Ponts historiques en acier
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Ponts historiques en acier
Construire en acier Documentation du Centre suisse de la construction métallique SZS 03+04/13 steeldoc Ponts historiques en acier Table des matières Editorial 3 Essai De la valeur des ponts historiques en acier 4 Introduction Les ponts en acier sont nés avec le chemin de fer 8 Viaduc de Bietsch, Hohtenn-Aussenberg Imposant et néanmoins harmonieux 12 Pont sur l’Aar, Koblenz Un tracé en anse de panier 16 Pont d’Unterstetten, Rigi Scheidegg Presque oublié – et pourtant d’un tel intérêt! 20 L’acier comme matériau Histoire, identification et reconstruction 26 Assemblages Rivetage, boulonnage, soudage 32 Passerelle «Brüggli», Unterägeri Une légèreté préservée 36 Le pont sur l’Aar, Aarwangen Un tracé élégant à travers un site protégé 42 Le pont sur la Thur, Gütighausen Prolongé conformément à l’original 46 Recension de livre «Les ponts ferroviaires suisses» 52 Annexe 54 Impressum 55 La compétence dans les constructions métalliques Le Centre suisse de la construction métallique est le forum de compétence suisse pour les constructions en acier. En tant qu’organisation spécialisée, le SZS rassemble les principales entreprises de travail de l’acier, fournisseurs et planificateurs de Suisse et atteint, par ses opérations, plus de 8000 architectes, planificateurs, décideurs et institutions. Le SZS informe le public spécialisé, favorise la r echerche, le développement et la collaboration dans la construction métallique, entretien des relations internationales et assiste la formation et le perfectionnement de spécialistes. Ses membres profitent d’une vaste gamme de prestations à des conditions avantageuses. www.szs.ch Stahlbau Zentrum Schweiz Centre suisse de la construction métallique Centro svizzero per la costruzione in acciaio Editorial Avec son paysage varié aux nombreuses montagnes et rivières, la Suisse est un pays riche en ponts. Pour les chemins de fer et la traversée des Alpes en particulier, des centaines de ponts ont été construits au cours des XIXème et XXème siècles, beaucoup d’entre eux en acier. Un jeune pionnier de la construction de ponts en Suisse au XIXème siècle fut le politicien et entrepreneur Alfred Escher. Il fonda et développa le réseau ferroviaire suisse et, par son engagement politique et entrepreneurial, fit prendre un essor incomparable à la Suisse comme nation industrielle moderne. Afin de disposer d’ingénieurs compétents pour le projet ambitieux de construction de ponts du réseau ferroviaire suisse ainsi que la future ligne du Saint-Gothard, il fonda par exemple en 1854 le «Polytechnicum» – actuellement Ecole polytechnique fédérale de Zurich. La construction de ponts est considérée comme la discipline reine du génie civil et il n’est dès lors pas surprenant que depuis plus de 160 ans, une culture de génie civil se soit développée en Suisse. Il est para doxal que les protagonistes de cette discipline se tiennent souvent à l’ombre de leurs ouvrages. Le présent numéro de Steeldoc est consacré au savoir-faire de ces pionniers discrets et à leurs chefs-d’œuvre ainsi qu’à ceux qui souhaitent encore de nos jours s’inspirer du raffinement d’antan dans le traitement de ces forces. De nombreux ponts en acier présentés dans ce numéro ont plus de cent ans d’âge et montrent par l’exemple que les constructions métalliques n’ont rien perdu de leur fraîcheur, tant comme structures porteuses que par leur esthétique. C’est avec le même sens de l’équilibre que les ingénieurs analysent actuellement les ouvrages de leurs pères, les renforcent et les remet tent en état. Mais c’est aussi une occasion d’apprendre – bien souvent, ce n’est que par un diagnostic soigné de la structure porteuse que l’on comprend comment elle fonctionne et quelle est sa particularité en tant que monument technique. C’est pourquoi nous tenons à remercier Clementine van Rooden, qui a assuré la rédaction de ce vaste numéro double consacré aux ponts historiques en acier. En tant qu’ingénieure en génie civil et jour naliste spécialisée, elle a en outre rédigé la plupart des textes techniques et en quelque sorte «jeté un pont» vers l’ouvrage principal auquel se réfère le présent numéro et dans lequel elle a également écrit. Dans la série «Histoire de l’architecture et de la technique des chemins de fer de Suisse» a paru cette année le livre «Schweizer Bahn brücken» avec des photos de Georg Aerni. Parmi les recherches effectuées sur une centaine de ponts ferroviaires en Suisse, nous avons fait un choix de ponts en acier particulièrement intéressants pour les décrire ici. Les documents nous ont été aimablement mis à disposition par le Service de protection des monuments des Chemins de fer fédéraux. Cette sélection a été complétée d’autres typologies de ponts ainsi que d’informations techniques de fond sur le traitement correct des structures porteuses en acier. Evelyn C. Frisch 3 Essai De la valeur des ponts historiques en acier Clementine van Rooden* La Suisse compte de nombreux ponts métalliques imposants, dont la construction et l’implantation se révèlent exemplaires. Parmi eux, les ponts historiques sont d’une diversité sans pareille, qui mérite d’être sauvegardée. En effet, chacun de ces chefs-d’œuvre possède quelque chose de particulier, même si cela n’apparaît pas au premier coup d’œil. Le présent essai se penche sur ce qui fait la valeur de ces ouvrages. Aujourd’hui, un pont historique – quel que soit son âge – n’est plus démoli à la légère. Par le passé, on a trop souvent eu à déplorer le perte de valeurs matérielles et immatérielles – ce qu’un examen et une appréciation plus approfondis auraient permis d’éviter. La spécificité et la valeur historique d’un pont peuvent être liées à sa localisation, à sa fonction, à sa construction, à son état de conservation, ainsi qu’à divers aspects sociaux, économiques ou environnementaux.1 Outre sa valeur matérielle mesurable, un pont peut aussi être le témoin de son époque, un exemple remarquable d’une manière de construire, voire un modèle. Les milliers de ponts ferroviaires que compte la Suisse illus trent bien ces valeurs immatérielles.2 Obsolètes – mais en parfait état Parmi les ponts métalliques existants, souvent plus que centenaires, beaucoup ne répondent plus aux exigences actuelles et semblent, du point de vue de leur construction, devoir être remis en état ou renforcés. Lorsqu’on les examine de plus près, pourtant, on se rend compte que les apparences sont trompeuses. Malgré les normes qui s’appliquent à l’évaluation des ponts historiques, leur potentiel est souvent sous-estimé, y compris par les professionnels. Leur valeur – matérielle ou immatérielle – n’est pas reconnue. Or, une appréciation sommaire, mais objective, permettrait déjà de concilier les exigences à remplir en matière de con servation du patrimoine, d’exploitation et de structure. Pour ce faire, on peut par exemple recourir au cahier technique SIA 2017 «Valeur de conservation des ouvrages». Dans bien des cas, une approche globale de la valeur matérielle et immatérielle d’un pont permet d’en justifier la conservation – et, par là même, de susciter un attachement affectif à sa structure et à ses détails spécifiques. En effet, que serait la construction d’ouvrages d’art sans ses références historiques, qui forcent souvent l’admiration? Estimer à temps quand les valeurs évoluent Les arguments susceptibles de justifier la conservation d’un pont sont nombreux – de même que le sont d’ailleurs ceux qui peuvent plaider pour sa démolition. Intervenir sur un ouvrage existant implique souvent des imprévus, ce qui peut inciter les intéressés à privilégier une démolition-reconstruction. A fortiori lorsque les seuls motifs plaidant en faveur d’une con 4 servation sont de nature immatérielle ou affective. Nombre de ponts sont devenus, pour riverains et amateurs, les objets d’un grand attachement. La substance matérielle d’un pont peut cependant toujours être analysée de façon rationnelle et complète et, dans bien des cas, les résultats des investigations justifient une conservation, tant du point de vue structural qu’historique et/ou esthétique. Ainsi les experts cons tatent-ils souvent qu’un pont est certes devenu «vieux», mais qu’il n’a, sur le plan structural, de loin pas encore atteint sa durée de vie maximale.3 Le poids des valeurs immatérielles De fait, les ponts doivent être évalués à la fois sous un angle technique et fonctionnel et sous un angle historique, socioculturel, esthétique et affectif. Seule la prise en compte de ces différents aspects permet de mettre au jour le véritable potentiel d’un ouvrage. Il convient donc de réévaluer en permanence chaque pont dans son contexte spécifique. Les critères permettant de déterminer la valeur de conservation d’un ouvrage (par exemple ceux du cahier technique SIA 2017) ne sont souvent pas précisément définis, mais doivent être interprétés au cas par cas. La valeur d’un pont doit donc être constamment ré évaluée. Il se peut tout à fait qu’une seule et unique caractéristique se révèle déterminante pour la conservation de toute la construction. Peut-être la structure d’un pont ne s’avérera-t-elle ni belle, ni efficace, ni économique, mais représentera-t-elle un témoin exem plaire de son époque, voire le dernier spécimen de sa catégorie. Le cas échéant, cela constituera une raison suffisante pour sauvegarder l’ouvrage. Il en va de même si son concepteur est célèbre et si le pont en question occupe une place importante dans l’ensemble de sa production. Ou si la forme, la matérialisation ou le système statique de l’ouvrage étaient en avance sur leur temps. Il est aussi imaginable qu’un pont présente une valeur didactique pour ses détails de construction, dont il n’existe peut-être plus d’autres exemples.4 Les ponts comme témoins de leur époque Le but de toute évaluation consiste à identifier les spécificités d’un pont, de sa structure et de ses détails, afin de pouvoir les conserver ou, à tout le moins, les steeldoc 03+04/13 1 Situé en pleine ville d’Olten, le pont sur l’Aar de la Gäubahn présente surtout un intérêt technique: réalisé en 1927, il présentait les premières poutres courbes à âme pleine de Suisse. 3,5 in Klein t l l e t s nge Nebena reich stadtbe Coupe transversale et détail du pont sur l’Aar (CFF Historic) 5 Essai 6 steeldoc 03+04/13 respecter en cas de nouvelle intervention. Dans bien des cas, il s’agit aussi de sauvegarder, à titre pour ainsi dire documentaire, la pensée qui a présidé à la réalisation de l’ouvrage. Il se peut en effet que cet héritage se révèle utile – même des décennies plus tard – pour la conception de nouveaux ponts, voire qu’il leur serve de modèle.5 * Clementine van Rooden, ing. civ. dipl. EPF; après avoir été assis tante à la chaire de structures de l’EPFZ et avoir exercé durant plusieurs années comme ingénieure cheffe de projet, elle a été, de 2006 à 2013, rédactrice de la revue TEC21, et mène aujourd’hui une activité d’auteure indépendante spécialisée dans le domaine des ouvrages d’art. Notes et références bibliographiques 1Cahier technique SIA 2017 «Valeur de conservation des o uvrages», édition 2000 2 voir Introduction p. 8 et livre «Schweizer Bahnbrücken» p. 52 3 voir «Schweizer Bahnbrücken» p. 52 4«Tragende Werte», TEC21 48/2013, Clementine van Rooden, article «Wertvolle Tragwerke», p. 16 –17 5 voir Assemblages p. 32 Photographies 1 Clementine van Rooden 2 Georg Aerni 2 Le pont sur l’Isorno se caractérise par l’extrême finesse de sa structure métallique. Pratiquement conservé dans son état original de 1917, ce pont composé d’arcs en treillis à trois articulations franchit les gorges de l’Isorno comme s’il avait toujours fait partie du paysage. 7 Introduction Les ponts en acier sont nés avec le chemin de fer Clementine van Rooden Le paysage des ponts en Suisse est surtout caractérisé par les ponts ferroviaires. Ils se voient bien dans le paysage, impressionnent par leur construction soignée et audacieuse et sont depuis de nombreuses années intégrés à l’environnement local. C’est pourquoi beaucoup d’entre eux sont considérés comme de véritables bijoux par les connaisseurs de l’ingénierie de construction et du paysage suisse. Il n’est pas surprenant que le paysage suisse des ponts en acier soit surtout caractérisé par les ponts des compagnies ferroviaires. Celles-ci ont été parmi les premiers clients pour plusieurs milliers de ponts en acier que seules ces compagnies possèdent encore actuellement. En comparaison des pays voisins, les chemins de fer ne sont arrivés que tard en Suisse. Du point de vue de la construction des ponts en acier, l’avantage a été de quasiment éviter les constructions en fonte de l’époque des pionniers, matériau qui avait beaucoup nui à la réputation des ponts métalliques, surtout en Angleterre. La construction des ponts en acier en Suisse a du moins pu avoir recours dès le début à des matériaux connus et éprouvés (acier puddlé, acier coulé), à des expériences acquises à l’étranger, à une base de principes théoriques, à une grande tradition de charpenterie et à des ingénieurs de pointe de toute l’Europe. Durant la seconde moitié du XIXème siècle, la loi fer roviaire, libérale à l’époque, a favorisé une activité presque fébrile de construction des chemins de fer et des ponts. Dans cette phase du début de l’ère capitaliste, de nombreux ponts en acier, ambitieux et audacieux, ont été construits car les constructions en acier pouvaient être réalisées plus rapidement et à moin dres coûts que les ponts en maçonnerie – et pour les nombreuses compagnies ferroviaires privées, le temps, c’était de l’argent. Influences d’Allemagne et de France Il n’est pas apparu à l’époque – ni plus tard – de «style suisse» typique ou même une «école suisse» dans la construction des ponts en acier; les ingénieurs suisses ont plutôt appliqué de manière pragmatique les développements de l’étranger, pour les adapter et les optimiser, et créer ainsi toute une série d’ouvrages d’art remarquables. On distingue pourtant des préférences 1 Chemin de maintenance du viaduc ferroviare de 1919 sur la Sitter près de St-Gall 8 steeldoc 03+04/13 2 Le pont de Frenke à Liestal à trois travées se présente a ctuellement comme mémorial le long de la ligne ferroviaire Bâle-Olten. En coupe, les deux poutres à treillis sont reliées l’une à l’autre à mi-hauteur pour former une section en H. régionales ou nationales. En Suisse alémanique, c’est naturellement la construction allemande qui domine avec des poutres à treillis de grande hauteur et de longue portée – par exemple le pont de Frenke à Liestal – ainsi que divers ponts de la ligne du Gothard qui étaient des constructions à treillis (tous ont été remplacés). En Suisse romande, c’est l’influence française qui dominait, les poutres à treillis étant rem placées par des poutres à âme pleine – par exemple le viaduc sur la Paudèze près de Pully avant sa transformation. Nombre de ces constructions d’origine, relativement légères, n’étaient plus à la mesure des charges en rapide augmentation après un demi-siècle environ, et il n’était plus possible de les renforcer à des coûts raisonnables – il s’agissait donc de les remplacer, généra lement par des poutres à treillis modernes. Fort heureusement, trois grandes poutres à treillis ont pu être conservées jusqu’à présent sur des lignes à faible trafic: le pont sur le Rhin à Koblenz et le pont sur la Thur à Ossingen ainsi que le pont de Frenke à Liestal, après désaffectation. 9 3 Le viaduc ferroviaire de la Südostbahn (SOB) sur la Sitter près de St-Gall – autrefois le chemin de fer BodenseeToggenburg – a été achevé en 1910. L’impressionnant cintre en bois a été construit par R ichard Coray. Avec sa hauteur de 99 m, ce pont est le plus haut de Suisse et la poutre à treillis en acier a la plus longue portée de Suisse avec 120 m. La poutre Pauli – une construction peu connue La construction des poutres à treillis a atteint ses limites de capacité dans les années 1870; à cette époque, l’industrie de l’acier avait réalisé des progrès décisifs et pouvait proposer à la construction des ponts, à la place des fers plats étroits, des profilés plus forts et plus résistants. Différents successeurs aux poutres à treillis ont été testés, entre autres les élégantes poutres Pauli (du nom de l’ingénieur Allemand Friedrich August von Pauli, 1802 –1883). Il s’agissait de poutres à treillis à diagonales croisées dont les membrures supérieure et inférieure étaient courbes, donnant à l’ensemble sa forme typique lenticulaire symétrique (brevetée en 1857). Les poutres Pauli n’ont été utilisées qu’une seule fois en Suisse sur un pont ferroviaire, le pont sur l’Aar à Brugg, mais elles ont atteint leurs limites de capacité après un quart de siècle environ et ont dû être remplacées. Le principe de la poutre Pauli 10 a cependant été maintenu sous une forme réduite de moitié horizontalement, comme support inférieur des longerons et entretoises. De nombreux ponts, entre autres des ponts-poutres à treillis de la ligne du Got hard, ont été renforcés, jusqu’aux années 1930, au moyen de ces constructions dites «en ventre de poisson». La poutre Schwedler a été conservée Un autre type de structure peu connu destiné à remplacer les poutres à treillis est la poutre Schwedler (du nom de l’ingénieur Allemand Johann Wilhelm Schwedler, 1823 –1894). A première vue, cette forme ne se distingue guère d’une poutre en arc à treillis. Mais les diagonales sont toujours sollicitées à la traction. Ce concept théoriquement perfectionné aboutit, pour la membrure supérieure, à une ligne composée de deux branches hyperboliques. Schwedler lui a né anmoins donné une forme linéaire, abandonnant la steeldoc 03+04/13 ligne idéale théorique pour des raisons d’esthétique et d’économie. Ainsi les diagonales étaient alors sollicitées à la compression, c’est pourquoi Schwedler fit poser des diagonales opposées. Il ne subsiste également que peu d’applications en Suisse de la poutre Schwedler, mais qui sont néanmoins toujours en service – comme le pont sur l’Aar à Koblenz1 et le passage supérieur sur la Limmatstrasse à Zurich. Grande variété de poutres à treillis Depuis les années 1870, les poutres à treillis, issues de la tradition de la construction de ponts en bois, se sont imposées, avec leurs diverses formes d’exécution, comme système polyvalent le plus répandu pour les ponts ferroviaires: à voie supérieure, à voie inférieure ou à voie à mi-hauteur, à membrures parallèles, de forme polygonale ou semi parabolique, à diagonales simples ou multiples, avec ou sans montants. Les pou tres à treillis sont souvent utilisées également pour des viaducs entre deux ponts d’approche en maçonnerie, quelques-uns des ponts les plus réussis et les plus connus de Suisse étant réalisés au moyen de cette combinaison disparate et pourtant harmonieuse – citons comme exemple typique le pont sur la Sitter de la Südostbahn (SOB) près de St-Gall. Chaque ouvrage dans son temps et dans son environnement Au cours de leurs plus de cent ans de succès en Suisse, les poutres à treillis ont connu tous les développements de la construction, du rivetage manuel, en passant par le boulonnage, jusqu’aux caissons actuels entièrement soudés. Grâce aux progrès réalisés dans la métallurgie2 et la technique d’assemblage3 – les ouvrages sont devenus de plus en plus simples et épurés – les poutres à treillis soudées actuelles, sans montants et en barres caisonnées lisses, paraissent presque abstraites, comme le pont de couleur rouge des Chemins de fer rhétiques passant au-dessus de la ligne CFF à Untervaz. En montagne, à part les poutres à treillis, quelques ouvrages particuliers remarquables en acier, que l’on peut assimiler à des treillis dans le détail, ont fait leur apparition. Un des cas uniques le plus connu et le plus intéressant est le pont du Bietschtal sur la rampe sud du Lötschberg 4 Deux autres ponts en arc presque identiques de la ligne de chemin de fer des Centovalli – le pont de l’Isomo près d’Intragna et celui de Ruinacci à l’est de la station de Camedo (voir p. 6) sont de construction tout aussi audacieuse mais paraissent presque planer du fait de leur fine structure. Les structures porteuses en acier de ces trois ponts sont encore actuellement en service sans avoir nécessiter de grandes interventions. Les poutres soudées Langer – système appelé plutôt Bow-String actuellement – de la ligne CFF Zurich-Coire sur les canaux de la Linth et de l’Escher sont également des cas uniques remarquables (voir photo page 34). Ces dernières années, les poutres à âme pleine en acier ont vécu une certaine renaissance. Renforcées de contreventements, elles supportent entre autres les dalles de roulement en béton armé de quelques ponts de la rampe nord de la ligne du Gothard, où les pou tres d’origine à treillis ont dû être remplacées dès les années 1960 – par exemple celles des ponts sur l’Intschireuss et sur le Kärstelenbach. De telles cons tructions mixtes acier-béton offrent encore un vaste potentiel de développement aussi bien pour le rail que pour la route. Notes et littérature 1 voir pont sur l’Aar, Koblenz p. 16 2 voir l’acier comme matériau, p. 26 3 voir assemblages, p. 32 4 voir viaduc du Bietschtal, p. 12 5 voir «Schweizer Bahnbrücken», p. 52 Photographies 1 Südostbahn SOB 2Clementine van Rooden; plan des Baselbieter Heimatblätter, rapport annuel de la conservation des monuments cantonaux 2005 3 Südostbahn SOB 4 Photo historique: Theodor Bell & Co. 4 L’impressionnant cintre en bois construit par Richard C oray pour le viaduc ferroviaire sur la Sitter. 11 Viaduc de la valée de Bietsch, Hohtenn-Ausserberg Imposant et néanmoins harmonieux Maître de l’ouvrage BLS AG (anciennement Bern-Lötschberg-Simplon) Ingénieurs Entreprise Générale du chemin de fer des Alpes Bernoises Bern-Loetschberg-Simplon EGL (pont historique) Jean Gut, Küsnacht ZH (renforcements) Bloetzer + Pfammatter, Viège (béton armé) Année de construction Pont historique: 1913 Mise en double voie et renforcements: 1986 1 La rampe sud de la ligne du Lötschberg, ouverte en 1913, est déjà fort impressionnante par ses nombreux ouvrages d’art. L’étroite vallée du Bietschbach est franchie par un impressionnant viaduc en acier qui se remarque par sa cons truction unique en son genre. Ce viaduc toujours à l’état original de 1913 a été mis en double voie en 1986 – cette extension était déjà prévue lors de la construction. Le viaduc de la valée de Bietsch sur la rampe sud de la ligne du Lötschberg impressionne d’une part par son audacieuse construction, qui était déjà peu ordinaire à l’époque, et d’autre part par sa situation spectaculaire dans le paysage rocheux du Valais, d’accès toujours difficile actuellement – et surtout à l’époque.1 Le viaduc long de 110 m franchit le Bietschbach qui s’écoule en direction de Rarogne dans la vallée du Rhône, ceci à une hauteur de 78 m, avec un arc à deux articulations supportant deux ponts-poutres d’une portée de 35,5 m. L’arc repose sur quatre appuis en acier coulé à articulations à rotules, ancrés dans les fondations en béton recouvertes de pierre naturelle. La portée entre les deux articulations est de 95 m. Les deux ponts-poutres reposent plus haut sur les flancs de la vallée, sur des culées en maçonnerie chacune en forme de voûte ; de là, les voies disparaissent de chaque côté dans un tunnel. La construction en acier doux est en rampe homogène de 22 pour mille dans une courbe de 300 m de rayon. Ceci explique la forme inhabituelle de l’arc central dont les membrures s’élargissent vers les appuis, amé liorant la rigidité de la construction: l’arc à deux articulations se tient donc bien campé sur les flancs de la vallée. C’était le seul moyen de compenser les forces centrifuges des trains en marche ou freinant dans la courbe.2 Tout d’abord à voie unique La construction en treillis de l’arc a été réalisée en 1913 à l’aide d’un cintre. Afin que les tassements de cet échafaudage élevé restent contrôlables, on l’a construit 12 essentiellement en fer; seule la partie supérieure était en bois. C’est ainsi que la structure porteuse a pu être construite avec précision à partir de 491 barres et 171 nœuds. A la clé de voûte en particulier, cette structure ne présente que de faibles écarts de position; des résultats de montage aussi positifs n’auraient probablement pas été réalisables au moyen d’un échafaudage uniquement en bois. Le pont a été monté à l’aide de derricks. Ces grues utilisées pour la première fois en Suisse, sollicitées uniquement à la compression, ont permis le montage du pesant pont à treillis en acier. Une ligne de service séparée, avec des tunnels et des ponts de bois, permettait d’accéder à la ligne pendant les travaux réalisés en terrain impraticable.3 La double voie est préparée La compagnie du chemin de fer du Lötschberg a mis le viaduc en service à voie unique. Néanmoins, l’extension à la double voie avait été préparée dès le début. Cette extension a été réalisée sur toute la rampe sud du Lötschberg entre 1976 et 1992 – sur le viaduc de la valée de Bietsch en 1986. Pour cela, la construction datant alors de plus de 70 ans a été complétée côté aval par deux ponts-poutres de structure identique, la seule différence étant que les nœuds n’étaient plus rivetés mais soudés. Etant donné que les surfaces de la construction soudée sont beaucoup plus lisses, l’entretien de la construction plus moderne des deux nouveaux ponts à treillis en est simplifié. Afin d’absorber les efforts supplémentaires dans la courbe – et en particulier les forces centrifuges plus élevées dues à la vitesse de circulation portée de 60 à 80 km/h – steeldoc 03+04/13 les contreventements ont été renforcés après des cal culs et analyses approfondis et les nœuds rivetés ont été remplacés par quelques milliers de boulons ajustés à haute résistance (HVP). Ceci a permis de presque doubler la sécurité structurale vis-à-vis du cisaillement.4 Extension sans interruption de la circulation On a d’abord construit les culées aux portails de tunnels ainsi qu’un échafaudage en forme de tour sur les béquilles inclinées de l’arc en acier. Durant la phase de construction, cette tour a servi de plateforme de service et ne pouvait s’appuyer que sur les nœuds de treillis de la structure existante. Pour des raisons de géométrie, ceci n’a pu être réalisé qu’à l’aide d’appuis obliques compliqués à assembler. Tous les travaux de renforcement ont été exécutés alors que le pont restait toujours ouvert à la circulation à voie unique. Les matériaux de construction ont également dû être amenés au chantier par la voie existante, par exemple la grue sur pneus d’une capacité portante de 10 tonnes. Une fois la seconde voie constru- ite, la première a été provisoirement mise hors service afin de renforcer également sa structure porteuse. Lors de la mise en place des renforcements, les ingénieurs ont dû veiller à ce que la sécurité structurale du viaduc soit toujours garantie au passage des trains – surtout lors du changement des moyens de fixation. Ils ont donc fixé un déroulement précis: les rivets ont été retirés, les trous adaptés et alésés puis les nouveaux moyens de fixation installés – en chassé-croisé constant avec la pose temporaire des goujons provisoires à chaque passage d’un train, garantissant la transmission des efforts pendant le changement. A l’époque (1986), le BLS disposait encore d’une équipe qui maîtrisait l’art du rivetage alors déjà en voie de disparition et aujourd’hui pratiquement disparu.5 Le viaduc du Bietschtal doit sa forme particulière à sa con ception structurale. Etant donné que la construction métallique doit compenser les forces c entrifuges dues à la voie en courbe, les membrures de l’arc s’élargissent vers les appuis (plans: © BLS) La mise en double voie n’a guère modifié l’aspect d’ori gine de l’ouvrage. Cependant, l’adjonction côté aval au niveau des culées est bien visible. La nouvelle voie est posée sur des viaducs adossés en béton armé placés devant les culées existantes. Mais en revanche, 13 Viaduc de la valée de Bietsch, Hohtenn-Ausserberg 14 steeldoc 03+04/13 2 Le viaduc du Bietschtal sur la rampe sud du Lötschberg est une construction imposante mais néanmoins harmonieuse à deux articulations, en profilés en acier rivetés et entretoisés par de nombreuses barres de treillis. 3 Le viaduc du Bietschtal à l’état de construction. Il ne s ervait au début qu’à la circulation à voie unique mais était conçu dès le départ pour la double voie. l’ouvrage est dès lors ouvert au public et peut être admiré de très près dans le détail. Une passerelle côté aval fait partie du chemin pédestre longeant la rampe sud du Lötschberg qui utilise en partie le tracé de l’ancienne ligne de service. Transformation coûteuse mais valable Les travaux d’extension ont probablement coûté plus cher qu’une construction neuve n’aurait coûté à l’époque1. Cette extension en a cependant valu la peine car non seulement l’exploitation de la ligne n’a été que très peu gênée, mais il a été possible de conserver un précieux et remarquable témoin de l’ingénierie civile de l’époque. (cvr) Notes et litérature 1Schweizer Bauzeitung, 19 avril1913, «Der Bietschtal-Viadukt der Lötschbergbahn», Adolf Herzog 2Jubiläumsbuch der BLS «Pionierbahn am Lötschberg», Ueli Rüegsegger, p. 80 3voir assemblages p. 32 4Schweizer Ingenieur und Architekt 9/87, Band 105, «Die Bietschtalbrücke der BLS – Verstärkung und Ausbau auf Doppelspur», J. Gut, H. Schmitt und U Graber 5voir passerelle «Brüggli» p. 36 Photographies 1 Georg Aerni, 2 Georg Aerni, 3 SBB Historic Lieu Rarogne (VS) Maître d’ouvrage BLS AG (enciennement Berne L ötschberg-Simplon) Ingénieurs Entreprise Générale du chemin de fer des Alpes Bernoises Bern-Loetschberg-Simplon (EGL) (pont historique); Bureau d’ingénieurs Jean Gut, Kusnacht (ZH) (renforts); B loetzer + Pfammatter, Viège (béton armé) Constructions en acier Albert Buss & Cie, Pratteln (pont historique); consortium: Buss AG, Pratteln BL, Zschokke-Wartmann AG, Brugg, Nussli Rohrkonstruktionen AG, Huttwilen; Lederer + Eisenhut AG, Oensingen (Protection anticorrosion) Typologie de construction arc à deux articulations avec deux ponts à poutre Dimensions arc de 95 m de portée, poutres 2 x 35,5 m de portée; longueur totale 128 m; hauteur 78 m, rayon de courbure 300m Types d’acier acier doux; 125 000 rivets; renfort: 23 000 boulons ajustés, 2 000 rivets, 150 t d’acier Année de construction 1913; extension en double voie en 1986; divers renforts entre 1979 et 1987 15 Pont sur l’Aar, Koblenz Un tracé en anse de panier Maître de l’ouvrage Schweizerische Nordostbahn Ingénieurs Robert Moser; Arnold Bosshard & Cie (exécution) Année de réalisation 1892 1 La structure du pont sur l’Aar de Koblenz consiste en une combinaison rare de deux modes de construction caractéristiques. D’une part, la voie ferroviaire ne repose pas sur un tablier ajouré, mais sur un lit de ballast; d’autre part, les diagonales des treillis ne sont, grâce au principe développé par Schwedler, sollicitées qu’en traction – d’où leur relative finesse. Ces particularités sont d’un grand intérêt historique. Avec ses 26 kilomètres, la ligne relativement plate qui relie Bâle à Romanshorn, sur la rive gauche du Rhin, est la plus courte liaison entre Bâle et le nœud ferroviaire de Winterthour. Elle bifurque près de Stein et suit le fleuve jusqu’à sa confluence avec l’Aar, près de Walds hut. A partir de là, elle longe brièvement l’Aar, avant de la traverser pour rejoindre la gare de Koblenz. Situé entre les gares de Felsenau et de Koblenz, le pont sur l’Aar de 1892 est le plus grand ouvrage d’art du tronçon. D’une longueur totale de 236 mètres, il présente des poutres à treillis en fer puddlé d’une hauteur maximale de 6,5 mètres, ainsi qu’un tablier inférieur. En plan, il décrit un arc en forme d’anse de panier asymétrique, dont le rayon de courbure passe de 300 à 350, puis à 270 mètres – ce dernier rayon représentant le plus serré du tronçon.1 Conçu par l’ingénieur et constructeur de chemins de fer suisse Robert Moser, l’ouvrage se compose de cinq poutres à simple travée reposant sur des piles en maçonnerie de 10 mètres de haut, ainsi que sur deux culées, en maçonnerie également. Les piles sont disposées en fonction de la direction du courant de la rivière et leurs fondations descendent, comme celles des culées, à une profondeur de 12 à 15 mètres. Du fait du tracé incurvé du tablier, les piles ne sont pas perpendiculaires à l’axe des voies, mais forment avec lui un angle de 45 à 65°. Les culées sont elles aussi obliques par rapport à l’axe du pont. Celle de la rive droite, qui est la plus grande, est fondée, comme les piles, sur des caissons en béton et repose, à l’arrière, sur des pieux de bois battus. Pour la culée de la rive gauche, plus simple, une fondation par pieux se révéla suffisante. 16 Une structure caractéristique D’une portée comprise entre 47,1 et 48 mètres, les poutres simples se composent elles-mêmes de deux poutres principales espacées de 5,3 mètres d’axe à axe. Malgré le fait que leurs appuis soient obliques, les poutres transversales qui les relient sont perpendiculaires à leurs membrures, ce qui implique, aux extrémités des poutres longitudinales, des travées de longueur chaque fois différente – avec l’aspect dynamique que cela confère au pont. Les poutres principales sont des versions adaptées de poutres Schwedler – un type de poutre développé par l’ingénieur Johann Wilhelm Schwedler, où les diagonales travaillent toujours en traction2. Pour le pont de Koblenz, Moser simplifia la forme assez difficile à exécuter des arcs à la Schwedler, en leur donnant un contour polygonal: alors que la membrure inférieure reste droite, la membrure supérieure ne suit pas une courbe hyperbolique, mais se brise au niveau du premier et du troisième montant à partir de chaque appui. Les dix travées de chaque treillis sont contreventées par des diagonales élancées, les deux travées centrales étant dotées de croix de Saint-André. Ainsi toutes les diagonales ne travaillent-elles toujours qu’en traction, malgré les adaptations apportées au type pur de la poutre Schwedler. En Suisse, ce type de structure est rare, sinon tout à fait exceptionnel. Un lit de ballast continu Entre les poutres principales est disposée une auge à ballast en acier.3 Les traverses ne reposaient donc pas, comme c’était d’ordinaire le cas à l’époque, sur un tablier ajouré directement posé sur les poutre longi tudinales, mais sur un lit de ballast continu, destiné à steeldoc 03+04/13 Situation et élévation (développée) du pont sur l’Aar. Les cinq poutres principales franchissent l’Aar suivant un tracé incurvé, tandis que les piles sont orientées dans la direction du courant. (Plans: Centrale de microfilms CFF, Berne) 17 Pont sur l’Aar, Koblenz atténuer le bruit. Cette manière de construire était nouvelle, et se révéla très judicieuse du point de vue de l’entretien. Mesures de renforcement et de rénovation En 1984, les poutres principales furent renforcées et, en 2012, les piles furent remises en état. En 2002, il apparut, lors d’une inspection, que des affouillements d’une profondeur allant jusqu’à 7 mètres s’étaient produits. Pour prévenir tout risque d’effondrement, ceuxci furent comblés sans délai et des blocs de pierre furent disposés autour du pied des piles. Des calculs statiques montrèrent par la suite que la résistance des piles ne correspondait plus aux normes actuelles, notamment en ce qui concernait les charges de démarrage et de freinage. Depuis décembre 1984, les cinq arcs métalliques et leurs supports se présentent sous un aspect rénové. Des attentes excessives – un ouvrage sous-estimé Le pont sur l’Aar fait l’objet d’une documentation éton namment pauvre, et il ne répondit pas aux attentes du maître d’ouvrage en matière d’intensité du trafic fer roviaire. Pourtant, il semble qu’il ait dès le départ suscité un grand intérêt. La Poste suisse lui a même consacré, en 1991, un timbre à 80 centimes. Depuis 1994, toutefois, le tronçon compris entre Laufenburg et Koblenz ne sert plus au transport de personnes, mais seulement de marchandises. Le pont n’en reste pas moins un ouvrage d’art de valeur, dont le fort caractère est marqué par le contexte. (cvr) Notes et références bibliographiques 1Schweizerische Bauzeitung 15 –16/1890, «Der Bau der Normalbahn Stein-Coblenz», p. 87 s. 2 voir introduction p. 8 3 Schweizer Bahnbrücken, voir la critique de l’ouvrage p. 52 Photographies 1 CFF Historic 2 Georg Aerni Lieu Koblenz Maître de l’ouvrage Schweizer Nordostbahn, CFF Ingénieurs Robert Moser Construction métallique Arnold Bosshard & Cie Typologie cinq poutres Schwedler d’une travée chacune Dimensions longueur totale: 236 m; portées: 47,1 m, 47,7 m, 47,8 m, 47,8 m, 47,4 m Matériau fer puddlé Date de réalisation 1892; rénovation: 1984 18 steeldoc 03+04/13 2 Pont sur l’Aar de 1892. Dans ces poutres à treillis, qui représentent des versions adaptées de la poutre Schwedler, les diagonales ne travaillent qu’en traction. Côté aval, une passerelle piétonne est posée sur des consoles à l’extérieur de la poutre principale. (Photo: Georg Aerni) 19 Pont d’Unterstetten, Rigi Scheidegg Presque oublié – et pourtant d’un tel intérêt! Maître de l’ouvrage Rigi Scheidegg AG Ingénieur du pont historique Niklaus Riggenbach Projet de restauration Baumann Hedinger Zurfluh Bauingenieure Année de réalisation 1874 pont historique; travaux de restauration prévus en 2015 L’ancien tracé de la Rigi-Scheidegg-Bahn existe encore, et les ouvrages d’art qui le ponctuent font partie du chemin de randonnée qui y est désormais aménagé. Parmi eux figure le pont d’Unterstetten, une réalisation d’une grande valeur patrimoniale, dont la restauration est prévue en 2015. Le pont d’Unterstetten fut construit en 1874, à l’époque où se réalisait la Rigi-Scheidegg-Bahn – un chemin de fer à adhérence d’une largeur de voie métrique qui fut mis en service le 1er juin 1875 et représentait, au moment de son inauguration, la ligne de ce type la ligne de ce type dont l’altitude était la plus élevée d’Europe. Ligne et pont furent exploités durant plus de 50 ans. Les chemins de fer du Rigi, qui étaient les premières lignes de montagne d’Europe, sont inscrits à l’Inventaire des voies de communication historiques de la Suisse. Le 20 septembre 1931 toutefois, la Rigi-Scheidegg-Bahn cessa son activité, qui n’était pas rentable, et les rails furent démontés en 1942. Par la suite, la société propriétaire fit poser une dalle en béton sur la structure métallique du pont, afin de le rendre praticable pour les randonneurs et, à sens unique, pour les véhicules agricoles. Aujourd’hui, l’ensemble du tracé de la ligne constitue, en été, un chemin de randonnée et, en hiver, une piste de ski de fond. Témoin historique d’une ligne désaffectée Le pont d’Unterstetten fut réalisé par Niklaus Riggenbach, avec le concours de l’entreprise de construction métallique «Maschinenfabrik Aarau». Il s’agit d’une référence importante dans l’œuvre du constructeur des chemins de fer du Rigi, mais aussi – même s’il s’agit 1 D’une longueur de 5,5 kilomètres, le chemin panoramique qui suit l’ancien tracé de la R igi-Scheidegg-Bahn se situe à une altitude de 1400 à 1600 mètres. Le pont d’Unterstetten en fait partie intégrante. 20 steeldoc 03+04/13 2 La structure se compose d’une poutre à âme pleine rivetée au tracé polygonal, ainsi que de fines piles à treillis s’effi lant vers le haut. (Plans: archi ves des Chemins de fer du Rigi) d’un objet relativement modeste – d’un témoin remarquable de la construction des chemins de fer de montagne au XIXe siècle. Le pont franchit une large travée d’une centaine de mètres sur une arête, mais, comme l’accès à l’ouvrage se fait par deux remblais adossés aux piles de culée, la longueur du pont proprement dit se limite à 50 mètres. Du fait de son implantation particulière dans le paysage, l’ouvrage offre une impressionnante vue plongeante sur le lac des Quatre-Cantons, le bassin lacustre lucernois, le Pilate, les montagnes de Suisse centrale et le paysage du Rigi. Des détails caractéristiques La structure se compose d’une poutre en fer rivetée continue sur quatre travées de 12.5 mètres de portée chacune. Cette poutre repose sur trois piles intérieures également en fer, ainsi que sur deux piles de culée en maçonnerie de pierre naturelle. Elle présente, du sud au nord, une pente longitudinale de 50 ‰. Les ingénieurs chargés de la remise en état du pont doivent encore clarifier de quelle nature sont les appuis. Il est probable que la structure métallique ait toujours fonctionné comme un pont flottant et que tout effort horizontal ait été repris par les différentes piles. La poutre continue du pont forme un angle à l’endroit de chaque pile, son rayon de courbure variant entre 105 et 120 mètres. Elle se compose elle-même de deux poutres à âme pleine rivetées d’une hauteur constante de 1,04 mètre, que relient des poutres transversales à diagonales croisées et, en sous-face, des diagonales de contreventement horizontales. L’ensemble forme donc l’équivalent d’une poutre-caisson rigide, capable de reprendre les efforts de flexion et de torsion. Quant aux trois piles intérieures, elles se composent d’une structure à treillis d’environ 8 mètres de hauteur, reposant sur un socle en pierre naturelle dont la hauteur varie en fonction de la topographie. La structure métallique est constituée – comme dans d’autres construc tions contemporaines similaires – d’éléments en fer puddlé. Ce matériau préfigurait l’acier doux utilisé à 21 Pont d’Unterstetten, Rigi Scheidegg 3 Photo historique de 1875. Le chemin de fer à adhérence de la Rigi-Scheidegg présente une pente longitudinale de 50 ‰ seulement. 4 Vue en contre-plongée de 1942. La ligne ferroviaire ayant cessé d’être exploitée, le pont fut doté d’un tablier en béton – dont on voit ici le coffrage – afin de pouvoir être utilisé par les véhicules agricoles et les randonneurs. partir de 1890 et possédait déjà des propriétés sembla bles en matière de résistance1. Un ouvrage d’art de valeur Le pont d’Unterstetten est le plus remarquable ouvrage d’art des chemins de fer du Rigi, qui inauguraient la construction de lignes de montagne en Europe. Outre la valeur historique qu’il revêt en tant qu’œuvre de l’un des plus importants ingénieurs suisses, le pont se révèle, à tous égards, d’une extrême efficacité: durée de réalisation (présumée) très brève, consommation minimale de matériau, simplicité d’aspect. La structure elle-même convainc par sa forme claire, qui permet de se représenter aisément le flux des efforts. Malgré l’aspect lourd des poutres à âme pleine, la cons truction métallique, caractérisée par ses assemblages rivetés, paraît fine et audacieuse – ce qui était encore plus vrai lorsqu’elle servait de pont ferroviaire –, tandis que les socles des piles et les culées en maçonnerie contribuent dans une large mesure à l’impression de stabilité produite par l’ensemble. Compte tenu des assez faibles portées à franchir, il était logique, du point de vue économique, d’opter pour des poutres à âme pleine plutôt que pour des poutres à treillis. La légère courbure – polygonale – de la poutre continue renforce l’impression de hardiesse qu’elle procure et accroît la visibilité de l’ouvrage. La finesse de la structure en exprime visuellement l’efficacité technique – même s’il est vrai que, suite à la pose de la 22 dalle en béton et de ses bordures latérales un peu massives, l’ouvrage a quelque peu perdu de sa légèreté. La symétrie du pont et les nombreux éléments identiques dont il se compose contribuent pour beaucoup à son unité. Ouvrage utilitaire implanté dans un environnement naturel, il ne présente aucun élément décoratif, ce qui paraît aussi adéquat que la couleur – grise comme le fer – de la peinture anti-corrosion dont il est revêtu. Avec ses lignes sobres et rigoureuses, le pont contraste avec le paysage. Les piles de culée en maçonnerie et les remblais de terre créent une transition harmonieuse entre l’artificialité de la structure métallique et l’environnement naturel. Des dommages limités aux culées La structure métallique ne présente ni déformations ni importantes réductions de sections dues à la corrosion. La couche de finition du revêtement anti-corrosion, dont la dernière application remonte sans doute à plus de 40 ans, s’est en grande partie écaillée au fil des années, ce qui est normal. De fait, ce revêtement ne sera certainement plus efficace que pendant cinq à dix ans au maximum, après quoi l’acier sera attaqué par la corrosion. Aujourd’hui, cependant, l’état de la structure peut être qualifié de bon. La couche de mortier dont on a recouvert la dalle du tablier s’est en partie effritée, notamment à l’endroit steeldoc 03+04/13 Elévation avant des piles de culée, élévation d’une pile intérieure, élévation latérale de tout l’ouvrage (culées en maçon nerie comprises) et plan du pont. (Plans: archives des Chemins de fer du Rigi) 6 23 Pont d’Unterstetten, Rigi Scheidegg des rives et des joints. Après 60 ans toutefois, et compte tenu de la qualité du béton de l’époque, ces dommages restent de faible étendue, l’état général du tablier pouvant, lui aussi, être qualifié de bon. Les garde-corps ne présentent pas de dommages susceptibles de compromettre la sécurité des personnes. La peinture anti-corrosion s’est toutefois détachée par endroits, surtout au niveau de l’encastrement des montants dans les bordures du tablier, ce qui pourrait donner lieu à des dommages si l’on attendait encore avant de procéder à des travaux de réfection. Cette partie de l’équipement du pont se trouve encore dans un état satisfaisant. En ce qui concerne les piles de culée en maçonnerie, la situation se révèle très disparate. Alors que la pile méridionale ne présente pas de dommages notables, la maçonnerie de la pile septentrionale est très dé gradée sous la banquette d’appui, et une fissure verticale béante indique que le mur de culée a bougé. Cause des détériorations Ce tableau s’explique comme suit. Pour tout ouvrage construit, l’évacuation des eaux météoriques se révèle d’une importance cruciale. Dans le cas du pont d’Unterstetten, il est probable que les eaux pluviales tombant sur le tablier s’y écoulent dans le sens longitudinal, la dalle en béton faisant ainsi office de couverture pro tectrice pour la structure métallique. En cas de précipitations normales, cette dernière reste à l’abri et peut sécher rapidement, seule la partie inférieure des piles étant susceptible de s’imbiber. La culée nord représente en revanche le point bas du tablier, et c’est derrière la pile en maçonnerie que les eaux pluviales s’infiltrent dans le sol. Ce n’est pas favorable car, lorsque la terre est gorgée d’eau, des mouvements risquent de se produire du fait de l’alternance gel-dégel. La terre se tasse, ce dont résulte une déformation durable de la maçonnerie. Ce mécanisme 7 Tant la poutre à âme pleine que les piles à treillis sont rivetées. La dalle en béton posée en 1942 protège la s tructure métallique des intempéries. 24 steeldoc 03+04/13 finit pas pousser les pierres vers l’extérieur, comme en témoignent le gauchissement et le renflement de la culée. Mesures provisoires La dernière travée du pont est pour l’instant étayée par un dispositif provisoire, de sorte que l’extrémité de l’ouvrage flotte pour ainsi dire au-dessus de la banquette affaissée. Un ouvrage de franchissement provisoire en bois permet cependant toujours d’accéder au pont, que les randonneurs en provenance ou à desti nation de la Rigi-Scheidegg peuvent donc continuer d’emprunter. En 2015 – date à laquelle l’association «Zentralschweizer Tourismus» célébrera ses 200 ans d’existence – l’ouvrage sera restauré, une opération qui conclura les travaux de remise en état de tout le tracé original de la Rigi-Scheidegg-Bahn, avec ses nombreux petits murs de soutènement, tunnels et ponts. D’importance régionale et nationale, le pont d’Unterstetten démontre tous les jours qu’il vaut la peine d’entreprendre ces travaux, et qu’il mérite lui-même d’être mieux connu du public. (eb, cvr) Référence bibliographique 1voir L’acier comme matériau p. 26 Rapport d’Eugen Brühwiler, «Brücke Unterstetten, Rigi (SZ)», juillet 2008 Photographies 1 Photo aérienne: Rigi Scheidegg AG, Gregory Kutti 2 Clementine van Rooden 3 Photo: Internet http://www.bahnen-und-mehr.de/ch_rigi.htm 4 G. Baggenstos 6 Photo aérienne: Rigi Scheidegg AG, Gregory Kutti 7– 9 Clementine van Rooden Lieu Unterstetten (SZ, à la frontière de LU) Maître de l’ouvrage Rigi Scheidegg AG Ingénieurs Niklaus Riggenbach; projet de rénovation: Baumann Hedinger Zurfluh Bauingenieure Construction métallique Maschinenfabrik Aarau Typologie poutre continue Dimensions portées: 4 x 13,2 m Matériau fer puddlé Date de réalisation 1874; rénovation prévue en 2015 8 La poutre à âme pleine est rigidifiée par des poutres transversales à diagonales croisées. 9 Le pont et la largeur inhabituelle du chemin témoignent du fait qu’il ne s’agit pas d’un véritable chemin de randonnée, mais d’un ancien tracé ferroviaire qui s’élevait tranquillement, mais sûrement. 25 L’acier comme matériau Histoire, identification et reconstruction Max Bosshard et Marléne Plätzer Au fil des décennies, de nombreuses notions relatives au fer, à la fonte et à l’acier se sont modifiées et risquent de prêter à confusion justement dans le cadre des ponts historiques en acier. La connaissance de l’évolution dans la fabrication du fer et de l’acier permet d’avoir une vue d’ensemble et de traiter les ponts métalliques historiques de manière correcte du point de vue de l’entretien des monuments historiques. La base de la remise en état, ce sont les propriétés de l’acier utilisé, qu’il convient de déterminer de manière expérimentale dans chaque cas particulier. La com position et les propriétés technologiques des aciers utilisés actuellement dans la construction des ponts sont entièrement définies et normalisées comme on le voit en consultant la Clé des aciers. Le respect des valeurs normalisées est sévèrement contrôlé et crée la sécurité pour les ingénieurs-projeteurs. Aussi la réparation, la transformation ou le remplacement des composants actuels en acier ne posent-ils normalement pas d’exigences particulières au niveau de la technologie des matériaux. Mais il en va tout autrement des constructions métalliques datant d’une cinquantaine d’années: des désignations et significations peu claires, en partie contradictoires, ceci pour des raisons historiques, compliquent l’évaluation des ouvrages d’art actuellement existants et surtout leur conservation et leur remise en état ap propriées du point de vue de la technique et de l’entre tien des sites historiques. Pour cela, il faut d’une part des renseignements aussi détaillés que possible sur le matériau concret et d’autre part des connaissances sur l’histoire et l’état du développement afin de pouvoir classer l’ouvrage dans le contexte de l’histoire de la technique. C’est pourquoi une vue intégrale de la cons truction des ponts, surtout du point de vue de l’entretien des monuments, doit commencer par l’histoire des matériaux ferreux ou de l’acier, afin de p ouvoir in tervenir de manière appropriée compte tenu non seulement de la construction mais aussi des matériaux. Les indications des plans ne sont que des indices Les indications relatives au matériau dans les descriptions et plans historiques ne servent généralement pas à grand-chose ou sont même trompeuses car le sens des désignations, souvent issues de la période préindustrielle pour les différents matériaux ferreux, a changé au cours du temps, beaucoup ne sont même plus utilisés actuellement. Pour simplifier, on peut dire que les notions de fer et d’acier ont changé depuis le début de l’ère industrielle suivant les progrès techniques, c’est-à-dire métallurgiques: des notions telles que «fer fondu», «fonte de fer» et «fer forgé» ne sont plus actuellement des désignations univoques de matériau et permettent dans le meil leur des cas d’évaluer la teneur en carbone et le taux d’impuretés du matériau en fonction du procédé de fabrication. 1 Aspect typique de l’acier riveté. 26 steeldoc 03+04/13 2 Atelier et outils de Moritz Häberling, qui a restauré le Bogenbrüggli à Unterägeri – voir «Une légèreté préservée» page 5. De même, le procédé de fabrication et de coulée ainsi que le traitement ultérieur du matériau (par exemple laminage ou différents procédés de recuit) ont une importance prépondérante sur les propriétés des pièces finalement intégrées à un pont. En revanche, tous les aciers à plus de 0,22% de carbone et, d’une manière générale, les aciers de résistance supérieure à la moyenne étaient appelés «aciers» (conformément à l’impression courante: fer = doux; acier = dur). Dans le détail, on est largement dans le doute quant à savoir ce qu’un constructeur pouvait entendre par ces désignations vers la fin du XIXème siècle. Les dési gnations historiques des matériaux ne renseignent pas sur les composants éventuels d’alliage (à côté du carbone) et le traitement thermique du matériau mais décrivent uniquement le principe de fabrication. La fonte de fer – précurseur incertain de l’ère industrielle Vers la fin du XVIIIème siècle, les matériaux ferreux que sont la fonte de fer et le fer forgé ont été les principaux matériaux de la révolution industrielle en Angleterre – puis, avec quelques décennies de retard, également dans le reste de l’Europe et aux USA. En particulier, la fonte de fer – un alliage composé essentiellement de fer et de carbone d’une teneur en carbone entre environ 2% et environ 6.7% – a largement marqué et fait avancer la technique aussi bien que l’architecture durant la seconde moitié du XIXème siècle. Comme le nom l’indique, les pièces en fonte de fer reçoivent leur forme par coulage du métal liquide au point de fusion relativement bas d’environ 1150° dans des moules résistants à la chaleur. Les bonnes propriétés de coulée permettent d’obtenir presque n’importe quelle forme mais les dimensions des pièces étaient cependant limitées. Les pièces plus grandes devaient être assemblées à partir de nombreuses petites pièces et de plus, les pièces en fonte de fer une fois coulées ne peuvaient plus être moulées ni soudées les unes aux autres. Elles avaient une grande résistance à la compression mais pratiquement aucune à la traction et à la flexion. Fer, fonte, acier et autres choses inégales Dans le langage technico-scientifique actuel, le terme de «fer» désigne le fer pur, cristallin et exempt de carbone (Fe, ferrite). Ce matériau n’a pas grande importance sur le plan technique et n’est pas utilisé dans la construction. On entend par «acier» des alliages forgeables de fer contenant au maximum 2.06% de carbone (généralement aussi d’autres éléments). Cela englobe les aciers couramment utilisés de nos jours dans la construction des ponts. Les alliages de fer et de carbone d’une teneur en carbone de 2.06% à 6.7% sont appelés «fonte» (sans «fer») ou fonte d’acier. Dans la construction des ponts, ils sont également partiel lement utilisés pour les appuis. Ce qui prête à confusion jusqu’à présent, c’est surtout la limite floue entre «fer» et «acier» dans le langage d’avant la première guerre mondiale.1 Au XIXème siècle et au début du XXème, on appelait simplement «fers» des aciers de moins de 0,22% de carbone (non trempables) et des matériaux en fonte d’acier non trempés. On a assisté tout d’abord au développement d’une véritable architecture en fonte de fer, en particulier pour les façades. Dans les centres industriels anglais, on a 27 L’acier comme matériau entrepris assez tôt des tentatives de remplacer les matériaux classiques de la construction des ponts que sont la maçonnerie et le bois par la fonte de fer de fabrication industrielle et de prix abordable. Cela a réussi pour la première fois en 1779 avec la construction d’un pont routier en fonte de fer de 30 m de portée sur la rivière Severn, le «Iron Bridge» près de Coalbrook dale. Les possibilités de construction du nouveau matériau qu’était la fonte de fer n’avaient pas encore été reconnues, comme le montrent aussi bien la con struction, reprise de la maçonnerie, de la voûte semicirculaire ainsi que les assemblages de charpenterie empruntés à la construction en bois entre les différentes pièces de fonte relativement petites. Le pont est encore conservé actuellement largement à l’état d’origine mais ne sert plus qu’au trafic lent depuis 1934. Les limites de la fonte de fer Au début, les pionniers de la construction ferroviaire se méfiaient de ce nouveau matériau, la fonte de fer. Ce n’est que sur la ligne «Liverpool and Manchester Railway» ouverte en 1830 que l’on trouve, sur une longueur de ligne d’environ 56 km, outre 63 ponts et viaducs en maçonnerie, un unique pont à poutres en fonte de fer sur la Water Street à Manchester. Le pont en fonte de fer a fait ses preuves et n’a été démoli qu’en 1900. Plus tard, de nombreux ponts en fonte de fer, très audacieux, avec des portées qui n’aurait plus été réalisables avec des arcs en maçonnerie, ont fait leur apparition. Sur presque tous ces premiers ponts en fonte de fer, les pièces n’étaient plus soumises uniquement à la compression mais aussi à la flexion ou même à la traction (avec des poutres au lieu d’arcs). Les conséquences inévitables étaient des défaillances d’abord inexplicables qui ont souvent entraîné de graves accidents. Aussi les constructions en fonte de fer ont-elles été abandonnées pour les ponts (ferroviaires). Mais la fonte de fer a encore été longtemps employée pour les montants, poteaux et pile; mais ce matériau Tableau 1 Aperçu des aciers / fers jusqu’à 1955 Désignations Période f yk 1) s f 2) szul 3) 4) Commentaire [N/mm 2] [N/mm 2] [N/mm 2] +70/Fonte avant 1900 200 avec graphite lamellaire vers 1900 – Fonte admise seulement pour supports tels que poteaux, plaques Fonte d’appui, équipement de pont, etc. 25 – 70 100 Acier moulé 1850 –1900 220 50 – 90 Fer puddlé 50 – 90 Fer puddlé admise seulement pour rivets et goujons 60 –115 Pour fer puddlé avant 1894: Réduction en cas de sollicitation alternée 1890 –1900 220 55 –105 Fer fondu 50 – 95 Pour poutres rivetées en fer fondu 1900 –1940 235 60 –115 Pour fer puddlé avant 1894 Réduction en cas de sollicitation alternée 70 –130 Selon l’ouvrage: pont ferroviaire, pont-route, débarcadère bâtiment 1925 –1955 235 Acier doux 240 Selon le cas de charge et le type de construction dès env. 1935 35 – 56 En cas de traction, flexion Fonte 60 –168 En cas de compression Acier doux, dès env. 1942 84 –224 acier moulé 84 –224 Pour poutre à âme pleine soudée, sous certaines conditions +10%, pour poutre de pont-route à treillis, réduction à 70 –100% dès env. 1942 84 –180 Acier moulé dès env. 1946 200–325 Acier moulé Document selon tableau 3, page 54 [année] 1892, 1895, 1913 1892, 1913 1892, 1913 1935 1892, 1892, 1935 1913 1895, 1913 1895 1895 1895 1946 1935 1935 1935 1942 1946, 1956 1946 Source: d’après le livre «Tragwerksnormen 1892 –1956», sia 1994 Aciers dès 1956, voir tableau 3, page 54 1) 2) 3) 4) Selon la norme SIA 269/3, tableau 2, les valeurs caractéristiques données ne sont que des grossières valeurs indicatives! Valeur minimale de la limite d’élasticité selon la définition de la norme correspondante. S elon les ordonnances, normes dans la colonne de droite de 1xzy = année, contraintes admissibles à titre purement indicatif, ne pouvant être évaluées qu’avec les normes correspondantes et des analyses supplémentaires de matériaux, référence tableau 3, page 54. Contraintes selon le cas de charge, la classe d’ouvrages, la valeur limite de la sollicitation, la charge alternée (terme à vérifier) 28 steeldoc 03+04/13 était considéré irrévocablement comme peu sûr. C’est pourquoi à partir de 1900, presque toutes les piles en fonte de fer existantes ont été remplacés à titre préventif par des piles en acier, bétonnées ou par une nouvelle construction. Les ponts (ferroviaires) en tièrement en fonte de fer, ou seulement avec des p iles en fonte de fer, sont actuellement très rares. Le fait que la construction ferroviaire n’ait commencé que tard en Suisse a été un avantage dans la mesure où il n’a pas été construit, au début, de grands ponts en fonte de fer. Mais à l’avènement des poutres à treillis, la fonte de fer a été largement utilisée, durant la 2ème moitié du XIXème siècle, dans des éléments d’assemblage et de construction secondaires, surtout pour les piles et poteaux. Effrayé par les accidents survenus en Angleterre, on a abandonné radicalement la fonte de fer en Suisse vers le tournant du siècle. Aujourd’hui, on ne trouve plus de fonte de fer sur les ponts ferroviaires suisses que sur quelques éléments de construction secondaires, surtout balustrades et poutres-consoles, ou dans des piles ultérieurement bétonnées et donc invisibles, comme au viaduc du Grandfey près de Fribourg datant de 1862, qui a été transformé en 1925/26 en un viaduc à arcs en béton. Le fer forgé – toujours pas le matériau idéal A côté de la fonte de fer relativement facile à fabriquer, on n’avait à disposition au début de la révolution industrielle autour de 1750, pour satisfaire aux exigences mécaniques surtout de résistance à la traction, que le fer forgé selon des méthodes artisanales dans des fours de faibles dimensions. Ce matériau était de qualité variable et en aucune manière comparable à l’acier actuel; chaque pièce était pratiquement unique. Etant donné qu’aucun autre matériau à haute résistance à la traction n’était disponible, on a partiellement utilisé pour les premiers ponts ferroviaires, outre la fonte de fer, des poutres et des barres tendues en fer forgé. Les dimensions des pièces forgées étant naturel lement limitées, il fallait généralement les forger ensemble (ou traditionnellement les «souder») sur le chantier, ou bien les réunir par des rivets, œillets ou boulons. C’est pourquoi durant l’époque des pionniers de la construction des ponts ferroviaires, il y eut de nombreux effondrements qui ont discrédité les ponts en fer par rapport aux ponts en maçonnerie. En Suisse, grâce aux débuts tardifs de la construction ferroviaire, quelques petits ponts seulement ont été construits avec des éléments porteurs en fer forgé; ceuxci ont depuis été remplacés par de nouvelles con structions en acier «moderne» ou en béton. 3 Four à l’atelier de serrurerie de Moritz Häberling qui a restauré le Bogenbrüggli à Unterägeri – voir «Une légèreté préservée» page 5. Les montants de la clôture de la villa Patumbah sont ici portés au rouge. L’acier pour la construction des ponts Le fer forgé n’était encore qu’un produit surtout artisa nal, disponible uniquement en petites quantités et soumis à de fortes variations de qualité – ce qui n’exclut pas que dans certains cas, il ait été produit du matériel de haute qualité. Le terme «acier» pour alliages forgeables de fer et de carbone à haute résistance à teneur en carbone jusqu’à environ 2% ne s’est cependant établi que vers la fin du XIXème siècle, lorsque les procédés techniques de fabrication ont permis de garantir une composition et des propriétés constantes du matériau. Le principal problème dans la fabrication de l’acier était le réglage de la teneur en carbone, qui est déterminante pour les propriétés mécaniques; en général, il faut pour cela réduire la teneur en carbone du fer brut fondu dans le haut fourneau; ce processus est appelé «affinage» ou «décarburation». C’est vers la fin du XVIIIème siècle qu’a commencé le développement de l’acier de construction moderne, lorsque l’Anglais Henry Cort inventa le procédé de puddlage; celui-ci permettait, au prix d’un énorme travail manuel, de fabriquer, à partir de la fonte de fer brute à demi solidifiée, quelque 100 kg d’un matériau genre acier, forgeable et soudable, le «fer puddlé» ou «acier puddlé». Les constructeurs de ponts disposaient enfin d’un matériau fiable, résistant à la traction et à la compression, permettant la construction des poutres de ponts. Le fer puddlé est le matériau type acier le plus ancien utilisé dans les ponts suisses. Il permet en 29 L’acier comme matériau particulier de fabriquer des entretoises sollicitées à la traction pour les poutres de ponts. La désignation de fer puddlé (ou acier puddlé, ce qui est partiellement plus juste) a été utilisée jusque vers 1860. Le procédé du puddlage a été suivi de d’autres, aboutissant à des qualités de matériau toujours améliorées. Les produits obtenus ressemblaient de plus en plus aux aciers employés depuis le début du XXème siècle. La condition en a été le remplacement du procédé de puddlage encore semi artisanal par le procédé industriel Siemens-Martin utilisé pour la première fois en 1864 pour la réduction de la teneur en carbone (affinage). L’acier Siemens-Martin, généralement appelé acier doux ou fer doux, a été le premier acier de masse moderne, soudable et de qualité constante. Vers la fin des années 1860, on avait également à disposition des procédés de formage plus développés (laminoirs) permettant la fabrication de longs profilés et de tôles épaisses. Au lieu des poutres complexes réticulées, il était désormais possible de réaliser les profils de base, encore employés aujourd’hui, pour réaliser des pou tres à treillis et à âme pleine à partir des produits obtenus par le procédé Siemens-Martin. A côté de cette désignation, on utilisait encore souvent les termino logies «fer doux» et «acier doux». Ces désignations ne permettaient pas de faire la distinction – dans le langage actuel, il s’agissait dans tous les cas d’aciers. Le terme de « doux» se rapportait au fait que ces matériaux étaient produits sous forme liquide contrairement à la pâte épaisse contenant des grumeaux du procédé de puddlage. A partir de cette époque, tous les aciers ont été fabriqués sous forme de coulis liquide et le terme «doux» était superflu. Parallèlement, les désignations avec «fer» ont disparu du vocabulaire technique, il n’y a plus que des aciers. Le chemin menant à l’acier moderne Le procédé de Henry Bessemer, éprouvé dès 1856, permettait d’obtenir une qualité d’acier encore meilleure que le procédé Siemens-Martin. Au lieu d’une cuve plate, le fer brut liquide était coulé dans un récipient cylindrique basculant (appelé convertisseur ou cornue Bessemer) et soufflé sous pression. Le carbone réagissait fortement avec l’oxygène de l’air pour donner du dioxyde de carbone; il ne restait que de l’acier liquide présentant la teneur voulue en carbone. Les développements du procédé Bessemer ont été le procédé Thomas (du nom du métallurgiste britannique Sydney Thomas) introduit en 1880 et le procédé Linz Donawitz (procédé LD) introduit en Autriche en 1959, qui est le plus utilisé actuellement, fonctionnant avec de l’oxygène pur et des températures élevées. Les deux-tiers de la production mondiale d’acier utilisent ce procédé. Depuis la seconde guerre mondiale, le recyclage de la ferraille d’acier a gagné en importance. Avec les fours à arc électrique développés après la guerre, les déchets d’acier peuvent être fondus rapidement, efficacement et sans utiliser de combustibles fossiles. La chaleur nécessaire à la fusion de l’acier est obtenue au moyen d’arcs électriques, à des températures atteignant 3000 °C. Environ un tiers de la production mondiale d’acier est obtenue à partir de ferraille; cette proportion devrait encore augmenter ces prochaines années. Souder n’est pas synonyme de souder Le terme «souder» à propos du fer ou de l’acier n’est pas sans équivoque. A l’origine, le «soudage» consistait à rassembler diverses pièces métalliques en une unité homogène – une activité classique de la forge dès Vue d’ensemble des procédés de fabrication de fer et d’acier. (source «Vom Eisen zum S tahlbau» 4) 30 steeldoc 03+04/13 l’époque préindustrielle (soudage au feu). Le fer et l’acier puddlés étaient également appelés fer ou acier soudé car les grumeaux semi-solidifiés devaient encore être forgés ensemble manuellement. Ce «soudage» n’a donc rien à voir avec l’actuelle technique de soudage mais la désignation s’est maintenue avec cette signification jusqu’en 1920 – bien que les matériaux d’alors ne fussent guère soudables au sens actuel du terme. La technique de soudage moderne n’est apparue que vers 1920. Ce n’est que depuis cette époque que le terme d’acier soudé se réfère à l’aptitude au soudage et non plus au type de production. A l’origine, seules certaines sortes d’acier pouvaient être soudées. Depuis 1950 environ, pratiquement tous les aciers sont soudables, ce qui a donné des impulsions décisives à la construction des ponts métalliques.2 Le terme «soudé» dans la désignation du matériau est donc devenu obsolète et n’est plus utilisé. Actuellement, les désignations de «fer soudé» ou «acier soudé» se réfèrent généralement à du matériau historique au sens de l’acier puddlé. La composition, ce n’est pas tout Il découle de ce que nous venons de dire sur l’histoire des matériaux fer-carbone que la composition chimique donnée d’une pièce a pu naître à diverses époques et par diverses méthodes. Cependant, la détermination de la composition chimique donne des premiers renseignements sur un matériau inconnu. Avec les méthodes actuelles d’analyse, cette première étape est pratiquement non destructive et rapide. Le matériau n’est pas encore entièrement saisi étant donné que dans le cas de l’acier et de la fonte, la structure micros copique et submicroscopique joue un rôle décisif – et celle-ci ne peut toujours être déterminée fiablement que par l’analyse microscopique d’échantillons. Mais même une analyse de structure ne permet pas encore de conclure fiablement aux propriétés d’usage d’un matériau. La caractéristique principale, tant pour l’identification et la classification des composants en fer ou en acier que pour l’évaluation de la sécurité structurale de ponts anciens et de leur reconstruction éventuelle, est la résistance à la traction ou le comportement du matériau lors de l’essai de traction. Pour élucider cette question de manière sérieuse, il faut au moins un essai de traction sur le matériau d’origine3. La fabrication des éprouvettes normalisées correspondantes exige beaucoup de travail et il faut obligatoirement prélever sur l’ouvrage d’art un matériau d’origine, qui est éliminé par la préparation et la mesure, et ne peut ainsi pas être replacé après l’essai. Si ce n’est pas possible de faire un prélèvement, les caractéristiques métalliques peuvent être évaluées indirectement, au moyen de mesures ponctuelles sur la surface; mais pour cela, la surface doit être préparée localement (au moins poncée et polie), ce qui exige inévitablement une intervention sur l’ouvrage d’art. Photographies 1–3 Clementine van Rooden 4 Travaux de soudage des années 30 (archives SZS) Remarques 1Dans la construction, cette incertitude s’est maintenue longtemps après la seconde guerre mondiale: on parlait indifféremment de fer à béton ou d’acier à béton jusque vers les années 1970, bien qu’il s’agisse toujours d’acier. 2voir assemblages p. 32 3En ce qui concerne le matériau un peu plus jeune qu’est le béton, les indications de composition et de résistance datant d’avant la première guerre mondiale ne sont pas très parlantes à l’heure actuelle car la classification du ciment utilisé (et des aciers d’armature) a changé. A cela s’ajoute que dans le cas du béton, l’hydratation («durcissement») n’est pas terminée après le décoffrage et que les propriétés, en particulier la résistance à la compression, varient encore pendant des décennies (c’est-à-dire quelles augmentent généralement). En outre, le béton peut être endommagé par un processus de décomposition à long terme, invisible pendant les premières années ou décennies, ce qui fait que sa résistance initiale est réduite ou même perdue. Pour une évaluation actuelle des anciennes constructions en béton, il faut donc prélever des échantillons et en analyser en laboratoire les caractéristiques importantes, surtout la résistance à la compression. 4Ines Prokop: «Vom Eisenbau zum Stahlbau – Tragwerke und ihre Protagonisten in Berlin, 1850 –1925», mbv Berlin. Berlin 2011, S. 35. 5voir «Brüggli» p. 36 4 31 Assemblages Rivetage, boulonnage, soudage Clementine van Rooden L’aspect des ponts métalliques est dans une large mesure déterminé par le mode d’assemblage de leurs éléments porteurs. Si les premiers de ces ouvrages étaient encore rivetés, la technologie du soudage n’a pas seulement modifié la forme des profilés, mais aussi celle des structures dans leur ensemble. Lorsque les premiers ponts en fer et en fonte furent construits dans l’Angleterre de la fin du XVIIIe siècle, il n’existait pas encore de technologie adaptée pour assembler les différents éléments – de dimensions assez modestes – en une structure résistante. Comme il n’était pratiquement pas possible d’assembler les composants en fonte selon des techniques proprement métallurgiques, on recourait à des assemblages par emboîtement similaires à ceux utilisés dans la construc tion en bois traditionnelle.1 Riveter au lieu de forger Les éléments en fer forgé étaient assemblés soit au moyen de boulons et d’œillets forgés, soit grâce à la technique traditionnelle du soudage par forgeage. Les métaux n’étaient pas chauffés au-delà de leur tem pérature de fusion, comme c’est le cas avec le soudage moderne, mais simplement pressés à chaud les uns contre les autres par martelage – avec, la plupart du temps, des résultats que l’on considérerait aujourd’hui comme insatisfaisants. En Suisse, il n’existe (plus) aucun pont ferroviaire datant de cette période, ce genre d’ouvrages ne s’étant généralisé qu’à une époque où le rivetage, en principe déjà connu à l’ère pré-industrielle, était devenu, dans la première moitié du XIXe siècle, le mode d’assemblage usuel pour les éléments en fer et en acier2. A partir de là, pratiquement toutes les structures métalliques furent rivetées durant près d’un siècle – y compris la Tour Eiffel. Un rapport relatif au pont réalisé en 1873/75 sur la Thur, près d’Ossingen, donne une idée de ce que représentait le rivetage pour un grand pont métallique. Avec ses 330 mètres de long, ce pont à voie unique était à son inauguration, après le viaduc de Grandfey, qui franchissait la Sarine vers Fribourg, le deuxième plus long pont métallique de Suisse.3 Sa poutre à treillis continue comptait et compte encore quelque 180 000 assemblages rivetés, dont les deux tiers furent exécutés sur le chantier, au marteau et à la presse à levier, par des équipes de cinq hommes. Une équipe 1 Le pont sur l’Aar de la Gäubahn, à Olten, se compose de poutres courbes à âme pleine. A gauche, elles sont rivetées, à droite, soudées. 32 steeldoc 03+04/13 2 – 3 Les deux ponts à poutres semi-paraboliques sur la Landquart présentent la même forme, même s’ils datent d’époques différentes. Celui de 1911, à une voie, est riveté (à droite); celui de 1972, à deux voies (à gauche), a les membrures et profilés soudés, alors que les assemblages entre montants et diagonales sont boulonnés. bien rodée pouvait poser environ 75 rivets par heure; une seule d’entre elles aurait donc eu besoin d’une année de travail, dans des conditions favorables, pour réaliser toutes les rivures du pont. Par la suite, les rivoirs à vapeur ou pneumatiques simplifièrent quelque peu les opérations, mais les constructions rivetées, dont une grande partie des assemblages devait se faire sur le chantier, requéraient toujours beaucoup de travail.4 Des constructions lourdes – y compris à entretenir Les ponts rivetés se révèlent en général relativement lourds. Les dimensions des rivets étant limitées, les efforts importants doivent être transmis au moyen de goussets, de recouvrements ou de dédoublements des tôles, ce qui implique une plus grande consommation de matière et, partant, un poids accru. Un autre inconvénient des constructions rivetées n’est apparu qu’au fil du temps: leurs coûts d’entretien sont assez élevés, car chaque rivet doit, lors des inspections, être examiné séparément, tandis que la peinture anti-corrosion doit, lors des réfections, être appliquée avec beaucoup de soin sur chaque rivet pour éviter les fissures au niveau des têtes. Malgré ces désavantages, cependant, les ponts rivetés se sont bien conservés – certains depuis plus d’un siècle. Passage à la vis et à l’écrou Introduits après la Première Guerre mondiale, les assemblages par boulonnage représentaient un développement des assemblages rivetés. Ils permirent de simplifier les constructions et d’en accélérer le montage, mais leur principe de base restait le même. Méritent ici d’être mentionnés les ponts provisoires militaires, qui étaient entreposés en pièces détachées et pouvaient être assemblés en quelques jours dans la longueur voulue. Certains de ces ouvrages à voie normale ont récemment été utilisés à des fins civiles comme ponts pour voies industrielles. Depuis 2002, l’un d’entre eux remplace un pont à arches en pierre endommagé sur la ligne de la Bernina des Chemins de fer rhétiques, dont l’écartement est métrique, mais dont les voies ont été complétées en conséquence2. Deux autres ponts provisoires ont été érigés près d’Erstfeld en 1992, à l’occasion de la réfection de la centrale hydro électrique d’Amsteg. 33 Assemblages La révolution du soudage A partir des années 1950, les assemblages soudés apportèrent de profondes innovations. La technologie du soudage d’éléments en acier (et non plus en fer puddlé1) fut en particulier développée dans l’Allemagne de l’entre-deux-guerres, que l’importante réduction de poids qu’elle permettait, intéressait tout spécialement6. Il fallut cependant attendre les années 1950 pour que cette technique soit appliquée dans la construction de ponts ferroviaires, car on avait jusque-là de sérieux doutes quant à la résistance aux vibrations des assemblages soudés. Par la suite, quelques ponts métalliques soudés tout à fait remarquables furent réalisés, dont ceux à poutre Langer érigés, respectivement, en 1958 et 1968 sur le canal Escher et le canal de la Linth. Dans les deux cas, le sol, autrefois marécageux, présentait une faible portance, si bien que le faible poids de la construction revêtait une importance cruciale. A l’époque cependant, les poutres soudées étaient de toute manière devenues la référence dans la construction de ponts. Dans le cas du pont sur le canal de la Linth, qui se composait d’un nombre restreint de grands éléments impossibles à souder sur place, on utilisa, pour les quelques assemblages boulonnés nécessaires, des boulons précontraints à haute résistance – ce qui permit d’en limiter le nombre et de réduire encore la complexité et le poids de la structure. La combinaison des deux modes d’assemblage – soudage et boulonnage à haute résistance – représente aujourd’hui encore la manière la plus efficace de construire un pont, les poutres se composant cependant souvent, depuis quelques années, de profilés caissonnés. Notes et références bibliographiques 1 voir L’acier comme matériau, p. 26 2 Voir introduction, p. 8 3IN.KU, Bulletin de l’Association suisse d’histoire de la technique et du patrimoine industriel, décembre 1993 4 voir aussi Brüggli, Unterägeri, p. 36 5Aldo Rota, « Die Brücke aus der Kiste », TEC21 45/2002, p. 6–11 6En Allemagne, la production industrielle était, à l’époque, quantitativement limitée par les traités internationaux, r aison pour laquelle la construction métallique légère y r evêtait une importance stratégique. 7Voir Schweizer Bahnbrücken, page 52 Photographies 1–4 Clementine van Rooden 5 Eugen Brühwiler 4 Situé près de Ziegelbrücke, ce pont métallique à deux voies rectilignes date de 1968. D’une portée de 76 mètres, il franchit le canal de la Linth avec un angle de 40°. Sa poutre Langer s’inspire du pont de Gasi, construit dix ans plus tôt sur le canal Escher, avant le tunnel du Walensee. Grâce aux progrès accomplis dans les méthodes de calcul, à la qualité de l’acier et à la technique de soudage mise en œuvre, le pont sur la Linth – aussi appelé pont du Biberlikopf – présente des sections encore plus simples que le pont de Gasi. 7 5 Pont militaire sur la Reuss, vers Erstfeld. 34 steeldoc 03+04/13 35 Passerelle «Brüggli», Unterägeri Une légèreté préservée Maître de l’ouvrage Commune d’Unterägeri Ingénieurs Staubli Kurath und Partner, Zurich / Zoug Serrurier d’art Moritz Häberling, Uerzlikon Année de réalisation Passerelle historique: 1908 (par les frères Gysi, Baar) Restauration, remise en état: 2013 Construite en 1908, la passerelle piétonne d’Unterägeri, située à l’endroit où la Lorze sort du lac d’Ägeri, a été restaurée dans le cadre des travaux de remise en état de la rive lacustre. On ne se rend pratiquement pas compte que certains éléments de la structure sont nouveaux. Le «Brüggli» a conservé sa forme et son fonctionnement statique d’origine – seule sa couleur a changé. La partie de la rive du lac d’Ägeri comprise entre le débarcadère et la sortie de la Lorze devait être remise en état. Les vagues avaient affouillé le mur centenaire de la berge, qui tombait par endroits en ruine. On profita de ces travaux pour restaurer aussi la passerelle piétonne située juste à la sortie de la rivière. Réalisé en 1908, ce petit pont en arc se compose d’une fine et élégante structure à treillis rivetée. Les deux treillis latéraux forment en même temps garde-corps. Sous le tablier, des poutres transversales, à treillis également, relient les montants, tandis que des contreventements stabilisent la construction dans cette direction. A l’origine, les différents éléments de la structure furent assemblés par rivetage; ceux mis en place plus tard furent boulonnés. Un petit pont d’une grande valeur Fin 2011, l’ouvrage fut, en raison de sa grande valeur culturelle, historique et technique, classé et inscrit à l’inventaire des monuments dignes de protection. Officiellement appelé «Birkenwäldli am Strandweg» – nom que pratiquement personne n’utilise toutefois –, le «Brüggli» témoigne de l’essor que connut la région dans le deuxième tiers du XIXe siècle, lorsque l’industrie indigène du tissage de la soie et, à partir de 1834, celle de la filature générèrent, en raison des possibilités de revenus supplémentaires qu’elles offraient, une augmentation de la population. Du fait de cette industrialisation, qui s’accompagnait d’une redécouverte du paysage et de l’apparition concomitante du tourisme, la rive du 36 lac revêtit une importance accrue. Intimement liée à ce contexte de croissance, la passerelle marque la physionomie de la localité, et beaucoup de ses détails reflètent encore le travail manuel de ses constructeurs – notamment les coups de marteau avec lesquels on donna leur forme cintrée aux âmes des membrures. En tant que structure métallique à assemblages rivetés, le «Brüggli» représente, pour le canton de Zoug, un monument industriel précieux et rare, qu’il convient de conserver tant pour le site que pour la population. Protégé, mais rouillé En janvier 2012, toutefois, une inspection révéla que l’ouvrage était en mauvais état. Aussi les responsables des Monuments historiques et les ingénieurs impliqués se demandèrent-ils comment remettre en état la construction sans que sa substance n’en soit altérée. Deux options furent envisagées. La première visait à conserver l’état actuel en stoppant la corrosion par resoudage et, donc, extraction d’oxygène. La seconde consistait à démonter les éléments rouillés, à les remettre en état et à les réassembler avec de nouveaux rivets. On décida de demander des offres pour les deux solutions et de prendre une décision sur la base des prix proposés et des arguments techniques avancés par les soumissionnaires. Faisabilité des scénarios envisagés Le bureau Staubli Kurath und Partner procéda à une analyse approfondie de la structure existante et des pos steeldoc 03+04/13 sibilités de la restaurer. Les ingénieurs consultèrent la norme SIA 269/3 «Maintenance des structures porteuses – Structures en acier», qui régit la remise en état des structures métalliques et précise notamment ce qui suit: – Lors de la réalisation d’assemblages sur des aciers de construction anciens, les assemblages boulonnés seront préférés aux assemblages soudés (7.1.2.2). – Les rivets défectueux se remplacent normalement par des boulons à haute résistance précontraints. Lors de la mise en précontrainte, si d’autres rivets se desserrent, ils seront également remplacés (7.2.2.1). – Les assemblages hybrides entre rivets et soudures doivent en principe être évités à cause de leurs comportements effectifs différents (7.2.2.2). Par ailleurs, les ingénieurs discutèrent des deux options susmentionnées avec l’Association suisse pour la technique du soudage (ASS), à laquelle le Laboratoire fédéral d’essai des matériaux et de recherche (EMPA) recommande de s’adresser pour les questions liées à cette technique. Il apparut que la passerelle se com posait vraisemblablement d’acier doux, matériau souvent employé à l’époque. Or, le terme d’acier doux désigne tout un groupe d’anciens aciers1, dont la composition précise et la qualité ne sont pas connues, et peuvent sensiblement varier. La teneur de l’acier en phosphore peut être élevée, ce qui rend le soudage dif ficile. Il était dès lors exclu de procéder à des travaux de soudage sur l’ouvrage sans avoir préalablement analysé la composition de l’acier mis en œuvre. 1 Remise en état, la passerelle a repris sa place, mais sur de nouvelles culées. Les anciens rivets n’ont été remplacés que là où c’était nécessaire. L’acier a cependant été repeint, tandis que le tablier se compose d’éléments en béton préfabriqués. 37 Passerelle «Brüggli», Unterägeri 2 La passerelle piétonne p rotégée d’Unterägeri avant sa restauration. 3 La passerelle après élimination de son tablier en béton. C’est à l’endroit des membrures inférieures que la structure métallique était la plus rouillée. En outre, les éléments à souder auraient dû être nus, ce qui n’aurait pas été possible au niveau des nœuds de la structure. Les produits de corrosion existants auraient amoindri la qualité des soudures. Enfin, la présence d’humidité dans les interstices entre têtes de rivets et profilés métalliques aurait entraîné le risque que la vapeur, en s’échappant, n’endommage encore davantage les soudures (pores et inclusions). De ce fait, les assemblages soudés n’auraient pas été tout à fait étanches. En revanche, l’ASS ne voyait aucun problème à ce que les rivets existants soient remplacés par des nouveaux. Des aciers non ou difficilement soudables Sur ce, l’Institut für Werkstofftechnologie (IWT) examina l’ouvrage pour définir avec précision quel était l’acier utilisé et dans quelle mesure il se prêtait au soudage. L’analyse mobile révéla la présence d’éléments que leur composition chimique et les signaux de courants de Foucault mesurés permirent d’identifier comme des aciers Thomas devenus fragiles. Au niveau des goussets, on détecta la présence d’acier puddlé et, pour tous les éléments analysés, celle de peinture au minium. Les aciers Thomas présentent une forte teneur en phosphore et en soufre, ce qui influe sur leur aptitude au soudage. A l’endroit des membrures supérieures, on décela en outre d’importantes inclusions de soufre, qui modifiaient localement les propriétés du matériau 38 steeldoc 03+04/13 4 – 5 Dans les treillis, certains profilés rouillés (à gauche) ont été remplacés par des nouveaux (à droite). et devaient par conséquent être prises en considération dans les calculs statiques. Tant les phénomènes de ségrégation que de fortes teneurs en soufre et en phosphore accroissent le risque que ne se produisent, lors du soudage, un arrachement lamellaire et des fissures de solidification. Aussi les aciers Thomas ne peuventils, du fait de leur structure et de leur composition chimique particulières, être soudés qu’à certaines con ditions. Il fut néanmoins possible de procéder à des opérations de soudage sur la structure existante, ce qui nécessita cependant des soudeurs expérimentés et de bonnes conditions de soudage (par exemple pas de situations obligeant à travailler tête baissée). Les aciers puddlés identifiés à l’endroit de certains goussets furent considérés, en raison de leur inhomogénéité, comme non soudables par fusion. Renouvellement des rivets Ainsi n’apparaissait-il pas indiqué de remettre la passerelle en état en en soudant les assemblages. En effet, les soudures n’auraient pas été étanches et la corrosion n’aurait, partant, pas pu être stoppée. Au contraire, les travaux de soudage auraient risqué d’endommager l’ouvrage. De plus, souder les nœuds aurait représenté une opération irréversible, qui aurait sensiblement modifié le comportement statique du pont. Cela aurait certes permis de conserver les rivets existants, d’une valeur patrimoniale certaine. Mais, en modifiant le fonctionnement de la structure, on aurait fait perdre leur fonction initiale à ces mêmes rivets, qui n’auraient dès lors subsisté que pour la forme. Enfin, toute remise en état future s’en serait trouvée compliquée. Une restauration exigeante Les travaux de réfection des éléments métalliques furent effectués par un serrurier d’art spécialisé dans la restauration. Pour sauvegarder la structure rivetée, il procéda à de nombreuses opérations, la plupart du temps à la main ou à l’aide d’outils spéciaux, comme des presses hydrauliques. La passerelle fut transportée d’une seule pièce dans l’atelier de serrurerie pour y être démontée, à l’exception des membrures supérieures. Tous les éléments furent sablés, puis réassemblés avec de nouveaux rivets. Cela permit de garantir que la corrosion soit parfaitement éliminée et que la structure puisse continuer de fonctionner comme avant. Si l’aspect et le comportement structural initiaux de la passerelle furent sauvegardés, sa durée de vie fut sensiblement augmentée. Grâce à l’élimination de la corrosion à l’endroit des assemblages, au remplacement des quelques pièces complètement rouillées, au rivetage à neuf de la structure, à l’application d’une couche de fond et à la galvanisation des éléments métalliques, l’ouvrage est aujourd’hui prêt à affronter une nouvelle tranche de vie de 100 ans. 39 Passerelle «Brüggli», Unterägeri 6 De nombreuses opérations effectuées à la main, au marteau pneumatique et au chalumeau, ont permis de remplacer les vieux rivets par de nouveaux. (Photos: Clementine van Rooden) 40 steeldoc 03+04/13 7 Assemblages rivetés du «Brüggli» avant restauration. Sont protégés l’emplacement de l’ouvrage, son aspect h istorique et sa construction d’origine. Un nouvel environnement A fin novembre 2013, la passerelle a repris sa place, mais sur de nouvelles culées et avec un nouveau tablier. Alors que celui d’origine était constitué d’une dalle en béton coulée entre des profilés en U intégrés aux treillis latéraux, le nouveau tablier, plus léger, se compose de minces éléments en béton renforcé de fibres de carbone. Comme ce sont des éléments similaires qui composeront le chemin longeant la nouvelle berge plate plantée de roseaux, un lien sera établi entre la passerelle historique et le nouvel aménagement de la rive. La promenade se terminera par des gradins donnant accès au lac. L’achèvement des travaux de réaménagement du site est prévu au printemps 2014. (cvr) Notes 1 voir L’acier comme matériau p. 26 Photographies 1 Clementine van Rooden 2–3 Staubli Kurath und Partner 4–6 Clementine van Rooden 7 Staubli Kurath und Partner (Photo et plans) Lieu Unterägeri (ZG) Maître de l’ouvrage Commune d’Unterägeri Ingénieurs Staubli Kurath und Partner, Zurich (rénovation) Construction métallique Gebrüder Gysi, Baar (pont historique) Serrurerie d’art Moritz Haberling, Uerzlikon (restauration) Architectes paysagistes OePlan, Balgach Typologie pont en arc Dimensions portée: 19 m Matériau acier Thomas Date de réalisation 1908; rénovation et restauration: 2013 41 Le pont sur l’Aar à Aarwangen Un tracé élégant à travers un site protégé Maître de l’ouvrage Aare Seeland mobil (asm) Ingénieurs Pont historique: Zschokke, Döttingen Nouveau projet: Fürst Laffranchi Bauingenieure, Wolfwil Architectes Ilg Santer Architekten, Zurich Année de construction 1907 De nombreux ponts ferroviaires historiques de Suisse doivent être soumis à un contrôle de leur structure porteuse. Cela permet de constater si le pont peut être remis en état ou doit être remplacé. Pour de nombreux ponts, une nouvelle construction est requise pour des raisons d’économie ou de technique d’exploitation. Le remplacement de témoins d’une époque industrielle est toujours douloureux. Mais en l’occurrence, le nouveau projet est si convaincant que l’on ne ressent aucune amertume. Depuis Niederbipp, le pont ferroviaire vieux de 106 ans franchit l’Aar près du château d’Aarwangen et du restaurant Bären, qui servait autrefois de douane, vers Langenthal. Il est situé directement à côté du pont routier, nouvel ouvrage du bureau d’ingénieurs Har tenbach & Wenger de Berne, réalisée en 1997 après 42 une mise au concours, et dont la structure porteuse située sous la chaussée est constituée d’un treillis en tubes d’acier soudés. Le trottoir parallèle au pont routier est suspendu à la construction métallique et penche vers l’aval au-dessus de la pile centrale. Les trois ponts constituent un ensemble de franchissement de l’Aar. Cette situation au nord d’Aarwangen est enregistrée à l’inventaire des sites protégés de Suisse comme cas particulier «d’importance nationale». Le pont ferroviaire lui-même est noté à l’inventaire des constructions du canton de Berne comme monument protégé (objet K, groupe C). steeldoc 03+04/13 2 – 3 Le pont en acier existant sur l’Aar près d’Aarwangen d’Aare Seeland mobil; la con struction en treillis doit être remplacée. Poutres à deux travées à diagonales tombantes Le pont ferroviaire historique a été construit en 1907 parallèlement au pont routier, au moment où l’ancienne ligne Langenthal Jura (LJB) a été mise en service entre Langenthal et Oensingen. Conformément au pont routier déjà existant, la société Zschokke de Döttingen AG – à l’époque une entreprise de pointe de constructions métalliques en Suisse – a également réalisé une structure en fer rivetée en treillis avec poutre principale supérieure à deux portées de 48 m chacune. Des diagonales reprennent l’effort tranchant et sont disposées de manière à être sollicitées à la traction pour le reprise de la charge uniformément répartie et le poids propre; de même, l’inclinaison des diagonales tombantes change, sur ces poutres à deux travées, environ aux 2/3 de la portée, là où se produisent les plus grands moments en travée et sur appui et où il n’y a donc pas d’effort tranchant. 1 Les ponts sur l’Aar avec le château d’Aarwangen sur la rive sud constituent un site protégé qui doit être conservé. Le tablier à voie unique se trouve à peu près à mihauteur de la poutre en treillis; la superstructure com prenant la voie et les traverses est fixée directement sur la construction en acier. Celle-ci repose à son tour sur des culées massives en pierre naturelle (roche calcaire) ainsi que sur une pile centrale et sur les culées du pont routier voisin. En 1979, les poutres lon gitudinales, transversales et principales ainsi que le contreventement de la construction rivetée en fer ont été renforcés de profilés en acier supplémentaires reliés à la construction d’origine au moyen de boulons à haute résistance. Cela a considérablement modifié l’ouvrage original, ce qui dérange l’esthétique des détails. Un représentant de la construction rivetée La construction rivetée est, comme le pont d’Unter stetten1, synonyme d’efficacité maximale à tous égards: temps de construction (probablement) extrêmement court, consommation minimale de matériel, coûts minimaux, aspect simple et épuré. La construction rivetée en fer était lors de sa réalisation l’une des nombreuses exécutions d’un mode de construction qui avait fait ses preuves en 1907 et avait souvent été réalisé. Ici également, l’aspect élancé reflète l’efficacité technique et le fait que les ingénieurs aient renoncé à des éléments décoratifs contribue à l’homogénéité et à la logique. Le pont est un témoin des constructions métalliques du début du XXème siècle. Il n’est cependant pas une référence importante dans le domaine des ponts rivetés. Sa valeur historique et culturelle n’est donc pas très grande. Sa construction tout en finesse est cependant d’une haute qualité esthétique. De même que 43 Le pont sur l’Aar à Aarwangen osition du pont et de tout le franchissement de l’Aar p pour le chemin de fer, la route et le cheminement pédestre. Car sa situation de «portail» avec le château et le restaurant constitue, avec les ponts, un site de haute valeur.2 La construction a pris de l’âge En 2008, le bureau d’ingénieurs Trachsel, Schibli Walder + Partner a analysé la sécurité de la construction. Les vérifications ont montré que la sécurité struc turale et à la fatigue des éléments de construction est suffisante, sauf pour les parties non renforcées des poutres longitudinales. La pile centrale, les culées et le terrain sont dans un état satisfaisant. La construction en acier présente actuellement quelques dommages dus à la corrosion, quelquefois avec une forte réduction de section ou même des piqûres de rouille. La protection anticorrosion – renouvelée pour la dernière fois en 1998 – est toujours dans un état acceptable mais devrait être refaite et la couche de fini tion renouvelée. Néanmoins, l’état actuel de la con struction métallique peut être considéré comme satisfaisant. Des poutres à âme pleine sur deux travées Pour des raisons d’économie, d’exploitation et aussi pour quelques raisons techniques, le pont ferroviaire historique doit être remplacé, et Aare Seeland mobil (asm) a invité quatre bureaux d’ingénieurs à soumettre une offre pour une étude en vue d’une construction de remplacement. Finalement, trois équipes ont élaboré, lors d’une procédure à trois niveaux, un projet fort exigeant du point de vue de la conception et de l’adaptation au site existant. Les trois équipes ont finalement soumis des solutions avec des poutres à âme pleine en acier. Ce mandat d’étude, qui paraissait à l’origine peu complexe, a cependant abouti à une intéressante comparaison car on pouvait comparer directement trois ouvrages analogues de par leur système statique. Les différences de conception sont évidentes et bien marquées et il apparaît nettement combien l’élaboration formelle et la composition particulière sont importantes pour un ouvrage d’art.3 Les poutres à treillis à l’honneur Le projet gagnant des ingénieurs Fürst Laffranchi et des architectes Ilg Santer prévoit un pont ferroviaire en poutres à deux travées de 48 m de portée chacune. La voie se trouve à mi-hauteur entre les deux poutres principales doublement symétriques de 3.1 m de hauteur de la construction en acier. Les tôles des âmes des poutres principales sont perforées. Les ouvertures en forme de losange, qui réduisent le plus possible les concentrations de contraintes, sont disposées en une grille variant en fonction de la sollicitation à l’effort tranchant. Ce profilage de l’âme des poutres s’inspire des poutres en treillis rivetées du XIXème siècle et 4 – 5 Chaque ouvrage en acier est éloquent en soi: le pont ferroviaire en acier riveté encore existant et datant de 1907 et la construction en treillis soudé du pont routier de 1997 (rouge). 44 steeldoc 03+04/13 aboutit à une heureuse combinaison de fonctions struc turale et esthétique. L’élégante construction a relativement peu de soudures et est ainsi moins sensible au phénomène de fatigue que des constructions soudées conventionnelles. La construction relativement légère permet d’éviter d’importantes interventions sur l’infrastructure en ce qui concerne les piles et les culées. L’entretien – c’est ici surtout la protection contre la corrosion qui est essen- tielle – pourrait être assez réduit étant donné que le nombre de raidisseurs et les surfaces d’acier sont réduits à un minimum. La démolition du pont existant et le montage de la nouvelle construction sont prévus au moyen de grues à pneus depuis le pont routier. Pour cela, deux palées auxiliaires ont été enfoncées dans le lit du fleuve comme appuis supplémentaires. Le programme de construction prévoit une interruption totale de l’exploitation ferroviaire de trois à quatre semaines en 2014. (eb, cvr) 6 Le projet gagnant des ingénieurs Fürst Laffranchi et des architectes Ilg Santer: le nouveau pont ferroviaire a sa place dans l’ensemble cons titué par le château et l’ancienne douane et s’y intègre sans dominer. La peinture grise convient à un pont ferroviaire et à l’environnement. Notes et littérature 1 voir Unterstetten, Rigi-Scheidegg, p. 20 2Rapport du groupe d’accompagnement du mandat d’étude avec évaluation des projets 3TEC21 45/2013, Wettbewerbsbeitrag Aarwangen Expertise «Bahnbrücke in Stahlbauweise über die Aare, Aarwangen BE, Beurteilung der Erhaltenswürdigkeit und -fähigkeit», Eugen Brühwiler Photographies 1 Eugen Brühwiler 2 – 3 Clementine van Rooden 4 – 5 Eugen Brühwiler 6 Fürst Laffranchi et Ilg Santer Lieu Aarwangen (BE) Maître d’ouvrage AareSeeland mobil (asm) Ingénieurs Laffranchi Bauingenieure, Wolfwil (projet gagnant pour la construction de remplacement) Architectes Ilg Santer Architekten, Zurich (projet gagnant pour la construction de remplacement) Constructions en acier Zschokke, Dottingen (acier doux) Typologie de construction poutre à deux travées Portée 2 x 48 m Sorte d’acier acier doux Année de construction 1907; construction de remplacement: non encore déterminée 45 Pont sur la Thur, Gütighausen Prolongé conformément à l’original Maître de l’ouvrage Canton de Zurich Ingénieurs Pont métallique historique: Löhle & Kern, Zurich Prolongement du pont métallique (réplique): Flückiger + Partner Année de construction Pont métallique historique: 1914 Prolongement du pont métallique (réplique): 1988 Depuis 1914, un pont à treillis en acier, actuellement à deux travées, franchit le tronçon inférieur la Thur entre Gütighausen et Ossingen. Jusqu’en 1988, ce pont n’avait qu’une travée au-dessus de la rivière; à cette date, Il a été prolongé d’une travée afin d’agrandir la section de la rivière au fond de la vallée. L’aspect du prolongement du pont a été le plus possible assimilé à l’original. Après le Rhin, la Thur est la plus longue rivière de Suisse orientale. A la partie inférieure de son cours long d’environ 135 km, depuis la source située au pied du Säntis jusqu’à sa confluence avec le Rhin entre Ellikon am Rhein et Flaach, elle s’écoule à travers un paysage vallonné comprenant quelques plaines, plaines inondables et d’anciens cours d’eau. Etant donné la région de sa source préalpine à alpine et l’absence de lacs comme bassins de retenue naturels, le débit est assez irrégulier, en particulier sur les 20 derniers kilomètres dans le canton de Zurich, ce qui entraîne 46 des crues importantes. Cette caractéristique fait éga lement que la Thur transporte quelquefois d’importan tes quantités de bois flottant jusqu’au Rhin et que de la glace se forme en hiver – autant de facteurs qui ont déjà endommagé un certain nombre de ponts avec des piles en rivière. C’est pourquoi, depuis le moyenâge, il n’a été construit qu’un petit nombre de gués, plus tard de ponts sur des éperons rocheux bien placés, c’est-à-dire perpendiculaires au lit de la rivière (le plus connu est le pont de Bischofszell à huit arcs de pierre construit en 1487 et conservé jusqu’à nos jours). steeldoc 03+04/13 Les ponts reflètent le développement régional Etant donné le risque latent de crues et le faible trafic dans cette région guère industrialisée, on a fait preuve jusqu’à nos jours d’une certaine réserve en ce qui concerne la construction de ponts dans les tronçons plats de la vallée. Cela explique que l’on n’ait construit qu’en 1862 un simple pont de bois pour la route de liaison entre les communes d’Ossingen et le village de Gütighausen qui fait partie de la commune de Thalheim. Le danger de crues n’était pas négligeable, car en effet, 14 ans plus tard, le premier pont a été emporté par les flots. Manifestement, l’importance du pont de Gütighausen au niveau de la politique des transports n’était pas bien grande car il n’a été remplacé qu’en 1880 par un nouveau pont, désormais en acier. Entretemps, l’ère industrielle avait déjà commencé dans cette partie tranquille du canton de Zurich avec la construction de lignes ferroviaires: quelques kilomè tres en aval de Gütighausen, la ligne Oberwinterthur – Etzwilen (le prolongement d’origine vers Singen en Allemagne n’est plus en service) franchit la vallée de la Thur à la hauteur du pont bien connu d’Ossingen (voir photo page 53), actuellement un des plus grands pont en acier de Suisse. Depuis 1857 déjà, quelques kilomètres plus bas vers le Rhin, le remarquable pont en fer d’Andelfingen de la ligne Winterthur-Schaff house franchit la Thur. Des travaux de renforcement lourds de conséquences Compte tenu des dangers de crues et de bois flottant, on a construit un pont à une travée avec poutres à treillis et tablier inférieur. Afin de libérer le plus possible le passage, la chaussée était située à environ 5 m au-dessus du lit de la Thur. Les deux poutres principales hautes de 6,5 m à diagonales simples sans montants franchissaient avec 4,0 m de hauteur une travée longue de 67,5 m. Elles étaient reliées en haut et en bas par des traverses et des contreventements. Une chaussée en bois large de 3,7 m suffisait à un trafic limité. Lorsque les voitures à chevaux ont été remplacées peu à peu par des camions, la fine structure a été de plus en plus considérée comme trop légère, d’autant plus qu’il y avait aussi des défauts de construction. Le gouvernement du canton de Zurich a décidé en 1913 de faire renforcer le pont. Le pont routier de Gütighausen avec l’extension construite comme réplique de la plus grande portée de 1914 mais avec une technique d’assemblage moderne. Les mesures de renforcement comprenaient entre autres le remplacement des poutres longitudinales sous la chaussée, le rivetage de diverses lamelles supplémentaires sur les membrures et diverses poutres ainsi que le remplacement des contreventements. Les mesures de renforcement ont commencé en mars 1913 et étaient déjà très avancées en mai, il n’y avait plus qu’à renforcer ou à remplacer les membrures supérieures et le contreventement supérieur. Durant cette dernière phase de transformation, le pont s’est effondré le 14 mai 1913, ceci subitement et sans que rien ne permette de le prévoir, à l’état non chargé, et deux des sept ouvriers travaillant sur le pont ont été grièvement blessés. Comme l’ont montré des analyses ultérieures, la stabilité au flambage des membrures supérieures n’était plus suffisante même à l’état non chargé, le con treventement supérieur ayant été partiellement démonté pendant la transformation. L’original de 1914 Le pont sur la Thur de Gütighausen, après l’effondrement de 1913, n’était plus réparable, toutes les poutres étant trop pliées et tordues. Il a donc été remplacé au même endroit, jusqu’au printemps 1915, par un nouveau pont en acier de conception analogue, mais plus lourde et plus stable. 47 Pont sur la Thur, Gütighausen Le pont sur la Thur de Gütighausen, construit en 1914/15, franchit la rivière à angle droit par une travée d’une portée d’environ 67,5 m. La chaussée est suppor tée par une poutre supérieure à treillis à diagonales simples et montants (contrairement au pont précédant sans montants de 1880), avec stabilisation par des contreventements inférieur et un supérieur. Cette con ception garantit une section de passage sans obstacles jusqu’à la hauteur du couronnement des digues. L’espacement des montants de 4,825 m divise la longueur du pont en 14 sections, la membrure supérieure ne s’étendant que sur les 12 sections intérieures. La hauteur des poutres est de 6,5 m, la largeur de 4,4 m et la hauteur de passage d’environ 4,9 m. Les montants sont reliés à la hauteur de la membrure inférieure par des traverses supportant à leur tour trois longerons pour la chaussée, sur toute la longueur du pont. Les bords extérieurs de la chaussée et des chemins piétonniers sont constitués de profilés en U fixés sur les montants. La poutre à treillis repose sur la culée côté Ossingen sur des appuis à rotule et à rouleaux, sur la culée côté Gütighausen sur des appuis fixes à rotule. La structure porteuse rivetée en acier doux reflète l’état de la construction des ponts en acier de l’époque et paraît, en comparaison de constructions plus anciennes, plus légère, moderne et sobre. A l’origine, le tablier en profilés Zorès NP11 était posé sur les trois longerons perpendiculairement à l’axe du pont. Un mince coffrage était déposé pour la chaus sée large de 2,50 m avec un revêtement en asphalte à plusieurs couches et bordure pavée. Les deux chemins piétonniers larges chacun de 0,95 m étaient de cons truction analogue mais plus simple, limités par des pavages bas et assurés par des balustrades à claire voie de 1 m de hauteur. En vertu de l’Ordonnance concernant le calcul et l’examen des ponts et bâtiments élevés de construction métallique des entreprises de transport soumises à la surveillance de la Confédération du 7 juin 1913, article 8, il était fixé une charge maximale, uniformément répartie de 400 kg/m², ou un poids de véhicule de 14 t, ou un «rouleau compresseur» d’un poids de 18 t (ce que l’on peut assimiler à un transport exceptionnel). La chaussée était conçue pour l’exploitation à une voie à circulation alternée, ce qui suffisait étant donné le faible trafic de l’époque. La largeur totale de 4,4 m et les pavés bas et arrondis permettaient néanmoins à de petits véhicules de se croiser sur le pont – ce qui arrivait d’ailleurs souvent. Première cure de fitness après 67 ans Depuis sa mise en service, le pont sur la Thur de Gütighausen a été en service ininterrompu pendant près de 70 ans. L’augmentation sensible du trafic motorisé, également ressentie dans cette région périphérique après la seconde guerre mondiale, et l’utilisation croissante de sel de déverglaçage, avaient sollicité exagérément la chaussée conçue plus tôt pour des véhicules à chevaux. En 1981, les profilés Zorès ont été démontés sur toute la chaussée et remplacés par une dalle monolithique en béton armé posée direc tement sur les longerons et entretoises inférieurs. La largeur de la chaussée et des chemins piétonniers n’a pas été modifiée, les revêtements en asphalte et les Le pont sur la Thur près de Gütighausen est un pont r outier qui ne peut être emprunté qu’à une voie. Il a été prolongé en 1988. 48 steeldoc 03+04/13 pavés de bordure ont été placés conformément à l’état de la technique de l’époque. Cette transformation n’a pas influencé la construction en acier et les rampes de fer ont été conservées. Selon la planification, le pont pourra encore être utilisé avec la nouvelle dalle de chaussée durant des décennies sans grandes interventions. La rivière apprivoisée Le comportement indiscipliné de la Thur (de grandes inondations ont été enregistrées par exemple pour 1664, 1755, 1789, 1852, 1876, 1881 et 1883) a très tôt abouti à des projets de correction du cours inférieur. Les communes thurgoviennes et zurichoises concernées ont réalisé, entre 1874 et 1893 déjà, une correction complète de la Thur fixant le cours actuel dans ces deux cantons. Les digues de cette grande correction dé passaient en partie de quelques mètres le paysage environnant et ont ainsi également déterminé la situation du nouveau pont en acier construit en 1913 près de Gütighausen. Côté Ossingen, la route a dû être construite sur une digue au niveau du couronnement alors que le village de Gütighausen, avec son croisement routier directement au bord de la rivière, est déjà situé au niveau du couronnement. Mais la Thur n’en était pas encore définitivement domp tée pour autant car lors des crues du XXème siècle (1910, 1965, 1977 et 1978), des digues se sont rompues en divers endroits. Les trois cantons riverains (SG, TG, ZH), alarmés et sensibilisés par ces événements, ont établi ensemble, en 1979, le projet de rectification du cours de la Thur avec une nouvelle conception de la protection contre les hautes eaux. La nouvelle Coupes du plan historique de 1914 (Archiv Flückiger + Bosshard). 49 Pont sur la Thur, Gütighausen conception prévoyait, partout où c’était faisable, l’élargissement du lit avec la création (ou l’ouverture) de zones de décharge et de rétention, ainsi que la suppression des goulets d’étranglement, parmi lesquels les ponts. La Thur a ensuite été assainie de la manière la plus proche de la nature entre 1983 et 2005 dans la partie thurgovienne et la partie zurichoise jusqu’à Andelfingen, où se trouve le pont de Gütighausen. Depuis 2007, le projet de protection contre les crues des plaines alluviales et de l’embouchure de la Thur en aval a été réalisé. Prolongement du pont pour un débit plus important Entretemps, le projet de rectification de 1979 avait engagé des premières mesures concrètes d’assainis sement. Cela englobait l’élargissement du lit à proximité du pont sur la Thur de Gütighausen. Pour y parvenir, il s’agissait d’éliminer la digue avec la route côté Ossingen, qui bloquait la section d’écoulement, pour la remplacer par un avant-pont. Les digues principales et les ponts existants ont été conservés, il s’agissait donc de prolonger le pont de Gütighausen en direction d’Ossingen jusqu’au versant de la vallée. Le terrain ainsi gagné à l’endroit de la digue reste normalement sec et peut être utilisé par l’agriculture comme par l’environnement. En cas d’inondation vers les digues amont, ce terrain sert à augmenter la section d’écoulement sous la nouvelle partie du pont. L’augmentation de section et le prolongement du pont étaient prévus pour 1988. Etant donné que le pont existant avait été équipé en 1981 d’une nouvelle dalle de chaussée, il n’a pas été envisagé de nouvelles cons tructions sur toute la largeur d’écoulement normal et du nouvel espace de décongestionnement. Mais il était aussi prévu que la nouvelle partie du pont resterait à une voie; au sens de la protection des paysages, le canton de Zurich a décidé que cette partie devait se présenter comme une suite logique du pont existant et être construite de la même manière. Une réplique réussie Les ingénieurs de projet avaient donc pour mandat de construire une réplique moderne d’un pont en treillis datant de plus de 70 ans. Comme le montre le résultat, ils y sont parvenus dans une large mesure: le nouveau pont a, à quelques petites exceptions près, les mêmes dimensions principales et bien entendu une même structure porteuse que l’original. En particulier, l’espacement des montants et l’inclinaison des diagonales sont identiques, ce qui est important pour l’impression optique. Le nouveau pont n’a que 29 m de longueur environ, ce qui donne six travées contre 14 pour l’ancien pont. Etant donné qu’il n’y a qu’un espace minime entre les extrémités de la membrure inférieure des deux poutres à treillis sur la nouvelle pile médiane, les deux ponts semblent être d’un seul tenant. Le nouveau pont est construit en profilés modernes en acier laminé qui ont dans la mesure du possible des proportions analogues à celles des profils d’origine. Extrait du plan historique de la construction métallique de 1914. La section est toujours actuellement à l’état o riginal. (Archiv Flückiger + Bosshard) 50 steeldoc 03+04/13 Le barrage d’origine a dû être remplacé par un avant-pont en 1988 Le terrain ainsi gagné à l’endroit de la digue reste normalement sec et peut être utilisé par l’agriculture. Les assemblages ont été soudés en usine, les parties plus grandes boulonnées sur le chantier. Cela donne évidemment un aspect légèrement différent de celui des anciennes poutres rivetées, les tôles d’angles et d’autres pièces de raccordement étant de construction également différente, mais l’impression générale reste à peu près la même. Les balustrades ont été reproduites dans toute la mesure du possible et les poutres à treillis du nouveau pont reposent sur quatre appuis ponctuels car la reproduction des appuis d’origine n’aurait pas été judicieuse. Ces composants à peine visibles n’ont guère d’influence sur l’impression générale. Autre simplification: la dalle de chaussée de la nouvelle partie n’est plus posée que sur deux poutres longitudinales au lieu de trois, également peu visibles et sans importance pour l’impression visuelle générale. Sur le nouveau pont, la dalle de chaussée est réalisée en béton à armature passive. Elle est d’environ 10 cm plus large mais avec la même subdivision que l’ancien pont. Pour le prolongement du pont, la transformation de l’ancienne culée côté Ossingen en une pile médiane a été délicate du point de vue de la technique de construction. L’ancienne construction en béton damé sur fondation plate a été transformée en structure en béton armé en partie sur pilotis et côté Ossingen, il a fallu construire une nouvelle culée en béton armé. Les deux ponts ont été contrôlés intégralement en 1997/98. Il s’est avéré à cette occasion que sur le pont âgé de plus de 80 ans. la protection anticorrosion avait atteint la fin de sa durée de service et qu’il y avait déjà quelques dommages dus à la corrosion. Mais d’une manière générale, la construction en acier était en- core en bon état malgré son âge. La protection anticorrosion de l’ancien pont a été entièrement remplacée. Le revêtement du nouveau pont a été renouvelé. Ces mesures ont permis d’égaliser la couleur des deux ponts, supprimant toutes différences frappantes entre les deux ouvrages d’art. (mb) Notes et litérature – Schweizer Bauzeitung, «Einsturz der eisernen Strassenbrücke bei Gütighausen», Nr. 21 1913, p. 283 – Schweizer Bauzeitung, «Einsturz der eisernen Strassenbrücke bei Gütighausen», Nr. 22 1913, p. 298 – Schweizer Bauzeitung, 1 er avril 1916, «Neubau der Thurbrücke bei Gütighausen», Nr. 14 1916, p. 172 –173, Prof. A. Rohn Photographies Dietrich Michael Weidmann, Uster (wikimedia.commons) Lieu Thalheim an der Thur, commune de Gütighausen ZH Maître de l’ouvrage Canton de Zurich Ingénieurs Löhle & Kern, Zurich (pont de 1915); Flückiger + Bosshard, Zurich (pont de 1988) Constructions métalliques Löhle & Kern, Zurich Typologie de construction poutre à treillis en simple travée Portée 67,5 m (pont de 1915); 29 m (pont de 1988) Aciers acier doux (pont de 1915); acier laminé (pont de 1988) Achèvement 1915 Année d’extension 1988 51 Recension de livre «Les ponts ferroviaires suisses» La construction des ponts en Suisse jouit d’une excellente réputation internationale. Le livre «Schweizer Bahnbrücken» du service de protection des monuments historiques des CFF et de la Société d’histoire de l’art en Suisse SHAS présente une centaine des principaux ponts ferroviaires, qui font partie du patrimoine culturel de Suisse. La Suisse, avec sa topographie typique et sont dense réseau de circulation, et un pays qui fait office de pont et jouit d’une grande réputation internationale. La compagnie ferroviaire nationale Chemins de Fer Fédé raux CFF possède à elle seule 6000 ponts dont beaucoup comptent parmi les meilleures constructions réalisées en Suisse ces 160 dernières années. Tous témoignent de l’histoire de l’ingénierie et montrent comment ont évolué le savoir-faire en construction, l’utilisation des matériaux, la production industrielle et les idées d’esthétique. Les ponts sont ainsi des archives vivantes, constituant en quelque sorte un «patri moine génétique» des types de construction qu’il vaut la peine d’examiner de plus près. C’est précisément ce qui rend le livre «Schweizer Bahnbrücken» intéressant non seulement pour les spécialistes de la plani fication mais aussi pour les profanes intéressés, étudi ants en génie civil ou entreprises dans le domaine des constructions métalliques. Le livre «Schweizer Bahnbrücken» präsente une centaine de ponts ferroviaires importants, dont 21 sont décrits en détail avec des photographies de Georg Aerni. Plus de la moitié de ces ponts sont soit des construc tions purement en acier, soit de construction composite. En outre, beaucoup des ponts actuellement construits en pierre ou béton étaient à l’origine des constructions en acier. Le livre complété de plans, d’archives photographiques et d’indications techniques et géographiques, décrit l’histoire de la construction des ponts ferroviaires en Suisse, traite d’aspects de protection des sites et con tient un glossaire des termes techniques. Un livre qui ouvre les yeux: qui a lu le livre aura une nouvelle perception de la beauté des ponts. Des exemples importants des ponts présentés et les textes détaillés dans ce numéro de steeldoc sont deux ponts d’acier: le viaduc de Bietsch (pages 12 –15) et le pont sur l’Aar à Koblenz (pages 16 –19). Nous avons pu les analyser en détail dans steeldoc et aussi utiliser les photographies de Georg Aerni(voir Editorial). Parmi les belles photographies de Georg Aerni, il y a aussi le pont d’Isorno en page 6 et celui d’Ossingen à droite. (cvr) Schweizer Bahnbrücken 1 ère édition, 2013; relié, 240 pages, 160 couleurs et 171 illustrations et plans Format 22 x 27 cm ISBN 978-3-85881-393-0 Architektur- und Technikgeschichte der Eisenbahnen in der Schweiz, Band 5 Scheidegger-Spiess Verlag / www.scheidegger-spiess.ch Avec des contributions de Jürg Conzett, Jean-Jacques Reber et Ruedi Weidmann, Eugen Brühwiler, Helmut Heimann et Lorenzo Sabato, Aldo Rota et Clementine van Rooden. Photographies de Georg Aerni. Couverture (Scheidegger-Spiess Verlag) 52 steeldoc 03+04/13 Sélection de plans et photos historiques du livre. (Plans: SBB Mikrofilmzentrale, Bern; Photos: SBB Historic) Photo du livre: Le pont de 1875 sur la Thur à Ossingen est le dernier pont ferroviaire suisse à piles en fer encore en service. (Photo: Georg A erni) 53 Annexe Tableaux synoptiques Le département des chemins de fer a édicté en 1892 la première ordonnance fédérale sur la construction des ponts, qui a été à l’origine de la normalisation suisse dans le domaine des structures porteuses et peut être considérée comme prédécesseur des normes SIA actuelles. En vertu de cette ordonnance sévère, tous les ponts en fer devaient être recalculés, ce qui a nécessité des renforcements et modifications considérables sur les ponts existants. Cette mesure avait été prise une année plus tôt, après l’effondrement du pont sur la Birs de 1875 près de Münchenstein. Cette catastrophe a éga lement effrayé le monde spécialisé. Par la suite, la recherche a été intensifiée (essais de flambage de Tetmajer) et les constructions existantes ont été surveillées de plus près. (cvr) Tableau 2 Aperçu des normes et ordonnances suisses de construction en acier Année Titre 1892 Verordnung betr. Berechnung und Prüfung der eisernen Brücken- und D achkonstruktionen auf den schweizerischen Eisenbahnen 1895 Allgemeine Bedingungen und Technische Vorschriften für die Berechnung von eisernen Brücken- und Dachkonstruktionen 1913 Verordnung betr. Berechnung und Untersuchung der eisernen Brücken und H ochbauten der der Aufsicht des Bundes unterstellten Transportanstalten 1935 SIA 112, Normes concernant le calcul, l’éxécution et l’entretien des constructions métalliques et des constructions en béton et en béton armé 1942 SIA 112, Normes concernant le calcul, l’éxécution et l’entretien des constructions métalliques et des constructions en béton et en béton armé; Modifications des art. 67,87,109,110 und 112 1946 SIA 112/II, Projet de normes concernant le calcul, l’éxécution et l’entretien des constructions métalliques, en béton, en béton armé et en bois 1956 SIA 161, Normes concernant la calcul, l’exécution et l’entretien des constructions métalliques 1974 SIA 161, Constructions métalliques 1979 SIA 161, Constructions métalliques 1990 2003 2013 SIA 161, Construction en acier SIA 263, Construction en acier SIA 263, Construction en acier Méthode de vérification Contraintes admissibles Contraintes admissibles Contraintes admissibles Contraintes admissibles selon le cas de charge Contraintes admissibles selon le cas de charge Contraintes admissibles selon la classe d ’ouvrages et le cas de charge Contraintes admissibles selon la classe d ’ouvrages et le cas de charge Contraintes admissibles selon la classe d ’ouvrages et le cas de charge Capacité portante, aptitude au service, v ariante: Annexe III Contraintes admissibles selon éd. de 1974 Sécurité structurale, aptitude au service Sécurité structurale, aptitude au service Sécurité structurale, aptitude au service Source: Ouvrage Tragwerksnormen 1892 –1956 Sia Procédure pour la maintenance des structures porteuses selon les normes SIA 269, 269/1 et 269/3, examen, matériaux, méthode de vérification, exigences Description des aciers selon l’annexe A de la norme SIA 269/3 Autres renseignements: Rapport de recherche 271 du «Bundesanstalt für Materialforschung und -prüfung» Berlin, 2005 Littérature recommandée: Ines Prokop, «Vom Eisenbau zum Stahlbau. Tragwerke und ihre Protagonisten in Berlin 1850 –1925», 2012 Tableau 3 Aperçu des aciers depuis 1956 Désignation de l’acier Ac 37 Ac 52 Ac 24/37 Ac 36/52 Fe 360 Fe 510 Fe E 235 Fe E 355 S 235 S 355 S 235 S 355 3) 4) 5) 54 Norme SIA [année (norme)] 1956 (161) 1974 (161) 1979 (161) 1990 (161) 2003 (263) 2013 (263) f yk 3) s zul 4) 5) Méthode de vérification [N/mm 2] [N/mm 2] 235 355 235 355 235 355 235 355 235 355 235 355 84 –180 Contrainte admissible (selon la classe d’ouvrages et le cas de charge) Augmentation avec la limite apparente d’élasticité et la résistance à l’endurance 86 –180 Contrainte admissible (selon la classe d’ouvrages et le cas de charge) 94 – 270 86 –180 Deux méthodes: Vérification à la ruine et vérification de l’aptitude au service/ Variante: Contraintes admissibles 94 – 270 Sécurité structurale et aptitude au service Sécurité structurale et aptitude au service Sécurité structurale et aptitude au service Valeurs pour t ≤ 40 mm, selon norme SIA 269/3 Les contraintes admissibles ne sont qu’indicatives, elles ne peuvent être évaluées qu’en relation avec les normes correspondantes. Contraintes selon le cas de charge, la classe d’ouvrages, la valeur limite de la sollicitation, la charge alternée steeldoc 03+04/13 Impressum steeldoc 03+04/13, décembre 2013 Ponts historiques en acier double numéro Editeur: SZS Centre suisse de la construction métallique, Zurich / www.szs.ch Evelyn C. Frisch, directrice Rédaction et mise en page: Clementine van Rooden; Evelyn C. Frisch (rédaction finale) Antonio Ferrarese (détails techniques et tableaux) Textes: Clementine van Rooden (cvr) , ing. dipl. EPF, journaliste spécialisée BR; Eugen Bruhwiler (eb) : Prof. Dr. ing. dipl. EPF/SIA/IVBH, Professeur, Laboratoire de maintenance, construction et sécurité des ouvrages EPF Lausanne, vice-président de la «Gesellschaft fur Ingenieurbaukunst» (www.ingbaukunst.ch); Max Bosshard (mb), ing. dipl. EPF/SIA; Marléne Platzer (mp) , ing. dip. FH Traductions françaises: Léo Biétry, Lausanne: Essai, Koblenz, Unterstetten, Assemblages, Brüggli Richard Squire, Schüpfen: Indroduction, Bietschtal, Matériau, Aarwangen, Gütighausen, A nnexes Relecture: Michel Crisinel, SZS Photos et plans: Titre: Georg Aerni Editorial: Clementine van Rooden Articles: voir références à la fin de chaque article Sources: Documentation du viaduc du Bietschtal et pont sur l’Aar Koblenz (photos de Georg Aerni) avec l’accord des CFF (SBB Fachstelle für Denkmalpflege und der Gesellschaft fur Schweizerische Kunstgeschichte GSK) de l’ouvrage «Schweizer Bahnbrucken», éditions Scheidegger-Spiess, 2013. Conception graphique: Gabriele Fackler, Reflexivity AG, Zurich Administration et abonnements: SZS Centre suisse de la construction métallique, Zurich Impression: Kalt Medien AG, Zoug ISSN 0255-3104 Abonnement annuel CHF 48.– / étranger CHF 60.– Numéros isolés CHF 15.– / doubles numéros CHF 25.– Sous réserve de changement de prix. A commander sur www.steeldoc.ch Construire en acier/steeldoc© est la documentation d’architecture du Centre suisse de la construction métallique et paraît quatre fois par an en allemand et en français. Les membres du SZS r eçoivent l’abonnement ainsi que les renseignements techniques du SZS gratuitement. www.steeldoc.ch Toute publication des ouvrages implique l’accord des architectes, le droit d’auteur des photos est réservé aux photographes. Une reproduction et la traduction même partielle de cette édition n’est autorisée qu’avec l’autorisation écrite de l’éditeur et l’indication de la source. SZS Stahlbau Zentrum Schweiz Centre suisse de la construction métallique Centro svizzero per la costruzione in acciaio Seefeldstrasse 25 CH-8008 Zurich Tél. 044 261 89 80 Fax 044 262 09 62 [email protected] | www.szs.ch