Des enjeux éthiques de la question : "les stérilisations pratiquées en

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Des enjeux éthiques de la question : "les stérilisations pratiquées en
RevueEurooéenne
du HondicooMentol
1998,V01.5,
N" 18,pages36 à 16o S.N.A.PE.I.
Des enjeux éthiques de la question :
"les stérilisations pratiquées en
France relèvent-elles de
I'eugénisme?"
Danielle Movse*
En août 1997, Ia presseinternationalefaisait connaîtreau grand public I'existencede
stérilisationsforcéespratiquéessur la personne de 70.000suédois de 1945à 1976,et
rappelaitainsique I'eugénisme,loin d'êtreI'apanagedes gouvernementsd'ertrême-droite,
avait pu être mis en oeuvre par un régime social-démocrate.Aussi,lorsque le mois
suivant,dans le sillage de cette explosionmédiatique,fut égalementrévéléela pratique
de stérilisationsnon consenties effectuées en France sur des jeunes femmes
handicapéesmentales,la questionsuivantefut immédiatementposée : "les stérilisations
réaliséesen Francerelèvent-ellede l'eugénisme?" Cet article entreprendd'examinerles
enjeuxéthiquesd'une telle question.
uand le 9 septembre1997', Virginie,
désignée comme <handicapée
mentale>, révéla à la télévision
françaisequ'elle avait subi une stérilisationà
s o n i n s u à I ' o c c a s i o nd ' u n e o p é r a t i o nd e s
h a n c h e s; l o r s q u e P h i l i p p e e t s a c o m p a g n e
Nicole, pareillement étiquetés, vinrent
témoignerau coursd'une émissiondiffuséesur
France 2 le 6 octobre suivant,de la souffrance
des jeunes femmes de leur connaissancequi
avaientégalementsubi une stérilisation
qu'ellesn'avaientpaschoisie; lorsqueMarcelle
enfin vint dénoncerla ligaturedes trompesque
I'on avait pratiqué sur sa personnesans I'en
informer pendant une opération d'appendicite
en 1954, parce qu'elle était sous la
responsabilitéde fonctionnairesde I'Assistance
Publiquequi jugèrentcet acteopportun,peu leur
importait au fond que ces interventions
chirurgicales,visiblementressentiescommedes
violences,soientou non de l'"eugénisme".
Pourtant, dès que les médias français
' C.E,M.S,- 54 bld Rospoil75006 Poris- Fronce
?A
évoquèrent la pratique clandestine de
s t é r i l i s a t i o n sn o n c o n s e n t i e st o u t s e p a s s a
c o m m e s i n o u s a v i o n s b e s o i nd u c o n c e p t
d'(eugénisme>,affecté du fort coefficientde
dramatisationqui lui est attachéen raison de
son associationsystématique
au nazisme,pour
nous déterminervis-à-vis d'interventionsqui
apparaissaientpourtant comme une atteinte à
I'intégritédes individusles ayantsubies.Si les
journauxtitraient: "il n'y a paseu d'eugénisme
à la française2",il était implicitement entendu
que le phénomènedes stérilisationsen France
n'était pas si problématique que voulaient le
l a i s s e r e n t e n d r e c e u x q u i p r é t e n d a i e n te n
dévoiler la réalité souterraine: inversement,si
I'on en venait à affirmer que ces mêmes
pratiquesfaisaient <planerl' ombre inquiétante
d e I ' e u g é n i s m e 3 , 'e, l l e s é t a i e n t p r é s e n t é e s
comme tout à fait condamnables.
L'élucidation de la question,.les
stérilisationspratiquéesen France relèventelles de I'eugénisme?>, importe donc dans Ia
RevueEuropéenne
du HondicooMentol
ons zrvlEux ETHIQUES
DEra, QUESTION
: Lps srÉnntstTloNs .RATIQUÉrSCr,trneNCr...
mesure où il semble que nous fassions
dépendrede la réponseque nous lui donnerons
le jugement que nous porteronsFrnalementsur
cette pratique,bien qu'il faille espérerque nous
pourrons un jour nous émouvoir d'actions que
les intéressésvivent comme une mutilation
même si elles ne sont pas misesen scènepar le
recoursà un concept,ici, celui d'<eugénisme>,
destinéà soulignerune gravitéque nous serions
incapablesde percevoir sanslui.
1 - Rappelshistoriques
concernant I' eugénisme
Notons en I'occurrenceque c'est d'ailleurs
au prix d'un gauchissement
historiqueet d'une
vision partiellede I'eugénismequ'est obtenue
l a d r a m a t i s a t i o ne n q u e s t i o n .A u d é b u t d u
siècle, plusieurs scientifiquesaffirmèrent
e f f e c t i v e m e n tl a p o s s i b i l i t é d e d i s s o c i e r
I ' e u g é n i s m ed u r a c i s m e e t e n d é n o n c è r e n t
I ' a p p l i c a t i o n p a r l e n a z i s m e .I l e s t d o n c
nécessairede rappelerque, même si le nazisme
a jeté sur I'ensembledu phénomèneune ombre
si funesteque I'expressiond'"eugénismenazi"
est pour ainsi dire devenueun pléonasmeau
r e g a r d d e l a c o n s c i e n c ec o l l e c t i v e a ,i l f a u t
ajouter que l'appréhensionla plus extensive
possible de I'eugénismedoit nous amener à
considérer comme relevant de ce mouvement
des pratiques que nous en exclurions
naturellement,si nous ne devions voir en lui
qu'un mouvement historique et social
systématiquementassociéà une extermination
de masse.
En 1927,M.T Nisot mentionnairainsi parmi
l e s m e s u r e sd e I ' e u g é n i s m eu n e n s e m b l e
d'actions dont nous avons aujourd'hui oublié
qu'elles étaientautrefoiscomptéespar certains
au nombre des mesureseugénistes.
<Il faut signaler <parmi celles-ci>, disaitelle à ce propos : l'éducation morale qui,
notamment, tend au moyen de normes
p r é a d m i s e s ,à r é p a n d r e l a c o n v i c t i o n q u e
I'intérêt de la collectivité doit prévaloir sur les
sollicitations de l'égoïsme et des passions;
l'éducation sexuellequi fait prendreconscience
à I'individu des périls dont il est menacédans
sa sânté,ainsi que de la responsabilitéqui lui
incombe à cet égard vis-à-vis des générations
futures ; la rééducation des anormaux, qui
permet à certainsdégénérésde mener une vie
normale et de subvenir à leurs besoins ; les
mesuresd'hygiène sociale.Ces dernièresqui
n e s o n t q u ' e u t h é n i q u e s s ,a n sc o n s t i t u e rd e s
mesures eugéniques proprement dites,
contribuentà I'amélioration de la race.
Beaucoupd'eugénistesd'ailleurs ne font pas
cette distinction et, dans de nombreux pays où
les principesde I'eugénismesont encore peu
connus et les moeurs insuffisammentpréparés
à lesrecevoir,les mesuresd'hygiènesocialesont
les seuls facteurseugéniquesmis en æuvre6n.
C'est bien pourquoi certainsdictionnaires
d o n n e n t d e I ' e u g é n i s m eu n e d é f i n i t i o n q u i
restitue au mot une certaine neutralité
s é m a n t i q u e .P a r e x e m p l e , l e T r é s o r d e l a
L a n g u e F r a n ç a i s ep r é s e n t e - t - i lI ' e u g é n i s m e
comme <ensemblede recherches(génétiques,
biologiques)et de pratiques(morales,sociales)
qui ont pour but de déterminerI'ensembledes
conditionsqui ont pour but de déterminer
I ' e n s e m b l ed e s c o n d i t i o n s f a v o r a b l e sà l a
procréationde sujets sains et, par là même,
d'améliorer la race humaine". Outre que cette
définition ne mentionnepas la volonté de faire
prévaloir une race sur une autre, mais
d'améliorerla racehumaineen général,ce souci
n'apparaît lui-même que comme une
c o n s é q u e n c e ,t a n d i s q u e I ' i n t e n t i o n d e
"déterminer I'ensemble des conditions
favorablesà la procréationde sujetssains>passe
au premier plan.
Dans la mesure où Ie souci d'instaurer les
circonstancespropicesà la naissanced'enfants
en bonne santé n'a évidemmentrien de
répréhensibleen soi, le mot d'<eugénisme>
pourraitdoncavoir unefonctiondésignativesans
impliquer la condamnationde ce qu'il nomme.
En effet, s'il s'agissaitseulementde combattre
2.7
RevueEuropéenne
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ÉTHreuEsDEr-4.eUESTI)N: Lrs srÉnntstrroNs pRATreuÉes
DEsENJEUX
tu rne,ttce...
les maladies,il serait parfaitementpossible de
prononcerla phrase : <<c'est
de I'eugénisme"
comme un simple jugement de fait, si toutefois
la réductiondu "bien naîtreo aux naissances
indemnesde maladiesn'était en son fond déjà
problématique.Malheureusement,
le souci de
la bonne santédes enfantsà naître,ne s'est pas
réduit aux soinsapportésà cesderniersni même
aux soinsdispensésaux mèresqui les mettaient
a u m o n d e : I ' e u g é n i s m es ' e s t b i e n p l u t ô t
déployépar le moyen d'une sélectionartificielle
des naissancesdont I'objectif était de faire
contrepoidsà la dégénérescence
de I'espèce
supposémentoccasionnéepar les progrèsde la
médecine.D'aprèsleseugénistes
de la première
heure, celle-ci avait effectivement freiné la
.,sélectionnaturelle>qui ne maintenaiten vie
que les plus robusteset il fallait donc rectifier
cettetendancepar une sélectionrationnellement
organisée.Ainsi, Jean-PaulThomas note-t-il
d a n s l e s F o n d e m e n t sd e I ' e u g é n i s m e :
"L'eugénismeest un programmede sélection
artificielle dont I'objet est de rétablir la
sélectionnaturelledanssesprérogativesT"
. C'est
b i e n p o u r q u o i , l o i n d e s e c a n t o n n e rà u n e
é d u c a t i o n s e x u e l l e s o u c i e u s ed ' é v i t e r l a
t r a n s m i s s i o nd e s m a l a d i e s o u à I ' a t t e n t i o n
portée aux femmes enceintes,I'eugénismea
employé des procédésd'une brutalité variable
dont M-T Nisot nous donne encore une liste
précise :
<Nous traiterons,dit-elle, des principaux
moyensappliquésou simplementmis en valeur
<...> en vue de I'améliorationde la race".
Or, les principalesmesuresmentionnéessont
les suivantes:
" L a s u p p r e s s i o np u r e e t s i m p l e d e s
indésirables,la stérilisation des tarés par la
vasectomieet la salpingectomie,la castration,
la ségrégation,la lutte contre le métissage,la
réglementation de I'immigration, la
réglementationdu mariagesn.De sorte que la
stérilisationapparaîtnon seulementau nombre
des procédéseugénistesmais au nombrede ses
principales méthodes.
JÔ
2 - Les raisons avancéespour
contester l' appartenanc e à
l'eugénisme des stérilisations
faites en France
Il convient alors de se demanderpour
quelles raisons, plusieursjournaux et
personnalitésinterrogéessur la question des
stérilisationspratiquéesen France ont affirmé
que la situation de notre pays ne relevait
nullementde I'eugénisme.Ainsi, l'Événement
du jeudi publiait-il le l8 septembre1997 un
article tiré de la façon suivante: <Il n'y a pas
eu d'eugénismeà la française.Des handicapées
mentalesauraientété stérilisées.
C'est vrai. Il
s ' a g i s s a i td e l e u r é p a r g n e rd e s g r o s s e s s e s
a c c i d e n t e l l e s >L. e Q u o t i d i e n d u m é d e c i n
écrivait dans le même esprit : <Il n'y a pas eu
d'eugénismeen France. On évite qu'un être
humain se trouve dans une situation qui
empêcheraitsa prise en charge".En octobre97,
l e s " D o s s i e r s e t D o c u m e n t s >d u M o n d e
r é s u m a i e n tà l e u r t o u r I ' a r t i c l e c o n s a c r éà
<l'ombre inquiétantede I'eugénisme>,de la
manière suivante : "En 1907, certains États
américainsont promulguédes lois autorisantla
stérilisationforcée de personnesconsidérées
comme dangereusesou inutiles à la société ; à
pafiir de 1935,les gouvernementssuédoisy ont
égalementrecouru. Dans une moindre mesure
la Norvège et la Finlande ont suivi. En France,
sans parler d'eugénismee,on stériliseencore
sousIa contrainte,à la demandedes familles ou
des médecins."
L affirmation suivant laquelle les
stérilisationspratiquéesen France ne relèvent
pas de I'eugénisme se prévaut en effet de la
comparaisonavec d'autres pays : alors que
plusieurs États américains et les pays
scandinavesse sont dotés d'une législation
autorisantla stérilisationsansle consentement
de I'intéresséou I'imposant même à certaines
personnes,la France possèdeà cet égard pour
particularitéd'avoir une législationabsolument
prohibitive. Ainsi, I'article 16-3 du Code Civil
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ETHIQUESDE IA, QUESTIoN: LES STERILISATIaNS
DESEN.JEUX
PRATIQUÉ,Es
EN FRANCE...
introduitpar la loi n" 94 653 du 29 juillet 1994
déclare-t-il : <il ne peut être porté atteinte à
I'intégrité du corps humain qu'en cas de
nécessitéthérapeutiquepour la personne.Le
consentementde I'intéressé doit être recueilli
préalablementhors le cas où son état rend
nécessaireune intervention thérapeutiqueà
laquelle il n'est pas à même de consentir". A
cette différence,une certainefaçon d'envisager
le problème ajoute que notre pays aurait pour
spécificitéde ne pratiquerdes stérilisationsque
sur des personneshandicapéesmentales,tandis
q u e n o s v o i s i n s s c a n d i n a v e sp a r e x e m p l e
auraienteffectuéces mêmesopérationssur des
personnesen échec scolaire,ou sur des ocas
sociaux'r.Il est égalementlaissé entendreque
plus le ..handicap" du sujet concernéest
profond, moins cela relève de I'eugénisme
q u a n d o n l e s t é r i l i s e .A i n s i , l ' é m i s s i o n l a
Marche du siècle consacréeà cette question le
l" octobre 1997 présentait-elle
le témoignage
d'une femme suédoisestériliséeà son insu alors
qu'elle n'était atteinte d'aucune infirmité
particulière.Au contraire,les témoins français
étaient constituésde personnessouffrant de
trisomie 2l accompagnéesde leurs parents,
d'une jeune femme dont le trouble mental,plus
léger, était en tout cas perceptible,et du père
d'une jeune femme profondémenthandicapée
stériliséeà l7 ans sur la demandede sa famille.
En d'autre termes, était implicitement
mentionnéque la France se distinguait par le
fait que seulesdes personnesmanifestement
handicapéesavaientété stérilisées,et que pour
cette raison, il ne s'agissaitpas vraiment
d'<eugénisme>.
Enfin, et plus banalement,le refus de parler
d'un éventuel "eugénismeà la française>
s'appuie sur I'affirmation que les médecins
français n'ont privé aucun sujet de ses
capacitésprocréatricespour des motivations
racistes,au senshabituelque nous attribuonsà
ce terme, c'est-à-direpar volonté d'exclure du
..droit à la procréation> des êtres humains
appartenantà une ethnieparticulière.C'est ainsi
q u ' i n t e r v i e w é p a r l ' É v é n e m e n td u j e u d i , l e
S é n a t e u rL . N e u w i r t h a u r a i t r é p o n d u à l a
question <Peut-onparler d'eugénisme <à
propos des pratiquesfrançaises>> ? : <Ce mot
me révolte.Tout ce qui me rappelle le nazisme
me fait horreur. Mais il ne faut pas confondre
eugénisme et protection de jeunes filles
frappéesd'un handicapmentalro>.
En somme, l'allégation selon laquelle la
France échapperait finalement à toute forme
d'eugénismeet serait au plus menacéepar des
"risques de dérives eugéniques",se fonde sur
les raisonssuivantes:
l')Seules les ségrégations
ethniquesétant
tenues pour de véritables ségrégations,
on estime d'abord que les stérilisations
faitesen Francene sontjamais misesen
oeuvre pour des raisonsségrégatives.
2")S'ajoute à cela qu'elles ne sont pas
organiséespzu une loi, et moins encore
par un programmed'Etat.
3") De cette manièreelles ne paraissentpas
relever d'une volonté collective
procédant elle-même d'un désir
d'amélioration de la <<race>
françaiseou
de I'espècehumaine en général.
4")La seule volonté <individuelle, des
parentsou des institutionsconcernées
s e m b l a n ta i n s i ê t r e à I ' o r i g i n e d e s
demandesde stérilisation,la France se
trouveraitpréservéede tout "eugénisme"
véritable puisque cette dimension
<individuelleo des pratiques diminue
forcément la quantité de ces actes
chirurgicaux : reconnu comme procédé
<souterrain>,est cependantafflrrméen
effet qu'il est impossibleque la quantité
de ligaturesdes trompesopéréessur des
jeunes femmes atteigne le nombre de
celles pratiquéesen d'autres pays.
5") Enhn et surtout, le fait que de telles
interventionsne soientpratiquéesque sur
des personnes<handicapéesmentales>>,
(fait lui-même admis comme une
JY
du HondicopMentol
RevueEurooéenne
DES ENJEUX ÉTHT7UESDE Lt eUESTION : LtS SrÉnUtStTIONS PRATIQUÉESEN FRANCE-
"évidence"),exclurait ces pratiquesde
I'eugénisme.
3 - Examendes raisonsinvoquées
pour contesterle lien des
stérilisationspratiquéesen France
avecle phénomènede I'eugénisme
a) ll ne suffitpasquela sélectiondes
ne soitpasracistepour
naissances
c esser d'êtreeugéni ste.
Pour ce qui est de la nécessitéde ne pas
a s s o c i e r s y s t é m a t i q u e m e n et u g é n i s m ee t
r a c i s m e o u , p l u s r e s t r i c t i v e m e n te n c o r e ,
eugénismeet nazisme,il suffit désormaisde
constaterqu'à en juger par le seul cas de la
Suède, I'eugénisme est parfaitement
c o m p a t i b l e a v e c u n g o u v e r n e m e n ts o c i a l démocraterret il est égalementpossiblede se
reporter aux travaux de divers historiens ou
p o l i t o l o g u e sa f i n d e s ' e n c o n v a i n c r e A
. insi,
P.AThguieffrappelle-t-ilpar exempleque Julian
Huxley se disaità la fois eugénisteet hostileau
racisme,que J.B.S Haldaneconsacraune étude
à la distinctionentre "eugénique"et théoriede
l'inégalité des races pour faire l'éloge de la
première et condarnnerla seconde,tandis que
J . R o s t a n d o d é f e n s e u rp a s s i o n n é d ' u n e
eugéniqueuniversalisteordonnée"aux intérêts
de I'espèce,<publiait de son côté un livre> où
il dissociaitles conceptionseugénisteset les
conceptionsracistes>.ol-e racismene trouve
dans la scienceaucun appui, affirmait alors
J . R o s t a n d .E t i l n o u s p a r a î t e s s e n t i e ld e
d i s s o c i e r l e m e n s o n g er a c i s t e d e l a v é r i t é
. La vérification historique fait
eugénique12"
alors immédiatementapparaîtrequ'il n'est pas
indispensablequ'une sélectiondes naissances
soit raciste,au sens le plus restreintdu mot,
c'est-à-direqu'elle porte sur une catégoriede
personnesimmigrées ou <étrangères>,pour
relever de I'eugénisme.
Il ne suffrt donc pas de constaterque les
stérilisationseffectuéesen France <ne sont pas
nazies> pour proclamer dans le même
mouvementqu'ellesne sont pas eugénistes.
40
A cet égard,un article du Docteur Georges
d'Heucquevilleparu en 1933,à une époqueoù
I'eugénismes'impose dans de nombreux pays
occidentaux,établit une étude comparativedes
législationsaméricaine,anglaiseet suisseavant
de se demander : <La France doit-elle suivre
I'exemple des États précédents,et enEer dans
la voie de la stérilisationchirurgicale? sous
quelle forme I'institution nouvellepourrait-elle
s'intégrer à notre législation ?" Questions
aussitôt suivies de la remarquesuivante: <Ce
n ' e s t p a s a u n o m d ' u n i d é a l e t h n i q u eo u
économique, qu'elle gagnera I'opinion
publique française nourrie d'individualisme
raffiné'r". <En termes plus généraux,
poursuivaitG. d'Heucqueville,la stérilisation
des individus libres demeureraprohibée,même
s'ils la réclament.La mesuresera seulement
applicableaux individus privés du jugement de
leur personne...Elle devraviser leur mieux-être,
et permettrenotamment leur élargissementr{r>.
Après avoir affrrmé que le système législatif
allemand est (<unesimple émanationde I'idée
racister5rr,
G. d'Heucquevilleen vient donc à
dire que cette méthode ne serait recevableen
Franceque si elle n'apparaissaitplus <comme
u n e m u t i l a t i o n o d i e u s e ,m a i s c o m m e u n e
nouvelle méthode thérapeutique et
prophylactique'. <D'ailleurs, ajoute ce
m é d e c i n , s o u s l a f o r m e p r o p o s é e< q u i n ' a
d'autre fin que la <protection" des sujets
conceméset de leur entourage>,la stérilisation
resteraune mesuretrès exceptionnelle.A peine
un intemé ou condamnésur cent <satisferont>
aux conditionsrequises.Il faut donc envisager,
conclut-il, un maximum de 1.500 stérilisations
pal an sur le territoire de la France et de ses
colonieso.Ainsi, à une époque où on ne se
demandaitpas si la stérilisation,pratiquéesans
raison thérapeutique,pouvait ne pas relever de
I'eugénisme,mais où elle était proposéedans
le cadre de "sociétésd'eugénique",elle
pouvait très bien être envisagéesans intention
I'examende I'histoire
raciste.En conséquence,
de I'eugénismeamèneà la conclusionsuivante:
le caractèrenon raciste des pratiques de
stérilisationne suffit aucunementà exclure de
I'eugénismeces interventions.
RevueEurooéenne
du HondicopMentol
DDsENIEUX ÉTHIZvES DE tA QUESTIùN: Lts srÉ,atustrloNs
sans
b) Unesélectiondesnaissances
idéologieeugéniste
Mais, objectera-t-on,s'ajoute à ce premier
point, le fait que ces interventionsn'obéissent
pas en France,la choseest incontestable,à un
programmed'ensembleimposé par une loi, ce
qui leur laisse une dimension individualiste,
nous préservantdes <dérives>autoritaristeset
rendant surtout les acteurs de cette pratique
indifférentsau devenir de I'espècetout comme
à celui de la patrie. Il est vrai que nous
touchonsici à une des particularitésles plus
spécifiquesdes méthodesactuellesde sélection
: pas plus que les françaisou la
des naissances
plupart des autres membres des pays
occidentaux ne demandent des avortements
pil sentiment patriotique ou
<<thérapeutiques,
soucide l'<avenirde I'espèce",les françaisqut
souhaitentla stérilisation de la personnedont
ils ont la responsabiliténe le font pour le bien
de la Nation ! Lorsque la demandevient des
parents,le seul motif invoquéest celui de ne
pas voir son propre enfant handicapédonner le
jour à un enfant dont on aurait égalementla
charge; lorsqu'ellevient des institutions
spécialiséesest mis en avant le désir de ne
pas voir devenir plus difficile encore
I'accompagnementde ceux qui sont sous sa
responsabilité.
Nul programmeétatiquen'est ici nécessaire,
p a s p l u s q u ' u n e " i d é o l o g i e e u g é n i s t e " .D e
la même manière que les <avortements
sont effectuéssansle concours
thérapeutiques>)
de slogansdestinésà convaincreles individus
concernésde ne pasprocréerdesenfantsatteints
de telle ou telle maladie jugée grave et
incurableau momentdu diagnostic,de Ia même
manière certainsparents d'enfants handicapés
en viennent-ilsd'eux-mêmesou sur conseilde
leur médecinà faire pratiquerla stérilisationde
cet enfant sansaucun motif idéologique,mais
simplement parce qu'ils jugent leur fille (plus
rarement leur fils) incapable d'assumer
valablementleur rôle de parentet craignentdonc
de se retrouver grand-parentsd'un enfant luimême handicapé.
PRATIQUÉEsEN FRANCE...
que puissentêtre ces
Aussi compréhensibles
intentions,et quel que soit le jugementqu'on
porte sur elles, cela suffit-il à éloigner Ies
s t é r i l i s a t i o n sa c t u e l l e m e n tr é c l a m é e sà d e s
gynécologues,d'une conceptiondu bien naître
ontologiquementapparentéeà celle à laquelle
se rapporte expressément I'eugénisme
revendiquécomme tel ?
L'intention en effet, ne changerien au
caractèresélectifde la chose.Quandbien même
d e s p a r e n t s d e m a n d e r a i e n tl a l i g a t u r e d e s
trompesde leur fille, parce qu'ils auraientdéjà
e u b i e n d u m a l à a s s u m e rl ' é d u c a t i o n d e
celle-ci, il n'en est pas moins questionde
cantonnerdansun étatd'infertilité définitiveune
p e r s o n n ea l o r s m ê m e q u ' a u c u n e n é c e s s i t é
t h é r a p e u t i q u en e l ' e x i g e . N o u s p o u v o n s
d'ailleurs ajouter en toute rigueur que
permanenteà
I'impositiond'une contraception
une personneà proposde laquelleil est entendu
qu'elle ne doit surtoutpas avoir d'enfant, relève
de la même volonté, à ceci près (qui est
qu'il ne s'agit ni d'une mutilation
considérable)
ni d'un arrêt irrévocablede la faculté de
procréer.
En d'autres termes,le souci de ne pas voir
une personneexposéeà la possibilité d'une
qu'elle estjugée incapabled'assumer
grossesse
et la volonté de lui faire subir une stérilisation
pour ce motif ne changerien au fait que nous
demeuronsde toute façon sous l'égide d'une
a p p r é h e n s i o ns é l e c t i v ed e l a n a i s s a n c e .L a
disparition de la motivation ocommunautaire>
n'a d'ailleurs rien en soi de particulièrement
.rmoralr>: si les premierseugénistesavaientbien
en effet le soucid'épargnerà la sociétéla charge
d'<individus anonnaux>,ils n'auraientvu dans
le désir de s'épargnerà soi-mêmela naissance
d ' u n e n f a n t < h a n d i c a p é oq u ' u n s o u h a i t
individualiste,voire égoïstequ'ils n'auraientosé
mettreen avantcommeunejustificationpossible
de I'eugénismealors en vigueur !
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du HondicooMentol
RevueÊurooéenne
EN FRANCE...
or,s rNJeux ÉTHIeuESDELA eUESTIqN: Los srÉ,ruusl.rloNs PRATIQUÉES
c) Une curieuseaffirmation: la sélection
des naissancescessede releverde
I'eugénismesi elle ne toucheque les
<Personnes handicaPées"
Une fois noté le caractère(non raciste>et
"individuel'6>des stérilisationspratiquéesen
France,reste alors à se demandersi leur mise
en oeuvresur les seuls sujets<déficients
mentaux))(dansla très grandemajorité des cas,
des jeunes filles) permet de leur dénier toute
appartenanceavec I'eugénisme.
Soulignonsà ce proposque c'est bien cette
appréciationdes chosesque tend à induire la
présentationactuelle du problème : une fois
affirmé que la France n'a jamais pratiqué de
stérilisations que sur des personnes
" h a n d i c a p é e sm e n t a l e s >e s t s u g g é r é e l a
légitimité ou en tout cas la moindre gravité de
ces actes,gravité à peine reconnuelorsquela
déficience est profonde.
Le refusde désignerlesstérilisationscoûlme
lorsqu'ellessont pratiquées
mesureseugénistes
sur des êtres atteints d'infirmités mentalesou
physiquesne vient
d'importantesdéf,rciences
donc pas seulementde la réduction de
I'eugénismeau nazisme: il résultede ce qu'est
tacitement admis que l'élimination anténatale
d'enfants porteursde certainesinfirmités ou
m a l a d i e sn ' e s t p r e s q u ep a s u n e é l i m i n a t i o n
et de ce qu'une stérilisationn'en est
anténatale,
presquepas une pour peu qu'on I'ait faite sur
u n e p e r s o n n eh a n d i c a p é e! E n e f f e t , n o u s
sommes ici confrontés à une réaction
comparableà celle qui domine I'appréhension
d e s p r o b l è m e s é t h i q u e s s o u l e v é sp a r l e s
a v o r t e m e n t s d i t s < t h é r a p e u t i q u e s > .A
I'exceptionde quelquesmédecinsqui admettent
l e l i e n i m m é d i a t d e c e s â v o r t e m e n t sa v e c
qu'il y
I'eugénisme,sansqu'il soit nécessaire
ait la moindre .dérive' vers des formes de
sélection autres que ce qu'elles sont déjàt?,
t o u t e s l e s q u e s t i o n s c o n c e r n a n tc e t y p e
d'avortementse ramenantà celle-ci : (n'y a-til pas là un risque de dérive eugénique ?>,
42
l a i s s e n t e n t e n d r e q u e l e p h é n o m è n ed e
l'eugénismeconstitueune <menace",mais non
une pratique actuelle.
Si cettedénégationsémantiquerelevaitd'un
souci de rigueur se traduisant par I'effort de
trouver le terme le plus approprié à la
désignationdes sélectionsanténatalesactuelles
dansleur spécificitéhistorico-socialed'une part,
et techniqued'autre part,elle seraitévidemment
r e c e v a b l e .E n e f f e t , d a n s l e l i v r e q u ' e l l e a
consacréà I'eugénismeen France,Anne Carol
énumèreles formes rudimentairesde sélection
des naissanceq
s u i o n t p r é c é d éI ' e u g é n i s m e
officiellementrevendiquéet nommé comme tel.
Par exemple,la Callipédiede Claude Quillet se
p r é s e n t ee n 1 6 5 5 c o m m e u n e n s e m b l ed e
conseils donnés aux futurs parents <et dont
chacunpeut s'inspirer librement pour apporter
un plus à sa progéniture>.De même A. Carol
d' un
mentionne-t-ellela Mégalanthropogénésie
certainRobert le Jeunequi part du principe que
..les plus beaux coupleset les plus parfaitsà
touségards,donnentà l'État unepostéritémieux
conditionnée
de corpset d'esprit"et que,si I'on
marie ..un homme d'esprit avec une femme
d'esprit, <on auri> des hommesde génier8'r.
Puisquediverstermesse sont succédéspour
désignerles formes diversesde pré-eugénisme,
il seraitdonc possiblede souhaiterI'adoption
d'un vocable correspondanten toute précision
aux formesactuellesde sélectiondesnaissances"
Si les techniquesde sélection antérieuresà
I'eugénisme se manifestent apparemmentpar
une scientificitéassezrudimentaire(Anne Carol
explique par exemple qu'on tenait compte de
I ' i n f l u e n c e d e s a s t r e ss u r l a " q u a l i t é > d e s
progénitures),on pourrait désormaissouhaiter
I'invention d'un mot destiné à souligner au
contraireI'extrêmesophisticationdessélections
actuelles.Malheureusement,ce n'est pas un tel
souci de précisionterminologiquequi présideà
I'affirmation d'après laquelle les stérilisations
ne relèventpasde I'eugénismelorsqu'ellessont
pratiquéessur des jeunes femmes handicapées
mentales. Cette conviction s'appuie
RevueEurooéenne
du HondicooMentol
DEr^4,erlESTIoN: Lns srr' ruttstrTroNspRATIetlt:ESEN FnsNCE...
DESENIEUXÉTHTÙUES
effectivementsur le sentiment que ces
opérationssont dictéespar Ie seul souci "de leur
qu'elles ne seraientpas
épargnerdes grossesses
à même d'assumerr',conviction qui relève à la
fois de I'idée faussed'aprèslaquellelespartisans
animés
de I' eugénismeseraientnécessairement
de ..mauvaisesintentions>,(de telle sorte que
ce seraitI'intenûon qui donneraità la sélection
des naissancesson caractère expressément
"eugéniste"),et de I'idée étrangeselonlaquelle
la suppressiond'une faculté ou d'un organequi
a peu de chancesde trouver ou de retrouverune
activité,n'est pas vraimentune mutilation.
O r , c o n c e r n a n tl e p r e m i e r p o i n t , i l e s t
nécessaire
de rappelerqu'en1933,à uneépoque
où la question de savoir si la pratique de la
stérilisationrelevait de I'eugénismere,aurait
paru aussi incongrueque celle de savoir si une
opérationd'appendiciterelevaitde la chirurgie,
Georgesd'Heucqueville,déjà mentionné,était
t o u t a u s s i a t t e n t i f à l a < p r o t e c t i o n >d e l a
p e r s o n n es t é r i l i s é e ,e t a u s s i p e u a n i m é d e
m o t i v a t i o n s r a c i s t e sq u e l e s m é d e c i n s q u i
prônentaujourd'hui la ligaturedestrompespour
c e r t a i n e sp e r s o n n e sh a n d i c a p é e sm e n t a l e s .
Aussi,faut-il rappelerqueI'eugénismen'estpas
forcémentanimé de <mauvaisesintentions>.Il
se peut d'ailleursque, quelleque soit la forme
qu'il ait adopté,les "bonnes intentions>aient
toujoursprévaluet qu'il ait toujoursétéquestion
d'épargnerI'existenceà desêtresdont on disait
en toutebonnefoi qu'ils étaientà charged'oeuxmêmeset des auEes>.
P o u r c e q u i e s t d u s e c o n dp o i n t , i l f a u t
mentionnerque la stérilisationdemeureraitune
mutilationquandbien mêmeelle seraitpratiquée
sur une personnequi n'aurait jamais d'enfant.
Le contester reviendrait à laisser entendre
qu'une amputation des jambes n'en est pas
véritablementune lorsqu'elle est effectuéesur
un homme ou une femme paraplégique(à ceci
près d'ailleurs que la personne handicapée
mentalen'est nullement amputéed'une faculté
défaillantelorsqu'elleest stérilisée)! Outre que
I'appréciationde I'aptitude à élever un enfant
n'est pas évidente dans certains cas et qu'il
importe de souligner qu'un pareil jugement
n ' a b o u t i t à d e s m e s u r e sd ' i n t e r d i c t i o n o u
d ' e m p ê c h e m e n td e p r o c r é e r ,q u e p o u r d e s
personnesse trouvantsousla tutelle, le pouvoir
ou la responsabilitéd'autrui, il faut ajouter que
même si la possibilité d'avoir un enfant ne se
réalise jamais, la transformationde cette
improbable réalisation en impossibilité
déf,rnitiveampute non seulementune personne
d ' u n e d e s e s < f o n c t i o n sb i o l o g i q u e s o ,m a i s
d'une part de son être. Lorsque I'entourage
r e n v o i e b r u t a l e m e n tà c e t t e i n c a p a c i t éu n e
femme handicapée mentale, il lui dit
indirectementque toute naissanceissue de sa
personne générerait une double catastrophe:
pour le nouveauné, celle de I'avoir pour mère,
pour ses propres parents, celle d'avoir
éventuellementun petit fils ou une petite fille
affectésdes mêmesfioubles qu'elle.
Or, si I'on vous dit que vous ne devez pas
enfanterparce que I'enfant ainsi conçu pourrait
vous ressembler,il vous est très clairement
signifié,quellesque soientles raisonsinvoquées
pour cela, que vous êtes,au sensle plus strict
de ce terme, indésirable. Même si nous nous
faisons attentifs aux difficultés qui conduisent
certainsparentsà opter pour la solutionradicale
qu'estla stérilisation,nousne pouvonsdonc être
a v e u g l e sa u f a i t q u ' e l l e n e c o n s t i t u e p a s
simplement un <empêchementde procréero,
mais, dans bien des cas, une réelle invalidation
de la .personne handicapeementale'. En fait,
une stérilisationest une stérilisationquelle que
soit la personnesur laquelle on I'effectue.Faite
sans motivation réellement thérapeutiqueelle
s'apparenteà une forme de sélectionartificielle
des naissancescomparableà celle dont relevait
I'eugénisme.En d'autrestermes,mêmes'il nous
faut prendre connaissancedes raisons qui ont
mené des parents ou des institutions à faire
pratiquer des ligatures de trompes ou, plus
rarement,desvasectomiessur ceuxet cellesdont
ils avaientla responsabilité(ne serait-ceque
parce que nous ne pouvons faire régresserun
43
RevueEurooéenne
du HondicooMentol
DESENIEUXÉTHI?UESDErÂ.erlESTIoN: Ltis srÉruuserroNS pRATreuÉnsz,u rntucn...
p h é n o m è n eq u ' e n r é f l é c h i s s a nàt c e q u i l ' a
généré),cesraisonsne peuventjamaisnousfaire
p e r d r e l é g i t i m e m e n td e v u e c e q u ' o n t d e
problématiquede tels actes chirurgicaux.
Lorsque des femmes <handicapées
m e n t a l e s >a v o u e n td ' a i l l e u r s l a s o u f f r a n c e
provoquéepar la mutilation qu'elles ont subie,
nous constatonsbel et bien que cette souffrance
est aussivive que celleexpriméepar desfemmes
valides ayant subi la même mutilation. Le
"handicapmentalone diminue effectivementen
rien la souffranceà moins qu'il ne réduiseles
capacitésintellectuelles
au point de priver celui
ou cellequi en est atteintde toutelucidité.Mais
prétendrealors que la stérilisationne pose plus
de problème,reviendraità laisserentendrequ'il
est possiblede faire subir n'importe quoi à un
êtrehumain,dèslorsqu'il n'en estpasconscient.
Dire que la gestionsélectivedes naissances
cessede releverde I'eugénismedès qu'elle ne
t o u c h e . q u e o l e s < p e r s o n n e sh a n d i c a p é e s "
semble difficilement compatible avec le
<<respect>
o ,f f i c i e l l e m e n t p r o c l a m é , d e c e s
personnes.Tendant implicitement à nous faire
croire que seulesles maladiessont évitées par
cettegestionsélective.
cetteassertion
omet avec
une biensingulièrelégèretéque la lutte légitime
contre la maladie s'est transforméeen
éliminationanténatale
ou en mutilationpure et
s i m p l e d e s m a l a d e s .A i n s i , I ' e x p r e s s i o n
<thérapeutique> dont
d'avortement
I ' i m p r o p r i é t é a é t é s o u l i g n é ep a r p l u s i e u r s
médecins20,
fait-elledéjà supposerdepuisde trop
nombreusesannées,que ce type d'avortement
n'en estpresquepasun, suppositionpasséedans
les convictions avec une telle force que des
praticiens en viennent aujourd'hui à constater
que certains parents n'ont pas le sentiment
d'éliminer un enfant potentiel quand ils
recourentà I'avortement<thérapeutiqueo,
mais
seulementla maladie dont il est porteur.
Parexemple,dansI'enquêtequeAnne Dusart
a menéeauprèsde personnelssoignantssur la
détection des anomalies foetales. une
u
s a g e - f e m m e s, u r v e i l l a n t ed a n s l a m a t e r n i t é
d'une grande ville, notait : <je crois que c'est
ça I'effet fondamentaldu diagnostic anténatal,
c'est que le foetusqui n'est pas là, il n'est que
une malformationdans la tête des parents...Il y
a peu de temps,on a eu une agénésied'une main
( l ' a b s e n c ed ' u n e m a i n ) , e t b i e n l e c o u p l e a
demandétout de suite une intemrption qui a été
refuséeparle gynécoetdontj'ai su qu'elle avait
été faite ailleurs. Je trouve ça fou ! Cet enfant
seraitné avecune main en moins,c'estsûr c'est
quelquechose,maisc'est un enfant! Le foetus,
c'est la main qui manque,c'est tout2r!o
Danscettelogique,il devientalorsinévitable
que ce qu'on fera ensuite subir à des hommes
ou des femmes atteintsd'inhrmités (dont on
jugera qu'ils serontau fond ..accidentellemento
venusau monde)ne serapasperçucommeayant
un degréde gravité semblableà ce qui pourrait
être pratiqué sur un être valide. Lorsque nous
d é c r é t o n sa l o r s q u e t o u t e s é l e c t i o n d e s
naissances
relèvede I'eugénismesaufsi elle ne
toucheoqueodes maladesou des infirmes,nous
accréditonsencorecetteidée,déjà si facilement
admise,selonlaquelleun avortementn'est pas
vraiment un avortementdu moment qu'il
n ' e m p ê c h e < q u e o l a n a i s s a n c ed ' u n e n f a n t
a t t e i n t d e m a l a d i e i n c u r a b l eo u d ' i n f i r r m i t é
s é v è r e .Q u e l l e s q u e s o i e n t l e s d i f f i c u l t é s
r e n c o n t r é e sp a r l e s p a r e n t s d ' u n e n f a n t
"handicapé", le moindre des égards que nous
devonsà ceux que nous prétendonsrespecter
seraitau moins de reconnaîtreque leur infirmité
ne changepas en actesanodins,des actesque
nous estimons inacceptableslorsqu'ils sont
effectuéssur des personnesen bonne santé.En
conséquence,prétendre que des opérations
c h i r u r g i c a l e sp r a t i q u é e sp a r f o i s s a n s l e
c o n s e n t e m e ndt e I ' i n t é r e s s én e r e l è v e n t d e
I'eugénismeque si elles sont réaliséessur des
minoritésethniquesou des cas sociaux,mais
non lorsqu'elles atteignentdes femmes ou des
h o m m e s m e n t a l e m e n td é f i c i e n t s ,n ' e s t p a s
c o m p â t i b l ea v e c l e s d é c l a r a t i o n sd, ' a i l l e u r s
elles-mêmesassezcontradictoires,proclamant
du HondicoOMentol
RevueEurooéenne
DES ENIEUX ETHIeUES DE tA QTJESTION: LES STÉRILISATIONSPRATIQUEESEN FRANCE-.
et <<le
simultanément"le droit à la différence>>
pour
les
droit de vivre comme tout le monde,
<<personnes
handicapées>.
Mais, dira-t-on enfin, il est nécessairede
connaîtreI' ampleurdu phénomène,c' est-à-dire
le nombrede stérilisationseffectuéesen un lieu
ou pays,avantde parlerd'eugénisme.Une chose
est effectivement de souligner I'appartenance
des stérilisationsaux mesureseugénistes,une
autrede diagnostiquerI'amplitude du processus
ainsi mis en oeuvre. En I'absencede données
numériquesglobales, il est évidemment
impossiblede juger de I'importance des actes
eugéniqueseffectuéspar la ligaturedes trompes
en France.A partir de ce que
ou vasectomie2z,
nous connaissonsde cespratiquesainsi que des
nous constatons
avortements<thérapeutiques>,
s e u l e m e n tq u e l a p r e s s i o ne u g é n i s t ee x c è d e
a u j o u r d ' h u i t r è s l a r g e m e n tt o u t e i n c i t a t i o n
l é g i s l a t i v e 1 3L. e s p o s s i b i l i t é s t e c h n i q u e s
rencontrentavec une telle facilité le refus de
mettreau mondedesenfantsatteintsd'infirmités
de gravité variable,qu'il seraitplutôt nécessaire
de réfréner cette tendanceque de chercher,
comme au début du siècle ou à la fin du siècle
dernier, à I'imposer.
La sélectiondes naissancespossèdedonc
b i e n d é s o r m a i sd e s c a r a c t é r i s t i q u e qs u i l u i
donnent une allure distincte de I'eugénisme
initialement mis en place : tacitementacceptée
par la plupart,elle n'inquièteplus que lorsque
l a p r e s s e e n f a i t o c c a s i o n n e l l e m e n tu n
..scandaleo! Scandalequi ne peutd'ailleurs être
perçu comme tel que par associationavec des
violences plus visibles que certainesde ces
stérilisations,actesaseptisés,discrètementfaits
à l'insu des intéressés.Car tel est le pâradoxe
de notre monde médiatisé : tandis que Ia
techniquenous expose à d'inapparentes
à
violences,il n'est plus capablede s'intéresser
u n p h é n o m è n eq u ' à t i t r e d e s p e c t a c l e .E n
conséquence,il fallait bien sûr annoncer au
moins 15.000stérilisationspour qu'on daigne
y prêter attention. Alors que nous devrions
aiguiser notre sensibilité à la perception de
et la télévision
la presse
violences
sanseffusions,
des
renforcentdonc la difficultéà pressentir
à
atteintesà l'être humainqui se présentent
peinecommetelles.
Versionoriginale : Français
Reçule 01 Mai 1998
Acceptéle 30 Juin 1998
Noles
I
Date à laquellc, suite à la flambée médiatique
provoquéepar I'annoncede I'existencede 60.000
stérilisationstbrceesen Suède,la deuxièmechaînc
d e l a t é l é v i s i o n f r a n ç a i s ef i t é g a l e m e n td e l a
pratiqueclandestinede la ligaturedes trornpessur
mentalcsen Francc,unc
dcs pcrsonncshandicapées
bruyanterévélation.
2 L Evénementdu jcudi du l8 au 29 septernbrc1997
p.40
du Mondeoctobre1997.
3 Dossierset dcrcuments
4 Lidéc que tout ce qui relèvede I'eugénismca pour
originele nazismcest si profondémentancréedans
l e s e s p r i t sq u e , l e l " ' o c t o b r e 1 9 9 7 , l o r s d e l a
M a r c h e d u s i è c l e c o n s a c r é es u r F R 3 à l a
de l'émission'
J.M Cavada,présentatcur
stérilisation,
demandaà PA Taguieffsi cettepratiquedanslcs pays
s c a n d i n a v e sp r o v e n a i t d ' u n e e x t e n s i o n d e s
méthodesnazies à d'autres pays. P.A Taguieff
rappelaalors que bien avant le nazisme,plusieurs
Etats américainss'étaientdotésd'une législation
eugénistect que le modèlcdc cc gcnred'acte était
donc plutôt américain.
5 "euthéneo"rcnvoieà I'idécd'ôtrc florissantde forcc
ct de santé.
6 La questioneugéniqucdansles diverspays-Tomc I
Publicationde I'associationintcrnationalepour la
protectionde I'enfance.p.6
7 tæs fondementsde I'eugénismeThomasJ.P PUF
collectionQue sais-je?P.62
8 Opuscit p.6
9 Nous soulignons.
l0 LÉvénementdu jeudi du 18 au 24 septembre1997
p.40
I I Ce qui, mise à part la précisiondu nombre,n'avait
rien de nouveau(JeanSuttcren parledès les années
50 en Franceet le professeurTestarddès la lln des
années80) mais n'avait pounantjamais fait I'objet
45
RevueEurooéenne
du HondicooMentql
PRATIQUEES
DI'SENJEUXETHIQUESDE I},, QUESTION: LESSTERILISATIONS
EN FRANCE,..
eu lieu en
du battagcmédiatiquequi a brusquement
août 97
12 Sur I'eugénisme: du fantasmeau débat" Pouvoirs
n'56 janvier199I
l3 "La stérilisationchirurgicale>Ualiéniste français
I 933 p.506
14 Ibid p.506
15lbidp.504
queI'on puissequrlilierd'<individuel>
l6 lln admettant
dcs actesqui sontquclquefoisdictéspar la solitude
danslaqucllesc trouventccrtainsparents.
17 llruno Jcandidicr,pédiatn:,écrivaitrécerruncnt
: (I-e
débatpourou contreunc certainetbnned'eugénismc
, . . . , r c p a r a î t o b s o l è t e ,c a r I ' e u g é n i s m ee s t
aclucllemcntun fait, par la dernandedes coupleset
I'olh'c dcs équipcsd'obstétriciens
et de généticiens.
Ccnainsprônent,d'autrcsredoutentl'"éradication"
dc la trisomie21, mais ce débatcst dépassé,
car ce
p r o c c s s u ds ' " é r a d i c a t i o n "e s t d é j à e n v i g u c u r . ,
ÉtudcsJuin 1997
AA
l 8 A . C r r o l lS c u i l1 9 9 5p . 2 1 .
I 9 I-a stérilisationpeuten fait êtreaussiproposéecomme
m o y e n d e r e s t r i c t i o ne t n o n d e s é l e c t i o nd e s
n a i s s a n c e sD
. ans le premicr cas, il s'agit de
stérilisations
d'inspirationmalthusienne.
Dans le
secondde stérilisations
eugénistes.
En I'occurrence,
c'est bien le maintienartit'iciel,non souhaitépar les
intéressés,de certainespcrsonnesdans un état
d'infécondité qui est visé. De sorte que la
s t é r i l i s a t i o dn c s d e < f i c i e nm
t sc n t a u xo u a u t r e s
maladcsa toujoun rclevéd'unc logiqucsélectivedc
la procréation.
20 Le ProfcsseurMattéi ou lc ProttsscurTestartnar
exemplc.
2 l L a d é t e c t i o nd c s a n o m a l i e sf o e t a l c s .A n a l y s e
Annc DusartCTNERHIjuillet 1995
sociologique.
p.12
22 En tout état de causecclle-ci dcrncurcrclativerncnt
23 En Francecommcdansd'autrcsDaysoccidentaux.