Kit ressources criminalisation

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Kit ressources criminalisation
4 – Les avis et recommandations des institutions nationales et internationales
-
En France : le Conseil National du Sida
L’avis du 27 avril 2006 :
Conseil National du Sida, France
Avis sur la pénalisation de la transmission sexuelle du VIH
Rapport ; 2006/04/27 ; 4 p.
Résumé : Le Conseil national du sida évoque la problématique de la responsabilité partagée
dans la transmission sexuelle du VIH, pointe la confusion entre droit individuel à la réparation
et mesures de santé publique, souligne l'existence d'entraves à l'exercice de la responsabilité et
émet des recommandations.
http://www.cns.sante.fr/htm/avis/prevention/27_04_06/fr_1_b.htm
Conseil National du Sida, France
Communiqué de presse sur " La pénalisation de la transmission sexuelle du VIH "
Communiqué de presse ; 2006/05/11 ; 1 p.
http://www.cns.sante.fr/htm/avis/prevention/11_05_06/fr_1_b.htm
Les documents préparatoires à l’avis :
Conseil National du Sida, France
Note sur la qualification pénale de la transmission du VIH par voie sexuelle en France
Etude ; 2005/05 ; 12 p.
Résumé : Ce document de travail réunit des éléments destinés à alimenter la reflexion des
experts en charge de la rédaction de l'avis du Conseil national du sida sur la pénalisation de la
transmission du VIH. Il fait un petit rappel procédural sur les délits et crimes et examine en
détail les qualifications criminelles susceptibles d'être appliquées au fait de transmettre le VIH
à son partenaire lors de relations sexuelles non protégées. Il se penche en particulier sur la
notion d'empoisonnement.
Conseil National du Sida, France
La pénalisation de la transmission du VIH : les cas à l'étranger et les discussions
Etude ; 2004/11 ; 6 p.
Résumé : Ce document de travail réunit des éléments destinés à alimenter la reflexion des
experts en charge de la rédaction de l'avis du Conseil national du sida sur la pénalisation de la
transmission du VIH. Il s'arrête sur des cas de jurisprudences canadienne, écossaise et
anglaise.
Conseil National du Sida, France
Santé publique et transmission du VIH
Questionnaire ; 2005 ; 2 p.
Résumé : Ce document traite de la question de la responsabilité individuelle liée à la
transmission sexuelle du sida et de son traitement judiciaire. Le premier volet propose quatre
questions aux associations engagées dans la lutte contre la maladie afin de recueillir leur avis
sur la question. Le deuxième présente la législation française existante applicable à la
situation.
Des comptes-rendus dans la presse :
DESTOMBES C
Le CNS et la pénalisation de la transmission
Article ; Revue : Journal du sida (Le) ; 2006/08 ; n° 187 ; pp. 22-23
Résumé : Le point sur l'avis attendu du Conseil National du sida autour de la question de la
pénalisation de la transmission sexuelle du VIH.
FAVEREAU E
Transmission sexuelle du VIH: tous responsables
Article ; Libération ; 2006/05/12
C'est une des questions qui divisent le plus fortement les associations de lutte contre le sida:
faut-il pénaliser ou pas la transmission sexuelle du VIH? Rendu public ce vendredi matin,
l'avis du Conseil national du sida reste prudent. La position de l'organisme présidée par le
professeur Willy Rozenbaum prône le principe de «responsabilité partagée». En d'autres
termes, dans une relation sexuelle, chacun est responsable, y compris de se protéger ou pas.
http://www.liberation.fr/vous/sante/186527.FR.php
Un avis plus ancien :
DGS (Direction Générale de la Santé), France ; Conseil National du Sida, France
Avis du 25 juin 1991 sur la pénalisation de la dissémination d'une maladie transmissible
épidémique
in : L'infection par le Virus de l'Immunodéficience Humaine (VIH)
Législation ; Paris : Direction des Journaux Officiels ; 1991/12/01 ; 3 éd. ; pp. 59-60
http://www.cns.sante.fr/htm/avis/discrimination/25_06_91/fr_1_b.htm
République française
CONSEIL NATIONAL DU SIDA
Avis sur la pénalisation de la transmission sexuelle du VIH
Adopté en séance plénière le 27 avril 2006
Depuis de nombreux mois, plusieurs procédures judiciaires, closes ou en cours,
abordent la question de la transmission du VIH par voie sexuelle. Rapidement, la diversité des
faits poursuivis – tromperie délibérée, dissimulation, transmission volontaire – a disparu du
débat public au profit d’une controverse entre les associations de lutte contre le VIH, les
plaignants et les associations de victimes.
Le Conseil national du sida (CNS) a souhaité analyser l’origine de ces controverses et
les conséquences possibles de ces procès sur les principes de la prévention de la transmission
du VIH. Ils révèlent notamment des problèmes de stigmatisation et la nécessité de réaffirmer
la responsabilité de protéger sa propre santé et celle d’autrui.
Des procès mettent en lumière des approches contradictoires
Des principes fondamentaux de la lutte contre le VIH insuffisamment partagés
Dès leurs débuts, les politiques de lutte contre l’épidémie d’infection à VIH, transmise
principalement par voie sexuelle, ont été guidées par des principes fondamentaux élaborés
pour préserver la santé publique. Les responsables des différents domaines concernés sanitaires, associatifs, politiques - ont cherché à obtenir une mobilisation de la population
contre l'épidémie fondée sur la responsabilité individuelle assortie du développement de la
solidarité avec les personnes atteintes et d'une lutte contre toute forme de discrimination. Le
principe de « responsabilité partagée » soutenu par les acteurs de la santé publique est né du
constat que la prévention ne pouvait pas reposer sur les seules personnes infectées. Il fallait
pour cela éviter les réactions habituelles en cas d'épidémie, à savoir le rejet violent des
personnes atteintes, vues comme responsables de leur état et coupables de la transmission.
Mais par la suite, avec l’apparition des multithérapies, l’intérêt collectif pour cette épidémie a
décliné et l’image de la maladie s’est banalisée. Ce moindre intérêt, accentué par une baisse
du relais des médias, a contribué à cantonner le message de la « responsabilité partagée » aux
milieux restreints de la lutte contre le VIH. Cette notion prise comme fondement de la
prévention est devenue inaudible pour la population générale. Une minorité de personnes
vivant avec le VIH, bénéficiant d’un fort relais médiatique, a revendiqué la pratique de
relations sexuelles non protégées. Ceci a pu laisser croire à une irresponsabilité de l’ensemble
des personnes contaminées.
Le contexte de la transmission de l’infection à VIH a changé, les transmissions chez
les personnes ayant des rapports hétérosexuels devenant prépondérantes. Dans le même
temps, la société évolue vers une judiciarisation renforcée des rapports entre les individus.
Cette tendance s’affirme, faisant s’effacer les valeurs de solidarité au profit de la
revendication d’un statut de victime, à laquelle fait écho l’émotion devenant centrale au sein
des systèmes médiatique, judiciaire et politique1. Cette évolution est apparue contraire aux
1
Salas (Denis) : La volonté de punir : essai sur le populisme pénal, Hachette Littérature, 2005, 287 pages.
1
valeurs des associations de lutte contre le sida, qui se sont construites en refusant le statut de
victime pour les personnes vivant avec le VIH au profit du statut d’acteur de sa maladie
participant à la réponse à apporter à l’épidémie. Aussi, lorsque des personnes nouvellement
contaminées portent plainte en justice, elles sont conduites à une opposition frontale avec les
associations de lutte contre le VIH. Ces dernières sont réticentes à ces procédures pour leurs
effets collectifs potentiels, tandis que les associations de victimes interprètent cette opposition
comme une tentative de négation des faits individuels de tromperie et un refus de leur droit
fondamental à engager des procédures pénales.
La confusion entre droit individuel à réparation et mesures de santé publique
Remplaçant le recours à la vengeance privée, le droit pénal remplit plusieurs
fonctions : punir les contrevenants en réparation de l'atteinte à l'ordre social que constituent
leurs infractions ; modifier leur comportement et éventuellement celui d'autres personnes
tentées de commettre les mêmes délits ; à l'extrême, les neutraliser par une incarcération
censée les empêcher de nuire, au moins provisoirement. La condamnation pénale traduit la
réprobation de la société à l’égard d’un comportement, telle la tromperie qui a trouvé dans le
cadre de procès une sanction légitime. Les autres fonctions, dans le cadre de la transmission
sexuelle du VIH, semblent trouver des limitations plus importantes. L’éducation à la
prévention suppose une compréhension des causes du comportement à risque, mais rien ne
permet de dire que la prison serve cette éducation. La dissuasion suppose une démarche
rationnelle liée à la peur de la condamnation et de l’incarcération. La simple conscience de
pouvoir transmettre le virus devrait être un facteur de dissuasion plus fort que la perspective
d’une condamnation. Toutefois, en matière de transmission du VIH lors de relations
sexuelles, la rationalité n’est pas toujours présente. Quant à l’incarcération, elle ne permet pas
de limiter la diffusion du VIH et il est établi que la prison est un lieu de pratiques à risque,
qu’il s’agisse de l’injection de drogues ou de relations sexuelles.
De plus, ces procès risquent d’aggraver la stigmatisation des personnes vivant avec le
VIH. Les tenants et les aboutissants des procès ont rapidement disparu des débats publics,
pour être remplacés par les querelles entre les différents acteurs de la lutte contre le VIH.
Faute de discours collectif clair sur ces procès, la compréhension des verdicts peut être
brouillée. Cette confusion favorise dans l’opinion publique une projection de l’image de ces
cas individuels à l’ensemble des personnes vivant avec le VIH qui apparaissent alors comme
une menace pour la société. Les risques inhérents de rejet violent s’en voient renforcés.
Surtout, l’attente illusoire d’une protection contre la contamination par le VIH par la loi et la
répression pénale est ainsi confortée.
Des entraves à l’exercice de la responsabilité demeurent
La responsabilité de sa propre santé et de celle d’autrui s’exerce différemment selon les
situations
Face à la stigmatisation persistante des personnes vivant avec le VIH et aux risques
d’une stigmatisation renforcée que les procès peuvent induire, le CNS rappelle les principes
fondamentaux qui ont soutenu la politique de prévention. Celle-ci repose simultanément sur la
responsabilité individuelle et sur le développement de la solidarité avec les personnes vivant
avec le VIH qui passe par la lutte contre toute forme de discrimination. Il convient de
réaffirmer que chacun, avec ses moyens, doit veiller à sa propre santé et à celle d’autrui, dans
le souci du respect de l’autre. Si une personne vivant avec le VIH a la responsabilité de ne pas
transmettre le virus, la personne non contaminée a la responsabilité, à l’occasion d’une
2
nouvelle relation, de se protéger du VIH et des autres infections sexuellement transmissibles.
Par conséquent, cette responsabilité ne saurait être unilatérale. Cela sous-entend que les deux
personnes soient chacune informées des risques et des moyens de se protéger. Ce souci de sa
propre santé et de celle d’autrui implique la connaissance du statut sérologique de chacun, ce
qui nécessite le recours au dépistage2.
L'idée généralement acceptée que le couple constitue une prévention objective et
efficace, grâce à la fidélité, a montré ses limites. Comme l’expérience l’a mis en évidence, le
couple ne protège pas en soi de l’infection à VIH. C’est pourquoi, pour celui ou celle qui a
des relations sexuelles extra conjugales, l’exercice de la responsabilité consiste à se protéger
lors de ces relations pour protéger le partenaire régulier. En cas de non-respect de ce contrat
tacite par l’un des partenaires, l’autre perd toute possibilité de se protéger, sauf révélation par
le premier d’une éventuelle contamination.
Dans certains couples, la domination exercée par un partenaire sur l’autre peut
empêcher toute négociation des moyens de prévention. Cette domination peut reposer sur un
rapport de force physique ou moral, mais aussi être liée à des raisons économiques. Les
personnes en situation de précarité qui connaissent des conditions d’existence difficiles,
comme certaines femmes, divulguent moins leur maladie, ainsi que le montrent les données
épidémiologiques3. Du fait de la dépendance économique vis-à-vis de leur partenaire ou bien
dans certaines communautés à cause de la mort sociale qui suit la divulgation de l’infection,
elles se voient imposer un lourd silence qui les empêche de proposer le recours au préservatif.
Inversement, il est le plus souvent difficile pour le partenaire en situation de dépendance de
demander le recours au test de dépistage et aux moyens de protection.
La difficulté d’assumer l’infection à VIH : du déni à la stigmatisation
Prendre connaissance de son infection ou se savoir contaminé par le VIH n’implique
en aucune manière de comprendre ou d’en accepter les conséquences. Le choc que représente
l’annonce de l’infection à VIH peut être difficile à assumer. Il semble ainsi difficile pour
certains de réaliser qu’ils sont infectés par un virus, alors qu’en dehors du résultat de la
sérologie sur une simple feuille de papier aucun signe physique ne se manifeste. Les
traitements actuels permettent de rendre le virus indétectable chez certaines personnes. Cellesci pensent alors que le virus n’est plus présent dans leur organisme, ôtant toute nécessité à la
prévention. Ce déni permet de construire une protection psychique, parfois poussée jusqu’à
l’idéalisation absolue d’une protection totale liée à la seule force de la volonté. Dès lors, une
telle attitude conduit certains malades à ne pas prendre toutes les précautions nécessaires pour
protéger leurs partenaires. Par ailleurs, le recours à un moyen de protection peut apparaître
comme une forme d’aveu ou le signe visible d’un risque, qui peut donner lieu à des
négociations supplémentaires et compliquer la relation. Face à cette difficulté, beaucoup de
personnes contaminées ont développé des protections imaginaires. Cela a abouti à des
attitudes paradoxales de déni et d’évitement des mesures de prévention. A l’opposé, de
nombreuses personnes vivant avec le VIH s’interdisent toute vie sexuelle, par peur de
contaminer autrui.
Le fait de divulguer sa contamination à son partenaire ne se réduit pas à l’énonciation
d’une simple information : cette forme « d’aveu » peut être mal vécue par les deux
partenaires. La question n’est pas de savoir si on doit le dire, mais de savoir quand et
2
Dans son chapitre 21 sur la « Prévention et sexualité chez les personnes infectées par le VIH », le rapport 2002
du groupe d’experts sous la direction du professeur Delfraissy, Prise en charge des personnes infectées par le
VIH, donne une description précise du contenu des conseils pré et post test.
3
Enquête sur les personnes séropositives (ANRS-VESPA).
3
comment en parler4. Pour certaines femmes, la multiplication des rejets représente un obstacle
important au désir de grossesse et le mensonge par omission devient la seule solution pour
mener à terme un projet de maternité. Cependant, la grossesse est aussi souvent une occasion
d’annoncer son infection. La vie des personnes vivant avec le VIH est éprouvante, et le
manque d’acceptation les pousse à ne pas informer de leur statut sérologique, la peur de
l’exclusion et de la discrimination étant plus forte que tout. De nombreuses enquêtes
démontrent clairement que la peur d’être exclu (du travail, de la famille, de la communauté…)
demeure encore prégnante5. Dans notre société, la capacité de dire sa contamination est
intimement liée à l’image publique de la personne vivant avec le VIH. Plus la stigmatisation
et le rejet qui en découlent sont forts, plus cette possibilité de dire son statut est restreinte.
****
Dans certains cas de transmission, la responsabilité pénale d’une personne
transmettant le VIH semble clairement engagée, ainsi que l’a jugé la Cour de cassation.
Pour autant, il serait catastrophique que ces cas individuels conduisent à considérer que
le seul fait de vivre avec le VIH fasse de la personne un criminel potentiel et renforce
une stigmatisation existante. En dehors du domaine pénal, le CNS affirme le principe
d’une double responsabilité : responsabilité des personnes contaminées de ne pas
transmettre le VIH et responsabilité de toute personne de se protéger pour ne pas être
contaminée.
C’est pourquoi le CNS recommande :
D’inciter tous les acteurs de la lutte contre le VIH à diffuser ce principe de double
responsabilité dans les actions de terrain qui s’y prêtent ;
De mettre en œuvre une véritable éducation à la sexualité et à la vie affective qui aborde la
prévention des IST et en particulier la transmission du VIH, dans les collèges et les lycées ;
De développer les capacités de dire et de négocier les moyens de prévention des personnes
vivant avec le VIH ;
De sensibiliser les soignants à l’intérêt de proposer un dépistage du VIH s’inscrivant dans une
stratégie de prévention s’accompagnant d’un véritable conseil pré et post test ;
De promouvoir des campagnes de prévention en direction des différentes générations de la
population générale, en mettant l’accent sur la responsabilité de chacun en matière sexuelle ;
De valoriser dans les campagnes de prévention les personnes vivant avec le VIH qui prennent
les moyens de protéger autrui et de se protéger ;
De renforcer les campagnes contre la stigmatisation pour permettre de dire plus facilement au
partenaire sexuel sa séropositivité au VIH.
4
Dans son chapitre 21 sur la « Prévention et sexualité chez les personnes infectées par le VIH », le rapport 2002
du groupe d’experts sous la direction du professeur Delfraissy, Prise en charge des personnes infectées par le
VIH, donne une description précise de la façon d’aborder ce problème.
5
Baromètre Sida Info Service des discriminations 2005.
4
Prévention
11 mai 2006
Communiqué de presse sur " La pénalisation de la transmission sexuelle du VIH "
Depuis de nombreux mois, plusieurs procédures judiciaires, closes ou en cours, abordent la question
de la transmission du VIH par voie sexuelle. Rapidement, la diversité des faits poursuivis – tromperie
délibérée, dissimulation, transmission volontaire – a disparu du débat public au profit d’une
controverse entre les associations de lutte contre le VIH, les plaignants et les associations de victimes.
Si le droit individuel à réparation est une liberté fondamentale, pouvant conduire à une sanction
légitime par l’intermédiaire de procès, son efficacité dans le cadre de la transmission sexuelle du VIH
trouve des limitations plus importantes et pourrait même avoir un impact négatif en terme de santé
publique. En effet, cela pourrait laisser croire que la répression pénale représente une protection
efficace contre la contamination par le VIH. Par ailleurs, la stigmatisation pourrait être renforcée,
rendant encore plus difficile la divulgation de son statut vis-à-vis de la contamination par le VIH.
Le CNS rappelle que la politique de prévention repose simultanément sur la responsabilité individuelle
et sur le développement de la solidarité avec les personnes vivant avec le VIH. Il convient de
réaffirmer que chacun, avec ses moyens, doit veiller à sa propre santé et à celle d’autrui, dans le souci
du respect de l’autre. Si une personne vivant avec le VIH a la responsabilité de ne pas transmettre le
virus, la personne non contaminée a la responsabilité, à l’occasion d’une nouvelle relation, de se
protéger du VIH et des autres infections sexuellement transmissibles. L'idée généralement acceptée
que le couple constitue une prévention objective et efficace, grâce à la fidélité, a montré ses limites, et
ne protège pas en soi de l’infection à VIH. C’est pourquoi, pour celui ou celle qui a des relations
sexuelles extra conjugales, l’exercice de la responsabilité consiste à se protéger lors de ces relations
pour protéger le partenaire régulier. En cas de non-respect de ce contrat tacite par l’un des
partenaires, l’autre perd toute possibilité de se protéger, sauf révélation par le premier d’une éventuelle
contamination.
Il faut aussi souligner que la connaissance de son infection par le VIH n’implique en aucune manière
de comprendre ou d’en accepter les conséquences. Dès lors, certains malades ne prennent pas toutes
les précautions nécessaires pour protéger leurs partenaires ou à l’opposé, ils s’interdisent toute vie
sexuelle, par peur de contaminer autrui. Au-delà de la sexualité, de nombreuses enquêtes démontrent
clairement que la crainte justifiée d’être exclu (du travail, de la famille, de la communauté…), demeure
encore prégnante. Face à cette stigmatisation et à ce rejet, la possibilité de dire son statut se restreint.
Dans certains cas de transmission, la responsabilité pénale d’une personne transmettant le VIH
semble clairement engagée. Pour autant, il serait catastrophique que ces cas individuels conduisent à
considérer que le seul fait de vivre avec le VIH fasse de la personne un criminel potentiel et renforce
une stigmatisation existante. En dehors du domaine pénal, le CNS affirme le principe d’une double
responsabilité : responsabilité des personnes contaminées de ne pas transmettre le VIH et
responsabilité de toute personne de se protéger pour ne pas être contaminée.
Le Conseil, réunion en séance plénière le 27 avril 2006, a voté un avis sur la pénalisation de
transmission sexuelle du VIH.
Tour Mirabeau
39/43 Quai André Citroën
75015 Paris
www.cns.sante.fr
Note sur la qualification pénale
de la transmission du VIH par voie sexuelle en France
Mai 2005
1. Délits et Crimes : petit rappel procédural .................................................................................................. 3
1.1. Compétence des juridictions .................................................................................................................................. 3
1.2. Instruction de l’affaire ............................................................................................................................................ 3
1.3. Prescription de l’infraction..................................................................................................................................... 3
2. La qualification criminelle .......................................................................................................................... 4
2.1. L’empoisonnement................................................................................................................................................. 4
2.1.1. Elément matériel......................................................................................................................................... 5
•
2.1.1.1. L’administration ......................................................................................................................... 5
•
2.1 .1. 2. La substance mortifère ............................................................................................................. 6
2.1.2. Elément moral ............................................................................................................................................ 6
2.1.3. Bilan ........................................................................................................................................................... 7
2.2. Autres qualifications criminelles envisageables ..................................................................................................... 8
3. La qualification délictuelle.......................................................................................................................... 8
3.1. Les Atteintes volontaires : l’Administration de Substances Nuisibles (ASN) ........................................................ 8
3.1.1. Elément matériel de l’ASN : la substance nuisible..................................................................................... 9
3.1.2. Elément moral de l’ASN ............................................................................................................................ 9
3.1.3. Bilan ......................................................................................................................................................... 10
3.2. La non assistance à personne en danger. .............................................................................................................. 11
3.3. Les Atteintes involontaires................................................................................................................................... 11
3.4. Le délit de risques causés à autrui ........................................................................................................................ 12
Bilan.............................................................................................................................................................. 12
1
A la suite de condamnations prononcées par plusieurs juridictions du fond dans des
cas de transmission du VIH, le CNS a rendu un communiqué public rappelant son
attachement au principe de « responsabilisation partagée » dans les relations sexuelles non
protégées, ainsi que ses inquiétudes quant aux conséquences néfastes d’une pénalisation des
transmissions, notamment sur l’effort engagé depuis des années en matière de dépistage
volontaire.
Préalablement à ces considérations d’ordre éthique et de santé publique, se situe la
question première de la qualification pénale de la transmission du VIH. En un mot, il s’agit de
savoir si un comportement factuel (avoir une relation sexuelle non protégée et transmettre à
une personne le VIH) peut rentrer sous le coup d’une incrimination, c’est à dire un texte
pénal, voire de plusieurs.
Le grand principe à rappeler est celui de l’interprétation stricte de la loi pénale.
L’infraction ne peut être retenue que dans le cadre précis défini par la loi, c’est à dire lorsque
un comportement est défini comme crime, délit ou contravention par un texte de loi. Il n’y a
pas d’incrimination par analogie en France. Cependant, un même fait peut rentrer sous le coup
de plusieurs qualification pénale : on parle alors de cumul idéal, bien que cette hypothèse soit
marginale.
S’agissant plus spécifiquement des cas de transmission du VIH lors de relations
sexuelles non protégées, il faut tout d’abord relever que les textes pénaux étant antérieurs à
l’apparition de l’épidémie, il est absurde de parler à l’heure actuelle de « criminalisation des
séropositifs » puisque aucun texte pénal n’incrimine le fait d’être séropositif. Néanmoins, tout
individu, dangereux pour la collectivité doit répondre de ces actes devant la justice pénale.
Cela étant rappelé, il faut immédiatement préciser que plusieurs qualifications pénales
sont envisageables1. En effet, il existe de nombreuses infractions qui portent atteinte à
l’intégrité physique de la personne humaine, et il serait réducteur de s’arrêter au meurtre ou à
l’empoisonnement. De plus, certaines spécificités de la transmission du VIH risquent de
semer le trouble face à des catégories d’infractions pénales initiées il y a près de 200 ans. Si
l’actualisation de certaines a été opérée récemment, il n’en demeure pas moins que l’esprit
initial souffle toujours sur ces infractions, et rend difficile de les appréhender sous le coup des
évolutions biologiques et techniques liées à l’apparition et au développement du phénomène
sida. Un autre facteur de complication réside dans la diversité des cas de transmission. La
montée en puissance de pratiques sexuelles à risques consenties (le fameux bareback) sème le
trouble dans une question qui naviguait déjà dans l’obscurité. La volonté de nuire, la
malhonnêteté, l’indifférence sont susceptibles de gradation, que le juge va souvent déceler
dans les faits. La peine ne saurait être la même entre une omission de mentionner sa
séropositivité à la falsification de tests de dépistage, pour prendre un exemple judiciaire2.
D’une manière générale, et par souci de clarté, mieux vaut distinguer entre les contaminations
délibérées (qui impliquent juste que l’auteur avait connaissance de sa séropositivité) et les
contaminations inconscientes.
Face à l’arsenal pénal, le juriste doit se concentrer sur les grandes divisions, qui
constituent autant de points de repères fiables. On divisera donc cette étude entre deux
catégories d’infraction : les délits et les crimes qui peuvent être retenus. Mais on rappellera
d’abord les enjeux procéduraux.
1
Cette étude ne pendra pas en compte les infractions économiques, principalement la fraude (réprimée à l’article
L. 213-1 du code de la consommation, ancien article 1er de la loi du 1er août 1905), qui, si elles ont conduit à des
condamnations dans l’affaire du sang contaminé, n’ont pas d’application concrète dans le cas de transmission
volontaire du virus lors de relations sexuelles. A moins que le sexe ne devienne un objet contractuel….
2
Voir CA Rouen, 22 septembre 1999.
2
1. Délits et Crimes : petit rappel procédural
Il existe trois catégories d’infractions dans notre droit pénal : le crime, le délit et la
contravention. Chaque infraction rentre dans une de ces trois catégories en fonction de la
durée de la peine de prison encourue.
•
Si la peine est supérieure à 10 ans de prison, c’est un crime.
•
Si la peine est un emprisonnement inférieure à 10 ans, c’est un délit
•
Si la peine est une amende, c’est une contravention.
Certaines infractions peuvent aussi changer de catégorie si une circonstance aggravante
retenue augmente le quantum de la peine3
Le type d’infraction retenue emporte des conséquences considérables pour le déroulement et
le dénouement d’un procès. Le Code de procédure pénale distingue bien les trois catégories
d’infraction, qui ne vont pas suivre le même schéma procédural : juridiction compétente,
instruction de l’affaire, délais de prescription représentent les variations possibles.
1.1. Compétence des juridictions
Le type de qualification pénale retenue conditionne la compétence du type de
juridiction. Les crimes relèvent de la compétence de la Cour d’assises, les délits du tribunal
correctionnel. La distinction n’est pas seulement formelle, puisque le fonctionnement des
deux juridictions n’est pas le même. Le tribunal correctionnel est une juridiction pénale
composée uniquement de magistrat (un président et deux assesseurs), alors que la cour
d’assises est une juridiction populaire, composé de trois magistrats professionnels et de 9
jurés. La présence d’un jury est source de complication : leur prise de décision se fait en
fonction de considérations morales, politiques, bref des considérations qui dépassent le seul
cadre juridique. Cette modération du jury s’accroît d’autant plus si la question est sensible.
1.2. Instruction de l’affaire
Selon le Code de Procédure Pénale, l’instruction d’une affaire est obligatoire en cas de
crime. En revanche, celle-ci n’est que facultative en cas de délit. Elle reste à l’appréciation du
Parquet. La qualification de crime entraîne des investigations poussées, alors que celle de délit
peut amener à une condamnation très rapide, surtout dans le cadre de la procédure de
comparution immédiate. Mais il paraît raisonnable de penser que cette procédure en sera pas
mise en œuvre pour un délit qui nécessite un minimum d’investigation ou d’expertise, comme
c’est le cas en matière de transmission du VIH.
1.3. Prescription de l’infraction
Le délai de prescription varie selon la catégorie d’infraction : 3 ans pour les délits, 10
ans pour les crimes. Ce détail est important, car le ministère public ne peut avoir connaissance
de la contamination volontaire que si la victime se décide à porter plainte. Le point de départ
du délai est variable : il est constitué par la date de la contamination de la victime dans le
cadre de l’empoisonnement. Ce délai est alors très court. Dans le cadre des blessures
3
Pour exemple, on citera le délit de violences volontaires ayant entraîné une infirmité ou une mutilation
permanente (puni de 10 ans d’emprisonnement) qui devient un crime s’il est commis sur un mineur de quinze
ans (article 222-10 Code pénal)
3
involontaires, il est fixé au jour où s’est révélée la conséquence dommageable permettant la
qualification de l’infraction. Inutile de mentionner à quel point le problème de preuve devient
crucial. La victime doit alors porter plainte dans le délai prévu, sous peine de se voir opposer
la prescription.
2. La qualification criminelle
Il existe plusieurs qualifications criminelles susceptibles d’être appliquées au fait de
transmettre le VIH/sida à son partenaire lors de relations sexuelles non protégées. Cependant,
une seule retient principalement l’attention des juristes, c’est l’empoisonnement.
2.1. L’empoisonnement
L’empoisonnement est une infraction particulière de notre code pénal. Menacé de
disparition lors de la refonte du code pénal en 1992, il a néanmoins survécu et gardé son
caractère propre. En effet, s’il figure au titre des infractions volontaires contre l’intégrité
physique d’autrui, l’empoisonnement n’est pas une catégorie particulière de meurtre, défini
quant à lui à l’article XXXX.
On est donc en face d’une infraction spécifique, qui reflète un fait social extrêmement
ancien (Britannicus empoisonné par Néron). Jusqu’au 20ème siècle, le nombre
d’empoisonnement était assez important, du fait qu’un bon nombre de décès inexpliqué était
catalogué comme tel. Les progrès scientifiques ont permis de faire chuter cette statistique et
de démontrer que l’empoisonnement n’était pas l’apanage des milieux ruraux. Aujourd’hui,
les mêmes progrès techniques font que bon nombre d’empoissonnement passent inaperçus.
D’un point de vue criminologique, cette infraction a longtemps été synonyme de crimes de
successions. Le caractère secret de l’atteinte à la vie que renferme en son sein
l’empoisonnement traduit la perversité attaché à ce comportement et donc son caractère
criminel.
L’empoisonnement se définit comme « le fait d’attenter à la vie d’autrui par l’emploi
ou l’administration de substances de nature à entraîner la mort » et est puni de 30 ans de
réclusion criminelle (perpétuité en cas de circonstances aggravantes) selon l’article 221-5 du
code pénal.
S’agissant de la transmission du VIH, la question a agité la doctrine. Trois points sont
cependant certains :
•
L’empoisonnement n’a pas été l’incrimination retenue dans les affaires du sang
contaminé.
•
Dans ces mêmes affaires, l’empoisonnement n’a jamais été rejeté explicitement.
•
Un fonds d’indemnisation spécifique pour les hémophiles a été créé, ce qui a
contribué à éviter les procédures pénales.
Tout cela reste éloigné des cas de transmission du VIH lors de relations sexuelles.
Cependant, la jurisprudence et la doctrine issue des affaires (1992-1996) va considérablement
influencer le débat. A ce jour, on ne peut pas dire que la Cour de cassation se soit clairement
prononcée en faveur ou en défaveur d’une qualification d’empoisonnement. L’arrêt rendu par
sa chambre criminelle du 2 juillet 1998 n’a pas posé de règle de principe. La Cour a préféré
4
« botter en touche » en se contentant de censurer un arrêt de chambre d’accusation qui
renvoyait devant la cour d’assises pour empoisonnement l’auteur d’une contamination
délibérée. Les principaux médias en ont déduit une redéfinition de l’empoisonnent (Les
Echos, 3 juillet 1998 ; Le Monde, 4 juillet 1998). En réalité, la chambre criminelle a
seulement dit que l’arrêt de la chambre d’instruction était mal rédigé en droit. Elle pointait les
insuffisances et les contradictions d’un jugement particulier, mais n’a jamais posé comme
principe que l’empoisonnement ne s’appliquait pas aux transmissions volontaires du VIH. Il
faut préciser à sa décharge que de nombreuses interrogations viennent perturber la réflexion
juridique. D’une part, l’acte sexuel, qui est ici au cœur du débat, est difficilement perceptible
comme un acte pouvant empoisonner quelqu’un. Quand on pense empoisonnement dans le
langage commun, c’est le cyanure, la ciguë, l’amiante mais pas le sperme, qui nous vient à
l’esprit. D’autre part, quand on pense crime, on pense à une intention de nuire, ce qui semble
absent d’un acte sexuel consenti. Mais le juriste ne s’embarrasse pas en théorie de
considérations morales. Et pourtant, ces deux obstacles se retrouvent aujourd’hui pour les
deux éléments définissant l’empoisonnement, à savoir l’élément matériel : l’emploi ou
l’administration de substances de nature à entraîner la mort ; et l’élément moral : l’intention
criminelle.
2.1.1. Elément matériel
En matière d’empoisonnement, l’élément matériel de l’infraction est composée d’une
substance, qui doit être administrée. Ce volet de la qualification pénale reste très en retrait au
sein de la doctrine juridique par rapport au débat qui porte sur l’intention. Il semble que sous
couvert des réponses apportées antérieurement par la jurisprudence, le débat sur
l’administration ait été écourté dans le cas des transmissions volontaires. Une reprise des
différents éléments s’impose cependant. Avant cela, il faut préciser que l’empoisonnement est
une infraction formelle, c’est-à-dire une infraction qui punit l’emploi de certains moyens
indépendamment de leur résultat. Pour résumer, l’infraction vise le simple « attentat », donc il
n’est pas nécessaire pour que l’infraction soit commise que le résultat (le décès de la victime)
soit obtenu.
•
2.1.1.1. L’administration
La jurisprudence et la doctrine ont toujours été unanime sur ce point : l’acte
d’administration peut prendre n’importe quelle forme4. La substance pourra être administrée
par voie buccale, respiratoire, cutanée, anale, et également vaginale. La substance mortelle
doit avoir été introduite par un vecteur quelconque dans l’organisme. L’administration par le
sperme ou le liquide séminal émis lors d’un rapport sexuel rentre donc dans la définition de
l’empoisonnement.
De plus, il n’est pas nécessaire que la contamination soit effective. Comme on l’a noté,
l’empoisonnement est une infraction formelle, qui ne nécessite pas de résultat. Dans le cas des
contaminations par voie sexuelles, il y a lieu de préciser les différentes possibilités : en
premier lieu, il peut y avoir contamination avérée, et dans ce cas on est dans une situation
d’empoisonnement caractérisée ; en deuxième lieu, il peut y avoir eu contact avec du sperme
infecté, mais la victime n’a pas été infectée et dans ce cas, il y a également administration ;
enfin, il peut y avoir eu contact avec du sperme non infecté, et dans ce cas, on peut parler de
tentative d’administration, et donc de tentative d’empoisonnement. La différence entre les
deux dernières situations est difficile à établir.
4
J. Pradel et M. Danti-Juan, Droit Pénal spécial, Cujas 2004, p. 77
5
•
2.1 .1. 2. La substance mortifère
Ce caractère mortel de la substance fait aujourd’hui débat au sein de la doctrine5.
Traditionnellement, la substance utilisée doit être objectivement mortelle. Le reste est
indifférent, sa composition pouvant être solide, liquide, gazeuse… S’agissant de virus, on cite
souvent un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 18 juillet 1952. Cette
référence pourrait s’appliquer parfaitement à la transmission du VIH si celle ci ne se faisait
pas par voie sexuelle. En effet, l’arrêt précité s’applique à une inoculation d’un bacille. Mais
la jurisprudence a toujours considéré que le fait que VIH soit administré via le sperme ne
posait pas de difficultés s’agissant de l’administration.
Le caractère mortel du VIH reste d’actualité, même si des évolutions ont pu apparaître,
grâce à l’avènement des tri thérapies. Cependant, il ne faudrait pas confondre maladie et
soins. Si on meurt moins rapidement du sida, c’est grâce justement à ces tri thérapies, et pas
parce que la nature du virus a changé. Le fait que l’infection à VIH n’entraîne la mort que de
façon indirecte (via les infections opportunistes au stade sida) n’est pas pris en considération
par les tribunaux.
2.1.2. Elément moral
L’empoisonnement est une infraction intentionnelle. Cela étant posé, il convient de
définir plus en avant cette affirmation. En droit pénal français, il n’y a point de crime ou de
délit sans intention de le commettre (article 121-3 Code pénal). Cette plongée dans la
psychologie du délinquant s’avère difficile, car il y a autant d’intention qu’il y a d’auteurs.
Pour résumer, on peut définir l’intention en deux étapes. A un premier stade, l’intention
signifie conscience du geste volontaire. A un deuxième stade, plus avancé, l’intention signifie
volonté d’obtenir le résultat. Cette intention de tuer (on parle d’animus necandi) se surajoute à
la conscience du geste. Dans le cadre de l’homicide, on distingue ainsi entre l’homicide
simple ou meurtre (article 221-1 du code pénal), où l’intention de donner la mort est présente,
et les coups et blessures volontaires ayant entraînés la mort sans l’intention de la donner
(article 222-7 du code pénal), où l’auteur a simplement eu conscience du geste et a agi
volontairement, mais n’a jamais voulu obtenir la mort de la victime. On parle dans ce cas
d’homicide praeter intentionnel, c’est à dire que le résultat obtenu n’entrait pas dans les plans
de l’auteur de l’infraction. Son action a dépassé sa pensée.
Appliquée à l’empoisonnement, cette difficulté de l’intention apparaissait rare. Dans
les crimes d’empoisonnement, le mobile de l’empoisonneur étant souvent la succession de
l’empoisonné, on comprend que la mort était recherchée. Cette intention de donner la mort se
combinait d’ailleurs avec l’utilisation d’une substance mortelle. Cependant, les affaires du
sang contaminé ont fait ressurgir des situations où les responsables avaient laissé circuler des
produits qu’ils savaient mortels, mais dans le but de soigner le plus d’hémophiles possible. Il
était ainsi difficile de déceler une intention de faire mourir des patients, mais il était clair que
les responsables connaissaient le caractère mortel du produit et l’avaient distribué en toute
connaissance de cause. On arrivait ainsi à une dichotomie entre les deux stades de l’intention.
La question se posait dans ces termes : pour qualifier la transmission du VIH lors de relations
sexuelles d’empoisonnement, faut il simplement que l’auteur ait eu connaissance du caractère
mortel du produit et ait agi en connaissance de cause, ou bien faut il en plus que l’auteur ait eu
l’intention de tuer ? En ce qui concerne le VIH, le problème a commencé à émerger dans une
décision de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 2 juillet 1998. La doctrine s’est
5
Voir D. Mayer, « La notion de substance mortelle en matière d’empoisonnement », Dalloz 1994, chron. 325 et
A. Protais, « le sida ne serait-il plus, au regard du droit pénal, une maladie mortelle ? », Dalloz 2001, chron.
2054.
6
déchirée sur les conséquences à déduire de cet arrêt, entre les partisans de la nécessaire
intention homicide et les tenants du caractère spécifique de l’empoisonnement avec la simple
conscience homicide. Finalement, c’est un arrêt de la même chambre criminelle du 18 juin
2003 qui a statué en faveur de l’intention homicide. Selon la formule consacrée, il faut ajouter
au dol général un dol spécial. Comme le souligne l’arrêt, « le crime d’empoisonnement ne
peut être caractérisé que si l’auteur a agi avec l’intention de donner la mort, élément moral
commun à l’empoisonnement et aux autres crimes d’atteinte volontaire à la vie de la
personne ». L’empoisonnement relève ainsi d’une logique de mort, pas d’une logique de
risques. Cette position va à l’encontre de nombreux auteurs, pour qui le résultat de l’acte
(c’est à dire le décès de la victime) ne faisant pas partie de la matérialité de
l’empoisonnement, la volonté d’obtenir ce résultat ne peut faire partie de son élément moral6.
2.1.3. Bilan
L’empoisonnement répond à une logique d’atteinte volontaire à la vie d’autrui. Plus
que la conscience d’administrer un poison mortel, il faut caractériser une volonté délibérée
d’obtenir la mort de l’individu, peu importe que ce résultat soit obtenu ou non puisque
l’empoisonnement est une infraction formelle.
Cette position jurisprudentielle semble aller à l’encontre des travaux préparatoires à la
reforme du code pénal. En effet, si l’incrimination spéciale d’empoisonnement a été
maintenue en 1992 à l’initiative du Sénat, c’est parce qu’elle « apparaît particulièrement
évidente dans la situation sociale actuelle puisque, semble-t-il, on pourrait y recourir pour
condamner la transmission intentionnelle du sida7 ». De même, « en supprimant
l’incrimination d’empoisonnement, on prive le juge d’un moyen de punir un nouveau type de
crime peu connu : le crime d’un sidéen qui transmet volontairement sa maladie. En conservant
l’incrimination, on donne au juge la possibilité, par équivalent ou par analogie, de punir ce
type de crime »8. A coté des erreurs d’appréciation ( il est impossible d’agir par analogie en
droit pénal, doit on encore le rappeler ), on voit que la philosophie de l’époque était de
rechercher la responsabilité pénale des séropositifs contaminateurs sur la base unique de
l’empoisonnement, sans distinction au niveau de la psychologie active ou passive de l’auteur
de la transmission. On considérait alors que l’indifférence à donner la mort par administration
d’un produit dont on sait qu’il peut donner la mort était aussi blâmable que l’intention de tuer.
Le séropositif contaminateur était perçu au pire comme un maniaque désireux de « plomber »
le maximum de partenaires, au mieux comme un « jem’enfoutiste », insensible au sort de la
personne contaminée, ces deux attitudes devant être considérée comme des crimes.
La position jurisprudentielle sur l’empoisonnement évite cette assimilation. Seule la
personne qui souhaite contaminer est passible de l’incrimination d’empoisonnement. Les
autres situations (indifférence, mais également déni de la maladie, déni du caractère mortel de
la maladie, impossibilité de dire de peur de couper le lien affectif…) ne relèvent pas de cette
incrimination.
6
Voir M.L. Rassat, Droit pénal spécial, Dalloz, 2001, n°267.
Rapport de la commission sénatoriale des lois, n° 295, 18 avril 1991, par C. Jolibois, p. 40.
8
P. Clément, 2ème séance du 20 juin 1991, JOAN CR, p.3448.
7
7
2.2. Autres qualifications criminelles envisageables
Les autres qualifications criminelles envisageables offrent peu d’intérêt par rapport à
ce qui vient d’être précisé pour l’empoisonnement. On citera pour mémoire l’homicide simple
(ou meurtre), l’homicide par préméditation (ou assassinat). Ces crimes nécessitent tous
l’élément moral de l’intention homicide, mais leurs éléments matériels sont inadaptés pour
intégrer la transmission délibérée du VIH.
3. La qualification délictuelle
Le débat sur l’empoisonnement a longtemps occulté les autres possibilités de
poursuites, constituées par les délits. Ce refus de considérer les autres possibilités participait
de la logique de mort implacable qui accompagnait systématiquement le sida dans les
mentalités des années 1990-1995. La transmission du VIH ne pouvait être qu’un crime, crime
qui appelait une réponse exemplaire. Pourtant, les délits d’atteintes volontaires à l’intégrité
physique de la personne recouvrent une variété non négligeable. A la suite du refus de
condamner les transmissions par VIH sur le fondement de l’empoisonnement, les associations
de lutte contre le sida ont considéré, à tort, que le débat juridique était clos, que la pénalisation
n’était qu’un lointain souvenir. Comme toujours, la réalité rattrape vite les positions naïves, et
le débat s’est retrouvé relancé par une condamnation prononcée par la Cour d’appel de Rouen
et rendue le 22 septembre 1999 sur le fondement du délit d’administration de substances
nuisibles. Cette première condamnation est restée longtemps isolée car les circonstances de
l’affaire étaient particulièrement cruelles, l’auteur ayant falsifié un test de dépistage pour
obtenir le consentement de sa partenaire à des relations sexuelles non protégées. Mais une
nouvelle condamnation, sur le même fondement juridique, a été prononcée par la Cour
d’appel de Colmar le 4 janvier 2005.
Quatre délits sont envisageables : l’administration de substances nuisibles, qualifié
parfois de mini empoisonnent, la non assistance à personne en danger, le délit de violences
involontaires, et le délit de risques causés à autrui.
3.1. Les Atteintes volontaires : l’Administration de Substances Nuisibles (ASN)
L’administration de substances nuisibles est un délit créé en 1832 pour compléter
l’empoisonnement, qui ne s’appliquait qu’à des substances mortelles. Cette infraction reste
cependant une infraction matérielle (donc non formelle), en ce sens que le résultat (l’atteinte à
l’intégrité physique) doit être obtenu. On ne peut donc être poursuivi pour administration de
substances nuisibles si la personne, bien qu’ayant reçu la substance, ne développe aucune
réaction pouvant lui être préjudiciable. La tentative n’est pas punissable, puisque celle-ci doit
être prévue expressément par le code pour les délits. L’article 222-15 soumet l’administration
de substances nuisibles au même régime que les violences volontaires, définies par les articles
222-7 à 222-14. Ce renvoi se comprenait lorsque ces articles traitaient des « coups et
blessures », qui excluaient l’administration de substances. Aujourd’hui que ces articles parlent
de « violences », ce terme générique recouvre l’administration, et rend l’article 222-15 inutile.
Cependant, des éléments constitutifs doivent être réunis : un élément matériel, et un moral.
8
3.1.1. Elément matériel de l’ASN : la substance nuisible
Tout comme l’empoisonnement, l’administration de substances nuisibles présente les
mêmes caractéristiques techniques. Il est nécessaire qu’un produit soit administré. Cette
administration peut revêtir toute forme : voie orale, buccale, cutanée, et sexuelle. La question
se corse s’agissant de la nature de la substance. Celle ci doit être nuisible, mais l’article 22215 n’en donne aucune définition. Pour la doctrine, il s’agit de tout produit de nature à
provoquer un dommage corporel à l’exclusion de ceux qui pourraient entraîner la mort. Le
sida rentre-t-il dans cette catégorie ? Il semble que si le VIH est une substance d’avantage
mortelle que simplement nuisible, l’impossibilité de poursuivre quelqu’un ayant transmis le
VIH pour le crime d’empoisonnement (hors le cas où la personne souhaitait la mort de sa
partenaire) a conduit les magistrats à retenir la deuxième solution. Le VIH est une infection
mortelle, on peut donc considérer, a minima, que c’est une substance nuisible. Tel pourrait
être le raisonnement des juges de Rouen et Colmar. Mais dans les deux cas, il convient
d’observer que cette substance doit avoir des conséquences sur l’intégrité physique. Le renvoi
de l’article 222-15 aux articles 222-7 à -14 complique les choses. Ces articles prévoient une
gradation de la peine en fonction de l’atteinte physique et de circonstances aggravantes. Une
personne qui commet des violences risque une peine de prison plus importante si ces
violences ont conduit à une mutilation permanente plutôt qu’à une incapacité de travail de
moins de huit jours. S’agissant de la transmission du VIH substance nuisible, il semble que
les juges considèrent que la contamination, si elle est réalisée, conduit à une mutilation ou une
infirmité permanente (article 222-9 code pénal), passible de 10 ans de d’emprisonnement et
de 150 000 euros d’amende. Enfin, il convient de préciser qu’un lien de causalité doit exister
entre l’administration des produits et le dommage. Cela peut être une source de difficultés
s’agissant des contaminations par le VIH, car il faudrait établir que la victime a bien été
contaminée par la personne poursuivie. Ce qui pourrait amener à inspecter la vie sexuelle de
la victime, en vérifiant qu’elle n’a pas eu d’autres relations sexuelles non protégées
antérieurement ou pendant sa relation avec le prévenu. Allant plus loin, on pourrait exiger que
soit prouvée la parenté des souches virales. Bref, on risque de voir apparaître un débat
d’experts sur la scène juridique. La cour de Colmar n’a pas jugé utile de procéder à une telle
recherche, en relevant que cela est totalement aléatoire, compte tenu des facultés de mutation
permanente du VIH.
3.1.2. Elément moral de l’ASN
L’ASN, comme tout délit, nécessite que soit relevée l’intention chez l’auteur de
commettre ce délit. Mais classiquement, en ce qui concerne les violences volontaires, il suffit
que l’auteur ait eu la connaissance ou la conscience d’accomplir un acte illicite (ce que l’on
appelle un dol général). La circonstance que l’auteur n’ait pas voulu le dommage est
indifférente : il n’est pas exigé que l’auteur ait voulu commettre les violences pour faire
mal exprès. On cite ainsi traditionnellement l’exemple d’un ouvrier qui, pour plaisanter, a
appliqué l’extrémité d’un tuyau d’air comprimé sur le fondement d’un camarade. Les mobiles
importent peu et l’acte de violence doit être conçu et exercé avec la conscience de sa brutalité
et de son danger à l’égard des personnes, et la volonté cependant de le commettre.
Appliquées à l’ASN, ces considérations rendent nécessaires la constatation d’une
administration volontaire et en connaissance de cause d’une substance nuisible. L’intention de
nuire pourrait être déduite de la seule acceptation consciente du danger que les substances
seraient susceptibles de faire courir à la victime.
9
Le Tribunal correctionnel de Strasbourg et la Cour d’appel de Colmar ont statué dans
cette voie, mais de manière succincte. Les juges ont relevé que Christophe Morat avait
connaissance du caractère nuisible de la maladie par le fait de connaître sa séropositivité et de
la nécessité de suivre un traitement : « le prévenu ne pouvait ignorer les risques de
contamination par une maladie incurable ». Et ils avaient préalablement retenus que le
comportement du prévenu était volontaire, en se fondant sur plusieurs élément. D’une part, le
prévenu reconnaissait avoir eu des relations sexuelles avec les victimes, en toute connaissance
de cause, et sans révéler sa séropositivité. Cette abstention est considérée comme fautive par
les juges. D’autre part, ceux-ci se sont fondés, de manière plus étonnante, sur la multiplicité
des risques que le prévenu encourageait en entretenant des relations multiples. Enfin, et de
manière toute aussi étonnante, les juges se fondent sur l’attitude malveillante du prévenu qui
n’avait que peu de considérations pour ces jeunes femmes exposées au virus et qui avait
pourtant encouragé un climat de confiance (mariage, enfants…) afin d’obtenir des relations
sexuelles non protégées. Ce dernier élément, bien qu’il soit juridiquement surabondant,
semble avoir été déterminant dans la solution. Or il suffisait que les juges caractérisent un acte
volontaire, et pas un acte de manipulation. Cependant, cette manipulation (renforcée par la
prétendue allergie au latex) justifie sans doute le quantum de la peine, fixée à 6 ans, alors que
le prévenu en risquait 10 au maximum. Pour autant, cette malveillance semble n’avoir pas eu
lieu de la même manière pour les deux jeunes femmes. Pour la première, il y avait une
relation protégée, puis des relations non protégées en raison du climat de confiance instauré
par le prévenu. Pour le seconde jeune fille, les relations n’ont pas été protégées dès le départ.
3.1.3. Bilan
On peut donc observer que le débat sur le caractère volontaire de la transmission a été
occulté par la manipulation dont a fait preuve le prévenu pour obtenir des relations sexuelles
non protégées. Il y avait pourtant matière à discussion. En effet, le caractère volontaire de
l’administration est perturbée par le fait que la transmission du virus s’opère par le biais d’un
liquide biologique. La contamination est indirectement volontaire. Il y aura parfois des cas où
l’auteur du dommage aurait voulu tout faire pour empêcher que le virus soit présent dans les
liquides biologiques (sperme ou sécrétions vaginales), et parfois des cas où l’auteur aura agi
dans l’indifférence la plus totale. Le caractère volontaire de la transmission s’apprécie
d’autant plus mal qu’au final, l’acte responsable de la transmission n’est pas un qu’un acte
positif, c’est aussi un acte d’abstention. Ce peut être la non divulgation de la séropositivité au
sein d’une relation de confiance et non protégée préexistante par la crainte du rejet, comme ce
peut être l’ « oubli » de la protection dans une relation débutante. Dans ces deux exemples, la
responsabilité morale est différente et semble être plus partagée a priori dans le deuxième cas
que dans le premier. En revanche, les décisions rendues récemment, en retenant
l’administration de substances nuisibles, ne font pas de distinction, et font peser l’entière
responsabilité pénale sur la personne qui connaissait sa séropositivité. Peu importe d’ailleurs
que la victime soit ou non consentante au refus de protection : cette circonstance, si elle a un
impact sur le dédommagement au plan civil, est sans incidence sur le plan pénal.
Il faut enfin noter que le résultat joue une place essentielle dans ce type d’infraction.
Ainsi, la personne séropositive qui se protège régulièrement mais qui contamine une personne
lors d’un des rares oublis de protection de sa part sera condamnée, alors même que celui qui
refuse toute protection mais qui ne contamine personne ne sera pas poursuivi. C’est la
situation de « la prime à la roulette russe ».
10
3.2. La non assistance à personne en danger.
L’article 223-6 punit de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende
« quiconque s’abstient volontairement de porter à une personne en péril l’assistance que, sans
risque pour lui ou pour les tiers, il pouvait lui prêter soit par son action personnelle, soit en
provoquant un secours ». Cette infraction vise à réprimer l’indifférence au sort d’autrui. Face
à un péril grave et imminent qui menace une personne, chaque personne ayant connaissance
de ce péril doit, s’il n’existe pas de risque à agir, porter secours. Ce secours doit être possible
et ne pas être dangereux. Le code pénal critique l’égoïsme, il ne prône pas l’héroïsme.
Cette infraction semble pouvoir être appliquée dans le cadre de la transmission
délibérée du VIH. Une personne ayant connaissance de sa séropositivité qui menace de
contaminer sa partenaire sexuelle pourrait lui faire courir un péril grave et imminent. Et serait
coupable si elle s’abstient de lui porter secours, notamment en ne se protégeant pas. Tout cela
reste cependant théorique, car la jurisprudence ne s’est encore jamais prononcé en ce sens.
Mais un rejet de la qualification d’ASN par la Cour de cassation pourrait conduire les
plaignants à agir dans cette voie.
La caractéristique de cette infraction est que le résultat ne devient pas une condition à
la poursuite. En effet, il importe peu que le péril auquel est exposé la victime se réalise ou
non. C’est l’abstention, l’indifférence au sort d’autrui qui est sanctionné, pas la contamination
en elle même. Cela permettrait de prendre en compte comme critère la répétition des non
protection, c’est à dire un comportement à risque caractérisé, et de poursuivre éventuellement
des personnes qui auraient des comportements à risque sans avoir effectivement contaminé
des partenaires.
3.3. Les Atteintes involontaires
Selon l’article 222-19 du code pénal, « Le fait de causer à autrui, dans les conditions et
selon les distinctions prévues à l'article 121-3, par maladresse, imprudence, inattention,
négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou
le règlement, une incapacité totale de travail pendant plus de trois mois est puni de deux ans
d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende ». Si l’incapacité de travail est inférieure à
trois mois, la peine est de un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.
Ce délit punit « la personne qui, ayant eu un comportement anormal par rapport à ce
que celui-ci aurait dû être, compte tenu de la situation dans laquelle elle se trouvait ou à
laquelle elle se livrait, a causé un dommage corporel à autrui sans l’avoir voulu, et même,
quelquefois, sans l’avoir prévu »9. On mélange ainsi des comportements très différents : la
maladresse, c’est à dire la faute de bêtise (un ouvrier qui laisse tomber son outil d’un
échafaudage sur un passant), et la négligence ou l’imprudence, c’est à dire l’activité qui est
sciemment mal faite mais dont l’auteur ne se rend pas compte des conséquences
dommageables ou en accepte le risque (ouvrier qui jongle avec ses outils sur un échafaudage
et qui blesse un passant).
Cette extrême diversité des comportements peut se retrouver dans le cadre de la
transmission consciente du VIH. S’agissant de la négligence ou de l’imprudence, elle permet
de condamner des personnes qui auraient eu conscience de leur maladie, mais qui aurait
accepté le risque de ne pas protéger la partenaire séronégative et de la contaminer. On
retrouve l’attitude négligente que l’on avait perçu dans le délit de non assistance à personne
9
M.L. Rassat, Droit pénal spécial, Dalloz, n° 299
11
en danger. Mais ici, le résultat (la contamination de la personne) est nécessaire. En revanche,
ce délit pourrait permettre de condamner la personne qui n’a pas connaissance formelle de son
infection, mais qui, par ses activités à risques, a conscience d’avoir été éventuellement
contaminée. Cette hypothèse serait alors très dépendante de l’appréciation du juge sur la
valeur quantitative et qualitative des risques acceptés. En visant la maladresse, le texte
pourrait même être utilisé pour sanctionner des accidents dans des rapports protégés :
éclatement du préservatif mal posé par une personne avec des ongles tranchants, rapport
protégé suivi d’une éjaculation faciale touchant les muqueuses oculaires… Toutes les
situations sont envisageables, ainsi que tous les combats d’experts qui s’en suivraient.
L’inconvénient de cette infraction, c’est donc qu’elle englobe des attitudes
moralement différentes : celle de la contamination délibérée lors de relations sexuelles (une
personne se sachant séropositive qui, sans vouloir transmettre le virus, accepte et a conscience
qu’un tel risque puisse arriver) comme celle de la contamination accidentelle par maladresse.
L’avantage, c’est que la faiblesse relative de la peine d’emprisonnement autorise l’application
plus facilitée des mesures de personnalisation de la peine comme le sursis avec mise à
l’épreuve, ou le sursis assorti de l’obligation d’accomplir un travail d’intérêt général10. Ces
mesures ne sont applicables que pour des peines d’emprisonnement ou de réclusion inférieure
à cinq ans. Elles offrent au condamné une possibilité de suivi médical ou social, sous la
responsabilité d’un travailleur social. Dans le cadre de la transmission délibérée du VIH, cela
permettrait de faciliter la réinsertion d’une personne vivant dans le déni de sa maladie ou du
caractère mortel de sa maladie.
3.4. Le délit de risques causés à autrui
Ce délit est défini à l’article 223-1 du code pénal comme « le fait d’exposer
directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une
mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d’une
obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement est puni
d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende ». Cette infraction ne peut cependant
s’appliquer en matière de transmission délibérée du VIH. Celle-ci suppose en effet l’existence
d’une obligation de sécurité ou de prudence. Or aucune loi ou règlement n’impose le port du
préservatif lors de relations sexuelles.
Bilan
L’arsenal pénal semble être suffisamment conséquent.
Une loi spécifique n’apparaît pas nécessaire.
La prévention ne peut être faite par les tribunaux
10
article 132-29 à –57 du code pénal.
12
Tour Mirabeau
39/43 Quai André Citroën
75015 Paris
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La pénalisation de la transmission du VIH :
les cas à l’étranger et les discussions
Novembre 2004
Les décisions sources de discussions ............................................................................. 2
Canada .................................................................................................................... 2
•
Les faits ...................................................................................................... 2
•
L’arrêt de la Cour suprême......................................................................... 3
Ecosse..................................................................................................................... 3
Angleterre............................................................................................................... 3
Les termes des débats ..................................................................................................... 4
Le droit pénal et la lutte contre le VIH.................................................................. 4
Les conséquences de la pénalisation sur la prévention .......................................... 5
Les limites d’une procédure pénale relative à la transmission du VIH.................. 5
La portée des décisions .......................................................................................... 6
1
Les dispositions relatives à la pénalisation de la transmission du VIH varient selon les Etats,
allant du refus de toute disposition spécifique (Canada, Afrique du Sud) à la définition
d’infractions spécifiques (certains Etats australiens) en passant par la pénalisation de la
propagation de maladie sans référence explicite au VIH (Argentine, Mexique, Suède).
Même si les droits diffèrent d’un Etat à l’autre, les arguments échangés éclairent les
différents aspects de ce problème. Du fait de facteurs favorables à une réflexion approfondie
(Canada) ou de la proximité entre une décision récente avec une autre très ancienne
(1888/2003, Angleterre), quelques décisions suscitent de nombreux commentaires qui
constituent l’essentiel des discussions argumentées sur le sujet. Cette note présente ces
quelques cas de référence et les discussions qu’ils suscitent.
Les décisions sources de discussions
Canada
Dans la littérature consacrée à la pénalisation de la transmission du VIH, l’arrêt Cuerrier
rendu par la Cour suprême du Canada est le plus souvent cité. Son importance dans les débats
sur la pénalisation s’explique en partie par le travail de diffusion de l’information du Réseau
juridique canadien VIH-sida. L’expertise de ce service bilingue est reconnue et utilisée par de
nombreuses associations dans le monde. Rédacteur des commentaires sur cet arrêt pour ce
réseau, Richard Elliott est aussi le rédacteur du document de l’Onusida consacré au droit
pénal et à la transmission du VIH. On peut donc considérer que le « cas canadien » et
l’analyse qui en est faite définit en partie les termes la réflexion au niveau international sur les
liens entre droit pénal, santé publique et transmission du VIH.
•
Les faits
En 1992, un homme connaissant son infection par le VIH a des relations sexuelles non
protégées avec une femme. Quelques mois après le début de leur relation, ils effectuent
ensemble un test de dépistage. La femme est séronégative et prend connaissance de l’infection
de son conjoint. Ils décident de poursuivre leur relation sans utiliser de préservatifs. Quelques
mois plus tard, il a des relations non protégées avec une autre femme qui lui dit être
préoccupée par les IST, mais il la rassure et lui cache son statut. Les deux femmes n’ont pas
été infectées. Les documents disponibles ne permettent pas d’établir qui a décidé de
poursuivre Cuerrier, mais l’arrêt Cuerrier parle des « plaignants », ce qui laisse supposer que
ce sont les deux femmes concernées.
Les discussions suscitées par l’affaire Cuerrier portent sur la divulgation de la séropositivité
aux partenaires. Lors du premier procès, en Colombie Britannique, Cuerrier a été accusé de
« voie de fait » : la non-divulgation est une « fraude » qui rend invalide sur le plan juridique le
consentement des partenaires aux relations sexuelles.
La défense a avancé que le consentement des plaignantes, au contraire, ne permet pas
d’établir d’infraction. La défense étant entendue par le tribunal, le ministère public a fait
appel. Les cinq juges de la Cour d’appel de Colombie Britannique rejettent l’appel en
reconnaissant qu’il « semble curieux de se servir du droit criminel en matière de voie de fait
pour tenter d’inciter les gens à avoir des rapports sexuels moins risqués ».
2
•
L’arrêt de la Cour suprême
Le ministère public s’est donc tourné vers la Cour suprême du Canada en 1998. L’arrêt de la
Cour porte uniquement sur la question de savoir si la non-divulgation de la séropositivité par
une personne séropositive peut être considérée comme de la fraude.
Le raisonnement de l’arrêt de la Cour suprême est le suivant :
L’accusé a commis un acte qu’une personne raisonnable considérerait comme malhonnête ;
Le plaignant a subi un préjudice, ou un risque de préjudice, en raison de cette malhonnêteté ;
Le plaignant n’aurait pas consenti à l’acte sans la malhonnêteté de l’accusé.
Ainsi, s’articulent la divulgation du statut et les pratiques plus ou moins à risque. La nondivulgation est considérée comme une fraude, le partenaire ne peut partager de responsabilité
car la non-divulgation rend invalide le consentement :
« Il ne peut y avoir de consentement véritable s’il n’y a pas eu divulgation par l’accusé de sa
séropositivité. Le consentement qui n’est pas fondé sur la connaissance d’importants facteurs pertinents
n’est pas valide »1.
La nécessité de la divulgation est évaluée en fonction du risque de préjudice, en l'occurrence
un « risque important de préjudice grave ». En fin, il doit être prouvé un lien de causalité entre
la non-divulgation de son statut par la personne infectée et le consentement à des rapports
non-protégés par le partenaire.
Ecosse
En 1993, Stephen Kelly accepte un test de dépistage du VIH organisé dans la prison de
Glenochil en Ecosse où il purge une peine. L’échange d’un matériel d’injection de drogue a
été à l’origine de la contamination de 13 personne dans ce lieu, dont lui. A sa sortie de prison,
il a une relation suivie avec une femme qu’il n’informe pas de son infection. A la suite d’une
demande de celle-ci, il a répondu qu’il n’était pas nécessaire d’utiliser des préservatifs. Elle a
été contaminée. En février 2001, la Haute Cour de Glasgow a condamné Stephen Kelly. Il a
été convaincu d’avoir causé des blessures par négligence et condamné à cinq années
d’emprisonnement.
Angleterre
Le 14 octobre 2003, Mohamed Dica a été convaincu « d’avoir causé par deux fois [deux
femmes ont été infectées] des blessures graves par malveillance et en contravention à la loi »2.
Cette incrimination en Angleterre a été utilisée auparavant en 1888 contre un homme qui se
savait infecté par une gonorrhée transmise à sa femme qu’il n’avait pas informée. Le 3
novembre, Mohamed Dica a été condamné à 8 années d’emprisonnement au total : 3 ans et
demi pour un cas et quatre an et demi pour l’autre. La décision est actuellement en appel.
Comme Stephen Kelly, il a été condamné pour avoir convaincu ses partenaires de l’absence
d’intérêt à utiliser un préservatif.
1
Arrêt Cuerrier cité dans Elliott R., Après l’arrêt Cuerrier : le droit criminel canadien et la non-divulgation de
la séropositivité, Réseau juridique canadien, non daté.
2
« Unlawfully and maliciously inflicting grievous bodily harm »
3
Les termes des débats
Les textes qui abordent la pénalisation de la transmission du VIH émanent d’OIG3,
d’associations communautaires4 ou sont publiés dans des revues scientifiques5. Tous partagent
les même interrogations et se répondent. On peut distinguer plusieurs axes de réflexion : la
place du droit pénal dans la lutte contre le VIH ; les conséquences sur la prévention du recours
au droit pénal ; les difficultés d’une procédure pénale dans ce domaine ; la portée de la
pénalisation au-delà de la prévention.
Le droit pénal et la lutte contre le VIH
Les discussions portent en premier lieu sur l’antagonisme entre la logique du droit pénal et
celle de la lutte contre l’épidémie d’infection à VIH. Le principal objectif défendu par
l’ensemble des publications est la prévention de la diffusion du virus. C’est dans cette
perspective que les différentes fonctions du droit pénal sont évaluées. Le droit pénal remplit
plusieurs fonctions : neutraliser le contrevenant pour l’empêcher de nuire pendant
l’incarcération, modifier son comportement, punir ses méfaits, dissuader les personnes
d’adopter des comportements répréhensibles.
•
L’incarcération ne permet pas de limiter la diffusion du VIH : il est établit que la prison et
un lieu de pratiques à risque qu’il s’agisse de l’injection de drogues ou de relations
sexuelles.
•
L’éducation à la prévention suppose une compréhension des causes du comportement à
risque, rien ne permet de dire que la prison serve cette éducation.
•
La sanction pénale traduit la réprobation de la société à l’égard d’un comportement jugé
moralement condamnable. L’intention de nuire trouve ici une punition qui semble
légitime.
•
La dissuasion suppose une démarche rationnelle : la personne ne commet pas d’acte
répréhensible de peur de la condamnation et de l’incarcération. En matière de transmission
du VIH lors de relations sexuelles, la rationalité semble assez peu présente. La crainte de
l’infection devrait être un facteur de dissuasion plus fort que l’incarcération contre
l’adoption de pratiques à risques.
Justifié pour sanctionner des comportements visant à nuire, le droit pénal n’apparaît pas être
un outil de lutte contre l’épidémie de VIH.
3
Elliott R, Droit pénal, santé publique et transmission du VIH. Etude des politiques possibles, Genève, Onusida,
2002.
4
Réseau juridique canadien, “Commentaire sur la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans R. c.
Williams (18 septembre 2003) ; Elliott R., Après l’arrêt Cuerrier : le droit criminel canadien et la nondivulgation de la séropositivité, Réseau juridique canadien ; Réseau juridique canadien, Criminal law and
hiv/aids : strategic consideration. A discussion paper, august 2000, AIDSlaw project. ; National AIDS Trust,
Criminalisation of HIV transmission in the UK, 2 septembre 2004. ; Executive Committee on Aids Policy &
Criminal Law, Detention or prevention. A report on the impact of the use of criminal law on public health and
the position of people living with HIV, Pays Bas, 1er mars 2004.
5
Chalmers J., “The criminalisation of hiv transmission”, J Med Ethics, 2002 ; 28 : 160-163. ; Bennett R., Draper
H., Frith L., “Ignorance is bliss ? HIV and moral duties and legal duties to forewarn”, J Med Ethics, 2000 ; 26 :
9-15. ; Bird S., Leigh Brown A., “Criminalisation of Hiv transmission : implications for public health in
Scotland”, BMJ, 2001 ; 323 : 1174-1177. ; Danziger R., “An epidemic like any other ? Rights and
responsaibilities in HIV prevention”, MBJ, 1996 ; 312 : 1083-1084.
4
Le second argument avancé pour s’opposer à la pénalisation de la transmission du VIH est la
pénalisation de la seule transmission du VIH parmi de nombreux autres virus. On peut lire
ainsi que « Isoler le VIH dans les procédures criminelles est injustifiable cliniquement,
stigmatisant et discriminant. Tout cadre légal doit s’appliquer à toute maladie transmissible,
au moins aux IST6 ».
Les conséquences de la pénalisation sur la prévention
Après les considérations sur l’antagonisme entre le droit pénal et la santé publique, les
documents développent les conséquences possibles de la pénalisation sur la politique de
prévention.
•
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•
•
•
La stigmatisation : la pénalisation de la transmission du VIH renforce la stigmatisation des
personnes infectées en faisant d’elles des criminels en puissance ;
Une utilisation inappropriée du droit pénal risque d’encourager la propagation d’idées
fausses sur les modes de transmission du VIH. Des personnes séropositives ont été
poursuivies au pénal pour avoir craché, mordu ou griffé alors que le risque de
transmission selon ces modes est faible ou inexistant. Ces poursuites annihilent les efforts
d’éducation du public sur le VIH ;
La crainte des poursuites dissuade de recourir au dépistage ;
La confiance des personnes vivant avec le VIH envers leurs interlocuteurs va diminuer de
peur d’un non-respect de la confidentialité (médecins, personnel de santé ou travailleurs
sociaux) ;
La pénalisation peut susciter un sentiment erroné de sécurité favorisant un moindre
respect de la prévention par ceux qui se pensent séronégatifs.
Les limites d’une procédure pénale relative à la transmission du VIH
Plusieurs arguments soulignent des difficultés que représente la définition des responsabilités
de la transmission du VIH lors d’une relation sexuelle. La connaissance de l’infection par la
personne mise en cause est difficile à déterminer car les personnes poursuivies peuvent ne pas
comprendre que leur conduite est susceptible de causer du tort. Etablir la nature des relations
entre les personnes est aussi malaisé, la communication lors des relations sexuelles étant
complexe.
Une faute peut être qualifiée selon trois niveaux : intention, imprudence, négligence. La
poursuite pénale d’une transmission intentionnelle du VIH lors d’une relation sexuelle est
justifiée. Les autres qualifications sont plus délicates à utiliser. Les personnes vivant avec le
VIH font l’objet d’une stigmatisation importante qui peut conduire à qualifier plus sévèrement
leurs comportements.
Il existe ainsi un risque d’utilisation du droit pénal pour stigmatiser des groupes de population
fragiles (migrants, prostitués) dans le cadre de poursuites sélectives. Toute personne
appartenant à un groupe désigné serait considérée comme adoptant de fait des pratiques à
risques répréhensibles et donc susceptible d’être poursuivie. Par ailleurs, certaines personnes
ont été condamnées pour avoir adopté des comportements irréfléchis (reckless). Cette
qualification peut recouvrir des comportements très variables comme avoir des relations
6
National AIDS Trust, Criminalisation of HIV transmission in the United Kingdom, 2 septembre 2004, p. 2.
5
sexuelles non protégées en connaissant son statut ou adopter des pratiques à risques sans
jamais chercher à connaître son statut.
La définition des conduites répréhensibles devient alors nécessaire et suppose de considérer le
risque de transmission et d’exposition. Le dommage (transmission) ne peut être condamnable
sans pénaliser aussi la mise en danger d’autrui (l’exposition).
Dans le cas de relations librement consenties, deux situations doivent être distinguées car la
tromperie en vue d’obtenir le consentement de relations non-protégée ne peut être assimilée
au silence. Même en cas d’ignorance du statut de son partenaire, du fait de son silence, une
personne conserve sa capacité à décider d’adopter ou non des pratiques à risque. Dans le cas
de la tromperie, la capacité de décision est altérée par le mensonge. Toutefois, la divulgation
du statut au partenaire est difficile du fait de barrières culturelles ou par la crainte du rejet.
Dans le cas d’agressions physiques, le comportement du contrevenant constitue le délit et son
infection ne peut être qu’un facteur aggravant. Cependant, toutes les agressions physiques ne
comportent pas le même risque de transmission qui doit par conséquent être pris en compte.
En effet, si les gestes qui ne présentent pas un risque important de transmission (crachats,
griffures) font l’objet de poursuites et de condamnations pénales, celles-ci perdent leur sens
de peines afflictives ou infamantes en mettant sur un plan d’égalité celui qui a volontairement
transmis le VIH et celui qui aura craché sur une personne. Il existe des risques de
disproportion de la sanction si l’accusation est fondée sur le statut sérologique et non sur la
conduite.
Dans tous les cas, les sanctions pénales doivent être réservées aux conduites faisant courir un
« risque significatif de transmission ». La Cour suprême du Canada qui a utilisé ce terme n’a
bien sûr pas défini dans son arrêt ce qu’elle entendait par « risque significatif ».
La portée des décisions
L’arrêt Cuerrier repose sur un raisonnement dans lequel la divulgation représente un élément
important de l’évaluation de la part de responsabilité. Cela conduit Richard Elliott à
s’interroger sur l’implication que cela peut avoir dans des situations de risque de transmission
autres que les relations sexuelles : lors d’un partage de matériel d’injection ; lors de la
transmission de la mère à l’enfant ; lors d’actes médicaux.
Il s’agit bien entendu d’envisager jusqu’où peut aller la pénalisation : attaquer le médecin qui
aura respecté le secret médical ; pénaliser la prise de risque qui ne s’accompagne pas de la
recherche d’une éventuelle contamination ; poursuivre le soignant qui transmet le VIH à un
patient qu’il n’aura pas informé de son statut ?
6
République française
Conseil national du sida
Santé publique et transmission du VIH
Depuis quelques mois, des procédures judiciaires relatives à la transmission du VIH lors de
relations sexuelles font l'objet de débats dans les médias et chez les intervenants dans le domaine
de la lutte contre le VIH. Certains demandent d’inscrire la pénalisation de cette transmission dans
la loi. Conscient de l’importance du débat pour la santé publique, le Conseil national du sida a
engagé un travail de réflexion sur ce sujet. Dans ce cadre, le CNS souhaite recueillir les positions
des acteurs de la lutte contre le VIH. A cette fin, il vous soumet ce questionnaire afin que vous
puissiez lui faire part de votre contribution, sous forme écrite, pour le vendredi 28 octobre
2005 au plus tard. Plus que des prises de positions, dont la succession n’a pas pour l’instant
permis de trancher le débat, le CNS souhaite que vos réponses soient argumentées, de manière
brève et synthétique.
1° Votre association a-t-elle déjà débattu de ce sujet ? Dans l’affirmative, quelle position a-t-elle
adoptée ?.
2° D’après vous, quels peuvent être les effets de ces procédures judiciaires en cours et à venir sur
la prévention du VIH/sida en France, le dépistage, l’information aux partenaires, la
stigmatisation, etc.
3° Pensez-vous qu’il faille ajouter aux dispositions déjà prévues dans le code pénal une
disposition spécifique sur la transmission du VIH/sida (voir texte ci-joint) ?
4° Que pensez-vous de la notion de responsabilité partagée ? Peut-elle servir à la fois un discours
collectif de prévention et la responsabilisation individuelle des personnes ?
Annexe
Dispositions existantes du code pénal pouvant s’appliquer la transmission du VIH/sida :
Article 222-19
Le fait de causer à autrui, dans les conditions et selon les distinctions prévues à l'article 121-3,
par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité
ou de prudence imposée par la loi ou le règlement, une incapacité totale de travail pendant plus
de trois mois est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30000 euros d'amende. En cas de
violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence
imposée par la loi ou le règlement, les peines encourues sont portées à trois ans
d'emprisonnement et à 45000 euros d'amende.
Article 222-15
L'administration de substances nuisibles ayant porté atteinte à l'intégrité physique ou psychique
d'autrui est punie des peines mentionnées aux articles 222-7 à 222-14 suivant les distinctions
prévues par ces articles.
Dans les affaires de Rouen et Colmar les juges ont retenu que la contamination conduit à une
mutilation ou une infirmité permanente (article 222-9) : Les violences ayant entraîné une
mutilation ou une infirmité permanente sont punies de dix ans d'emprisonnement et de 150000
euros d'amende.
Article 223-6
Quiconque pouvant empêcher par son action immédiate, sans risque pour lui ou pour les tiers,
soit un crime, soit un délit contre l'intégrité corporelle de la personne s'abstient volontairement de
le faire est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75000 euros d'amende. Sera puni des mêmes
peines quiconque s'abstient volontairement de porter à un personne en péril l'assistance que, sans
risque pour lui ou pour les tiers, il pouvait lui prêter soit par son action personnelle, soit en
provoquant un secours.
25 juin 1991
Avis sur la pénalisation de la dissémination d'une maladie transmissible épidémique
Le Conseil national du sida, interrogé par les autorités compétentes, a suivi avec une très grande
attention les récents débats autour de la réforme du code pénal. L'amendement n° 302 à l'article 22218 adopté par le Sénat le 24 avril 1991 propose, dans le cadre des atteintes involontaires à l'intégrité
de la personne, de condamner à trois ans d'emprisonnement et à une amende de trois cent mille
francs, "toute personne consciente et avertie" qui aurait "provoqué la dissémination d'une maladie
transmissible épidémique" par un "comportement imprudent ou négligent". Bien que cette disposition
ait été supprimée par l'Assemblée nationale le 20 juin 1991, le Conseil national du sida estime
nécessaire de faire connaître son avis sur la question de fond qui est au cœur de ce débat.
Pénaliser la transmission du sida serait une erreur dans le contexte du fonctionnement actuel de la
société française, et ce pour les raisons suivantes :
1. Ainsi que l'ont déjà souligné de nombreux commentateurs, la pénalisation de la transmission
supposerait pour être applicable des investigations extrêmement poussées dans la vie privée des
individus afin d'apporter des éléments de preuve. Le secret médical lui-même pourrait être mis à mal.
2. D'autres articles du code pénal existent qui suffisent pour condamner au besoin des comportements
criminels visant sciemment à nuire à autrui.
3. Cette pénalisation fait reposer toute la responsabilité d'une relation sexuelle sur un seul des
partenaires. Or tout rapport sexuel suppose une responsabilité partagée.
4. En dissuadant tout un chacun de se préoccuper de son état sérologique et d'adopter une attitude
responsable, la pénalisation irait à l'encontre de l'objectif mis en avant par les auteurs de
l'amendement et ferait ainsi obstacle aux politiques de prévention.
5. Dans ces conditions, la pénalisation n'aurait d'autre effet qu'une stigmatisation supplémentaire des
personnes souffrantes, ce qui est contraire à la tradition de ce pays.
Note : Le Conseil national du sida a rappelé son opposition à une pénalisation de la transmission du
sida dans un communiqué diffusé le 29 octobre 1991, à la suite de l'adoption, en deuxième lecture, du
même amendement.
ONUSIDA
UNAIDS Reference Group on HIV and Human Rights, Seventh meeting 12-14 February 2007
Issue paper for the session : Criminalization of HIV transmission
Tra : document thématique pour la session : criminalisation de la transmission du VIH
Synthèse ; Genève : Onusida ; 3 p.
http://data.unaids.org/pub/BaseDocument/2006/070216_HHR_3_Criminalization.pdf
ONUSIDA, Genève
Droit pénal, santé publique et transmission du VIH : Etude des politiques possibles
Rapport ; Genève : ONUSIDA ; 2002/06 ; Coll. : Meilleures pratiques ; 56 p.
Résumé : Ce document propose une réflexion sur la question de savoir si le droit pénal et les
poursuites judiciaires constituent une réponse adaptée de la société aux conduites débouchant
sur une transmission ou un risque de transmission du VIH.
http://data.unaids.org/Publications/IRC-pub02/JC733-CriminalLaw_fr.pdf
-
OMS
OMS (Organisation Mondiale de la Santé). Bureau régional de l'Europe, Copenhague
WHO technical consultation in collaboration with the European aids treatment group
and aids action Europe on the criminalization of HIV and other sexually transmitted
infections, Copenhagen, 16 october 2006
Trad : Consultation technique de l'OMS en collaboration avec le European aids treatment
group et Aids Action Europe sur la criminalisation du VIH et autres infections sexuellement
transmises
Acte de colloque ; 2006 ; 32 p. ; liste d'adresses
Résumé : Ce rapport condensé donne le résultat de la première consultation technique ayant
réuni les représentants d'organisations de 8 pays (Europe et Canada) sur le thème de la
criminalisation de la transmission du VIH et autres IST. Un examen des différents aspects de
la question (transmission ou exposition au risque de transmission, exposition intentionnelle,
évaluation du niveau de risque, consentement, impact sur la santé publique...) amène les
participants à faire des recommandations quant aux précautions à prendre en cas de gestion
pénale des cas de transmission sexuelle du VIH et à proposer des alternatives. En annexe, les
expériences de quelques pays sont présentées.
http://www.euro.who.int/Document/SHA/crimconsultation_latest.pdf
Ce rapport comporte une intéressante bibliographie anglophone sur la question.
-
OSISA/ARASA
OSISA (Open Society Initiative for Southern Africa), Johannesburg ; ARASA (AIDS and
Rights Alliance for Southern Africa), Windhoek
Report on the Arasa/Osisa civil society consultative meeting on the criminalisation of the
wilful transmission of HIV 11&12 june 2007
Trad : Rapport de la réunion Arasa/Osisa consultative de la société civile sur la
criminalisation de la transmission volontaire du VIH 11 et 12 juin 2007
Acte de colloque ; 2007 ; 27 p. ; liste d'adresses
Résumé : Ce document rend compte des débats ayant réuni des membres de la société civile
issus de pays de la SADC (Southern African Development Community) sur l'opportunité de
pénaliser la transmission volontaire du VIH. Le premier atelier tente de définir le problème,
en réfléchissant sur la notion de comportement nuisible en lien avec le VIH et sur les
contextes pouvant favoriser la transmission du VIH (stigmatisation des PVVIH, vulnérabilité
liée au genre...).
Le second atelier fait le point sur les solutions légales déjà mises en œuvre au sein de la
SADC (utilisation du droit existant ou législation spécifique).
Suivent les arguments favorables à la criminalisation, puis les arguments qui s'y opposent, et
enfin une réflexion sur les solutions alternatives. En conclusion, un travail est amorcé pour
tenter d'aboutir à un consensus au niveau de la société civile sur la question.
En annexe, la liste complète des participants est fournie avec leurs e-mails et numéros de
téléphones.
http://www.arasa.info/publications.php
UNAIDS Reference Group on HIV and Human Rights
Seventh meeting | 12-14 February 2007
3
ISSUE PAPER FOR THE SESSION:
Criminalization of HIV transmission
Defining the Issue
1. In 2002, UNAIDS issued a policy options paper on criminal law, public health and
HIV transmission that outlined principles that should guide policy development in
the area of the criminalization of HIV transmission and exposure. Recently, there
have been indications that the criminal law is increasingly being applied in such
cases. Countries where such cases have been recorded include Holland,
Denmark, Sweden, the United Kingdom, as well as other countries in Europe and
Central Asia. Furthermore, there have been recent examples of countries
developing or amending their criminal laws to include HIV transmission or
exposure, e.g. in Uganda and Niger. In the United Kingdom, the Crown
Prosecution Service is currently developing policy to guide prosecutions related
to the transmission of HIV and other sexually transmitted infections.
2. The increased use of the criminal law in cases of HIV transmission/exposure
raises a number of previously expressed concerns, primarily that it represents a
return to “blaming” people living with HIV, a possible increase in stigma against
people living with HIV, and a possible decrease in people taking individual
responsibility for protecting themselves. The criminalization of HIV transmission is
also a matter of concern in light of the need and trend to increase access to
testing and to knowledge of status in order to achieve universal access to HIV
prevention, treatment and care and support. People might decline an offer for
HIV testing in health settings, be less inclined to seek the services of VCT clinics,
and/or be less inclined to discuss their HIV status with sexual and drug-injecting
partners - if they fear application of the criminal law. There also remain, in the
criminal prosecution of HIV transmission/exposure, very difficult issues of proof,
knowledge, intent, and discriminatory application of law.
Background
3. Coercion, compulsion and restriction have been part of a public health approach
to communicable diseases. In the case of HIV, this approach has been rejected
as ineffective and abusive. Instead, there has largely been a rights-based
approach emphasizing human dignity, responsibility, voluntariness, and
empowerment through access to health information, services and community
support and participation. This approach recognizes that responsibility for sexual
health is shared between the individual and the State.
4. In this context, the application of criminal law to HIV transmission/exposure has
been seen as inappropriate and counterproductive to public health goals. In the
2002 UNAIDS policy option paper it was stated that “Criminal prosecution, as the
most coercive and stigmatizing of measures, should be reserved for those cases
where public health interventions have not succeeded in achieving the objective
of preventing further HIV transmission” (page 39). In October, 2006, WHO
Europe convened, in collaboration with the European AIDS Treatment Group and
AIDS Action Europe, a technical consultation on the criminalization of HIV and
other sexually transmitted infections to consider recent developments regarding
Tuesday,
13 February 2007
10.00 – 11.00
Criminalization of HIV transmission
This issue paper was prepared to facilitate discussion at the seventh meeting
(February 2007) of the UNAIDS Reference Group on HIV and Human Rights. It
does not necessarily reflect the views of the Reference Group, the UNAIDS
Secretariat or the Co-sponsors of UNAIDS.
page 1
UNAIDS Reference Group on HIV and Human Rights
Seventh meeting | 12-14 February 2007
the application of the criminal law. This consultation and other discussions have
highlighted a number of outstanding issues.
Some issues that require greater clarification
5. Is HIV specific legislation ever justified? In the UNAIDS policy options paper
and in the International Guidelines on HIV and Human Rights, it is recommended
that “Criminal and/or public health legislation should not include specific offences
against deliberate and intentional transmission of HIV but should rather apply
general criminal offences to these exceptional cases”. At the WHO Consultation,
this position was supported, although it was also acknowledged that HIV specific
legislation might be justified by the “legality principle” which requires that, before
imposing punishment, the law must clearly delineate which conduct is prohibited.
Further, it was noted that while HIV legislation may be stigmatizing, the
prosecutions themselves are also stigmatizing, whatever the legal basis.
6. Should the criminal law be applied to “exposure to transmission”, or only
“actual transmission”? It has been recommended that the application of
criminal law should be limited to cases of actual HIV and STI transmission, as the
law might extend too broadly if it were to criminalize all instances of exposure to
HIV and STI infection. Further, it has been argued that the per-act risk of infection
is too low to justify the application of criminal law. However, by limiting the
application of criminal law to transmission, it could be argued that acts of
recklessness, which might justify criminal sanction, are not covered. Questions of
knowledge, intent and consent become critical in such application.
7. Should the criminal law be applied only to “intentional infection” or also to
“recklessness” or “negligence”? While there seems to be consensus that
intentional exposure/transmission of HIV should be liable for criminal sanctions, in
most of the cases where HIV positive persons have been convicted, the
conviction has been based on a finding that the person acted recklessly. It has
been argued that, if the law provides criminal liability for reckless conduct, the
prosecuted person should have been diagnosed prior to the conduct in question,
and the conduct should carry significant risk of transmission.
8. Can there be “consent” to exposure to HIV, and if so, how to define it? It
has been argued that there is no justification for criminal prosecution for
transmission of/exposure to HIV in cases where there was consent on the part of
sexual/drug-injecting partner. How does one define “consent” in the context of
exposure to HIV and does the HIV positive person have a legal (or moral)
obligation to disclose his or her sero-status? Active deceit can be seen to
undermine the autonomy of the sexual/drug-injecting partner who seeks to
minimize his or her risk by basing his or her decisions on information provided. In
some countries, HIV positive people are obligated to disclose their status or to
practice/insist on practicing safer sex. This issue also raises the circumstances
where the HIV positive person “justifiably” does not disclose status for fear of
violence or other negative consequences.
Questions for discussion
Tuesday,
13 February 2007
10.00 – 11.00
Criminalization of HIV transmission
This issue paper was prepared to facilitate discussion at the seventh meeting
(February 2007) of the UNAIDS Reference Group on HIV and Human Rights. It
does not necessarily reflect the views of the Reference Group, the UNAIDS
Secretariat or the Co-sponsors of UNAIDS.
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UNAIDS Reference Group on HIV and Human Rights
Seventh meeting | 12-14 February 2007
a) What is the best way for UNAIDS to help provide guidance in this area? What is
the best way to reach consensus on the difficult issues raised above?
b) Should a system be established by which to monitor developments in relation to
prosecution of and legislation regarding exposure to/transmission of HIV, and if
so, who is best placed to do it?
c) How can people living with HIV, other civil society groups and parliamentarians
be best mobilized/supported to take on this issue?
Supporting document
ƒ WHO Europe: “WHO technical consultation in collaboration with the European
AIDS Treatment Group and AIDS Action Europe on the criminalization of HIV and
other sexually transmitted infections” October, 2006.
References
ƒ
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ƒ
Moono Nyambe: “Criminalization of HIV transmission in Europe” GNP+, 2005.
UNAIDS: “Criminal Law, Public Health and HIV Transmission – A Policy Options
Paper”, 2002.
Executive Committee on AIDS Policy and Criminal Law: “Detention or
prevention? – a report on the impact of the use of criminal law on public health
and the position of people living with HIV” Amsterdam, 2004
Matthew Weait and Yusef Azad: “The criminalization of HIV transmission in
England and Wales: questions of law and policy”, in HIV/AIDS Policy and Law
Review vol.10/2, August 2005.
WHO Europe: “WHO technical consultation in collaboration with the European
AIDS Treatment Group and AIDS Action Europe on the criminalization of HIV and
other sexually transmitted infections” October 2006.
Tuesday,
13 February 2007
10.00 – 11.00
Criminalization of HIV transmission
This issue paper was prepared to facilitate discussion at the seventh meeting
(February 2007) of the UNAIDS Reference Group on HIV and Human Rights. It
does not necessarily reflect the views of the Reference Group, the UNAIDS
Secretariat or the Co-sponsors of UNAIDS.
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