Transcription - Musée des beaux

Transcription

Transcription - Musée des beaux
Arthur Renwick
Merci [rires]. Je viens juste de discuter avec Steven Loft, qui est conservateur ici. Je trouve vraiment passionnant qu’on me demande de parler de son travail [sur cette exposition]. J’ai plein de choses qui me passent par la tête à cet instant. En fait, c’est la première fois que je vois cette exposition. Je fais de l’art depuis plus de vingt ans maintenant, de l’art sur le thème des Premières Nations, et c’est vraiment formidable de voir dans ces salles nombre des œuvres qui ont tant d’importance pour moi depuis tant d’années. Beaucoup de mes héros sont accrochés sur ces murs et c’est vraiment un grand honneur pour moi de participer à cette exposition. Alors, merci Steve, merci Andrea : j’apprécie vraiment. Andrea Kunard est conservatrice au Musée canadien de la photographie contemporaine. C’est vraiment extraordinaire de voir aussi les œuvres de Robert Houle pas loin d’ici parce que lui et moi parlons depuis longtemps de l’art des Premières Nations, de la manière dont il traverse l’histoire et de ce qu’il devrait être dans l’idéal. Et cette idée est exposée, ici, maintenant. C’est vraiment phénoménal [rires]. Arthur Renwick – Transcription
Pour commencer à parler de ces œuvres, je dois dire qu’elle a en fait une longue histoire. Elle m’a été inspirée par un autre ensemble d’œuvres que j’ai réalisées : une série de paysages du Dakota du Sud. J’ai organisé une exposition intitulée Delegates: Chiefs of the Earth and Sky, une série de photos de paysages s’appuyant sur une certaine histoire de l’Amérique du Nord. Il s’agit du Traité du Fort Laramie, dans le Dakota du Sud. L’inspiration m’est aussi venue d’un livre intitulé The North American Indian. La couverture de ce livre montrait une photo de Red Cloud, un chef sioux de Dakota. Son image est omniprésente. On la voit partout aux États‐Unis, sur des t‐shirts, des affiches, des timbres poste et sur la monnaie. En feuilletant ce livre, j’ai vu toutes ces images montrant de magnifiques guerriers et chefs indiens des Plaines. J’ai été frappé parce qu’à un moment j’ai vu un guerrier à l’allure féroce, tenant un bâton et fixant directement l’objectif de l’appareil photo. J’ai tourné la page et j’ai vu ce même guerrier assis, portant une tunique et un turban blancs, mais il avait l’air abattu. D’après le petit texte de légende sous la photo, il s’agissait du chef (commentaire inaudible) qui venait d’être capturé pour avoir participé à une révolte et qui allait 2
être pendu. Il y avait ce contraste entre ces deux images et aussi les photos dont je parlais tout à l’heure, celles qu’on appelle les photos des délégués et qui ont été prises aux États‐Unis entre les années 1850 et les années 1890. Cette série de photos a été prise à l’époque où le gouvernement des États‐Unis, le président Lincoln mais aussi ses prédécesseurs et ses successeurs, rassemblaient de nombreux chefs indiens qui parcouraient le territoire indien. Une grande partie des États‐Unis était « étiquetée » territoire indien et aucun homme blanc ne pouvait y entrer parce qu’ils se nourrissaient de bisons et c’était en quelque sorte un territoire sur lequel les Indiens pouvaient se déplacer en toute liberté et vivre à l’écart de tout contact. Le gouvernement américain déployait des efforts concertés pour déplacer un grand nombre de ces personnes, des Indiens… depuis leur territoire vers des réserves. C’était à l’époque de la création des premières réserves. Il y avait beaucoup de réunions. Ce qui se passait, c’est qu’on allait là‐bas, qu’on faisait monter les chefs dans un train et qu’on les amenait à Washington, DC. On les invitait à la Maison‐Blanche, on leur servait des vins et des repas dignes de rois et on leur faisait comprendre que la civilisation occidentale prenait le pouvoir sur le continent et qu’il était vraiment important pour eux qu’ils signent ces traités. Cette période pendant laquelle les chefs ont été amenés à la Maison‐Blanche, photographiés par les photographes officiels du gouvernement, interviewés et consultés par l’entremise d’un traducteur a duré longtemps. Il fallait traduire tout ce qui était dit et l’ensemble de ces conversations a été en principe placé dans la bibliothèque du Congrès – tout se trouve dans ces archives. En principe, toutes les discussions sur les traités sont archivées là‐bas. Je regardais ces photos et j’essayais de comprendre cette série sur ces délégués et cette histoire. J’ai trouvé que la méthode de documentation était vraiment intéressante mais, en même temps, ces photos de délégués ont fini par créer le modèle même de l’Indien des Plaines, à cheval et paré de sa coiffure de guerre… Cela a créé, a contribué à créer le stéréotype de l’Indien que nous connaissons aujourd’hui. Cette histoire, je l’ai trouvée vraiment fascinante. J’ai commencé à lire le livre intitulé Bury my Heart at Wounded Knee et j’y ai vu beaucoup des mêmes photos, ces portraits étaient dans le livre mais au fil des chapitres … Ce qu’ils ont fait, ce que l’auteur a fait…je crois que c’était D. Brown… D. Brown était l’auteur. En 3
fait, il s’est rendu à la bibliothèque du Congrès et a pris les transcriptions des conversations et en résumé, il a utilisé leurs mots pour écrire l’histoire de la perte de l’Ouest par les Indiens. C’était vraiment une histoire assez triste et tragique et donc je l’ai lue et j’ai été fasciné par le fait que ce texte donne littéralement la parole à toutes les photographies de cette série. J’ai trouvé cela très émouvant. J’ai décidé de continuer la série de photos; j’ai délaissé les paysages pour m’aventurer dans les portraits. Je suis originaire de la côte Ouest de la Colombie‐Britannique, en fait d’un petit village de pêcheurs sur la côte Nord‐
Ouest. J’y suis né et j’y ai vécu jusqu’à mes dix neuf ans. Mon frère aîné est sculpteur. Il sculpte des masques dans le style de la côte Ouest. Cela m’a vraiment inspiré de le voir revenir à cette tradition, son travail est vraiment remarquable et j’ai trouvé que c’était vraiment motivant de le regarder sculpter. J’ai pensé que peut‐être je pourrais créer des photos s’apparentant à des masques et photographier beaucoup de mes semblables sous un certain format. J’ai donc réfléchi à tout cela et j’ai commencé à en parler aux gens et beaucoup des personnes que vous voyez sur ce mur évoluent dans le monde des arts visuels. Nombre des personnes qui sont sur ce mur appartiennent d’une manière ou d’une autre au monde des arts, ils sont acteur, auteur, conservateur, archéologue ou comédien. Beaucoup sont mes amis et je leur ai parlé de mon idée de faire cette série de portraits des peuples de Premières Nations. Au fil des conversations, j’ai commencé à leur demander s’ils connaissaient des situations où ils pensaient que le fait d’être Indien avait orienté d’une certaine façon le choix de leur métier, ou encore s’ils avaient déjà décidé de ne pas accepter tel ou tel emploi à cause d’un stéréotype très négatif. Nous avons discuté de ces idées et les gens avaient toujours une petite histoire à raconter. Chaque personne avait une histoire sur cette prise de conscience qu’elle a eue alors qu’elle essayait de faire un travail qu’on lui avait confié et qu’elle comprenait qu’elle ne pouvait pas le faire, qu’elle ne pouvait pas franchir cette ligne. Nous avons eu beaucoup de ces longues discussions sur les stéréotypes et leur signification. Et en fait, ce qui s’est passé, c’est que j’ai fini par installer l’appareil photo et que j’ai interrogé ces personnes et que nous avons parlé des expériences qu’elles avaient vécues, essentiellement dans leur profession. Puis, à un moment, je 4
leur ai demandé de regarder à travers la lentille de l’appareille photographique et d’imaginer que, de l’autre côté, il y avait toute l’histoire de ces stéréotypes dont nous parlions. Regarder à travers cet objectif, imaginer que l’histoire est derrière et, si possible, faire une expression faciale en réponse à cette histoire pour contester tout cela. Quelle serait alors cette grimace ? Voici donc l’histoire de cette série. Une chose que je trouvais vraiment importante était que toutes les personnes qui s’asseyaient devaient regarder droit dans la lentille de l’appareille photographique et se confronter au spectateur. Je voulais aussi vraiment que le plan de la photo soit serré et j’espérais que les visages seraient aussi grotesques que possible – mais je n’avais pas réellement de contrôle sur ce point, tout dépendait vraiment de leur envie et de la manière dont elles voulaient réagir face à cette histoire de stéréotype. J’ai utilisé un éclairage basique, similaire à celui qu’on choisirait pour photographier un masque de la côte Ouest. On éclairerait le masque des deux côtés; c’est une situation d’éclairage très similaire, avec simplement un arrière‐plan noir et le visage qui flotte dans cet espace. Une autre chose qui me semblait importante était que les images soient aussi grandes que possible. Compte tenu de la taille de cette salle, les images paraissent assez petites mais dans un espace plus confiné et lorsqu’il y en a vraiment partout dans la pièce… je trouve que c’est vraiment intéressant. Je connais un marchand d’œuvres d’art à Toronto. Il s’appelle Leo Kamen. Lorsque nous avons fait le vernissage de l’exposition, c’était… c’était un ensemble d’œuvres d’un nouveau genre pour moi, je n’avais jamais fait de portrait et j’étais donc très nerveux et je me demandais comment les gens allaient réagir à mon travail parce que beaucoup de ces œuvres montrent des grimaces ordinaires que les enfants ont l’habitude de faire, n’est‐ce pas ? Vous savez que les enfants font toujours des mimiques devant l’appareil photo… c’est amusant… c’est quelque chose de très connu. Mon inquiétude était que les gens ne prennent pas vraiment ces photos au sérieux, ce qui est arrivé ici et là, mais dans une salle toute pleine… j’ai vu cela au moment du vernissage… ma première inauguration, c’était pour des paysages, c’était un samedi après‐midi et la salle était bondée. Mais pour ce vernissage‐ci, tout le monde s’est déplacé au fond de la salle et l’espace a été laissé vide. Quand j’ai vu cela, j’ai compris que mon idée fonctionnait, que ces images mettaient les gens très mal à l’aise. Elles sont faites pour être intimidantes et conflictuelles, leur 5
échelle vous donne l’impression d’être tout petit… Cela crée une certaine prise de pouvoir pour les personnes des Premières Nations et c’est quelque chose que je m’efforce réellement de communiquer dans le type d’œuvres que je fais. Je veux voir une certaine prise de pouvoir. Lorsque les Autochtones regardent cette œuvre, ils rient. Ils la trouvent très amusante, c’est assez hilarant d’une certaine façon parce que non seulement ils connaissent les gens mais je pense qu’ils comprennent vraiment le sens qui se cache derrière l’œuvre. Je pense que d’une certaine manière, c’est vraiment repousser cette limite. La série à laquelle appartient cette œuvre s’intitule Mask, en référence aux masques de la côte Ouest mais pas uniquement. Il s’agit aussi d’une identité culturelle, une identité personnelle, c’est lié à la politique, à la spiritualité, aux rites, et à beaucoup d’autres choses auxquelles se rapporte le titre. En essence, le titre de chaque image correspond au prénom du modèle. Celle‐
ci, c’est Michael, qui est archéologue. Tom Hill est conservateur, Janii (commentaire inaudible) est actrice, Eden Robinson est auteure et Monique (commentaire inaudible) est actrice. Il y a beaucoup de choses qui se cachent derrière l’ensemble du projet, que l’on ne peut pas voir simplement en observant les choses à la surface, mais il y a vraiment beaucoup à découvrir derrière ces images. Je vais vous raconter une histoire. Cette première photo s’intitule Michael. Michael White est Ojibway de l’île Manitoulin mais c’est aussi mon voisin. Nous étions assis et nous discutions de la vie à Toronto et de tout ce que celle‐ci implique. Il faisait une maîtrise en anthropologie à l’Université de Toronto et il avait cet emploi d’été, à temps partiel, qui consistait à aller sur les chantiers de construction sur lesquels on avait découvert des ossements et à évaluer si ceux‐ci avaient plus de 500 ans. Il m’a raconté ce jour où on l’avait appelé sur un chantier et où il était descendu au fond d’un puits, avait ramassé un crâne et levé les yeux. Tout ce qu’il avait vu, c’étaient des hommes blancs casqués qui le regardaient et il ne voyait en eux que des dollars parce qu’il savait que s’il s’agissait des restes d’un être préeuropéen, ils devraient arrêter le chantier. Ce que feraient ces hommes, c’est reboucher le trou et en interdire l’accès. Ils n’y toucheraient pas, ne déplaceraient pas les ossements ou autre chose, ils laisseraient simplement la zone dans l’état trouvé et construiraient tout autour. Alors, dans ce lotissement… il a dit qu’on voyait souvent cela, un amas de logements vraiment 6
dense et soudain un simple petit espace de pelouse, sans rien dessus, même pas un parc ou un arbre et selon lui, cela veut généralement dire qu’il s’agit d’un cimetière. Donc, il était là avec ce crâne et il a compris que… il a dit que le crâne avait plusieurs milliers d’années et il a levé les yeux et vu ces gars. Alors, il a posé le crâne et a dit qu’il ne pouvait plus faire ça, que c’était mal. Il m’a raconté cette histoire et je lui ai dit « c’est bien… d’accord… c’est bien ». Je voyais bien qu’il était ému et je lui ai demandé : « As‐tu une expression faciale que tu pourrais partager avec nous ?… Regarde à travers la lentille de l’appareille photographique et fais quelque chose qui, selon toi, exprime le mieux ce que tu ressens à cet instant ». Et c’est ce qu’il a fait [rires]. C’était assez intense. Alors, oui, je pense que les autoportraits et les portraits au sein des communautés de Premières Nations constituent un thème intéressant et fascinant. Je crois qu’en tant que culture, les membres des Premières Nations ont été vraiment contrôlés par la terre à de nombreux égards, mais pas par eux‐mêmes… en dehors d’eux‐mêmes, par les films hollywoodiens ou plein d’autres choses du genre. J’ai été choqué lorsque je suis allé dans le Dakota du Sud, simplement en regardant la télévision. Il y a là‐bas une chaîne locale, une sorte de chaîne communautaire, qui passe des annonces étranges, du genre… atelier de tricotage à 17 heures au centre communautaire. Entre ces annonces, on montre des photos signalétiques, des jeunes autochtones pour la plupart, et on donne leur nom … Lucy Deerchaser est recherchée pour le vol d’un paquet de croustilles. Ce sont des choses vraiment bizarres mais il y en a beaucoup… on montre le visage de ces jeunes autochtones et cela ressemble aux avis de recherche pour des « criminels en fuite » mais pour des délits vraiment mineurs. C’était incroyable et il n’y avait que des Autochtones. Cela se passait à Rapid City – j’étais choqué – à deux pas du Mont Rushmore. Vous connaissez, les Black hills, un lieu immensément riche en histoire, Pine Ridge, Wounded Knee… ce grand massacre, la bataille de Little Bighorn qui s’est déroulée à proximité, Deadwood, la ville minière. Vous pouvez aller chez Wild Bill Hickocks, vous connaissez l’histoire et vous pouvez encore voir son tabouret. Vous pouvez remonter jusqu’au cimetière Boot Hill et voir la tombe de Wild Bill Hickocks surmontée de son buste juste à côté de… Était‐ce Calamity Jane ? À côté de lui ? Comme cette histoire très très bizarre et il y a cet immense amas de pierres tombales d’ouvriers chinois. 7
Ce sont tous des Chinois qui sont morts dans les mines. Il y a simplement cette étrange histoire de choses qui se sont passées, qui sont vraiment importantes dans l’histoire américaine et que l’on retrouve beaucoup moins dans l’histoire canadienne. Là‐bas, leur racisme est très visible, ici il est caché. D’une certaine manière, le racisme est très subtil au Canada. On s’enorgueillit d’être un pays libéral mais, à bien des égards, ce n’est pas vraiment le cas. J’ai visité les régions rurales de l’Ontario et de tout le Canada et, parce que je ne ressemble pas à un Autochtone, j’entends beaucoup de choses et j’entends les gens dire devant moi tout ce qu’ils pensent. Eh oui, le racisme existe bel et bien au Canada, qu’on en soit conscient ou non. Je ne dis pas cela pour vous qui êtes ici, mais là à l’extérieur il existe. Je suis certain que vous aussi vous l’avez déjà rencontré dans votre vie. Il existe d’une certaine façon et c’est vraiment choquant. Je me souviens, quand j’étais petit, mon grand‐père [et moi] avons fait ce voyage à Three Hills, en Alberta. Nous sommes allés à Calgary et même à cette époque les Indiens étaient interdits dans les bars. Il y a une histoire… vous savez que les femmes n’ont pas eu le droit de voter jusqu’en était‐ce 1967, ou 1960 je crois. Il y a beaucoup de choses pas si anciennes que cela, qui existent encore d’une certaine façon. Je pense que des expositions comme celle‐
ci, dont j’étais en train de parler… je me suis un peu écarté du sujet… elles sont vraiment passionnantes, c’est passionnant de voir autant d’artistes autochtones façonner leur propre vision du monde avec un appareil photo et l’accrocher au mur pour que tout le monde puisse y réfléchir. Un certain nombre d’histoires qui existent au sein de la communauté autochtone, pas seulement une idée, mais une multitude. Je fais un parallèle entre les langues des Premières Nations et l’Europe. Ainsi, si vous regardiez la répartition des langues dans tout le pays… Je veux dire que vous avez le cri, qui couvre en quelque sorte un vaste territoire. C’est comme le chinois, qui couvre aussi un vaste territoire. Ensuite, vous allez sur la côte Ouest et vous trouvez au moins 52 langues différentes, toutes dans une seule zone, ce qui ressemble à l’Europe de l’Ouest. Il existe beaucoup de types différents de langues dans une petite région concentrée, beaucoup de nations différentes et les gens nous mettent tous dans le même sac – si vous êtes Indien, on vous colle ce stéréotype. 8
En fin de compte, ce stéréotype n’existe pas et a été créé par les hommes blancs. J’imagine que ce qui est à l’origine de cette œuvre et de cette exposition, c’est en fait une volonté de reprendre ce regard et de retrouver le contrôle de nous‐mêmes, à nos propres conditions et sur nos propres territoires. Merci 

Documents pareils