Reproduction et organisation sociale de pêches côtières
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Reproduction et organisation sociale de pêches côtières
ELSA-PÊCHE WORKING PAPERS Working paper N°11 Reproduction et organisation sociale des pêches côtières en Méditerranée Katia Frangoudes ELSA-PÊCHE WORKING PAPERS Working paper N°11 Reproduction et organisation sociale des pêches côtières en Méditerranée Katia Frangoudes Oïkos Environnement Ressources ELSA-PÊCHE is a research program funded by the ELSA programme of the EU Fourth Framework Programme in Scientific Research and Technology (FAIR CT98-3821). Introduction La question de la propriété et de rémunérations Dans le passé, en Méditerranée, il était fréquent de trouver des propriétaires de navires qui restaient chez eux, mais qui utilisaient des capitaines de pêches et des marins pour faire fonctionner leurs bateaux. En règle générale, l’équipage était payé à la part mais le capitaine effectuait le calcul, et trouvait toujours une raison pour en diminuer le montant. Les petits métiers(navires de moins de 12 mètres opérant généralement dans la bande de trois milles) Les patrons de la pêche côtière ont toujours été aidés à bord, par un ou plusieurs matelots qui pouvaient être ou non, membres de la famille (fils ou frère). Aujourd'hui, la baisse des revenus des navires a entraîné la quasi disparition des matelots de la pêche côtière. Les patrons ne peuvent ni leur garantir un salaire décent ni payer leurs charges sociales. Ce qui les amène à travailler seuls. Dans ce contexte, le seul matelot que nous trouvons au bord de tels navires est le fils du patron. Il accompagne son père le temps d’apprendre le métier et il passe ensuite le diplôme obligatoire de motoriste. Une fois son diplôme obtenu il a deux possibilités : la première est de se mettre à son compte soit en achetant un navire avec une licence soit en héritant d’un bateau appartenant à son père (les pêcheurs côtiers en possèdent souvent plusieurs). La deuxième solution est d’embarquer sur un navire qui n'appartient pas à la famille. Aujourd’hui, les seuls navires côtiers qui emploient encore des matelots sont les palangriers de fond qui opèrent loin de leur port d’attache. La rémunération des marins pêcheurs s’effectue depuis toujours à la part. Dans le passé, ils bénéficiaient d’autres avantages comme de pouvoir poser des filets pour leur propre compte. Aujourd’hui, ce système a quasiment disparu. Les chalutiers et les seines Les propriétaires des plus grands navires, chalutiers et seines, occupent généralement à bord, le poste de capitaine des pêches. La pêche s’effectuait en famille, ainsi les frères travaillaient ensemble. Cependant, l’embarquement d’un de leurs fils entraînait la rupture de la copropriété. Cette rupture se concrétisait par la vente des parts du frère dont le fils embarquait. Cette vente servait à acheter un nouveau navire. Ce processus peut encore se produire au moment des mariages. Dans le passé, quand le navire était en copropriété certains partaient pour laisser la place à d’autres. Aucune restriction légale n’existait pour interdire l’entrée de ces personnes. Ce phénomène est aujourd’hui modifié puisque les attributions des licences sont gelées. Les politiques européennes des pêches demandent aux États de réduire leur effort de pêche et par conséquent la liberté de se mettre à son compte prend fin. Les navires appartiennent à de nombreux propriétaires qui tous doivent faire vivre leurs familles. Le seul moyen pour résoudre cette situation (copropriété) est d’acheter un navire ayant une licence de pêche. Ainsi on observe une commercialisation clandestine de la licence. Mais les seuls navires disponibles à la vente sont ceux dont les propriétaires ont fait faillite. Il s’agit de pêcheurs qui se sont endettés pour construire ou pour moderniser leur navire. Une mauvaise gestion et de mauvaises années (manque de captures) peuvent rapidement mettre le 1 propriétaire en difficulté. Les autres patrons qualifient ces pêcheurs de “ mauvais pêcheurs ”. Un “ bon pêcheur ” doit emprunter des sommes qu’il peut rembourser facilement. Les pêcheurs à la retraite n’ayant pas d’héritier direct préfèrent apporter leur navire à la casse plutôt que de le vendre. La casse du navire leur permet d’obtenir l’argent rapidement que la vente. Le calcul des parts En principe, sur les chalutiers, le montant des parts est calculé de la manière suivante : 50 % des recettes vont au patron, 50% aux marins. Selon les pays, ce calcul est légèrement différent. Dans certains cas, les frais communs sont déduits de la part du propriétaire et dans d’autres cas, du revenu brut du navire. Le montant restant est ensuite divisé en deux. Le calcul pour un chalutier grec est le suivant : les charges communes (hors charges patronales) sont déduites des recettes brutes et le reste du montant est partagé en deux : 50 % pour le propriétaire et 50 % pour les marins dont le patron pêcheur. Le capitaine touche 2 parts, le mécanicien 1,5 parts, 1 part ou moins pour les marins pêcheurs en fonction du poste qu’ils occupent. Les ramendeurs touchent ¼ de part en plus. Seines tournantes Sur les seines, le système de rémunération n’est pas le même que sur les chalutiers. Elles requièrent en effet un plus grand nombre de marins. Ce nombre varie d’un pays à l’autre et dépend, tout d’abord, des revenus ainsi que du taux de cotisations patronales à payer. A titre d’exemple, les seines tournantes en France utilisent seulement 8 marins pêcheurs au lieu de 12 employés en Grèce et en Espagne. La difficulté à trouver du personnel pousse les propriétaires à introduire un système de primes pris sur les recettes journalières brutes des navires. Ces primes correspondent à 12 % en Grèce. Le calcul des parts, sur une seine grecque, se fait de la façon suivante : une fois les frais communs déduits, le montant restant se partage entre le propriétaire (40 %) et les marins pêcheurs (60 % ). En voici un exemple : le capitaine touche 2,5 parts, le premier 1,75 parts, le mécanicien 1,5 parts, la personne qui, sur la barque, pose la lumière (lamparo) touche 1,75 part. L’équipage des seines tournantes est constitué de retraités et d’immigrés. La définition du statut de pêcheurs En Méditerranée, d’un pays à l’autre, le cadre légal n’est pas le même. Une brève présentation du statut légal s’impose pour nous éviter de créer des malentendus. Dans ces régions, être patron pêcheur c’est exercer un métier à part entière bénéficiant de nombreux avantages sociaux. Les patrons pêcheurs (propriétaires) cotisent à des caisses de protection sociale, de retraites, etc., qui, à l’exception de la France, ne sont pas les mêmes pour les patrons et les marins Pour obtenir le statut légal de patron pêcheur il faut justifier d’un certain nombre d’années de navigation (France) ou prouver que la pêche est la principale source de revenu (France, Grèce, Italie, Espagne). Les pêcheurs plaisanciers ont un statut légal différent de celui des pêcheurs professionnels. Aucun des quatre États membres méditerranéens ne considère les plaisanciers comme des professionnels. Selon les diverses lois, les plaisanciers ne doivent pas avoir de revenu car la pêche n’est pour eux qu’un loisir. En Grèce seulement, la définition du pêcheur ou de l’agriculteur pose un problème. La loi 1361/61 favorable à la formation des organisations syndicales agricoles, permet l’entrée dans le secteur de la pêche (art. 6) des personnes exerçant d’autres activités à faible revenu. Cette 2 loi a donné ainsi, à un grand nombre de personnes, la possibilité de pratiquer la pêche à temps partiel. La Formation des patrons pêcheurs La France est le seul pays qui exige un diplôme pour être patron pêcheur. “ Pour exercer le rôle de commandement du navire, le Patron Pêcheur doit justifier d’un diplôme de “ capacitaire motoriste ”, ainsi que d’un minimum de 18 mois de navigation. Enfin, son navire doit faire objet d’un PME (Permis de Mise en Exploitation) ” (Galle M., 1993). Cette formation est organisée par les écoles maritimes. En Grèce tous les patrons de pêches sont autodidactes. Il faut souligner que beaucoup d’entre eux n’ont même pas les diplômes scolaires nécessaires pour accéder au poste de commandement. Bien qu’en Grèce il existe beaucoup d’écoles pour la formation du personnel navigant, les diplômes exigés dans le secteur de la pêche sont d’un niveau assez bas. A titre d’exemple, les diplômes A et B qui donnent le droit à une personne de commander un navire, jusqu’à 150 GTR et de 150 à 300 GTR, sont obtenus par tous les titulaires d’un diplôme de l’école primaire ayant plus de 10 ans d’expérience dans le métier. (Frangoudes K., 1993) En Italie les conditions d’exercice de la profession de marin sont énoncées par la loi n° 47/82. Pour être patron pêcheur, il faut avoir 3 ans d’expérience de la pêche en mer, et passer un examen d’habilitation à la Capitainerie. Le diplôme de patron pêcheur qui est délivré par 5 écoles, après 3 ans d’études, n’est pas obligatoire et très peu de patrons le passent. (Galle M., 1993) En Espagne depuis peu de temps, le patron pêcheur doit obtenir un diplôme. Les anciens pêcheurs en sont exemptés. Recrutement des marins pêcheurs Les seuls marins pêcheurs qui sont obligés de suivre une formation, organisée par les écoles maritimes, sont donc les Français. A son terme, les marins obtiennent le Certificat d’Apprentissage Maritime, mention pêche. Il existe aussi un autre moyen pour accéder au métier, il suffit d’embarquer à titre d’essai pendant une période de12 mois. Ceci est possible si la personne possède un certificat de fin d’études et si elle est déclaré médicalement apte. Par contre, pour tous les autres marins pêcheurs méditerranéens il n’y a pas obligation de suivre une formation ou d’avoir un certificat. Ils apprennent le métier sur le tas. En règle générale un seul poste exige une qualification, c’est celui de mécanicien. Cependant, l’âge pour débuter dans le métier est réglementé dans l’ensemble des pays. Les jeunes doivent finir leur cursus scolaire obligatoire, qui varie d’un pays à l’autre mais il se situe entre 14 et 16 ans. Ce principe concerne toutes les personnes qui entrent dans la vie active. Rémunération et protection sociale Les marins pêcheurs sont rémunérés à la part et bénéficient d’une protection sociale. En France, ils cotisent à une caisse spécifique (ENIM) destinée au monde maritime. En Grèce et en Italie ils font partis du système général des assurances sociales. En Espagne ils font aussi parti du système général de sécurité sociale qui délègue sa responsabilité à l’Institut Social de la Marine (ISM). L’ISM centralise les cotisations versées par les cofradias au niveau régional. (Franquesa R. 1993) 3 Le processus de recrutement dans la pratique Comme nous venons le voir dans presque tous les pays, les marins pêcheurs n’ont pas de qualification au moment de leur embauche. Ils apprennent donc sur le tas, en regardant les autres travailler. Dans un premier temps, ils occupent des postes peu qualifiés. Au fur et à mesure, ils avancent dans la hiérarchie et leur salaire augmente. Aujourd’hui, le poste de matelot qui traditionnellement était rémunéré en poissons a disparu. Depuis toujours les chalutiers et les seines exigent un grand nombre de marins pêcheurs. Les patrons ont toujours eu recours à de la main-d’œuvre non familiale. Ils avaient ainsi une préférence pour les personnes originaires du même village. Ce qui était possible dans le passé, ne l’est plus de nos jours. Ils recrutent donc ailleurs et en particulier à l’étranger. Ce constat est valable pour tous les pays méditerranéens. Aujourd’hui, le métier de marin pêcheur ne bénéficie pas, auprès des jeunes, de la même considération que dans le passé. Sa rémunération n’a rien à voir avec sa dévalorisation, les marins pêcheurs gagnent bien leur vie par rapport à d’autres professions. Les jeunes ne sont pas attirés par ce métier car dans certains pays les navires restent pendant plusieurs jours loin de leur port d’attache. Par ailleurs, le travail de nuit les empêche de participer aux loisirs nocturnes. Les patrons pêcheurs et les syndicats de marins mènent donc des campagnes de sensibilisation auprès des jeunes dans le but de revaloriser le métier. La main d’œuvre immigrée Le manque de main-d’œuvre locale et nationale amène les patrons à recruter dans les pays tiers. Les pays de l’Afrique du Nord fournissent les marins pêcheurs pour les pays Méditerranéens du Nord. L’utilisation de marins pêcheurs étrangers est réglementée par la loi sur l’immigration des différents pays. Il s’agit par conséquent d’immigrés légaux bénéficiant de l’accord préalable des administrations nationales. Pratiquement, la procédure suivie dans chaque pays est presque toujours la même. Il faut avoir toute une série d’attestations fournies par l’office du chômage, les organisations professionnelles (syndicat de marins ou comités locaux des pêches) et l’administration maritime. Toutes visent le même objectif prouver et démontrer la pénurie de la main-d’œuvre locale et nationale. La France et l’Espagne emploient plus de Tunisiens et de Marocains, tandis que l’Italie se tournent plus vers et les Grecs vers les Egyptiens. Dans certains cas, pour les seines et les thoniers français, il s’agit d’une immigration saisonnière. Dans d’autres cas, il s’agit d’un personnel employé pour une durée déterminée (2 ans renouvelables une seule fois). Ces travailleurs ont tous une expérience dans le métier. Les recruteurs vont les chercher dans les villages de pêcheurs. Ces marins sont attirés par les revenus plus élevés que leur procure le nord. Les conditions d’existence de ces immigrés sont dures car ils vivent (dormir et manger) pendant toute la saison ou plusieurs années sur les navires. Cette arrivée massive des marins pêcheurs originaires des pays tiers n’est pas passée inaperçue aux yeux des syndicats de marins pêcheurs. Ils ont protesté contre l’utilisation de cette main - d’œuvre bon marché. Les marins immigrés sont rémunérés non en parts, mais par un salaire fixe. En dehors de la question salariale, le non-paiement de charges sociales rend cette main-d’œuvre bon marché. En France, les marins immigrés bénéficient des mêmes acquis que les marins français car les Affaires Maritimes y veillent. Ailleurs les choses sont plus difficiles, puisque les marins pêcheurs dépendent des caisses du régime général. Certains syndicats de marins ont imposé aux propriétaires, grâce à des grèves, le paiement des 4 cotisations patronales. Il s’agit d’accords locaux et dans tous les cas ils n’ont aucun caractère national. Diminution du nombre de marins Le nombre de marins embarqués, tant à bord des chalutiers ou seines, ne fait que diminuer. Différentes raisons ont contribué à cette baisse. La première est le paiement des charges sociales qui est responsable d’une réduction de la moitié des effectifs. A titre d’exemple une seine grecque employant 30 personnes en 1950 n’en emploie plus que 17 en 1954. La mécanisation de certaines tâches à bord des navires entraînent également une baisse du nombre de marins pêcheurs. La diminution la plus récente est liée à la baisse des revenus. Dans certains ports français les marins et les patrons ont décidé en commun, le passage de 5 à 3 personnes, y compris le capitaine, à bord des chalutiers (quartier maritime de Port-Vendres). Toujours pour la même raison, les seines françaises sont passées de 12 à 8 personnes. Les patrons et marins grecs n’en sont pas encore arrivés à de telles décisions puisque le métier garantit encore une bonne rémunération. Organisation du travail En dehors des postes de capitaine et de mécanicien qui nécessitent une qualification, les autres emplois sont ouverts à tous les marins. En règle générale, ils passent d’un poste à l’autre. Par contre, si les marins pêcheurs savent ramander, ils obtiennent un meilleur salaire. Dans le cas où le niveau d’éducation du patron ne le lui permet pas, le marin le plus éduqué occupe le poste de secrétaire. Il tient les comptes et s’occupe de l’administration, par conséquent (exemple en Grèce) il est mieux rémunéré. Le poste de cuisinier est supprimé sur les navires français faute de temps. Les hommes apportent leur panier mais continuent à partager leur repas ensemble non sans une certaine nostalgie. Sur les navires grecs, qui ne retournent pas au port tous les jours, la cuisine est préparée pour l’ensemble de l’équipage par une personne, généralement la plus jeune, mais les rotations sont fréquentes. L’emploi le plus difficile à occuper est celui de capitaine. Souvent sur certains navires il n’y a qu’une seule personne qui possède la qualification nécessaire. Il ne faut pas oublier que le patron a peu confiance en son équipage pour occuper ce poste. Il n’est pas rare de trouver des capitaines de pêche, qui après 48 heures de sortie, n’ont pas dormi. Certains acceptent de laisser ce poste à leurs fils en transmettant, non sans regret, leurs connaissances. Au départ, ils ne leurs font que peu confiance. Cette défiance dure longtemps et est souvent une source de conflit entre le père et le fils. Il n’est pas rare que le fils quitte son père pour se mettre à son compte ou, le plus souvent, pour travailler sur un autre navire. Par ailleurs, il est fréquent de voir le père contester tout ce que fait son fils. Les vieux ont du mal à accepter les connaissances des jeunes, qui finalement apprennent rapidement à piloter le navire. Les marins pêcheurs préfèrent, lorsque cela est possible, travailler à bord d’un chalutier de fond plutôt que sur une seine. Ce choix est motivé principalement pour une raison économique. Les parts d’un chalutier sont plus élevées que celles obtenues sur les autres engins. Les conditions de travail, moins pénibles sur les chalutiers que sur les seines, constituent la deuxième raison. Bien qu’ils offrent une bonne rémunération, les thoniers n’attirent pas non plus les marins pêcheurs locaux. Sur ces navires, les conditions de travail repoussent les jeunes. Les thoniers restent très longtemps absents de leur port d’attache et les marins habitent pendant plusieurs 5 mois sur le navire. En Grèce, cet engin est pratiqué par les seines tournantes pendant l’hiver. Dans ce cas les marins pêcheurs contrairement à leurs compagnons français préfèrent faire partie de l’équipage de ces bateaux qui garantissent une meilleure rémunération. Le rôle des femmes Aujourd’hui, comme dans le passé, les femmes sont absentes du secteur de la production. Il est rare de trouver des femmes matelots. Il existe cependant quelques cas. Il s’agit des épouses des patrons pêcheurs côtiers (France) qui viennent d’entrer dans la profession. Mais en règle générale les maris étant absents c’est à elles que revient la tâche d’élever les enfants et garantir la vie familiale. Cette exclusion féminine du monde de la pêche est récente. Elle n’existe que depuis que les pêcheurs gagnent suffisamment d’argent pour nourrir leur famille. Dans le passé, elles s’occupaient notamment de l’entretien des filets. Ramender les filets est un travail long et exige une grande patience qui sied souvent plus aux femmes qu’aux hommes. Aujourd’hui, l’emploi des femmes à la pêche revient à l’ordre du jour pour les pêcheries côtières. L’augmentation des salaires et la baisse de revenus des pêcheurs redonnent aux femmes cette responsabilité. Les femmes continuent d’occuper une grande partie des emplois offerts par l’industrie de la transformation. Au début du siècle, en Bretagne, plusieurs milliers de femmes des pêcheurs, appelées pen-sardines (têtes de sardines), travaillaient dans l’industrie de conservation des sardines. Elles ont été, dans les années vingt, les initiatrices de grandes grèves organisées par les pêcheurs pour l’obtention d’un meilleur prix de vente pour les sardines (Ch. Tillon). Gestion de l’entreprise La gestion de l’entreprise de leurs époux constitue une nouvelle tâche pour les femmes. Après avoir suivi des cours de formation financées par différents fonds européens et organisés au niveau des différents ports, elles apprennent à tenir les comptes du navire. En France ce phénomène, bien que récent, est présent dans l’ensemble du pays. En Grèce les femmes sont absentes de la gestion des entreprises de leurs époux, qui est effectuée par des comptables spécialisés au moins en ce qui concerne les grands navires. Par contre, les femmes s’occupent des démarches administratives qui se déroulent à terre : se rendre à la banque, dans les administrations, aller chez le comptable, payer les charges sociales des propriétaires de navires, etc. Dans certains cas elles sont payées mais en règle générale elles le font gratuitement. Cette participation de femmes dans la gestion de l’entreprise leur a permis de participer aux différents mouvements de revendications (grèves) organisés par leurs époux. Il existe en France une grande association des femmes de pêcheurs qui travaille dans ce sens. Ventes Depuis toujours les femmes des pêcheurs Méditerranéens se sont spécialisées dans la vente du poisson. Les femmes de Gruissan marchaient plusieurs kilomètres pour prendre le train et allaient vendre leurs poissons au marché de Narbonne. Aujourd’hui, de nombreuses femmes de pêcheurs côtiers vont encore vendre leurs poissons sur le marché de la principale ville voisine. La vente directe permet une meilleure valorisation des produits et fournit un revenu plus élevé. Transformation / produits raffinés 6 Des femmes se sont aussi spécialisées dans la préparation de conserves et de plats cuisinés. Il s’agit principalement de plats raffinés, soupes de crabes, pâtés de sardines, etc. La mise en place des normes sanitaires pour les conserves ne permettent plus aux femmes de faire ce travail à la maison. Elles louent pour une journée ou plus, une usine de transformation et elles mettent en bocaux leurs plats. Ils sont vendus soit directement soit dans des foires de produits raffinés. Le rôle joué par les femmes dans l’arrêt hebdomadaire du travail. Aujourd’hui, les femmes veulent que leurs maris passent de plus en plus du temps à la maison. Nombreuses sont celles qui ont poussé leurs époux à exercer un métier qui leur permet de rester plus souvent à terre. Certaines femmes de marins pêcheurs grecs ont joué un rôle très important à la reconversion de leurs maris. Ils passent du métier de marin pêcheur à la pêche aux praires, travail de jour qui se déroule autour du village. Les femmes des pêcheurs français ne sont pas prêtes à laisser leurs maris retourner au travail pendant le week-end. De nombreux pêcheurs disent qu’il ne leur est plus possible de travailler le week-end parce qu'ils préfèrent consacrer ces jours à la famille. Education des enfants L’éloignement de leurs époux, rendent les femmes seules responsables de l’éducation des enfants. Cette tâche est difficile et peut être étroitement en relation avec le renouvellement ou non de la population maritime. Car si la mère n’aime pas le métier de son époux elle utilise tous les moyens pour empêcher ses enfants d’effectuer cette profession. Dans les pays Méditerranéens ce comportement est présent chez les mères qui sont originaires d’autres groupes sociaux. Celles qui sont issues du milieu maritime et qui ont vu tous les membres de leur famille vivrent de la pêche, n’ont pas ce comportement. Pour elles le métier de pêcheur est un bon métier puisqu’il permet, à sa famille ainsi qu’à celle de son père, de vivre. Le choix des enfants pour exercer ou non le métier est peut être aussi lié à autre chose. On remarque une division entre les enfants de côtiers et ceux des seines et des chalutiers. Il est plus fréquent de voir les premiers se tourner vers d’autres activités que les seconds. Le second groupe abandonne plus facilement l’école pour rejoindre leurs pères. Par ailleurs, on observe que ces enfants, sauf exception, n’ont pas des bons résultats scolaires. Par conséquent nous pensons que la présence du navire doit psychologiquement influencer ce choix. Héritage et succession Dans le passé, le fils d’un pêcheur qui voulait exercer le métier apprenait avec son père et ensuite se mettait à son compte. Les dernières mesures, mises en place par les différents pays, visant la diminution du nombre des navires, ne permettent plus l’entrée des jeunes dans le métier. Ils n’ont que trois possibilités pour devenir pêcheurs : soit d’hériter du navire de leur père, soit d’utiliser une deuxième licence appartenant à leur père, soit enfin d’acheter une licence. Un tel achat est coûteux et un tel capital n’est pas facile à obtenir. Il existe quand même quelques portes d’entrée. En France, par exemple, quelques kilowatts sont distribués tous les ans, en fonction de la disponibilité. Certains jeunes ont bénéficié de cette distribution pour exercer le métier. Certaines régions, soit pour des raisons économiques soit pour des raisons nationales, essaient d’encourager les jeunes à pratiquer le métier de pêcheur. C’est le cas, par exemple, de la région de l’Aude où le nombre de chômeurs est très élevé. Le Conseil Général de l’Aude offre ainsi des aides financières pour aider les jeunes à entrer dans le métier. 7 Un autre cas est celui des îles grecques. Ces dernières années, malgré le gel des licences (1991), certaines sont attribuées aux îles proches de la Turquie. Cette distribution a pour principal objectif le maintien de la population locale dans les îles. L’objectif gouvernemental n’est pas de contribuer au bien être des îles mais plutôt de chercher à satisfaire des causes nationales. Maintenir une population dans ces îles, empêchera une éventuelle réclamation ou revendication de la Turquie. La pêche devient une occupation saisonnière qui est pratiquée pendant la saison morte. Même si on sait que la forte demande en poissons se situe pendant la saison touristique et non pendant le reste de l’année. Le problème le plus grave, auquel le monde de la pêche doit faire face, est le nonrenouvellement de la population maritime. La population des pêcheurs vieillit de plus en plus et il faut penser à son renouvellement si on ne veut pas la voir disparaître. Des efforts doivent être faits dans ce sens pour enfin valoriser ce métier. Les propriétaires qui n’ont pas de fils ont deux possibilités pour transmettre leurs connaissances et leur navire : soit marier leur fille avec un marin pêcheur qui leur succédera soit abandonner leur activité en vendant leur navire. Aujourd’hui, les subventions données pour la casse des navires font que de nombreux pêcheurs qui se trouvent dans cette situation préfèrent le casser et toucher les subventions plutôt que de le vendre et ne pas être certain d’être remboursés. Communautés halieutiques Pendant plusieurs siècles l’activité des pêcheurs était divisée en deux : participation à la marine nationale (France et Espagne) pour défendre la patrie en temps de guerre et la pêche en temps de paix. La pêche constituait leur principale source de revenu puisqu’ils n’avaient pas de propriété foncière. En Méditerranée, la pêche est exclusivement côtière dans la mesure où elle se déroule à l’intérieur de la bande des 12 milles. De nombreux villages côtiers vivaient et vivent de l’activité de la pêche. Les pêcheurs ont su s’adapter aux nombreuses transformations et modifications qui sont intervenues ces dernières décennies au niveau du secteur mais aussi au niveau villageois. L’introduction d’engins plus productifs (chalutier et seine) se situe autour des années cinquante. Leur utilisation a eu des conséquences sur la structure sociale des pêcheurs ainsi que sur celle de la flottille. La diminution des captures est une nouvelle donnée qu’ils doivent prendre en compte. Les pêcheurs côtiers qu’ils soient grecs ou français ont réussi à survivre en s’adaptant aux nouvelles demandes du marché mais aussi à la rareté de la ressources. Les grands navires ont plus de mal à s’adapter. Mais ils ont également dû trouver des solutions en réduisant par exemple le nombre de marins. La question des liens entre le groupe des pêcheurs et les autres groupes sociaux du village mérite d’être mentionnée. Dans certains villages, l’activité de la pêche contribue au maintien d’une économie mais les pêcheurs sont perçus par les autres comme un monde à part. Dans ces villages les commerces ne peuvent pas vivre indépendamment des résultats de la pêche. Si les parts des marins sont faibles les commerçants savent qu’ils ne vont pas travailler. Tout le monde attend le calcul des parts pour travailler. Dans le passé, les communautés de pêcheurs, qu’elles soient françaises ou grecques étaient séparées du reste du village. Leurs quartiers se trouvaient autour des ports et souvent sans relation avec le reste du village. Aujourd’hui la situation a évoluée mais on constate que les pêcheurs vivent séparément du reste du village. Les liens avec les autres groupes sociaux se 8 font, d’abord, par l’intermédiaire de l’école et ensuite à travers des lieux de rencontres pour les jeunes (café, discothèques, etc.). Au moment des mariages dans les familles extérieures à la communauté, il était difficile d’accepter un pêcheur comme gendre. Mais c’était aussi valable pour les femmes qui entraient dans le monde de la pêche. Aujourd’hui, les mariages ne se font plus exclusivement au sein de la communauté des pêcheurs, la nouvelle génération cherche aussi ses partenaires ailleurs. Même si en réalité ils préfèrent des personnes partageant leurs valeurs. Stratégies de survie La production méditerranéenne est composée de multiples espèces de poissons ayant une grande valeur commerciale. Bien que le nombre de pêcheurs ne cesse de baisser, du moins en France, leur situation économique ne s’est pas détériorée. En Méditerranée leur survie ne dépend pas de leur revenu ou de la diminution de la ressource mais plutôt de la dévalorisation du métier. C’est pour cette raison qu’il faudra mener, sur le métier, des campagnes d’explications auprès des jeunes. Les pêcheurs ont toujours des arguments valables pour défendre leur profession. A titre d’exemple le sentiment de liberté peut être un argument important qui va dans ce sens. Le contexte actuel des différentes politiques européennes qui privilégient la diminution de la flottille par le gel des licences ou par la reconversion des pêcheurs, rend l’entrée des jeunes dans le secteur de la pêche de plus en plus difficile. Au niveau de la reconversion les femmes peuvent jouer un rôle important car elles sont plus ouvertes aux modifications ou aux changements. Dans beaucoup d’endroits elles tiennent déjà la comptabilité et connaissent les difficultés de l’entreprise. Elles cherchent des idées pour aider directement ou indirectement leur époux. La création d’ateliers de transformation de produits de la pêche constitue un revenu complémentaire pour le foyer. Les femmes sont plus favorables à l’aquaculture et nombreuses sont celles qui ont essayé de pousser leur mari à entreprendre ce type d’activité. Mais elles font face au refus catégorique de leur époux. Un pêcheur grec ou français a du mal à accepter l’idée de devenir aquaculteur. En Grèce, où ce secteur s’est récemment développé, les pêcheurs n’ont pas su l’intégrer. Ils perçoivent les aquaculteurs comme des destructeurs de prix, au moins pour les poissons qu’ils produisent (dorade et loup). La baisse des prix est le seul lien qui existe entre les pêcheurs et les aquaculteurs. Un pêcheur ne peut pas s’imaginer en train de donner à manger aux poissons, car il n’est pas agriculteur. Au sud de la France quelques-uns se sont converti, à travers leur prud’homies, à l’aquaculture de coquillages. Ils n’ont, dans ce cas pas le même sentiment car ils n’ont pas à leur donner à manger. La création de gîtes marins (logement pour touristes) peut être aussi une activité menée par les femmes. Ces logements pour touristes constituent une activité saisonnière et peuvent compléter le revenu du foyer, au moins dans certaines îles grecques où le logement chez l’habitant est très développé. Les pêcheurs s’y opposent mais jusqu’à quand ? Il est vrai que leur situation économique actuelle leur permet ce refus. La survie des pêcheurs méditerranéens, au moins dans certaines villes, dépend du développement touristique. Le nombre croissant de touristes provoque une radicale transformation des structures villageoises et les pêcheurs ne restent pas à l’écart. Le tourisme a des effets positifs mais aussi négatifs dans le secteur de la pêche. Il fournit, au moins pour les petits métiers, de nouveaux marchés. Pendant la période estivale tout le poisson côtier va 9 directement aux restaurants du village. La vente directe sur le quai est aussi largement pratiquée et elle permet le maintien de prix élevés. Les effets négatifs sont peut-être plus nombreux que les effets positifs. Les ports traditionnels deviennent de plus en plus des marinas. Les navires de pêche sont mis à l’écart et il est difficile de se garantir une place dans le port. Le coût de la place augmente et les pêcheurs sont obligés de payer des sommes importantes pour garantir cette place. Les ports doivent être propres c’est-à-dire que les filets ne doivent pas être exposés ou entreposés. La présence accrue des pêcheurs plaisanciers pendant la période estivale constitue un autre problème. Les pêcheurs professionnels, surtout côtiers, perçoivent les plaisanciers comme des concurrents. D’autres aspects négatifs pourraient être mentionnés mais il est préférable d’en rester là. Aujourd’hui certaines municipalités ont compris l’importance de la contribution du secteur de la pêche dans la vie politique locale et elles essayent d’avoir les pêcheurs pour partenaires. Ils contribuent aussi au développement du tourisme car de nombreux touristes veulent voir le fonctionnement des anciens engins de pêche (seine de plage) mais aussi le débarquement du poisson à la criée. Conclusion Le gel des licences constitue la principale préoccupation des pêcheurs. La quasi-impossibilité pour les jeunes d’entrer dans le métier aboutira dans le futur au vieillissement de la population et risque de mettre en péril sa survie. Le deuxième point qui mérite d’être mentionné est la revalorisation du métier de marin pêcheur. Celle-ci permettra l’embauche des jeunes locaux qui figurent aujourd’hui sur les listes de demandeurs d’emploi. L’importation d’une main-d’œuvre extérieure risque de modifier le système de rémunération des pêcheurs. Par ailleurs les patrons, pour ne pas avoir à payer les cotisation patronales, peuvent être tentés de n'employer que des immigrés, qui ne reçoivent qu'un salaire fixe. D’autres causes peuvent contribuer à la disparition totale de certaines communautés de pêcheurs, d'abord le tourisme, ensuite dans une moindre mesure (jusqu’à maintenant) les revendications des environnementalistes. En ce qui concerne la première les exemples ne manquent pas. La ville de Collioure, centre historique de la pêche au sud de la France, a décidé de sacrifier cette activité au profit du tourisme. Ce port qui, dans le passé n'abritait que des navires de pêche, n’en a plus un seul aujourd’hui. Autre exemple ; la ville de Palavas dont les pêcheurs constituent la principale population, ils n'occupent plus qu’une partie de la ville moderne qui s'est principalement tourné vers le tourisme. Il est possible que le sud de la France regroupe plus d’exemples de ce type car le tourisme est concentré sur un espace littoral plus limité que les autres pays méditerranéens. Mais la France n’est pas la seule dans ce cas. Les environnementalistes considèrent que certains engins de pêche (filets dérivants, seines de plage) détruisent d’autres espèces de poissons. Mais, leur interdiction pourrait, à terme provoquer la disparition de certaines communautés de pêcheurs. C'est le cas pour les pêcheurs d'espadons du sud de l'Italie ; l’interdiction du filet dérivant met en péril leur activité. La question du revenu et des prix des poissons est actuellement, selon nos observations, un problème de moindre importance. La diminution de la ressource provoque une diminution de revenu que les pêcheurs méditerranéens ont su surmonter, soit en travaillant plus, soit en diminuant le nombre de marins. 10 Notre principal objectif est de présenter certains aspects de la population maritime (patrons et marins pêcheurs) laissés à l’écart par les politiques de ce secteur. Il s’agit de la structure sociale du monde de la pêche, de la place des femmes, de la succession, etc. Ouverte aux évolutions, elle se modifie et s’adapte à l’introduction, des nouvelles techniques, des politiques mais aussi des changements sociaux. Références bibliographiques Frangoudes K., (1993), Le rôle des organisations professionnelles dans la gestion des pêches en Méditerranée : Etude de cas concernant la Grèce, ASCA/DG XIV, contrat n° XIV1/MED/91/010. Franquesa R., (1993), Le rôle des organisations professionnelles dans la gestion des pêches en Méditerranée : Etude de cas concernant l’Espagne, ASCA/DG XIV, contrat n° XIV1/MED/91/010, Galle M., (1993), Le rôle des organisations professionnelles dans la gestion des pêches en Méditerranée : Etude de cas concernant l’Italie, ASCA/DG XIV, contrat n° XIV1/MED/91/010, Galle M., (1993), Le rôle des organisations professionnelles dans la gestion des pêches en Méditerranée : Etude de cas concernant la France, ASCA/DG XIV, contrat n° XIV1/MED/91/010, Tillon Charles, 1977, On chantait rouge, Robert Laffont, Paris Weber J. (1993), Le rôle des organisations professionnelles dans la gestion des pêches en Méditerranée rapport de synthèse, ASCA/DG XIV, contrat n° XIV-1/MED/91/010, 11