Photo - Mathias Reynard
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Photo - Mathias Reynard
Interview intime Mathias Reynard A 26 ans, le socialiste valaisan Mathias Reynard est le benjamin du Parlement fédéral. Syndicaliste-né, il défend les droits des homosexuels aussi bien que le patois, en écoutant du Dylan. Photos didier martenet- Texte xavier filliez «J’aime défendre ceux qu’on n’entend jamais» Pourquoi ce piercing au sourcil? Il n’a pas de signification particulière. C’était sur un coup de tête. J’avais 14 ou 15 ans… J’avais demandé la permission à mes parents qui étaient très tolérants. Tant que je ne faisais pas l’imbécile, j’avais droit à leur confiance. C’est important, le look, la coquetterie, l’accessoire qui isole de la masse? Pas tellement. C’est mon petit frère Martin qui m’achète des habits (rire). Lui, il est à la mode. J’ai un look assez tranquille, passe-partout, dans le sens où il ne détonne pas dans ma classe d’âge. C’est autre chose au Parlement fédéral… Je viens aux séances en costard, par respect pour la fonction et les institutions, mais quand on sort du Palais, c’est jeanbaskets et certains collègues en sont surpris. Vous avez refusé une photo de vous avec le capuchon… pourquoi? Je dois quand même faire attention à mon image. Ces deux dames âgées qu’on a croisées dans la rue tout à l’heure, et qui m’ont salué avec un immense sourire, c’est la majorité de mon électorat. 44 L’ILLUSTRÉ 21/14 En tant que benjamin du Parlement, vous avez parfois l’impression de ne pas être pris assez au sérieux par vos pairs? J’ai bénéficié d’un immense intérêt médiatique dû en partie à mon statut de benjamin. C’est à double tranchant parce que certains députés autour de moi ont une attitude un peu trop paternaliste. Les jeunes sont dans la même position que les femmes. On leur pardonne deux fois moins leurs erreurs. Je me sens aussi une grande responsabilité pour représenter dignement la jeunesse. Il y a deux ans, vous viviez dans un studio à Savièse que vous aviez refusé de nous faire visiter. Aujourd’hui, avec un salaire d’enseignant et des indemnités de parlementaire, vous avez trouvé mieux? Oui, j’habite dans la maison familiale où mon père a grandi. Ma grand-mère Alice est décédée peu avant mon élection au Conseil national. Mes parents, qui ont une entreprise de sols et de décoration d’intérieur, ont retapé la bâtisse. On peut visiter? Ça dépend quoi… le carnotset, oui. A la limite, la salle à manger… Je ne vois pas en quoi ma chambre à coucher ou ma salle de bain pourraient intéresser les gens. J’essaie de fixer des limites. C’est important de garder un peu de vie privée. C’est un peu de la pudeur de gauche, ça. Aujourd’hui, on partage sa vie sur les réseaux sociaux, on plaide la transparence et on fait des selfies dans son bain, non? Contrairement à quelques représentants de la gauche qui ne sont prêts à aucune concession, je pense qu’il faut donner de sa personne. L’électeur s’identifie aussi à la personne derrière le politicien. Pour faire passer un message, un élu doit se dévoiler un peu, d’autant plus dans un parti dit populaire qui s’adresse aux classes populaires. De toute façon, comme Pierre-Yves Maillard est mon modèle politique et qu’il avait accepté votre interview intime, ça a suffi à me convaincre. Vous la mettez où, la limite entre vie publique et vie privée sur les réseaux sociaux? Twitter, c’est pour le débat politique. Mon site internet aussi. Facebook, j’avais déjà un compte avant d’être parle▷ L’ILLUSTRÉ 21/14 45 interview intime Mathias Reynard Quatre photos de son portable 1. Lors d’une manifestation syndicale avec un T-shirt de Farinet. 2. A l’âge de 4 ans, de beaux moments en famille. 3. Le petit mayen familial dans la vallée du Sanetsch, calme et reposant. 4. Le vin de la vigne que nous cultivons avec un ami de droite, Sebastien Wüthrich. Qui êtes-vous, en 4 mots? «Engagé, impatient, sociable, sincère» 1 pas de pain. On n’est pas en train de parler d’adoption ou de mariage. Je suis juste en train de dire qu’on n’a pas le droit d’appeler à la haine. mentaire fédéral que j’utilisais donc dans le privé, où je postais mes photos de voyages, les carnavals, les sorties avec le hockey, alors j’ai continué. Je ne mélange pas les genres. Sur Facebook, on apprend que vous aimez Bob Dylan, vous buvez de la Suze et vous vous déguisez en personnage des «Simpson» pour des soirées masquées. C’est vrai qu’on a vu plus compromettant… (Rire.) Mais rien de politique, vous voyez. J’ai un âge où on aime se marrer sur les réseaux sociaux, y mettre et y lire des choses parfois insignifiantes, juste amusantes. Durant la campagne pour le salaire minimum, vous avez protesté avec les syndicats devant l’enseigne Tally Weijl pour dénoncer sa politique salariale. Il vous vient d’où, cet esprit syndical, militant, frondeur? Si je suis engagé au PS, c’est parce que je suis syndicaliste. J’ai été sensibilisé à la cause syndicale par ma famille. Mon père a une formation de décorateur d’intérieur et poseur de sols. Mon frère aussi. Ma mère est infirmière et travaille aujourd’hui dans le bâtiment. J’aime défendre ceux qui ne comptent pas dans la plupart des discours politiques, ceux qu’on n’entend jamais. Je crois être très poli, arriver à dialoguer avec certains amis très à droite, mais au fond de moi, je suis… comment dire… indigné par la société, par les inégalités et leur accroissement. Travailler à 100% et ne pas avoir de quoi vivre, c’est quelque chose qui me choque! 46 L’ILLUSTRÉ 21/14 Quatre mille francs, c’est le strict minimum pour vivre décemment en Suisse? La question ne doit pas être: «Est-ce qu’on peut vivre avec 4000 francs?» mais: «Est-ce que 4000 francs, ce n’est pas le minimum pour se sentir respecté dans son travail?» Tous ceux qui ont fait campagne contre l’initiative sur les plateaux de télé gagnaient trois à quatre fois plus. J’ai de la peine avec ce discours. C’est un manque de respect. Une rencontre qui a compté dans votre parcours? Pierre-Yves Maillard. C’est quelqu’un qui n’a jamais trahi ses valeurs. Sinon, j’ai rencontré Evo Morales lors d’un voyage en Bolivie. C’était extraordinaire. Je suis très attaché à l’Amérique du Sud. J’y repars cet été, au Brésil, où j’ai de la famille, puis au Nicaragua. Il y a chez les gens, en Amérique latine, une convivialité et une générosité inimaginables. Ils ont dix fois moins que nous et pourtant ils donnent tout. Vous avez débattu face à Christoph Blocher sur le thème de l’immigration, en janvier, à Conthey. Vous aviez la boule au ventre? J’avais un peu la boule au ventre. Parce que ce n’était pas rien. Blocher est une personnalité politique que je n’apprécie pas particulièrement mais qui a compté dans ce pays et il est un très bon orateur. Se retrouver devant un public de 700 personnes en grande majorité défavorable à mes propos, c’est intimidant. Mais j’ai été élu au Conseil national au même titre que lui. Sa voix ne compte pas plus que la mienne. C’était important pour moi de le rappeler. A certains moments, j’ai même été applaudi par la salle UDC! C’est la preuve que, quand on s’engage avec les tripes, les gens le comprennent. C’est quelque chose que j’entends souvent de mes détracteurs. On n’est pas d’accord, mais on sent que tu es sincère dans ton engagement. Vous avez déposé une motion pour étendre la norme pénale antiraciste aux homosexuels. Comment ils le prennent, vos «bons amis» conservateurs? Je les mets d’abord face à leur propre condition. Les homophobes sont des gens qui ont un problème avec leur propre sexualité. Ils ne sont pas à l’aise avec eux-mêmes donc ne sont pas capables d’accepter ça chez les autres. La défense des droits des homosexuels n’est pas mon engagement prioritaire et c’est parfois l’erreur de la gauche de se limiter au mariage gay et aux avancées sociétales. Le but de notre action doit être de faire avancer la cause des plus précaires et d’améliorer la répartition des richesses. Mais je crois que ma motion a fait du bien à certaines personnes, dans la société valaisanne notamment. Franchement, ça ne mange Vous défendez quand même d’abord le modèle de la famille traditionnelle? (Hésitation.) Je ne sais pas. C’est ce que je veux pour moi. Je suis très attaché à ma famille. Oui, un jour, je voudrai me marier. Oui, un jour, je voudrai tout plein d’enfants. Mais je ne suis pas d’accord d’imposer ce modèle aux autres. C’est pour bientôt, les enfants? Non, ce n’est pas au programme. La politique laisse peu de temps pour ça. Entre 2 3 mon métier d’enseignant, mes engagements dans diverses associations, au sein du Parti socialiste valaisan, au Parlement fédéral, le hockey, et les amis auxquels je consacre un à deux soirs par semaine, il y a peu de place pour une famille. Je ne sais pas comment font mes collègues qui sont parents. Le jour où je déciderai de fonder une famille, je modifierai mon rythme de travail pour être présent à la maison. La visibilité médiatique, ça amène quand même du bon côté conquêtes, non? Du bon et du moins bon. En même temps que votre discours progressiste sur la famille, vous avez un 4 côté hyperconservateur, engagé dans la défense des traditions, la préservation du patois, vous défilez en costume à la Fête-Dieu. Vous êtes un personnage à deux faces? Je suis croyant. J’apprécie de défiler à la Fête-Dieu. Ça en choque certains. Les traditions n’appartiennent à aucun parti. Je veux les partager. Je veux qu’elles rayonnent. C’est vrai que je suis fier quand les touristes viennent visiter nos villages pittoresques et entendent une conversation en patois; je trouve ça magnifique. Bien connaître son histoire locale et y être attaché, cela rend aussi plus à l’aise pour être ouvert sur le monde.