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La lettre des n° 153 - 16e année Amis de Montluçon Société d’histoire et d’archéologie Compte rendu de la séance mensuelle du 14 janvier 2011 [email protected] www.amis-de-montlucon.com Tradition et innovations dans le jeune lycée d’une ville « manufacturière » sous la IIIe République Près de soixante-dix personnes assistaient à la première séance mensuelle de l’année 2011. Pour cette séance marquant le début des manifestations du centenaire de la société, les Amis de Montluçon avaient invité Pierre Mazataud. Spécialiste de l’histoire de l’Auvergne, maître de conférence en sciences humaines à l’université de Clermond-Ferrand et auteur de nombreux ouvrages, Pierre Mazataud est né à Montluçon et a fréquenté le lycée de Montluçon dont il a, avec brio, retracé l’histoire depuis sa création jusqu’au début des années 1930. Ayant dépouillé méticuleusement les archives du rectorat, il a illustré ses propos de nombreuses anecdoctes. Le 31 mars 1880, le maire de Montluçon, Joseph Chantemille, réunit le conseil municipal pour transformer le modeste collège de la ville en lycée. Depuis 1876, il est député à la Chambre où il soutient des républicains comme Jules Ferry ou Gambetta. Ces derniers entendent promouvoir l’instruction publique qui était alors souvent confiée aux congrégations religieuses. Dans son exposé, le maire souligne qu’un lycée doit permettre de soutenir, plus efficacement que le vieux collège, la concurrence des maristes qui, depuis le Second Empire, scolarisent avec succès quelque 200 élèves. Le futur lycée, selon le maire, doit donner une très large place à l’enseignement spécial, c’est-à-dire à la préparation des emplois du commerce et de l’industrie. « Il ne s’agit pas d’une création de lycée pouvant nuire à celui de Moulins ; nous désirons surtout obtenir un vaste établissement d’enseignement spécial ». À noter sur votre agenda… Vendredi 11 février 2011, 17 h 30, Salle Salicis Philippe BARDELOT : - Jean Boucher (1575-1633), un peintre du Grand Siècle en Berry. Samedi 12 mars 2011, 16 h 30, Salle Robert-Lebourg Pierre COUDERC : - Montluçon sur scène (1912-2000) La loi du 15 mars 1850, dite loi Falloux, qui prévoit la transformation d’un collège en lycée, impose à la ville qui en prend l’initiative de fonder un certain nombre de bourses pour les enfants méritants des familles pauvres. Non seulement Joseph Chantemille ne veut pas se soustraire à cette obligation, mais il entend transformer ces bourses d’internat en bourses d’externat pour augmenter le nombre des bénéficiaires dans sa ville. « Les décisions intéressent d’une manière toute particulière les classes laborieuses, car par le concours (des bourses) les enfants les moins favorisés de la fortune qui fréquentent nos écoles primaires pourront entrer au lycée sans qu’il en coûte quoi que ce soit à leurs familles ». Sur ces bases, Joseph Chantemille peut faire voter à l’unanimité le devis de 1 400 000 F. La ville apportera 200 000 F, le département autant, et l’Etat un million, mais tout ne s’est pas passé comme le souhaitait Joseph Chantemille. Dès 1888, il est battu aux élections municipales. Ses successeurs et en particulier Jean Dormoy (1892-1898) seront assez réservés vis-à-vis du lycée considéré comme une maison d’éducation bourgeoise où les boursiers ne forment qu’une petite minorité. Les pères maristes ont peu souffert de la concurrence du lycée. Les dépenses (1 600 000 F) ont largement dépassé le devis initial et les malfaçons ont retardé la réception définitive des travaux jusqu’en 1892, longtemps après la première rentrée d’octobre 1883. Et surtout ce lycée qui devait être dédié à l’enseignement spécial ouvre ses portes au moment où cet enseignement spécial est contesté. On veut en faire simplement des classes sans latin en abandonnant les orientations vers les activités du commerce et de l’industrie. Du grand projet pour une « ville manufacturière » de Joseph Chantemille, il ne restera dans les années 1890 qu’une petite section préparatoire au concours des Arts et Métiers. Le conférencier s’appuie sur une source non exploitée jusqu’à ce jour. Sur les rayons des archives départementales du Puy-de-Dôme, seize dossiers de la série T gardent des archives du lycée de Montluçon. Chacun d’eux contient entre 100 et 250 pièces. Les proviseurs, zélés, informaient l’inspecteur d’académie non seulement de la marche ordinaire de leur établissement, mais aussi des initiatives qu’ils s’apprêtaient à prendre et des plus petits incidents qui pouvaient nuire à son prestige. Et les inspecteurs ne manquaient pas de transmettre au recteur d’académie ces Les articles sont publiés sous la seule responsabilité de leur auteur 1 informations. De là cette accumulation de lettres et de rapports qui finalement ont été versés aux archives départementales du Puy-de-Dôme. Le survol de ces documents permet d’éclairer une partie de l’histoire de l’établissement de 1883 à 1940. Sur ces bases, le conférencier propose d’abord un survol des aspects traditionnels de la vie d’un lycée, puis une présentation de son environnement, et enfin de suivre le développement de son rameau technique. 1 – Un des 85 lycées de la France des années 1880 Il se distingue par ses bâtiments tout neufs. Malheureusement, dès le départ apparaissent des malfaçons et tout n’est pas achevé. Le chantier de la chapelle est retardé. Lavabos et douches n’apparaîtront qu’en 1920. Les inspecteurs relèvent de nombreuses négligences du point de vue de l’hygiène. Seuls les ateliers échappent à leurs critiques et ils en font volontiers l’éloge. Pendant toute la période étudiée, les effectifs élèves ont peu varié : ils tournent autour de 350 dont une bonne centaine de pensionnaires et une petite centaine d’externes surveillés. Pendant la guerre de 1914 et au cours des années 1930, ces effectifs ont pu approcher exceptionnellement des 500. Le recrutement se fait de manière très différente avant et après l’instauration de la gratuité (début des années 1930). Avant, on admet au lycée les boursiers et les garçons dont les familles peuvent acquitter les frais de scolarité. Si elles ne peuvent plus faire cet effort, elles sont priées de retirer leurs enfants du lycée, alors que pour celles qui payent, beaucoup d’accommodements sont consentis. Plus tard, lorsque la gratuité devient la règle, l’afflux des candidats reste modéré ; toutefois on le régule en imaginant un examen d’entrée en sixième. Les inspecteurs généraux attachent une grosse importance à l’état sanitaire des élèves ; bon an mal an, on recense trois ou quatre épidémies (varicelle, scarlatine, variole, néphrite…). Chaque fois se pose le même problème : faut-il renvoyer les élèves dans leurs familles, ou peut-on garder les premiers malades à l’infirmerie en espérant que l’épidémie se résorbera. Les médecins du lycée se montrent imaginatifs dans des circonstances particulières. Ainsi en avril 1899, pour suivre le cheminement d’une épingle avalée inopinément par le jeune B., ils ont recours aux moyens radiographiques du laboratoire des usines Saint-Jacques, car il n’y a pas de radiologues à cette époque à Montluçon. Tous ces soins n’empêchent pas quelques morts prématurées parmi les pensionnaires. 2 L’état moral peut être apprécié de manière très différente. Les inspecteurs généraux de la Belle Epoque comparent ce lycée à d’autres où il est plus facile d’assurer une « bonne éducation ». Les élèves y sont décrits comme « turbulents et mal élevés » (1910). La plupart ont des manières frustes et un langage qui va de l’incorrection à la grossièreté (1908). Le proviseur écrit à l’inspecteur d’académie : « Beaucoup d’enfants de la ville sont élevés dans un milieu rebelle à toute idée d’autorité et de devoir. Beaucoup d’enfants de la campagne ont une brutalité native qui … ne les prédispose guère à l’éducation ». Les procès-verbaux des conseils de discipline du tournant du siècle révèlent parfois avec des précisions très crues des conduites et des comportements très éloignés de la bonne éducation que voudraient dispenser les proviseurs : les fugues et les insultes aux maîtres répétiteurs interviennent assez régulièrement. Les dégradations volontaires du matériel et des bâtiments aussi. Ponctuellement on relève des escroqueries. C’est surtout « l’immoralité » qui nourrit les rapports des maîtres d’internat. On se plaint du libraire de la rue du Collège (Condorcet) qui diffuse impunément une littérature pornographique. On ne peut dissimuler les pratiques onanistes dans les dortoirs. Plus grave encore, on relate deux cas de viols entre élèves. L’exclusion temporaire ou définitive est la sanction habituelle, mais on tient avant tout à ne pas ébruiter ces évènements. L’inspecteur d’académie n’hésite pas à rendre visite aux familles des victimes des viols pour leur demander de ne pas porter plainte. On redoute l’exploitation que pourrait en L’entrée principale du Lycée au début du XXe siècle. faire l’établissement concurrent des maristes. On surveille les engagements politiques des grands élèves. Certes on ne parvient pas à identifier les philosophes qui expriment dans un journal de gauche leur sympathie pour la classe ouvrière montluçonnaise. Mais, en 1919, on exclut un élève qui a présenté devant le conseil ses convictions anarchistes après avoir distribué des tracts à ses camarades. Dans l’entre-deux-guerres, on relève moins de conduites déviantes, et les conseils sont plus préoccupés par le travail des élèves auxquels ils distribuent félicitations ou blâmes. Au tournant du siècle, les classes n’ont pas tout à fait le même rôle que de nos jours. En schématisant, on pourrait dire que la classe est alors un relais entre deux études. Le cours n’est qu’une introduction plus ou moins longue aux devoirs qu’on dicte et dont on donnera le corrigé au début du prochain cours. L’essentiel du travail scolaire, et notamment la mémorisation, s’opère théoriquement en étude sous la conduite des maîtresrépétiteurs, les bien nommés. En ce qui concerne la ventilation par classes, les inspecteurs généraux sont surpris du succès des classes à dominante scientifique : ainsi en 1911 sur les 60 élèves du second cycle, 44 sont dans des classes à dominante scientifique ; même proportion dans le premier cycle (94 sur 147). Autre originalité, les trois classes préparatoires aux Arts et Métiers : elles regroupent au total 66 élèves en 1911. Les externes libres ne constituent qu’une petite minorité en léger progrès dans les années 1930. Pensionnaires, demipensionnaires, externes surveillés fréquentent les études, qui passent de 9 en 1884 à 13 quarante ans plus tard. Les inspecteurs déplorent l’évolution du rôle de maître-répétiteur. « Diriger une étude ce n’est pas la surveiller » soulignent-ils. Les maîtres ne font plus réciter les leçons et il est exceptionnel d’en voir un se penchant sur le travail d’un élève. Ils font remarquer que les études qui avoisinent souvent 40 élèves regroupent des élèves de classes différentes qui n’ont ni le même programme ni les mêmes exercices et qu’ils ne peuvent pas se dédoubler à l’infini. Le personnel enseignant présente quelques originalités : les maîtres-répétiteurs sont presque toujours des bacheliers ou des titulaires du brevet supérieur. Parmi les enseignants, il y a presque toujours un agrégé par discipline fondamentale. Ainsi on recense un agrégé sur les trois professeurs de mathématiques en 1911, deux agrégés et trois licenciés sur les six professeurs de lettres en 1925. Le corps enseignant du lycée compte des ingénieurs des Arts et Métiers pour la section préparatoire et des professeurs d’ajustage et de menuiserie dont la compétence et la méthode sont souvent saluées par l’inspection. Les inspecteurs se plaignent de l’instabilité du corps professoral : « Ils ne font que passer » note l’un d’eux en 1908. Le recteur et l’inspecteur d’académie rappellent aux proviseurs qu’ils doivent se soucier de la conduite des enseignants, qu’ils doivent faire des observations dès que cette conduite s’éloigne même légèrement de la bienséance ou qu’elle risque de compromettre la réputation du lycée. En 1887 il faut aller plus loin : un professeur est tombé amoureux d’une jeune fille qui semble tout à lui alors qu’elle est la maîtresse du censeur. Fou de rage lorsqu’il découvre la situation, le jeune professeur dénonce le censeur par une maladroite lettre anonyme. Cinq mutations d’office s’en suivent. Ce sont là des cas extrêmes et rares, mais plus fréquents sont les petits écarts à la dignité que Le Centre se fait un malin plaisir de révéler dans ses entrefilets. Les sources du conférencier ne renseignent guère sur la condition matérielle des enseignants. On sait seulement que leur service est plus léger que celui de nos contemporains. Agrégés ou licenciés doivent 14 ou 15 heures par semaine. L’emploi du temps qui s’étale, il est vrai, du lundi matin au samedi après-midi, laisse de nombreuses plages de liberté. Les salaires sont plus élevés que ceux du primaire supérieur ou de l’enseignement technique puisque, lorsque les professeurs du lycée assurent un service dans de tels cadres, ils réclament avec force le maintien des taux salariaux du lycée. Les professeurs du lycée sont souvent en contact avec les milieux économiques de la ville. Les usines Saint-Jacques sont mises à contribution pour le matériel de physique et de chimie. Le directeur de l’usine trouve le temps d’assurer une suite de conférences aux élèves de première et de terminale. Un ingénieur des mines donne bénévolement quatre heures de mathématiques par semaine en 1916. Pendant la guerre, les usines Saint-Jacques délèguent des contremaîtres pour remplacer les professeurs d’atelier mobilisés. En 1912, M. Avignon voudrait que le lycée soit un centre de perfectionnement du monde agricole. Il finira par obtenir la création d’une chaire d’agriculture et de viticulture. Pour les cours de comptabilité, on recherche un expert comptable expérimenté. Des cours de droit sont assurés en 1901 par le président du tribunal. Le lycée accueille nombre d’autres intervenants, que les familles rémunèrent en plus des frais ordinaires de scolarité. Ainsi sont assurés les cours d’instruction religieuse, les séances d’escrime, les leçons de violon et les cours de sténodactylographie qui ne sont limités que par le nombre de machines à écrire. En 1906, pour élargir le recrutement, on propose aux élèves qui sont admis directement en cinquième des cours de langues payants. Enfin nombre de familles inscrivent leur fils à la préparation militaire, assurée au champ de tir à titre gratuit. On peut donc constater que les professeurs côtoient dans les murs du lycée nombre de personnalités qui enrichissent leur expérience et élargissent leurs horizons. Dans un tel cadre, les succès aux examens du lycée sont honorables. Certes, ils apparaissent passables pour nos contemporains de 2011, mais compte tenu des comportements des jurys de l’époque, ce sont plutôt de bons résultats. Ainsi, en 1907, sur 14 présentés, 11 sont admissibles et 8 définitivement admis. Sur les cinq années 1906 à 1911, le pourcentage des reçus varie de 62 % en première D à 82 % en mathématiques. En 1936, sur 81 candidats, 51 sont admissibles et 48 définitivement reçus dont trois avec mention bien et 8 mentions assez bien. Couronnement de tous ces succès, un lycéen de Montluçon obtient un prix de composition française au concours général de 1930, ainsi qu’un premier prix de dessin. La dominante scientifique de l’enseignement, la présence d’une préparation aux Arts et Métiers souhaités par les fondateurs ont rendu possible une ouverture du lycée dont on ne trouve guère d’exemple à la même époque… même si l’environnement n’est pas toujours idyllique. 2 – Un lycée ouvert sur la ville et la région Comme dans de nombreux lycées, les activités sportives entraînent des contacts avec d’autres établissements. On « matche », comme on l’écrit à l’époque, avec les lycées de Châteauroux, de Clermont, de Bourges, de Guéret, etc… mais aussi avec les apprentis du Paris-Orléans et des usines SaintJacques. Les sorties à bicyclette sont à l’ordre du jour à deux reprises vers le tournant du siècle. Un professeur de sciences physiques et naturelles dirige pendant plusieurs années une excursion scientifique et sportive au sommet du Sancy. D’autres excursions conduisent des classes dans la forêt de Tronçais ou dans le vignoble de La Chapelaude. Le lycée ne laisse pas passer une troupe théâtrale de qualité à Montluçon sans conduire les élèves au théâtre. Mais le recteur précise bien qu’il ne donnera pas son autorisation pour les opérettes ou autres spectacles de second ordre. L’autorisation rectorale se veut prudente pour le choix des pièces que montent chaque année les élèves en faveur des pauvres. Il conviendra de faire des coupes dans les farces du jeune Molière qui sont par trop licencieuses. En revanche, on peut conduire les internes au cinéma sans problème car, à ses débuts, cette « innocente distraction » convient très bien pour les jours de pluie. Les contacts avec les élèves du collège Saint-Joseph sont loin d’être cordiaux. Les proviseurs redoutent particulièrement la rencontre des deux groupes d’élèves lors des promenades surveillées. On passe très vite des quolibets à la bataille rangée que les surveillants ne peuvent éviter. Il faut présenter des excuses, ou les exiger, ce qui est toujours délicat. Un proviseur propose une sorte de plan de paix pour les promenades des jeudis : les lycéens disposeraient de la rive gauche du Cher et les collégiens de la rive droite durant une première semaine, et on alternerait la semaine suivante ! Les contacts avec la mairie, essentiels au moment de la création du lycée, se sont refroidis après l’échec électoral de Joseph Chantemille en 1888. Jean Dormoy, qui n’est jamais invité lors des distributions des prix, en est mortifié et s’en tient strictement à ses obligations d’entretien des bâtiments. Paul Constans est plus souple, mais il déplore d’être présenté à tort comme un de ceux qui laissent les élèves grelotter de froid à coté de calorifères inutilisables. Les relations s’améliorent lorsque le fils de Paul Constans, Maurice, devient le responsable de l’enseignement technique au sein du lycée. Proviseurs et censeurs collectent avec grand soin tous les articles que les journaux consacrent au lycée. Les feuilles socialistes n’ouvrent leurs colonnes qu’exceptionnellement pour insérer par exemple un article des élèves de philosophie qui proclament que dans ce lycée bourgeois il y a d’authentiques amis du peuple. La Démocratie est moins engagée et plutôt favorable. Avec Le Centre, réputé clérical, on ne saurait être trop prudent. Toutefois, le proviseur fait passer dans ce quotidien lu par nombre de familles une abondante documentation sur la filière technique. Les relations avec les organismes professionnels et les entreprises sont excellentes. La CCI a fondé des bourses d’externat de 100 F ; elle prête des machines à écrire et nourrit le projet d’une filière commerciale dans les années qui précèdent la guerre. Le lycée n’ignore pas le monde agricole. Si la chaire d’agriculture et de viticulture ne semble pas avoir perduré, on accueille des cours d’agriculture pour des non-lycéens du Bocage bourbonnais et de la Creuse. Épisodiquement, on voit apparaître une école d’agriculture d’hiver. Et les comices agricoles du mois d’août se tiennent dans l’espace des trois cours du lycée. Les relations avec les usines Saint-Jacques sont particulièrement étroites. Son directeur est membre du conseil d’administration et de la commission de perfectionnement pour la section des Arts et Métiers où l’on retrouve tous les dirigeants des grosses entreprises industrielles de la ville. L’usine délègue volontiers ses ingénieurs et ses contremaîtres, et elle fournit machines et matériel d’atelier. Ces relations privilégiées avec le monde industriel ont fortifié le rameau technique qu’avaient voulu greffer les fondateurs. 3 3 – Le rameau technique Dès la première rentrée, la préparation au concours de l’école d’Arts et Métiers de Cluny est organisée ; le recrutement des premiers professeurs en tient compte puisqu’on recourt à des ingénieurs issus de Cluny. Il semble que les élèves soient essentiellement des fils d’ouvriers, boursiers des usines SaintJacques. Après la disparition de l’enseignement spécial (vers 1888) et sa transformation en une série sans latin (D), les classes préparatoires au concours sont les seuls restes de l’orientation vers l’industrie que chérissait Joseph Chantemille. Les quelque 75 élèves de cette section, répartis en trois niveaux, sont des lycéens à part entière mais ils détonnent aux yeux des inspecteurs : ils travaillent ferme mais sans grâce, et les résultats au concours ne sont pas à la hauteur de ceux du baccalauréat puisqu’ils n’ont pas dépassé 50 % la meilleur année. Au fil du temps, les résultats deviennent moins bons. En 1904, on compte 9 admis, 8 en 1908, 7 en 1910, 3 en 1914, 2 en 1917, et en 1918, aucun des 9 admissibles ne figure sur la liste des admis définitifs. Cette hécatombe fait réfléchir. Il est clair que le jury préfère les élèves issus des E.N.P. ou des classes préparatoires qui gravitent autour de Cluny. Certes, on peut orienter les élèves de Montluçon vers d’autres écoles techniques à Paris, Grenoble ou Lyon. Mais on peut aussi constituer à Montluçon une E.N.P. et Paul Constans en est un ardent partisan. Toutefois, il faut compter avec les finances de la ville. faut donc former non seulement des ingénieurs mais aussi des techniciens qualifiés pour encadrer cette main-d’œuvre de base. C’est la nouvelle vocation de l’enseignement technique. Peutelle se réaliser dans le cadre du lycée ? Ne faut-il pas envisager une école distincte ? Tel est le grand débat de l’immédiate aprèsguerre. Finalement a prévalu l’idée de l’école annexe qui se développerait dans le périmètre du lycée, mais disposerait bientôt de bâtiments nouveaux attestant son autonomie. Cette école pratique serait sous l’autorité d’un responsable désigné par le secrétariat à l’enseignement technique dont relèverait également une demi-douzaine d’enseignants. Le proviseur resterait à la tête de l’ensemble lycée et école pratique. Le 1er octobre 1922, l’école pratique se substitue effectivement à la section industrielle. C’est un changement important dans l’organigramme d’ensemble. Mais sur le plan pédagogique, on reste sur le même schéma : un tronc commun de deux ans suivi d’une bifurcation soit vers le concours des Arts et Métiers soit vers une formation professionnelle de deux ans avec une place grandissante de l’atelier dans les derniers trimestres. Il reste à régler de nombreux problèmes financiers. La scolarité à l’école pratique est gratuite pour les familles, mais la ville, qui se trouve déchargée de cette formation, doit acquitter au lycée une somme de 65 F par élève et par an pour couvrir les frais de scolarité des externes. Les frais éventuels de pension restent à la charge des familles. De son côté, le personnel administratif du lycée demande des primes compte tenu du supplément de travail Dans l’immédiat on revoit le qu’impose la nouvelle structure. Les système des interrogations qui doivent professeurs du lycée qui continuent à être stimulantes et les résultats ne intervenir dans l’école pratique refusent sont pas négligeables puisqu’un d’être payés au tarif de l’enseignement redressement s’opère et qu’on peut technique. Pour recruter un directeur s’enorgueillir d’un beau succès en qualifié, les industriels qui parrainent 1930 avec 12 admis sur 18 présentés… le projet accordent une prime de 5000 mais dans un cadre tout à fait différent. F. Le poste revient à Maurice Constans, ingénieur des Arts et Métiers et fils Dès avant la guerre et de plus du maire, ce qui n’est pas indifférent en plus souvent dans l’entre-deuxpour les relations avec la municipalité. guerres, des hauts fonctionnaires et Celle-ci doit prendre en charge en des ministres comme Herriot ou Jean effet les nouveaux bâtiments dont le Zay veulent rapprocher voire fondre chantier s’ouvre au mois de mai 1922. l’enseignement primaire supérieur ou e Vue générale du Lycée au début du XX siècle. technique et celui des lycées. Le lycée Dès 1924, l’effectif de l’école de Montluçon offre un bon terrain d’expérimentation d’autant pratique atteint plus de 250 élèves. Ses succès au concours des plus qu’il dispose d’ateliers bien équipés. En 1910, l’inspecteur Arts et Métiers sont inégaux : 12 admis en 1930, 2 seulement en d’académie pense que la démographie de la ville justifie 1936 ; mais au cours de cette même année 1936, on délivre 26 amplement la création d’une école primaire supérieure (EPS). brevets industriels et 44 C.A.P. Mais cela nuirait à la section industrielle (79 préparationnaires Les sources du conférencier sont de plus en plus discrètes aux Arts et Métiers) et à une section commerciale en formation. au fur et à mesure qu’on avance dans les années 1930. Le fonds De plus cela coûterait cher. Il préconise donc d’utiliser au mieux d’archives municipales devrait être plus riche puisque Marx le potentiel du lycée et d’élargir la section industrielle. Une autre Dormoy, reprenant l’idée de Paul Constans, souhaite créer une raison milite en faveur de cet élargissement : une importante grande E.N.P. autonome sur un site nouveau. Il cherche des proportion de ses élèves n’est pas admise au concours. Or ces terrains convenables vers les casernes. élèves ont eu souvent en cours d’année des résultats honorables. Donc un certificat d’études professionnelles pourrait sanctionner Que reste-il du projet des fondateurs à la fin des années leur effort et leur permettre de postuler à des emplois de cadres 1930 ? Globalement, le lycée, comme l’avait souhaité Joseph intermédiaires. Sur ces bases s’esquisse un organigramme de la Chantemille, s’est révélé sensible aux besoins d’une ville section industrielle avec deux années de tronc commun, et ensuite « manufacturière ». De là vient sans doute son ouverture et ses une bifurcation soit vers la première année du cours préparatoire innovations suscitées par des professionnels de haute qualité. aux Arts et Métiers, soit vers des formations professionnelles Mais la création de l’école pratique consacre la séparation de sanctionnées par un certificat auquel pourraient prétendre les deux milieux que distinguent bien les élèves quand ils opposent candidats malheureux au concours. Sur de telles bases, la section « bahutiens » et « indus ». Et déjà germe l’éclatement du lycée industrielle peut passer de 72 en 1912 à 149 en 1918. qui, 70 ans après son ouverture, va devenir un lycée standard 4 Dans les années 1920, le ministère de l’Instruction publique se préoccupe tout particulièrement de l’enseignement technique. Un sous-secrétariat d’État lui est consacré et son titulaire, pendant trois ans, n’est autre que Gaston Vidal, député de l’Allier. Pour lui, la France trouvera dans ses colonies et les pays de l’Europe centrale la main-d’œuvre de base qu’a raréfiée l’hécatombe de 1914. Il après le départ en 1956 de toutes les formations industrielles vers l’E.N.E.T. Cette séparation n’était certainement pas dans la pensée de Joseph Chantemille pour qui le citoyen honnête homme se devait d’être familier des techniques de son temps. Pierre Mazataud