A la recherche de sauvegarder les "Hara":
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A la recherche de sauvegarder les "Hara":
Problématique de sauvegarde des "Hara": Habitat traditionnel en rénovation à Sétif – Algérie. DIAFAT Abderrahmane Laboratoire PUVIT, Université F. A. de Sétif Tél./Fax +213 36923044 e-mail: [email protected] Résumé: Cette contribution s'interroge sur l'avenir des "Hara" à Sétif. Elle vise à rechercher les moyens de sauvegarder ce type d'habitat urbain traditionnel datant de l'ère coloniale. Son état actuel de vieillissement contraste avec sa situation en plein cœur du centre historique de la ville dont la dynamique économique est reconnue. Les Hara, exposées à la vétusté et à toute forme de spéculation foncière, sont en train de subir une rénovation à une allure jamais connue auparavant. Les changements socioéconomiques en Algérie ont pesé lourdement sur cet héritage urbain. Alors que ces modestes Hara font partie de la mémoire collective des sétifiens. Les citoyens qui ont habité le centre ville de Sétif après le départ des français à l'indépendance, se sont adaptés à cette forme d'habitat dont l'espace de voisinage est devenu un grand espace familial et de convivialité. La Hara est un habitat collectif, dont les familles sont souvent entassées dans une ou deux chambres, organisé autour d'une cour communément connue sous le vocable de Haouch. Cet espace central est le lieu de toutes les activités communes (point d'eau, toilettes, cuisine, etc.) qui rassemblent particulièrement les femmes. L'architecture classique de ces immeubles datant du dix-neuvième siècle est souvent simple, mais l'organisation intérieure a l'avantage de favoriser la vie sociale, les émotions collectives et le sentiment communautaire qui sont encore apparents chez les habitants des Hara jusqu'à nos jours. L'évaluation de cette importante production architecturale et urbaine, de la période coloniale, a le mérite d'ouvrir une vision contemporaine vers ce patrimoine. La première étape est la reconnaissance envers ce noyau ancien, la compréhension de sa nature et sa forme urbaine, ainsi que les raisons de sa formation. La deuxième étape consiste à élaborer des lignes directrices utiles pour nos pratiques contemporaines, par le renouvellement des espaces urbains et pourquoi pas la préservation des communautés vivant dans le centre ville. Mots clés: Hara, sauvegarde, centre historique, mémoire collective, Sétif. 1. Introduction: La Hara est un habitat collectif, dont les familles sont souvent entassées dans une ou deux chambres, organisé autour d'une cour communément connue sous le vocable de Haouch. Cet espace central est le lieu de toutes les activités communes (point d'eau, toilettes, cuisine, etc.) qui rassemblent particulièrement les femmes. L'architecture classique de ces immeubles datant du dix-neuvième siècle est souvent simple, mais l'organisation intérieure a l'avantage de favoriser la vie sociale, les émotions collectives et le sentiment communautaire qui sont encore apparents chez les habitants des Hara jusqu'à nos jours. 2. Historique des Hara: Ce type d'habitat urbain traditionnel date de l'ère coloniale. Son état actuel de vieillissement contraste avec sa situation en plein cœur du centre historique de la ville dont la dynamique économique est reconnue. Les Hara, exposées à la vétusté et à toute forme de spéculation foncière, sont en train de subir une rénovation à une allure jamais connue auparavant. Les changements socio-économiques en Algérie ont pesé lourdement sur cet héritage urbain. Alors que ces modestes Hara font partie de la mémoire collective des sétifiens. Les citoyens qui ont habité le centre ville de Sétif après le départ des français à l'indépendance, se sont adaptés à cette forme d'habitat dont l'espace de voisinage est devenu un grand espace familial et de convivialité. Figure 1. Hara avec une cour centrale Type d’habitation propre aux villes coloniales, ces Hara ont, à l’ origine, été érigées par les colons français pour servir d’habitation aux Arabes, juifs et autres étrangers. Les colons, pour leur part, préféraient les immeubles de rapport tels l’immeuble Brincat, situé à l’angle des rues Meslem et 8 Mai 1945. Construction à étages munie d’une toiture la plupart du temps, la Hara se distingue de par sa cour centrale, véritable extension des pièces, et autour de laquelle s’articulent les différentes activités des locataires telles la cuisine et la lessive. Mais la véritable particularité de la Hara demeure celle d’offrir à ses locataires un cadre de vie communautaire. Outre la cour (haouch) et les commodités qu’ils entretenaient à tour de rôle, les habitants partageaient également l’entrée de la Hara, la plupart du temps une ruelle ou bien une "skifa", sorte de long couloir couvert qui donnait accès à la cour. A l’époque, la ségrégation coloniale ne permettait guère aux Arabes de se loger ailleurs que dans ces Hara et ce n’est qu’après l’indépendance que les gens ont pu accéder aux immeubles et biens laissés vacants par les colons français. Les Hara, jadis particulièrement prisées, sont alors tombées en disgrâce, les Sétifiens préférant à leurs commodités certes rudimentaires, le confort moderne des cités telles que la cité Belle Vue ou encore la cité des Cheminots. Les liens communautaires si chers aux Hara allaient peu à peu être oubliés, laissant place à l’anonymat des grandes cités. A présent, bon nombre de ces lieux particulièrement pittoresques sont en état de délabrement avancé. Malmenées par les outrages du temps et devenues dangereuses de par leur précarité, certaines Hara ont été démolies puis reconstruites en hôtels ou en centres commerciaux. D’autres continuent néanmoins à servir d’habitation à des locataires, peu regardant à la salubrité, mais abritent surtout des activités commerciales telles que les taxiphones, cabinets d’avocat, des locaux divers. De nos jours, la Hara ne séduit plus comme habitation du fait de sa configuration privilégiant la vie en communauté. La précarité de ces constructions, dont certaines datent de plus d’un siècle, n’est pas étrangère au désenchantement des Sétifiens vis-à-vis des Hara. 3. Méthodologie: L'évaluation de cette importante production architecturale et urbaine, de la période coloniale, a le mérite d'ouvrir une vision contemporaine vers ce patrimoine. La première étape est la reconnaissance envers ce noyau ancien, la compréhension de sa nature et sa forme urbaine, ainsi que les raisons de sa formation. La deuxième étape consiste à élaborer des lignes directrices utiles pour nos pratiques contemporaines, par le renouvellement des espaces urbains et pourquoi pas la préservation des communautés vivant dans le centre ville. Nous avons mené un travail d'analyse urbaine avec nos étudiants de cinquième année atelier d'architecture, durant la période 1993-96, afin de répertorier toutes les Hara du centre ville de Sétif. 3.1. Diagnostic: Une fiche technique par Hara a été établie pour pouvoir faire un diagnostic précis. Figure 2. Exemples de Hara avec fiche technique Figure 3. Architecture classique des Hara 3.2. Etude typo morphologique: Une étude typo morphologique a été menée afin de déterminer la forme urbaine et architecturale du centre ville et d'une manière particulière une étude détaillée des Hara. Figure 4. Typologie des cours 3.3. Enquête sociologique: Une enquête sociologique a accompagné l'étude typo morphologique dans le but de connaître les pratiques socio-spatiales dans les Hara. Figure 5. Résultat de l'enquête sociologique 4. Analyse des Hara du centre ville de Sétif: 4.1. Analyse historique: Lorsqu'on parle des Hara à Sétif, on pense d'abord aux juifs qui les habitaient. Il est même parfois attesté que ce mode d'habiter est d'origine juive. Ainsi, notre curiosité nous a conduit à chercher des témoignages sur Internet et la confirmation nous est parvenue d'un forum qui s'intéresse à "Sétif et sa région" par Jean Simon (2009). Afin d'expliquer ce que c'est qu'une Hara à Sétif, un échange d'information a fait ressortir la notion suivante: Le mot "Hara" ne désigne pas un quartier à Sétif, mais une maison à loyer à grande cour centrale collective. Elles ont été construites soit par des juifs (Schembri, Hmamou, Guedj, Zermati, ...), soit par des maltais (Parienti, Scognomiglio, Bruncat, Malvezin, ...)". Dixit ELBOB. Et Jean Simon qui rectifie: Si ELBOB le permet, je rectifierais un peu son énumération : Juifs : Hmamou, Guedj, Zermati, Parienti. Maltais : Schembri, Brincat (qui fut maire de la ville). Pour Scognomiglio je penche pour Italien et pour Malvezin je penche pour français d'Algérie originaire de France. J'ai pour ma part habité exrue des Etats Unis ce que je crois être une Hara et qui s'appelait à l'époque (19431947) "maison Lakhdar", lequel Lakhdar était bien connu car il était propriétaire d'une ligne de cars et faisait partie semble-t-il de la petite bourgeoisie arabe locale naissante ou renaissante. L'enracinement de cette culture des Hara à Sétif montre bien la cohabitation d'une population de différentes confessions et le dialogue des cultures n'était pas d'actualité. 4.2. Typologie des Hara: Du point de vue organisation spatiale, la Hara est généralement constituée d'une grande cour occupant une position centrale entièrement entourée de deux rangées de pièces d'habitation en filade, l'une au niveau de la cour et l'autre à l'étage. Les pièces du bas donnent toutes sur la cour, tandis qu'une coursive distribue les pièces à l'étage auquel on accède par un escalier généralement disposé dans un angle. Chaque niveau possède un w.c. Un point d'eau se trouve dans la cour. Côté rue, des commerces entourent de part et d'autre l'entrée unique, surmontés par un ou deux niveaux d'appartements, types bourgeois, avec tout le confort intégré dont l'un est occupé par le propriétaire. L'accès aux appartements est organisé à partir de l'entrée de façon à éviter de transiter par la cour. Dans un entretien avec Fayçal Ouaret "à propos de l'habitat en Algérie", il est mentionné que "ce type de bâtiment à cour desservi à l'étage par des coursives, réalisé par les Français après la conquête, était prévu dès l'origine pour plusieurs familles n'ayant pas de lien de parenté entre elles. Comme pour ce type, dans la maison urbaine 'traditionnelle', à cause de l'exiguïté et des relations que les femmes doivent entretenir, l'existence quotidienne se projette dans l'espace collectif, la cour de façon variable: quand les hommes sont présents, la vie se replie dans la pièce, ou les pièces qui constituent des sortes d'appartements." (Depaule, 1986) Figure 6. Hara 'Machota' et sa coursive 5. Sauvegarde et réhabilitation des Hara: Il n’en demeure pas moins certain que les Hara de Sétif feront à jamais partie du vécu collectif des Sétifiens qui usent volontiers du terme "Ouled El Hara" pourtant l’apanage de ceux qui peuvent s’enorgueillir d’avoir un jour résidé dans ces endroits qui abritent une partie de l’historique de la cité. Par ailleurs, ce patrimoine est non seulement délaissé mais fait l’objet d’une "éradication". Même les textes relatifs à la rénovation sont ignorés. Le décret n°83 /684 du 26 novembre 1983 stipulant "la rénovation urbaine est une opération physique qui, sans modifier le caractère principal d’un quartier, constitue une intervention profonde sur le tissu urbain existant, pouvant comporter la destruction d’immeubles vétustes et la reconstruction sur le même site d’immeubles de même nature" demeure plus de deux décennies après noir sur blanc. Démolies dans le cadre de la lutte contre l’habitat précaire, les Hara Bensekai et El Far font désormais partie du passé. Pour la continuité historique du tissu urbain, en déperdition, les gestionnaires de la cité sont interpellés pour la reconquête des vieux quartiers, non pas par une œuvre d’éradication, mais par la réhabilitation et la rénovation des sites témoins. 6. Conclusion: Un nombre important de Hara vient de disparaître, c'est pourquoi il est très urgent de sauvegarder les quelques témoins qui restent de l'histoire de la ville de Sétif. Les démarches actuelles des pouvoirs publics pour évacuer les Hara et les vider de leurs populations sous prétexte d'éradication de l'habitat précaire et insalubre est une fuite en avant qui ne tient pas compte de ce patrimoine urbain de la ville de Sétif. Références: Benaiche, K. (2006), "Les Harat de Sétif, un patrimoine en péril", Publié le: dimanche 1er octobre, El Watan Depaule, J. C. (1986), "A propos de l'habitat en Algérie: entretien avec Fayçal Ouaret", in Les Cahiers de la Recherche Architecturale N°20/21 'Espace centré', éd. Parenthèses, Marseille. Jean-Simon, 24 Mai 2009, http://setif.forumactif.info/setif-au-jour-le-jour-f4/les-juifs-de-setif-reviennent-voirleurs-quartiers-t4192.htm