1 transparence et pratiques restrictives de concurrence
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1 transparence et pratiques restrictives de concurrence
http://lamyline.lamy.fr 1 TRANSPARENCE ET PRATIQUES RESTRICTIVES DE CONCURRENCE ÎRLC 2856 L’action du ministre fondée sur l’article L. 442-6 du code de commerce, en cessation et sanction de pratiques restrictives, est par sa nature et son objet réservée aux juridictions françaises CA Paris, pôle 1, ch. 1, 15 sept. 2014, n° RG : 15/07435, Booking.com NV et Booking.com France 1. En février 2014, le ministre de l’Économie, de l’Industrie et du Numérique engageait une action devant le tribunal de commerce de Paris à l’encontre des sociétés Booking.com B.V et Booking.com France en vue de faire constater et sanctionner le déséquilibre significatif de leurs contrats conclus avec les hôteliers partenaires. Une action similaire avait été engagée contre la plateforme de réservation en ligne Expédia, en même temps que le dossier était soumis à l’appréciation de l’Autorité de la concurrence (voir Sélinsky V., Réservation hôtelière par Internet : les mêmes clauses ne produisent pas les mêmes effets selon l’angle d’appréciation, RLC 2015/44, n° 2794). Dans le cas d’Expédia, l’exception d’incompétence territoriale soulevée par le défendeur avait été immédiatement repoussée par la juridiction commerciale qui avait prononcé la nullité, à effet immédiat, des clauses de parité, jugées constitutives d’un déséquilibre significatif prohibé par l’article L. 442-6, I, 2° du code de commerce (T. com. Paris, 7e chambre, 7 mai 2015, n° RG : j2015000040, Expedia). Dans le cas de l’action dirigée contre Booking, les défendeurs avaient également soulevé une exception d’incompétence, en faisant valoir qu’elles sont des sociétés néerlandaises dont le siège se trouve aux Pays-Bas, mais le tribunal de commerce l’avait rejetée par jugement du 24 mars 2015 sans se prononcer sur le fond. C’est dans ces conditions qu’est intervenu le contredit, également rejeté par la cour d’appel de paris dans un arrêt du 15 septembre 2015. 2. Une clause des contrats critiqués attribue compétence aux juridictions hollandaises : néanmoins, le ministre chargé de l’Économie est un tiers aux contrats et la clause lui est donc inopposable. La plateforme de réservation (ci-après OTA) avait donc contesté la compétence des juridictions françaises en se fondant sur le règlement n° 44/2001 du 22 décembre 2000 dit Bruxelles I qui détermine la compétence en fonction du lieu du fait dommageable, dont elle estimait qu’il se trouvait au lieu du siège. Le ministre et les intervenants volontaires (syndicats d’hôteliers) soutenaient, pour leur part, que les juridictions françaises étaient seules compétentes en vertu du caractère d’ordre public 40 I RLC de l’action du ministre. La question de la compétence territoriale de l’action du ministre a déjà fait l’objet de débats, compte tenu de son importance pratique, y compris sur le plan national (voir Cass. com., 18 oct. 2011, n° 10-28005, Bull. civ. IV, n° 160). Sur le plan du contentieux international, la Cour de cassation a jugé, à l’occasion d’un litige relatif à des faits pouvant relever de la responsabilité pour rupture brutale de relations commerciales établies, que la cour d’appel de Paris est compétente pour statuer sur l’ensemble des décisions rendues par les juridictions commerciales sur les litiges relatifs à l’application de l’article L. 442-6 du code de commerce, sans distinguer selon la nature de la décision et qu’elle est donc également la compétente pour statuer sur les contredits (Cass. com., 4 nov. 2014, n° 13-16755, publié au Bulletin. Fourgoux J.-L., Concurrences, n° 1-2015, n° 71324, p. 128). Interrogée sur la question, la CEPC, dans son avis 13-10 sur les relations commerciales des hôteliers avec les entreprises exploitant les principaux sites de réservation hôtelière a rappelé les principes applicables en la matière pour affirmer la compétence d’une juridiction française, au regard des dispositions des règlements Bruxelles I et Rome II (Règl. n° 864/2007 du Parlement européen et du Conseil, 11 juill. 2007), dès lors que l’action est déclenchée par le ministre et que la pratique litigieuse porte atteinte au fonctionnement du marché français. 3. Il nous semble, en toute hypothèse, que même au regard des règles de conflit posées notamment par l’article 5§3 du règlement Bruxelles I, la compétence des juridictions nationales s’imposait : ce texte prévoit une compétence spéciale en matière délictuelle ou quasi délictuelle au profit du « tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire » (« une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite, dans un autre État membre : (…) 3) en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire »). Or, on peut soutenir que les clauses litigieuses causent un dommage aux hôteliers situés sur le territoire français. Il s’ensuit que le lieu du fait dommageable est moins le siège où ont été conçues et exprimées les clauses litigieuses que le lieu où se déploient leurs effets négatifs. 4. En l’espèce, toutefois, il s’agit d’un contentieux de type particulier, où l’action est déclenchée par l’autorité publique pour la mise en œuvre de « dispositions impératives relevant de l’ordre public économique et comme telles constitutives d’une loi de police » (CA Paris, 28 sept. 2006, n° RG : 04/04462). De longue date, en effet, l’action du ministre de l’Économie fondée sur l’article L. 442-6 du code de commerce a été reconnue comme une « action autonome de protection du fonctionnement du marché et de la concurrence » (Cass. com., 8 juill. 2008, n° 07-16761, Bull. civ. IV, n° 143 ; Cass. com., 18 oct. 2011, n° 10-28005, Bull. civ. IV, n° 160). Le Numéro 45 I Octobre-Décembre 2015 Conseil constitutionnel en a souligné le but d’intérêt général et l’objectif de préservation de l’ordre public économique (Cons. const. QPC, 13 mai 2011, n° 2011-126) et la Cour européenne des droits de l’homme a aussi observé « que, dans les circonstances visées par l’article L. 442-6 du code de commerce, le ministre agit avant tout en défense de l’ordre public économique qui n’est pas limité aux intérêts immédiats des fournisseurs » (CEDH, 17 janv. 2012, aff. 51255/08, GALEC c/ France). 5. L’arrêt de la cour de Paris adopte logiquement cet angle de vue, et souligne que l’action est « distincte par son objet de défense de l’intérêt général de celle que la victime peut elle-même engager pour la sauvegarde de ses droits propres et la réparation de son préjudice personnel » ; l’accord des victimes des pratiques n’est d’ailleurs pas exigé et il suffit qu’elles en soient informées. Cette particularité du droit français peut étonner : elle est cependant un outil précieux pour sanctionner certains abus. L’affaire est donc renvoyée au fond et, si l’on tient compte du précédent « Expédia » (précité), il est possible d’anticiper la qualification des pratiques de la plateforme en pratiques restrictives illicites. Numéro 45 I Octobre-Décembre 2015 6. Il convient par ailleurs de souligner que l’article 133 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite loi Macron, prive d’effet les contrats conclus antérieurement entre les plateformes hôtelières et les hôtels et, ce, à partir de l’entrée en vigueur de la loi : « Les contrats entre hôteliers et plateformes de réservation en ligne conclus avant la publication de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques cessent de produire leurs effets dès l’entrée en vigueur de la même loi ». Non seulement les contrats sont caducs mais certaines clauses sont interdites par la loi (parité de tarifs) et des engagements ont été pris par la plateforme hollandaise devant l’Autorité de la concurrence en ce qui concerne les parités de termes et conditions et les parités de disponibilités. Toutes les conditions sont donc réunies pour un assainissement du marché, un rééquilibrage des situations par une plus grande commutativité des contrats et, finalement, pour que la France montre l’exemple aux autres pays d’Europe. Véronique SÉLINSKY Avocat à la Cour RLC I 41 http://lamyline.lamy.fr Actualités TRANSPARENCE ET PRATIQUES RESTRICTIVES DE CONCURRENCE