Gestion publique, gouvernance et service public d`emploi

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Gestion publique, gouvernance et service public d`emploi
Gestion publique, gouvernance et service public
d'emploi : quelques éléments de réflexion
En Belgique, jusqu'aux années '70, le service public pour l'emploi (SPE) régule le
marché de l'emploi tant au plan collectif qu'au plan individuel. L'Etat oriente,
contrôle, assure la médiation et est commanditaire sur le marché du travail. Son rôle
est donc double : d'un côté, il réglemente et sanctionne ; de l'autre, il est médiateur.
Apparaissent au début des années '80, les signes massifs de la dégradation du
contexte économique et social avec notamment pour conséquence l'augmentation
de la part de la population en situation d'exclusion sociale et professionnelle.
L'accentuation et la redéfinition des plans de résorption du chômage, la
constitution du Fonds pour l'Emploi, les réformes de la législation chômage ou
encore le développement d'une variété de dispositifs visant à l'insertion
professionnelle sont quelques exemples de mesures prises en vue de juguler la
montée massive des inactifs mais aussi des signes précurseurs d'une lente mutation
des SPE et plus globalement de la Société.
En effet, le développement des technologies de l'information et de la
communication, le passage vers une activation (responsabilisation) plus intensive de
la politique sociale, l'adoption de la convention de l'Organisation internationale du
Travail (OIT) relative aux agences d'emploi privées, la mise en place de la Stratégie
européenne pour l'emploi (selon laquelle le développement des stratégies de
prévention et d'activation des demandeurs d'emploi passe entre autres par le
renforcement des services)… constituent, parallèlement aux évolutions du contexte
socioéconomique, autant de déterminants à la volonté d'une modernisation des
SPE. Celle-ci s'intègre dans le débat plus large de remise en cause de l'Etatprovidence et de l'émergence de la notion d'Etat social actif. Ce dernier se fonde
entre autres sur la mise en place d'une "nouvelle" gouvernance et d'une "nouvelle"
gestion publique, les deux étant sinon synonymes au moins intrinsèquement liées.
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Ainsi, depuis leur création en 1988, les services publics d'emploi régionaux, du fait
même de leur mission et de leur statut de service public, subissent des pressions
relativement importantes en provenance tant des décideurs politiques que des
interlocuteurs sociaux ou encore de leurs utilisateurs pour qu'ils apportent des
réponses plus efficaces, notamment en termes de rapidité, d'anticipation et/ou de
flexibilité, aux besoins détectés sur le marché du travail. Plus généralement, cette
pression signe aussi diverses évolutions conjointes telles que le rapprochement des
services, l'utilité publique, la collaboration public-privé, la régulation du marché,
notamment. En filigrane, il s'agit pour eux de trouver leur chemin à travers les
prémisses de ce que l'on nomme les logiques du marché.
Garants de l'égalité du droit à l'emploi et de la "juste" organisation du marché du
travail1, ces services publics régionaux d'emploi se sont progressivement
transformés en prestataires d'une offre de services de plus en plus personnalisés, et
ceci, dans le souci de répondre au plus près aux besoins des demandeurs d'emploi
et, secondairement, des entreprises. C'est ainsi qu'ACTIRIS procède au début des
années '90 à l'installation d'antennes locales, à la refonte du service de placement
devenant un service de conseil et à l'organisation d'un réseau coordonné d'ateliers
de recherche active d'emploi ou encore d'accueil des enfants des demandeurs
d'emploi participant à une action d'insertion.
Pilier majeur de la politique régionale d'emploi, le dispositif visant à l'insertion
socioprofessionnelle des personnes (les plus) menacées par le chômage de longue
durée est installé à partir de 1991 avec le soutien du Fonds social européen. Ce
dispositif, conventionné par ACTIRIS, tend alors à relier entre elles les matières
d'emploi, de formation, de guidance ou encore d'éducation permanente. Le
renforcement et la coordination des ressources des opérateurs locaux, l'organisation
de concertations au plan sous-régional entre acteurs du marché du travail …, sont
mis en avant, partant du principe (en pratique peu vérifié) que le soutien à ces
derniers contribue au déploiement d'actions d'insertion socioprofessionnelle mieux
ciblées sur les besoins des employeurs et, plus largement, qu'il participe au
développement local.
Si, en 1989, le client historique du SPE était avant tout le demandeur d'emploi,
aujourd'hui, ACTIRIS tend aussi à offrir une gamme de services spécifiques à
l'entreprise. La dimension sociale du SPE se complète de plus en plus d'une
dimension d'acteur du développement économique local et régional.
Cette réforme du SPE, dénommée aussi souvent modernisation2, vise, certes, à plus
d'efficacité mais aussi à plus d'efficience et de flexibilité, partant du postulat que
l'ouverture du marché (au sens large) vaut mieux que le monopole de marché. Le
passage d'un régime de monopole à celui de la mise en concurrence (plus ou moins
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De ces 2 principes découlent une série de responsabilités telles que la gestion des programmes de remise au
travail, la gestion des fonds publics destinés à la mise en œuvre de la politique d'emploi, la participation à la
gestion de l'assurance chômage, l'information sur le marché du travail, essentiellement.
Notamment dans la Stratégie européenne pour l'emploi à travers ses 7 lignes directrices, sortes d'objectifs
annuels.
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déclarée) de l'activité d'intermédiation sur le marché de l'emploi s'est accompagné
d'une légitimation du rôle de ses différents acteurs ainsi que d'une modification
dans les types d'intervention, entre autres du SPE. Ainsi, s'il est acquis qu'ACTIRIS
est le garant du bon fonctionnement du marché, la mise en œuvre de ce passage, à
travers la gestion mixte du marché de l'emploi, modifie radicalement sa
contribution à la politique régionale de l'emploi de même d'ailleurs que celle des
agences d'emploi privées et des opérateurs d'emploi du secteur privé non
marchand. Aujourd'hui, ACTIRIS est à la fois un acteur parmi d'autres acteurs
proposant ses services à des clients potentiels et le coordinateur des principaux
dispositifs d'aide à l'emploi.
Les missions visant à la satisfaction des clients et à la régulation3 optimale du
marché ont été négociées et formalisées dans un premier contrat de gestion négocié
en 2006 entre le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale et ACTIRIS
représenté par le Comité de Gestion paritaire et la Direction générale. Conclu pour
une période de 5 ans, ce contrat traduit les orientations des missions4, des services
et des activités d'ACTIRIS. Basé sur une série d'indicateurs de suivi et de
performance, l'état des lieux annuel des réalisations et résultats5 doit permettre
d'ajuster la stratégie et les projets de l'entreprise par rapport aux objectifs fixés dont
certains ont été quantifiés.
Par ailleurs, la volonté de la Région de mettre en place un outil moderne de gestion
comptable garantissant une bonne application du principe de séparation des
fonctions s'est traduite en 2006 par l'adoption d'une ordonnance organique portant
sur les dispositions applicables au budget, à la comptabilité et au contrôle. Cette
réforme ne modifie pas simplement les procédures budgétaires. Elle a une portée
bien plus grande dès lors qu'elle pose un cadre général vers plus de rigueur et de
transparence. Pour ACTIRIS, l'application de cette législation se traduit depuis
2008 par la mise en conformité des outils de gestion aux objectifs poursuivis par la
législation régionale.
La mise à niveau des outils publics telle que décidée par le Gouvernement de la
Région et les interlocuteurs sociaux lors de la mise en place des 3 axes stratégiques
du Contrat pour l'économie et l'emploi 2005-2010 constitue une autre
démonstration de cette volonté.
Outre les aspects liés à la réorganisation de la gestion des moyens financiers, cette
mise à niveau du SPE se décline essentiellement à travers la diversification de l'offre
de services et la réorganisation de la gestion des ressources disponibles. Les
manifestations les plus visibles de cette (r)évolution se trouvent probablement dans
l'orientation de la gestion de l'organisme vers les résultats ainsi que dans
l'accentuation de la décentralisation des services aux demandeurs d'emploi et dans
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Cette dernière se définit comme l'ensemble des méthodes et outils gérés par le SPE qui permettent d'assurer
la mise en œuvre efficace de la politique régionale de l'emploi et le bon fonctionnement du marché.
Trois catégories de missions : les missions organiques, les missions déléguées et les missions payantes.
On remarquera une certaine "confusion" entre démarché évaluative et suivi annuel des performances, qui
n'est pas propre à ACTIRIS.
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la contractualisation de certaines prestations définie juridiquement en 2008 par un
arrêté du Gouvernement régional portant sur les différentes formes de partenariat
qu'ACTIRIS peut conclure en vue de réaliser ses missions de service public.
Plus fondamentalement, la relation contractuelle, tant vis-à-vis du demandeur
d'emploi que de l'entreprise ou de l'intermédiaire du marché de l'emploi, tend
aujourd'hui à s'intégrer dans la démarche de fonctionnement d'ACTIRIS.
Conjointement, la gestion des ressources propres à l'organisme s'est, elle aussi,
transformée selon une logique similaire, entre autres à travers la modification de
plusieurs règlementations relatives à la situation administrative et pécuniaire du
personnel (telles que l'instauration de systèmes de primes pour certaines
prestations, l'évaluation par objectifs, la mobilité…).
L'enjeu permanent est de trouver et de maintenir un juste équilibre entre d'une part
le respect des procédures et des valeurs essentielles de service public et d'autre part
l'atteinte des objectifs (quantifiés) et les exigences de la performance. En d'autres
termes, il s'agit de faire émerger un modèle culturel favorable à l'interaction de
logiques difficilement conciliables a priori, l'une étant axée vers la mise à disposition
de services (de base) accessibles tandis que la seconde vise d'abord le renforcement
du rapport coût-efficacité. Et tel est bien l'une des clés du débat sous-jacent à la
question de la "gouvernance". Il ne saurait dès lors se réduire à de simples
jugements de valeur, à l'introduction de terminologies "porteuses" des modes du
moment (chercheur d'emploi, flexicurité, coach…). En outre, tant l'appropriation
des orientations que l'application optimale des méthodes et outils par les services
d'ACTIRIS, et indirectement par les partenaires, sont tributaires de la
reconnaissance et de la valorisation de la "culture" de service public6 telle qu'elle
s'est construite depuis la création de la Région. La volonté politique de "mettre à
niveau l'outil public" ne suffit donc pas, pas plus qu'une gestion des ressources
humaines par les seules notions de compétences et de performances, la
gestion/gouvernance publique étant un savant dosage de multiples facteurs.
La réforme du fonctionnement du service public d'emploi régional influe
directement sur les mécanismes de gouvernance7 de la politique régionale de
l'emploi à travers la mise au point de sa stratégie d'intervention et l'utilisation plus
ou moins concertée et/ou négociée des différents outils. Par ailleurs, elle est aussi la
manifestation du glissement important qui s'opère depuis la fin des années '90 en
lien avec l’intégration des objectifs européens et donc du cadre commun sous-
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Celle-ci trouve sa définition dans les procédures, les législations et les règles propres à la Fonction publique
ainsi que dans divers éléments non formalisés comme cela existe dans toute entreprise (sentiment
d'appartenance des salariés, image véhiculée, utilité...).
Selon le Toupictionnaire (issu du site La Toupie.org), la gouvernance désigne l'ensemble des mesures, des
règles, des organes de décision, d'information et de surveillance qui permettent d'assurer le bon
fonctionnement et le contrôle d'un Etat, d'une institution ou d'une organisation qu'elle soit publique ou privée,
régionale, nationale ou internationale.
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jacent à la stratégie européenne pour l'emploi8. Enfin, elle aura aussi à trouver son
chemin dans le dédale de la politique européenne en matière de services d'intérêt
(économique) général9…
Le développement et/ou le renforcement du travail en partenariat, et ce, dans un
souci de plus grande cohérence entre les acteurs, constitue un instrument de
pilotage intéressant car il s’agit de réussir à donner une légitimité plus grande au
travail mené sur base d’un partenariat plutôt que par chaque institution prise
séparément, en montrant que l’action conjointe est un facteur de réussite plus
important car l’incidence "politique" est elle-même plus grande. Tant ACTIRIS que
les institutions et les acteurs extérieurs doivent concilier leurs propres projets de
développement au profit d’un projet commun considéré comme stratégique,
porteur de croissance et de bien-être potentiels. Le principal facteur de réussite
réside dans la coordination, son organisation, ses moyens techniques et humains, sa
reconnaissance par l’ensemble des partenaires potentiels. De ce point de vue, la
diffusion d'une information de qualité fiable et utilisable, la transparence et la
simplification des procédures (entre autres en matière de contrôle des activités), une
clarification de la prise de décision démocratique, c'est-à-dire respectueuse des
instances représentatives mais aussi des "citoyens" (à travers la recherche de formes
innovantes de consultation par exemple), constituent, à n'en pas douter, les
premiers échelons d'une gouvernance digne de ce nom. En effet, la mise en place
d’un réel partenariat requiert l’élaboration d’un modèle dans lequel chacun agit dans
la conscience de son propre rôle et celui de l’autre.
Autrement dit, parlera-t-on encore de partenariat dans 10 ans ou plus
prosaïquement de parts de marché ? Jusqu'où ira l'instrumentalisation des acteurs
publics comme privés ? La mise en concurrence du secteur public avec le secteur
privé marchand et non-marchand est une réalité relevant d'un choix politique. Elle
produit en tous cas une multitude d'effets tant en termes de relation avec les
"clients" et avec les "partenaires pour l'emploi" qu'en termes de choix de
méthodologies de travail (mise en réseau ?, logique territoriale ?…) ou encore de
modalités de financement (forfait ?, gratification sur base des résultats ?...).
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Se réclamant d'une ambition à la fois d'augmentation de la cohésion sociale (égalité des chances) et de
responsabilisation de chacun dans l'exercice de ses droits et devoirs, cette Stratégie est intégrée depuis 2005
dans la Stratégie de Lisbonne (dont l'objectif d'ici 2010 est de faire de l'UE la zone la plus compétitive du
monde).
La transposition de la directive "services" dans le droit belge doit être finalisée pour le 28 décembre 2009.
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Sources bibliographiques
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l'activation : une réforme de l'Etat en France, publié dans "11emes Journées Internationales de
Sociologie du Travail, "Restructurations productives, précarisation, valeurs", London School of
Economics, London Metropolitan University, Londres 20-22 juin 2007, Londres : United
Kingdom, juillet 2007
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nouvelle donne du traité réformateur, Décembre 2007
Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et
social européen et au Comité des Régions : Opportunités, accès et solidarité: vers une nouvelle
vision sociale pour l’Europe du 21e siècle, COM(2007) 726 final, novembre 2007
Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et
social européen et au Comité des Régions : Proposition de programme communautaire de
Lisbonne 2008-2010, COM(2007) 804 final, décembre 2007
Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et
social européen et au Comité des Régions : Un agenda social renouvelé: opportunités, accès et
solidarité dans l’Europe du XXIe siècle, COM(2008) 412 final, juillet 2008
Commission européenne, Groupe interservices Développement urbain : Guide relatif à la
dimension urbaine des politiques communautaires pour la période 2007-2013 (1 et 2), juin 2007
Comité économique et social européen : Avis sur la "Gouvernance efficace de la stratégie de
Lisbonne renouvelée", ECO/OSL/233, décembre 2008
Eurocities : Evaluation comparative de la gouvernance de l'intégration dans les villes d'Europe,
leçons tirées du projet inti-cities, 2008
Observatoire bruxellois du Marché du Travail et des Qualifications : Note de travail relative à la
flexibilité et à la sécurité de l'emploi en Belgique, février 2008
OCDE : Examens de l’OCDE sur la gestion des ressources humaines dans l’administration
publique, Belgique, Administration fédérale, Administration flamande, Communauté française,
Région de Bruxelles-Capitale, Région wallonne, octobre 2007
OECD : Modernising Government : the Way Forward, septembre 2005
François-Xavier Merrien : La Nouvelle Gestion publique : un concept mythique, Lien social et
Politiques, n° 41, 1999
Programme National de Réforme 2008-2010, Belgique, document collectif sous la coordination
du SPF Emploi, Travail et concertation sociale, Octobre 2008
Rapport stratégique sur la protection sociale et l’inclusion sociale 2008-2010, Belgique, rapport
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