Le juge ouvre le procès de François Pérol, parachuté

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Le juge ouvre le procès de François Pérol, parachuté
Le juge ouvre le procès de François Pérol, parachuté de l'Elysée à
BPCE
(Tout le procès Pérol ici) Lundi 22 juin 2015, une effervescence inhabituelle régnait dans
l’aile Sud du Palais de Justice, sur l’Île de la Cité, où siège le Tribunal correctionnel de
Paris. Caméras de télévision, barrières anti-émeutes et comité d’accueil délivrant des
badges aux journalistes, on avait déployé un dispositif à la hauteur du prévenu. Contrastant
avec le lot quotidien des petits délinquants, la 32ème chambre correctionnelle du TGI recevait
un accusé de marque : François Pérol, rien de moins que l’ex-secrétaire général adjoint de
l’Elysée, autant dire le second bras droit du président Nicolas Sarkozy en 2008 et 2009.
Beaucoup d’articles ont été écrits sur ce procès, mais les retranscriptions exclusives de
Deontofi.com sont une réelle immersion au cœur de ces audiences.
Avec son accusé de haut rang (un responsable de l’Elysée devenu président des Caisses
d’épargne Banques populaires) et ses témoins de marque (l’ex-bras droit de Sarkozy, le
patron de la Banque de France), le procès de François Pérol est une plongée au cœur du
pouvoir politico-fiancier. (photo © GPouzin)
9h35. Comme le veut la procédure, le président du tribunal, Peimane Ghaleh-Marzban,
explique au prévenu les règle de son procès : « Monsieur Pérol, vous pouvez à tout moment
faire des déclarations, répondre à des questions ou vous taire. Vous êtes né le 6 novembre
1963 au Creuzot (..). Il vous est reproché, à Paris, alors que vous aviez une charge de
fonction publique, en tant que secrétaire général adjoint (SGA) de l’Elysée, d’avoir formulé
des recommandations, les 16 mai 2007, 26 janvier et 21 février 2009, portant sur des aides
publiques, la structure du nouveau groupe et la fusion entre les Caisses d’épargne et les
Banques populaires. Il vous est reproché d’avoir pris des interêts en acceptant, le 25 février
2009, le poste de président des banques, et le 30 juill 2009 le poste de président du groupe
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BPCE, alors que vous veniez de quitter la fonction publique ».
Le président rappelle les dispositions des articles 432-13 et 432-17 du Code pénal réprimant
ces pratiques, avant de présenter le contexte du procès.
« Les faits prennent place lors du mariage de la Banque fédérale des banques
populaires (BFPB), société anonyme détenue par 18 banques populaires
régionales, incluant la Casden et le Crédit coopératif depuis son acquisition en
2002. Les sociétaires détiennent 80% du capital et 20% sont détenus par Natixis,
présidée par Philippe Dupont jusqu’au 25 février 2009, date à laquelle il est
remplacé par François Pérol. Un rapprochement est opéré avec la Caisse
nationale des caisses d’épargne (CNCE), constituée de 17 caisses régionales et
de 287 caisses locales d’épargne détenant la CNCE dans un schéma de pyramide
inversée. Le groupe Caisses d’épargne, qui englobe aussi le Crédit Foncier de
France et la Banque Palatine, affichait en 2008 un produit net bancaire de 8,4
milliards d’euros par an. Le 19 octobre 2008, le président et le directeur général
de la CNCE, Charles Milhaud et Nicolas Mérindol, démissionnent pour être
remplacés respectivement par Bernard Comolet, de la Caisse d’Epargne d’Ile-deFrance, et Alain Lemaire, de la Caisse d’Epargne Provence-Alpes-Corse.
Un premier rapprochement avait eu lieu avec la création de Natixis, le 10 août
2006, réunissant la banque Natexis du côté Banque populaire (NDLR elle-même
créée par la reprise du Crédit national), et la banque Ixis du côté Caisses
d’épargne. Sans entrer dans les détails techniques, il s’agit d’une structure de
contrôle réciproque, qu’on appelle boucle d’autocontrôle. »
Il y a tout un débat, poursuit le président Ghaleh-Marzban, sur l’inéluctabilité ou
non de ce rapprochement. Philippe Dupont indique par exemple « depuis 1989
tous les ministres des finances m’avaient incité à un rapprochement avec les
Caisses d’épargne », cote 142 (NDLR, au cours d’un procès, les juges et avocats
sont censés ne faire référence qu’à des pièces figurant dans le dossier, dont ils
mentionnent souvent la cote pour faciliter la vérification de source).
Mais ce rapprochement ne se fait pas de la manière la plus douce ni avec
consentement absolu, ajoute le juge. On sent une tension qui suinte dans ce
dossier. La fusion ne se fait pas sans heurts, comme le note Maître Karsenti, dans
sa pièce n°1, je cite « le groupe Caisses d’épargne risque de se retrouver
confronté à une double exigence : d’une part remplir son rôle social, d’autre part
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satisfaire des critères de rentabilité bancaires ».
Un autre conflit intervient avec la CDC qui détenait 30% des Caisses d’épargne.
« La séparation entre la CDC et les Caisses d’épargne s’est déroulée dans des
conditions douloureuses », dira Augustin de Romanet (NDLR, ex-DG de la CDC
de mars 2007 à mars 2012 avant d’être nommé président d’Aéroports de Paris).
Le tribunal ne juge pas la fusion, je l’indique car on sent bien qu’elle est liée aux
reproches contre Monsieur Pérol. En revanche, nous jugerons du rôle qu’il a pu
jouer en ce sens, alors qu’il était à la banque Rothschild, dont il était associé en
2005. La commission de déontologie interdisait qu’il intervienne sur des banques
pour lesquelles il avait travaillé dans le privé, mais il semblerait qu’il n’avait pas
travaillé pour Natexis.
Depuis le 16 mai 2007 Monsieur Pérol est secrétaire général adjoint du président
de la république, en charge des questions bancaires. Le mariage va connaître un
triple accélérateur. C’est la crise financières, qui transpire du dossier à travers
des témoignages. Cette accélération liée à la crise financière, s’accompagne de la
volonté de l’État. La loi du 16 octobre 2008 va permettre d’injecter de l’argent
dans l’économie, mais il est indiqué que le sauvetage de Natixis ne se fera que si
la fusion se fait, car elle est vécue comme la seule issue viable. A la cote D132
Monsieur Sureau affirme que « l’État n’acceptait d’injecter de l’argent que si la
fusion avait lieu ».
Les pertes des Caisses d’épargne sont aussi une nouveauté, c’est la première fois
de son histoire, et elles sont aggravées par une perte de trading de Natixis
initialement estimée à 300 millions d’euros et qui au final sera de 750 millions.
Dans une note, Claude Guéant, en informe le président qui est au Canada et lui
répond : « si des erreurs ont été commises les responsables devront les
assumer ». Dimanche 19 octobre, on apprend les démissions. Dès le lundi matin,
les banques travaillent à leur fusion, baptisée projet Sequana. Nous reviendrons
sur la fusion.
Pour le tribunal, il s’agit de résoudre trois équations, expose enfin le président.
1 : qu’a été ce projet de fusion et comment s’est-il réalisé ? 2 : quelle a été la
responsabilité des pouvoirs publics ? 3 : est-ce que le président était responsable
de son influence, et de Monsieur Pérol lui-même ?
Nous n’avons pas le détail de toutes les réunions, par exemple chez le premier
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ministre, note le juge. Nous travaillons avec des éléments du dossier en sachant
qu’il en existe peut-être d’autres… Selon les archives de BPCE, on a l’ouverture
de négociation d’un accord le 12 novembre 2008. Le 24 février 2009 un
document en arrêtant les grandes lignes est transmis à Madame Lagarde (NDLR,
ministre de l’économie de 2007 à 2011). Le protocole d’accord est signé le 16
mars 2009 en présence de Mme Lagarde.
Troisième coup d’accélérateur, le 21 février, où apparaît pour la première fois
l’attribution à Nicolas Sarkozy de son rôle après une réunion importante du 12
février, sur la présidence de François Pérol, avec Christian Noyer (NDLR
gouverneur de la Banque de France). En regard de l’agenda de Monsieur
Sarkozy, on voit le mardi suivant et le jeudi une réunion avec Claude Guéant et
François Pérol. En général le président ne note pas les réunions avec ses
collaborateurs. Or, là, samedi 21 février, y a cette réunion à l’Elysée et on sait
par des témoignages, que Mr Comolet a reçu un coup de fil la veille, et Mr
Dupont quelques jours avant. On sait aussi qu’il y a eu ce coup de téléphone le 20
février de Claude Guéant au président de la Commission des conflits d’intérêt,
Olivier Flouquet.
Il y a des noms qui circulent pour la présidence de BPCE jusqu’en janvier, puis
une compression du temps avec l’annonce des pertes des Caisses d’épargne le 25
février. Les pouvoirs publics souhaitaient annoncer la fusion et le sauvetage
avant cette date butoir.
J’étais un peu long, pardon, s’excuse le magistrat après ce préambule néanmoins
utile.
Son rappel de la procédure ayant abouti au procès n’est pas moins instructif : les
6 novembre et 25 novembre 2009, les syndicats Sud et CGT portent plainte avec
constitution de partie civile à la suite de plaintes classées sans suite des
associations Anticor et Contribuables Associés. La première plainte, sur la base
de l’article 432-13 du Code pénal, avait été classée sans suite sur la nature des
fonctions de SGA de l’Elysée car il n’a pas de pouvoir administratif. Sur la plainte
des parties civiles, le parquet a fait appel de l’arrêt de la chambre de l’instruction
(NDLR, qui estimait inutile d’enquêter écartant toute culpabilité de l’accusé).
L’arrêt de la Cour de cassation du 27 juin 2012 ouvre des perspectives nouvelles
d’investigation : elle n’exige pas que les pouvoirs d’intervention du fonctionnaire
s’inscrivent dans un process formalisé administratif. Le rôle du tribunal est donc
de rechercher ce que Monsieur Pérol a fait ou pas fait, pas à travers des
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généralités mais avec des griefs précis. François Pérol a-t-il formulé des avis sur
les contrats entre les Caisses d’épargne et les Banques populaires.
Dans son ordonnance, l’instruction vise le protocole du 16 mars 2009, elle cite
des éléments de notes d’octobre 2008 : Mr Pérol adresse des recommandations
que Mr Sarkozy valide et qui deviennent donc des décisions de François Pérol.
Pour l’objectivité des débats, je voudrais indiquer, cote d 202-55 aux paragraphes
4 et 5, que ces recommandations formalisaient l’intervention de l’État pour 5
milliards d’euros, sous forme d’actions de préférence convertibles en actions
ordinaires. Quand on regarde le contrat c’est 3 milliards d’euros d’actions de
préférence convertibles, et 2 milliards de titres « super-subordonnés »… C’est
une erreur dans la note du 21 février 2009 sur les modalités financières précises,
observe le président en prouvant sa maîtrise méticuleuse du dossier.
De l’avis de tous, Bercy, la Banque de France et le Trésor décident. La question
est de savoir si le président de la république a pu imposer directement la
nomination de François Pérol à la tête de BPCE. En ce sens, nous aurons cinq
points à vérifier.
1: Sur l’aide de l’État, l’audition de Mr Noyer sera importante concernant le
montant de 5 milliards résultant des stress tests, qui sont un peu comme des
tests d’effort cardiologiques pour les banques. Le gouverneur dit que « François
Pérol n’avait pas les moyens de valoriser ce montant ».
2: Sur la structure juridique du futur groupe, il y a débat. Qui doit recevoir
l’aide ? Beaucoup voulaient que Natixis reçoive l’aide, mais l’État voulait le
verser aux caisses fusionnées.
3: Le rôle de la loi 18 juin 2009 relative à l’organisation centrale des Caisses
d’épargne et des Banques populaires.
4: L’origine du futur dirigeant. Selon une note du 21 février 2009, ils voulaient un
dirigeant extérieur. On ne trouvera personne capable…
Ce procès n’est pas celui d’un système ou dune manière de fonctionner, insiste le
président, presque rassurant à l’égard du prévenu : c’est votre procès ! Celui des
faits qui vous sont reprochés. Ce procès est la face émergée de l’iceberg. Car
après nous devrons délibérer.
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Parmi les questions que l’on va vous poser, certaines vont être pénibles, la
journée va être longue. Mais on ne pourra vous juger que si l’on peut
comprendre la vérité.
Sur la dimension pénale, ce tribunal aura un rôle qui n’est pas simple sur la prise
illégale d’intérêt, car l’arrêt de juin 2012 ouvre un nouveau champ pour les juges.
On peut voir cela comme des cercles concentriques: il y a l’éthique, la
déontologie, et le droit pénal…
(Tout le procès Pérol ici)
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