Le plurilinguisme comme source de créativité et d`innovation dans le

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Le plurilinguisme comme source de créativité et d`innovation dans le
Le plurilinguisme comme source de créativité et d’innovation
dans le monde du travail1
1. Introduction
Au printemps 2007, le comité de rédaction du magazine interne de Pharma A, une
grande entreprise multinationale suisse, se réunit pour sa réunion mensuelle. Une
modification profonde dans la conception du magazine, qui a eu lieu quelques
mois auparavant, suscite des réactions à propos de sa nouvelle forme. La plupart
des participants est de langue maternelle (suisse-)allemande, avec l’exception notable de PW, un expat – et c’est lui le chef.
CB:
?:
CB:
SM:
CB:
SM:
?:
?:
SM:
PW:
SM:
?:
PW:
?
SM:
PW:
JK:
SM:
BK?:
&müssen die schrift in weis[s (.) halten heisst wir müssen bei&
[hm
&jedem titelbild darauf achten dass (.) die personen okey die kann man hell oder dunkel ange- an- (.) gekleidet sein aber der hintergrund muss irgendwo (.) in diesem bereich wo wir schreiben dürfen möglichst dunkel gehalten sein [(.) und und dann (.)&
[hm (ne) das ist schon klar
&funktionierts mit den farben hier schön als kontrast (.) aber (in, mit) dem braun das
wir auch in dieser palette haben die wir (.)nutzen sollten (.) die wir auch hinten (xxx)
nutzen müssen im (xxx) bereich (..) [(also jetzt sicher noch)(xxx)
[also jetzt (.) die die modische farbkonstellation jetzt rein aus der graphischen
sprache her (ist) sicherlich irgendwie son klinisches blau so türkis grün blau so was gewesen das wär chic gewesen mit dem braun jetzt rein (.) nur also auch von (.) von der
graphiksprache die (.) mir jetzt zumindest so bekannt ist dass man halt braun (.) dass
man das mit hellen tönen mischt +mit+((PW kommt zur Tür rein)) blau[tönen (.)
[a:
[(h)(h) [(h)
[and now its getting (.) [(h)
[the language intruder[once again
[switch in englisch (h)(h)[(h)
[(h)
for their benefit=
=(they) only [got started
[(xxx) die von [von der uni=
[sorry about that (again)
=ah jä [jä
[beobacht [mal
[thats great
1 Ce texte reprend largement les propos de ma leçon d’adieu donnée le 10 décembre 2009 à
l’Université de Bâle. Il repose sur le travail d’une équipe de recherche au sein du projet européen DYLAN, composée de Katharina Höchle, de Patchareerat Yanaprasart et de moi-même, et
sur le Working Paper 4 que nous avons produit pour la rencontre du consortium à Glasgow en
novembre 2009. Je remercie mes collaboratrices de leurs contributions précieuses.
Vox Romanica 69 (2010): 1-24
2
Georges Lüdi
JK: [jä (h)
PW: [yeah well it shows profile
?:
(h) [(h)
CF:
[(xxx) am (.) CHRISTOPH you said we have to use white (..) who said we have to
use white we? (.)
SM: is that [us defini[ng?
CB: [(xxx)
CF:
[a (.) [okey
CB:
[ e branding (.) i mean we discussed the (.)the layout also the (.)
the colours of the writi[ng
BK:
[+we’re just discussing this [(xxx) page+ (flüstert mit PW))
CB:
[e (.) with the [(branding) team (.) they gave us&
PW:
[hm
CB: & some (1)[sort of very clear e [(xxx)] (h) [which colour (we)& [(guidings)[(guidings,
guidelines) have to
CF:
[okey i just think ist funny whe- when we say we
have to and i know (.) we do our own rules .) and sometimes (xxx) maybe we can be (.)
you know (.) even change rules we (.) we stick to but (.) thats a long discussion i thin[k
we&
BK:
[hm
CF: &shouldn’t open (it, in) up (h) (.)
SS: i think the problem is this this brown (.[) brown yeah its its&
PW:
[brown yea
SS: &thats (.) (xxx) been a different coulour i think=
PW: =it’s no contrast=
SS: =yea=
PW: =that’s the point (xxx)
La séance avait commencé informellement en suisse allemand; les membres du
comité de rédaction – tous germanophones à l’exception d’une personne, qui
parle cependant bien l’allemand – étaient passés à l’allemand standard au début
de la séance proprement dite. Puis s’ouvre la porte, PW, qui ne parle pas l’allemand, entre dans la salle. Après quelques brouhahas, CF reprend les propos de
CB, énoncés en allemand, mais cette fois en anglais («Christoph you said we have
to use white (..) who said we have to use white we?») et toute l’équipe switche à
l’anglais.
Les détails des choix de langue observés mériteraient que l’on s’y attarde. Nous
nous limiterons pourtant, ici, à trois remarques:
– Tout le monde est conscient que l’on switche à l’anglais à cause du chef (participant related code-switching) parce que celui-ci ne parle pas l’allemand; ceci fait
d’ailleurs l’objet de blagues. Dès qu’il quitte la salle, la langue qu’il a imposée à
ses collaborateurs est de nouveau immédiatement abandonnée en faveur de l’allemand.
– Selon la doxa, représentation partagée par pour ainsi dire tous les employés de
Pharma A que nous avons interrogés, mais nulle part consignée par écrit, l’anglais représente la corporate language. Il n’empêche que la langue préférentielle
de l’équipe de rédaction est l’allemand.
Le plurilinguisme comme source de créativité et d’innovation dans le monde du travail
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– En d’autres termes, les pratiques langagières parmi les employés de Pharma A
sont beaucoup plus plurilingues que le voudrait la philosophie du English only.
Les dirigeants en sont d’ailleurs parfaitement conscients. Tobias B., un haut responsable de Pharma A, parle à propos de ce mélange de Chuderwälsch-Esperanto (sc. de charabia-espéranto).
ich ha jez s erscht Mal es Meeting müesse leite mit ere komplett neue Jury zää komplett neu
Lütt oder se Mal zämme bringt de findet mene Sprach und eh isch e Mischig zwüsche BaselHochdütsch-Änglisch [oder s isch igend] üses Esperanto [wo mr do] jez gfunde hei (. . .) vo de
vo de Sprach hei mr halt natürli müesse usblände oder hei de da i üsem Chuderwälsch-Esperanto hei mr hei mr das düre diskutiert
Il est bien connu que la mondialisation et la mobilité de la main d’œuvre ont un
impact croissant sur nos pratiques communicatives. De plus en plus souvent, des
ingénieurs et des chercheurs, des médecins et des infirmières, des employés de cuisine et des femmes de ménage de langues et cultures différentes collaborent dans les
mêmes équipes. Pour certains, l’absence d’une langue unique représente d’abord et
surtout un obstacle à la communication qu’ils essaieront de pallier en choisissant de
ne plus parler qu’une seule langue. Dans les métiers du bâtiment, c’était pendant de
longues années l’italien; dans les commerces du Kleinbasel fréquentés par des migrants de langues d’origines différentes, c’est souvent un suisse-allemand un peu
simplifié. Dans les grandes entreprises – et à l’université – c’est en général l’anglais,
lingua franca des sciences et des affaires. C’est la recherche d’une corporate language. Mais il y a beaucoup de voix contraires, qui insistent sur le fait que la prise en
compte explicite de la diversité de la main d’œuvre augmente non seulement la
satisfaction, mais aussi la productivité et la qualité du travail des collaborateurs
(p.ex. Cox 1991). Enfin, on a non seulement pu argumenter que le plurilinguisme
individuel conférait un potentiel créatif supérieur (Skutnabb-Kangas 2002, Compendium 2009), mais aussi que la créativité avait une dimension sociale dans la
mesure où la diversité cognitive au sein d’une équipe serait corrélable avec l’émergence de nouvelles connaissances (Maalouf 1998; Mitchell/Nicholas 2006; Furlong 2009). Il est vrai que le scepticisme concernant les avantages des personnes
plurilingues est répandu et que les théories de gestion de la diversité, tout en relevant les avantages d’équipes mixtes, ont tendance à se focaliser sur les différences
sexuelles, ethniques, d’âge, etc. et à négliger les différences linguistiques. On croit à
la transparence fondamentale du langage et, donc, que la diversité des langues est
un facteur négligeable dans l’émergence de nouvelles idées dans la communication
interculturelle (p.ex. Holden 2002). Nous argumenterons au contraire avec une
certaine opacité de chaque langue et plaiderons, par conséquent, pour la prise en
compte du plurilinguisme et de la diversité linguistique comme dimensions pertinentes dans la construction, transmission et circulation de connaissances:
Nationality is too narrow a measure of cultural origin, since it falls to take into account individuals with an immigrant background. A pragmatic and relevant criterion in the work context
would be the number of languages team members speak fluently. (Kaiser-Nolden 2008: 46)
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Georges Lüdi
Most organizations have a potential for creativity, innovation and problem solving benefits
from a culturally and linguistically diverse workforce. (Cox 2008: 22)
On peut avancer l’hypothèse que le fait de penser parallèlement dans plusieurs
langues, d’y poser des questions et d’y chercher des réponses, que le défi de trouver des moyens plurilingues pour négocier les solutions qui émergent, pour présenter des projets et des résultats de recherches, pour enseigner, etc., est superficiellement plus coûteux que l’unilinguisme. Mais des solutions unilingues, où une
seule langue est imposée, n’engendrent-elles pas des coûts plus élevés à un autre
niveau? Ne correspondent-elles pas à ce que Mulgan 2000 et Martin 2007 appellent «un style de pensée conventionnel, réducteur», tandis que la complexité
inhérente aux processus de communication plurilingues dans des équipes mixtes
serait un indice d’un style de pensée holististique et intégratif et donc un gage de
créativité? Dans ce sens, la séance enregistrée serait un exemple d’une atmosphère
de travail favorable à la genèse de nouvelles idées parce que plusieurs langues y
sont pratiquées.
Il est vrai que la diversité peut aussi engendrer des malentendus, voire des
conflits:
the key is to create a team environment in which the potential problems of diversity are minimized while the potential benefits are unleashed. (Cox 2008: 23)
C’est pourquoi une institution «needs to be actively engaged in creating conditions
that enable diversity to have a positive effet on a team’s success» (Kaiser-Nolden
2008: 45). Il semble, soit dit en passant, que les universités et les institutions qui financent la recherche ne soient pas encore vraiment conscientes, au contraire des
entreprises, de cette responsabilité.
Dans ce qui suit, nous allons présenter quelques réflexions à ce propos issues du
module bâlois du projet européen DYLAN. Ce projet étudie différentes formes de
gestion de la diversité linguistique en Europe. Notre équipe se concentre sur le
monde du travail. Notre méthode est double: d’une part, nous avons enregistré des
interactions verbales dans des contextes de travail pour observer minutieusement
dans quels formats de communication, unilingues et plurilingues, les acteurs
mobilisent leurs répertoires linguistiques. D’autre part, nous avons recueilli des
documents écrits et nous avons interviewé des acteurs à tous les niveaux de l’hiérarchie pour analyser leurs représentations à l’aide des méthodes de l’analyse discursive2.
2 Voir Berthoud 2008 pour une présentation du projet et Lüdi et al. 2009 pour de premiers
résultats du module bâlois.
Le plurilinguisme comme source de créativité et d’innovation dans le monde du travail
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2. Plurilinguisme individuel
Avant de continuer à parler d’interactions plurilingues, une petite digression dans
le domaine du plurilinguisme individuel s’impose. Un préjugé fréquemment rapporté au XIXe et au début du XXe siècle voulait que les plurilingues étaient cognitivement désavantagés par rapport aux unilingues:
If it were possible for a child to live in two languages at once equally well, so much the worse.
His intellectual and spiritual growth would not thereby be doubled, but halved. Unity of mind
and character would have great difficulty in asserting itself in such circumstances. (Laurie
1890: 15)
Des recherches «prouvant» ces désavantages comparaient, en général, des personnes éduquées appartenant aux classes moyennes et supérieures avec des représentants, souvent moins bien formés, de minorités linguistiques ou de populations
immigrées. Après qu’on eut commencé à mieux contrôler les groupes comparés, les
différences s’estompèrent ou même se renversèrent. Ainsi, Peal/Lambert 1962
trouvèrent-ils chez des enfants bilingues équilibrés de 10 ans des meilleures facultés de résoudre des problèmes (problem-solving skills), de pensée abstraite (abstract thinking skills) et de construction conceptuelle (higher concept formation
skills) ainsi qu’une flexibilité mentale générale supérieure (overall higher mental
flexibility). Et de conclure:
[the bilingual child is] a youngster whose wider experiences in two cultures have given him advantages which a monolingual does not enjoy (1962: 20).
Une de ces dimensions pourrait bien être une créativité accrue. C’est en tout cas
la conclusion prudente que l’on peut tirer de deux études parues en 2009 et qui
tentent de jeter une nouvelle lumière sur les performances meilleures de personnes plurilingues. Dans le premier cas, il s’agit d’un rapport d’experts commandité par l’Union Européenne dans le cadre de l’année européenne de la créativité
et de l’innovation (Compendium 2009). Il aborde la question des avantages cognitifs du plurilinguisme à partir de cinq hypothèses:
–
–
–
–
–
Il existe un lien entre le plurilinguisme et la créativité.
Le plurilinguisme élargit l’accès à l’information.
Il offre des voies d’organisation de la pensée alternatives.
De même, il offre des voies alternatives pour percevoir le monde environnant.
Apprendre une langue nouvelle accroît le potentiel de pensée créative.
Après avoir minutieusement passé en revue cinquante ans de recherche, les
auteurs du compendium arrivent à une conclusion prudemment positive:
It is our opinion that multilingualism generates a higher number of neuronal connections
and stimulates multiple neuronal webs, both intra- and inter-hemispheric, which would lead
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Georges Lüdi
to a higher capacity for generating new (creative and innovative) processes. (Compendium
2009: 19)
Mais ils constatent en même temps que le sujet n’a pas vraiment fait l’objet de recherches systématiques et qu’il s’agit, souvent, d’évidence anecdotique. Ceci malgré un ensemble d’études innovatrices, en particulier par Ellen Bialystok et son
équipe (2004, 2005, 2006). Notons en passant que nous parlons, ici, de nouvelles
idées dans le domaine des sciences ainsi que de l’industrie et du commerce; nous
ne parlons donc pas de création artistique bien qu’il y ait des auteurs qui affirment
que certains aspects de la créativité littéraire chez un auteur comme Samuel
Beckett n’auraient pas été possibles s’il n’avait pas écrit en deux langues.
Dans une contribution au International Journal of Multilingualism qui tient en
plus compte de publications en dehors du domaine de la linguistique, Aine Furlong fournit, tout aussi prudemment, une explication légèrement différente de cet
avantage des plurilingues:
It is not unreasonable to propose that the cognitive connection between creativity and plurilingualism is the ability to perceive and produce new units of meaning . . . Consequently, given
high level plurilinguals’ increased perceptual awareness, they are likely to gain new insights,
create new analogies and experience creative moments in any domain where perception is at
work. (Furlong 2009: 365)
Nous ne releverons que trois points de son argumentation:
– En se basant sur Boden 1996: 97, Furlong insiste sur l’importance de percevoir
des relations entre des concepts/domaines qui étaient perçus comme séparés auparavant «whereby two spaces can be simultaneously retrieved, compared, and
linked»; chez des unilingues monoculturels un phénomène que Boden appelait
le «culturally based telescoping» bloquerait ce processus créatif:
We propose here that knowledge of the world through multiple linguistic and cultural lenses,
is likely to produce deviations from known norms that can only enhance our perception of the
realities of our personal, social and professional worlds. (Furlong 2009: 348)
– A la suite d’études de Bialystok, Furlong relie directement ce phénomène au
plurilinguisme:
Because bilinguals’ ability to manage two active language systems or conceptual spaces, creative analogies are more likely to occur between these spaces through the selection of relevant
albeit unexpected associations . . . and the elimination of irrelevant information. (Furlong
2009: 351)
Or, cette faculté dépendrait de la perception préalable des frontières entre les
mots/concepts relevant de deux langues/cultures différentes, perception qui serait
précisément aiguïsée chez des bilingues compétents, qui auraient ainsi une capacité de penser plus flexible (more flexible thinkers) (Furlong 2009: 351).
Le plurilinguisme comme source de créativité et d’innovation dans le monde du travail
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– Cela mènerait troisièmement à l’émergence de nouveaux espaces conceptuels
partagés, dans le sens des in-between spaces de Bhabha 1988, 1994, qui augmenteraient le potentiel de créatitivé des personnes concernées (Furlong 2009:
355).
Il me semble intéressant de relier cette réflexion à une affirmation du célèbre psychologue russe Vygotski (Vygotski 1934/1997, voir aussi Smolucha/Smolucha
1986), qui relevait les analogies entre la créativité lexicale et la création artistique.
En effet, des réflexions récentes sur le code-switching, phénomène éminemment
plurilingue, insistent précisément sur la dimension créative de ce dernier:
Le code-switching et d’autres «mixed languages» ou «fused lects» . . . sont un bon exemple de
créativité en action, agissant aussi bien sur le système linguistique que sur l’identité . . ., ou sur
les modes originaux de participation à l’activité et d’organisation de cette activité. (Markaki/
Merlino/Mondada/Traverso, 2009: 3)
C’est ce que nous avons appelé depuis 1984, avec Bernard Py, le parler bi- ou plurilingue. Il est, disions-nous avec beaucoup d’autres chercheurs, non seulement
normal, mais aussi légitime d’employer deux ou plusieurs langues dans un «mode
bilingue» (Grosjean 1985, 2001). Si, selon une représentation sociale ancienne, le
monolinguisme était normal et le plurilinguisme représentait une exception, on
dira au contraire, aujourd’hui, avec Jürgen Meisel (2003) que «human beings have
an endowment for plurilinguism.» C’est donc le plurilinguisme qui serait normal
et le monolinguisme qui pourrait être assimilé à un handicap. Des exemples de régions et d’états pluriglossiques et de parler plurilingue confirmant cette constatations sont extrêmement nombreux, et ceci, d’ailleurs, depuis l’antiquité (cf. Adams
2003).
3. Exolinguisme
En parlant d’alternatives au tout-anglais, nous avons mentionné l’existence de solutions plurilingues aux problèmes de communication en situation de contact de
langues. Or, une équipe de chercheuses de l’Université de Vienne prétend à propos de la lingua franca que
ELF (sc. English as lingua franca) is per definition a multilingual and multicultural situation
and this fact is bound to affect the interaction and also the use of potential idioms. (Pitzl 2009:
315)
Hybrid forms and flexible usage is a characteristic of ELF which has been shown to be effective in multilingual communication. (Böhringer/Hülmbauer/Seidlhofer 2009)
8
Georges Lüdi
Pour résoudre cette contradiction, qui n’est peut-être qu’apparente, il faut d’abord
rappeler que la qualification de bilingue ou plurilingue n’est plus, depuis longtemps, réservée aux plurilingues «accomplis» ou «parfaits» (Bloomfield 1933).
Une vision flexible, fonctionnelle du plurilinguisme s’est imposée depuis bientôt
trente ans (voir déjà Oksaar 1980, Grosjean 1982, Lüdi/Py 1984). De même, une
notion comme celle de code-switching, employée pour des communautés bilingues
(p.ex. les Puerto Ricains établis à New York ou les Alsaciens), a vu son emploi
s’élargir, p.ex. à des migrants (cf. p.ex. Lüdi 1986). Il est donc parfaitement légitime
de parler du plurilinguisme de locuteurs alloglottes – par exemple d’anglais lingua
franca –, à la limite même d’apprenants débutants.
Cela entraîne, pourtant, une réflexion supplémentaire. Dès que les compétences
des interlocuteurs sont asymétriques, on dira que l’interaction est exolingue3. Le
cas prototypique est celui d’une interaction entre natifs et non natifs. La communication externe avec les différentes parties prenantes (stakeholders) dans le
monde de l’entreprise en est un exemple. Dans ce dernier cas, Vandermeeren 1998
avait identifié trois stratégies principales: (a) l’entreprise impose sa propre langue,
(b) elle s’adapte à la langue de l’autre et (c) les interlocuteurs se servent d’une lingua franca «neutre» (standardisation). Toutes ces formes répondent aux principes
dits OLAT [one language at a time] ou même OLON [one language only]. Or, pour
la communication externe individuelle, mais aussi et surtout dans la communication interne entre des collaborateurs de langues différentes, on a relevé une quatrième forme de stratégies que Lavric 2007 appelle des stratégies «mixtes». Elles
impliquent précisément différentes formes de parler plurilingue (Lüdi/Py 2003,
Lüdi/Py 2009, Lüdi/Höchle/Yanaprasart 2010) comme nous en avons vu un
exemple il y a quelques instants.
Ces réflexions sont en relation avec des changements profonds dans les modèles
de la compétence plurilingue et de sa mobilisation. Des répertoires plurilingues
partiellement partagés représentent, dans la pratique, un ensemble de moyens mis
en œuvre de manière située. Les langues pratiquées par une personne plurilingue
ne correspondent pas à une simple addition de codes appréhendés chacun pour
soi. A la suite de travaux d’anciennes collaboratrices (Mondada 2001, Pekarek
Doehler 2005), nous considérons donc les répertoires plurilingues comme ressources – verbales et non verbales (cf. Lüdi/Py 2009 pour plus de détails) – mobilisées pour trouver des réponses locales à des problèmes pratiques, ce en fonction,
3 La notion d’exolingue remonte au début des années 80 quand deux chercheurs français
(Porquier 1984, Noyau/Porquier 1984) l’ont proposée pour désigner l’interaction verbale en
face à face entre des partenaires possédant une maitrise asymétrique de la langue employée, ce
type d’interaction étant caractérisé par d’importantes divergences codiques et par la conscience
que les interlocuteurs ont de leur existence. Les interlocuteurs sont donc amenés à employer,
voire à inventer, diverses stratégies communicatives, verbales aussi bien que non verbales, pour
communiquer malgré tout.
Le plurilinguisme comme source de créativité et d’innovation dans le monde du travail
9
entre autres, de la configuration des connaissances linguistiques – des profils linguistiques – des interlocuteurs.
Or, les situations d’emploi des langues peuvent être très hétérogènes. Pour saisir les différents cas de figure de mobilisation de répertoires plurilingues plus ou
moins équilibrés, nous avions proposé un système de coordonnées formé par deux
axes.
Exolingue
Plurilingue
Unilingue
Endolingue
La place d’une interaction par rapport à ces deux axes est déterminée en partie,
mais en partie seulement, par des facteurs externes (situation sociale, compétences,
habitudes). Elle dépend aussi, et peut-être surtout, de la négociation entre les participants (et peut changer à l’intérieur même d’une interaction [Lüdi 2003]).
Dans la communication prototypique exolingue-unilingue, les locuteurs alloglottes se trouvent souvent dans une situation de «détresse verbale», où les mots
pour le dire font défaut. C’est un des cas où on peut observer une créativité lexicale accrue. Dans le prochain exemple transcrit par l’équipe de Bielefeld dans les
années quatre-vingts (cf. Gülich et al. 1991), une jeune fille allemande essaie de
nommer les juifs sans connaîtrer l’orthonyme français. Elle opère d’abord par l’extension du sens du mot «lampe» par métaphore à la recherche du mot «étoile»
pour dire que les juifs devaient porter une étoile à leurs vêtements sous le IIIe
Reich. Elle va finalement se lancer dans un mouvement de créativité lexicale pour
bricoler un signifiant – Jutes/Judes – pour le concept «juif» en complétant une tentative de paraphrasage à partir d’un trait définitoire («ils ne croient pas en Jésus»):
<Les petites lampes dans la ciel>
i
m
i
i
dans la ciél- .. äh dans la nuít- . il y a ähm des . (rit)
tout petites lámpes + dans
la ciél’ . à la nuít’
mhm’
des
étoíles’
ouí . des étoíles
. . . c’est les géns qui est- . äh parlent/ . parlent avec
. le diéu’ ma[is] . parlent
pas avec ahm
(prononciation allemande) Jésus . . . euh . . . Júden +
(peu
sûr) des Jútes? (rit légèrement) Judes c’est
pás’ ++
10
Georges Lüdi
(surpris) ≠ ah les Juífs’ ++
Jui/ J/
/Juif´/
Juífs’ . ouí’
m
i
m
i
Notons que cet emploi de la notion de «bricolage» s’inspire de réflexions de LéviStrauss qui affirmait que, pour le bricoleur – ici une non-native avec des compétences approximatives –,
la règle de son enjeu est de toujours s’arranger avec les «moyens du bord». Ces derniers constituent un ensemble hétéroclite d’outils et de matériaux, résultat, non pas d’un projet particulier mais contingent de toutes les occasions à l’issue desquelles le stock a été renouvelé,
enrichi ou entretenu avec les résidus de constructions et de destructions antérieures. (LéviStrauss 1962: 27)
Or, si la série Jutes – Judes exploite au maximum les ressources verbales dont dispose Irma pour donner à son interlocutrice une idée de ce qu’elle veut dire, un
marqueur d’orientation référentielle (Lüdi 1991), elle y inclut le recours à une autre
langue. C’est en effet à partir d’une formulation transcodique – le mot allemand
Juden –, qu’Irma bricole un mot français inexistant (Jute, Jude) (on rappellera
pourtant que la base lexicale jud- existe en français comme dans le substantif
judaïsme). Avec succès puisque la LN va fournir l’orthonyme juif.
Par rapport au schéma original de Bernard Pottier (1992) pour représenter le
chemin cognitif en production,
Langue
R
Discours
Co
Monde
référentiel
Vouloir
dire
phénomènes de
désignation
Dit
énonciation
⎫
⎪
⎪
⎬
⎪
⎪
⎭
sémiosation
⎫
⎪
⎪
⎪
⎪
⎪
⎪
⎪
⎬
⎪
⎪
⎪
⎪
⎪
⎪
⎪
⎭
conceptualisation
Virtualités
de la langue
phénomènes de
signification
on voit que la notion de langue éclate doublement: d’une part, les ressources verbales comprennent aussi des moyens non conventionnels ou même faux; ce n’est
plus du tout – ou du moins plus seulement – le système où tout se tient de Saussure,
Le plurilinguisme comme source de créativité et d’innovation dans le monde du travail 11
voire la compétence d’un locuteur-auditeur idéal de Chomsky, mais un ensemble
semi-organisé de moyens parfois hétéroclites, pareils à des boites à outils pour bricoleurs, contenant, entre autres, des procédures de création de formes lexicales
inédites. Deuxièmement, ces moyens peuvent provenir de différentes langues. En
d’autres termes, les frontières entre les langues et les variétés deviennent perméables. Cette conception est confirmée par certaines recherches en psycho- et neurolinguistique sur la représentation des langues dans le cerveau4.
C’est dans ce sens que l’emploi de l’anglais comme lingua franca (ou ELF) peut,
lui aussi, glisser vers le pôle plurilingue. Pourtant, nous avons pu montrer que la situation n’est pas «automatiquement» plurilingue si les ressources des interlocuteurs le sont. Elle l’est seulement si les acteurs pensent que le mode plurilingue est
simultanément légitime et prometteur. Souvent, un mode unilingue OLAT ou
même OLON domine. Si recours à d’autres langues il y a, dans un tel cas, il est interactivement perçu comme «bouée de sauvetage» (Moore 1996), comme un appel à l’aide au locuteur plus compétent. Ceci se manifeste, dans l’exemple cité, par
des hésitations et intonations dubitatives de la part de la non native ainsi que par
une reformulation corrective de la part de la native, qui fournit l’orthonyme désiré. Dans notre système de coordonnées, nous resterions donc dans la moité
supérieure (x); et mieux un apprenant parle la langue cible, plus son habitus sera
monolingue, ce qui est indiqué, dans le schéma, par une flèche en direction du quadrant droit inférieur:
Exolingue
x
Plurilingue
Unilingue
Endolingue
Pourtant, il existe une autre perspective, celle de rompre consciemment les règles
OLON et OLAT et d’exploiter les ressources plurilingues non pas comme pis-aller, ou pour mieux apprendre la langue cible, mais comme moyen autonome pour
atteindre des objectifs communicatifs ou cognitifs exigeants. On reste par consé-
4 Se pose alors bien sûr aussi la question de savoir comment les plurilingues distinguent entre
leurs langues et comment les apprenants – y compris comme plurilingues en devenir – apprennent à le faire. Nous avons vu que cette faculté est précisément à la base des facultés créatives
accrues des bilingues . . .
12
Georges Lüdi
quent dans la zone des quadrants gauches du schéma, et on défie des représentations normatives par le choix délibéré et créatif d’un mode plurilingue, plus ou
moins exolingue:
Exolingue
Plurilingue
Unilingue
Endolingue
Nous donnons dans ce qui suit la transcription d’une communication de service à
un guichet de gare, enregistrée par Lukas A. Barth:
Employé
Client
Employé
Client
Employé
Client
Employé
Client
Employé
Client
Employé
Client
Employé
Client
Employé
Employé
guete tag
pardon
pardon? Oui oui?
je parle português
oh je parle pas português ((s final prononcé))
Brasilia
okey. italien ou français oui oui ?=
duos passagem para Freiburg deutsch.
Freiburg Deutschland jä okey. (22) voilà, si vous faire la carte à la machine? oui.
(3) va bene. (5) c’est sans une code. vous fais ((sic)) la signature après. (2) non
non il va revenir. ((le client maintient sa carte de crédit plutôt que de l’insérer
dans la machine)) Si vous fais votre signature pour cinquante huit?
((signe)) (13)
(. . . .)
voilà. il prossimo treno (.) binario cinco hm? Dodici diciotto.
(3) merci. [obrigado].
[bitteschön]. service
obrigado (h)
molto grazio. ((sic))
((au chercheur)) es goht mit händ und füess aber es goht
La situation est exolingue. Lorsque le vendeur et l’acheteur négocient le choix de
langue au début de l’interaction, les ressources possibles sont déployées dans une
multiple mention de langues (portugais, italien, français, allemand) sans qu’un
choix ne soit fait. Le client parle un mélange de portugais simplifié et d’allemand.
L’employé confirme la destination en allemand et imprime le billet. À la fin, le guichetier ajoute une information sur le prochain train dans un mélange de français
(«voilà»), d’italien («il prossimo treno / binario / dodici diciotto») et d’espagnol
(«cinco») et conclut l’interaction dans un italien approximatif («molto grazio»).
Le plurilinguisme comme source de créativité et d’innovation dans le monde du travail 13
Comment interpréter cette séquence? Il faut dire en premier lieu qu’il s’agit
d’une interaction réussie, comme l’employé lui-même le confirme. Cette réussite
est évidemment due, en partie, à la connaissance mutuelle d’un script simple et récurrent (mention de la gare de destination, paiement par carte de crédit), mais aussi
à l’emploi optimal de l’ensemble des moyens verbaux et non verbaux dont disposent les acteurs. La mention d’une langue ne mène pas, ici, à son emploi exclusif,
mais sert pour ainsi dire d’indice de contextualisation pour signaler sa pertinence.
En fait, la solution préconisée est le mode plurilingue. Par ailleurs, lorsque le guichetier mobilise ses ressources, il le fait sur la base de la représentation sous-jacente
que les langues romanes sont intercompréhensibles et il estompe les frontières entre ces langues en mettant en œuvre – consciemment ou inconsciemment – des ressources verbales hybrides, une espèce de panroman (pour des références, cf. Moore
et al. 2007, Lüdi/Py 2009).
Ici, les pratiques plurilingues servent à faciliter la communication. Dans d’autres
cas, cela va beaucoup plus loin. Ainsi, elles peuvent servir d’échafaudage pour
l’étalage d’activités cognitives:
plurilingual practices scaffold communicative and cognitive activities (Borràs et al. 2009),
en particulier celle de la construction de connaissances. L’exemple que nous choisissons pour illustrer cette idée a été enregistré dans le cadre d’un séminaire à la
Faculté de droit de l’Université de Zurich et analysé par une équipe de l’Université de Lausanne (Müller et al. 2009):
PW:
MB:
(..)
PW:
MB:
PW:
MB:
(2.4)
PW:
MB:
LS:
MB:
LS?:
PW:
LS?:
PW:
(4.0)
PW:
LS:
(..)
PW:
LS:
PW:
euh- . hä/
kaution
[eine kompensatorische/ . kaution/
[X
[créance/ ist das kaution/
[((parle de manière saccadé et incompréhensible))
was ist créance/ das ist ja wirklich [also[créance
XX&
créance isch doch der: . geldgeber\
cré[ancier
[das ist der créancier [ist der . ist der . gläubiger\
[créan-cier
und die créance ist/
vom gläubiger aus gesehen/ . der hat eben eine créance/ drum ist er der créancier/
eine schuld\
euh- schuld hat eigentlich eher der andere&
&der andere ja stimmt ((petit rire))
was hat der créancier de- wenn de- wenn der eine(n) schuld(ner/en) hat hat der was/&
14
Georges Lüdi
LS:
PW:
LS:
PW:
&(einen) anspruch
einen anspruch oder eine forderung nicht\&
&XX&
&jawohl\
Dans ce cas, nous observons un impact certain d’un mode de parler plurilingue sur
l’objet de connaissance en construction, impact rendu visible par le passage d’un
premier mode de traitement (traduction) vers un nouveau mode intégrant traduction et explication, c’est-à-dire intégrant activité métalinguistique et activité
disciplinaire.
Cet exemple illustre la façon dont les répertoires linguistiques bilingues permettent aux interlocuteurs de résoudre un problème posé par un objet de connaissance non seulement sur le plan linguistique, mais aussi sur le plan de la conceptualité juridique. Le code switching représente une diversification des moyens de
traitement et permet la contextualisation du concept créance dans un réseau de
connaissances. On peut donc argumenter en faveur d’un gain potentiel au niveau
des connaissances disciplinaires, favorisé par l’intégration des dimensions linguistique et disciplinaire due à l’enseignement bilingue. L’effet innovateur du parler
plurilingue concerne, ici, le processus d’apprentissage disciplinaire.
4. Le plurilinguisme institutionnel des entreprises comme facteur
de créativité et d’innovation
La dernière dimension de notre approche focalise sur les représentations, de la
part de représantants d’entreprises, concernant les bénéfices du plurilinguisme au
travail. N’ayant aucun accès direct aux chiffres d’affaires comparés d’entreprises
plus unilingues ou plus plurilingues, nous recueillons nos informations dans les discours des acteurs, soit dans des entretiens, soit dans des documents présentant la
«philosophie» de l’entreprise respective. Mais cela fait aussi beaucoup de sens dans
la mesure où nous voulons mettre en relation des mesures de gestion de la diversité linguistique avec le succès commercial visé, et que les décisions sont en général prises, dans les entreprises, sur la base des représentations agrégées des
décideurs, à savoir sur l’endoxa rencontrée dans nos terrains5.
On peut classer les arguments allégués par les acteurs en faveur de la diversité
linguistique dans les entreprises en cinq catégories:
(a) la conquête de nouveaux marchés («on vend dans la langue du client»):
5 Nous suivons en cela l’exemple de Bäck/Lavric 2009 qui, à la suite de la thèse de Bäck de
2004 que je n’ai pas pu consulter, expliquent les avantages de l’emploi massif de l’espagnol par
une entreprise d’exportation autrichienne en relayant les dires des informateurs sur l’augmentation de leur chiffre d’affaires.
Le plurilinguisme comme source de créativité et d’innovation dans le monde du travail 15
Les différences de cultures ainsi que la diversité des expériences et des compétences réunies
au sein des équipes mixtes font qu’elles comprennent mieux les attentes de notre clientèle.
(Marlène R., Service public A)
(b) l’augmentation de la satisfaction des employés et, par cela, de la qualité du travail:
Tous les rapports doivent être en anglais. Tout document officiel, le study plan, doit être en anglais. Le travail expérimental, ça peut être en allemand ou anglais. Il y a ce que nous appelons
raw data, les données brutes, c’est en allemand. Les working documents, les documents avec
lesquels elles [sc les laborantines] travaillent, sont en allemand, et ça, c’est un peu toléré parce
qu’on est en Suisse. C’est un mélange. . . . Donc là, c’est vraiment pour faciliter, c’est-à-dire
pour que tout le monde se sente à l’aise, tout le monde comprenne, tout le monde sur le même
niveau, et puis voilà, efficacité ça veut dire vraiment immédiatement lorsqu’on a fini la réunion
tout le monde connaît déjà le message. (Jamal H., Pharma A)
Lavric 2007: 32 argumente de façon convaincante qu’un motif important de ce
qu’elle appelle la compliance, l’adaptation aux préférences de l’interlocuteur,
concerne le travail de figuration (face work) en situation exolingue:
the compliance factor . . . involves adapting to the language preferences of one’s partner by
speaking either their mother tongue, or a language they have a very good command of and/or
have a preference for. . . . Complying with the language preference of one’s interlocutor is a
truly polite way of acting, because it means reducing one’s own negative face or (linguistic)
freedom of action in order to increase that of the partner. . . . Moreover, compliance under the
positive face aspect will contribute to the positive face of both partners, one of them feeling
important because they are being complied with, and the other getting the image of being a
kind and polite person.
Or bien au-delà des relations avec les clients (auxquelles ce modèle est appliqué
dans un premier temps), ce travail de figuration s’avère aussi extrêmement efficace, selon les dires de nos informateurs, pour la communication interne.
(c) la création d’une philosophie de l’entreprise «inclusive» dans une entreprise
mondiale opérant dans une pluralité de cultures visant à atteindre les responsables
locaux au niveau émotionnel:
we do not feel like English is naturally the convergence that everyone needs to have
we realised that to be able to drive home to employees across the world the real . . . implications . . . of these eight capabilities . . . in an emotional way, we cannot do it by explaining to
them in English
Even though all leaders at Agro A speak English, they speak it, and we could very easily have
said this is for leaders and this is a company where everybody can speak English so let, let’s
give it to them in English. But the depth which is our foundational principle of the cultural
alignment, which is how is it linked to moving people in deeply resonant ways, it needs to be
understood . . . in another way as in a lingua franca intellectually processing it. And therefore
we had it translated.
16
Georges Lüdi
And essentially that is the process through which we made it accessible in its deepest sense.
Yes it’s expensive and yes it has a couple of iterations that it has to go through, but the results
are well worth the effort. (Karim B., Agro A)
(d) la facilitation de processus de construction et transmission de connaissances
nouvelles.
Dans ce domaine, la question centrale est, bien sûr, celle de la relation entre la
langue dans laquelle on apprend et l’efficacité des processus acquisitionnels. On est
tenté de relier cette question à ce que l’on pourrait appeler, à la suite de Geertz 1973,
l’épaisseur des connaissances, qui résulterait de la manipulation d’objets de connaissances dans plusieurs langues. On citera, à ce propos, Mondada/Pekarek Doehler
If we consider that learning is rooted in participating as a social agent in discourse communities . . . or communities of practice . . ., then it is necessarily contingent with regard to the process of socialization within these communities.
(http://www2.unine.ch/Jahia/site/cla/cache/offonce/pid/31537)
C’est ce que nous venons de voir à propos de l’exemple de l’Université de Zurich.
(e) l’exploitation de la diversité cognitive résultant d’un codage différent par un
ensemble de langues:
. . . multilingualism is positioned as a tool kit over here in cognitive diversity. Because, you can
imagine different languages are equipped to sense and to code different things. (. . .) it can promote cognitive diversity in a team, by giving parity to speakers of different languages, within
a team, rather than, as has been traditionally done, having a person adopt a secondary, second
language in order to fit with the team by giving, by democratising languages in a mixed environment.
...
And, so there’s that competitive advantage from a marketing and strategic perspective, and,
as a part of our innovation agenda, using multilingualism as a means of driving innovation.
(Karim B., Agro A)6
6 Cette «théorie quotidienne» d’un cadre de Agro A n’est évidemment pas à confondre avec
des résultats de recherches en psycho- et neurolinguistique. La plupart des théoriciens adhèrent,
aujourd’hui, à la dite Three-Store-Hypothesis selon laquelle les différents lexiques d’une personne plurilingue reposent sur un système conceptuel commun. Pourtant, il s’agit de distinguer
entre ce système conceptuel et les significations lexicales qui le représentent dans les langues
particulières. Comme le dit Michel Paradis 2004: 198: «The Three-Store Hypothesis . . . postulates
that lexical semantic meanings are part of each language’s lexical representations, and not merely their phonological and written forms, as often seems to be assumed. Note that, in either case‚
‹a common conceptual system› does not imply that the same concept corresponds to a lexical
item in Lx and its lexical equivalent in Lz, but that they share some of the same conceptual features, though each may also (and most often does) contain features not included in the other.»
Dans ce sens, «a toolkit that a culture, a country uses to encode its realities» ne doit pas être compris comme système noématique autonome, mais comme ensemble de configurations de traits sémantiques lexicalement codés dans des combinaisons plus ou moins différentes d’une langue à
l’autre.
Le plurilinguisme comme source de créativité et d’innovation dans le monde du travail 17
La conséquence logique de cette argumentation est la formation d’équipes linguistiquement mixtes, c’est-à-dire composées de personnes manifestant «[different]
worldviews and cognitive processes, using different tools to understand the world».
Page 2007 confirme qu’une diversité de perspectives engendre l’innovation parce
que les membres d’une équipe mixte viennent d’horizons différents et que les décisions prises tiennent compte de points de vue et de savoirs acquis hétérogènes.
Dans les équipes mixtes, extrêmement fréquentes dans les laboratoires de recherche, chacun contribue à la performance collective grâce à la force de sa langue
et de ses façons de penser et de voir le monde:
For each of global project, the requirement is from a diversity perspective, is that we have a
good mix from all countries and all cultures. . . . who’s on that team, is there somebody from
Korea? Somebody from Brazil? Somebody from Italy etc. And it’s in the context of that team
that we should be able to give full play to the strength of different languages, and what they
bring to evaluating and assessing the challenge that they’re addressing. (Karim B., Agro A)
Comme dans le cas du plurilinguisme individuel, un lien direct est établi, ici, entre
le multilinguisme et la diversité cognitive; mais il s’agit, cette fois, d’une conception sociale, partagée de la cognition. Dans différentes cultures – la chinoise et
l’américaine, par exemple –, il y aurait des solutions différentes pour résoudre des
problèmes et ces stratégies seraient linguistiquement codées; dans une équipe
mixte, on négocie une solution à partir de plusieurs langues et cultures; si on codait tout de suite tout en anglais, il y aurait uniformité et moins de créativité. Il est
vrai que l’on croit deviner, sous-jacents à ce discours, des préjugés répandus sur
«les» Chinois ou «les» Américains. Mais un regard dans les travaux de Lakoff/
Johnson 1980 et de la recherche subséquente sur la diversité des champs métaphoriques sur lesquels reposent les différentes cultures – y compris les cultures
scientifiques (p.ex. Drewer 2003) – suffit pour ce rendre compte qu’il y a, derrière
cette expérience de Karim B., bien plus que des stéréotypes.
Loin de présupposer une détermination générale de la pensée par un système
linguistique abstrait, ces expériences font penser à une influence de la langue – et
des champs métaphoriques caractérisants une culture – sur la manière de nous
exprimer dans une situation d’énonciation («thinking for speaking», Slobin 1991).
Ces conceptions sont parfaitement compatibles avec la théorie de la cognition
située (Resnick 1991) et partagée (Resnick/Levine/Teasley 1991, Thompson/Levine/Messick 1999), voire de l’intelligence collective (Mondada 2009):
Recent theories of situated cognition are challenging the view that the social and the cognitive can be studied independently, arguing that the social context in which cognitive activity
takes place is an integral part of that activity, not just the surrounding context for it (Resnick
1991).
En effet, on peut affirmer que la cognition partagée résulte de la co-énonciation
dans l’interaction, qui est précisément sous-jacente à la notion des répertoires plu-
18
Georges Lüdi
rilingues mobilisés dans l’interaction. La créativité résulterait donc, ici, de ce qui
se construit lorsque deux cultures et deux modes de pensée, voire deux langues et
deux formes de comportements langagiers se rencontrent dans cet in-between
space théorisé par Homi Bhabha, que nous situons, ici, dans l’interaction sociale,
mais qui peut se situer dans l’esprit d’un locuteur plurilingue et pluriculturel
même.
Dans le monde des affaires, les acteurs ont tendance à regarder la diversité en
termes de performance, d’innovation et de créativité:
Employees take advantage of their own personal experiences in proposing projects, and their
varied cultural backgrounds are a major advantage (porte-parole d’IKEA).
Ceci n’est évidemment pas une fonction de la seule diversité linguistique. Une pluralité de langues représente autant d’outils que les porteurs de cultures emploient
pour mettre en mots leurs réalités. Dans ce sens, il ne s’agit pas seulement d’une
mobilisation conjointe et située de répertoires linguistiques pluriels pour communiquer créativement en situation exolingue. Les ressources mises en œuvre embrassent en plus une dimension interculturelle dans la mesure où les participants
placent aussi, sur la table des négociations, leurs repères conceptuels, leurs cadres
de références et d’interprétations, leurs représentations culturelles, leurs valeurs,
leurs croyances, leurs modes de penser et de résoudre des problèmes différents.
Résumons. Les modes de communication plurilingues comprennent la possibilité de s’exprimer dans sa propre langue et permettent ainsi de se sentir à l’aise (dimension de l’équité, de la figuration) ainsi que, aussi et surtout, de transmettre des
nuances d’idées d’une manière plus claire et précise (dimension de l’efficacité). À
l’opposé, employer la langue de l’autre – en la parlant soi-même ou en traduisant
des textes dans la langue de l’autre – n’est pas seulement un signe de respect, mais
assure aussi la réception des messages en profondeur, de manière à éveiller chez
les récepteurs des résonances émotionnelles. Cela va permettre une culture de la
discussion riche, qui risquerait de disparaître si tout le monde ne se servait que
d’une lingua franca appauvrie7.
Cette réflexion renforce les affirmations de Cox 2008 et de Martin 2007 sur les
gains en créativité, innovation et capacité de résolution de problèmes citées en
exergue. Dans nos terrains, l’impact de la diversité sur la performance de groupes
de travail linguistiquement mixtes peut en effet être observé dans de nombreuses
dimensions, linguistique (mélange de langues), cognitive (création de nouvelles
idées, modes innovateurs de résolution de problèmes) et socioculturelle (pluralité
de repères socioculturels, cultures hybrides).
7 Lors d’un forum organisé par l’Académie Suisse des Sciences Humaines et Sociales en 2009,
le président du Fonds national, Dieter Imboden, parlait à ce propos de la tentative d’enfiler un
fil dans une aiguille en portant des moufles.
Le plurilinguisme comme source de créativité et d’innovation dans le monde du travail 19
5. La création langagière et artistique dans l’espace entre les langues et cultures
Nous disions plus haut que des exemples pour des écrits bilingues sont fréquents
depuis l’aube de la scripturalité (voir aussi le chapitre sur les «bilinguismes fondateurs» chez Villard/Ballier 2008). Nous devons nous limiter à illustrer cette
affirmation par un seul exemple, un épitaphe bilingue palmyrène/latin découvert
lors de fouilles à South Shields en Angleterre (cf. Adams 2003 et déjà Solin
1980):
D.M. Regina liberta et coniuge Barates Palmyrenus natione Catauallauna ann. XXX
rgyn’ bt ḥry br’t’ ḥbl [Regina, l’épouse libérée de Barate, hélas]
Il faut évidemment admettre que l’emploi du palmyrénien dans un espace occupé
par les langues latines et celtiques avait une fonction symbolique plutôt que communicative. Mais cette fonction n’en est pas, pour autant, moins importante. Dans
des sociétés pluriglossiques, chaque choix de langue représente un acte d’identité
(Le Page/Tabouret-Keller 1985), qui manifeste l’adhérence souhaitée d’un locuteur à l’un ou l’autre groupe linguistique. Il joue un rôle central dans la construction de l’identité sociale, «[die] bei der für jedes Individuum lebensnotwendigen
Beteiligung an in stets wechselnden Situationen stattfindenden Interaktionsprozessen in einem lebenslangen Prozess immer wieder neu entworfen [wird]» (Stienen/Wolf 1991: 101). Ainsi, l’emploi conjoint de deux langues doit être interprété
comme un acte fort d’identité double de la part d’un voyageur à Arbeia, le palmyrien renvoyant à ses origines, le latin (un latin approximatif selon Adams 2003:
254) signalant simultanément son statut de Romain (marchand? soldat?). Manifestement, les valeurs liées à la langue d’origine et à la langue dominante de
l’époque ne sont pas les mêmes.
L’espace intermédiaire est le lieu de la construction d’identités hybrides bilingues, mais aussi de mouvements culturels plus vastes comme l’illustrent, aux
XI/XIIe siècles, les jarchas, les témoignages les plus précoces d’une poésie romane. Les strophes avec refrains n’étaient pas usuelles dans la poésie arabe. Or,
une forme de poèmes en langue arabe avec refrain naquit dans Al-Andalus, la
zone de contact entre les monde arabe et occidental dans la Péninsule Ibérique.
C’est la Muwaááaḥ. «Al-Andalus war damals zweisprachig, fast jeder Bewohner
des Landes konnte Arabisch und Mozarabisch. Auch die Juden verwandten diese
beiden Sprachen» (Kontzi 1982: 407). La Muwaááaḥ contient des refrains, précisément les jarchas, dans lesquels se mêlent des éléments arabes et romans (parfois aussi hébraïques), le tout bien sûr dans une graphie arabe: «Cada moaxaja
iba acompañada de una jarcha, un pequeño poema en romance que contiene el
lamento de la mujer . . ., indicador del mestizaje lingüístico y cultural propio de
la España musulmana» (http://www.virtual-spain.com/literatura_espanola-jarchas.html). Nous illustrerons ces propos par la jarcha qui fait suite à un exemple
20
Georges Lüdi
de Muwaááaḥ de Yebuda Halevi (c. 1075-c. 1140) à l’honneur de Abu Ibrahim ben
Mahagir8:
gˈr áyá dbynh
ˈdbyná bˈ lḥq
gˈrm knd mbrnˈd
mw ḥbyby ˈṣḥq.
Gar si yes devina
y devinas biˈl-ḥaqq
Gar me cand me vernad
meu ḥabībī Isḥñq
Dis-moi, si tu es une devine
et si tu prédis bien l’avenir
dis-moi quand me viendra
mon ami Isaac.
Les auteurs de ces formes littéraires se situent clairement dans le troisième espace
de Homi Bhabha mentionné plus haut, situé à l’interface entre deux langues et
deux cultures, qu’ils occupent pour l’exploiter créativement9.
6. Conclusions
Il faut pourtant admettre que la supériorité du pluri-, voire du multilinguisme pour
les performances n’est point encore scientifiquement prouvée. Comme le disait
Hugo Baetens Beardsmore 2009: aussi longtemps qu’on n’arrivera pas à mesurer
la créativité en situation monolingue, il sera difficile de démontrer la supériorité
d’un contexte multilingue. Les arguments que nous avons accumulés ne sont que
des indices d’avantages de la diversité linguistique; il serait bon de pouvoir les
étayer empiriquement. Nous voudrions par conséquent considérer nos réflexions
comme un ensemble de pistes de recherche que des équipes interdisciplinaires
devront explorer dans les années à venir.
On pourrait p.ex. chercher des évidences dans le passé, à un moment crucial
pour l’histoire des sciences européennes comme l’a été le début de l’ère moderne.
Ainsi, une équipe de recherche de la Freie Universität Berlin (Vogl/Hüning 2009)
a-t-elle proposé d’analyser la poussée de créativité (Big creativity) chez les cartographes aux Pays Bas du XVIe siècle comme Abraham Ortelius (cf. Theatrum Orbis Terrarum de 1570; c’est lui qui a avancé pour la première fois l’hypothèse de la
dérive des continents), Rumold Mercator (cf. Atlas sive Cosmographicae Meditationes de Fabrica Mundi et Fabricati Figura de 1595; il est aussi l’inventeur de la
«projection de Mercator»), Petrus Kaerius, Willem Janszoon Blaeu, etc. À cette
époque, la cartographie représentait le résultat d’un effort collectif et interdisciplinaire où intervenaient les mathématiques, l’astronomie, la géophysique, mais
aussi l’histoire et l’anthropologie (http://www.orteliusmaps.com/ort_background.
html). Vogl et Hüning font l’hypothèse que cette poussée innovatrice, ce scientific
8 Translittération en caractères latins et interprétation (vocalisation) selon Stern 1953: 2 (ma
traduction). À l’exception de deux code-switchings à l’arabe (en italiques dans l’exemple) toute
la jarcha est écrite en langue romane.
9 Voir aussi la vue d’ensemble donnée par Claire Kramsch dans sa conférence plénière «Third
Places in Applied Linguistics» au congès de l’AILA à Essen en 2008 (http://duepublico.uni-duisburg-essen.de/servlets/DerivateServlet/Derivate-20495/Claire%20Kramsch.html).
Le plurilinguisme comme source de créativité et d’innovation dans le monde du travail 21
leap est liée à une mobilité géographique accrue des cartographes aussi bien que
de leurs informateurs et de leurs clients, mais aussi et surtout à l’émergence d’une
communauté scientifique européenne, d’une république européenne des personnes
éduquées (Van Os/Potjer 2003: 113 cité par Vogl/Hüning 2009). Leurs réseaux
scientifiques embrassaient de nombreux pays européens avec des langues et cultures différentes. Une analyse des réseaux socio-biographiques et épistolaires
d’une part, des relations d’intertextualité entre des écrits publiés dans des langues
et des pays différents de l’autre, pourrait apporter plus de clarté dans ces relations.
Nous avions proposé une idée similiaire, il y a quelques années, pour les réseaux
scientifiques au sein de la Républiques des Lettres du XVIIIe siècle à partir du réseau épistolaire remarquablement plurilingue d’un savant comme Albrecht von
Haller (Lüdi 2005).
Le thème du plurilinguisme comme source de créativité et d’innovation dans le
monde du travail s’est révélé être caractérisé par une forte dynamique et diversité
interne. Nous avons relevé, entre autres,
(1) la créativité lexicale de locuteurs disposant de compétences approximatives
dans l’interaction exolingue-unilingue, aussi, mais pas seulement, en anglais
lingua franca;
(2) l’exploitation de ressources verbales et multimodales variées en situation plurilingue avec des effets positifs sur les processus de contruction de connaissances;
(3) l’hypothèse, qui devra être vérifiée en collaboration étroite avec les historiens
des sciences, que des réseaux épistolaires de chercheurs européens plurilingues auraient contribué au progrès des connaissances à des moments-clés
de l’histoire moderne;
(4) la création de formes littéraires hybrides dans une zone de contact entre
langues et cultures;
(5) le résultat d’expériences récentes dans des entreprises multinationales qui,
tout en choisissant l’anglais comme corporate language, favorisent la formation d’équipes linguistiquement mixtes et en exploitent les capacités créatives
et innovatrices.
Nous considérons ces dimensions comme autant d’éléments qui devront faire l’objet de recherches systématiques par des équipes interdisciplinaires dans les années
à venir. Ce vaste projet exigera la participation de linguistes, d’historiens, d’économistes, de psychologues du travail, d’experts en science de la culture et d’autres
disciplines. Les spécialistes des langues et littératures romanes pourraient jouer un
rôle important dans ce projet en posant les bonnes questions – et en se donnant
les moyens théoriques et méthodologiques pour y répondre.
22
Georges Lüdi
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