Amiens : le tuning architectural fait des ravages

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Amiens : le tuning architectural fait des ravages
L'Interdit
Amiens : le tuning architectural fait des ravages
Soumis par Pierre Desjonquères
08-01-2008
A Amiens, la place de la gare conçue par Auguste Perret est vue comme une vieille carcasse dont on ne peut se
débarrasser. Grand chantier de camouflage de l'architecte Claude Vasconi : une lourde verrière envahit la place. Les
riverains interloqués se retrouvent dans la pénombre, l'oeuvre de Perret est occultée. Chronique d'une catastrophe
évidente.
Etat des travaux en fin 2007
Esquisse du projet de Claude Vasconi (http://www.amiens-garelavallee.fr/ )
Un acte prémédité
Cela a commencé en 1991. Gilles de Robien, fraîchement élu à la mairie d'Amiens, offre un carénage flambant neuf à la
Maison de la Culture. Une grande virgule en verre bleu masque les volumes datant de 1966.
Maison de la Culture d'Amiens
Cela a continué avec la tour Perret. Le maire voulait la peindre en rouge,
bleu et jaune avec la caution de l'architecte Bertrand Lemoine. Préservée grâce au combat d'associations et par son
inscription aux monuments historiques, la tour ne se verra agrémentée « que » d'un chapeau de verre (architecte :
Thierry Van de Wyngaert)... démontable, paraît-il. (Voir notre article Patrimoine du XXe siècle, Amiens : l'exemple )
« Sablier de verre » au sommet de la tour Perret
Une réécriture de l'histoire de l'architecture
A en croire la communication de la Ville, il a fallut attendre 2005 et Gilles de Robien pour que la tour soit enfin
inaugurée et devienne réellement novatrice. Une telle liberté dans l'interprétation des faits architecturaux surprend.
Panneau explicatif durant les travaux
Auguste Perret est l'architecte du théâtre des Champs Élysées, de Notre Dame du Raincy et du centre-ville du Havre
récemment inscrit au patrimoine mondial de l'Unesco. Il a élevé le béton au rang des matériaux nobles, il a su imposer
la technique du béton armé comme révolution dans la construction du XXème siècle. Le Corbusier a emboîté le pas.
L'architecture contemporaine doit beaucoup aux avancées techniques et artistiques de Perret. A Amiens, Auguste
Perret a érigé la tour et a reconstruit la gare ainsi que sa place après les destructions de la guerre 39-45. La place
carrée est entourée d'immeubles de logement de trois étages. A l'ouest, la tour Perret, haute de plus de 100 mètres,
domine la ville en écho avec la flèche de la cathédrale gothique. A l'est, la gare et son grand hall livrent une déclinaison
subtile de l'usage du béton. Structures apparentes rythmant les façades, jeux sur les aspérités et les teintes des murs, la
technique du béton est parfaitement maîtrisée. Il n'est plus à prouver que l'oeuvre de Perret a profondément marqué
l'architecture du XXème siècle. Et pourtant...
Bonjour la luminosité !
Le projet de requalification de la gare est confiée à Claude Vasconi, architecte qui n'hésite pas à définir l'espace de la
gare comme « un espace indigne du dessein d'Amiens car il évoque les tristes références des ex-pays de l'Est ». Il
propose de creuser la place pour retrouver le niveau de la gare d'avant guerre, il flanque les immeubles d'une imposante
verrière. L'intention est parfaitement résumée par l'Express (juin 2006) et ses clichés : « Fini donc la gare au style néostalinien et sa grisaille… Bonjour la luminosité. »
La tour Perret à travers la « canopée de verre »
La « grisaille », c'est le béton. La « luminosité », c'est le verre. Les esquisses du projet étaient trompeuses. La
structure horizontale et autonome doit résister au vent, à la chaleur, au poids de la neige... Elle est ainsi supportée par
de lourds pylônes et un maillage serré de poutrelles métalliques. Au bout du compte, la verrière est épaisse et opaque ;
c'était prévisible.
Les intentions étaient mauvaises
Communication de la Ville d'Amiens
Déçu du
rendu, Gilles de Robien n'est pas loin d'affirmer que le projet est raté. Il prévoit déjà de repeindre les poteaux qui
s'avèrent trop foncés, il souhaite l'ajout d'éclairages artificiels et il cherche une solution pour que la verrière soit moins
opaque. Il n'avait pas anticipé la lourdeur d'un tel dispositif. Oui, le rêve d'un voile léger appelant à une nature
verdoyante et estompant le visage d'une architecture trop austère ne s'est pas réalisé. Pour être plus précis, le
projet n'est pas raté, il est tout simplement mauvais. Car les intentions de départ étaient mauvaises. Il fallait un objet
clinquant d'un architecte de renom, il fallait tourner la page de Perret. La place est maintenant affublée d'accessoires
grossiers et encombrants qui font plus penser aux pare-buffles des 4x4 urbains qu'aux verrières du Grand Palais.
Un enterrement de première classe pour le patrimoine de Perret
Vasconi use de métal et de verre. Les sols et murets sont parés de grands panneaux de pierre. L'ensemble est
terriblement lisse et glaçant. S'il fallait créer un pendant au minéral du béton de Perret, c'est complètement raté. Disons
plutôt que ces matériaux incarnent l'esprit de modernité de la mode actuelle. D'un autre côté, tout est conçu pour que la
gare perde sa fonctionnalité. La pente menant directement aux quais au niveau inférieur prive le hall de gare de son
sens premier.
Le hall de gare, entre verrière et sous-sol
Les grandes baies vitrées éclairent encore pour
quelques semaines ce hall, le temps que la « canopée de verre » qui les surplombe soit terminée. Le hall va devenir une
sombre verrue.
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L'Interdit
Intérieur du hall de gare
Auvent de l'entrée de la gare surplombé de la verrière
L'architecte ignore
les logements qui pourtant ont su garder leur caractère moderne. La verrière n'étant qu'à quelques mètres des façades,
les habitants de la place se voient privés de lumière. Ironie du sort, c'est précisément le caractère d' « oeuvre
architecturale » qui a été avancé pour justifier les entorses aux règles urbaines les plus élémentaires (l'association des
habitants d'Amiens métropole fait d'ailleurs appel suite à son recours débouté sur le respect du plan local d'urbanisme).
Logements du sud de la place
L'asphyxie de l'oeuvre de Perret
S'il est encore besoin de prouver que le projet de Vasconi est mauvais, il suffit de remarquer que ce projet serait
meilleur si l'on faisait table rase des immeubles de Perret. Une pente mènerait naturellement aux voies sans être
surplombée d'une encombrante gare inutile. La verrière délimiterait une place carrée sans être étouffée par des
bâtiments collés aux pylônes. Ce projet n'est pas une proposition architecturale, il est une réponse servile aux lubies d'un
élu. Ce projet coûte excessivement cher et n'apporte aucune solution urbaine. Ce projet est néfaste car la coquille
opaque fera pourrir de l'intérieur les immeubles de logement et la gare. Privés de lumière et de certaines de leurs
fonctions, ces bâtis vont devenir sinistres et sont voués à une mort certaine. Alors que les travaux ne sont pas encore
terminés, il est difficile d'imaginer meilleure solution que de tout démonter !
Mutisme chez les intellectuels
Seul Joseph Abram, architecte spécialiste de Perret, a su tirer la sonnette d'alarme à temps (voir notre article Patrimoine
du XXe siècle, Amiens : l'exemple). Son plaidoyer dans le Moniteur-Architecture en avril 2000 (bien avant que le projet
ne soit engagé) était précis, lucide et argumenté. Depuis, les milieux de l'architecture et de la culture restent silencieux.
Il a fallu la publication récente de « Patrimoine ferroviaire » pour une seconde critique (posthume). Extrait : « Alors que
cet ensemble, parfaitement fonctionnel, qu'aucune modification n'avait encore altéré, est un jalon exceptionnel dans
l'histoire de l'architecture, les remaniements prévus vont profondément perturber la cohérence et l'homogénéité de
l'une des oeuvres les plus abouties de Perret. » Patrimoine ferroviaire (Claudine Cartier, Emmanuel de Roux –
Editions Scala) Les associations locales qui se sont mobilisées dès le début du projet n'ont pas eu de soutien
extérieur. Gilles de Robien a profité opportunément de son passage au ministère des Transports pour passer outre les
réserves de la SNCF. Le patrimoine amiénois a été abandonné à un maire sans scrupules. Amiens-Gare, « porte
d'entrée du XXIème siècle », nous éloigne délibérément du siècle des Lumières...
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