La lettre des La lettre des

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La lettre des La lettre des
La lettre des
n° 153 - 16e année
Amis de Montluçon
Société
d’histoire et d’archéologie
Compte rendu de la séance mensuelle du 14 janvier 2011  [email protected]
www.amis-de-montlucon.com
Tradition et innovations dans le jeune lycée
d’une ville « manufacturière » sous la IIIe République
Près de soixante-dix personnes assistaient à la première séance mensuelle de l’année 2011. Pour cette
séance marquant le début des manifestations du centenaire de la société, les Amis de Montluçon avaient invité
Pierre Mazataud.
Spécialiste de l’histoire de l’Auvergne, maître de conférence en sciences humaines à l’université de
Clermond-Ferrand et auteur de nombreux ouvrages, Pierre Mazataud est né à Montluçon et a fréquenté le
lycée de Montluçon dont il a, avec brio, retracé l’histoire depuis sa création jusqu’au début des années 1930.
Ayant dépouillé méticuleusement les archives du rectorat, il a illustré ses propos de nombreuses anecdoctes.
Le 31 mars 1880, le maire de Montluçon, Joseph Chantemille,
réunit le conseil municipal pour transformer le modeste collège
de la ville en lycée. Depuis 1876, il est député à la Chambre
où il soutient des républicains comme Jules Ferry ou Gambetta.
Ces derniers entendent promouvoir l’instruction publique qui
était alors souvent confiée aux congrégations religieuses. Dans
son exposé, le maire souligne qu’un lycée doit permettre de
soutenir, plus efficacement que le vieux collège, la concurrence
des maristes qui, depuis le Second Empire, scolarisent avec succès
quelque 200 élèves.
Le futur lycée, selon le maire, doit donner une très large
place à l’enseignement spécial, c’est-à-dire à la préparation des
emplois du commerce et de l’industrie. « Il ne s’agit pas d’une
création de lycée pouvant nuire à celui de Moulins ; nous désirons
surtout obtenir un vaste établissement d’enseignement spécial ».
À noter sur votre agenda…
Vendredi 11 février 2011, 17 h 30,
Salle Salicis
Philippe BARDELOT :
- Jean Boucher (1575-1633),
un peintre du Grand Siècle en Berry.
Samedi 12 mars 2011, 16 h 30,
Salle Robert-Lebourg
Pierre COUDERC :
- Montluçon sur scène (1912-2000)
La loi du 15 mars 1850, dite loi Falloux, qui prévoit la
transformation d’un collège en lycée, impose à la ville qui en
prend l’initiative de fonder un certain nombre de bourses pour
les enfants méritants des familles pauvres. Non seulement Joseph
Chantemille ne veut pas se soustraire à cette obligation, mais il
entend transformer ces bourses d’internat en bourses d’externat
pour augmenter le nombre des bénéficiaires dans sa ville. « Les
décisions intéressent d’une manière toute particulière les classes
laborieuses, car par le concours (des bourses) les enfants les
moins favorisés de la fortune qui fréquentent nos écoles primaires
pourront entrer au lycée sans qu’il en coûte quoi que ce soit à
leurs familles ».
Sur ces bases, Joseph Chantemille peut faire voter à
l’unanimité le devis de 1 400 000 F. La ville apportera 200 000 F,
le département autant, et l’Etat un million, mais tout ne s’est pas
passé comme le souhaitait Joseph Chantemille. Dès 1888, il est
battu aux élections municipales. Ses successeurs et en particulier
Jean Dormoy (1892-1898) seront assez réservés vis-à-vis du lycée
considéré comme une maison d’éducation bourgeoise où les
boursiers ne forment qu’une petite minorité. Les pères maristes
ont peu souffert de la concurrence du lycée. Les dépenses (1 600
000 F) ont largement dépassé le devis initial et les malfaçons
ont retardé la réception définitive des travaux jusqu’en 1892,
longtemps après la première rentrée d’octobre 1883. Et surtout
ce lycée qui devait être dédié à l’enseignement spécial ouvre ses
portes au moment où cet enseignement spécial est contesté. On
veut en faire simplement des classes sans latin en abandonnant
les orientations vers les activités du commerce et de l’industrie.
Du grand projet pour une « ville manufacturière » de Joseph
Chantemille, il ne restera dans les années 1890 qu’une petite
section préparatoire au concours des Arts et Métiers.
Le conférencier s’appuie sur une source non exploitée
jusqu’à ce jour. Sur les rayons des archives départementales du
Puy-de-Dôme, seize dossiers de la série T gardent des archives
du lycée de Montluçon. Chacun d’eux contient entre 100 et 250
pièces. Les proviseurs, zélés, informaient l’inspecteur d’académie
non seulement de la marche ordinaire de leur établissement, mais
aussi des initiatives qu’ils s’apprêtaient à prendre et des plus petits
incidents qui pouvaient nuire à son prestige. Et les inspecteurs
ne manquaient pas de transmettre au recteur d’académie ces
Les articles sont publiés sous la seule responsabilité de leur auteur
1
informations. De là cette accumulation de lettres et de rapports
qui finalement ont été versés aux archives départementales du
Puy-de-Dôme. Le survol de ces documents permet d’éclairer une
partie de l’histoire de l’établissement de 1883 à 1940.
Sur ces bases, le conférencier propose d’abord un survol des
aspects traditionnels de la vie d’un lycée, puis une présentation de
son environnement, et enfin de suivre le développement de son
rameau technique.
1 – Un des 85 lycées de la France des années 1880
Il se distingue par ses bâtiments tout neufs. Malheureusement,
dès le départ apparaissent des malfaçons et tout n’est pas
achevé. Le chantier de la chapelle est retardé. Lavabos et
douches n’apparaîtront qu’en 1920. Les inspecteurs relèvent de
nombreuses négligences du point de vue de l’hygiène. Seuls les
ateliers échappent à leurs critiques et ils en font volontiers l’éloge.
Pendant toute la période étudiée, les effectifs élèves ont peu
varié : ils tournent autour de 350 dont une bonne centaine de
pensionnaires et une petite centaine d’externes surveillés. Pendant
la guerre de 1914 et au cours des années 1930, ces effectifs ont pu
approcher exceptionnellement des 500. Le recrutement se fait de
manière très différente avant et après l’instauration de la gratuité
(début des années 1930). Avant, on admet au lycée les boursiers et
les garçons dont les familles peuvent acquitter les frais de scolarité.
Si elles ne peuvent plus faire cet effort, elles sont priées de retirer
leurs enfants du lycée, alors que pour celles qui payent, beaucoup
d’accommodements sont consentis. Plus tard, lorsque la gratuité
devient la règle, l’afflux des candidats reste modéré ; toutefois on
le régule en imaginant un examen d’entrée en sixième.
Les inspecteurs généraux attachent une grosse importance à
l’état sanitaire des élèves ; bon an mal an, on recense trois ou quatre
épidémies (varicelle, scarlatine, variole, néphrite…). Chaque fois
se pose le même problème : faut-il renvoyer les élèves dans leurs
familles, ou peut-on garder les premiers malades à l’infirmerie
en espérant que l’épidémie se résorbera. Les médecins du lycée
se montrent imaginatifs dans des circonstances particulières.
Ainsi en avril 1899, pour suivre le cheminement d’une épingle
avalée inopinément par le jeune B., ils ont recours aux moyens
radiographiques du laboratoire des usines Saint-Jacques, car il
n’y a pas de radiologues à cette époque à Montluçon. Tous ces
soins n’empêchent pas quelques morts prématurées parmi les
pensionnaires.
2
L’état moral peut être apprécié de manière très différente.
Les inspecteurs généraux de la Belle Epoque comparent ce lycée
à d’autres où il est plus facile d’assurer une « bonne éducation ».
Les élèves y sont décrits comme « turbulents et mal élevés »
(1910). La plupart ont des manières frustes et un langage qui
va de l’incorrection à la grossièreté (1908). Le proviseur écrit à
l’inspecteur d’académie : « Beaucoup d’enfants de la ville sont
élevés dans un milieu rebelle à toute idée d’autorité et de devoir.
Beaucoup d’enfants de la campagne ont une brutalité native qui
… ne les prédispose guère à l’éducation ». Les procès-verbaux
des conseils de discipline du tournant du siècle révèlent parfois
avec des précisions très crues des conduites et des comportements
très éloignés de la bonne éducation que voudraient dispenser
les proviseurs : les fugues et les insultes aux maîtres répétiteurs
interviennent assez régulièrement. Les dégradations volontaires
du matériel et des bâtiments aussi. Ponctuellement on relève
des escroqueries. C’est surtout « l’immoralité » qui nourrit les
rapports des maîtres d’internat. On se plaint du libraire de la rue
du Collège (Condorcet) qui diffuse impunément une littérature
pornographique. On ne peut dissimuler les pratiques onanistes
dans les dortoirs. Plus grave encore, on relate deux cas de
viols entre élèves. L’exclusion temporaire ou définitive est la
sanction habituelle, mais on tient avant tout à ne pas ébruiter
ces évènements. L’inspecteur d’académie n’hésite pas à rendre
visite aux familles des victimes des viols pour leur demander de
ne pas porter plainte. On redoute l’exploitation que pourrait en
L’entrée principale du Lycée au début du XXe siècle.
faire l’établissement concurrent des maristes. On surveille les
engagements politiques des grands élèves. Certes on ne parvient
pas à identifier les philosophes qui expriment dans un journal de
gauche leur sympathie pour la classe ouvrière montluçonnaise.
Mais, en 1919, on exclut un élève qui a présenté devant le
conseil ses convictions anarchistes après avoir distribué des tracts
à ses camarades. Dans l’entre-deux-guerres, on relève moins de
conduites déviantes, et les conseils sont plus préoccupés par le
travail des élèves auxquels ils distribuent félicitations ou blâmes.
Au tournant du siècle, les classes n’ont pas tout à fait le
même rôle que de nos jours. En schématisant, on pourrait dire
que la classe est alors un relais entre deux études. Le cours n’est
qu’une introduction plus ou moins longue aux devoirs qu’on
dicte et dont on donnera le corrigé au début du prochain cours.
L’essentiel du travail scolaire, et notamment la mémorisation,
s’opère théoriquement en étude sous la conduite des maîtresrépétiteurs, les bien nommés. En ce qui concerne la ventilation
par classes, les inspecteurs généraux sont surpris du succès
des classes à dominante scientifique : ainsi en 1911 sur les 60
élèves du second cycle, 44 sont dans des classes à dominante
scientifique ; même proportion dans le premier cycle (94 sur
147). Autre originalité, les trois classes préparatoires aux Arts et
Métiers : elles regroupent au total 66 élèves en 1911.
Les externes libres ne constituent qu’une petite minorité
en léger progrès dans les années 1930. Pensionnaires, demipensionnaires, externes surveillés fréquentent les études, qui
passent de 9 en 1884 à 13 quarante ans plus tard. Les inspecteurs
déplorent l’évolution du rôle de maître-répétiteur. « Diriger une
étude ce n’est pas la surveiller » soulignent-ils. Les maîtres ne
font plus réciter les leçons et il est exceptionnel d’en voir un
se penchant sur le travail d’un élève. Ils font remarquer que les
études qui avoisinent souvent 40 élèves regroupent des élèves de
classes différentes qui n’ont ni le même programme ni les mêmes
exercices et qu’ils ne peuvent pas se dédoubler à l’infini.
Le personnel enseignant présente quelques originalités : les
maîtres-répétiteurs sont presque toujours des bacheliers ou des
titulaires du brevet supérieur. Parmi les enseignants, il y a presque
toujours un agrégé par discipline fondamentale. Ainsi on recense
un agrégé sur les trois professeurs de mathématiques en 1911,
deux agrégés et trois licenciés sur les six professeurs de lettres
en 1925. Le corps enseignant du lycée compte des ingénieurs
des Arts et Métiers pour la section préparatoire et des professeurs
d’ajustage et de menuiserie dont la compétence et la méthode
sont souvent saluées par l’inspection. Les inspecteurs se plaignent
de l’instabilité du corps professoral : « Ils ne font que passer »
note l’un d’eux en 1908. Le recteur et l’inspecteur d’académie
rappellent aux proviseurs qu’ils doivent se soucier de la conduite
des enseignants, qu’ils doivent faire des observations dès que cette
conduite s’éloigne même légèrement de la bienséance ou qu’elle
risque de compromettre la réputation du lycée. En 1887 il faut
aller plus loin : un professeur est tombé amoureux d’une jeune
fille qui semble tout à lui alors qu’elle est la maîtresse du censeur.
Fou de rage lorsqu’il découvre la situation, le jeune professeur
dénonce le censeur par une maladroite lettre anonyme. Cinq
mutations d’office s’en suivent. Ce sont là des cas extrêmes et
rares, mais plus fréquents sont les petits écarts à la dignité que Le
Centre se fait un malin plaisir de révéler dans ses entrefilets.
Les sources du conférencier ne renseignent guère sur la
condition matérielle des enseignants. On sait seulement que leur
service est plus léger que celui de nos contemporains. Agrégés ou
licenciés doivent 14 ou 15 heures par semaine. L’emploi du temps
qui s’étale, il est vrai, du lundi matin au samedi après-midi, laisse
de nombreuses plages de liberté. Les salaires sont plus élevés
que ceux du primaire supérieur ou de l’enseignement technique
puisque, lorsque les professeurs du lycée assurent un service
dans de tels cadres, ils réclament avec force le maintien des taux
salariaux du lycée.
Les professeurs du lycée sont souvent en contact avec les
milieux économiques de la ville. Les usines Saint-Jacques sont
mises à contribution pour le matériel de physique et de chimie.
Le directeur de l’usine trouve le temps d’assurer une suite de
conférences aux élèves de première et de terminale. Un ingénieur
des mines donne bénévolement quatre heures de mathématiques
par semaine en 1916. Pendant la guerre, les usines Saint-Jacques
délèguent des contremaîtres pour remplacer les professeurs
d’atelier mobilisés. En 1912, M. Avignon voudrait que le lycée
soit un centre de perfectionnement du monde agricole. Il finira
par obtenir la création d’une chaire d’agriculture et de viticulture.
Pour les cours de comptabilité, on recherche un expert comptable
expérimenté. Des cours de droit sont assurés en 1901 par le
président du tribunal.
Le lycée accueille nombre d’autres intervenants, que les
familles rémunèrent en plus des frais ordinaires de scolarité.
Ainsi sont assurés les cours d’instruction religieuse, les séances
d’escrime, les leçons de violon et les cours de sténodactylographie
qui ne sont limités que par le nombre de machines à écrire. En
1906, pour élargir le recrutement, on propose aux élèves qui sont
admis directement en cinquième des cours de langues payants.
Enfin nombre de familles inscrivent leur fils à la préparation
militaire, assurée au champ de tir à titre gratuit. On peut donc
constater que les professeurs côtoient dans les murs du lycée
nombre de personnalités qui enrichissent leur expérience et
élargissent leurs horizons.
Dans un tel cadre, les succès aux examens du lycée
sont honorables. Certes, ils apparaissent passables pour nos
contemporains de 2011, mais compte tenu des comportements des
jurys de l’époque, ce sont plutôt de bons résultats. Ainsi, en 1907,
sur 14 présentés, 11 sont admissibles et 8 définitivement admis.
Sur les cinq années 1906 à 1911, le pourcentage des reçus varie
de 62 % en première D à 82 % en mathématiques. En 1936, sur
81 candidats, 51 sont admissibles et 48 définitivement reçus dont
trois avec mention bien et 8 mentions assez bien. Couronnement
de tous ces succès, un lycéen de Montluçon obtient un prix de
composition française au concours général de 1930, ainsi qu’un
premier prix de dessin.
La dominante scientifique de l’enseignement, la présence
d’une préparation aux Arts et Métiers souhaités par les fondateurs
ont rendu possible une ouverture du lycée dont on ne trouve
guère d’exemple à la même époque… même si l’environnement
n’est pas toujours idyllique.
2 – Un lycée ouvert sur la ville et la région
Comme dans de nombreux lycées, les activités sportives
entraînent des contacts avec d’autres établissements. On
« matche », comme on l’écrit à l’époque, avec les lycées de
Châteauroux, de Clermont, de Bourges, de Guéret, etc… mais
aussi avec les apprentis du Paris-Orléans et des usines SaintJacques. Les sorties à bicyclette sont à l’ordre du jour à deux
reprises vers le tournant du siècle. Un professeur de sciences
physiques et naturelles dirige pendant plusieurs années une
excursion scientifique et sportive au sommet du Sancy. D’autres
excursions conduisent des classes dans la forêt de Tronçais ou
dans le vignoble de La Chapelaude.
Le lycée ne laisse pas passer une troupe théâtrale de qualité
à Montluçon sans conduire les élèves au théâtre. Mais le recteur
précise bien qu’il ne donnera pas son autorisation pour les
opérettes ou autres spectacles de second ordre. L’autorisation
rectorale se veut prudente pour le choix des pièces que montent
chaque année les élèves en faveur des pauvres. Il conviendra de
faire des coupes dans les farces du jeune Molière qui sont par
trop licencieuses. En revanche, on peut conduire les internes
au cinéma sans problème car, à ses débuts, cette « innocente
distraction » convient très bien pour les jours de pluie.
Les contacts avec les élèves du collège Saint-Joseph sont
loin d’être cordiaux. Les proviseurs redoutent particulièrement
la rencontre des deux groupes d’élèves lors des promenades
surveillées. On passe très vite des quolibets à la bataille rangée
que les surveillants ne peuvent éviter. Il faut présenter des excuses,
ou les exiger, ce qui est toujours délicat. Un proviseur propose
une sorte de plan de paix pour les promenades des jeudis : les
lycéens disposeraient de la rive gauche du Cher et les collégiens
de la rive droite durant une première semaine, et on alternerait la
semaine suivante !
Les contacts avec la mairie, essentiels au moment de la
création du lycée, se sont refroidis après l’échec électoral de
Joseph Chantemille en 1888. Jean Dormoy, qui n’est jamais
invité lors des distributions des prix, en est mortifié et s’en tient
strictement à ses obligations d’entretien des bâtiments. Paul
Constans est plus souple, mais il déplore d’être présenté à tort
comme un de ceux qui laissent les élèves grelotter de froid à coté
de calorifères inutilisables. Les relations s’améliorent lorsque
le fils de Paul Constans, Maurice, devient le responsable de
l’enseignement technique au sein du lycée.
Proviseurs et censeurs collectent avec grand soin tous
les articles que les journaux consacrent au lycée. Les feuilles
socialistes n’ouvrent leurs colonnes qu’exceptionnellement pour
insérer par exemple un article des élèves de philosophie qui
proclament que dans ce lycée bourgeois il y a d’authentiques amis
du peuple. La Démocratie est moins engagée et plutôt favorable.
Avec Le Centre, réputé clérical, on ne saurait être trop prudent.
Toutefois, le proviseur fait passer dans ce quotidien lu par nombre
de familles une abondante documentation sur la filière technique.
Les relations avec les organismes professionnels et les
entreprises sont excellentes. La CCI a fondé des bourses d’externat
de 100 F ; elle prête des machines à écrire et nourrit le projet
d’une filière commerciale dans les années qui précèdent la guerre.
Le lycée n’ignore pas le monde agricole. Si la chaire
d’agriculture et de viticulture ne semble pas avoir perduré, on
accueille des cours d’agriculture pour des non-lycéens du Bocage
bourbonnais et de la Creuse. Épisodiquement, on voit apparaître
une école d’agriculture d’hiver. Et les comices agricoles du mois
d’août se tiennent dans l’espace des trois cours du lycée.
Les relations avec les usines Saint-Jacques sont
particulièrement étroites. Son directeur est membre du conseil
d’administration et de la commission de perfectionnement pour
la section des Arts et Métiers où l’on retrouve tous les dirigeants
des grosses entreprises industrielles de la ville. L’usine délègue
volontiers ses ingénieurs et ses contremaîtres, et elle fournit
machines et matériel d’atelier. Ces relations privilégiées avec
le monde industriel ont fortifié le rameau technique qu’avaient
voulu greffer les fondateurs.
3
3 – Le rameau technique
Dès la première rentrée, la préparation au concours de
l’école d’Arts et Métiers de Cluny est organisée ; le recrutement
des premiers professeurs en tient compte puisqu’on recourt à
des ingénieurs issus de Cluny. Il semble que les élèves soient
essentiellement des fils d’ouvriers, boursiers des usines SaintJacques.
Après la disparition de l’enseignement spécial (vers 1888)
et sa transformation en une série sans latin (D), les classes
préparatoires au concours sont les seuls restes de l’orientation
vers l’industrie que chérissait Joseph Chantemille. Les quelque 75
élèves de cette section, répartis en trois niveaux, sont des lycéens
à part entière mais ils détonnent aux yeux des inspecteurs : ils
travaillent ferme mais sans grâce, et les résultats au concours ne
sont pas à la hauteur de ceux du baccalauréat puisqu’ils n’ont pas
dépassé 50 % la meilleur année.
Au fil du temps, les résultats deviennent moins bons. En
1904, on compte 9 admis, 8 en 1908, 7 en 1910, 3 en 1914, 2 en
1917, et en 1918, aucun des 9 admissibles ne figure sur la liste des
admis définitifs. Cette hécatombe fait réfléchir. Il est clair que le
jury préfère les élèves issus des E.N.P. ou des classes préparatoires
qui gravitent autour de Cluny. Certes, on peut orienter les élèves
de Montluçon vers d’autres écoles techniques à Paris, Grenoble
ou Lyon. Mais on peut aussi constituer à Montluçon une E.N.P. et
Paul Constans en est un ardent partisan. Toutefois, il faut compter
avec les finances de la ville.
faut donc former non seulement des ingénieurs mais aussi des
techniciens qualifiés pour encadrer cette main-d’œuvre de base.
C’est la nouvelle vocation de l’enseignement technique. Peutelle se réaliser dans le cadre du lycée ? Ne faut-il pas envisager
une école distincte ? Tel est le grand débat de l’immédiate aprèsguerre.
Finalement a prévalu l’idée de l’école annexe qui se
développerait dans le périmètre du lycée, mais disposerait bientôt
de bâtiments nouveaux attestant son autonomie. Cette école
pratique serait sous l’autorité d’un responsable désigné par le
secrétariat à l’enseignement technique dont relèverait également
une demi-douzaine d’enseignants. Le proviseur resterait à la tête
de l’ensemble lycée et école pratique.
Le 1er octobre 1922, l’école pratique se substitue
effectivement à la section industrielle. C’est un changement
important dans l’organigramme d’ensemble. Mais sur le plan
pédagogique, on reste sur le même schéma : un tronc commun de
deux ans suivi d’une bifurcation soit vers le concours des Arts et
Métiers soit vers une formation professionnelle de deux ans avec
une place grandissante de l’atelier dans les derniers trimestres.
Il reste à régler de nombreux problèmes financiers. La
scolarité à l’école pratique est gratuite pour les familles, mais la
ville, qui se trouve déchargée de cette formation, doit acquitter au
lycée une somme de 65 F par élève et par an pour couvrir les frais
de scolarité des externes. Les frais éventuels de pension restent à
la charge des familles. De son côté, le personnel administratif du
lycée demande des primes compte tenu du supplément de travail
Dans l’immédiat on revoit le
qu’impose la nouvelle structure. Les
système des interrogations qui doivent
professeurs du lycée qui continuent à
être stimulantes et les résultats ne
intervenir dans l’école pratique refusent
sont pas négligeables puisqu’un
d’être payés au tarif de l’enseignement
redressement s’opère et qu’on peut
technique. Pour recruter un directeur
s’enorgueillir d’un beau succès en
qualifié, les industriels qui parrainent
1930 avec 12 admis sur 18 présentés…
le projet accordent une prime de 5000
mais dans un cadre tout à fait différent.
F. Le poste revient à Maurice Constans,
ingénieur des Arts et Métiers et fils
Dès avant la guerre et de plus
du maire, ce qui n’est pas indifférent
en plus souvent dans l’entre-deuxpour les relations avec la municipalité.
guerres, des hauts fonctionnaires et
Celle-ci doit prendre en charge en
des ministres comme Herriot ou Jean
effet les nouveaux bâtiments dont le
Zay veulent rapprocher voire fondre
chantier s’ouvre au mois de mai 1922.
l’enseignement primaire supérieur ou
e
Vue générale du Lycée au début du XX siècle.
technique et celui des lycées. Le lycée
Dès 1924, l’effectif de l’école
de Montluçon offre un bon terrain d’expérimentation d’autant
pratique atteint plus de 250 élèves. Ses succès au concours des
plus qu’il dispose d’ateliers bien équipés. En 1910, l’inspecteur
Arts et Métiers sont inégaux : 12 admis en 1930, 2 seulement en
d’académie pense que la démographie de la ville justifie
1936 ; mais au cours de cette même année 1936, on délivre 26
amplement la création d’une école primaire supérieure (EPS).
brevets industriels et 44 C.A.P.
Mais cela nuirait à la section industrielle (79 préparationnaires
Les sources du conférencier sont de plus en plus discrètes
aux Arts et Métiers) et à une section commerciale en formation.
au fur et à mesure qu’on avance dans les années 1930. Le fonds
De plus cela coûterait cher. Il préconise donc d’utiliser au mieux
d’archives municipales devrait être plus riche puisque Marx
le potentiel du lycée et d’élargir la section industrielle. Une autre
Dormoy, reprenant l’idée de Paul Constans, souhaite créer une
raison milite en faveur de cet élargissement : une importante
grande E.N.P. autonome sur un site nouveau. Il cherche des
proportion de ses élèves n’est pas admise au concours. Or ces
terrains convenables vers les casernes.
élèves ont eu souvent en cours d’année des résultats honorables.
Donc un certificat d’études professionnelles pourrait sanctionner
Que reste-il du projet des fondateurs à la fin des années
leur effort et leur permettre de postuler à des emplois de cadres
1930 ? Globalement, le lycée, comme l’avait souhaité Joseph
intermédiaires. Sur ces bases s’esquisse un organigramme de la
Chantemille, s’est révélé sensible aux besoins d’une ville
section industrielle avec deux années de tronc commun, et ensuite
« manufacturière ». De là vient sans doute son ouverture et ses
une bifurcation soit vers la première année du cours préparatoire
innovations suscitées par des professionnels de haute qualité.
aux Arts et Métiers, soit vers des formations professionnelles
Mais la création de l’école pratique consacre la séparation de
sanctionnées par un certificat auquel pourraient prétendre les
deux milieux que distinguent bien les élèves quand ils opposent
candidats malheureux au concours. Sur de telles bases, la section
« bahutiens » et « indus ». Et déjà germe l’éclatement du lycée
industrielle peut passer de 72 en 1912 à 149 en 1918.
qui, 70 ans après son ouverture, va devenir un lycée standard
4
Dans les années 1920, le ministère de l’Instruction publique
se préoccupe tout particulièrement de l’enseignement technique.
Un sous-secrétariat d’État lui est consacré et son titulaire, pendant
trois ans, n’est autre que Gaston Vidal, député de l’Allier. Pour lui,
la France trouvera dans ses colonies et les pays de l’Europe centrale
la main-d’œuvre de base qu’a raréfiée l’hécatombe de 1914. Il
après le départ en 1956 de toutes les formations industrielles vers
l’E.N.E.T. Cette séparation n’était certainement pas dans la pensée
de Joseph Chantemille pour qui le citoyen honnête homme se
devait d’être familier des techniques de son temps.
Pierre Mazataud