A propos du carré bleu sur fond bleu

Transcription

A propos du carré bleu sur fond bleu
A propos du carré bleu sur fond bleu
J’
ai commencé ce diptyque en choisissant le format des deux tableaux : deux carrés, car j’aime de
temps en temps me frotter à la difficulté de peindre dans un carré : plus de grand axe !
Une fois devant un carré de toile blanche, je fais bien sûr une courbe, ou une ellipse, bref quelque chose de rond
mais qui n’ait pas la stérilité du cercle.
Cela produit de la rassurance.
Ici, devant deux carrés, cette forme ronde est venue tout naturellement se placer en équilibre entre les deux toiles.
Le geste devait être précis, net, rapide, sans hésitation, un peu comme une signature.
Ensuite, cette courbe ayant « éteint » l’angoisse du Carré, il restait à faire taire « l’angoisse de la courbe », en
revenant bien sûr à la ligne droite : une droite dans chaque carré, mais formant un angle droit quelque part en bas
du tableau de gauche.
Les points de « sortie » des courbes et des droites sont tels q’une cohérence persiste lorsque l’on tourne les
tableaux ou lorsqu’on les inverse. De même pour le fond : l’élan de sa « fluidité » doit se conserver dans toutes les
positions.
L
a première position apparaît comme la plus « orthodoxe ». Elle sert d’interface entre une
« construction » qui précède, qui est la genèse de ce diptyque, et le diptyque lui-même qui représente une sorte de
« télescopage » entre un carré et un cercle originels, transformant l’un en deux fragments de côtés encore en
angle droit, et l’autre en spirale.
La spirale, en haut du tableau de gauche, se divise en deux, l’une restant sur le plan du diptyque et apparaissant
une fois à droite, une fois à gauche, et l’autre, la plus courbe, disparaissant derrière le tableau de droite, sur un axe
perpendiculaire au plan. De même pour un côté du carré qui, cassé, est passé du tableau de droite derrière le
tableau de gauche.
Bien que ce chaos semble parti pour l’écroulement, il reste en fait très structuré du fait de la rigueur d’une structure
antérieure à la genèse du diptyque, c‘est à dire un Cercle et un Carré originels.
Leur tracé est impossible. L’entreprendre va générer fatalement des imperfections alors que votre imaginaire est
capable de les « voir » de façon absolument parfaite, rigueur indispensable à la structure minimale du chaos «
déterminé » qui va suivre.
Le diptyque est donc, pour vos imaginaires, une histoire « dans le temps » alors qu’il représente une stase dans
ce temps. Toutes mes félicitations !!!
Mais un tableau est aussi une trace : il est « forcément » une trace, ne serait ce que celle du pinceau !
Le carré est la trace de l’équerre aussi évident que le cercle est la trace du compas. Représenter ces objets serait
absurde (ne pas oublier : « ceci n’est pas une pipe » !). Ils sont seulement suggérés par les traces qu’ils laissent,
aussi évanescentes que des volutes de fumée…
Nous en sommes donc rendus aux suggestions d’une notion de temps par la stase, d’une notion d’objet par la
trace et un concept de chaos « cohérent » du fait de l’orthodoxie d’une genèse non représentée.
L
a deuxième position est plus évocatrice d’une notion de fluidité : seul le fluide « résiste » au temps, il
s’adapte comme un organisme vivant, dans l’intimité de ses enzymes en solution. Elle évoque un milieu aquatique,
peut-être un Océan Originel, brutalement perturbé par une rame représentée dans sa position initiale d’attaque et
sa position finale à l’extrémité du geste de rameur. L’orthodoxie du geste est évoquée par l’angle droit que fait la
rame dans ces deux positions extrêmes.
Le mouvement est très violent, il éclabousse la salle et la suite du mur ; l’embarcation fuit vers la droite sur un
rythme guerrier et sur une onde précisément outre-mer ! Mes amis allemands pensent à l’opéra de Wagner « der
fliegende Höllander », condamné à ne pas mourir, évoqué ici par ce geste perpétuel du rameur.
Le carré persiste, extrémités de gestes se reflétant sur le miroir de l’eau : d’une situation statique dans la stase de
la première position, il est devenu « dynamique ».
La spirale est devenue une sinusoïde, dynamique elle aussi, évoquant ici, au-delà d’une vague , les limites
homéostatiques d’une physiologie, peut être celle du rameur.
Donc, aux notions de temps, d’objets et de chaos vient s’ajouter une idée du Vivant.
D
ans la troisième position, les éléments donnent le sentiment de s’individualiser : deux points (deux
poings ?) résolument fixes tiennent deux segments de droite dans un alignement rigoureux, sorte d’intention de
régénération d’un côté de carré qu’il vous reste à achever de construire par votre imaginaire (encore lui !).
A droite, la courbe persiste : représentée dans une moitié, elle nous « pousse » à imaginer la partie manquante,
pour construire un ou des cercles parfaits.
Courbes et droites, dans un chaos en apparence désordonné, restent porteurs des rythmes de leur genèse.
D
ans la quatrième position et les suivantes, les deux tableaux s’individualisent encore plus : chacun bat
son rythme suivant la piste d’un déterminisme qui lui est propre, dans une joyeuse symphonie de courbes et de
segments en redondance. Carré et cercles prolifèrent au grès de vos imaginaires.
Epilogue :
Q
u’ai-je donc représenté ? Me voici avec deux tableaux presque indépendants qui précédemment
dessinaient courbes, sinusoïdes et fragments de carrés, issus de cercles et de carrés rigoureux, tracés par deux
objets absents.
Quel est donc la réalité de ce diptyque, changeant sa poésie à chaque position, disant :
- l’écoulement du temps par une stase.
- Représentant des courbes pour se rassurer des cercles, et des droites pour se rassurer des courbes.
- Partant d’une rigueur orthodoxe pour contrôler, cerner, un chaos actuel et à venir.
- Evoquant des angles et des points de pivots extérieurs au diptyque.
- Evoquant la fluidité dans la stase.
Le cercle y est peut être un carré qui tourne très vite, comme dans le Suprématisme dynamique, mais alors le
carré serait un cercle qui ne tourne plus ?
Des segments de droite évoquent des carrés en très grand nombre alors que pas un seul n’est représenté !
La réalité échappe et demeure donc insaisissable. Tout au départ, qui nous est forcément masqué par
une sorte d’horizon temporel, car y régnait une harmonie parfaite forcément non-représentable du fait qu’elle induit
une stérilité de nos imaginaires, mais également dans le diptyque où les objets se définissent par leur contraire.
La tragédie du télescopage du Cercle par le Carré « féconde en réalité tout le chaos qui suit, et ce chaos n’est
autre que vos imaginaires. « L’invention » de cette complexité nous échappe aussi vrai que l’édification de ce
grand puzzle m’échappe : le diptyque s’auto-réalise à mon insu en un immense kaléidoscope sans fin.
Certes, on peut dire qu’il est bien peu efficient de partir de deux carrés de toile blanche pour arriver à un carré
bleu sur fond bleu ! Que tout ceci n’est qu’un jeu, une construction intellectuelle complètement gratuite.
On peut dire encore que tout ceci n’était pas franchement indispensable, qu’il aurait pu ne rien se passer pendant
le temps de la construction de ce diptyque, et que donc il aurait pu aussi ne rien s’écrire à son propos, et donc ne
rien se lire si vous avez lu toutefois jusqu’à cette ligne !
Nouvelles félicitations !
Mais que devient ce texte ? Et sa lecture ? Ne participent-ils pas aux arabesques des dernières stases ? Il devait
raconter au départ la construction de ces deux tableaux, mais n’est-il pas lui-même en train de devenir un élément
des excroissances du kaléidoscope ?
Serait-il, par effet de miroir, ce qu’il veut décrire ?
Soudainement, les carrés apparaissent en creux et l’ensemble devient un crible de petits carrés traversés par les
ondulations infinies des courbes. Courbes du diptyque et courbures des lettres que je dessine, et que vous êtes en
train de lire, se confondent : le tableau «avale » le texte, l’écrivain et le lecteur avec!!
Nous devenons une composante de cet univers à propos duquel nous avions entrepris une analyse froide et
distanciée.
Nous ondulons sur des « courbes temps » qui traversent avec une rigueur vertigineuse un crible « d’espaces
carrés ».
Ces toiles racontent la fuite en cascades de nos imaginaires (mot récurent de ce texte) à partir d’une perturbation
originelle. Ils sont en fait d’abord la perturbation, la fuite en cascades ne pouvant ETRE qu’en redondance avec
notre sensibilité, votre part de rêve mise en éveil : nous partageons la suite de l’œuvre. Sa transcendance, au sens
de « caractère qui se situe hors d’atteinte de mon action ou même de ma pensée » appartient au regard que vous
y porterez.
Mais ceci n’est plus mon œuvre, mais la votre !!!

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