Le régime réglementaire à vocation scientifique

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Le régime réglementaire à vocation scientifique
Le régime réglementaire à vocation scientifique
de la génomique : enjeux et options
Mémoire sur les orientations
stratégiques no 6
Octobre 2012
Auteurs :
Préface de la rédactrice en chef
Lancée en 2009, GPS : Au Carrefour de la
génomique, de la politique publique et de la société est une série organisée par Génome
Canada pour favoriser un dialogue entre les décideurs fédéraux et les chercheurs qui s’interrogent sur des questions dans lesquelles
interviennent la génomique et ses aspects
éthiques, environnementaux, économiques, légaux et sociaux (GE3LS).
Les grands thèmes de la série et les sujets particuliers sont choisis en fonction de leur importance et de leur pertinence, de même que de la
« maturité » du savoir sous-jacent. Ainsi, la première série a porté sur « L’information génétique
» alors qu’en cette deuxième année, l’attention
se tourne vers « la génomique translationnelle ».
La préparation de mémoires stratégiques qui
décrivent des options susceptibles de créer un
équilibre entre la promotion des sciences et de
la technologie d’une part, et le respect de nombreux autres facteurs qui influencent le bienêtre
culturel, social et économique de notre société
d’autre part, est au cœur de ces échanges.
Les coauteurs des mémoires sont des chefs de
file dans leur domaine à qui Génome Canada
confie le mandat de résumer et de mettre en
application les connaissances universitaires et
les documents de politique actuels dans un
éventail d’options stratégiques. Les mémoires
sont également inspirés des avis éclairés des
commentateurs invités et d’autres experts réunis lors de séances « GPS ».
Les mémoires ne sont pas un compte rendu
d’opinions personnelles des auteurs ou de
Génome Canada. Les auteurs n’y présentent pas
qu’une seule recommandation, ils tentent plutôt
d’établir des fondements avérés qui peuvent
répondre à divers besoins de formulation de
politiques, à un moment où les nouvelles technologies de la génomique en sciences de la vie
pourraient exercer une influence déterminante
sur le Canada.
Karine Morin
Directrice
Programme GE3LS national
G. Bruce Doern (Université Carleton) et
Peter W.B. Phillips (Université de la Saskatchewan)
Sommaire
Les « régimes réglementaires à vocation scientifique » façonnent ce qu’est et ce que
sera l’essor de la génomique en tant que science et ensemble de produits et de processus, tant au Canada qu’ailleurs dans le monde. Le développement économique et social
de la génomique dépend évidemment de nombreux facteurs, par exemple le financement de la recherche, le brevetage, la commercialisation, les compétences entrepreneuriales et le financement des entreprises. Les régimes réglementaires à vocation
scientifique font partie de ces facteurs qu’il faut mieux comprendre. Les régimes déjà en
place sont les suivants : a) un amalgame de structures de réglementation et de gouvernance, de valeurs et de types diversifiés de démocratie; b) ensembles de sciences, de
faits probants et de connaissances sur lesquels repose la réglementation; la recherche
en génomique est aussi assujettie à une réglementation. Ce type de régime englobe les
processus de prise des règlements, l’évaluation des produits avant leur commercialisation, leur surveillance après la commercialisation, de même que d’autres phases de conformité. L’État fait tout à la fois la promotion de la génomique et en réglemente les
applications. La mise au point de produits basés sur la génomique est réglementée dans
divers secteurs d’activité, mais elle est aussi visée par une réglementation intersectorielle, précisément parce que la génomique est une science et une technologie qui agissent comme catalyseurs et opèrent des transformations dans de nombreux secteurs
d’activité axés sur les sciences de la vie et autres aspects de la société.
Dans ce contexte, ce mémoire décrit les grandes options stratégiques de politique et de
gouvernance possibles et dont il faut débattre. Ces options sont les suivantes : 1) ampleur et nature de la compétence fédérale en matière de réglementation des applications basées sur la génomique en santé et dans la vie, à l’aide du droit pénal et non
pénal; 2) portée et répercussions d’un régime à vocation scientifique axé sur la collaboration et qui a recours à des lignes directrices et d’autres formes de droit souple plutôt
que sur des règles rigoureuses; 3) nécessité d’une meilleure collaboration et harmonisation américaine et canadienne en matière d’évaluation réglementaire des applications
basées sur le génome et d’éthique de la recherche, considérant les exigences de la population canadienne concernant l’accès à des produits déjà annoncés et vendus aux
États-Unis et/ou au Canada, mais qui ne sont pas encore approuvés au Canada; et 4)
nature et ampleur de l’autoréglementation et des connaissances en soi des produits et
des processus basés sur le génome, en particulier les membres du public qui sont en
interaction avec les connaissances professionnelles et les réseaux de surveillance.
Remerciements : Génome Canada tient à remercier les coauteurs G. Bruce Doern et Peter W.B.
Phillips ainsi que les commentateurs Kwasi Nyarko, Santé Canada; Erika Van Neste, Agriculture et
Agroalimentaire Canada, et Vratislav Hadrava, Pfizer Canada Inc., et tous les participants à l’activité GPS
du 17 novembre 2011, tenue lors de la Conférence sur les politiques scientifiques canadiennes 2011.
Nous remercions aussi les partenaires consultatifs principaux de la série GPS 2011 qui ont participés à
la planification de l’activité GPS ainsi qu’à l’évaluation par les pairs de ce mémoire: Anne-Christine
Bonfils, Conseil national de recherche Canada; Kari Doerksen, VALGEN; Adrian Mota, Direction de l'application des connaissances, Instituts de recherche en santé du Canada; et Janice Tranberg, CropLife
Canada. En terminant, nous remercions M. Terry McIntyre, auparavant à Environnement Canada, qui a
revu la version définitive du mémoire à titre d’évaluateur externe. La traduction du mémoire a été réalisée par Michèle Béliveau, trad. a.
Le régime réglementaire à vocation scientifique de la génomique :
enjeux et options - Mémoire sur les options stratégiques no 6
Au sujet des auteurs
G. Bruce Doern est un auteur prolifique de plus de 70
livres et monographies, dont les études se penchent
sur la politique publique canadienne et comparée et la
gouvernance réglementaire dans des domaines tels
que la biotechnologie et la politique pour la science et
l'innovation. Il vient de terminer un livre (avec le professeur Michael Prince) portant sur trois grands domaines biologiques : la biotechnologie et la
gouvernance de l'alimentation, la santé et la vie au
Canada (University of Toronto Press, 2012). Il est le
coéditeur de « How Ottawa Spends », la revue annuelle
des priorités nationales et de la politique budgétaire
(McGill-Queen’s University Press). Il a récemment occupé le poste de chercheur invité de la CIBC au Conference Board du Canada. Il a également occupé la
fonction de directeur de la Carleton Research Unit on
Innovation, Science and Environment (CRUISE) à l'Université Carleton. Il est un consultant et conseiller
auprès de nombreux ministères fédéraux et provinciaux et d'instances internationales pour les enjeux de
gouvernance comme l'innovation, la science et la réglementation. À titre de professeur émérite, il enseigne
la gouvernance mondiale au département de politique
de l'Université d'Exeter au Royaume-Uni et il est un
professeur distingué à la School of Public Policy and
Administration de l'Université Carleton.
Peter W.B. Phillips est un professeur de politique
publique à la Johnson-Shoyama Graduate School of
Public Policy de l'Université de la Saskatchewan à
Saskatoon, au Canada. Il a obtenu son doctorat en
économie politique internationale à la London School of
Economics et a agi pendant treize ans comme économiste professionnel et conseiller supérieur de direction
pour l'industrie et le gouvernement canadiens. À l'Université de la Saskatchewan, il a occupé la chaire de
recherche Van Vliet, il a créé et occupé une chaire au
CRSNG-CRSH pour la gestion des changements technologiques, il était un directeur et membre fondateur
du Virtual College of Biotechnology, et ce, en plus d'être
un directeur fondateur de la Graduate School of Public
Policy. Il est un éditeur adjoint d'AgBioForum, une revue
spécialisée en ligne de premier plan, il était un membre
du groupe d'experts du chapitre 13 de l'ALENA sur le
maïs GM au Mexique et il était un membre fondateur
du Comité consultatif canadien de la biotechnologie. Il
a été un membre du conseil d'administration de l'Institut canadien des politiques agroalimentaires, du Estey
Centre pour l'étude du commerce, du droit et de l'économie et d'Ag West Bio Inc., qui exploite un fonds de
capital de risque en biotechnologie. Il est un coresponsable et le chercheur principal d'un projet de 5,4 M$
de Génome Canada nommé Ajout de valeur grâce à la
génomique et GE3LS, qui a commencé en 2009 et se
poursuivra jusqu'en 2013. Il est l'auteur ou l'éditeur de
huit livres — son dernier, intitulé « Governing Transformative Technological Innovation: Who’s in charge? », a
été publié par Edward Elgar en 2007.
I.
Contexte
Le régime réglementaire fondé sur les faits scientifiques de la génomique, que nous
appellerons ci-après « régime réglementaire à vocation scientifique », façonne ce
qu’est et ce que sera l’essor de la génomique en tant que science et ensemble de produits et de processus, au Canada et ailleurs dans le monde. On entend par régime un
ensemble d’idées, d’organismes, de lois, de règles, de processus et d’intérêts en interaction dans un domaine stratégique donné. Les organismes de réglementation canadiens se concentrent sur le « cadre coordonné » des acteurs et des établissements
habilités qui assurent des services au public et à l’industrie, mais il est révélateur de
situer toute analyse à l’échelle du régime, plus large et global. Le régime réglementaire
à vocation scientifique de la génomique se compose d’un amalgame de structures de
réglementation et de gouvernance à niveaux multiples et de systèmes nationaux et internationalisés de science, de faits probants et de connaissances sur lesquels se fonde
la prise de décisions sur la génomique et ses applications (Doern et Prince, 2012). Le
double rôle que joue l’État en se faisant promoteur de la génomique et responsable de
sa réglementation complique cette dernière (Phillips, 2007; Bunton et Peterson, 2005;
Carolan, 2010). Le présent mémoire stratégique est basé sur un large éventail d’études
empiriques et conceptuelles publiées, entre autres les propres travaux des auteurs,
pour expliciter et étayer les aspects pour lesquels des progrès intéressants ont été faits
et ceux pour lesquels il existe encore indéniablement des obstacles à aplanir.
Les règlements, au cœur du régime, désignent « les règles de comportement renforcées par des sanctions de l’État » (Doern et coll., 1999, 1) et sont ancrés dans des
méthodes et des pratiques de conformité, entre autres des évaluations et des approbations indispensables des produits et dernièrement, les premières étapes de la surveillance après la mise en marché. Le règlement est habituellement une mesure législative
subordonnée, mais on trouve aussi certaines dispositions fonctionnelles dans les lois
habilitantes. Pour compliquer encore plus les choses, le règlement couvre les directives, les normes et les codes officiels et officieux et il s’exprime aussi par ceux-ci qui
sont parfois présentés comme des lignes directrices sans caractère obligatoire ou
comme « l’établissement de règles dans l’ombre de la loi » (Organisation de coopération et de développement économiques, 2012; Prince, 2010; 1999; mai 2007).
Dans la fédération canadienne, les règles doivent respecter le partage des compétences entre l’instance fédérale et les instances provinciales, ainsi que la primordialité
de la Charte canadienne des droits et libertés. La réglementation englobe inévitablement un monde de lois et de principes administratifs (Jones et de Villars, 1999). Les
premières étapes de la mise en place d’un régime dans différents domaines de réglementation créent souvent des précédents auxquels on réfère ensuite lorsque de nouvelles règles, de nouveaux produits et processus viennent s’ajouter.
On dit souvent du régime de réglementation de la génomique qu’il est « à vocation scientifique » et fondamentalement basé sur des « principes scientifiques éprouvés ».
Cette caractérisation ouvre droit à deux types d’expertise scientifique dans le régime :
la science théorique et fondamentale sur laquelle reposent les efforts des organismes
de réglementation lorsqu’ils élaborent les règlements, et les connaissances scientifiques et l’expertise connexe que possède le personnel de réglementation de première
ligne qui doit évaluer des produits, ce qu’on appelle parfois les « activités scientifiques
connexes » (Kinder, 2010; Doern et Kinder, 2007; Jarvis, 2000). On a dit récemment
des régimes réglementaires qu’ils étaient « fondés sur des faits probants » ou « orientés sur les données factuelles », ce qui peut comprendre et légitimer l’expertise socioéconomique et les réseaux de citoyens, de patients, de familles et de travailleurs qui
possèdent une connaissance locale de première ligne des diverses utilisations des produits et de leurs répercussions possibles (Maheu et Macdonald, 2010; Knoppers et
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Isasi, 2004). En génomique, des universitaires et des praticiens d’horizons multiples qui s’intéressent aux aspects éthiques, légaux et sociaux de la technologie (appelés GE3LS au Canada, ELSI aux États-Unis
et ELSA dans l’Union européenne) participent de plus en plus à la définition et à la surveillance de l’aspect éthique de la science et de ses
utilisations.
niques de reproduction, 1993). D’ailleurs, Procréation assistée Canada,
agence qui n’a été créée qu’en 2007 après une décennie de retard, a
abruptement été abolie dans le Budget de 2012, en partie en raison
d’une décision de la Cour suprême du Canada qui a considérablement
réduit le rôle fédéral de réglementation en matière de procréation assistée.
La structure et les principes sous-jacents du régime réglementaire datent d’avant la génomique. Ses applications dans les différents
secteurs de l’agriculture, de la foresterie, des pêches, de la santé et de
l’environnement sont généralement traitées dans des axes comparables, mais différents (Doern et Prince, 2012). Même si le régime s’est
efficacement adapté à l’arrivée de cultures génétiquement modifiées
(GM) à caractère unique de la première génération (qui ont donné
quelques variétés de canola, de maïs et de soya tolérantes aux herbicides et résistantes aux insectes qui dominent maintenant leurs segments de marché), il piétine passablement depuis. Des cultures aux
caractères cumulatifs ont été adoptées, mais les variétés GM de deuxième et de troisième génération sont en grande partie encore retenues
dans le régime réglementaire. Les arbres et les animaux génétiquement modifiés, poissons compris, sont en attente de décision et, exception faite de quelques médicaments conçus à l’aide de la
génomique, les applications pour les humains, par exemple la thérapie
génique et la médecine personnalisée, ne font que commencer à apparaître.
Le régime réglementaire à vocation scientifique de la génomique comporte des problèmes complexes de limites de la gouvernance en ce qui
concerne le bioalimentaire, la biosanté et la biovie : les aliments
biotechnologiques, et les perspectives d’interventions génétiques plus
envahissantes en santé humaine ont suscité des questions sur ce qui
est « naturel » et ce qui devrait être considéré comme une propriété
privée et un bien de consommation par opposition au bien public (Castle, 2009; Brunk et Coward, 2009; Wiles, 2007; Phillips, 2010; Andree,
2009).
Même si certains retards dans les évaluations s’expliquent sans aucun
doute par le manque d’empressement des promoteurs à faire valoir
leur dossier, un grand nombre s’explique, d’après les promoteurs et les
observateurs, par les hésitations des organismes de réglementation
lorsqu’ils évaluent de nouvelles applications. On situe souvent le
Canada à peu près au centre à cet égard sur la scène internationale : le
régime de réglementation national tend à être un peu plus lent que
celui des États-Unis, mais il est beaucoup plus rapide et prévisible que
celui de l’Union européenne. Selon une étude récente de CropLife International, les coûts de la réglementation représentent mondialement 26
% environ du coût général et accaparent 37 % du temps consacré au
développement et à la commercialisation d’une nouvelle culture GM; la
durée du processus réglementaire a en outre augmenté, passant d’une
moyenne de 45 mois pour les événements de transformation soumis
avant 2002 à plus de 65 mois pour les événements actuels (Phillips
McDougall, 2011). CropLife Canada a mené une étude interne du rendement réglementaire au Canada et constaté que « le temps total
écoulé entre la présentation et l’approbation augmente généralement,
les échéanciers des nouvelles présentations sont moins prévisibles
(certaines sont évaluées assez rapidement, tandis que d’autres prennent plus de temps, mais la durée de l’évaluation ne semble pas être
en corrélation avec la complexité de la présentation) et le délai entre la
dernière demande de renseignements et la lettre d’approbation est
prolongé (ce qui, d’après CropLife, est strictement du temps d’administration qui pourrait facilement être réduit) » (Tranberg, 2012).
En santé, les tests d’ADN, tant dans le système juridique que celui de
la thérapie humaine, et la gamme des techniques liées aux technologies de procréation assistée, ont tous eu de longues périodes de gestation et ont été contestés par l’élaboration controversée et partielle de
lois et de règlements (Cour suprême du Canada, 2011; Deckha, 2009;
Miller-Chenier, 2002; 1994; Commission royale sur les nouvelles tech-
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enjeux et options - Mémoire sur les options stratégiques no 6
II.
Enjeux
Trois enjeux ressortent nettement dans ce domaine comme d’importantes préoccupations et chacun a trait à des aspects différents du
régime dans son ensemble. Il existe aussi, évidemment, d’autres enjeux particuliers, propres à des contextes spécifiques et à la diversité
des nouveaux produits et processus issus de la génomique dans l’alimentation, la santé et la vie. Certains de ces enjeux sont signalés cidessous, mais ils ne font pas partie des trois principaux enjeux sur
lesquels nous nous concentrons dans ce très bref mémoire.
Le premier enjeu concerne la façon dont les règlements peuvent et devraient être pris. Dans les années 1990, le gouvernement fédéral a pris
la décision stratégique d’évaluer la biotechnologie et la recherche en
génomique en recourant aux organismes existants et en tenant compte
du contexte de leur application et usages prévus au lieu d’en confier
l’évaluation à des organismes spécialement constitués à cette fin ou en
fonction de technologies spécifiques. Dans ce contexte, la Directive du
Cabinet sur la rationalisation de la réglementation de 2007 (DCRR), la
principale politique du gouvernement conservateur actuel en matière
de réglementation, précise qu’en réglementant, le gouvernement
fédéral s’engage à : « protéger et [à] promouvoir l’intérêt public,
comme le définit le Parlement dans la loi, en ce qui a trait à la santé, à
la sûreté et à la sécurité, à la qualité de l’environnement et au bienêtre économique et social des Canadiens; et à promouvoir une
économie de marché équitable et compétitive qui encourage l’entrepreneuriat, les investissements et l’innovation » (Canada 2007, 1).
La DCRR a pour objet de réorienter le processus fédéral de réglementation depuis toujours axé sur l’approche « d’un règlement à la fois »
vers un processus dans lequel les priorités de réglementation sont plus
explicites (Doern, 2007 et 2011). La Directive vise à obtenir une
meilleure évaluation des régimes réglementaires et non pas simplement des examens du contenu ligne par ligne. Même si elle est bien
intentionnée, cette Directive pourrait ne pas se concrétiser. De plus,
son application pourrait être compliquée par l’engagement qu’a pris le
gouvernement fédéral en 2012 en adoptant la règle du « un-pour-un »
et du critère du fardeau administratif (selon lesquels tout nouveau règlement doit s’accompagner de la suppression compensatoire d’un
autre règlement et ne doit pas ajouter au coût net de la conformité à la
réglementation pour les entreprises); la portée de l’activité réglementaire pourrait ainsi s’en trouver restreinte. L’assujettissement de la sur-
3
veillance réglementaire à la nouveauté du produit et non à la
méthodologie utilisée pour le fabriquer en complique l’examen approfondi parce qu’il n’est alors possible d’examiner pleinement les possibilités ou les difficultés spécifiques créées par la génomique qu’à l’une
des évaluations préprogrammées du régime, lorsqu’il s’agit d’aliments,
de médicaments, de forêts, d’énergie et d’environnement. Le gouvernement fédéral n’est pas le seul à tenter d’adopter et de mettre en
œuvre une nouvelle approche en réglementation. Un examen récent de
la politique de réglementation, mené par l’OCDE, a montré la complexité grandissante et les innombrables contradictions inhérentes à l’application des principes de base de l’efficience, de l’efficacité, de la
transparence et de l’engagement (Organisation de coopération et de
développement économiques, 2012; Pal, 2012).
Le deuxième enjeu a trait à l’adaptation et à l’intégration possibles
d’une approche axée sur le cycle de vie dans les évaluations de produits dans le cas des aliments, des médicaments et des effets sur l’environnement de nouveaux produits (Table ronde nationale sur
l’environnement et l’économie, 2012; Santé Canada, 2006 et 2007). Le
concept du cycle de vie de Santé Canada a été proposé pour se doter
non plus d’un système d’évaluation « ponctuelle » des nouveaux produits avant la mise en marché, mais plutôt d’un système qui suit les
produits et les processus au cours des différentes étapes qui suivent la
mise en marché, entre autres leur utilisation finale dans les ménages
et l’environnement. Le Plan du renouveau : Transformer l’approche de
la réglementation des produits de santé et des aliments au Canada,
adopté en 2006, est allé le plus loin en recommandant d’évoluer vers
une approche axée sur le cycle de vie des produits qui comporterait
une surveillance des produits et la publication de rapports après leur
mise en marché (Santé Canada 2006, 7-30). Ces plans ne sont cependant pas une disposition législative et en période de restriction
budgétaire, ils peuvent ne pas être mis en œuvre comme prévu.
L’intégration de la surveillance après la mise en marché des produits et
de leur utilisation ferait nécessairement appel à des réseaux de compétences spécialisées et de connaissances variées et dispersées tant
dans le système de connaissances fédéral-provincial qu’au-delà des
frontières nationales, dans d’autres communautés scientifiques et
d’autres marchés, ce qui, même dans le meilleur des cas, constituerait
tout un défi. Le rapport de 2012 de la Table ronde nationale sur
l’environnement et l’économie (TRNEE) insiste également sur la valeur
des approches fondées sur le cycle de vie dans la promotion du
développement économique durable au Canada, mais souligne aussi
de nombreux obstacles pratiques, entre autres la compréhension conceptuelle limitée, la complexité et les graves lacunes à la fois en sciences et dans la capacité de première ligne de fournir une politique et
des règlements fondés sur des faits scientifiques.
Le troisième enjeu a trait à la capacité pleine et entière d’un régime réglementaire national, quel qu’il soit, d’évaluer la diversité des applications de la génomique. La génomique est probablement la plus
générale de toutes les sciences. Aucun pays ne connaît à lui seul toute
la science utilisée pour mettre au point de nouveaux produits et de
nouveaux processus ou celle dont on a besoin pour les évaluer. C’est là
une difficulté particulière, car les connaissances intégrées dans ces
nouveaux produits sont, pour la plupart, protégées et exploitées en
vertu de régimes d’exclusivité (brevets, marques de commerce, secrets
commerciaux et divers mécanismes commerciaux et contractuels). Ce
Le régime réglementaire à vocation scientifique de la génomique :
enjeux et options - Mémoire sur les options stratégiques no 6
régime privilégie certains acteurs et certaines formes de faits probants
au détriment d’autres, en partie, à tout le moins, parce que la plupart
des organismes de réglementation préfèrent travailler avec les propriétaires des nouveaux produits pour pouvoir répartir plus facilement les
obligations fiduciaires et résiduelles en cas de conséquences involontaires et imprévues. Il est encore plus difficile de procéder une fois le
produit lancé sur le marché parce que les consommateurs canadiens
et d’ailleurs dans le monde s’attendent fortement à pouvoir décider
eux-mêmes de l’achat et de l’usage des aliments, des médicaments et
autres produits (Phillips et McNeil, 2001).
L’étiquetage des aliments a vivement retenu l’attention publique, mais
le secteur de la santé est encore plus difficile, car les Canadiens et
leurs familles friands d’Internet connaissent souvent des produits – et
y ont accès – bien avant qu’ils ne soient approuvés au Canada, en particulier ceux qui viennent des États-Unis. Cette situation a déclenché ce
qu’un auteur a appelé le phénomène du « wow » qui transforme
presque immédiatement en « woh », pour décrire l’annonce enthousiaste de nouvelles découvertes et de nouveaux produits aux répercussions sur la santé humaine, suivie du même souffle rhétorique,
d’inquiétudes sur le plan social et humain (Harris, 2010; Wade, 2010).
Une nouvelle tendance particulièrement inquiétante est celle de certains Canadiens qui commencent à acheter des tests génétiques vendus directement aux consommateurs par des fournisseurs tels que
23andMe pour les renseigner sur leur santé, la maladie et l’hérédité;
ces services assez peu coûteux peuvent être une source importante
d’anxiété et exercer des pressions sur le système de santé public
canadien lorsque ces consommateurs cherchent de l’aide pour interpréter leurs résultats et y donner suite (Caulfield et coll., 2010). À certains égards, c’est là l’opposé de la crainte constante que ces tests ne
puissent mener à la discrimination génétique. Un député du Nouveau
Parti démocratique a proposé, appuyé par la Coalition canadienne pour
l’équité génétique (2010), un projet de loi visant à modifier la Loi canadienne sur les droits de la personne pour éviter la discrimination
fondée sur les caractéristiques génétiques (Nouveau Parti démocratique, 2010). De nombreux États américains ont adopté des lois semblables, mais le Canada n’en a pas fait autant
III. Contexte Politique
Alors, qui sont les organismes de réglementation et de quels moyens
disposent-ils en ce qui concerne la science, les faits probants et les
connaissances? On limiterait un survol rapide du système aux organismes gouvernementaux, mais de nombreux autres participent aux
choix faits au sujet des nouvelles technologies.
L’histoire et le fondement du régime réglementaire à vocation scientifique de la génomique commencent par la recherche en génomique
même (Doern et Prince, 2012, chapitre 3). Il existe deux principaux
axes de financement gouvernemental : ceux de Génome Canada et des
trois Conseils qui investissent dans la découverte et le développement
de la recherche fondamentale en génomique; et les investissements
gouvernementaux à l’interne dans les recherches scientifiques menées
pour étayer la politique publique et la réglementation. Les provinces,
les fondations et en particulier les capitaux privés n’interviennent que
lorsque la recherche progresse et les possibilités commerciales se précisent. Au fédéral, l’Initiative de R-D en génomique (IRDG) (Canada,
4
2012; Conseil national de recherches du Canada, 2010) finance et coordonne sept ministères fédéraux dans le domaine de la recherche en
génomique. Plus de un milliard de dollars ont été investis depuis 1999
dans cinq cycles de financement triennaux. Ces investissements ont
fait naître un nombre assez impressionnant de projets et de découvertes importantes pour les chercheurs et les réseaux de clients de la
génomique, mais les liens avec les enjeux de la réglementation sont
complexes et souvent difficiles à suivre dans le détail. Selon le site
Web de l’IRDG, « des évaluations indépendantes ont démontré que
l’IRDG appuie avec succès les mandats fondamentaux du gouvernement dans les domaines des politiques publiques, de la réglementation
et des opérations » (Canada, 2012, 1). Même si la science réglementaire fait partie du mandat de l’IRDG, l’évaluation la plus récente du
programme n’explique pas avec précision comment les travaux ont appuyé la capacité canadienne en matière de réglementation (Conseil national de recherches du Canada, 2010).
Chacun des organismes fédéraux et des autres organismes de
recherche mène en fait des évaluations réglementaires préalables à la
mise en marché et tous ont leurs propres normes, règles et processus
pour faire des choix qui, dans la pratique, équivalent à des sélections
préalables des applications en génomique, avant qu’elles ne se rendent aux principaux organismes de réglementation des produits et des
processus. Presque toutes les organisations observent maintenant un
ensemble structuré de normes d’éthique (p. ex., l’Énoncé de politique
des trois Conseils : Éthique de la recherche avec des êtres vivants) intégrées dans les engagements des entreprises, les processus de responsabilité sociale d’entreprise (RSE) ou les énoncés de mission et de
mandat.
La plupart des établissements établissent également des pratiques
pour la codification, la diffusion et la déclaration de la propriété de
toute invention ou découverte, ainsi que des règles de biosécurité (intégrées, par exemple, dans les bonnes pratiques de laboratoire ou
d’autres normes professionnelles ou industrielles). Le processus réglementaire, dans les premières étapes, comprend donc les organismes
subventionnaires fédéraux tels que les IRSC, le CRSNG, le CRSH, les
Réseaux des centres d’excellence, Génome Canada et la Fondation
canadienne pour l’innovation parce qu’ils assortissent des processus et
des normes à l’octroi de leurs subventions, dont l’exigence du cofinancement de tiers ainsi que la structure et le rôle de l’évaluation par
les pairs (Lopreite et Murphy, 2009; Levasseur, 2009; Murphy, 2007;
Atkinson-Grosjean, 2006).
Tant que les efforts et les résultats de la recherche restent confinés
aux laboratoires ou aux serres, il n’y a pas vraiment de surveillance réglementaire officielle. Les gouvernements, au Canada et ailleurs dans
le monde, n’interviennent que s’il est proposé d’utiliser une application
de la génomique ailleurs que dans le laboratoire ou la serre et au moment où cela se fait. Le Canada se fonde uniquement sur la nouveauté
d’un produit pour déclencher des évaluations, conformément aux
normes de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Ainsi, l’organisme de réglementation examine les caractéristiques du produit plutôt
que les méthodes de production et de traitement utilisées dans sa fabrication. La nouveauté peut venir du simple transfert d’organismes
dans l’écosystème d’autres régions ou de techniques mutagéniques ou
transgéniques. Dans d’autres régimes nationaux, les évaluations
dépendent plutôt de l’utilisation de méthodes transgéniques, mais les
Le régime réglementaire à vocation scientifique de la génomique :
enjeux et options - Mémoire sur les options stratégiques no 6
efforts continuent de porter sur les risques que pose l’utilisation ou la
consommation des produits qui en sont issus. En pratique, il s’ensuit
que le régime canadien englobe et évalue plus de produits (p. ex., des
variétés de cultures mutagéniques) que les autres régimes concurrents. L’évaluation comme telle au Canada (et dans la plupart des
autres pays) est donc basée sur le cadre d’analyse des risques, reconnu partout dans le monde, qui comprend trois phases distinctes
dans lesquelles interviennent des acteurs différents pour accomplir des
tâches différentes : l’évaluation, la gestion et la communication des
risques (National Research Council, 1983, 1994 et 1996).
À l’échelle fédérale, les organismes de réglementation dont les mandats, les lois, les rôles de réglementation et d’orientation ont trait directement, indirectement ou partiellement à la génomique sont les
suivants : Santé Canada (et plusieurs de ses directions générales telles
que l’Inspectorat de la Direction générale des produits de santé et des
aliments et la Direction des produits thérapeutiques); l’Agence canadienne d’inspection des aliments; Environnement Canada (produits dont
les lois ne sont pas énumérées dans la Loi canadienne sur la protection de l’environnement); Pêches et Océans Canada; l’Agence de la
santé publique du Canada; l’Office de la propriété intellectuelle du
Canada; le Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés; l’Agence canadienne des médicaments et des technologies de la santé;
et le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada. Tous ces
organismes fonctionnent de manière analogue et complémentaire : des
groupes délégués analysent les risques sur lesquels se prononcent ensuite des groupes de gestion de risques avant que l’information ne soit
communiquée au public et aux tiers intéressés. Chaque régime s’efforce de tenir compte des « principes communs de réglementation »,
exprimés dans le Cadre de coopération en matière de réglementation
entre le Canada, les États-Unis et le Mexique, adopté en 2007.
Les produits issus de la génomique sont généralement évalués une
fois seulement au Canada, au fédéral. Il arrive néanmoins que des
provinces jouent un rôle clé. Compte tenu du partage constitutionnel de
la compétence en agriculture, les provinces sont souvent des intervenants importants dans la fixation des priorités, le financement et la
gestion de la recherche agroalimentaire. De plus, de nombreuses
provinces ont en outre développé des créneaux dans la recherche en
génomique en fonction de leurs priorités économiques propres (souvent liées à la santé, à la foresterie ou aux pêches). La Colombie-Britannique et le Québec, par le truchement de Génome BC et de Génome
Québec, en particulier, ont investi dans des concours de recherche sur
des sujets d’intérêt provincial. Les universités sont au moins tout aussi
importantes : elles mènent une grande partie de la recherche fondamentale en génomique. En tant qu’entités provinciales indépendantes,
les universités ont leurs propres dispositions réglementaires et
stratégiques internes concernant l’éthique de la recherche, le brevetage, la commercialisation et la science d’intérêt public (Doern et
Stoney, 2009).
À l’autre extrémité de la chaîne de la recherche, les organismes
provinciaux sont souvent le marché le plus important des technologies
et des services. Les ministères de la Santé et les responsables des formulaires pharmaceutiques décident des produits qu’ils achèteront ou
financeront dans le cadre des programmes provinciaux d’assurance
maladie, y compris les produits ou les services issus de la génomique,
dont les médicaments, les instruments et les tests. Même si les pro-
5
duits peuvent avoir obtenu des droits de brevet et l’approbation de
Santé Canada, cela ne veut pas dire qu’ils seront tous financés par les
régimes provinciaux ou utilisés par eux (Agence canadienne des
médicaments et des technologies de la santé, 2008). Des groupes
provinciaux de professionnels de la santé, de patients, de fournisseurs
de soins et des groupes de défense des intérêts liés à des conditions
médicales font valoir avec énergie leur cause auprès des autorités
provinciales, cherchant ainsi à proposer des produits nouveaux et
améliorés. L’adoption variable de la technologie, ajoutée au lobby inégal des groupes d’intérêt, ouvre la voie à d’éventuels conflits et à un
accès inégal aux médicaments dans les soins de santé.
La réglementation ne s’arrête pas aux frontières nationales. Des organismes internationaux de réglementation et d’élaboration des politiques
exercent une influence directe et indirecte considérable sur le Canada,
à la fois par l’harmonisation des faits probants et des processus de réglementation de la recherche en génomique et de ses applications, et
par divers types d’effets d’émulation et d’exhortation. En plus des liens
scientifiques, commerciaux et réglementaires importants que le
Canada entretient avec ses principaux partenaires commerciaux, en
particulier les États-Unis, l’Union européenne et d’autres États membres de l’OCDE, le pays fait partie d’un éventail d’organisations internationales dont le rôle consiste à normaliser les modèles, les méthodes et
les paramètres de la pratique réglementaire. Les employés des organismes de réglementation communiquent presque quotidiennement
avec leurs collègues des organismes réglementaires compétents
d’autres États pour déterminer les meilleurs moyens de s’acquitter des
tâches vitales de l’identification des dangers, de leur caractérisation,
de l’évaluation de l’exposition à ces derniers et de la caractérisation
des risques. Des réformes récentes apportées à la Food and Drug Administration (FDA) des États-Unis ont aussi eu une incidence sur
l’éventuel programme canadien de réforme de la réglementation (Carpenter, 2010). Il convient aussi de signaler que l’administration Obama
a adopté une position plus stricte concernant la surveillance de
l’éthique de la recherche en génomique (Meslin, 2010). Dans le contexte politico-réglementaire général, le rôle de la religion dans la
recherche sur les cellules souches aux États-Unis a aussi servi d’avertissement dans la culture politique un peu plus laïque du Canada
(Knowles, 2010; Morris, 2007).
IV. Options en matière de politique et
de gouvernance
La principale difficulté réside dans le fait que les organismes de réglementation canadiens se retrouvent dans une situation inextricable :
d’une part, l'industrie et les consommateurs s’attendent de plus en
plus à ce que les investissements publics récents et considérables en
génomique aboutissent rapidement à des avantages réels, et d'autre
part, les processus de réglementation prennent de plus en plus de
temps. Comme l'ont signalé les études de Phillips McDougall et de
CropLife Canada, même si de nombreuses technologies et de nombreux produits issus de la génomique ont relevé le pari réglementaire,
un bon nombre reste encore bloqué dans le système. Diverses approches stratégiques générales semblent possibles : 1) renouveler
l’encadrement fédéral pour perfectionner le régime; 2) optimiser la
coopération et l'harmonisation internationales en réglementation dans
un effort mondial pour réglementer avec efficacité et efficience les in-
Le régime réglementaire à vocation scientifique de la génomique :
enjeux et options - Mémoire sur les options stratégiques no 6
novations issues de la génomique; 3) permettre à l'industrie et à
d'autres de s'autoréglementer, et 4) faire table rase et repartir à neuf
pour mieux tenir compte des aspects socio-économiques. Comme pour
toute approche de nature générale, il existe invariablement des options
secondaires particulières pour chacune des options principales (nous
en mentionnons quelques-unes dans les questions de recherche à approfondir à l'avenir).
4.1
Renouveler l’encadrement fédéral pour perfectionner
le régime
Si l'on pense que ce qui paraît être des retards dans la mise en marché
s’explique par un simple manque d'effort de la part du fédéral, l'approche la plus simple et la plus directe consisterait pour le gouvernement fédéral à perfectionner le système de réglementation dans ce
domaine, puis à y consacrer les ressources appropriées. Certaines
propositions concernant les produits de la génomique peuvent être
mises en œuvre dans le régime fédéral et elles permettraient aux organismes de réglementation de créer ou de modifier rapidement et
nettement des règles existantes qu'on pourrait ensuite utiliser pour orienter les décisions sur les produits encore en attente dans le régime.
Pour ce faire, il faudrait perfectionner le régime réglementaire pour les
caractéristiques des cultures de deuxième et de troisième génération,
mettre en œuvre les règles d'évaluation des animaux et des poissons
génétiquement modifiés, clarifier les règles en matière de tests génétiques et remanier les processus et les méthodes applicables aux
médicaments, aux instruments médicaux et aux thérapies géniques. En
outre, on peut penser qu'il faudrait revoir partiellement les règles de la
propriété intellectuelle pour les inventions issues de la génomique (de
Beer, Gold et Guaranga, 2011; Doern et Prince, 2012).
Même si cela semble simple et facile, rien ne dit que ces modifications
mèneraient d'elles-mêmes à des résultats plus pertinents sur le plan
économique et social. Les organismes de réglementation fédéraux offrent la possibilité d'une consultation avant déclaration, ce qui peut
donner aux promoteurs des produits une occasion de voir les étapes
nécessaires à l'obtention de l'approbation réglementaire, mais un
grand nombre de promoteurs ont hésité à s’impliquer d’avance. La difficulté réside donc en partie dans l'obtention de meilleurs échanges
entre les organismes de réglementation et les réglementés. De plus,
dans certains cas, les retards peuvent ne pas être attribuables à un
manque de volonté, mais plutôt à des préoccupations sous-jacentes
concernant les technologies ainsi que les connaissances scientifiques
et réglementaires dont dispose l’organisme pour évaluer et utiliser ces
innovations.
Il semble aussi qu'il y ait des limites véritables au pouvoir de l'État, de
sorte que même une mesure gouvernementale définitive peut ne pas
aboutir à des résultats efficaces. Les consommateurs et les citoyens
sont bien capables de défier des décisions gouvernementales, et donc
d’acquérir et d’utiliser des technologies et des produits qui n’ont été ni
éprouvés ni approuvés. La nature aléatoire de la définition des risques,
des dangers et des erreurs représente une difficulté peut-être moins
évidente, mais plus fondamentale parce qu’aucune instance ne peut
mettre en place un régime simple et net. La dispersion des responsabilités et des pouvoirs complique aussi la situation, car le pouvoir de
réglementation conféré aux organismes nationaux de réglementation
est partagé avec d’autres organismes nationaux (au moyen d’accords
de reconnaissance mutuelle, par exemple) et diverses organisations in-
6
tergouvernementales internationales, alors qu’en plus, les promoteurs
participent activement aux évaluations.
La médecine personnalisée, fondamentalement basée sur la révolution
de la génomique, pose un problème particulièrement complexe (Boyer,
2010; Crawley, 2008; Economist, 2010; Personalized Medicine Coalition, 2009). S’il s’avère que cette application de la génomique ajoute
effectivement de la valeur au système médical, elle pourrait entraîner
des modifications profondes du régime de réglementation, car le
processus actuel des essais cliniques en trois étapes et l'approbation
connexe des médicaments pourraient être fondamentalement incompatibles avec la personnalisation des médicaments et des doses,
compte tenu du génome et du mode de vie du patient.
Au bout du compte, il en résulte que la plupart des évaluations de produits nécessitent maintenant la consultation importante d’autres autorités et de nombreux sous-éléments imbriqués dans le processus
décisionnel qui contribueront à la décision générale.
4.2
Optimiser la coopération et l'harmonisation internationales
en réglementation
Les processus de coordination et d'harmonisation ont considérablement varié dans leur rythme et leur ampleur au cours des dernières
années. L'internationalisation à la fois des sciences et du commerce a
intensifié la coordination (c.-à-d. l’atténuation progressive des divergences entre les régimes fondés sur des codes de pratiques internationaux volontaires) et l'harmonisation (c.-à-d. la normalisation sous
une même forme de la réglementation) (Davies, 2002). La collaboration
la plus ancienne – qui demeure la plus importante – s'est concentrée
sur la santé humaine et a porté sur les aliments, les médicaments et
les polluants chimiques dans l'environnement. Un grand nombre d’organismes internationaux ont été créés pour coordonner et harmoniser
les risques. Au fil des ans, l'adhésion à ces organismes a augmenté et
maintenant la plupart des pays du monde en font partie et des centaines de comités techniques composés de responsables de la réglementation, de scientifiques et de gestionnaires industriels se
réunissent régulièrement pour examiner de nouveaux risques et élaborer des méthodes de gestion des processus d'évaluation et de gestion de ces risques.
la caractérisation d'un trait introduit ou d'une méthode transgénique,
ce qui fournit une base commune à utiliser dans une évaluation réglementaire d'un produit agricole ou alimentaire issu de la biotechnologie
moderne.
Les organisations susmentionnées et d'autres liés à l’OMC se sont
concentrées sur une interdépendance pratique, ce qui restreint la
gamme des options, mais offre également tout un éventail de tribunes
et de processus pour examiner les questions difficiles des nouveaux
risques et, au besoin, mettre à l’essai des options et résoudre les conflits nés d’interprétations divergentes d’un risque inhérent.
4.3
Donner à l'industrie et à d'autres la possibilité de
s'autoréglementer
En réaction à la lenteur de l'élaboration des règles nationales et internationales, des entreprises individuelles ou des secteurs de l'industrie
ont décidé de s'autoréglementer pour développer et maintenir leur
accès aux marchés. En général, ces systèmes sont efficaces lorsqu'il
est possible de fabriquer un produit ou d'offrir un service en toute
sécurité et de manière économique, mais l'architecture réglementaire
présente des lacunes. Lorsqu’il existe des lois contraignantes sur la responsabilité délictuelle, les gouvernements et les tribunaux, souvent
poussés par des consommateurs mécontents qui ont intenté des recours collectifs, peuvent efficacement orienter le marché, ce que le
gouvernement parvient parfois difficilement à faire s’il agit seul. Il vaut
peut-être la peine de signaler en passant que la plupart des intervenants en recherche en génomique et en réglementation font partie
de groupes épistémologiques de pairs qui imposent les règles et les
normes qui régissent les actions individuelles, ce qui exerce certainement une influence modératrice sur les actions des établissements qui
les emploient.
Ces groupes sont pour la plupart fermés et l'adhésion y est contrôlée
par un groupe d'experts responsable (organismes de réglementation
nationaux, conseillers stratégiques ou chercheurs). Parfois, des organisations comme l'Organisation mondiale de l’alimentation et de l'agriculture (FAO) et l'Organisation mondiale de la santé (OMS) ont cherché
à outrepasser ce système fermé en confiant à des groupes d'experts
indépendants le mandat d'étudier des sujets d'incertitude dans les systèmes internationaux d'alimentation ou de santé, cherchant ainsi à approfondir la compréhension de la façon dont un risque ou un
événement pourrait se manifester.
Il y a des cas où des segments de l'industrie agroalimentaire, en particulier, ont élaboré des systèmes pour vendre des produits conformes à
des normes supérieures aux normes minimales nationales, voire internationales. L'industrie australienne des viandes rouges (Spriggs et
Isaac, 2001), l'industrie canadienne du canola (Gray, Malla et Phillips,
2006; Phillips et Smyth, 2004), des détaillants et des transformateurs
de l'Union européenne, de l'Amérique du Nord et de l'Asie (Phillips et
McNeill, 2001) et l'industrie américaine du maïs ont tous adopté des
normes privées pour se distinguer et contrôler la qualité dans la chaîne
d'approvisionnement. Par exemple, le Conseil canadien du canola a
adopté le programme « Export Ready (prêt à exporter) », conçu par
l'industrie pour obliger les concepteurs de semences à obtenir l'approbation réglementaire étrangère avant de commercialiser de nouvelles
variétés, tandis que l'industrie canadienne du soya met en œuvre un
programme de préservation de l'identité, appliqué par l'industrie pour
distinguer le soya traditionnel du soya génétiquement modifié, ce qui
facilite l'entrée sur les marchés d'exportation à forte valeur du Japon.
D'autres regroupements régionaux et fonctionnels de pays et d'experts
participent également au débat sur la réglementation des risques. L'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE),
dont font partie 34 démocraties à revenu élevé, met en œuvre toutes
sortes de projets pour harmoniser les exigences, les normes et les politiques réglementaires internationales en chimie et en biotechnologie.
Outre la codification des pratiques et l'adoption d'une tribune de discussion pour coordonner l'élaboration des politiques, l'OCDE a créé en
biotechnologie un nouvel instrument quasi réglementaire appelé Document consensuel. Ces rapports scientifiques communément acceptés
(52, janvier 2012) codifient la biologie d'une plante de culture hôte ou
Cette approche fait de plus en plus partie du débat et des efforts
généralisés pour maintenir la coexistence de la production de produits
génétiquement modifiés et non génétiquement modifiés sur les
marchés agroalimentaires de base (GMCC, 2011). Au fil du temps, les
normes privées, complétées par les protocoles d'analyse des risques
et de maîtrise des points critiques (HACCP) ou les cotes de l'Organisation internationale de normalisation (en particulier les séries ISO 9000
et 14000) pourraient, de manière réaliste, compléter la réglementation
publique – en particulier celle qui va au-delà d’un examen étroit des
questions de santé publique et de sécurité. De nouvelles infrastructures matérielles et organisationnelles sont mises en place pour répon-
Le régime réglementaire à vocation scientifique de la génomique :
enjeux et options - Mémoire sur les options stratégiques no 6
7
dre aux exigences du marché en matière de traçabilité et de séparabilité. Déjà l'ISO a mis au point de nouvelles normes d’étiquetage environnemental (ISO 14020 et ISO 14024) qui donnent à l'industrie la
possibilité d'utiliser ces normes pour appuyer des objectifs environnementaux, mais aussi éviter des contestations de nature environnementale de leurs produits sur des marchés nationaux ou étrangers.
Même si elle est actuellement sous-développée, cette approche constitue une possibilité intéressante pour l'industrie qui pourrait gérer son
propre espace réglementaire en créant et en faisant la promotion de
normes industrielles supérieures qui garantiraient l'acceptation à la
fois réglementaire et commerciale de leurs produits. Cette solution est
très intéressante parce qu’elle n’oblige pas l'industrie à se charger de
grands pans de la question réglementaire. Les problèmes peuvent
plutôt être résolus à la pièce, à mesure qu'ils surgissent ou que des
possibilités se font jour – comme par le passé, et les normes privées
pourraient alors être institutionnalisées par référence et reconnaissance dans un régime réglementaire officiel.
4.4
Faire table rase et repartir à neuf pour mieux tenir compte
des aspects socio-économiques
Les applications de la génomique remettent parfois en cause l'architecture actuelle de la science, de la réglementation et des droits de
propriété intellectuelle, ouvrant ainsi la porte à de nouveaux intervenants qui posent de nouvelles questions et qui ont de nouvelles
valeurs, de nouveaux intérêts et de nouvelles croyances.
Pour nombre de personnes, la « science » ne suffit tout simplement
pas. En l'absence d'entente sur ce qui constitue un « consensus scientifique » (Kuhn (1970) a appelé ce consensus un « paradigme » qui intègre des théories connues et des preuves connues, ou «
connaissances connues»), on ne peut déterminer avec certitude quand
l’apport scientifique est suffisant. De nombreuses personnes ne se
contenteront pas de la simple élucidation des inconnus de Kuhn (c.-àd. les cas où nous avons soit un manque de théorie, soit un manque de
preuves) parce qu’elles soutiendront que les paradigmes ne sont que
de simples reflets des systèmes de pouvoir prédominants et non des
vérités absolues.
ronnement ». La Commission des communautés européennes a établi
des lignes directrices pour utiliser sa version avec transparence sur le
plan politique : « les mesures […] ne doivent pas être disproportionnées par rapport au degré souhaité de protection et ne doivent pas
viser l'absence totale de risque […] Des situations comparables ne
doivent pas être traitées différemment et […] des situations différentes
ne doivent pas être traitées de la même manière, à moins qu'il y ait
des motifs objectifs de le faire, afin que […] les mesures […] soient
comparables dans leur nature et leur portée aux mesures déjà prises
dans des secteurs équivalents dans lesquels il existe toutes les données scientifiques […] Les mesures doivent être de nature temporaire,
en attendant la disponibilité de données scientifiques plus fiables […]
La recherche scientifique doit se poursuivre afin d'obtenir des données
plus complètes » (Commission des communautés européennes, 2000,
p. 19 21 de l'anglais – traduction libre). Le droit international est contradictoire en ce qui concerne la façon de traiter le principe de précaution – l'OMC présente un processus à vocation scientifique étroit pour
gérer ce principe tandis que le protocole de Carthagène sur la biosécurité prévoit une définition plus large de la précaution qui pourrait mener
à une prolongation des délais. Le Canada et les États-Unis rejettent
l’interprétation du principe de précaution de l'Union européenne et du
Protocole de Carthagène sur la biosécurité (qui, selon les deux pays, a
été utilisé pour retarder excessivement les décisions), mais les deux
pays utilisent néanmoins le principe de précaution comme principe directeur dans leurs systèmes d'évaluation. La différence semblerait
résider davantage dans l'intention et l’effet que dans les principes
généraux.
Ceux qui ne souhaitent pas simplement poursuivre le travail lent et patient de la découverte des inconnus se classent généralement en deux
camps. Certains veulent un ensemble de règles entièrement nouveau
qui reflétera les nouvelles normes, tandis que d'autres veulent simplement un moyen de suspendre le processus pendant un certain temps.
Dans les deux camps, leurs tenants ont cherché à utiliser la nouvelle
norme de « précaution » pour tenter d'obtenir un résultat différent
(Vogel, 2012). Tous les pays ont intégré dans leurs régimes une forme
ou une autre de précaution, soit en l’indiquant officiellement, soit en
l'utilisant officieusement, ce qui leur permet de retarder ou de suspendre leur jugement sur un produit soupçonné de comporter des
risques inacceptables et irréversibles.
Ceux qui souhaitent un changement plus permanent du système de
pouvoir cherchent à mettre les aspects socio-économiques (ASE) au
centre de la prise de décisions. Certains affirment que l'ampleur des
ASE n'est pas entièrement vérifiée dans l’OMC – le préambule de l'Accord de Marrakech (1994) parle de : « […] l'objectif de développement
durable, en vue à la fois de protéger et préserver l'environnement […]
». On ne précise pas clairement, en particulier, de quelle souplesse et
de quel espace stratégique les États disposent dans les ententes secondaires. L'évaluation du risque en vertu de l'Accord sur l'application
des mesures sanitaires et phytosanitaires (Accord MSP), par exemple,
suppose déjà un mélange d’aspects scientifiques et économiques : «
les Membres tiendront compte, en tant que facteurs économiques pertinents : du dommage potentiel en termes de perte de production ou de
ventes dans le cas de l'entrée, de l'établissement ou de la dissémination d'un parasite ou d'une maladie; des coûts de la lutte ou de l'éradication sur le territoire du Membre importateur; et du rapport
coût-efficacité d'autres approches qui permettraient de limiter les
risques » (article 5.3). Entretemps, d'autres possibilités ont été mises
au jour dans lesquelles on reconnaît les aspects socio-économiques et
ces derniers pèsent parfois plus lourd que les aspects scientifiques
dans les décisions.
La première description de la précaution a figuré dans la Charte mondiale de la nature de 1982. Depuis, la politique a été reprise dans de
très nombreux régimes réglementaires nationaux et internationaux. Le
principe no 15 de la Déclaration de Rio sur l'environnement et le
développement, adoptée en 1992, prévoit que « i) pour protéger l'environnement, des mesures de précaution doivent être largement appliquées par les États selon leurs capacités. En cas de risque de
dommages graves ou irréversibles, l'absence de certitude scientifique
absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l'adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l'envi-
Ceux qui opposent à l'ouverture du système réglementaire à des aspects qui relèvent moins de la science craignent que cela n'entraîne
plus de paperasserie administrative, nuise à la prévisibilité réglementaire et ne retarde l'innovation. Ces mesures pourraient également
nuire au travail de défense du commerce canadien, qui souvent s'appuie sur les arguments scientifiques pour ouvrir et maintenir des
marchés étrangers pour les biens canadiens. Modifier la politique
canadienne pour les applications de la génomique pourrait créer un
précédent susceptible d’avoir des conséquences inattendues sur
d'autres aspects de l'économie canadienne.
Le régime réglementaire à vocation scientifique de la génomique :
enjeux et options - Mémoire sur les options stratégiques no 6
8
V.
Application et considérations pratiques
Lors de la Conférence sur les politiques scientifiques canadiennes en
novembre 2011, trois commentateurs, d’autres évaluateurs et des participants à l’atelier qui a suivi ont abordé certains des problèmes pratiques qui ressortent de l’analyse qui précède. Trois aspects précis se
dégagent de l’évolution constante du régime à vocation scientifique de
la génomique.
Premièrement, même si les quatre options en matière de politique et
de gouvernance prévoient des cibles de changement différentes et distinctes, elles se recoupent et interagissent les unes avec les autres.
Ainsi, les scènes fédérale et internationale, celles de l’autoréglementation et des aspects socio-économiques sont toutes susceptibles de
changer autant sous l’effet des pressions internes, qu’en réaction au
resserrement des liens entre elles et d’une complexité croissante. Chacune de ces scènes représente simultanément des sphères spatiales
et des niveaux multiples de questions politiques, de pouvoir, de gouvernement par opposition à gouvernance, de valeurs, de science et de
connaissances liées à la génomique ou qui en sont issues. On a
d’ailleurs proposé dans les discussions que le gouvernement fédéral,
en concertation avec d’autres intervenants, prenne des mesures explicites pour que le public acquière une meilleure compréhension de
base du régime actuel.
On peut se demander, deuxièmement, si le régime actuel peut suffire,
compte tenu des défis à relever et si, globalement, ces défis nécessitent l’adoption de nouvelles lois et de nouveaux règlements ou s’il vaut
mieux, tout bien considéré, viser un changement graduel. Il existe déjà
des lois et des règlements et de nombreux praticiens de la réglementation, devant l’incertitude technique et politique considérable, affirment que les lois et les règlements sont complexes, qu’il est long de
les modifier et de passer au travers de tous les processus du Parlement ou du Cabinet, en particulier si ces lois et règlements nécessitent une coordination et un accord fédéral-provincial ou international.
Cette logique nous incite à envisager des approches moins contraignantes en ce qui concerne les orientations et les lignes directrices, de
même qu’une une approche relevant de la gouvernance plutôt que du
gouvernement. Les discussions en atelier ont illustré les dilemmes. Les
annonces de la Directive du Cabinet sur la rationalisation de la réglementation (DCRR) et du Plan de renouveau de Santé Canada concernant les approches axées sur les cycles de vie laissaient entrevoir
l’imminence de grands changements, mais les deux ont jusqu’à maintenant relevé davantage des aspirations que des opérations. De même,
malgré les efforts soutenus pour obtenir une meilleure coordination et
harmonisation sur la scène internationale, l’ampleur du changement
possible dépend de divergences dans l’économie politique fondamentale de l’Amérique du Nord et de l’Europe. Il semble actuellement y
avoir plus de possibilités de convergence dans les processus d’orientation de la réglementation des produits de santé que dans ceux des
domaines de l’agriculture, de l’alimentation, des pêches et de l’environnement.
tionale et internationale, qu’il serait difficile, voir impossible, de codifier
dans une loi ou un règlement. Il est fort difficile de savoir s’il est possible d’aller plus loin dans l’orientation ou s’il s’agit inévitablement d’une
question de jugement réglementaire qui restera à la discrétion des organismes de réglementation de première ligne.
VI. Questions de recherche pour l’avenir
Il est ressorti de la préparation du présent mémoire cinq sujets que la
recherche devrait approfondir.
6.1 Comment, précisément, et dans quelle mesure les différentes
formes de l’autoréglementation complètent-elles ou renforcentelles le régime officiel actuel de réglementation à vocation scientifique?
6.2 Quelles formes la DCRR et l’approche de surveillance centrée sur
le cycle de vie après la mise en marché de Santé Canada devraient-elles prendre? Devraient-elles demeurer une aspiration
de la politique et de la gouvernance ou est-il possible de les mettre en œuvre? Comment pouvons-nous et devons-nous créer un
équilibre entre l’efficacité, l’efficience et les idéaux démocratiques tout au long du cycle de vie?
6.3 Les processus périodiques d’évaluation à grande échelle de la
technologie sont-ils souhaitables pour compléter le système
actuel d’évaluation axé sur les nouveaux produits? Le régime
actuel de réglementation à vocation scientifique de la génomique
ne vise pas à réglementer la génomique comme une technologie
de transformation en soi, mais plutôt comme des applications et
des produits nouveaux particuliers. S’il faut un examen plus approfondi, comment pourrait-il être structuré (p. ex., des examens
périodiques tous les cinq ou sept ans)? Comment les experts et le
public devraient-ils y prendre part?
6.4 Au lieu de tenter de modifier sommairement l’ensemble national
actuel d’évaluations réglementaires pour y tenir compte de nouvelles perspectives, est-il possible d’envisager une approche totalement nouvelle qui pourrait à la place offrir un processus
d’évaluation et de science réglementaire d’accès libre et mondial
qui ferait autorité? Étant donné qu’un seul pays n’a pas toute la
compétence pour effectuer les tâches actuelles, y a-t-il moyen de
mettre en commun nos ressources et nos compétences pour renforcer le régime, ce qui améliorera à la fois sécurité et l’innovation?
6.5 Dans le contexte des mesures fédérales d’austérité, des réductions budgétaires et de compression des effectifs, les capacités
de base en réglementation basée sur les sciences et les faits
probants sont-elles maintenues? De plus, y aura-t-il assez de
ressources pour acquérir les nouvelles capacités que l’évolution
de la recherche et la multiplication des produits en génomique
rendront nécessaires, tant en volume qu’en complexité?
On peut aussi se demander, troisièmement, s’il est possible dans la
pratique d’être plus clair pour faire la distinction entre les fonctions de
réglementation et les considérations promotionnelles. De façon tout à
fait légitime, le gouvernement canadien est préoccupé par la mise en
place de la réglementation et l’évaluation des applications de la
génomique, tout en participant à la promotion et au déploiement de
l’innovation issue de la génomique. La difficulté à cet égard réside
dans le fait que les deux rôles créent de nouveaux liens, à l’échelle na-
Le régime réglementaire à vocation scientifique de la génomique :
enjeux et options - Mémoire sur les options stratégiques no 6
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