgis.
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et à Verneuil l’Etang ces immenses silos devenus signaux, tant ils se voient de
loin, ainsi que face à eux, la production de semences agricoles. On est au cœur
de la Brie céréalière, qu’on ne peut cultiver plus ; les arbres n’y entourent que
fermes ou hameaux ; ici, avant toute chose, la terre produit. Après être sorti du
parc du château de Vernouillet, l’Avon se divise, par deux fois, en deux bras,
à Guignes-Rabutin et à Yèbles ; l’un de ces bras est celui des Meuniers. Car
contrairement à certains de ses plus grands voisins, ce bien modeste ru, coule
peu, mais toujours ; il fit tourner jusqu’à cinq moulins, autant que la Marsange !
Il est dommage qu’il ne soit pas plus mis en valeur, et que la qualité de son eau
soit assez médiocre; en voilà encore un à qui l’on a beaucoup demandé… Avezvous remarqué que les deux vont souvent de pair ? Si on voit la rivière, on
la veut plus claire. Avant sa confluence, l’Avon s’entoure d’arbres ; il ne mesure
qu’un mètre cinquante de large, pour 20 à 50 cm de hauteur d’eau ; son débit
peut varier de 30 l/s en étiage, à 230 l/s en période de crue. Pour un si petit
cours d’eau l’histoire veut que deux syndicats gèrent sa destinée : le Syndicat
intercommunal à vocation multiple de Mormant à l’amont, et le Syndicat du
ru d’Avon, à partir de Verneuil l’Etang. Vraiment modeste l’Avon ?
Quittons Ozouer-les-trois-rivières où une source alimente encore le grand
lavoir au centre du village. En contrebas, l’Yerres a pris de la largeur, et de la force
en période de hautes eaux. Ses méandres sont plus marqués, et à chaque
fois qu’elle tourne, un village, un hameau,
un château, s’en approchent. Les Etards, Solers,
Barneau, Soignolles, Cordon, Suisnes, Evry,
Grégy : presque toujours le même scénario,
d’abord sur la hauteur, 40 mètres plus haut,
puis de plus en plus près de la rivière dont on
reste cependant, presque toujours, distant.
Au pont de Soignolles le ru de Fontaine apporte l’eau de Coubert juste après ces saules aux
troncs crevassés que l’on a su conserver, les
retaillant régulièrement en « tétard », et qui
sont pour la faune sauvage autant de milieux
de vie complémentaires à la rivière. A GrisySuisnes, c’est la Barbançonne qui, serpentant
entre bois et prés, finit par trouver l’Yerres,
elle aussi sur sa rive droite. La Barbançonne ne
mesure pas 10 km, et n’a pas d’affluent ; elle
a formé une jolie mare, mais réceptionne
les eaux de nombreux fossés (réseaux d’eau
pluviale d’un quartier de Gretz-Armainvilliers,
RN4, forêt de la Léchelle, TGV, routes départementales, douves du château de Cossigny…),
ainsi que des effluents de stations d’épuration ;
puis, une partie de son eau est pompée afin
au fil de l’eau
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L’Yerres
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Parc du moulin
de Pompierre.
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L’Yerres à
Bernay-Vilbert.
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L’Yerres
au fil de l’eau
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Maison du XVIe siècle à
colombages, Rozay-en-Brie.
d’irriguer, et une autre s’infiltre pour ne réapparaître qu’avant sa confluence avec
l’Yerres. Suffisant pour que les cinq communes qu’elle draine se réunissent en
syndicat afin d’en améliorer la gestion, car sa petite vallée le vaut bien.
Avant Barneau, ce hameau de Soignolles, il est un lieu dénommé Mont, alors
qu’il n’avait de hauteur que celle du coteau d’Yerres. On le voit aujourd’hui de
fort loin, comme une surprise sur ce plateau, à son rebord sur la rivière. Ici se
sont accumulés, et se stockent toujours, des tonnes de déchets, de plus en plus
triés, de plus en plus inertes, constamment surveillés, mais qui, devenus relief,
témoigneront à jamais d’une époque de grande consommation, et de collective
insouciance. Ici de nouvelles collines sont apparues sur la Brie, et le TGV y passe.
Mais regardons mieux le plateau : ces apparentes levées de terre émergent
ailleurs, en de multiples endroits, avec toutes sortes de finalités. Puisqu’il faut
probablement les considérer comme un nouveau fait de société, ne devraientelles pas bénéficier d’intentions paysagères plus fortes, et qui intègreraient leur
succession, avérée ou potentielle, dans un même paysage ?
Lorsque les villes nouvelles furent décidées, on qualifia les espaces intermédiaires, comme cette vallée de l’Yerres et le plateau où elle s’insère, de Zones
naturelles d’équilibre. On ne le dit plus, mais c’est pourtant le sentiment qui
s’en dégage. C’est le pays des gués : petites routes et chemins passent d’une rive
à l’autre. En haut, c’est la culture, en bas aussi quand la vallée est large ; il y a des
serres et certaines produisent encore ces roses qui furent renommées, partant
à Paris par le petit train dont la voie est devenue promenade. Il y a des fermes
pour la cueillette et des pépinières, un lycée agricole entouré de ses pâtures,
et de multiples bois qui descendent jusqu’à la rivière: espaces convoités où
les bourgs grossissent, et les hameaux se rénovent, en général avec goût. Mais, là
comme ailleurs, il serait probablement bénéfique de parvenir à encadrer, plutôt
qu’à subir, certaines implantations aujourd’hui illégales de cabanons et caravanes
qui se fixent, s’entourent, et se construisent, obligeant tôt ou tard la collectivité
à assainir et goudronner. Serait-il illusoire de chercher à anticiper, de penser
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Passage du gué à Solers.
à toutes les formes d’habitat, les permettre et les organiser, en des lieux
appropriés, plus proches des bourgs, plutôt que de constater ces zones incertaines
qui accroissent, de toute façon un jour les charges collectives, et spécialisent les
lieux entre ceux où l’on se regarde et ceux où l’on ferme les yeux ?
Depuis le ru d’Avon, l’Yerres n’a plus reçu, en rive gauche, que de brefs ruisseaux. C’est que le grand plateau commence à regarder vers l’ouest et le sud.
Au début il est tellement plat qu’une goutte d’eau ne saurait où aller :
les immenses parcelles de terre y avaient des noms de mares, seuls exutoires
possibles, peut-être en genre de gouffres. Et puis, vient le moment où l’Yerres
passe sous la Francilienne, à l’endroit précis où elle peut n’être, parfois, que
chemin sec ; rapidement, sur sa droite, le ru du Cornillot la rejoint. Avec
le Tuboeuf qui le précède et quelques autres, il sort de Brie-Comte-Robert, au
clocher surplombant des rues bien restaurées, au château émergeant patiemment
de ses douves, qui, elles aussi, donnent leur eau à l’Yerres. Brie ne s’est pas
construite sur la rivière, mais elle en est la porte, et peut-être la clef. Car c’est là,
que, du plateau, le paysage s’ouvre vers sa vallée ; et c’est là qu’au fond de la
vallée, l’Yerres regonfle, ou réapparaît ; juste après le Cornillot, elle longe le bois
aux Loups, qui est sur Combs-la-Ville ; la nappe du Champigny l’a rejointe,
et disparaissent les gués. Un dernier espace, encore cultivé, sera protégé : Etat,
Région, Département et communes se sont concertés. La vallée se creuse, en méandres serrés, boisés, urbanisés. Ville nouvelle au sud, autre département au nord :
l’Yerres quitte la Seine-et-Marne, elle a quinze à vingt mètres de large, et peut en
avoir deux de profondeur; mais on ne la voit presque plus. Elle a déjà changé.
Avant d’atteindre la Seine, l’Yerres reçoit de nouveaux affluents ; l’un d’eux a
pris sa source en Seine-et-Marne et y a fait un parcours remarqué : le Réveillon
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