La responsabilité pénale de l`expert
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La responsabilité pénale de l`expert
varia La responsabilité pénale de l’expert-comptable et du commissaire aux comptes (1) Yvonne MULLER, Maître de conférences, Université de Nanterre L’ARRÊT DU 25 FÉVRIER 2009 Les cédants de deux sociétés ont été condamnés, dans un arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation du 25 février 2009 (08-80314), pour délits d’escroquerie, d’abus de biens et de crédit sociaux, de faux et usage de faux, la suite de la plainte avec constitution de partie civile déposée par les acquéreurs estimant avoir été trompés sur la valeur des titres. Dans ce même arrêt, la Chambre criminelle confirme la condamnation de l’expert-comptable, prononcée par la cour d’appel de Versailles le 11 octobre 2007, pour complicité du délit d’abus de biens et de crédit sociaux et infirme la relaxe dont avait bénéficié le commissaire aux comptes du chef du délit de non-révélation des faits délictueux. LA CONDAMNATION DE L’EXPERT-COMPTABLE S’agissant de l’expert-comptable, la Chambre criminelle retient qu’« en transcrivant systématiquement en comptabilité des écritures dissimulant des délits qui se sont renouvelés pendant la période de prévention », l’expert-comptable a « sciemment, par aide ou assistance, favorisé la préparation et la consommation des abus de biens sociaux poursuivis ». Plus précisément, il est démontré que tout en ayant eu à de multiples reprises son attention attirée par des anomalies et méthodes comptables contestables (l’expert-comptable « tiquait souvent sur des factures », elle « n’était pas d’accord avec ce type d’achats »...), l’expert-comptable n’a pas réagi, contrairement à ce que lui imposait l’exercice normal de sa mission d’expert-comptable. Toutefois, si l’attitude de l’expert-comptable, motivée par une « absence de courage professionnel dans l’accomplissement de ses diligences usuelles », est moralement condamnable, elle ne suffit pas à fonder une responsabilité pénale pour complicité. En effet, la complicité par aide ou assistance (art. 121-7 C.p.) exige un acte positif antérieur ou concomitant à la réalisation de l’infraction. On sait, il est vrai, que la jurisprudence tend à reconnaître des cas de complicité par abstention à l’encontre de professionnels soumis à des devoirs spécifiques de contrôle et vérification. En l’occurrence, parce qu’il appartient à l’expertcomptable de « faire respecter les lois » dans ses travaux (v. art. 2 du Code de déontologie des professionnels de l’expertise comptable), la cour d’appel de Versailles (préc.) lui reproche « une abstention coupable volontaire » alors même que ses « fonctions et prérogatives lui permettaient de faire échouer les agissements frauduleux... ». Il est notamment reproché à l’expert-comptable de n’avoir pas émis « des réserves sur les conditions d’exercice de sa mission ». Mais, pour être admise, la complicité par abstention suppose encore que l’abstention fautive soit antérieure ou concomitante à l’infraction. Or, l’expert-comptable intervient, après coup, pour retranscrire dans les écritures la réalité d’opérations réalisées par les dirigeants. L’abstention de l’expert-comptable n’a donc pu favoriser la réalisation d’une infraction déjà commise lorsqu’il prend connaissance des faits (en ce sens, v. crim., 6 septembre 2000, nº 00-80989 qui relève que « l’expertcomptable n’a fait que retranscrire fidèlement dans les écritures la réalité d’opérations qui mettaient en évidence les prélève- 160 ments opérés par le responsable de l’entreprise »). Et l’on ne saurait se satisfaire du raisonnement acrobatique retenu en l’espèce, consistant à placer la date de réalisation du délit d’abus de biens sociaux « au moment où ne seront plus modifiables les enregistrements comptables frauduleux, c’est-à-dire au temps où la situation d’abus est définitivement acquise, lors de l’établissement des comptes annuels », sauf à ajouter au texte d’incrimination, et ce au mépris du principe fondamental de légalité criminelle. LA CONDAMNATION DU COMMISSAIRE AUX COMPTES S’agissant du commissaire aux comptes, dont la relaxe du chef du délit de non-révélation des faits délictueux (art. L. 820-7, C. com.) est censurée par la Chambre criminelle, la décision est tout aussi inquiétante pour les professionnels. Pour fonder la décision de relaxe, les juges d’appel avaient relevé « qu’il n’est pas établi » que le commissaire aux comptes ait eu « connaissance » des détournements et escroqueries, ajoutant habilement qu’il n’était pas non plus « établi qu’il ait manqué de vigilance au point d’avoir sciemment laissé échapper un fait délictueux ». La Cour de cassation infirme la décision d’appel au seul motif que certaines pièces comptables étaient fausses. Plus précisément, après avoir relevé que les comptes, pourtant certifiés sans réserve, « comportaient des factures d’achat étrangères à l’objet de la société, d’un montant très élevé, et des fausses factures sans en-tête commerciale... », la Cour de cassation en déduit que le commissaire aux comptes « avait eu nécessairement connaissance, dans le cadre de sa mission, d’irrégularités susceptibles de constituer des infractions à la loi pénale... ». La censure de la Cour de cassation paraît ainsi fondée sur la seule importance des irrégularités constatées, sans considération pour les arguments tirés des conditions d’exercice, par le commissaire aux comptes, de son contrôle. Or, la cour d’appel s’était précisément attachée à établir l’absence de constitution du délit, indiquant que la mission du commissaire aux comptes, qui procède par technique de sondage, exclut une analyse systématique de tous les éléments comptables. Mais cette interprétation des faits est écartée par la Cour de cassation qui, allant au-delà du droit, fait du commissaire aux comptes, au motif de sa mission d’intérêt général, non plus le gardien mais le garant absolu de la fiabilité des comptes. RÉFÉRENCES M. Delhomme, La responsabilité pénale de l’expert-comptable, Joly, 1998. M. Delhomme et Y. Muller (sous la dir. de), Comptabilité et droit pénal, Litec, septembre 2009. A. Lepage, M. du Chambon et R. Salomon, Droit pénal des affaires, Litec, 2008. M.-P. Lucas de Leyssac et A. Mihman, Droit pénal des affaires, Manuel théorique et pratique, DS Avocat, Economica, mai 2009. (1) Cet article a déjà été publié dans la Revue française de comptabilité nº 426, novembre 2009. No 2 - Février 2010 -