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Contactologie Le corneal staining Savoir le reconnaître, savoir le comprendre Dominique Plaisant-Proust L e corneal staining est un signe clinique qu’il est important de rechercher et d’interpréter dans toutes les adaptations en lentilles de contact, en particulier en siliconehydrogel. Le SICS (solution-induced corneal staining) a fait l’objet de deux publications dont les résultats méritent d’être soigneusement analysés afin d’orienter notre pratique de la contactologie. Corneal staining (CS) est un terme anglo-saxon signifiant littéralement « procédure clinique permettant d’observer à l’aide d’un collyre coloré (fluorescéine) la vitalité et l’intégrité des cellules de l’épi thélium cornéen ». La surface cornéenne observée après instillation de fluorescéine au filtre bleu de la lampe à fente permet la mise en évidence d’un piqueté cornéen de localisation et d’importance variable. Dans ses formes frustes, l’observation à l’aide d’un filtre jaune est utile pour révéler les détails subtils des surfaces cornéenne et conjonctivale. Prévalence chez les non-porteurs et les porteurs de lentilles Chez les non-porteurs de lentilles de contact, la prévalence du CS varie de 4 à 79 % en fonction du mode de détection. Il est en général de grade inférieur ou égal à 1, situé dans la moitié des cas dans la zone inférieure de la cornée et associé à un film lacrymal défaillant. Il est présent chez 30 à 50 % des patients porteurs de lentilles de contact et de grade < 2, et de grade > 2 chez 5 à 10 % d’entre eux. Le plus souvent asymptomatique, il faudra systématiquement le rechercher en déposant la lentille et en instillant une goutte de fluorescéine. Description et quantification du corneal staining Profondeur, localisation et grade du piqueté cornéen On décrira les points fluorescents cornéens selon : • leur profondeur : caractère superficiel ou profond ; • leur situation géographique sur la cornée qui est divisée en cinq zones : centrale, supérieure, inférieure, nasale, temporale (selon le CCLRU de RL Terry, 1993) (figure1) ; • leur grade de 0 à 4, relevé dans chacune des zones de la cornée : - grade 0 = absence de piqueté, non cliniquement significatif, aucun traitement requis, - grade 1 = piqueté à l’état de trace, non cliniquement significatif, aucun traitement requis, Figure 1. Localisation du corneal staining sur la surface cornéenne. Marseille n° 129 • Avril 2009 Les Cahiers 15 Contactologie - grade 2 = léger piqueté, à noter dans le dossier, suivre la progression, - grade 3 = piqueté modéré, intervention thérapeutique préconisée, - grade 4 = piqueté sévère, traitement requis. Cette échelle de graduation selon Nathan Efron est mondialement reconnue. On pourra ainsi décrire plusieurs formes cliniques de CS • Un corneal staining ponctué : petits points superficiels discrets répartis à la surface de la cornée : c’est la kératite ponctuée superficielle. • Un corneal staining localisé ou diffus, disséminé ou à points coalescents. • Un syndrome 3h-9h, forme classique de staining observée chez les porteurs de lentilles rigides. On note un triangle fluo+ en nasal et temporal sur la cornée à la périphérie de la lentille dans l’aire de la fente palpébrale. Son étiologie est le moindre renouvellement du film lacrymal entre deux clignements. • Le smile staining : ponctuation en arc épithélial inférieur situé entre 4h et 8h que l’on voit chez les porteurs de lentilles souples, en partie dû à une insuffisance du film lacrymal entre lentille et cornée. Il serait rencontré chez 3,3 % des porteurs de lentilles souples (figure 2). caractère récidivant (dans 50 % des cas) oblige à un rééquipement avec un matériau à module de rigidité plus faible. Le plus souvent asymptomatique, sa recherche est systématique Le corneal staining est le plus souvent asymptomatique dans ses formes frustes (grades 1 et 2) et découvert lors de l’examen systématique de la cornée d’un patient porteur de lentilles de contact. Dans les formes plus sévères (grades 3 et 4), il peut s’accompagner d’une rougeur limbique et/ou conjonctivale, parfois associée à un chemosis ou à un larmoiement selon l’étiologie, et nécessiter une prise en charge thérapeutique. L’acuité visuelle, qui sera toujours vérifiée, n’est habituellement pas affectée par un corneal staining, excepté dans sa forme coalescente centrale de grade 4 (figure 3). Paradoxalement, il n’y a pas de corrélation entre l’importance du staining et le degré d’inconfort oculaire ressentit. Figure 3. Corneal staining central de grade 4. Figure 2. Smile staining. • Le SEAL ou superior epithelial arcuate lesion . C’est une complication fréquente et asymptomatique des lentilles en silicone-hydrogel. Il s’agit d’une lésion épithéliale arciforme qui apparaît dans la zone supérieure de la cornée recouverte par la paupière supérieure à 2-3 mm du limbe entre 10 h et 2 h. Il est dû essentiellement aux contraintes mécaniques à la périphérie de la cornée par interaction paupière-lentille, à la forme de la jonction cornée-sclère et à un module de rigidité élevé des lentilles silicone-hydrogel. Son 16 Les Cahiers Des étiologies diverses Nathan Efron décrit six étiologies : mécanique, par exposition, métabolique, infectieuse, toxique et allergique. Mais dans de nombreux cas, la cause du corneal staining n’est pas retrouvée. Les facteurs mécaniques Une lentille défectueuse, mal adaptée (surtout en cas de lentille rigide), ou mal entretenue avec des dépôts postérieurs, un corps étranger sous lentille, entraîneront des microtraumatismes de l’épithélium cornéen faciles à identifier (figure 4). n° 129 • Avril 2009 Contactologie Figure 4. Corps étranger sous lentille. Corneal staining mécanique. L’œil sec Typiquement, on se trouve devant une lésion en arc inférieur (smile staining) due à une exposition excessive de l’épithélium cornéen entraînant une dessiccation des cellules épithéliales. Il s’observe également en cas de décentrement supérieur d’une lentille rigide avec diminution ou inefficacité du clignement. Lors du port de lentille souple à haute hydrophilie, une kératite sèche peut apparaître, en relation avec une déshydratation de la lentille pendant le port ; le staining est de localisation centrale. Le syndrome 3h-9h est rattaché à cette étiologie. Le corneal staining toxique et allergique Chez les porteurs de lentilles en hydrogel, les kératites superficielles observées étaient en relation avec la toxicité du PHMB (polymère d’hexaméthylène biguanide) contenu dans les produits d’entretien, des phénomènes d’origine allergique et l’hypoxie due au faible Dk/e du matériau. L’arrivée du matériau silicone-hydrogel, initialement positionné pour le port continu, devait réduire ou éliminer les signes cliniques liés à l’hypoxie. Ce bénéfice est devenu tellement évident que la plupart des praticiens ont prescrit les lentilles silicone-hydrogel en port journalier avec, pour corollaire, à nouveau l’utilisation de produits d’entretien. L’amélioration de la composition des systèmes d’entretien (disparition du PHMB et autre composants allergisants comme le thimerosal, le chlorure de benzalkonium et la chlorhexidine) aurait dû largement faire disparaître les microponctuations cornéennes fluo+ observées (figure 5). L’origine métabolique Sont regroupés dans cette étiologie les conséquences de l’hypoxie engendrée par le port de lentille souple et de l’hypercapnie qui en résulte, avec formation de métabolite (acide lactique). Ce stress métabolique chronique aboutit à une apoptose des cellules profondes de l’épithélium cornéen avec formation de microkystes, qui vont entraîner un staining superficiel, disséminé et toujours bilatéral. Le matériau silicone-hydrogel a permis de limiter l’hypoxie et donc de réduire ces conséquences métaboliques. Figure 5. Corneal staining toxique. L’augmentation des prescriptions des lentilles en silicone-hydrogel en port journalier a obligé les prescripteurs et l’industrie à reconsidérer les produits d’entretien et leurs possibles conséquences sur l’épithélium cornéen, ainsi que la prévention de la sur venue de kératite microbienne, le but étant d’obtenir un équilibre entre la facilité d’utilisation, le confort du porteur et la prévention des complications, notamment infectieuses. L’origine infectieuse Il s’agit d’un petit ulcère de cornée (corps étranger sous la lentille, port nocturne mal géré) s’accompagnant de douleur. La fluorescence est limitée à la zone ulcérée, mais, signe pathognomonique, diffuse en profondeur dans le stroma donnant un halo postérieur. Attention à l’abcès de cornée ! Le même tableau se voit dans les infiltrats stériles, mais ils sont le plus souvent asymptomatiques. Nous reviendrons plus loin sur les conséquences d’une kératite chronique chez les porteurs de lentilles. n° 129 • Avril 2009 Lentilles et solutions d’entretien : deux publications sur le corneal staining La première publication est celle d’Andrasko qui résume dans un tableau devenu classique l’Andrasko Staining Grid, les résultats obtenus en conservant différentes lentilles dans plusieurs solutions d’entretien et en évaluant le pourcentage de la surface cornéenne Les Cahiers 17 Contactologie présentant un CS après 2 heures de port. Il s’agit bien d’un pourcentage de surface cornéenne atteinte et non d’une quantité de points fluo +. Cette grille a été et reste très contestée (www.staininggrid.com). Une deuxième étude, plus récente, l’ IER Matrix Study, publiée par l’Institute for Eye Research en septembre 2007, évalue le pourcentage de patients par mois montrant des signes de CS durant les trois premiers mois d’équipement lentille + produit d’entretien multifonctions (tableau I). Elle définit la notion de SICS (Solution-Induced Corneal Staining) permettant ainsi de différencier le corneal staining induit par l’interaction lentille-produit d’entretien, du corneal staining ayant une autre étiologie. Les SICS se présentent sous deux tableaux cliniques : une kératite diffuse et une kératite en anneau périphérique. Lentille/ Solution ACUVUE® ADVANCETM ACUVUE® OASYSTM O2OPTIXTM Clear Care® AQuify ® OPTI-FREE Express® OPTI-FREE RepleniSH® 0,0 % 0,9 % 0,0 % 0,0 %* 0,9 %* 2,6 %* 6,2 % 7,1 %* 0,5 % 3,2 % 5,9 % 6,7 % PureVision® 0,9 % 23,2 % 11,3 % 14,2 % NIGHT & DAYTM 1,7 % 0,9 % 7,2 % 6,7 % ■ Quartile inférieur ■ Quartiles intermédiaires ■ Quartile supérieur *Remplacement bimensuel Tableau I. Pourcentage de patients par mois présentant un SICS (Solution-Induced Corneal Staining) au cours des trois premiers mois de port [IER Matrix Study Data]. d’adhérer puis de pénétrer la cornée ; mais à l’heure actuelle, il est injustifié d’affirmer la relation de cause à effet entre corneal staining et kératite microbienne. Cependant, si la responsabilité des solutions d’entretien multifonctions n’est pas encore démontrée dans la survenue de phénomènes infectieux, on doit, dans la mesure du possible, essayer de minimiser un effet délétère potentiel et réaliser des associations lentilles-produits multifonctions les plus appropriées. Le plus simple serait de proposer un système oxydant à tous nos porteurs de lentille en silicone-hydrogel. Système oxydant ou système multifonctions ? Le corneal staining est une lésion cornéenne qu’il faut savoir rechercher systématiquement chez un porteur de lentilles car souvent asymptomatique. Il nous permet d’apprécier la tolérance de l’équipement proposé : tolérance du matériau silicone-hydrogel, tolérance du produit d’entretien prescrit, adéquation produit-lentille-cornée. Cette recherche doit être faite deux heures après le début du port selon Andrasko, dans les trois premiers mois d’une adaptation selon l’étude de l’IER. En pratique, rappelons-nous que, chaque fois que cela est possible, il est plus rassurant d’utiliser un produit oxydant et que nous devons préciser sur nos prescriptions le nom du produit d’entretien, accompagné de la mention « dispositif médical non substituable ». Que nous apporte l’IER Matrix Study dans notre pratique quotidienne ? • Le peroxyde d’hydrogène occasionne beaucoup moins de corneal staining que la plupart des solutions multifonctions (tous types de lentilles confondus ; p < 0,001). L’absence de réaction de la surface cornéenne avec toute solution contenant du peroxyde en présence du matériau silicone-hydrogel suggère qu’elle serait la méthode de choix pour réduire ce type de complication. • Le SICS est différent et est observé à des degrés divers selon l’association produit d’entretien-lentille de contact, ce qui introduit la notion d’interaction « solution-lentille ». Existe-il une relation de cause à effet entre CS et survenue d’une kératite microbienne ? Il est évident qu’un CS chronique ou récurrent représente une porte ouverte à l’infection par rupture de la barrière épithéliale, permettant ainsi aux bactéries 18 Les Cahiers Bibliographie Andrasko G. Andrasko Corneal Staining Grid. In: http://www.staininggrid.com. Boghal G. The assessment of corneal staining. BCLA 2008. Carnt NT et al. Corneal staining: the IER Matrix Study. Contact Lens Spectrum. September 2007. Efron N. Grading scales for contact lens complications. Appendix A. In: Contact lens complications (2nd ed). Butterworth-Heinemann, Oxford 2004:239-43. Jones L. Understanding Incompatibilities. Contact Lens Spectrum. July 2004. Milton M. The new math of corneal staining. Clinical & Refractive Optometry 2007:182-5. Snyder C. Solution interaction with the ocular surface: the significance in making the grade. Clinical & Refractive Optometry 2005;16:134-40. Sweeney D. Corneal staining: the IER Study. BCLA 2008. Ward K. Superficial punctate fluorecein staining of the ocular surface. Optometry and Vision Science 2008;85:8-16. n° 129 • Avril 2009