Palace à Venise et villa au Portugal : il fait bon être ministre des

Transcription

Palace à Venise et villa au Portugal : il fait bon être ministre des
Palace à Venise et villa au Portugal : il fait bon être ministre des finances à Brazzaville
Écrit par LE MONDE AFRIQUE
Dimanche, 04 Décembre 2016 14:38 - Mis à jour Dimanche, 04 Décembre 2016 14:47
Des documents judiciaires révèlent l’ampleur des somptueux cadeaux que le groupe brésilien
Asperbras
a
offerts à
Gilbert Ondongo
, ministre de
Denis Sassou-Nguesso
.
L’opération « Rota do Atlantico » (« la route de l’Atlantique »), équivalent portugais de
l’affaire des biens mal acquis, continue de faire tomber des têtes. Après l’homme d’affaires
1/5
Palace à Venise et villa au Portugal : il fait bon être ministre des finances à Brazzaville
Écrit par LE MONDE AFRIQUE
Dimanche, 04 Décembre 2016 14:38 - Mis à jour Dimanche, 04 Décembre 2016 14:47
José Veiga
, le
« Monsieur Afrique »
portugais longtemps basé à Brazzaville, et une dizaine d’autres suspects, c’est au tour de
José Roberto Colnaghi
, président de la société brésilienne
Asperbras
, d’être inculpé à Lisbonne de
« corruption »
et de
« blanchiment d’argent ».
Depuis jeudi 24 novembre, le groupe est ainsi décapité en raison des contrats très lucratifs que
M. Colnaghi a signés en République du Congo.
Et, surtout, le ministre congolais des finances de l’époque, Gilbert Ondongo, apparaît comme
l’un des grands récipiendaires de la générosité de la firme brésilienne. Selon les éléments
recueillis par les autorités portugaises, M. Ondongo, désormais ministre de l’économie
congolaise, a acheté un appartement Avenida da Liberdade, la plus cossue de Lisbonne, juste
au-dessus de boutiques Cartier et Porsche. Et ceci grâce notamment à un virement de
347 000 euros
effectué en août 2015, provenant d’une société de droit congolais contrôlée par José Veiga, le
représentant au Congo d’Asperbras. A la même période, selon des documents judiciaires
portugais que Le Monde a pu consulter, le groupe brésilien a également mis à disposition du
ministre une résidence dans la station balnéaire chic de Cascais, surnommée la
« maison du ministre ».
La police portugaise y a trouvé
3 millions d’euros et 4,35 millions de dollars (4 millions d’euros)
en liquide lors d’une perquisition en février 2016.
Contrat de plus d’un milliard de dollars
Dans la foulée, M. Ondongo a aussi bénéficié d’un séjour tous frais payés dans un palace
vénitien du XIVe siècle, l’Hotel Danieli, entre le 24 et le 30 août 2015. La suite qu’il a occupée a
été facturée 5 000 euros la nuit. Ou encore au Ritz de Lisbonne du 13 au 15 janvier 2016. Ces
dépenses, et d’autres, ont été payées par le biais d’une carte Visa sans limite de crédit, au nom
du frère d’un employé d’Asperbras.
Contacté, l’entourage de M. Ondongo, se référant à l’argent liquide, juge qu’il est « fantaisiste
2/5
Palace à Venise et villa au Portugal : il fait bon être ministre des finances à Brazzaville
Écrit par LE MONDE AFRIQUE
Dimanche, 04 Décembre 2016 14:38 - Mis à jour Dimanche, 04 Décembre 2016 14:47
d’imaginer que ces fonds, trouvés dans un lieu ne lui appartenant pas, aient un
quelconque lien avec le ministre », tout en refusant de se prononcer sur les autres
découvertes des autorités portugaises. Ajoutant que « la procédure de passation des
marchés publics les plus importants ne donne pas un rôle prépondérant au ministre des
finances »
.
Quant au gouvernement, il indique par la voix de son ministre de la communication,
Thierry Moungalla
, ne pas commenter
« d’éventuelles procédures en cours »
et précise n’avoir
« reçu aucune demande d’entraide judiciaire ».
La justice portugaise travaille néanmoins sur l’hypothèse que ces largesses ont rétribué la
signature d’une série de contrats conclus entre Asperbras et l’Etat congolais. Des contrats qui
surprennent par leur ampleur et leur montant : plus d’un milliard de dollars – soit 8 % du PIB
congolais. Comment Brazzaville a-t-elle honoré les factures de la société brésilienne ? En
puisant notamment dans l’argent que le trader pétrolier suisse Gunvor a prêté, avec BNP
Paribas, à la Société nationale des pétroles congolais (SNPC) : 750 millions de dollars entre
2011 et 2012, en échange de cargaisons de brut. Des commissions adossées à ce contrat
entre Gunvor et la SNPC font l’objet d’une procédure pénale pour « blanchiment d’argent »
instruite en Suisse depuis fin 2011 par le ministère public de la Confédération (MPC).
Or Asperbras a versé des commissions aux mêmes intermédiaires que Gunvor, un Gabonais et
un Français tous deux titulaires, via des sociétés domiciliées respectivement au Belize et à
Malte, de comptes en Suisse. Les autorités helvétiques ont ainsi envoyé, à l’été 2014, une
demande d’entraide judiciaire à Lisbonne. Cette démarche en apparence de routine allait
déclencher un véritable scandale au Portugal, avec l’ouverture de l’enquête de la « Route de
l’Atlantique », ainsi nommée en raison des incessants allers-retours entre le Portugal et le
Congo effectués par les jets d’Asperbras.
Marge considérable
Dès 2012, Asperbras commence à ériger la zone industrielle de Maloukou, près de Brazzaville,
voulue par le président Denis Sassou-Nguesso et évaluée à près de 500 millions d’euros. Le
groupe, initialement spécialisé dans les tuyaux et raccords en PVC, se voit aussi confier la
construction de douze hôpitaux, l’établissement d’une carte sur le potentiel minier du pays ainsi
que des forages hydrologiques, pour des montants nettement supérieurs à des travaux
similaires effectués au Tchad et au Cameroun, selon Le Canard enchaîné du 4 juin 2014. Des
3/5
Palace à Venise et villa au Portugal : il fait bon être ministre des finances à Brazzaville
Écrit par LE MONDE AFRIQUE
Dimanche, 04 Décembre 2016 14:38 - Mis à jour Dimanche, 04 Décembre 2016 14:47
missions si distantes de son expertise d’origine qu’Asperbras en sous-traite une petite partie au
Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), établissement de droit public français.
Sollicité par Le Monde, le BRGM affirme que des différences topographiques et spatiales
justifient le surcoût par rapport au Tchad et au Cameroun, mais reconnaît que le montant qu’il a
perçu est « sans commune mesure » avec celui qu’Asperbras aurait lui-même encaissé à
Brazzaville, réalisant au passage une marge considérable. Christian Braux, directeur adjoint
chez BRGM, ajoute qu’au vu de la procédure portugaise en cours, sa société « réfléchirait »
avant de se lier à nouveau avec Asperbras. Au moment de la signature du contrat, en août
2013, BRGM affirme avoir pris certaines « précautions » pour s’assurer de la solvabilité de son
partenaire, sans toutefois s’intéresser aux conditions d’obtention du contrat, dans un pays
pourtant classé 21e plus corrompu au monde, selon Transparency International.
Au Congo, c’est José Veiga qui était aux commandes pour Asperbras. Il se trouve aujourd’hui
au centre de l’investigation menée au Portugal. Arrêté le 3 février, puis libéré sous caution, M.
Veiga a été inculpé de « corruption, blanchiment et fraude fiscale ». Tout comme son associé
Paulo Santana Lopes, frère d’un ancien premier ministre portugais, une avocate et le directeur
financier du groupe, Mauricio Caldeira, arrêté en Argentine.
Réseau sophistiqué de sociétés offshore
Par le truchement d’un réseau sophistiqué de sociétés offshore, l’essentiel des fonds suspects
a transité par le biais de la Banque internationale du Cap-Vert, dont José Veiga était de loin le
principal client. L’ancien agent de joueurs de football a même tenté de la racheter pour 13,75
millions d’euros au groupe Banco Espirito Santo (devenue Banco Novo en 2014 suite à sa
faillite frauduleuse), mais cette transaction a essuyé le veto de la Banque centrale du Portugal.
Dans un enregistrement sonore du Conseil supérieur de Banco Espirito Santo, tenu fin janvier
2014, les dirigeants de Banco Espirito Santo considèrent José Veiga comme le « gestionnaire »
du président congolais Denis Sassou-Nguesso. L’homme d’affaires portugais s’est également
affiché aux côtés de deux enfants du président, Denis-Christel Sassou-Nguesso, chargé des
ventes de pétrole de l’Etat, ainsi que Claudia Sassou-Nguesso, conseillère en communication
de la présidence. Ni José Veiga ni son avocat n’ont voulu répondre aux questions du Monde.
Les contrats conclus avec le Congo ont permis aux dirigeants d’Asperbras de mener grand
train. Tandis que José Veiga a pu diversifier ses activités, investir dans l’immobilier et s’offrir
plusieurs voitures de luxe, José Roberto Colnaghi et son frère ont acquis, en mars 2012, deux
4/5
Palace à Venise et villa au Portugal : il fait bon être ministre des finances à Brazzaville
Écrit par LE MONDE AFRIQUE
Dimanche, 04 Décembre 2016 14:38 - Mis à jour Dimanche, 04 Décembre 2016 14:47
parcelles sur la très huppée Star Island, à Miami, pour 17 millions de dollars. La société est
également devenue propriétaire de deux jets privés Bombardier, un Challenger 605 et un
Global Express 6000.
Avant de percer au Congo, Asperbras n’existait que dans l’ombre des géants brésiliens du BTP,
comme Odebrecht. De fait, M. Colnaghi a su nouer des liens étroits avec les présidents Lula et
Rousseff, notamment par le biais d’Antonio Palocci, plusieurs fois ministre et, surtout, trésorier
de leurs campagnes électorales respectives en 2002 et 2010. Un rapport du Sénat brésilien de
2006 évoque d’ailleurs un possible financement illicite du Parti des travailleurs par
l’intermédiaire des deux hommes. Usant de son influence, M. Palocci a également obtenu de
Brasilia l’annulation de la dette publique congolaise. Et cela afin d’ouvrir les portes du pays aux
entreprises brésiliennes, comme Asperbras.
Par Marc Guéniat
LE MONDE
En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/12/02/palace-a-venise-et-villa-auportugal-il-fait-bon-etre-ministre-des-finances-a-brazzaville_5042096_3212.html#IbUEhfDMI5w
5Yeom.99
{jcomments on}
5/5