La tempête aspirant au murmure
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La tempête aspirant au murmure
La tempête aspirant au murmure Un léger craquement retentit dans l’escalier. Les chevaux dressèrent l’oreille, soudain attentifs. Une silhouette voûtée apparut enfin. La respiration sifflante, l’homme se dirigea à pas hésitants vers les soupiraux qui bordaient le haut des murs de l’écurie, et ouvrit grand les plaques métalliques qui les bouchaient. Une lumière vive jaillit et fit cligner le vieil homme des yeux. Un tic nerveux agita sa bouche sillonnée de rides. Lentement, il traversa la pièce, gratifiant chacune de ses bêtes d’une caresse sur la tête ou d’une parole douce. Il se planta soudain devant une stalle encore obscurcie de nuit. Le petit cheval qui s’y trouvait allongé se leva d’un bond et le salua d’un hennissement joyeux. Le vieillard contempla un instant sa robe d’un noir terni par la poussière et ses crins emmêlés. -Maudite bestiole, maugréa-t-il sans conviction car le cœur n’y était pas, t’aurai pas pu faire attention, hein ? Te voilà tout plein d’paille, maintenant ! Et qui c’est qui va d’voir te brosser ? Le vieux Silvan, pour sûr ! Ah, c’est pas l’patron qui s’bougerait l’derrière, hein ? Néanmoins, il saisit à pleine main le licol de l’animal et le mena hors de sa stalle en riant. Rire qui se transforma bientôt en une quinte de toux sèche et inquiétante. Il l’emmena vers la rampe qui leur permettrait de sortir à l’air libre, de la même démarche chancelante, de sorte qu’on ne pouvait dire qui du cheval ou du vieillard guidait et soutenait l’autre. Le petit cheval noir souffla doucement, comme pour encourager son palefrenier. Cela faisait si longtemps que Silvan travaillait pour Tils Elhom, un petit marchand de chevaux originaire de la région d’Al-Jeit. Tils, peu à peu embourbé par la concurrence des grands éleveurs reconnus de la capitale, s’était finalement retranché dans le Nord, espérant faire profit des petits chevaux des alentours de la Citadelle des Frontaliers. Tout en finesse, frugaux, un caractère ombrageux mais rapides comme l’éclair, ils en séduisaient plus d’un, sans compter que certains associaient leurs qualités légendaires à Merwyn Ril’Avalon lui-même. Silvan glissa sur les pavés humides. Une pierre roula son pied, et il se sentit partir en arrière. Il attrapa de justesse une poignée de crins. L’animal, surprit, fit un écart, et le traîna sur quelques pas dans la poussière. Silvan gémit et se laissa tomber à terre. -Ouragan…Ouragan ! Comment me traites-tu, moi qui suis si vieux et qui t’a soigné tant de mois durant ?... Il se releva péniblement, les jambes flageolantes, et gravit les derniers mètres qui le séparaient de la porte. Le cheval souffla bruyamment, contrarié. Ouragan ! Qu’il le détestait, ce nom ! Pourquoi pas Tempête, Rafale ou Bourrasque, tiens ! Tant de violence contenue dans un seul mot. Un seul nom. Son nom. Il aurait cent fois, mille fois préféré que son caractère imprévisible et ombrageux n’empêche pas son éleveur de choisir quelque chose de doux, de paisible et d’harmonieux, porteur de sens pour celui qui l’accompagnerait. De se sentir important, car on est le symbole d’un souvenir. Un souffle chaud. Une parole, chuchotée à son oreille. Qui scellerait le Pacte et lui ouvrirait la Nuit. Mais autant qu’il puisse se le remémorer, aucun des quatre propriétaires qu’il avait mené sur les chemins de Gwendalavir durant sa courte vie n’avait pu lui offrir tout cela. Ni Khaïn Waydin, le soldat à la recherche d’une monture d’apparat, qui avait vu en Ouragan le cheval parfait pour ses parades militaires. Ce dernier n’avait néanmoins pas supporté les longues heures à défiler devant des officiels, pliant sous le poids de l’armure de son cavalier, le flanc meurtri par les éperons à étoiles et les sabots abîmés par les galops forcés sur les pavés. Waydin avait d’ailleurs vite été dépassé lorsqu’il s’était tout bonnement arrêté net au milieu d’une avenue, provoquant des embouteillages monstres au passage, et avait refusé obstinément de bouger jusqu’à ce qu’on daigne mettre pied à terre et le ramener à l’écurie ! Ni le marchand qui l’avait acquis au cours d’une vente aux enchères organisée par la maison. Illdin Oko avait lui aussi succombé au charme d’Ouragan, bien qu’il sût que ce n’était pas le physique de bête à tirer de lourds attelages. Porter le bât avait été une torture. Le mauvais cuir cisaillait sa peau et la charge semblait sans cesse plus dure à déplacer. Le marchand s’en rendait bien compte. Il avait pris un air fortement embêté, et, au bout de cinq jours de voyage, avait confié sa marchandise à un ami qui tenait une ferme dans les environs et avait fait demi-tour sur le dos d’Ouragan. Se sentir libéré de la charrette avait été une telle joie qu’il mena son cavalier au grand galop tout au long du chemin du retour. Le trajet leur prit à peine deux jours. Ni la fille de Tils Elhom, Arkya la Frontalière. Elle aurait pu. Elle montait bien, elle n’était pas lourde dans la selle, et aucune bride trop compliquée ou rênes combinées n’entravait les mouvements de Ouragan. Elle aurait pu être celle qui lui offrirait tout cela. S’il n’y avait pas eu la froideur. Une froideur de mort. Elle tuait de sang-froid, sans se poser de question. Que cela soit Raïs, siffleurs…Humains, aussi. Son sabre décrivait la même parabole étincelante avant d’infliger la blessure fatale. Rafale, dans ces moments, fut d’abord horrifié. Puis il devint las. Las de tout ce sang qui maculait sa robe, las de ce frisson glacée qui le parcourait lorsqu’elle l’enfourchait. Las de ce cœur froid et inaccessible. Il y avait même eu une certaine Mérila Kil’ Tor. Une femme jeune, noble, et terriblement arrogante, hautaine, suffisante, vaniteuse et méprisante. Ouragan ignorait encore qu’on pouvait haïr quelqu’un. Haïr ce quelqu’un qui le haïssait. Haïr ce quelqu’un qui lui enveloppait les membres avec des mailles d’acier pour les lui faire lever plus haut. Haïr ce quelqu’un qui avait exigé de Silvan qu’il le batte pour le punir. Le punir de quoi ? Il n’avait pas compris. Aucun. Aucun n’avait été capable de lui accorder ce dont il avait toujours rêvé. Et il devait se résigner. C’était pourtant évident : Il en attendait trop des humains. Silvan ouvrit un battant de la porte. Un nouveau flot de lumière entra, les aveuglant tous deux quelques instants. Le soleil inondait une petite cour, où quelques chevaux attendaient déjà, attachés court à des anneaux fixés aux murs. Le petit cheval noir subit bientôt le même sort, ancré entre une grosse jument pie et un grand alezan à la robe flamboyante. Autant dire que ça n’était pas ce jour-ci que quelqu’un le remarquerait. Et au fond, c’était tant mieux. -Quel âge a-t-il ? -Six ans, madame. -Vous ne l’avez pas dressé au combat, bien sûr. -Bien sûr que non, madame. Tous nos chevaux ont reçus un dressage polyvalent. Cependant, si je puis plutôt vous conseiller le grand alezan qui se trouve juste à côté de lui… Ce serait un cheval parfait pour vous. Il est élégant, possède de magnifiques allures, et… -Je ne pense pas que vous sachiez mieux que moi le genre de cheval qu’il me faut. Tils eut un mouvement de recul devant cette agressivité inattendue. Néanmoins, il ne se démonta pas : -Je vous prie de m’excuser, madame, mais le cheval que vous désirez a provoqué nombre de problèmes, et en a fait choir plus d’un ! La jeune femme à la longue tresse noire qui lui faisait face afficha un sourire carnassier. -C’est précisément pour cette raison que je le veux. -Euh…très bien. Je vous laisse faire connaissance, le temps de prévenir le palefrenier. Il s’éloigna vers son bureau, visiblement décontenancé. La jeune femme s’approcha du petit cheval noir et le libéra d’une main habile. Elle le mena avec précision au centre de la cour. Elle l’enfourcha d’un geste léger. Quand elle se pencha sur son encolure, l’animal resta immobile. Un chant mélodieux sortit de ses lèvres, se glissa dans l’oreille du cheval et le toucha en plein cœur. C’était un chant qui le transportait. Qui le menait au grand galop sur les chemins herbeux, entre les étoiles et la lune, dans un silence complet. L’Harmonie parfaite. Il tressaillit. -Comment s’appelle-t-il ? demanda la voix douce. -Il n’a pas de nom, affirma l’autre voix – mais à qui appartenait cette voix, déjà ? La voix douce se mua en un chuchotement, tout au creux de son oreille. Rien que pour lui. -Il s’appelle Murmure… Le petit cheval noir soupira. Enfin. de : Amandine Imbert en espérant qu’où qu’il soit en ce moment, feu M. Pierre Bottero puisse se réjouir d’avoir atteint la gratitude offerte aux plus grands, et j’entends par là de continuer à exister pour nombre d’entre nous aux travers de ses œuvres.