La pirogue du dark bush. Aperçus critiques sur l`histoire du

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La pirogue du dark bush. Aperçus critiques sur l`histoire du
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La pirogue du dark bush
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LA PIROGUE DU DARK BUSH
Aperçus critiques sur l’histoire du mouvement
Nagriamel au temps des Nouvelles-Hébrides
(Vanuatu)
par
Marcelin Abong
VKS PRODUCTION – VKS E PRESS
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Relecture
Caroline Tabani
Antoine Hochet
Première de couverture
© Marcelin Abong
Photo de couverture
Empilement de pierres sur l’emplacement « Onebulubulu »
à Nduindui © AM 1999
Quatrième de couverture
©Marcelin Abong
Vanuatu National Library Cataloguing - in-Publication Data
Abong, Marcelin 1973La Pirogue du Dark Bush. Aperçus critiques sur l’histoire du
mouvement Nagriamel au temps des Nouvelles-Hébrides
(Vanuatu)
ISBN 9789829032539
1. Vanuatu 2. Religion and Politics — Cults — Politics and
Government — History — Autonomy and Independance
Movements — History 20th century —Vanuatu Cultural
Centre
398.2099
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Je souhaite dédier ce livre à la mémoire du regretté Wilson
Viratabuel, premier instituteur de Vanafo, 1967. Avec
l’autorisation de son épouse Méline.
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REMERCIEMENTS
Je tiens à remercier tous ceux qui, de près ou de loin, ont
contribué à la réalisation de cet ouvrage :
Ma femme Abong Lisa Sapoa et mes enfants pour leur amour
et leur indéfectible confiance
Mme Sapoa Dalany
La regrettée Nelly James Vira Ura Garae Bakeo
James Vira Ura
Le vieux Seth Boe
Edwin Viramata
Le regretté Wilson Virataboel
Daniel Ngole
Charley Ngole
Jessy Toa
Lea Reret
Polinne
Andrew
Olsen Kae
Le regretté Along Bie
La famille James Garae Bakeao
Les Vieux de Longwalakesa Ambae
La famille Abong de la tribu Pnoamb
La Famille Stevens de Vanafo
Kolen et Esther Lopez
Marc et Caroline Tabani, dont les encouragements m’ont permis de finaliser cet ouvrage.
Merci encore à tous ceux dont les noms n’apparaissent pas
mais qui, en lisant ce livre se reconnaîtront.
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L’AUTEUR
Après des études universitaires effectuées en France, et une
licence d’ethnoarchéologie et anthropologie obtenue à la Sorbonne (Université Paris I), Marcellin Abong, citoyen niVanuatu originaire de l’île de Mallicolo, est revenu assumer
ses responsabilités professionnelles dans son archipel natal.
Enseignant du supérieur en Français, Histoire et Géographie
au Collège de Montmartre sur l’île d’Efate, puis au Lycée de
Luganville à Santo, il a été nommé, en 2007, Directeur du
Centre Culturel de Vanuatu à Port-Vila. Membre de la Commission Nationale du Vanuatu pour l’UNESCO, de la société
des Amis du Musée de Vanuatu et du Conseil des Arts Mélanésiens, il a effectué divers travaux de fouilles archéologiques
à Efate et Mallicolo, sous la direction du Mathew Spriggs, Professeur à l’Australian National University (ANU), ainsi qu’en
France dans le cadre du Groupe de Recherche dirigé par le Dr
Catherine Orliac, Directrice du Laboratoire d’Ethnobiologie,
Biogéographie et Archéobotanique (GDR1070-CNRS) du Museum National d’Histoire Naturelle (MNHN) à Paris. Il est également l’auteur de plusieurs articles sur l’histoire de Vanuatu,
publiés dans différents journaux et magazines de la presse
vanuataise.
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« Le temps fait disparaître les choses et les êtres, mais il les
fait aussi apparaître. Aussi y a-t-il en lui quelque chose qui
s’annonce à travers ce qui disparaît. Quelque chose comme de
l’Être toujours à venir, qui a donné et qui donne encore
l’occasion d’espérer et surtout de vivre… » (Saint Augustin).
« On dirait que des fous, enflammés de fureur, conscients du
mariage forcé dont ils ne peuvent se délivrer, ont décidé d’en
faire une étreinte mortelle » (Albert Camus, Lettre à un militant algérien, 1er octobre 1955).
« Quand je me désespère, je me souviens qu’au travers les
âges, la voie de l’amour et de la vérité a toujours mené à la
victoire. Il y a eu dans ce monde des tyrans et des assassins…Ils peuvent sembler invincibles mais finissent toujours
par tomber » (Mohandas Karamchand Gandhi, dit le Mahatma,
1948)
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Sommaire
Remerciements
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L’auteur
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Sommaire
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Avant-propos
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Introduction
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Chapitre 1. Les premiers mouvements revendicatifs
de la terre
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Chapitre 2. Jimmy Stevens et le Nagriamel
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Le contexte géostratégique de la naissance du Nagriamel
Les prolégomènes
L’installation à Vanafo
L’organisation politique et les orientations idéologiques
Pourquoi avoir fait venir les gens d’Ambae ?
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Chapitre 3.Le Nagriamel et le Vemarana sur la scène
politique internationale
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Les relais étrangers du Nagriamel
En route vers l’indépendance, le drame de la rébellion
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Conclusion
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Bibliographie
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AVANT-PROPOS
Près de trente ans après la fin du condominium francobritannique des Nouvelles-Hébrides (établi en 1906) suivie de
notre accession à l’indépendance (en juillet 1980) au sein de la
République de Vanuatu, le temps est venu de reconsidérer les
regards que nous avons pu porter sur la décolonisation de
notre pays. Plus de la moitié de nos concitoyens n’étaient pas
encore nés lors des événements qui ont contribué à nous
rendre notre dignité et à fonder un nouveau pacte social entre
ni-Vanuatu. Toutefois, bien trop nombreux sont les problèmes
qui persistent. Contrairement à ce que prétendent les slogans
touristiques, bon gré mal gré, Vanuatu n’est ni un « Paradis
vierge » (untouched Paradise) vanté par les slogans touristiques ni le « pays le plus heureux de la planète » (Marks,
2006). Vanuatu est un pays pauvre, très pauvre même selon
les barèmes officiels et autres critères statistiques de
l’économie moderne. En revanche, ce pays est immensément
riche en regard de sa diversité culturelle et linguistique (près
de 105 langues vernaculaires, plus les trois langues officielles :
bislama1, anglais et français). Il est également riche du point
de vue des valeurs qu’il cultive : fraternité et solidarité n’y sont
pas de vains mots. Contrairement à la situation des pays «
riches », personne à Vanuatu n’est jamais mort de faim, ni de
froid d’ailleurs (ce qui est moins méritant vu la douceur tropicale du climat de nos îles).
L’objectif de ce livre n’est pas de réclamer des comptes ou
de désigner des responsables, eu égard à ceux qui ont payé au
prix fort l’obtention de notre souveraineté. A Santo, comme à
Tanna (deux des principales îles que compte l’archipel)2, des
Le bislama ou bichelamar est un pidgin ou sabir dont la naissance remonte aux premiers contacts commerciaux entre Européens et Mélanésiens, notamment à l’époque du commerce de bois de santal. Composé en
majorité de lexèmes anglais et intégrant dans une moindre mesure des lexèmes
français, vernaculaires et portugais, il est articulé suivant une syntaxe propre aux
langues mélanésiennes pré-coloniales. Il est la langue véhiculaire la plus largement diffusée à Vanuatu, bien qu’il ne soit encore que marginalement utilisé
comme langue officielle d’enseignement.
2 L’archipel de Vanuatu compte environ 80 îles et îlots habités, pour un
total d’environ 200 000 habitants. Les îles les plus importantes en taille et
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hommes valeureux sont tombés pour avoir revendiqué leurs
propres conceptions de la liberté politique et pour avoir brandi
leurs idéaux en conformité avec les modèles sociaux, les valeurs et les schémas culturels issus de nos coutumes et de
notre identité mélanésienne. Des centaines d’autres, dans la
plupart des îles de l’archipel ont été réprimés, humiliés, enfermés, pour les mêmes raisons. Il convient, aujourd’hui de
leur rendre hommage et d’honorer la mémoire de ceux d’entre
eux qui nous ont déjà quittés. Pour que les fautes commises et
les crimes perpétrés soient définitivement pardonnés, aucun
ne doit être oublié. L’avenir de Vanuatu ne pourra se construire sans la perpétuation du souvenir de tous nos bubu (ancêtres).
Le Nagriamel est un mouvement coutumier né dans les années 1960, dans l’île de Santo, sur l’initiative d’un dignitaire
traditionnel, le chef Paul Tari Buluk, et du métis Jimmy Stevens. Comparable sous de nombreux aspects à des mouvements tels que John Frum dans l’île de Tanna, ou d’autres
mouvements précurseurs, le Nagriamel a impulsé une entreprise de retour vers la « coutume » (kastom) et de rétablissement des droits fonciers des indigènes spoliés de leurs terres
par le régime colonial. Ces deux mouvements ont chacun, à
leur manière, revisité en profondeur l’ensemble des pratiques
politiques et sociales imposées par le condominium et des
valeurs issues de la christianisation. Mais contrairement au
mouvement John Frum, le Nagriamel n’a guère joué sur une
fibre millénariste et fut moins directement traversé par des
influences chrétiennes3. De sorte que pour ses membres, il a
en population sont : Efate, Santo, Tanna, Malikolo (également épelé Mallicolo ou Malekula), Pentecôte, Ambrym, Maewo, Ambae, Epi. Il existe trois
communautés urbaines à Vanuatu : Port-Vila, la capitale du pays sur l’île
d’Efate, Luganville sur l’île de Santo et Lenakel à Tanna (baptisé le black
man town, car seuls les indigènes y détiennent les commerces).
3 A la fin des années 1930, à Green Point, au sud-ouest de Tanna, un
personnage connu sous le nom de John Frum se manifesta pour la première fois auprès des man-Tanna. Il fut souvent décrit comme un métis ou
un blanc, vêtu à l’européenne, mais parlant les langues de Tanna. L’objectif
prioritaire des partisans de John Frum était de mettre un terme à la Tanna
Law, un régime missionnaire théocratique qui tenta d’éradiquer la culture
traditionnelle. Démarrant par une série de prophéties – les missionnaires et
les Européens seraient chassés de l’île, le monde s’en trouverait transformé
et le retour imminent de John Frum instaurerait une abondance et une
prospérité définitive – la conséquence la plus spectaculaire de ces visions
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toujours été considéré comme le seul et unique mouvement
qui prône « authentiquement » le retour à la tradition. Depuis
sa création et jusqu’au événements qui l’ont conduit à tenter
de faire sécession de la République de Vanuatu lors de
l’indépendance acquise en juillet 1980, le Nagriamel a autant
marqué ses partisans que ses opposants, bouleversant ainsi
l’histoire récente de notre jeune nation et plus encore celle des
« 15 îles » qui, à l’époque de sa création, ont rejoint le
Nagriamel pour constituer le « gouvernement indépendant » du
Vemarana : à savoir Santo, Malo, Aore, Tutuba, Maevea,
Ambae, Maewo, Pentecost, Pele, Malikolo, Banks/ Torres, Ambrym, Efate et Epi. Nous détaillerons dans les chapitres suivants l’histoire de ce mouvement précurseur de la constitution
d’un État indépendant à Vanuatu.
Le but de ce livre est de rendre leur dignité à tous les anciens, hommes et femmes qui, par leurs luttes et leur combat,
ont contribué au rayonnement de ce mouvement qui existait
avant la naissance de tout sentiment ou parti nationaliste, de
sorte que leurs enfants n’aient plus, à l’avenir, à pâlir des engagements de leurs parents. Fiers de leur slogan, « individual
rights for everybody », ils avaient cru possible un modèle de
société multiculturelle et tolérante, digne de leur identité mélanésienne qui, en complément du christianisme, puise sa
source au plus profond du « dark bush »4. En retour de leurs
fut, en 1941, l’abandon de l’Église presbytérienne par tous ses fidèles. En
réaction au culte de John Frum les autorités condominiales s’engagèrent
dans une impitoyable répression qui allait se prolonger pendant dix-sept
ans et qui fut marquée par l’emprisonnement des principaux leaders de ce
mouvement. Depuis, le culte de John Frum n’a jamais disparu du paysage
des Tannais, où il a donné naissance à divers mouvements dissidents
parfois en concurrence avec sa branche la plus médiatique, dont le quartier
général a longtemps été situé à Sulphur Bay (sud-est de l’île). Pour une
étude détaillée du culte de John Frum, voir les ouvrages des ethnologues
Jean Guiart, 150 ans de contacts culturels à Tanna (1956) et plus récemment de Marc Tabani, Une Pirogue pour le Paradis : le culte de John Frum à
Tanna (2008).
4 Le dark bush, que l’on pourrait traduire par « brousse profonde » en français, est le lieu où le « man-bush », le broussard, puise son identité ancestrale. Aujourd’hui on parle plus communément de « man-ples », hommelieu, ou de grassroots. Man-bush est une expression qui a été reprise par
d’autres Ni-Vanuatu, plus éduqués, pour se démarquer de manière hautaine, des précédents en se qualifiant eux-mêmes d’ « évolués ». Nous utiliserons positivement ce terme en référence au Nagriamel qui se voulait le
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revendications, ils ont vu leurs droits massivement bafoués.
Les murs des cellules des prisons de Santo, Vila, Lakatoro,
Isangel, Lamap et Ambore transpirent à jamais le coup d’arrêt
fatal porté à leurs aspirations. Nombre de nos grands-pères
ont vu leurs désillusions marquées dans leur chair. Les années qui passent n’ont pas effacé les séquelles de leur emprisonnement. Leur seul crime est d’avoir voulu refuser le modèle autoritaire du « Lini kavman » (Gouvernement Lini)5.
Enfin, le besoin personnel auquel répond ce livre s’est exprimé dès ma plus tendre enfance. Cette prise de conscience
fut précoce, marquant irrémédiablement mon accession à «
l’âge de raison ». En ces périodes troublées, je ne fus pas le
seul pikinini (enfant) à mûrir prématurément après avoir été
confronté aux dures et tristes réalités du moment. Les années
qui précédèrent l’indépendance politique du pays furent marquées par la multiplication des conflits. Le quotidien des enfants des Nouvelles-Hébrides fut alors hanté par les démons
de la guerre : guerres de religions, conflits linguistiques, guérillas culturelles, compétitions économiques néo-coloniales.
Les opinions philosophiques et les divergences politiques se
cristallisèrent en de virulents antagonismes idéologiques, pour
lesquels ne comptaient plus que les intérêts bien égoïstes et
matérialistes des uns ou des autres. Tous les ingrédients du
drame qui allait se jouer se sont combinés. Dès lors, les NéoHébridais se déchirèrent entre eux : au sein du peuple et de
ses représentants, au sein de chaque île, de chaque village ;
entre les membres d’une même famille, entre pères, mères,
oncles et tantes, frères et sœurs, cousins et amis...
Pour les seuls intérêts des anciens masta français et anglais (masta était le terme d’usage, autrefois pour désigner les
Blancs, alors que nous autres étions des boys, ou pire encore
mouvement des man-bush, et qui décréta l’ « Act of Dark Bush » par opposition à la loi coloniale. Le dark bush s’oppose au monde des plantations. Il
était un lieu fondamentalement étranger pour les Blancs, tout comme il
l’est également aujourd’hui pour de nombreux bureaucrates mélanésiens.
5 Le pasteur anglican Walter Hadye Lini est une figure emblématique de la
lutte pour l’accession à l'indépendance de la République de Vanuatu, dont
il devint le Premier ministre de 1980 à 1991. Fort de l’idéologie nationaliste
qui l’inspirait, il régna d’une main de fer sur le pays, réprimant très sévèrement les membres des partis et mouvements francophones ayant soutenu les rébellions des îles de Tanna et de Santo. Il décéda en 1999.
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des « Canaques »), les forces vives du Vanuatu et sa plus belle
jeunesse, se jetèrent dans un conflit fratricide et mortifère.
Pourquoi au juste ? Il est certain qu’aucun d’entre eux ne réalisait pleinement les enjeux de ce sacrifice collectif. Personne
ne comprenait ni ne maîtrisait cette funeste fuite en avant. En
tant qu’enfant issu du camp des vaincus, je n’ai toutefois jamais oublié cette sombre période ténébreuse. Jamais, non
plus, je n’oublierai la manière dont Paul Dijoud (alors ministre
français des Départements et Territoires d’Outre-Mer) s’est
servi de nous comme de marionnettes. Lorsque les kumala
(patates douces) étaient cuites, il nous a bassement trahis en
nous abandonnant à notre sort. Je n’avais que huit ans le jour
où les militaires papous, appelés en renfort par Walter Lini
pour mater la rébellion à Santo, surgirent dans notre case
pour venir chercher mon père. A tour de rôle, ils emmenèrent
les hommes de toutes les autres familles. Ils ne pouvaient
s’empêcher de tout détruire sur leur passage. Sans se soucier
des pleurs et des cris, ils se voyaient encouragés dans leur
triste besogne par les vociférations et les slogans des hommes
de Lini et du Vanuaaku Pati. Pourquoi de telles incitations à la
haine et à la violence ? Je me voyais bien incapable de trouver
une quelconque explication à ce déferlement d’agressivité qui,
dans mon expérience, ne connaissait nul précédent. Le Vanuaaku Pati (VP)6 cherchait à démontrer sa force, de la manière la plus brutale. La victoire ne suffisait pas à ses partisans. Pour que leur triomphe s’inscrive au plus profond des
mémoires, fallait-il encore que des pères soient battus et humiliés sous les yeux de leurs propres enfants ?
Par ce retour vers mon passé, je cherche à apaiser en moi
le sentiment qu’une partie essentielle de mon enfance m’a été
confisquée par le règne autocratique de Walter Lini. Mais audelà de cette dimension personnelle, il s’agit par l’analyse historique de cette période encore récente du passé de Vanuatu,
de faire œuvre de réconciliation nationale en exprimant la
Parmi les premiers partis politiques créés aux Nouvelles-Hébrides, le
New Hebrides National Party (NHNP) et l’Union des Communautés des
Nouvelles-Hébrides (UCNH) jouèrent un rôle de premier plan. Prônant une
accession rapide à l’indépendance, principalement composé de cadres
mélanésiens anglophones et protestants, le NHNP prit en 1978 le nom de
Vanuaaku Pati (VP) (« notre terre »). A l’opposé, les dirigeants de l’UCNH,
francophones et catholiques pour la plupart, préféraient une transition
plus progressive vers l’indépendance.
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parole des partisans du Nagriamel, quand bien même certaines plaies ne sont pas encore totalement refermées. Cet
ouvrage doit nous permettre de mieux comprendre le mouvement Nagriamel, la vie en son sein et les aspirations déçues de
ses membres. Envers et contre tout, le Nagriamel demeure
synonyme de « rebelle ». Son évocation est pour les générations
actuelles invariablement associée à l’histoire de sa rébellion,
de sa tentative sécessionniste que des journalistes en quête de
sensationnalisme ont baptisé sur le ton de la moquerie «
guerre des cocotiers »7 (comme si les guerres de décolonisation,
dont les victimes ont été plus nombreuses que l’ensemble de
celles qui ont péri lors de la seconde Guerre Mondiale, pouvaient faire l’objet de plaisanterie). Ce qualificatif de « rebelle »
a causé beaucoup de torts à nos anciens, justifiant ainsi les
injustices et légitimant la férocité de la répression. Le gouvernement Lini n’envisagea aucune clémence pour les vaincus.
Les rebelles n’ont aucun droit, sinon de souffrir en silence,
surtout lorsqu’ils ont tiré la mauvaise carte historique, celle du
« parti de l’étranger ». Pourtant, le Nagriamel s’est toujours
revendiqué indépendant, jamais pro-français, même s’il comptait des soutiens français dans ses rangs). Les chapitres suivants offriront aux générations actuelles quelques aperçus
historiques pour mieux comprendre l’esprit et la signification
de ce mouvement en le resituant dans son contexte. Plus de
compréhension chez ceux qui n’ont pas vécu ces événements
amènera, je l’espère, de leur part plus de respect, mais aussi
plus de sagesse dans les moments difficiles que notre pays
aura sans doute encore à traverser sur la route sinueuse de
son édification nationale. « Wan pipol, wan nason, wan kastom
» : la réalité de ce slogan nationaliste largement utilisé par les «
Pères fondateurs » de notre République demande à être sérieusement réexaminé. A l’heure de la globalisation, de
l’importance accordée au maintien des diversités et des problèmes sociaux économiques du pays, il est urgent d’opposer à
John Beasant (1984: l7), ancien conseiller personnel de Walter Lini, rapporte à sa manière ce cliché bien discutable : « L'ex-conducteur de bulldozer devenu chef d'un genre bien particulier, avec ses 'vingt-cinq femmes', et
conduisant une 'armée de l'âge-de-pierre', équipée 'd'arcs et de flèches',
engagée dans une rébellion contre les forces matérielles et les conceptions
d'un insensible monde extérieur ».
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cette unicité dogmatique, un regard pragmatique sur les multiples fondements sur lesquels bâtir une unité.
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Introduction
Sous la pression des changements politiques et de la croissance des échanges économiques intervenus depuis 1945
dans les mondes asiatiques, la transformation des îles du Pacifique s’est sérieusement accélérée. La prédominance économique du Japon, la croissance des divers États asiatiques
riverains du Pacifique, dont celle aujourd’hui de la Chine, ont
intensifié les effets de la globalisation dans cette « mer d’îles »
qu’est l’Océanie (Hau’Ofa, 1993). La compétition à laquelle se
livrent les puissances riveraines du grand lac américain, sans
compter le maintien de territoires encore sous tutelle coloniale,
a achevé de placer le Pacifique au cœur des enjeux contemporains de la planète. Le « nouvel ordre mondial » issu des dramatiques événements du 11 septembre 2001, n’ont pas épargné l’Océanie. Les îles du bout du monde sont désormais au
carrefour des grands courants d’échanges du village global.
Ce continent austral, dont la recherche a fait couler beaucoup d’encre depuis l’antiquité, ce « cinquième continent »,
pensé comme devant équilibrer les quatre précédents, a perdu
de nos jours son aura de mystère. Toutefois, cela ne fait guère
plus de quatre cents ans, que nos îles sont connues du monde
dit civilisé. Après avoir fait main basse sur le continent américain, l’expansion européenne s’est tournée vers l’hémisphère
sud, en quête de nouvelles ressources à piller, de nouvelles
terres à s’approprier et de nouveaux « indiens » à déposséder, à
convertir, voire à exterminer.
C’est depuis les côtes péruviennes que se profilèrent les
prolégomènes de cette nouvelle entreprise. Pedro Fernandes de
Quiros, Portugais de naissance, mais commissionné par le Roi
d’Espagne, embarqua au port de Callao, l’actuelle ville de Lima, le 21 décembre 1605. A la faveur d’une bien audacieuse
navigation, il traversa le Pacifique de bout en bout. Quiros
avait déjà effectué cette route dix ans auparavant, quand il
était second de Alvaro Mendana de Neyra, repérant à cette
occasion les îles Santa Cruz (archipel des Salomon) situées au
nord de l’archipel vanuatais.
Quiros, tout comme la plupart des savants occidentaux à
cette époque, croyait en l’existence d’un vaste continent austral. Cette idée s’est finalement trouvée justifiée, le mythe s’est
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changé en réalité. C’est à Taumako (un village du sud des îles
Salomon) que les indigènes lui auraient fait comprendre que
de grandes terres se trouvaient plus au sud. Empruntant cette
direction, il découvrit les îles Banks et donna à deux d’entre
elles des noms chrétiens : « Sainte Marie » et « Notre-Dame de
la Lumière ». Fin avril de l’année 1606, il aperçut les hautes
montagnes de la grande île de Santo dominée par le Mt
Tabwemassana. Les premiers jours de Mai, il débarqua sur le
rivage d’une magnifique baie, au nord de cette même île. Il
crut enfin découvrir ce continent mythique tant convoité. Il le
baptisa Terra Autralis del Espiritu Santo, la terre du SaintEsprit. Son enthousiasme était à la hauteur de son ambition
lorsqu’il s’engagea dans cette baie. En la baptisant Saint Philippe, il visait à aliéner définitivement ce nouveau « continent »
au nom du roi d’Espagne. Une légende pluriséculaire semblait
prendre corps. Quiros était venu pour conquérir cette terre,
pour en chasser les idoles et imposer à ses habitants un ordre
chrétien. Dans sa huitième requête au roi Philippe III, Quiros
consacre un chapitre aux Mélanésiens de Santo :
Cette région inconnue représente le quart du globe et pourrait contenir le double des royaumes et provinces que votre Majesté possède à présent. Et tout cela sans avoir à redouter le voisinage des
Turcs, des Maures, et autres nations (…). Les nations qui peuplent
cette région sont nombreuses (…). On ne leur connaît pas
d’ouvrage fortifié ni de remparts, aucune force organisée, ni roi, ni
loi. Ce ne sont que de simples peuples divisés en factions rivales.
Leurs armes sont communément des arcs et des flèches sans poison, des massues, des bâtons, des lances et des armes de jet en
bois. Ces gens couvrent leurs parties honteuses, ils sont propres,
gais, doués de raison et reconnaissants (…). Il sera facile de les pacifier, de les endoctriner, et de les satisfaire. (Traduction de Bonnemaison, 1986 : 44)
L’entreprise de Quiros tourna rapidement au délire. Durant
son bref séjour, marqué par les attaques incessantes des autochtones
et
l’accumulation
des
problèmes
d’approvisionnement en eau et en vivres, sa principale préoccupation était de nommer des chevaliers parmi les membres
de son équipage, d’ériger de grandes croix, puis de fonder une
nouvelle cité, une Nouvelle Jérusalem. Mais au bout d’un
mois, il dut céder à l’équipage mutiné et reprendre la route de
l’Amérique. L’Esprit Saint n’eut pas raison de la pugnacité des
« Indiens » de Santo à défendre leur terre. Sur le chemin du
26
retour, les deux caravelles sous les ordres de Quiros et de son
premier capitaine Torres, se séparèrent. Quiros, dans sa fuite,
partit avec deux enfants indigènes, enlevés dans les parages
de l’actuel village de Matantas. Les récits des anciens de cette
région se souviennent d’eux sous les noms de Ti et Teu. La
Baie de Saint Philippe redevint Matantas, qui signifie dans la
langue locale les « yeux de la mer ». D’après une légende locale,
avant l’apparition de la mer, telle que nous pouvons la contempler aujourd’hui, ce lieu n’était que vide et néant. Or c’est
à Matantas que se forma la mer. L’arrivée de l’Océan y précéda, de bien loin, celle de Quiros et de ses rêves de conquistador.
En 1767, ce fut au tour du britannique Philippe Carteret
(1663) au cours d’une circumnavigation, de reconnaître les îles
Santa Cruz, dans l’archipel des Salomon, mais il ne poursuivit
pas sa route plus au sud, sur les traces de Quiros. Le retour
des Blancs dans notre archipel sera le fait du grand navigateur
Louis Antoine de Bougainville. Ses deux navires, la Boudeuse
et l’Etoile revenaient de la Nouvelle Cythère (Tahiti), où ce
doux rêveur avait concrétisé sa découverte personnelle du «
bon Sauvage ». Manifestement, il fut moins passionné par les «
naturels » de Vanuatu que par ceux de Tahiti : nos femmes ne
lui plaisaient-elles pas ? Tant pis pour lui, et tant mieux pour
elles de ne pas avoir été intégrées au mythe bien caricatural de
la Vahiné. Sa brève visite, n’en fut pas moins déterminante. Il
fit inscrire cinq de nos îles dans les cartes de la géographie
universelle. Il leur donna les noms de Pentecôte, d’Aurore
(Maewo), de Pic de l’Etoile (Gaua, déjà reconnue par Quiros
sous le nom de Notre-Dame de la Lumière), d’île des Lépreux
(Ambae) et de Saint Barthélemy (Malo). Bougainville manqua
Santo, évitant par le sud la grande île découverte par Quiros.
Mais tout comme son prédécesseur, il fut persuadé que les
rivages qu’il distinguait étaient bien des avant-postes de la «
Terre Australe du Saint-Esprit ». Bougainville ne mit pied à
terre qu’à Aoba, l’île aux Lépreux. Peu inspiré, lors de
l’attribution de ce nom légèrement infamant, il eut en revanche plus d’imagination lorsqu’il nomma l’ensemble de ces
îles les Grandes Cyclades. Il en prit possession au nom du Roi
de France. Cette « souveraineté » française ne dura guère plus
de six ans. Le fameux Capitaine James Cook, futur martyr du
rêve austral européen, attribua la propriété de notre archipel
au roi d’Angleterre. Il sera le premier navigateur occidental à
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visiter la plus grande partie des îles vanuataises du nord au
sud. Pour bien affirmer le changement de propriétaire, il annula l’acte de baptême de son prédécesseur français, et choisit
pour nom celui que Vanuatu allait porter pendant plus de
deux cent ans : les Nouvelles-Hébrides.
Après les explorations de ces navigateurs qui précipitèrent
l’intégration des peuples de notre archipel dans l’histoire universelle, suivit la période de concrétisation de cette intégration.
L’activité des baleiniers, des santaliers puis des négriers acheva de nous démontrer que l’Histoire universelle était avant
tout celle de l’exploitation de l’homme par l’homme, celle de
son oppression pour les besoins du capitalisme naissant et
des discriminations racistes propres à l’épopée impérialiste.
Organisés pour la poursuite des cachalots, encore abondants
à cette époque dans les Mers du Sud, les baleiniers avaient
des stations de relâche dans certaines îles. Leur impact sur les
populations indigènes fut relativement faible, sinon qu’ils furent des précurseurs en matière de pillage des ressources locales ; pillage qui n’a jamais cessé de croître depuis.
Les baleiniers montrèrent également le mauvais exemple à
leurs successeurs, les santaliers. Les indigènes leurs semblaient misérables, « primitifs », négligeables donc. En revanche, nos fonds marins semblaient d’une richesse inépuisable, quant à nos forêts, elles allaient révéler de nouveaux
trésors à s’approprier. Les Blancs jetèrent leur dévolu sur le
bois de santal. Arbre d’une essence rare, le santal est un bois
odoriférant qui présentait l’avantage d’être très recherché par
les Chinois, et d’avoir ainsi une forte valeur monétaire pour les
marchands qui, à l’époque, étaient soucieux de ne pas laisser
leurs navires faire le trajet les cales vides au retour de
l’Australie. Là où les choses se compliquent avec le santal,
contrairement à la chasse à la baleine, c’est que pour son exploitation il fallait traiter avec les autochtones, qui voyaient
d’un mauvais œil la pénétration et la dévastation de leurs forêts. Souvent, il s’agissait de lieux sacrés, des temples naturels, des tabu ples comme on dit en bislama, consacrés à nos
ancêtres. Ainsi, les Santaliers, sans scrupules et sans respect,
employaient fréquemment la force pour arriver à leurs fins. Ce
qui ne manquait pas d’entraîner des représailles. Ce cycle
infernal se poursuivit sans relâche. Il prit naturellement fin
lorsqu’il n’y eut presque plus de bois de santal, ni plus guère
de lieux tabous à défendre.
28
La période des Négriers fut pire encore que celle des précédents « contacts », comme disent les Blancs par euphémisme
pour évoquer les premières étapes de leur appropriation de
nos terres et de leur domination sur nos peuples. Le blackbirding ou la « traite des merles noirs » est la forme « adoucie »
d’esclavage tel qu’il se déroula dans le Pacifique. Cette traite
débuta dans les années 1860. Les Mélanésiens furent envoyés
en grand nombre, jusqu’à la fin des années 1920, vers les
colonies britanniques du Queensland et du New South Wales
en Australie, mais également pour certains d’entre eux à Fidji,
Hawaii, aux Samoa Occidentales et en Nouvelle-Calédonie. Sa
seule différence avec le « commerce triangulaire », c'est-à-dire
la déportation des Noirs d’Afrique vers l’Europe et, de là, vers
l’Amérique, est son caractère théoriquement « volontaire »,
comportant soi-disant une rémunération fixée par la signature
d’un contrat de travail. Dans les faits, il s’agissait le plus souvent d’enlèvements. On faisait monter les indigènes à bord des
navires, sous divers prétextes, puis une fois les voiles larguées, on leur donnait quelques vagues explications sur leur
destination et la finalité du voyage. Une fois arrivés, les Mélanésiens récalcitrant au dur labeur, affamés, recevaient généralement des volées de coups.
Ce trafic de main d’œuvre mélanésienne fut édifiant pour
nos peuples. Ceux qui arrivaient à rentrer dans leurs foyers
après des mois et des années de corvées, étaient changés à
tout jamais. Le « contact » avec les Blancs dans leurs nouvelles
colonies de peuplement, sur leurs plantations de coton ou de
canne à sucre, dans leurs mines ou sur les routes en construction, changea définitivement notre vision de cet oppresseur au teint pâle. Les Blancs ne convoitaient pas seulement
nos terres ou nos ressources naturelles, notre force de travail
les intéressait tout autant. Au pillage s’ajoutait donc
l’exploitation. L’entrée des indigènes des « îles noires » dans
l’histoire universelle fut, dès lors, complète. Le Commandant
Bourge (1906) dans ces notes, écrivait :
Ensuite vinrent les recruteurs dont les exploits ne tardèrent pas à
appeler l’attention du monde sur ces îles jusque-là inconnues. Le
recrutement de main-d’œuvre donna lieu, en effet, dès l’origine, à
des abus devant lesquels la civilisation ne pouvait pas rester indifférente (…). Le ressentiment du Canaque pour le Blanc date de
29
l’apparition de ces flottes, armées pour la plupart par de véritables
pirates. (Bourge, 1906)
Abus… civilisation… Ces mots allaient désormais fonctionner de pair dans cette association forcée entre « Blancs » et «
Canaques ». Le regard porté par les Occidentaux allait lui aussi évoluer. Une bien maigre reconnaissance… Ces indigènes
néo-hébridais dont on disait toujours du mal, stigmatisés
comme étant incapables de se concentrer dans un quelconque
travail, décrits comme des brutes épaisses, se font positivement remarquer lors du travail dans les plantations ou
comme serviteurs au sein des foyers de leurs employeurs. Ces
« sauvages » étaient donc capables d’être « domestiqués ». S’ils
apparaissent, à première vue, moins forts physiquement que
d’autres insulaires du Pacifique, tels les Fidjiens ou les Samoans, ils se montraient en revanche plus obéissants, soigneux et même capables de fidélité envers leurs « masta ».
Leurs « coutumes primitives » n’auraient-elles pas aussi du
bon, puisqu’elles leur interdisaient de voler ? Effectivement,
parmi nos plus hautes valeurs, domine la nécessité de rendre
davantage que ce que l’on a reçu. Le big-man dans nos sociétés est celui qui sait donner beaucoup, sans jamais s’emparer
ni convoiter les biens de ses proches et qui même dans le
combat sait respecter son ennemi. N’est un grand homme
dans la coutume que celui qui sait protéger les plus faibles et
s’affronter à plus fort que lui. Avis aux Blancs, il n’y avait pas
de voleurs parmi les « non-civilisés ». Les « merveilles » produites par les grandes civilisations ont, par contre, invariablement généré pillages et massacres parmi les faibles. Quand
bien même nous n’avons jamais inventé la barbarie, la décision des maîtres coloniaux fut sans appel : pour mieux les
servir, pour davantage de soumission de notre part, il fallait
nous « civiliser ».
La domination physique, fondée sur la loi du plus fort, sur
la politique de la canonnière ne suffisait pas à parachever la
conquête coloniale. Fallait-il encore contrôler nos esprits, évacuer nos « ténébreuses » coutumes, nous éloigner des pratiques de nos ancêtres : nous empêcher de chanter, de danser,
de boire du kava8, de porter nos plumes et nos décorations
Les racines de kava (Piper Methysticum ou poivre intoxicant) sont consommées
par de nombreuses populations d’Océanie, sous la forme de décoctions, pour
8
30
corporelles ; nous forcer de cacher notre nudité au moyen de
guenilles et de haillons, ou pour nos femmes de revêtir
d’austères robes missions ? Bref, l’urgence n’était pas de cesser le pillage et l’oppression, mais de « sauver nos âmes ». Des
cohortes de missionnaires allaient activement s’y employer.
Aux missionnaires anglicans, relativement tolérants et éclairés, succédèrent les presbytériens. Leur tempérament était à
l’image du rude climat de la lointaine et froide Ecosse, leur
pays d’origine. Peu téméraires au début, ils envoyèrent toujours des teachers samoans en reconnaissance. Ces derniers
n’ayant jamais réussi à convertir le moindre indigène hébridais, les missionnaires prirent leur courage à deux mains pour
nous faire découvrir la foi en Jésus.
Dans les faits, il ne s’agissait pas tant d’inculquer l’amour
du prochain que de nous soumettre à la loi bien terrestre de
l’Église. La christianisation tourna rapidement au rapport de
force. Dans certaines îles, comme à Tanna, les missionnaires
presbytériens établirent un véritable gouvernement, connu
sous le nom de Tanna Law. Ces derniers étaient assistés dans
leur répression par des chefs. Ils instaurèrent des tribunaux
locaux, au moyen desquels ces chefs chrétiens, pas toujours
bien inspirés par le message du Christ, oppressaient leurs
propres frères demeurés « païens ». L’objectif de ces missionnaires était de supprimer progressivement la coutume,
d’effacer cet art de vivre en société que nous avions hérité de
nos ancêtres.
Cette politique anti-coutumière des premiers temps de la
christianisation se trouva paradoxalement atténuée par la
compétition à laquelle se livrèrent entre elles différentes confessions. Des convertis quittèrent les presbytériens pour rejoindre l’Église des Adventistes du Septième Jour. Ces derniers
présentaient l’avantage d’enseigner la Bible en anglais et non
pas en langue vernaculaire. D’autres chrétiens intégrèrent les
missions catholiques, plus tolérantes envers la boisson du
kava et l’organisation des cérémonies coutumières. Dans les
îles du Nord, l’Église du Christ (Church of Christ) fut la première à prôner l’autonomie indigène pour son organisation
interne. Mais ce fut, avant tout l’apparition de divers mouvements indigènes qui contraignirent les missionnaires à chanleurs propriétés relaxantes. Le kava à Vanuatu est devenu une sorte de boisson
nationale.
31
ger d’attitudes envers les valeurs coutumières et à considérer
leurs aspirations profondes autrement qu’au travers des
seules statistiques de conversions. Dans la première partie du
vingtième siècle, des mouvements cultuels hostiles aux Missions se multiplièrent dans plusieurs des îles du nord de
l’archipel. Certains sont demeurés célèbres : à Santo le mouvement prophétique de Rongofuro, celui d’Avu Avu, le Naked
Cult et celui du mouvement de Mol Valivu ; à Malikolo se développa le mouvement de la Malekula Native Kampani ; sans
compter les nombreux groupes de « païens » qui dans différentes îles résistèrent obstinément à leur conversion.
Parallèlement à la christianisation des insulaires, leur « néohébridaisation », c’est-à-dire à leur oppression coloniale, leur
exploitation et la dépossession de leurs terres se poursuivait.
Peu à peu, l’archipel attira de nouveaux arrivants, notamment
des « coprah makers », des détaillants en huile de coprah. Ils
s’installèrent sur les rivages de la plupart des îles et y développèrent le commerce, ouvrirent des magasins et importèrent
toutes sortes de marchandises. Très appréciés par les insulaires, ces biens marchands comportaient toutefois trop fréquemment des fusils et de l’alcool, qui provoquèrent encore
des ravages parmi les populations locales.
C’est un anglais du nom de John Higginson qui accroîtra
les intérêts français dans ces contrées. Etrange personnage
que ce Higginson. Né en 1839 en Angleterre, il était protestant
à l’origine, et accompagna ses parents dans leur émigration
vers l’Australie. Très jeune, il réussit rapidement à amasser
une petite fortune et, à tout juste vingt ans, il débarqua en
Nouvelle-Calédonie. De là, il va entreprendre toute une série
d’activités économiques : navigation marchande, entreprises
sucrières, activités minières. Il est notamment le fondateur de
la fameuse société Le Nickel. Mais curieusement, ce sujet britannique va lutter vigoureusement tout au long de son existence pour que les Nouvelles-Hébrides deviennent françaises.
Son idée maîtresse est de lancer une vaste entreprise de colonisation foncière dans cet archipel.
En 1882, il créa la Compagnie Calédonienne des NouvellesHébrides. Avec l’un de ses navires, le Ne Oblie, il fait le tour de
nombreuses îles et procède à l’acquisition de vastes superficies. Il prospecte notamment les îles d’Efate et de Malikolo.
C’est à Port-Sandwich (sur la côte sud-est de Malikolo) qu’il va
lever pour la première fois le drapeau tricolore. Il sera très
32
insistant auprès des autorités françaises pour leur réclamer la
venue de soldats et auprès de l’Église catholique pour obtenir
d’elle des missionnaires. La Compagnie Calédonienne des
Nouvelles-Hébrides prendra par la suite le nom de Société
Française des Nouvelles-Hébrides. La SFNH poursuivra activement son activité coloniale et patriotique d’acquisition foncière qui s’accompagne d’intenses tractations politiques.
Politiquement, les Nouvelles-Hébrides demeurèrent longtemps dans un état res nullius. La France et l’Angleterre se
surveillaient et se neutralisaient mutuellement, sans oser
pousser leur avantage, de peur de déclencher un conflit majeur. L’objectif minimal consistait avant tout à empêcher la
puissance impérialiste concurrente à prendre possession de
ces îles. Cependant, avec la multiplication des conflits entre
indigènes et nouveaux colons toujours plus nombreux, les
exactions de part et d’autre se firent plus fréquentes, aboutissant occasionnellement à des effusions de sang. Pour organiser leur protection, les nouveaux-venus vont créer une sorte
d’État indépendant, sous forme de municipalité, à Franceville,
sur l’emplacement de l’actuelle communauté urbaine de PortVila. Ce type d’initiative des colons français commençait à
sérieusement irriter les forces impérialistes rivales. Les autorités militaires françaises furent également les premières à implanter deux bases navales dans les îles. Une à Port-Havanna
sur la côte est d’Efate et l’autre à Port-Sandwich au sud-est de
l’île de Malikolo. Dès lors, les tensions entre Français et Britanniques s’aggravèrent fortement.
Une première tentative de conciliation fut conclue en 1878.
Elle proposait l’indépendance des Nouvelles-Hébrides avec une
reconnaissance réciproque de souveraineté et des droits égaux
sur l’archipel pour les deux puissances impériales. En 1887,
une nouvelle convention fut signée, afin d’assurer une surveillance militaire intermittente et la protection des colons dans le
cadre d’une « Commission navale mixte ». Aucune décision ne
devait être prise sans accord mutuel des deux autorités de
tutelle. Finalement, le principe d’un condominium francobritannique sur les Nouvelles-Hébrides fut signé le 8 avril
1904, puis une commission qui siégea à Londres du 1er au 27
février 1906 précisa les modifications à apporter au précédent
accord. Mais ce ne fut que le 2 décembre 1907 que la nouvelle
convention fut solennellement proclamée à Port-Vila afin de
donner officiellement aux Nouvelles-Hébrides le statut de con33
dominium, marquant la véritable prise de possession conjointe
par les deux États.
Nos îles furent ainsi placées sous la cotutelle de puissances
étrangères pendant plus de quatre-vingts ans. Cet exercice de
« co-souveraineté » est unique dans les annales de la colonisation. Tous les pouvoirs, exécutifs, législatifs et judiciaires et
toutes les institutions légales (sauf les services postaux, la
marine, l’aviation et les travaux publics) furent dédoublés
jusqu’à l’obtention d’une indépendance politique et la proclamation de la République de Vanuatu. L’absurdité et
l’inefficacité du condominium, de sa double administration
plus une administration mixte, à laquelle correspondaient
également les trois langues officielles (français, anglais et
bislama) furent stigmatisées par le qualificatif ironique de
Pandemonium.
Mais pire encore que son inefficacité,
l’établissement du condominium entérinait surtout l’infériorité
« légale » et la soumission des Mélanésiens par un statut de
l’indigénat qui les reléguait au rang de non-citoyens. Ce bref
survol historique ne serait pas complet pour situer le contexte
de l’apparition du Nagriamel, si l’on n’évoquait pas l’épisode
déterminant de la seconde Guerre Mondiale.
Les « non-citoyens » autochtones des Nouvelles-Hébrides
étaient près de 40 000 à la veille de la guerre, soit au moins
dix fois plus nombreux que les quelques centaines de « colons
Hébridais ». Mais il s’agit d’une sévère saignée démographique,
depuis les débuts du processus de colonisation de l’archipel,
puisque certaines estimations suggèrent une population
jusqu’à six fois plus nombreuse avant la venue des Blancs.
Depuis, l’établissement du condominium, un moindre mal fut
la relative tranquillité dans laquelle vivaient les habitants des
îles où peu de colons s’étaient établis. Partout, hormis à PortVila et Luganville, où régnait une ambiance de Far West, avec
ses trafics d’alcool et ses colons armés, les Mélanésiens continuaient à vivre des fruits de leurs terres, même si une bonne
partie leur avait été spoliée. L’entrée en guerre des États-Unis
contre le Japon et les développements stratégiques de la Bataille du Pacifique changèrent fortement cette situation figée.
Des centaines de milliers de militaires américains débarquèrent aux Nouvelles-Hébrides entre 1942 et 1946. Des milliers
d’insulaires furent recrutés par l’armée US pour construire et
aménager ses bases d’Efate et de Santo. Là où il n’y avait que
34
la brousse, furent construits en quelques mois seulement une
multitude de routes, de pistes d’atterrissage, de ports,
d’hôpitaux, de casernes, et tout ce qui pouvait agrémenter le
quotidien des soldats : des restaurants, des cinémas, des terrains de sport. Dans des centaines d’entrepôts furent accumulés des quantités énormes de marchandises, de matériel militaire, de véhicules. C’est une nouvelle vision du monde qui
s’offrait aux Mélanésiens avec le constat du pouvoir inégalé
des Américains et l’affaiblissement concomitant des autorités
franco-britanniques du condominium.
À la grande surprise de nos grands-pères une majorité de
soldats US était composée de Noirs. Cet épisode marquant
apportait la preuve sans conteste qu’une égalité entre Blancs
et Noirs était possible. Que nous n’étions pas éternellement
condamnés à être les simples boys des masta. Le chemin vers
cet idéal fut encore bien long et il est encore loin d’être entièrement atteint. Mais une nouvelle conscience collective venait
soudainement d’émerger. Alors, que pour des millions de gens
sur terre cette guerre était synonyme d’affreuse boucherie,
pour nous elle marquait aussi le début d’une libération. C’est
d’elle que sont nés des mouvements revendicatifs indigènes
dont l’organisation fut souvent inspirée de celle expérimentée
auprès des Américains. La réaction des coutumiers, des
hommes du dark bush, allait tout d’abord se cristalliser dans
une lutte pour récupérer leurs terres ou, pour le moins, pour
empêcher davantage de spoliations foncières au regard de
toutes celles qui avaient déjà eu lieu. Bien avant la naissance
des premiers partis politiques et des mouvements nationalistes, le Nagriamel fut le premier à se faire le porte-parole de
ces revendications, à réclamer la dignité pour chacun, sans
considération de couleur de peau.
35
36
CHAPITRE 1
Les premiers mouvements revendicatifs
de la terre
Certains le savent peut-être déjà : la terre pour les Mélanésiens n’est pas un bien que l’on possède. Ce serait plutôt
l’inverse : c’est la terre qui possède les hommes. A leurs yeux,
elle ne peut être vendue étant donné les liens ancestraux et
coutumiers qui les rattachent à elle. Dans les conceptions
locales, la terre est comme une « mère » nourricière. Elle est
inaliénable. Depuis des générations, nos terres ont été transmises d’une génération à l’autre. On pouvait certes, prêter des
jardins, transmettre leur usufruit, mais en aucun cas les céder
contre des valeurs monétaires. Les Européens de l’époque,
tout comme leurs successeurs actuels, avaient un point de vue
radicalement différent. Dans les conceptions occidentales, la
terre représente, avant tout, une valeur économique. Une terre
non exploitée ne présente à leurs yeux aucun intérêt. Dans
nos îles, par exemple, ils en mesureraient la rentabilité par la
taille des plantations de cocotiers qu’ils arrivaient à y développer. Toutefois, avant de conférer aux terres une valeur ajoutée,
il s’agit prioritairement de s’en emparer, avant qu’un concurrent n’en revendique la propriété. Ce principe valait tout autant pour les puissances coloniales que pour les colons individuellement.
Ainsi, jusqu’en 1960, qu’ils soient Anglais ou Français, les
colons hébridais revendiquaient plus de 30 % de la totalité des
superficies foncières de l’archipel. Des bruits couraient à Santo, comme quoi les colons allaient même jusqu’à acheter plus
de terres qu’il n’en existait effectivement. A moins, bien sûr, de
comptabiliser des superficies sous-marines. Les villageois de
Malikolo et de Santo, tout comme ceux des autres îles, manifestèrent alors leurs désaccords, refusant qu’on leur subtilise
toujours davantage de terres coutumières. La terre est
l’essence de la vie. Sans elle, un Mélanésien est condamné à «
flotter ». Un homme sans connexion avec la terre est considéré
sans racine, il n’est pas un « rili man » comme on dit en bislama, un « homme authentique ». Le géographe Joël Bonnemaison évoque cette condition en terme d’« hommes lieux et
37
d’hommes flottants » (Bonnemaison, 1986). Sethy Regenvanu,
l’un des pères fondateurs de Vanuatu qui fut également ministre dans plusieurs gouvernements, précise les choses ainsi
:
La terre pour le ni-Vanuatu ressemble à une mère par rapport à
son enfant. C’est à travers la terre que le ni-Vanuatu définit son
identité et aussi par la terre qu’il maintient sa force spirituelle (…).
La terre représente beaucoup plus qu’une simple marchandise
qu’on achète et puis qu’après on rejette quand elle n’a plus de valeur. La terre représente une chose dont la valeur est intrinsèque
car elle fait partie de son être et de sa vie. (Regenvanu, 2004)
Depuis que Quiros avait posé les pieds sur les rivages de
cet archipel, tous les colons qui l’ont suivi essayèrent
d’imposer à la fois leur propre idée de la propriété foncière et
leurs conceptions bien particulières de la manière de
s’approprier les terres. Ainsi, ils s’obstinèrent notamment à
refuser de reconnaître la différence fondamentale entre le concept occidental et la vision indigène du lien à la terre. Ils
n’accordèrent de crédit, qu’au principe scélérat et matérialiste
« d’appropriation perpétuelle » des terres. Leurs méthodes
n’étaient pas plus honnêtes que leurs intentions. Les Européens achetèrent de préférences des domaines situés sur les
côtes. Leur monnaie d’échange était le plus souvent l’alcool et
les fusils, quand il ne s’agissait pas simplement d’un peu de
tabac. Ces marchandises bien peu recommandables n’en suscitent pas moins de fortes convoitises auprès des indigènes.
Convoitises qui entraînèrent fréquemment des guerres entre
tribus, occasionnant de nombreux morts. L’astuce était subtile
: en distribuant toujours davantage de biens meurtriers, les
indigènes faisaient le sale boulot à la place même des Européens. Et, à force de s’entretuer, il demeurait toujours moins
de propriétaires fonciers indigènes, ce qui permettait aux colons d’accroître encore plus la taille de leur domaine, sans
même avoir à payer quelque chose en échange.
Ce type de stratégie, dont les inspirateurs démontraient par
là même si besoin était, de quel côté se trouvait la véritable
barbarie, fonctionna à merveille dans les îles d’Epi, d’Efate,
d’Erromango, de Malikolo et de Santo. Dans les sociétés traditionnelles, le sens de l’hospitalité envers les étrangers qui respectent les usages locaux est quelque chose de profondément
ancré. Ces terres tant convoitées, nombre de groupes indi38
gènes les auraient mises gracieusement à disposition des Européens, sans même qu’ils aient à débourser quoique ce soit,
du moment qu’ils s’engageaient à les rendre après usage. Mais
non…
Avec la mise en place du condominium en 1906, toutes les
terres des Nouvelles-Hébrides qui ne se trouvaient pas déjà
entre les mains de colons, furent ni plus moins réquisitionnées
par l’administration coloniale, au détriment de leurs propriétaires autochtones. Par ce tour de passe-passe, les indigènes
ne se rendirent même pas compte qu’ils se retrouvaient étrangers sur leur propre terre. Dès lors, ils n’étaient plus rien, plus
des personnes, même plus des êtres humains disposant du
droit minimal de disposer des ressources de nourritures. Plus
de représentation légale, pas de droit à la terre ni à aucune
ressource. La maîtrise de leur destin, leur échappa totalement.
Les terres appartiennent soit à la Couronne britannique soit à
la République française. Pour ne pas être immédiatement
chassés de leurs terres ancestrales par la force, ces « nonhommes » doivent en plus payer une sorte de taxe par habitant, l’impôt par « capitation » était le terme exact pour cette
infamie. Capitation… après la décapitation que représentait
l’aliénation de leurs terres… Pour les mécontents, le condominium disposait également d’une guillotine. Encore que les
indigènes n’y avaient même pas droit. Pour ceux qui contestaient le pouvoir absolu des Blancs, l’exécution arbitraire, sans
autre forme de procès, était le plus souvent la règle.
Trop c’est trop. Devant tant d’ignominie, le sentiment général et diffus d’une exploitation de l’homme par l’homme, du
colonisé par le colonisateur, fut de plus en plus exacerbé. Une
des premières révoltes organisées contre cet état d’oppression
fut celle du mouvement de Rongofuro qui culmina avec le
meurtre du colon Clapcott en 1923 au sud de Santo. Rongofuro, originaire du centre de Santo, rejoignit l’école presbytérienne de Tangoa où il devint un lettré. L’ethnologue Marc
Tabani en s’appuyant sur le rapport du Révérend Raff (1928)
nous livre le résumé suivant de l’action de Rongofuro :
« L’affaire Rongofuro (…) rassembla des éléments très caractéristiques [des thèmes assez véhiculés par les mouvements mélanésiens que les anthropologues ont classés comme des « cultes du
Cargo ». S’ajoutèrent à Santo des appels aux meurtres contre les
Blancs et un soulèvement indigène généralisé. Si dans son premier
rapport à l’administration britannique, le Révérend Raff (1928 :
39
100) décrivit l’affaire Rongofuro comme le déclenchement d’une «
crise de démence », il remarqua d’emblée le souci des prophètes à
être payés lorsqu’il s’agissait pour eux de garantir l’immortalité de
leurs adeptes après le cataclysme annoncé, de faire revivre les
morts ou d’obtenir en masse les biens des Blancs… Le prosélytisme de Rongofuro était dirigé vers les communautés de l’intérieur
de Santo, aux prises avec de très fortes pressions acculturatives, et
qui s’en remettaient à son expérience. Cela lui permit de rassembler progressivement une bonne partie des populations les plus reculées, sans lesquelles on ne pourrait expliquer la taille des rassemblements rituels pouvant regrouper de plusieurs centaines à
quelques milliers de participants…Le meurtre de Clapcott se produisit en 1923 au terme d’un grand rassemblement cérémoniel qui
devait se clore sur le retour des morts. Le contexte de son assassinat fut rituel (Clapcott fut démembré et dévoré). Mais cet acte de
représailles envers un colon blanc prit une tournure provocatrice.
Il fut exécuté chez lui, et à la manière dont les Blancs effectuaient
les expéditions punitives, en les annonçant à l’avance. Cette action
visait à démontrer l’invulnérabilité acquise par Rongofuro à l’égard
de ces derniers. Ce mouvement prit fin avec une répression violente qui entraîna de nombreuses arrestations, le jugement, puis
l’exécution de Rongofuro et de deux de ses acolytes9. (Tabani, 2002
: 151)
Le souvenir de Rongofuro est resté très présent dans la tradition orale de
Santo, comme en témoigne le récit du chef Tom Nonor, recueilli dans les
années 1970 par l’ethnologue Bernard Hours :
« Ronovofuro, il a fait des choses bien, de bonnes choses. A supposer qu’il
soit là, aujourd’hui nous serions bien ici. Ronovofuro invita à une danse et
j’y allais. Huit grands manguiers furent coupés et plantés autour de la
place de danse, entourée d’une corde attachée aux manguiers. On réunit
mille taros accrochés, des noix de cocos aussi. On dansa, dansa, dansa, on
dansa toute la nuit et on mangea un peu, pas trop. Je crois qu’il y avait 3
000 ou 4 000 personnes. On dansa encore toute la nuit.
J’allais dans la maison de Ronovofuro. II y avait six caisses, six grosses
caisses. Il les ouvrit. Elles étaient pleines d’argent anglais. Pleines. Six
grosses caisses. II nous dit que l’argent venait d’Amérique. On dansa encore puis des porcs furent tués. On leur coupa la tête. Ronovofuro tua cent
cochons et l’on mangea.
Je revins chez moi après la fête. Un homme blanc dont le nom était Mr
Clapcott vola une femme à Ronovofuro. Il l’emmena avec lui puis elle mourut. Ronovofuro dit: Mr Clapcott m’a volé une femme, elle est morte. Après
l’enterrement ils allèrent chez Mr Clapcott. Ils l’embarquèrent, le frappèrent
et le tuèrent. Ensuite la nouvelle fut connue des blancs et les soldats furent envoyés. Ils ont pris tout le monde, trente hommes prisonniers. Certains revinrent et Clapcott fut gardé et condamné à avoir le cou tranché à
la guillotine. Le couperet le manqua plusieurs fois, trois fois.
Le Français dit: il est libre. L’Anglais dit, non il doit mourir. Quatre, cinq
fois il fut manqué. Six fois.
9
40
Malgré l’éclat de ce premier coup de tonnerre dans la
brousse indigène, le gouvernement colonial n’eut aucun scrupule à introduire en 1930 une loi visant à régulariser les appropriations foncières frauduleuses. Il s’agissait de procéder à
l’enregistrement définitif de tous les titres fonciers qui pouvaient être présentés par les colons européens. La production
de ces titres interdisait tout litige ultérieur à propos de la légitimité de leur qualité de propriétaire. Une fois de plus, de
vastes superficies échappèrent aux indigènes. Il faudra néanmoins attendre les lendemains de la Seconde Guerre mondiale
et la prise de conscience facilitée par la présence des troupes
américaines, pour qu’une résistance indigène efficace voie le
jour. Depuis lors, les notions de liberté, d’égalité et de droit
des peuples à disposer d’eux-mêmes commencèrent à germer
chez les Mélanésiens.
Le Nagriamel n’est pas le premier mouvement revendicatif
indigène. Diverses tentatives d’opposition à la domination
condominiale avant la Seconde Guerre mondiale, l’ont précédé
et sont demeurées célèbres. Mais combien d’autres tentatives
de rébellion se sont manifestées dans la brousse de nos diverses îles, sans que les missionnaires où les Délégués condominiaux n’en eurent connaissance. C’est là un des mystères
de notre histoire qui ne sera jamais résolu. Malheureusement,
la transmission orale connaît ses limites, tout comme le système d’archivage des colonisateurs. Plus près de nous, un
dénommé Paul Tamlumlum du village de Wowo à Malikolo jeta
les bases d’une organisation qu’il nomma Malakula Native
Kampany (également connue sous l’acronyme de Malnatco).
Cet enfant d’Ambae, mais qui grandit à Malikolo, tenta par le
biais de ce mouvement de favoriser le développement économique parmi les insulaires Hébridais, tout en s’opposant aux
spoliations foncières menées par les colons Anglais ou FranRonovofuro leur dit : bientôt il va faire nuit et vous ne savez pas me couper
le cou parce que vous êtes Blancs. Rosval, un indigène va le faire. Et il y
parvint. Sa tête partit loin, loin, jusque dans les nuages pendant une
heure, deux heures, puis elle retomba sur terre. Tous les Blancs étaient
effrayés.
On l’enterra à Vila et on répandit deux sacs de ciment sur la tombe et on
l’entoura d’une grande barrière avec une grosse serrure. La tombe était
gardée par quatre hommes, quatre Blancs. Pendant six jours cela dura. Le
sixième jour l’esprit de Ronovofuro vint avec une torche. Les gardes furent
effrayés. La tombe fut trouvée détruite et ouverte, sans cercueil » (Récit de
Tom Nonor, in Hours, 1974 :234-235).
41
çais. Vu d’aujourd’hui, il pourrait s’apparenter à une sorte de
syndicat indigène. Dans le giron de cette entreprise de contestation de la situation de monopole économique des Hébridais
blancs envers les Hébridais indigènes, trois autres leaders, par
le soutien qu’ils apportèrent à Paul Tamlumlum, vinrent avec
ce dernier inscrire leur nom dans l’histoire moderne de notre
pays : le grand chef Tinabua Mata de Tongoa, John Bule un
autre vieux sage de Pentecôte originaire du village de
Bwatnapni, Charley Raghragh également de Pentecôte, ainsi
que Jimmy Kaku du nord-ouest de Malikolo. Ils furent les
premiers d’entre nous à proposer une forme efficace et nonviolente de révolte contre le pouvoir condominial.
Paul Tamlumlum, aidé par un commerçant français de
Port-Vila, puis par un britannique connu localement sous le
nom de Kimbe (Gubbay), implanta son quartier général à
Wowo, un village du nord-est de Malikolo. Il sollicita les habitants de différentes îles, notamment ceux du nord de l’île
d’Ambae, pour qu’ils viennent travailler à Malikolo dans les
plantations contrôlées par la Malakula Native Kampani. Le
fondement de la vision de Tamlumlum et de ses associés était
d’aider les autochtones à prendre leur destin en mains et de
cesser d’attendre que toutes améliorations matérielles de leurs
conditions viennent exclusivement des colons ou des autorités
condominiales. Toutefois, face aux revendications foncières de
ce mouvement, le gouvernement condominial chercha rapidement à contrer son développement. D’autant que Tinabua
Mata était parti pour Efate et John Bule à Santo, en vue
d’étendre le champ d’influence de la Malnatco. La première
mesure répressive du condominium fut l’arrestation de Paul
Tamlumlum et de ses comparses. Tamlumlum fut détenu à la
prison de Lamap, centre administratif du sud-ouest de Malikolo. Le chef Tinbua fut emprisonné à Port-Vila sur l’îlôt d’Ifira et
John Bule à Santo. Charley Raghragh fut exilé en NouvelleCalédonie. L’ethnologue Jean Guiart, qui enquêta sur la Malnatco au début des années 1950, nous livre le rapport suivant
sur l’histoire de ce mouvement :
Fuyant les guerres incessantes, certains groupes du plateau BigNambas se réfugièrent sur la côte nord-est, une zone où jusqu’à
lors, la population autochtone était peu nombreuse.
Les propriétaires du sol se trouvaient en face d’un rapport
inespéré de main-d’œuvre ; mais chaque village se partageait
42
désormais en deux groupes, autochtones et étrangers, aux
intérêts en grande partie antagonistes. Il fallait une solution…
En 1939, trois hommes, Paul Tamlumlum (d’Aoba) et les dignitaires païens Kaku et Raghragh, dit Charley, élaborèrent la
théorie d’une coopérative, d’une ‘Company’ à la manière des
Blancs. Unissant leurs efforts, ils produiront du coprah sur
une base collective, ce qui leur permettra d’alimenter une
caisse commune. Fruits du travail de tous, les fonds serviront
à la communauté. La force des Européens est d’ordre économique ; il s’agit par des moyens analogues aux leurs,
d’atteindre leur niveau de vie. Des magasins de la ‘Company’
assureront aux membres la distribution gratuite des marchandises ; plus tard, au fur et à mesure de la réussite, on
créera des écoles et des hôpitaux.
Nantis de cette philosophie, ils se mettent au travail. Sous
l’influence de Paul Tamlulum ils se convertissent au catholicisme en même temps qu’ils lancent l’idée d’une coopérative,
ne prévoyant pas que les Pères de Vao s’opposeraient au mouvement. Aux alentours de Matanvat, où l’idée était neuve, ils
firent très vite leur plein d’adhérents et entreprirent la réalisation de leur plan : débroussaillage et plantation de nouvelles
cocoteraies. Pour écouler sur une base collective la production
déjà existante, ils s’adressèrent [en 1939] à un commerçant de
Port-Vila. Ce dernier fit faire quelques chargements qu’il achetait lui-même, tout en se voyant confier la gérance de leur
caisse. […] Les dirigeants s’adressèrent ensuite à [Dal Gubbey]
un colon britannique de Malekula pour tenir leur caisse et
prendre leur production de coprah […]10.
D’après Jean Guiart, le lien entre la famille Gubbay et les dirigeants de
la Malekula Native Kampani, tels que Paul Talumlum ou Charley Raghragh
s’était établi dans les années 1920, lorsque ces derniers travaillèrent sur la
plantation des Gubbay qui les traitèrent avec respect et considération.
L’idée, du point de vue de la direction de la Maltnaco, était de s’appuyer
sur la confiance d’un homme d’affaire européen pour les initier aux pratiques de l’Economie monétaire. « Le rôle de Dal Gubbay avant-guerre n’eut
guère le temps de se préciser ; son fils Donald reprit le flambeau à la Malnatco pour devenir, grâce à elle, le seul acheteur de coprah et le seul fournisseur de main-d’œuvre dans la région, en particulier pour le chargement
et le déchargement des navires à Santo. Il ne versait aux gens que la moitié
de leur salaire nominal, le reste allant théoriquement à la caisse générale
de la Malnatco, qu’il gérait seul et pour laquelle il ne rendit jamais aucun
compte… [Malgré la répression qui allait s’abattre sur ce mouvement,
Donald Gubbay], jeune homme d’affaires, qui à cette époque s’était lancé
dans diverses entreprises de travaux publics, allait être protégé par la
10
43
On sait que les travaux collectifs de débroussaillage et de
plantation duraient toujours en 1941. […] Mais certains se
rebellaient contre la pression exercée sur eux pour assurer
leur participation. Cette année-là, Paul Tamlumlum se vit
infliger une peine de prison par le délégué français, pour atteinte à la liberté du travail […]. L’arrivée des troupes américaines et leurs besoins de main-d’œuvre mirent toute l’affaire
en sommeil. Tout le monde allait travailler à Santo au déchargement des navires. Pendant ces quelques années, les leaders
conservent le contact et poursuivent leur propagande […].
Dans la zone d’influence de la Compagnie, l’agitation [suscitée
par les bonnes relations établies avec les Américains, notamment par admiration de leur puissance et reconnaissance
envers leur générosité], se marqua par des manifestations proaméricaines ; à Matanvat, on hissa le drapeau américain. Le
délégué français réagit avec vigueur et Paul Tamlumlum,
Raghragh et Bule John de Pentecôte se retrouvèrent en prison.
À la fin des hostilités, la Compagnie repart en flèche, mais
en prenant des aspects inquiétants, du moins du point de vue
de l’Administration. Non seulement les débroussaillages reprennent, mais on entreprend de tracer des routes carrossables pour les futurs camions américains […]. Même agitation
à Pentecôte ; en 1947, le délégué de Port-Sandwich, M. Guédès
y fit arrêter les travaux de construction de route, et Bule John
prend une fois de plus le chemin de la prison.
[A Malikolo] Paul Tamlumlum et Etienne (chef traditionnel de
Matanvat), proposent de reprendre l’ancienne méthode de
travail, dont les moyens sinon les fins, étaient strictement
économiques. En 1949, s’installe à Santo le fils du premier
homme de confiance de la Compagnie. […] Les dirigeants en
vinrent bientôt à faire de ce jeune homme entreprenant leur
agent commercial, sinon leur chef officieux. Sous son impulsion la Malekula Native Company se donne une organisation
stable. Un Big Boss, Ati de Wala est à la tête ; un nombre variable de Councillors exercent les responsabilités locales et
font liaison avec Santo […] [Au cours de mon enquête, je vis à
mon grand étonnement se dessiner] le détail d’une organisaRésidence Britannique, laquelle appréciait son dynamisme. Il faudra de
longues années pour que les gens de la Maltnaco se séparent d’eux-mêmes
de M. Donald Gubbay, aujourd’hui en faillite, s’apercevant qu’ils avaient
été grugés » (Guiart, 1983 : 173).
44
tion offrant une complexité inattendue. Certains éléments
jouaient un rôle difficile à évaluer. On avait fait distribuer aux
adhérents une plaque matriculaire frappée d’un numéro individuel et portant l’inscription Malnatco (Malekula Native Company) ; en principe ces plaques devaient servir à l’identification
des membres à l’occasion des distributions de marchandises à
venir ; mais elles semblaient en passe de s’élever au rang
d’amulettes, de symboles de la puissance future du mouvement […]
Le recensement des adhérents effectué au fur et à mesure
de l’enquête et continuellement mis à jour montre bien la force
et le dynamisme du mouvement. Les dernières informations
donnent par région les chiffres suivants [en 1951] (seuls les
hommes sont comptés).
Malekula :
adhérents
Onua
Wala
Atchin
Vao
South West Bay
Matanvat
Bwetevoro
Vovo
Lirongrong
Tanmian
43
9
9
52
17
24
5
15
24
9
––
––
––
––
––
––
––
––
––
––
Pentecôte : 129 adhérents, surtout à Wamut, Henkok, Varewerep, Bulhak, Laratowo, Lewawa et Namaram.
Ambrym : 31 adhérents, surtout à Wakon.
[Toutefois la progression du mouvement est constante].
Kaku, sortant de prison, a recruté en une fois les hommes du
canton d’Onua. Les leaders toujours persuadés de la valeur de
leur tentative, montrent un enthousiasme communicatif. Dans
ces villages hébridais peu peuplés, les adhésions se font en
bloc après des discussions générales, de façon indépendante
de la confession religieuse et jusqu’ici en dépit de l’opinion
défavorable exprimée par les missionnaires » (Guiart, 1951 :
244-246)
45
La répression de la Malnatco, même si elle fut moins intense que celle du mouvement John Frum, n’en fut pas moins
constante. Les conditions d’emprisonnement de ces leaders
furent impitoyables. L’objectif était de les réduire au silence. A
l’enfermement, on ajouta les traitements inhumains. Tamlumlum fut plongé des jours durant dans un vieux réservoir
d’eau croupie, où on lui jetait ses repas qui se mêlaient aux
excréments et à l’urine. Fort de ce traitement barbare, Paul
Tamlumlum périt en prison. La dépouille Paul Tamlumlum fut
enterrée discrètement à Lamap à proximité de sa geôle.
L’administration condominiale française s’opposa longtemps à
la demande de ses sympathisants et de sa famille de faire
transférer son corps. Le prétexte de l’administrateur pour
s’opposer à l’hommage funéraire rendu à ce grand réformateur
qu’était Tamlumlum était d’empêcher que n’aient lieu au tombeau des rites d’évocation du mort.
Après maintes requêtes auprès de l’administration générale
et grâce à la médiation de Jean Guiart, le corps de Tamlumlum fut finalement déterré, puis transporté à Wowo, le
quartier général du mouvement, où il fut définitivement inhumé, dans la dignité cette fois-ci. Ses proches collaborateurs, sa
famille et tous ses sympathisants étaient présents à l’office
religieux pour rendre un dernier hommage à cet homme qui
tenta de s’opposer aux injustices et aux inégalités entretenues
par le condominium. Ce précurseur de l’indépendance n’eut de
cesse de revendiquer haut et fort le droit des indigènes sur
leurs terres. L’affirmation de ses convictions le conduisit au
sacrifice suprême, mais ce ne fut pas en vain, puisque son
idéal de justice allait grandir et prospérer. Après la mort de
Paul Tamlumlum, les gens d’Ambae, dont la prospérité et le
sens de l’autonomie avaient inspiré Tamlumlum, quittèrent
progressivement Malikolo. Aujourd’hui encore, on peut voir les
traces de leur implantation à Wowo. Quelques années plus
tard, ils s’investiront massivement dans le Nagriamel. Les
sympathisants de Tamlumlum poursuivirent son mouvement
sous une autre appellation. La Malekula Native Kampani devint la Niu Hebridis Native Kampani, également connue par les
man-Malekula sous le nom de Namagi Aute, lequel présente
depuis la fin des années 1970 ses représentants aux différentes élections locales et nationales.
46
CHAPITRE 2
Jimmy Stevens et le Nagriamel
Près de vingt ans après l’apparition de la Niu Hebridis Native
Kampani à Malikolo, ce fut au tour du mouvement Nagriamel,
à Santo puis dans l’ensemble des îles du Nord, de reprendre le
flambeau de la défense du droit des indigènes et du soutien à
leurs revendications foncières. Avant l’indépendance, beaucoup de choses ont été dites à propos de ce mouvement. Après
l’indépendance des milliers de pages ont été écrites à son sujet. Parfois en bien, mais souvent en mal. Alors même qu’il y a
eu par le passé, des points de convergence entre le Nagriamel
et le Vanuaaku Pati, qui n’était encore à l’époque qu’une Association Culturelle des Nouvelles-Hébrides, par la suite, les
divisions entre les partisans d’une indépendance immédiate et
ceux d’une indépendance différée, voire différente, devinrent
insurmontables. A partir de 1976, tous commencèrent à
s’accuser mutuellement de terrorisme et de trahison culturelle
envers leur peuple. Ainsi, à en croire Lini, « au travers de leur
opposition à l’indépendance, les soi-disant Partis Modérés ne
sont vraiment pas des modérés. Ils sont des terroristes assoiffés de pouvoir, qui ne toléreront aucun système démocratique
[…]. Les activités terroristes qui ont commencé en 1976 (...) ne
sont pas mélanésiennes. Les Mélanésiens ne règlent pas leurs
problèmes en utilisant la force secondée par des armes européennes sophistiquées » (Lini, 1980 : 42 ; 53). En réponse de
quoi, Jimmy Stevens, leader du Nagriamel, n’aura de cesse
d’accuser le VP d’avoir « quitté la coutume et rejoint l’homme
blanc » (Van Trease, 1987 : 168) :
Parce que c’est la coutume. Natakaro a parlé ! Natakaro dit : ‘vous
pouvez rester ici si vous vous conformez à la coutume, mais si
vous voulez installer votre pouvoir contre la coutume, vous devez
vite retourner chez vous’. Ceci n’est pas la déclaration d’un seul
homme mais la voix de la coutume, de la coutume qui a toujours
existé (...). Aussi, aujourd’hui, les gens qui habitent Santo doivent
voter pour la coutume de Santo. S’ils veulent voter ‘politique’, ils
doivent retourner chez les gens du Vanuaaku. Moi je crois (…) [que
ce parti] vient de Nouvelle Zélande et d’Australie, mais voilà, les
47
Noirs ne peuvent pas aller vivre en Nouvelle Zélande ou en Australie… (Stevens, in Bernard, 1983 : 73-74)
Sans vouloir revenir sur ces polémiques d’un autre temps,
dont seul le travail de l’historien peut aujourd’hui se faire
comptable, je voudrais simplement insister à propos de
l’histoire du Nagriamel, sur le fait que sans l’action de ce mouvement, les mobilisations qui l’ont précédé, qui l’ont accompagné ou qui se sont opposé à lui, les Nouvelles-Hébrides
n’auraient sans doute pas obtenu l’indépendance avant des
lustres. Même Barak Sope, ardent nationaliste et farouche
ennemi du Nagriamel, reconnut – mieux vaut tard que jamais
– après qu’il fut nommé Premier ministre en 1999, la primauté des mouvements coutumiers et tout particulièrement de
John Frum et du Nagriamel dans la lutte pour l’égalité des
droits et l’autonomie politique :
La Constitution de Vanuatu indique clairement qu’il y a de la place
sous notre soleil de Vanuatu pour chacune de nos coutumes, ainsi
que pour le mouvement John Frum ou le mouvement Nagriamel
ou n’importe quel autre mouvement ou organisation. Et ces mouvements disposent de tous les droits pour poursuivre leur action,
de même que tous leurs membres ont le droit d’y adhérer, de
même qu’ils ont le droit de participer au Gouvernement, de voter,
d’aller à l’école, d’utiliser les routes ou d’aller à l’hôpital. Nous devons simplement respecter ce qui est écrit dans la Constitution.
La première fois que je suis venu ici, à Sulphur Bay, j’étais encore
à l’université et j’écrivais mon livre. Je suis venu parler avec le
vieux Mweles et les autres anciens du mouvement John Frum. A
cette époque, le Vanuaaku Pati n’était pas encore né, pas plus que
le NUP [National United Party] ou tous les autres partis. Il n’en
existait pas un seul. Seuls existaient les mouvements John Frum
et Nagriamel. Et à l’époque, tous les anciens de ces mouvements
avaient déjà discuté de l’indépendance, celle-là même dont nous
disposons aujourd’hui… (Barak Sope, extrait d’un discours tenu à
Sulphur Bay (Tanna), le 15 février 2000, recueilli et traduit par
Tabani, 2008)
Le contexte géo-stratégique de la naissance du Nagriamel
La plus grande des îles de Vanuatu (4 248 km², 116 km de
long, 59 km de large), l’île de Santo représente le tiers de la
superficie totale de l’archipel. Sa puissante chaîne montagneuse, dont trois pics dépassent 1700 mètres (monts
48
Tabwemasana, Kotamtam, Tawaloala), départage l’île d’est en
ouest. Hormis ces zones montagneuses, l’intérieur de l’île est
couvert par la brousse, et Santo possède, de par ses vastes
superficies, le plus gros potentiel agricole de l’archipel. A ses
vastes cocoteraies des côtes sud et est se sont vus ajouter
l’élevage de bétail, la pêche et toutes sortes de cultures commerciales (kava, produits maraîchers, maïs, cacao, arachides).
L’exploitation forestière concerne principalement la côte ouest.
L’île profite également des retombées de l’économie urbaine de
Luganville, des activités d’import-export, des banques, du
tourisme, des services et de quelques implantations industrielles dont une fabrique de savon et une conserverie de
viande de bœuf.
Suite à l’échec de la tentative de conquête coloniale conduite par Quiros au 17ème siècle, la colonisation européenne
fut relancée au 19ème siècle à partir de la côte sud. D’après le
géographe Joël Bonnemaison, l’installation des Européens
(une vingtaine en 1906, puis une centaine en 1917) sur la
bande de terre littorale où se développa la communauté urbaine de Luganville, entraîna assez peu de réactions de la part
des populations indigènes bordant le Canal du Segond. Cette
région était peu densément peuplée :
Cet espace était considéré comme un lieu de rencontre entre les
gens de Malo et ceux de l’intérieur de Santo. (…) Il s’agissait en
quelque sorte d’un no man’s land, séparant des entités politiques
différentes, un espace-frontière, sans enracinement des communautés dont les territoires réels étaient de part et d’autre.
L’expansion de la colonisation put donc s’y développer sans
grandes contestations. (Bonnemaison, 1986 : 444)
Les vrais problèmes débutèrent lorsque la colonisation foncière se prolongea vers la côte est, qui présente de vastes surfaces agraires utiles, propices à l’implantation de cocoteraies,
mais également de fortes concentrations démographiques.
Avec la guerre du Pacifique et l’installation d’une base avancée
de l’armée américaine sur Santo pour contrer l’avancée japonaise aux îles Salomon, l’île connut un total bouleversement.
Luganville et ses environs furent transformés en une gigantesque base aéronavale, qui recevra entre 1942 et 1945, plus
d’un demi-million de soldats américains (Geslin, 1956 : 27). A
cette époque, sur les côtes de Santo on pouvait assister à un
continuel défilement de navires :
49
« Après les jours héroïques où le ravitaillement de Guadalcanal
fut assuré par les moyens locaux, il y eut un afflux prodigieux
de navires à Santo. En 1943 et 1944, il y avait en moyenne
tous les jours dans le canal du Segond de cent à cent cinquante navires, à peine moins sur la baie de Pallicolo. Le canal
bouillonnait littéralement sous les hélices des vedettes qui les
sillonnaient en tous sens. Le travail de nuit interdisait le
black-out. La nuit c’était donc une féerie de lumières sur le
canal » (Geslin, 1956 : 260).
Pendant cette période, les colons ne représentaient plus
qu’une frange minime de la population noyée au milieu des
uniformes l’US Army : soixante familles de colons, guère plus
de 200 personnes, auxquelles s’ajoutaient 2 000 à 2 500 «
Tonkinois » (nom donné aux coolies indochinois amenés par
les Français aux Hébrides pour y servir de main-d’œuvre), soit
bien peu de monde en comparaison des 100 000 Américains
présents sur l’île en 1944 (Geslin, 1956 : 273). Du côté indigène, des centaines de Mélanésiens furent conduits de toutes
les îles pour travailler sous contrôle américain qui les rémunéraient avec des salaires bien supérieurs à ceux qu’ils percevaient anciennement auprès des colons. Les Tonkinois en
profitèrent pour s’émanciper politiquement et développer leurs
propres entreprises économiques. Les Mélanésiens en contact
avec les Américains furent traités en égaux par les soldats
noirs qui représentaient 70% des effectifs du corps d’armée
américain. Jimmy Stevens, co-fondateur puis leader du
Nagriamel, témoigna de la profondeur de cette prise de conscience pour les indigènes :
Je peux témoigner que c’est l’Amérique qui nous a apporté la vraie
lumière. Cette lumière qui fut diffusée à tout le pays, n’était pas
celle d’une simple torche, mais une lumière qui permettait de
construire quelque chose. Lorsque toutes les mains se mirent à
travailler, nous pouvions constater que les choses changèrent rapidement. Tous les hommes se mirent à travailler. Plus personne
ne chômait. Je peux attester que dans ce pays, lorsque l’Amérique
est venue, celle-ci a apporté la lumière. Car auparavant, il n’y
avait que le Blanc qui cherchait à nous apprendre que le maître
c’était le maître. Nous étions ses boys, ses employés. Il était le
maître. Mais avec la venue de l’Amérique, il n’y avait plus de
maître. Tout le monde était égal. A cette époque, même lorsque
vous étiez un big-man ou n’importe qui d’autre, vous deviez travailler ensemble avec tous les autres pour que le travail avance ra-
50
pidement ; (témoignage de Jimmy Stevens, recueilli par James
Gwero, à sa sortie de prison).
Cet incroyable étalage de moyens, d’hommes, de technologies et d’argent, ne laissa pas indifférent les Mélanésiens. Mais
toutes les populations de l’intérieur de Santo ne furent pas en
contact avec les Américains. « En fait l’armée américaine
n’occupa pas toute l’île, dont les massifs montagneux du
centre et du nord-ouest ont conservé jusqu’à maintenant le
caractère mystérieux de ‘Terra Incognita’ » (Geslin, 1956 : 257).
Avec la nécessité d’étendre les surfaces agricoles exploitables
pour le ravitaillement des troupes et de protéger l’équipement
militaire, les populations locales furent d’abord évacuées en
direction de la brousse (Van Trease, 1981 : 38). Cette situation
confortait l’implantation des colons, faisant reculer les limites
avec les terres mélanésiennes. Pour les colons, l’enjeu était
d’éviter lors de la fin de la guerre, que les indigènes ne reviennent pour réclamer les nouvelles terres défrichées.
Luganville n’était avant-guerre qu’un comptoir colonial vers
lequel ont convergé diverses vagues de migration (colons européens, coolies et marchands asiatiques, main-d’œuvre océanienne et migrants des autres îles de l’archipel). Ces vagues
migratoires se sont intensifiées après-guerre pour peupler les
anciens camps américains et ont donné à Luganville, du point
de vue de sa taille comme de ses infrastructures, sa véritable
morphologie urbaine. Jusqu’à l’indépendance, Luganville était
devenu le centre administratif condominial des îles du nord et
le fief des colons français et des Mélanésiens francophones de
la région. Luganville connut après l’indépendance de sérieux
changements dans sa composition sociale, du fait du départ
ou de l’expulsion de nombreux colons et de néo-Hébridais
impliqués dans la rébellion de 1980.
Les prolégomènes
Le Nagriamel tout comme la Malekula Native Kampani trouve
sa raison d’être dans les revendications indigènes contre
l’aliénation de leurs terres par les Blancs. L’accentuation de la
colonisation foncière à Santo par les colons européens de Santo prit de nouveau de l’ampleur après-guerre, du fait notamment des nouvelles routes qui avaient été tracées par les Amé51
ricains. Ces routes conduisaient notamment vers des zones
qui avaient été évacuées de leurs populations de par leur
proximité avec les camps militaires qui y avaient été construits
pendant la guerre. Les terres les plus convoitées étaient celles
se trouvant en amont de la rivière Sarakata, dans un domaine
foncier connu sous le nom de « Luganville Estate ». La propriété de ce domaine de 13 086 hectares, situé à une vingtaine de
kilomètres au nord de Luganville, avait été attribuée pour
quatre-vingt-dix-neuf ans, à la Société Française des Nouvelles-Hébrides, par deux jugements du tribunal condominial
en 1951 et 1959.
L’initiative d’une contestation indigène fut prise à Santo
durant les années 1960 par Paul Tari Buluk, « chef coutumier
» de l’intérieur de l’île, qui réclamait des droits fonciers sur une
partie des terres de la SFNH, et dont il entendait prouver
qu’elles avaient été occupées par ses propres aïeuls. De là date
sa rencontre avec Jimmy Stevens. Cet ancien conducteur de
bulldozer, avait procédé lui-même, sur ordre de la compagnie
qui l’embauchait, à la destruction des vestiges du village ancestral de Buluk, y compris les tombes des parents de ce dernier. Stevens avait été approché par les man-bush pour le
témoignage qu’il pouvait rapporter sur sa participation à cette
action et pour ses éventuelles capacités à leur livrer des
armes, le trafic de marchandises étant alors sa principale activité.
Si la date précise de la naissance du Nagriamel est mal
connue, les aspects revendicatifs de l’action du chef Tari Buluk débutèrent dans l’année 1963. Mais l’officialisation remonte à l’année 1964. Lors d’une grande assemblée qui s’est
tenue dans la maison du métis Robert Coulon, à Sarakata un
quartier de Luganville, les chefs de Santo, avec à leur tête,
Paul Tari Buluk, décidèrent de choisir Jimmy Stevens, parce
qu’il parlait leur langue et savait les comprendre. Les sollicitations de Buluk auprès de Stevens dépassèrent rapidement la
demande d’un simple soutien. Elles se transformèrent en une
proposition faite à Stevens pour prendre la tête d’un mouvement indigène de revendication foncière. Jimmy Stevens fut
désigné porte-parole du mouvement et un accord fut signé :
Lorsque je leur demandais de quel pouvoir ils disposaient pour revendiquer la terre [...], ils me répondirent, aucun, sinon leurs coutumes traditionnelles (traditional customs). Mais ils ne savaient
52
comment ils pouvaient les utiliser au mieux, et comptaient sur moi
pour leur donner la solution. (Stevens, in Van Trease, 1987 : 139)
Cet accord, connu sous le nom de « Act of Dark Bush », stipule la protection des terres indigènes et le principe de leur
restitution aux propriétaires coutumiers des îles de Santo,
Malo, Aore, Tutuba, Mavea, etc. Toutes les îles qui appartiennent aujourd’hui à la province de Sanma (circonscription de
Santo-Malo). Quelques jours plus tard, afin de concrétiser cet
accord, Jimmy Stevens procéda à la destruction de la clôture
de la plantation de Samonsen. Ce fut sa première protestation
officielle. Jimmy Stevens et Tari Buluk furent emprisonnés et
accusés d’enfreindre les lois sur la propriété privée. Ils furent
jugés, emprisonnés, puis relâchés peu de temps après. Depuis
lors, ce mouvement n’a jamais cessé de se durcir et de prendre
une ampleur inattendue.
Mais la véritable date de fondation de ce mouvement coutumier se confond avec l’installation, en 1966, de son quartier
général dans le village de Vanafo. Il prit définitivement le nom
de Nagriamel lors d’une grande réunion qui s’est tenue à Vanafo le 15 janvier 1966, à laquelle participèrent plus de 600
personnes. On chercha un nom qui reflète toutes les îles de
l’archipel. Sur la proposition d’un vieux dignitaire du village de
Tavala, Albert Reret, on arriva à obtenir un compromis sur les
noms de nangaria et de namele. Le nangaria est un symbole
de la masculinité. Le namele, plante utilisée pour marquer les
démarcations foncières est un symbole féminin et un symbole
de paix. La combinaison des deux plantes, le mâle et la femelle
symbolise l’unité. Jimmy Stevens utilisait également le terme
Natamata, Natangwata : la paix, l’harmonie, etc. L’ethnologue
Bernard Hours suggère l’analyse suivante pour la double étymologie de l’appellation Nagriamel :
Le Nagriamel tire son nom de deux plantes : Nangaria (Cordyline
fruticosa) et Namele (Cycas circinalis). La feuille de Nangaria était
utilisée comme cache-sexe masculin par les man bush, avant
I’apparition du calicot. Le Namele précisait le grade du porteur
entre autres multiples significations. On le trouve actuellement sur
les femmes en brousse, qui portent aussi des feuilles de Nangaria
devant les parties génitales. Les hommes ne revêtent ces feuilles
que lors des fêtes et des danses. Elles sont passées dans la ceinture. La feuille de Nangaria est un symbole féminin, comme cachesexe du premier homme, elle est un élément important de la cul-
53
ture. La feuille de Cycas (Namele) est par contre un symbole masculin selon les informateurs. C’est par excellence le signe social
symbole de la règle ou de la loi. A la fin des guerres traditionnelles
entre villages, guerres ponctuées d’anthropophagie, la feuille de
namele signalait le retour à la paix et à l’ordre.
Il semble donc que l’union de ces deux feuilles insiste sur
l’aspect d’ordre culturel humain par opposition au désordre,
domaine de la nature et du déchaînement des forces antisociales dont l’anthropophagie et la guerre sont les sommets.
Tous les hommes descendent de l’union de ces deux plantes
de sexe opposé. Cette généalogie mythique liée aux plantes
nous permet de souligner le nombre très élevé des plantes
signifiantes pour les autochtones. A la limite, on peut dire que
les feuilles sont l’expression de la coutume, ou le véhicule
privilégié des messages de portée sociale. Elles ont aussi des
utilisations curatives et il existe de nombreux interdits à leur
sujet. Ainsi, «rompre une branche de namele », c’est « tuer un
homme » (…). L’importance du namele est supérieure en apparence à celle de la nangaria (cordyline) par le nombre des références à ses multiples significations sociales traditionnelles.
Les arbustes namele sont situés au soleil levant par rapport à
un point de référence socialement valorisé, par exemple le
Nakamal (maison commune d’un village) ou le drapeau à Vanafo. Ainsi les man Santo et par extension tous les membres
du Nagriamel se perçoivent comme descendants de ces deux
plantes symboliques conçues comme le père et la mère des
origines. Elles expriment nettement la continuité de la tradition culturelle, la règle coutumière, la loi ancestrale » (Hours,
1974 : 233-234).
Le sens exact de ce nom ne fut commenté que par Jimmy
Stevens lui-même, qui l’assimila à la notion même de kastom.
Selon Beasant, Stevens lui rapporta que le jour où il s’enquit
auprès des man-bush pour connaître l’essence de la kastom
de Santo, il lui fut répondu : « La feuille de namele est notre
tabou, notre loi, notre coutume, la feuille de nagria est notre
sérénité, notre corps » (Stevens, in Beasant, 1984 : 17).
L’installation à Vanafo
En plein cœur du domaine foncier de la SFNH, dans un espace
défriché en amont des chutes de la rivière Sarakata, fut fondée
54
la communauté de Vanafo, constituée à l’origine de quelques
cases édifiées sur les terres revendiquées par Buluk comme
étant celles de ses ancêtres. Le nom Vanafo ou Tanafo, « panier de fruits » dans la langue locale (Beasant, 1984 : 18), vint
symboliser la richesse des terres destinées à nourrir les
hommes du Nagriamel. Ce hameau passera rapidement à la
taille d’un village, où vint s’établir le quartier général de
l’administration du mouvement. La nouvelle communauté
connut à ses débuts de difficiles moments. La stagnation de la
situation sociale et économique à Vanafo, consécutive aux
difficultés matérielles rencontrées pour l’exploitation de la
brousse des alentours du village, était principalement due au
faible nombre de participants. Toutefois, les effectifs du
Nagriamel gonflèrent rapidement. A l’occasion du meeting de
1966 qui consacrait Vanafo comme le quartier général du
mouvement, furent précisés certains points sur l’organisation
du mouvement et sur sa stratégie :
Lors de ce meeting, Jimmy Stevens et le chef Buluk furent intronisés comme les deux les chefs commandants pour Santo. Stevens
fit son allocution et précisa qu’il n’était pas dans son intention de
combattre ou de s’opposer à qui que ce soit, mais qu’il entendait
favoriser la coopération dans le travail avec tous, pour améliorer
les conditions de vie à Vanuatu. A l’avenir, si quelqu’un devait
avoir des problèmes fonciers, il devait voir Jimmy Stevens et le
chef Buluk. (Van Trease, 1987 : 140)
À cette époque, la plupart des man-Santo était encore
analphabète, et il était difficile pour eux d’approcher les autorités coloniales. Ils pensaient également qu’en remettant leur
sort entre les mains d’un natif de Santo, mais qui était un
métis à moitié mélanésien et à moitié anglais, ils disposeraient
d’un médiateur privilégié auprès des autorités condominiales.
En ces temps, Jimmy Stevens n’était encore qu’un porteparole et un idéologue du mouvement au service des manbush de Santo représentés par Buluk. Il devint le chef unique
et incontesté du Nagriamel lorsqu’il s’en servit comme d’une
organisation destinée à inclure l’ensemble des Mélanésiens
laissés pour compte du système colonial. Stevens nous narre
la fondation de Vanafo à la manière d’un mythe nationaliste,
où les pionniers armés de leur seul courage et de leur grande
solidarité cherchaient à se réapproprier la terre de leurs ancêtres.
55
L’idée d’un quartier général ici, à Vanafo, était d’établir quelque
chose d’indépendant à l’égard des deux gouvernements ; un petit
quartier général de tous les autochtones [native people]. Lorsqu’ils
vinrent s’établir ici, alors qu’il n’y avait que sept personnes, la situation était très difficile, car tous les alentours étaient recouverts
par le bush, le vrai dark bush. Il vint d’abord cinq hommes de
chaque île, certains depuis les côtes, d’autres depuis l’intérieur,
jusqu’à ce que nous soyons² trois ou quatre cents personnes. Ils
travaillèrent en accomplissant toutes les tâches à la main, défrichant et plantant quarante à cinquante hectares de brousse, et
tout ça la même année. Ils travaillèrent à la seule force du poignet
car nous ne voulions réclamer quoi que ce soit aux deux gouvernements. L’idée était, pour des gens provenant d’autres îles, de venir voir Vanafo, car s’ils voulaient défricher la brousse dans leur
propre île, le quartier général leur rendrait leur aide en retour.
(Stevens, in Beasant, 1984 : 18)
Cette installation fut décisive pour les succès ultérieurs
que connut ce mouvement, notamment du point de vue de son
expansion au-delà des limites de l’île de Santo. D’une population de 27 habitants d’après le recensement de 1967, le
nombre a augmenté à 200 en 1969 puis 500 en 1970. La localisation symbolique de ce village a été minutieusement étudiée
pour stopper la progression des colons vers le dark bush. Afin
d’encourager les personnes désirant venir s’y installer, Stevens
promit des parcelles de terrain ; environ un à deux hectares
pour chaque famille. S’ils travaillaient et faisaient fructifier
cette terre pendant cinq ans, le comité du Nagriamel leur promettait de leur en donner la propriété.
Des plantations de riz, de pistaches, de café, de cacao et de
bananiers furent développées. Rapidement, Vanafo comptait
également des centaines de têtes de bétail et de cochons. C’est
donc un système économique original que met en place le
Nagriamel, dont la logistique et l’organisation est assurée par «
l’Union Office » qui occupe un bâtiment faisant fonction d’hôtel
de ville et de quartier général, au pied du mât porte-drapeau,
centre politico-administratif du village, par opposition au
centre traditionnel situé au pied d’une immense banian qui
marque le centre public, le lieu de réunion des grands meetings. Bernard Hours nous fournit quelques informations supplémentaires sur cette organisation :
« La principale fonction de l’Union Office est l’exploitation collective
des terres consacrées aux productions agricoles commerciales.
C’est sur ces terrains baptisés « fermes » que le lundi et le vendredi
56
les hommes travaillent, parfois avec le concours des femmes qui la
plupart du temps s’occupent de la propreté intérieure des allées du
village et de la place de réunion. Les cultures portent aujourd’hui
essentiellement sur le riz, les arachides et les patates douces.
L’organisation de cette production exprime un désir explicite de
cultures commerciales (…). La plupart des produits ainsi récoltés
sont stockés pour être vendus et ne sont pas l’objet d’une autoconsommation villageoise. Celle-ci est assurée par les jardins privés, cultivés comme par le passé, en taros et ignames.
En plus de ces cultures, la ferme comprend un vaste enclos à
bœufs et un enclos pour les cochons. Elle dispose d’un tracteur,
d’une machine à décortiquer le riz et de quelques outils dépareillés
pour les réparations mécaniques (…). L’Union possède un fichier
de travailleurs qui exercent leur activité soit à l’intérieur du village
(ferme), soit à l’extérieur sous la forme de location de main-d’œuvre
sur les plantations et dans les quelques entreprises de l’île. Ces individus sont nourris par l’Union qui leur distribue des patates,
mais ils voient leurs salaires diminués d’une importante retenue
qui va à la caisse de l’Union » (Hours, 1974 : 232).
Pour compléter ces entreprises agraires, le mouvement
possédait une trésorerie ou une sorte de banque pour la communauté, et depuis 1960, les agents du mouvement voyageaient dans les différentes îles de l’archipel afin de collecter
une sorte de taxe d’affiliation ou de cotisation de membre.
Beaucoup de personnes des îles du nord adhérèrent au
Nagriamel. En 1969, le mouvement enregistre une somme de
50 000 $ (l’équivalent de plusieurs dizaines de millions de
vatus en chiffres constants) dans leur caisse.
L’idée d’une extension du Nagriamel aux populations des
autres îles du nord de l’archipel fut le véritable déclencheur de
ses succès à venir. Elle créa également les circonstances favorables à la mainmise de Jimmy Stevens sur le Nagriamel. Les
tentatives répétées d’installation de Mélanésiens d’autres îles à
Moru, village contigu de Vanafo, déclenchèrent une réaction
des autorités coloniales qui condamnèrent Stevens et Buluk
en 1968 à six mois d’enfermement. Car à ses débuts, contrairement à la période des années 1970, ce mouvement coutumier suscita beaucoup d’ennemis du côté du gouvernement
mais aussi du côté des colons et planteurs. Beaucoup d’entre
eux n’acceptaient pas ses revendications. Les administrations
française et britannique, jouaient de la carotte et du bâton.
Tous s’interrogeaient sur la portée réelle du Nagriamel et se
tenaient dans l’expectative.
57
L’administration
française
profita
toutefois
de
l’incarcération pour mener des négociations avec Stevens. Un
accord tacite fut trouvé sur la question de la redistribution de
terres en possession de la SFNH. Mais au-delà d’un accord sur
cette intention qui ne se traduisit pas dans les faits avant
1975, ces compromis instaurèrent une reconnaissance réciproque de l’autorité coloniale française et de celle décrétée
coutumière de Stevens, encourageant ainsi la dimension traditionaliste du leadership de ce dernier. De simples conjonctions
d’intérêts au départ, les liens avec l’administration française
allaient graduellement se transformer en une franche coopération. Ce soutien français, placera le Nagriamel sous le feu des
critiques de ses concurrents nationalistes du Vanuaaku Pati.
D’après Beasant, conseiller australien personnel de Walter
Lini, le futur Premier Ministre de l’indépendance, dénonçait
régulièrement les interférences françaises, dans « la transformation complète d’un mouvement de revendication foncière
coutumier et isolationniste, en un parti politique francophile
constitué sur des schémas occidentaux » (Beasant, 1984 : 31).
L’organisation politique et les orientations idéologiques du
Nagriamel
Dans un premier temps, cet accord permit d’assurer la réussite de la politique d’immigration suivie par Stevens, en garantissant l’impunité de la reconquête foncière du Nagriamel et la
neutralité intéressée des autorités françaises dans l’extension
de la propagande de ce mouvement à d’autres communautés
de l’archipel. Il rendait envisageable la constitution d’une fédération politique des îles du nord sous la bannière du
Nagriamel, d’une entité politique qui, forte de sa prétention à
une « légitimité coutumière », aurait eu l’extension « d’une
affiliation religieuse » :
« De la stratégie échafaudée par Jimmy Stevens à partir de la fondation d’un ‘quartier général des populations indigènes’, insiste
l’ethnologue Marc Tabani, il se dégagea une nécessité d’élargir la
base du mouvement et d’obtenir des moyens d’action à la hauteur
de son engagement. Stevens mit à profit sa deuxième période de
détention pour repenser ses perspectives. Il finit par se convaincre
de fonder son action personnelle sur une ouverture politique du
Nagriamel en associant trois éléments complémentaires : 1/
58
l’abandon résolu de l’anti-colonialisme français dans la perspective
d’une collaboration avec les autorités administratives françaises ;
2/ l’élargissement géographique du Nagriamel à l’intention des populations des îles du nord de l’archipel, impliquant une propagande extérieure et un plan d’émigration en direction de Santo ; 3/
la prise de pouvoir de Jimmy Stevens sur le Nagriamel et la légitimation de son autorité sur la base de la kastom des man-bush de
Santo. L’imposition de ces trois orientations visait à pérenniser le
mouvement en ne l’enfermant pas dans la seule revendication foncière des man Santo. Telles furent les lignes de conduite retenues
par Jimmy Stevens pour la mise en œuvre d’un développement
économique, sur la base de moyens technologiques modernes, et
au profit de ses sympathisants réinvestis dans leurs droits fonciers
» (Tabani, 2001 : 154).
L’organisation politique et la composition sociale du
Nagriamel au début des années 1970, fut minutieusement
décrite par l’ethnologue Bernard Hours :
Le Nagriamel met en œuvre à Vanafo toute une organisation politico-économique très formalisée que nous analysons maintenant. Le
centre du mouvement (headquarter) qui est en fait double puisqu’il
se compose de Vanafo, le long de la Sarakata, et Moru qui est mitoyen avec les plantations voisines et qui fut l’objet de la première
lutte du Nagriamel. L’ensemble est communément appelé Vanafo.
Avant 1964, seules trois ou quatre cases de passage étaient installées sur cet emplacement. Buluk résidait à Veliara, plus à
l’intérieur, sur la rive droite de la Sarakata. Moru toutefois était
son fief coutumier et sa terre depuis plusieurs générations, bien
que sa parentèle n’y résidât pas à la suite d’un conflit ancien. À
l’extinction de la faction adverse, il revint s’établir là et le passage
de la rivière équivalait à s’avancer à proximité immédiate des plantations…
La division entre Moru et Vanafo a peu d’effets réels. On peut noter
toutefois que Vanafo est habité uniquement par des man Santo,
largement alliés et clients de Buluk et qu’ils sont pour la plupart
installés depuis les débuts du Nagriamel. Une fraction importante
est constituée par des populations originaires d’autres îles. C’est
ainsi que l’on trouve [au début des années 1970] : 40 maisons de
man Santo (Moru et Vanafo), 24 maisons d’habitants d’Aoba, 12
maisons d’habitants de Paama, 14 maisons d’habitants d’Ambrym,
2 maisons d’habitants de Pentecôte. 3 maisons d’habitants de Epi,
1 maison d’habitants de Malo, 1 maison d’habitants de Vila, 1
maison d’habitants de Malekula […].
Beaucoup d’habitants originaires des îles voisines gardent
leurs propriétés et leurs biens familiaux dans leur île d’origine,
59
ce qui motive des déplacements fréquents et parfois des séjours prolongés sur Aoba, Malekula ou Ambrym. La notion de
résidence est donc assez délicate à établir car il peut y avoir
une circulation d’individus différents dans certaines maisons.
On peut affirmer que la population varie de 300 individus
dans les périodes creuses à 800 personnes environ au moment
des deux grands meetings qui ont lieu biannuellement.
Le Nagriamel revendique par ailleurs 15 000 adhérents aux
Nouvelles-Hébrides, c’est-à-dire 15 000 personnes ayant signé
et acquitté les quelques shillings de droits d’entrée. Les différentes origines de la population à Vanafo nous mettent en
présence d’un phénomène nouveau d’une certaine ampleur. Le
caractère fédéral du mouvement se retrouve dans sa « capitale
» mais cette population variée, si elle coopère, ne se mélange
qu’assez peu, sauf chez les jeunes. En effet, l’organisation en
quartiers ou villages donne l’impression d’un assemblage dont
chaque composante garde une certaine autonomie fondée sur
l’île d’origine et ensuite l’appartenance religieuse qui est le
second facteur de groupement.
C’est ainsi que les man Aoba de Ndui Ndui tous Church of
Christ occupent un quartier, de même que les Seven Day Adventist d’Ambrym. Il reste néanmoins que l’organisation politico-économique du mouvement fait de ce rassemblement une
entité spécifique. Cette organisation présente des caractères de
hiérarchie et de fédéralisme : l’organigramme simple suivant
utilise les titres indigènes. Du sommet à la base, on distingue :
1/Chief president (Jimmy Stevens) 2/ Assistant chief 3/ Land
owner (Buluk) 4/ Chief comitee 5/ Comitee members
6/Secretary comitee 7/ Union secretary, suivis de quelques
trente qualifications d’importance décroissante qui se terminent avec les guards school children, women’s club. Chacune
de ces qualités est représentée par un écusson ou badge mentionnant le sigle du grade, accroché au bras gauche ou à la
poitrine. Chacun en porte à Vanafo, comme une sorte de galon
révélant les fonctions de l’individu dans le mouvement et dans
le village. Il en est de même dans les autres centres du
Nagriamel, sur les autres îles ou en brousse.
Le comité est l’organe de délibération. Le comité a en outre
le pouvoir d’un conseil des anciens ou de tribunal coutumier
puisqu’il en règle les litiges et veille au respect de l’ordre en
sanctionnant les individus asociaux. Sur ce plan, il s’appuie
largement sur la coutume et prend un caractère traditionnel
60
marqué. Les grandes options sont prises par le chef président
et discutées en comité le cas échéant. Au bas de la pyramide,
le port du badge est une formalité sans beaucoup d’effets, le
club des femmes n’ayant pas d’existence propre, et les enfants
se retrouvant simplement sur les bancs des deux écoles du
village (école publique francophone, école Church of Christ
anglophone).
Lors des deux grands meetings annuels qui réunissent des
membres de l’intérieur et des îles, le tableau suivant est proposé au regard de l’assistance comme un panthéon ou une
cosmogonie de niveau inférieur et local : 1/Nangaria/Namele
(dessinées portées par deux mains unies) 2/ Our natives customs 3/ Chief Buluk Paul - Witness Jimmy T.P.S. Moses, The
new Union Council of Chiefs Nagriamel, The holy Bible (image
du livre) of Vemarana or Espiritu Santo and neighbouring
islands. The natives voted and by native printer Aug 10 1967
Signature - Witness Jimmy T.P.S. Moses.
Ce schéma permet de rattacher toute la structure politicoéconomique décrite à une légitimité coutumière. Dans le tableau cité, la place de la Sainte Bible au rang des institutions,
avec le conseil de l’union, peut paraître problématique si l’on
considère l’importance sociale des églises et le nombre de références à la Bible. On peut y voir la preuve du rôle pratique de
la religion des Blancs qui est très bien intégrée mais symboliquement pauvre par rapport à la coutume.
La Bible est une référence de morale sociale contemporaine
et, à un certain degré, ustensile. La coutume a une portée
historique et morale beaucoup plus vaste et intériorisée. Cette
distinction entre les deux sources de la légitimité morale ne
vise pas à diminuer l’importance de l’une ou de l’autre forme
de l’expérience religieuse. Elle est suggérée par les faits euxmêmes.
Dans un autre tableau de meetings, l’importance d’abord
pratique et institutionnelle de la religion missionnaire semble
confirmée par le contenu suivant : Monday : Nagriamel committee - afternoon village meeting ; Wednesday : churches
committee ; Friday : Nagriamel committee full day ; Saturday
and Sunday : for churches ; Please keep it respect : Sabbath
for Sabbath Sunday for Sunday ; From chief and members.
Printer SR Kutch ; sign. Jimmy T.P.S. Moses.
La fonction politico-sociale des églises apparaît nettement
et permet de mieux comprendre la place de la Bible au milieu
61
des institutions. Elle est moins mentionnée en tant que livre
sacré qu’en tant que livre à fonction collective, comme une
constitution ou un code civil. Comme tous les écriteaux, nombreux à l’intérieur du village, la signature du chef est précédée
de la mention «Witness », ou « by witness ». Cette attestation,
ce témoignage, signale un élément charismatique qu’il faut
mentionner à défaut de pouvoir l’analyser ici. Le nom de Jimmy TPS Moses pour Jimmy Tubo Patuntun Stevens est suivi
du vocable éminemment messianique de Moïse, depuis son
baptême et son entrée dans l’église Church of Christ qui
s’ouvrait à Vanafo en 1967. Cette opération politique fut très
réussie puisqu’elle amena à Vanafo une communauté Church
of Christ originaire de Ndui Ndui sur Aoba qui joue un rôle
important au village. De nombreux man Santo épousèrent
cette religion au même moment, parmi lesquels Paul Buluk et
les siens. C’est là que l’on trouve les plus fidèles supporters du
leader qui fait preuve d’une grande habilité comme en témoigne le choix du nom de Moïse, porteur de la loi, libérateur
de son peuple, et ce baptême tardif ». (Hours, 1974 : 232-234).
Pourquoi avoir fait venir les gens d’Ambae ?
Il est nécessaire d’élucider ce mystère de la participation massive des man Ambae dans le Nagriamel et du poids de leur
influence. Car beaucoup de personnes se sont posé la question
: Pourquoi eux ? Jimmy Stevens fit appel aux habitants d’Aoba
pour plusieurs raisons. D’une part, parce que cette population
était à l’époque parmi les mieux éduquées des Nouvelles Hébrides, du fait d’un encadrement réussi par les Églises anglicanes, puis par Church of Christ. D’autre part, Jimmy Stevens, en fin stratège, décida de faire venir une Église à Vanafo
afin d’évangéliser les « malmal » (malmal signifie étui pénien)
ou man bush. L’idée de Stevens est de leur permettre un accès
à l’éducation. Il souhaite hâter l’émancipation des man bush,
en envoyant à l’école des Blancs les enfants de ces populations
montagnardes ou d’autres zones reculées de la brousse. Il
souhaitait d’abord faire appel à la religion catholique, mais eut
des réserves car selon lui, opter pour le catholicisme revenait à
faire le choix de la France. Il se tourna alors vers
l’anglicanisme, mais il eut la même réserve, du fait de ses liens
privilégiés à l’administration britannique. Pour Jimmy Ste62
vens, il apparaissait donc hors de question de pactiser avec
ces deux religions car elles pourraient interférer dans ses négociations avec les autorités du condominium. Il eut ainsi
l’audace de faire appel à « l’Église du Christ » (Church of
Christ), car elle était déjà une Église autonome, n’ayant pas de
véritable lien avec les deux tutelles, la France et la Grande
Bretagne. De plus, elle était exclusivement dirigée par des
pasteurs indigènes. Il fut décidé de faire venir cette Église à
Vanafo en vue d’évangéliser les malmal en provenance des
quatre coins de Santo. Jimmy Stevens envoya une lettre au
Pasteur Abel Bani, chef de la mission d’Ambae, afin de faire
connaître son intention. Malgré les liens privilégiés que Stevens entretenait avec Ambae, sa mère étant originaire de cette
île, sa demande pour qu’on lui envoie des pasteurs et des enseignants à Vanafo fut d’abord rejetée.
Après quelques polémiques, car il apparaissait incongru pour
de nombreux pasteurs de s’allier à un homme qui réinstaurait
la polygamie et qui revendiquait la primauté de la coutume sur
le message de l’Église, la décision fut finalement prise de satisfaire la demande de Stevens. Afin de ne pas perdre la face,
Abel Bani envoya un de ses Elders, Charley Ngole, et son fils
Wilson Viratamboel. Ils furent ainsi en 1967 les premiers à
s’occuper de l’éducation de ces malmal et à leur enseigner la
parole de Dieu et la lecture de la Bible. Peu de temps après,
Charley Ngole et son fils furent rejoints à Vanafo par un premier contingent de man Ambae venu renforcer la population
encore peu nombreuse du village. Le vieux Daniel Ngole, un
proche parent de l’Elder Charley Ngole se souvient :
À Vanafo, au début de notre installation nous ne dormions que
sous les arbres, sous les troncs des nakatambol. On n’avait rien
avec nous, mais par contre on avait foi en ce mouvement, tout
comme nous avions foi en notre Seigneur le très Haut. Ainsi,
quand il pleuvait nous nous faufilions sous les arbres à racines
pour nous protéger de la pluie avec des feuilles de bananier ou des
feuilles de laplap.
Le vieux Charley Ngole, qui avait tant fait pour la population de Vanafo et spécialement pour les malmals décéda en
1974 ; son corps, selon ses dernières volontés, y fut enterré.
Une autre personne ayant marqué cette période est l’Elder
James Garae Bakeo. Il avait été nommé par le Pasteur Bani
63
pour s’occuper de la communauté de Vunamele, ainsi que des
communautés de Malo et des petites îles environnantes de
Santo. Plus tard, sur une proposition des gens d’Ambae, il fut
nommé Ministre des Affaires étrangères et responsable des
finances de la République de Vemarana, du fait de ses qualités
naturelles, de son expérience et de ses excellents contacts avec
les man Santo. Pour permettre à James Garae Bakeo de quitter son poste d’Elder de la Mission Church of Christ, le vieux
Aron Toa Duru dut sacrifier une partie de ses terrains et fut
également contraint de donner ses filles à Jimmy Stevens.
Ainsi, James Garae Bakeo fut muté comme Elder à Luganville,
le plaçant dans une position d’intermédiaire, de médiateur
entre la Mission d’Ambae dirigée par Abel Bani et celle de Vanafo conduite par Charley. Par contre Bakeo ne put jamais
revenir prêcher à Vanafo.
De son côté, Jimmy Stevens fut baptisé par le Pasteur Abel
Bani. Ce baptême fut hautement symbolique, car Jimmy Stevens voulait montrer à l’Église du Christ que lui-même, tout
comme ses hommes, était un membre à part entière de cette
Église. Pendant quatre ans, les gens d’Ambae continuèrent
d’affluer à Vanafo. Lors de ses tournées dans les îles du Nord,
dans les quinze îles de son mouvement, Jimmy Stevens diffusait sa pensée et sa philosophie révolutionnaire sur la kastom.
C’est à Ambae qu’il eut proportionnellement le plus d’adeptes.
En 1968, les gens de la côte ouest d’Ambae firent construire
un grand nakamal (maison des hommes) de vingt mètres en
l’honneur du Nagriamel. On le baptisa « Fonda Onebulubulu »,
ce qui signifie « venir se greffer sur quelque chose ». Devant
cette grande case étaient entassées des pierres qui symbolisent le rassemblement de plusieurs entités claniques et tribales en une seule organisation ou en un seul mouvement. Ce
nakamal fut érigé à Ndui Ndui, le plus grand village d’Ambae.
Jimmy Stevens fut invité à l’inauguration de ce nakamal, mais
finalement il ne vint pas. La raison de son absence était son
départ précipité pour Longana (Ambae), dans le but de retrouver Walter Lini. Sa priorité était de connaître les intentions de
Walter Lini à l’égard du Nagriamel.
Le leader du Nagriamel, lors de ses fréquentes tournées
dans les îles, renforça beaucoup ses connaissances sur les
sociétés indigènes. Il apprit des mythes et des histoires de
quelques-unes des îles du nord. A Aoba, on lui enseigna la
tradition Hangai Tagaro, du nom de cette civilisation qui au64
rait existé lors des temps immémoriaux, et qui fut évoquée
sous le nom de Balihaii par le romancier américain James
Michener dans son récit sur Ambae pendant la Seconde
Guerre mondiale. Cet ensemble de mythes est lié aux
croyances concernant le volcan Manaro. Il rapporte l’histoire
de l’enlèvement du gardien de cette sagesse et de cette civilisation spécifique à Ambae, un dénommé Moltare. Moltare aurait
été enlevé par les Américains pendant la Seconde Guerre
mondiale. Il aurait ensuite été emmené en Amérique, et c’est
grâce à son savoir que les États-Unis auraient réussi à devenir
la première puissance mondiale.
Informé de cette histoire, Jimmy Stevens aurait souhaité
s’accaparer ce pouvoir en se faisant l’allié des « Américains et
des man Ambae ». Il fut conseillé pour ces questions par le
vieux Albert Reret du village de Tavala (Ambae), qui, lui aussi
se considérait comme détenteur de cette tradition et de cette
sagesse. Albert Reret, était une forte personnalité qui suscitait
l’hostilité des hommes d’église. Doté d’un tempérament exceptionnel, il refusait impérativement les relations avec le monde
occidental et son système d’éducation. Pour lui, seuls comptaient les pouvoirs conférés par la kastom. Pourtant, cette
kastom, il l’interpréta selon sa propre philosophie, dans une
direction que les Européens assimilent généralement à celle
d’un « Culte du Cargo » (voir Lindstrom, 1993).
Un vieux compagnon de Reret se souvient : « Il est la première personne à se familiariser avec les marchandises des
magasins. [Mais pour se les procurer] il n’est pas obligé de
travailler. Ce qu’il mange, il se le procure dans la nature ».
Sans jamais venir à Vanafo, il conseillait Jimmy Stevens à
distance. Il fut en quelque sorte le guide spirituel, les oreilles
et les yeux de Stevens et du Nagriamel. Mais un jour de 1974,
alors qu’il décida de se rendre à Vanafo, il y fut tabassé à mort
par les gardes de Stevens qui avaient prévenu cet irréductible «
païen » de ne pas venir prophétiser à Vanafo. L’année d’après,
il succomba à ses blessures. Avant de mourir il prédit le grand
échec de Jimmy Stevens et du Nagriamel.
65
66
CHAPITRE 3
Le Nagriamel et le Vemarana
sur la scène politique internationale
L’action du Nagriamel fut l’élément déclencheur d’une véritable prise de conscience des populations indigènes quant aux
revendications légitimes sur leurs droits fonciers. Mais comme
l’affirmera plus tard, l’ancien président de la République du
Vanuatu Georges Ati Sokomanu dit Kalkoa, lors d’une allocution en juillet 2005 : « Le véritable problème qu’avait Jimmy
Stevens à cette époque, est qu’il n’a pas transformé son mouvement en parti politique… ». A ses débuts le Nagriamel, n’était
pas un parti politique. C’était un mouvement revendicatif indigène tout court, un mouvement de réformes agraires. Par la
suite, il en prit toutes les apparences, se donnant même les
allures d’un État, bien que Stevens ne revendiquât jamais
pour le Nagriamel le statut d’un parti politique :
Le Nagriamel n'est pas un parti. Le Nagriamel n'est pas la politique. Il est le cœur des hommes, il est leur coutume. Mais pour la
faire briller de nouveau [...] il faut utiliser la bonne méthode [...]. Le
Nagriamel existait avant moi. Mais il faut le réformer de nouveau pour s'en emparer et l'emblématiser sur le drapeau que nous hisserons. Voilà mon travail. Les gens me demandèrent : nous voulons voir le Nagriamel s'élever pour les générations à venir. Je leur
répondis que je ferai de mon mieux... (Stevens, in Van Trease,
1987 : 160).
Beaucoup de choses ont été dites à propos du mouvement
Nagriamel et nombre d’analyses ont été faites sur les intentions de Jimmy Stevens. La convergence de ses orientations
idéologiques avec les engagements sur le terrain du chef Buluk
et de ses partisans du bush, plaça Stevens dans le rôle d’un
champion de la cause des indigènes. Il est en revanche plus
complexe de voir ce leader comme le premier à développer
l’idée du nationalisme dans le pays. En effet, plus le Nagriamel
se donnait l’apparence d’un parti et plus il se projetait en tant
que futur État indépendant, plus l’action de Stevens et ses
troupes prirent la dimension d’un un culte du Cargo. Même si
Stevens lui-même réfuta toujours une telle orientation :
67
Un jour, par exemple,] il parla avec dédain des John Frum - avec
lesquels il n'avait pas I'intention de s'associer - et des adeptes des
cargo-cults en général : Je n'attends pas de paquebot (steamer). Je
dispose déjà d'un paquebot noir. La terre est mon paquebot11. (Stevens, in Lindstrom, 1993 : 163)
En fait, le Nagriamel refusait cette dimension nationaliste
que cultivaient ses opposants du Vanuaaku Pati, préférant
souscrire à la vision utopique d’un État idéal, entre les mains
d’un peuple de la coutume, d’un État dont l’existence aurait
précédé la conquête coloniale :
Je remarquais [en considération de l'évolution politique des Nouvelles-Hébrides avant l‘indépendance] que de nombreux partis politiques émergeaient, chacun avec son point de vue différent. Je
m'inquiétais de ce que cela risquait d'affecter l'état-major du
Nagriamel à Vanafo et suggérais en conséquence d'établir un
groupe séparé à Luganville. [...] L'objectif de ce bureau [du Vemarana] était de s'occuper des questions politiques et de s'assurer
La dimension « cargo-cultiste » du leadership de Jimmy Stevens se
confond souvent avec sa mythologie philo-américaine, comme en atteste
cette histoire racontée par Edwin Tommy de Mera Lava :
Jimmy Stevens conduit un tracteur :
« Tous décidèrent qu’ils voulaient faire des jardins pour tous. Le lieu où
nous voulions préparer ces jardins se trouvait dans la brousse, chez Jimmy Stevens. Nous avons amené l’eau depuis la rivière. Nous avons planté
des carottes, des pommes de terre, des salades et toutes sortes de choux.
Nous avons également planté du blé sur ces terres. Les Américains nous
avaient donné des graines pour le faire, que nous avons semées sur les
sols préparés à cet effet. Nous les avons semées dans des trous que nous
avions creusés. Puis nous les avons copieusement arrosées, jusqu’à ce
qu’elles poussent et jusqu’à ce que le blé soit prêt à être consommé.
Lorsqu’un Américain nous accompagnait, nous allions ensemble faucher le
blé, pour le placer dans des caisses et charger les caisses dans une voiture.
Les Américains nous envoyaient alors de nouvelles graines. Puis les Américains ont donné un tracteur, puis une voiture. Ils ont donné des couteaux,
des pelles, des pelleteuses et plein d’autres choses. Toutes ces choses que
l’Amérique nous a données, nous pouvons désormais les utiliser. C’est
Jimmy Stevens à présent qui conduit le tracteur. C’est lui qui apprend à
nos jeunes à le conduire. Et nous, nous l’aidons à charger la voiture. C’est
seulement à l’Amérique que nous devons toutes ces choses. De nos jours,
nous pouvons observer que les choses ont changé depuis la Seconde
Guerre mondiale, tous les hommes d’ici ont pu le constater. Nous pouvons
manger tous ensemble, l’Amérique est venue manger avec nous les fruits
de nos jardins, elle est venue boire et discuter avec nous. Mais auparavant
ce n’était pas ainsi ».
11
68
que ces questions n'atteignent pas le reste du mouvement. J'étais
le leader du Nagriamel et en même temps Président du Vemarana.
(Stevens, 1995 : 237)
Le Nagriamel fait partie d'une fédération, d'un État que nous appelons Natakaro. Dans la constitution du Nagriamel, Natakaro représente toutes les Nouvelles-Hébrides. Hélas, quand les Blancs sont
arrivés ici, ils ont remplacé le nom et la notion de Natakaro par
‘Nouvelles-Hébrides’. Avant que les Blancs n'arrivent, il y avait une
loi que certains nommaient Natamata ou Namangi qui excluait
toute autre loi pour régir le pays. (Stevens, in Bernard, 1983 : 73)
La dimension d’un cargo-cult que pouvait avoir le Nagriamel
était la plus apparente dans les relations qu’il entretenait avec
des soutiens étrangers. Le but de ces alliances était de faire
profiter les Mélanésiens des avantages de la société coloniale
et de les émanciper au moyen d’une conscience noire :
Le Nagriamel a existé avant moi. Mais il faut le réformer de nouveau - lui donner sa cohérence, son drapeau dont nous hissons les
couleurs. Voilà mon travail. [...] Le Nagriamel sera pour vous mes
enfants noirs. (Stevens, in Van Trease, 1987 : 160)
Le travail de Jimmy Stevens et de Paul Tamlumlum, de
John Bule, de Jimmy Kaku sera concrétisé par le Vanuaaku
parti, qui allait mobiliser toutes les îles de l’archipel pour obtenir l’indépendance en 1980. Ce seront les personnes comme
Donald Kalpokas, Walter Lini, Georges Sokomanu, Kalkot
Matas Kelekele, Sethy Regenvanu, Barak Sope, Onen Tahi qui
parviendront à cet objectif. Afin de pouvoir garantir la protection de la terre en faveur des indigènes, tous les partis politiques ainsi que la France et l’Angleterre ont adopté la Constitution de la République de Vanuatu qui dispose dans le chapitre 12 que : « Toutes les terres de la République de Vanuatu
appartiennent aux propriétaires coutumiers indigènes et à
leurs descendants… » L’Article 73 du même chapitre prévoit
que : « Seuls les citoyens indigènes ont le droit de propriété
perpétuel sur la terre ».
Les relais étrangers du Nagriamel
Le pouvoir de Jimmy Stevens s’était fortement renforcé avec
l’aide que lui avait apportée divers entrepreneurs originaires
69
des États-Unis depuis la fin des années 1960. Stevens fut
approché dès 1967 par Eugène Peacock, un spéculateur terrien américain qui cherchait à investir aux NouvellesHébrides. L’alliance scellée entre les deux protagonistes fut
particulièrement rocambolesque mais pernicieuse pour les
man-bush du Nagriamel. Car tout en soutenant la cause de
leurs revendications foncières, Stevens allait s’appuyer sur
l’aide apportée par de véritables requins de la spéculation financière et foncière. L’entreprise de Peacock, dont le siège
social se trouvait à Hawaii, passa des accords avec Stevens,
pour couvrir l’achat d'immenses superficies de terres notamment à Santo. Le but était de les subdiviser en petites parcelles pour les revendre à des vétérans américains de la guerre
du Vietnam (Beasant, 1984 : 45).
Les activités de Peacock étaient étroitement surveillées par
l’administration française, qui voyait en ce dernier un élément
perturbateur, notamment du point de vue des tentatives de la
France d’obtenir les bonnes grâces du Nagriamel en accélérant
le processus de redistribution, de rapprochement et des aides
matérielles apportées à ce mouvement. Peacock connut un
premier revers cinglant dans ses menées spéculatives lorsque
les autorités condominiales décidèrent de faire voter des lois
sur l’indivision des terres et sur une hausse très importante
des taxes sur I'exploitation commerciale de parcelles vierges.
Cette manœuvre législative était notamment destinée à briser
Peacock dans son élan, mais aussi à corriger les effets les plus
permissifs de loi condominiale qui avait accordé en 1971 aux
Nouvelles-Hébrides, le statut de « paradis fiscal », et qui attirait
aux Nouvelles-Hébrides en général et à Santo en particulier,
toujours plus de spéculateurs douteux.
Dans sa bataille juridique qui l’opposait au gouvernement,
mais également à la mouvance des partis nationalistes proindépendantistes qui voyaient dans l’action de Peacock une
preuve du double langage et de la corruption de Stevens, Peacock tenta une opération de diversion. S’appuyant sur son
associé français, Jean-Jacques Hénin, il chercha à officialiser
sa coopération économique avec le Nagriamel en fondant une
société d’élevage et de déforestation la SODEPAC, pour laquelle les partisans de Stevens fournissaient la main-d’œuvre
exclusive. D’après John Beasant, mais cela reste à démontrer,
d’importants transferts de fonds auraient été opérés en faveur
du Nagriamel, en échange de quoi Hénin fut nommé Conseiller
70
en Développement, puis Chef Financier du mouvement
(Beasant, 1984 : 48-49). Finalement, ce triste épisode dans
l’histoire du Nagriamel, s’acheva par l’expulsion administrative
de Peacock en 1975. La page des alliances douteuses du
Nagriamel avec des mécènes étrangers fut cependant loin
d’être tournée. Elle allait rebondir avec les affaires Leconte et
celle de la Phoenix Foundation.
Dans le but de sauver la face de Stevens et de restaurer la
dignité du Nagriamel, tout en ménageant les intérêts français
aux Nouvelles-Hébrides, la France s’immisça davantage dans
le paysage de la politique locale de Santo. Pour lutter contre
ces puissants investisseurs qui s’agitaient dans l’île, elle fit
venir un milliardaire Monsieur Leconte, lequel avait des intérêts dans les mines de nickel en Nouvelle-Calédonie et disposait déjà de propriétés foncières à Santo. Un accord entre le
Nagriamel et le Gouvernement français aurait été conclu à
cette occasion. L’arrangement portait sur l’attribution d’un
hectare de terre à Leconte pour chaque heure d’utilisation par
les gens de Vanafo des équipements mécanisés appartenant à
ce dernier afin de préparer les champs sur les terres du
Nagriamel. En retour de ces avantages, le milliardaire devait
également s’engager à construire des routes, et apporter divers
équipements, l’eau courante et l’électricité, à la communauté
de Vanafo. Ces promesses ont été en partie réalisées. C’est
grâce à Leconte que fut achevée la route qui relie Vanafo à
Matantas. Pour la France, le pari fut réussi puisqu’elle obtint
le soutien du Nagriamel pour la défense de ses intérêts
propres. L’alliance du Nagriamel avec Leconte fut également
un test pour l’administration française dans sa stratégie de
redistribution foncière et de reconquête de l’estime des Hébridais, par le développement des infrastructures et des administrations
francophones.
L’analyse
du
Délégué
de
l’administration française à Santo était la suivante : « Si
l’accord [entre Stevens et Leconte] tient la route, il permettra
de faciliter grandement la résolution des problèmes fonciers.
S’il échoue, alors Stevens ne pourra tenir les promesses faites
à ses sympathisants qui le lâcheront » (Beasant, 1984 : 23).
Toutefois, malgré la coopération qui avait été engagée, l’accord
ne se poursuivra pas. Sceptique sur les tractations du jeu
politique local et insatisfait des bénéfices réels apportés par
cette alliance, Leconte finira par jeter l’éponge, abandonnant
71
progressivement ses projets d’investissement aux NouvellesHébrides.
Bien que le Nagriamel fût à l’origine hostile aux colons et
aux investisseurs étrangers, il n’était par la suite, plus possible de dissimuler ou de minimiser ses alliances avec les
autorités coloniales ou des représentants du grand capital.
Stevens précisa ce point : « Je veux que mon peuple se défasse
des règles condominiales, non pas une indépendance pour
chasser l’homme blanc, mais pour que le peuple noir ne soit
plus sous son contrôle » (Stevens, in Van Trease, 1987 : 163).
L’influence prépondérante de la France et les signes d’une aide
extérieure à Vanafo devint une évidence : l’école y était francophone, le dispensaire fut construit par la France, le Nagriamel
disposait de bâtiments en dur avec des bureaux bien équipés,
ainsi que des tracteurs et quelques voitures12. Autant de
signes d’une véritable prospérité financière à l’époque. Jimmy
Stevens se sentit obligé de préciser la situation et lors d’une
allocution en 1977, il réaffirma cinq des buts prioritaires ou
principes fondamentaux du Nagriamel :
Lors d’une rencontre à Vanafo en août 1977 entre Stevens et les deux
délégués condominiaux, Monsieur Gauger, le représentant français, exprima parfaitement cette alliance entre la « coutume » et le « progrès » apporté
par la France : « Monsieur Gauger parla de l’importance de la coutume et
du sens local de l’identité. En même temps, dit-il, la coutume pouvait
s’accommoder de certains aspects de la modernisation tels que la distribution du courant et la lumière électrique. [Sur quoi Jimmy Stevens lui répondit en ces mots :
« Je suis heureux de dire, en tant que chef des îles et de Santo et de ce
village [de Vanafo], que je me réjouis (…), car notre Nagriamel a une fête
durant trois jours.
Tout d’abord il y a la fête du riz et du bétail français, notre bétail de Vanafo.
L’argent pour le bétail français vient du gouvernement français et vous les
indigènes qui étiez d’accord, vous avez travaillé sur le projet. Quant au riz,
il provient des terres indigènes et a été mis en place par Paul Buluk et M.
Legon [Leconte], avec les finances de Monsieur Legon.
Hier, c’était la fête, pour les routes payées par les gouvernements, notamment celle de Santo qui atteint Matantas (…)
Alors aujourd’hui c’est la fête pour notre dispensaire et notre nakamal (…).
Je veux que tout le monde dans notre village comprenne l’importance du
nakamal et du dispensaire (…). Je pense que vous pouvez voir au dispensaire dans les yeux des femmes de Vanafo comme leurs enfants prospèrent
dans ce village. Cela prouve comment un centre médical, une route, l’eau
courante et d’autres choses nous donnent des enfants sains » (Extraits d’un
discours recueilli et traduit par Crowe, P., 1987 : 151-159).
12
72
1- Travailler et développer une économie florissante dans le futur.
2- La terre est la base, l’essence de toute chose. La plupart des
terres appartiennent aux Nouvelles Hébrides par la coutume et les
Européens n’ont aucun droit sur elles. Mais le Nagriamel ne réclame pas toutes les terres des propriétaires étrangers. Car selon
Jimmy Stevens, son souhait est de voir tout le monde vivre ensemble et se côtoyer dans la paix et le respect mutuel. C’est pour
cette raison que le symbole du Nagriamel est une main noire serrant une main blanche.
3- Travailler ensemble et en harmonie, afin que les propriétaires
blancs puissent rester même après l’indépendance et faire prospérer leurs affaires tant qu’ils respectent les droits légitimes des autochtones.
4- L’indépendance politique et l’autonomie économique demeuraient une priorité pour les habitants des Nouvelles-Hébrides.
5- La restauration de la coutume.
À partir de l’année 1975, l’aide extérieure la plus massive
que reçurent Jimmy Stevens et le Nagriamel, provenait d’un
certain Michael Oliver à la tête de la mystérieuse Phoenix
Foundation établie à Carson City dans l’État du Nevada.
Moses Olitsky, de son vrai nom (Van Trease, 1987 : 149), était
un juif lituanien rescapé des camps de concentration nazis,
qui fit ensuite fortune dans l’immobilier aux États-Unis.
L’idéologie qu’il promouvait était radicale. Depuis le milieu des
années 1960, il était convaincu que la politique fiscale des
États-Unis conduirait à l’affaiblissement du dollar, puis à une
instabilité économique et politique culminant dans la dictature. Pour contrer ce désastre Oliver préconisait une philosophie ultra-conservatrice assortie de mesures ultra-libérales.
La tête pensante de la Phoenix Foundation était un économiste autrichien, le Professeur Ludwig von Mises. Pour von
Mises, les seules lois du marché étaient considérées comme
un processus totalisant, pouvant réguler toutes les activités
humaines. L’ultralibéralisme économique était vu comme le
garant d’une liberté universelle des hommes. Oliver décida de
créer en 1975 la Phoenix Foundation pour mettre en œuvre les
dogmes de von Mises tout en les associant à l’idéologie du Dr
John Hospers, Professeur de Philosophie à l’Université de Californie du Sud et ancien candidat libertaire aux présidentielles
américaines de 1972. Ce dernier prônait le minimalisme étatique, un système de taxes bénévoles et une dérégularisation
capitaliste totale.
73
Dans les années 1970, jugeant que les États-Unis étaient
déjà devenus un État « socialiste-fasciste », Oliver prospecta
d’autres pays dans le monde où pourrait s’appliquer son programme. En 1972, il tenta de construire une ville sur pilotis
dans la petite île submergée de Minerve, un récif situé à midistance entre les îles Fidji et les îles Tonga. Cette aventure
tomba à l’eau lorsque le roi Tupou IV de Tonga vint en personne sur l’île à bord de son yacht et déchira le drapeau planté par la Phoenix Foundation, mettant ainsi un terme à la
souveraineté de la « République de Minerve » sur ces quelques
rochers perdus au milieu du grand océan. Pour sa seconde
tentative de créer son propre État sur des bases libertaires et
ultra-libérales, Oliver jeta son dévolu sur Abaco, une île de
l’ancienne colonie britannique des Bahamas. Il chercha à provoquer une sécession d’Abaco à l’égard du reste l’archipel, en
créant un « Abaco independance movement », avant que ses
activités ne soient définitivement déclarées hors la loi par le
gouvernent légitime des Bahamas.
Sa proie suivante fut donc l’île de Santo. La Phoenix Foundation s’employa alors par tous les moyens à manipuler et à
contrôler Jimmy Stevens et le mouvement Nagriamel. Oliver
devint en quelque sorte le patron de Jimmy Stevens et en
même temps du mouvement Nagriamel durant plusieurs années, C’est lui qui prenait en charge les voyages de Jimmy
Stevens à l’étranger et notamment aux États-Unis. Il devint le
bailleur de fond et du Nagriamel. Mais le soutien de la Phoenix
Foundation à Jimmy Stevens visait principalement à lui permettre de réaliser son idée de créer un État indépendant. Petit
à petit, avec l’aide de son conseiller, Thomas Eck, philosophe
et juriste, la Phoenix Foundation va entreprendre l’écriture de
la future constitution de la « République de Vemarana », que
Jimmy Stevens envisageait comme État indépendant et séparé
des Nouvelles-Hébrides.
Cette mainmise de la Phoenix Foundation sur le Nagriamel
va de pair avec la dérive autocratique du pouvoir de Jimmy
Stevens. Déjà le 10 août 1968, il s’était proclamé « Chief President Moses ». Le Nagriamel décréta ce jour comme férié. Cette
tentative de pénétration d’un pays en proie à de sérieux bouleversements par de grandes multinationales capitalistes au
moyen d’une corruption des partis politiques ou des mouvements qui leur seront ensuite redevables et faciliteront leur
implantation locale, est somme toute classique. Néanmoins,
74
cette collaboration qui sentait le soufre ne diminua en rien
l’audience et le prestige de Jimmy Stevens à l’échelon local.
Par ses discours charismatiques, il continuait de gagner le
cœur de beaucoup de gens. Toutefois, s’il conserva le soutien
des chefs coutumiers de Santo, ces alliances douteuses finiront par signer l’échec de son mouvement. Tout en se présentant comme le champion des droits indigènes, ses diverses
compromissions rendaient le Nagriamel de moins en moins
indépendant. Pour compenser cette perte d’autonomie, Jimmy
Stevens se mit désespérément à réinventer la coutume dans
tous les sens. Il n’entrevoyait plus la kastom que suivant ses
propres désirs et fantasmes. Cette dérive traditionaliste se voit
parfaitement illustrée dans son discours suivant, écrit peu de
temps avant sa mort :
En ce qui concerne le Nagriamel, je crois que ce mouvement continuera d'aller de I'avant. Cependant, pour m'assurer que I'on continue dans la voie tracée par Moli Stevens, j'ai tué cent cochons et
dix autres pour rendre royal le nom de Stevens. En bislama, natamata signifie royal. Après ma mort, mes descendants natamata seront ainsi traités pour toutes les générations à venir. [...]. Ce plan
est étroitement lié à ma famille [...].Avant mon arrestation, j’avais
25 femmes, mais la Force Mobile m'a fait beaucoup d’histoires à
leur sujet et je décidais donc de prendre un nouveau groupe de
femmes. J'ai de nombreux enfants, dont l5 garçons. Je suis très
attaché au nombre 15. Je suis né le 15 juin. C’est le 15 janvier que
les chefs de Vanafo placèrent leurs mains sur moi. Pour les
Blancs, un ensemble est dix. Pour les Israéliens c’est 12. Pour moi
c'est 15. J’organise mon travail et ma vie par étape de quinze. Et
bien sûr, il y a quinze îles Nagriamel. Je souhaite un jour établir
dans chaque district un de mes fils avec sa famille. (Stevens, 1995
: 243)
En route vers l’indépendance, le drame de la rébellion
En 1971, une pétition émanant du Nagriamel fut envoyée aux
Nations Unies pour réclamer l’indépendance de l’archipel. La
requête fut présentée par un avocat indo-fidjien le Dr Ramkaragh, que Jimmy Stevens avait déjà engagé au milieu des années 1960 lors de ses négociations avec la France pour la restitution des terres de la SFNH. C’est à Ramkaragh que fut
confié le dossier « République de Vemarana ». Le drapeau du
Vemarana, caché dans un bambou fut emporté avec lui à New
75
York pour soutenir son allocution aux Nations Unies. Mais
cette tentative fut vouée à l’échec, puisque seul le Japon apprécia la légitimité de cette revendication.
L’échec de Stevens aux Nations Unies ne freina cependant
en rien ses velléités sécessionnistes. Ce fut en 1975 à Vanafo,
le 27 septembre, que Stevens proclama pour la première fois,
de manière unilatérale, l’indépendance de la Fédération du
Nagriamel. Cette déclaration fut signée de la main de Stevens «
sous l’autorité du Upper Council de la Fédération du
Nagriamel ». En voici le texte complet :
We, the people of the various New Hebrides islands, do hereby
declare, by accordance with the United Nations Resolution Number
1514, of 14 December 1975, our independence from any foreign
country. Our islands were never under sovereignty of any other nation, and we were never a colony of any nation. The authority for
our action comes not only from United Nations Resolution Number
1514 but, also, from the demand by our people for independence.
We can provide authentic results of a poll taken recently, which we
offer any neutral nation for inspection and verification. Our new
nation is a federation of settlements and the government is elected
in accordance with fair democratic principles. We are dedicated to
the rights and dignity of all individuals, regardless of race, creed or
religion. All rights and individual belongings shall be fully protected and defended. Our boundaries are as follow : 1/ All the
Islands of Santo, excepting Luganville, until it wish to join us. 2/
All of the islands surrounding Santo, including Aore, Malo, Aoba,
Maewo and Sako. 3/ All of the islands in the Banks and Torres
Groups of the New Hebrides. 4/ Any other settlements in the New
Hebrides wishing to join us and to enjoy the rights as free and independent people. We are firm in our belief that the races of the
world should cooperate and that all people should live in peace
and harmony. And, for this reason, our motto includes not only
our traditional Na-Griamel sign but, also, a handshake between
people of all races. This motto is now on our flag and shall be placed on all of our official documents. Our new nation shall be
known as the NAGRIAMEL FEDERATION, and our inde-pendence is effective immediately. We extend greetings to all countries of the
world.
D’après l’ethnologue Pascal Bernard, qui partagea la vie des
membres du Nagriamel à Vanafo, à la fin des années 1970 :
La Constitution se présente sous la forme d’un petit document de
sept pages. La couverture reproduit l’emblème du mouvement :
une main noire et une main blanche serrées, au-dessus desquelles
76
figure un pentacle surmonté du bouquet de feuilles de namele et
de nangaria. L’intitulé s’énonce ainsi : ‘Constitution of Confederation of Natakaro (Formerly New Hebrides Islands)’. Elle est composée de neuf articles, ratifiés de la main même de Jimmy Stevens,
avec le cachet du ‘Nagriamel Chief President Union Council’.
Le texte précise que chaque groupement (unité géographique et sociale) détient le contrôle de son propre territoire, l’autorité sur ses
propres lois, ses coutumes et ses traditions. Le gouvernement de la
Fédération est réduit aux tâches essentielles qui sont de protéger
et de défendre la vie et les droits de chacun. Des procédures électorales par groupement désignent les membres de la chambre supérieure, le Sénat, et de la chambre inférieure, le Nasara (nom
dans les îles du nord pour désigner la ‘maison des hommes initiés’). Le pouvoir exécutif est assuré par le Chef-Président de la Fédération Nagriamel. L’organisation militaire est subordonnée au
pouvoir civil. Enfin, la déclaration des droits insiste sur la défense
de la vie et de toutes les libertés publiques individuelles et collectives (de conscience, de choix religieux, de parole et de presse, de
réunion et de revendication » (résumé fourni par Bernard, 1983 :
52).
Toutefois à en croire le schéma suivant, tiré de cette même
constitution, et que j’ai pu recueillir à Vanafo, on est bien loin
des principes d’un État minimaliste, tel qu’il fut souhaité par
les idéologues de la Phoenix Foundation. C’est bien davantage
une véritable usine à gaz que nous dévoile le système de gouvernement de l’État du Vemarana :
77
Le système de Gouvernement de la République de VEMARANA
(Schéma recueilli par Marcellin Abong)
78
Le schéma suivant, complète le précédant sur les aspects confédéraux proposés par le Nagriamel et la Fédération du Vemarana. Il fut publié dans Jeune Mélanésie (13 Mai 1980).
79
La défaite aux élections du 16 novembre 1979 représenta
un véritable tournant dans l’histoire du Nagriamel. Les alliés
du Nagriamel furent mis devant le fait accompli quant à
l’échec de leur stratégie électorale légaliste. Les autorités françaises elles-mêmes en vinrent dès ce moment à employer un
double langage, acceptant la perspective d’une indépendance
menée sous l’égide du Vanuaaku Pati, tout en laissant ouvertes la porte à d’autres types de solutions. Le Nagriamel
avait accepté l’adoption d’une constitution signée en octobre
1978 sous l’égide d’un gouvernement d’union nationale dont le
VP s’était volontairement exclu dans l’attente d’une consultation populaire.
La victoire écrasante du VP à ces élections lui donnait la
possibilité de changer la constitution. Cette annonce provoqua
un véritable choc dans le camp francophone, et la situation se
dégrada très vite : Jimmy Stevens déclara sur Radio Vanafo
que les élections avaient été truquées et proféra un certain
nombre de menaces à l’intention des membres du Vanuaaku
Pati résidant à Santo. Des agressions et des dégradations dirigées contre les membres du VP et la communauté anglophone
à Santo furent commises, entraînant un exode de ces derniers
vers Port-Vila. L’envoi de troupes fut bloqué par l’inspecteur
général français, Jean-Jacques Robert, malgré les protestations des Britanniques. Cette situation persista durant les six
mois suivants, jusqu’à la veille de l’indépendance du pays en
juillet 1980. Toutes les discussions et les tentatives de conciliation qui se succédèrent, semaine après semaine, échouèrent. Stevens déclara dès le mois de janvier 1980 que la voie
d’une indépendance séparée pour les îles de Santo et Tanna
était désormais un fait irréversible. Le 21 janvier, il donna aux
fonctionnaires de l’administration britannique sept jours pour
quitter l’île.
Début mai, le Gouvernement légal dirigé par le Vanuaaku
Pati prit en conseil des ministres la décision de fixer
l’indépendance de Vanuatu à la date du 30 juillet 1980. En
réplique à cette proclamation, les sympathisants du Nagriamel
s’emparèrent de la municipalité de Luganville. Au petit matin
de cette nuit d’émeute, Stevens tint le discours suivant sur
Radio Vanafo rebaptisée Radio Vemarana :
Ceci est la voie de la délivrance et de la liberté, protégée et défendue par le gouvernement de la Fédération Indépendante du
Nagriamel, Santo, Nouvelles-Hébrides. Ceci est le service de radio-
80
diffusion situé approximativement à 25° de latitude sud et 168° de
longitude ouest de la planète terre ou Urantia, sous les limbes de
la Voie lactée. Aujourd’hui est né le Vemarana. Les gens de Santo
lui ont donné ce nom et les gens de Santo travaillent pour son administration. Venez rejoindre le Vemarana, quelle que soit votre
race, pour tous ensemble aider le gouvernement de Vemarana à
quitter le pays de Vanuatu. Le Nagriamel fut indépendant dès
1976, alors que, si nous avons bien compris, l’indépendance du
gouvernement de Vanuatu ne prendra effet qu’en juillet 1980.
Soyez vigilants, car le Vanuatu indépendant n’est pas la même
chose que le Vemerana indépendant. (Stevens, in Beasant, 1984 :
94)
Dans les jours qui suivirent, le gouvernement de Vanuatu
décréta un blocus total de l’île de Santo, qui fut sans effet. Le
15 juin, un corps de 200 Marines britanniques atterrit à Santo. La France les avait précédés en envoyant 55 gardes mobiles
pour assurer la défense de ses ressortissants. Ces manœuvres
renforcèrent un climat devenu oppressant. Les jours précédents avaient en effet vu éclater de nouveaux troubles à Tanna, et le 11 juin fut marqué par l’assassinat d’Alexis Yolou, le
leader du camp des modérés sur l’île. A Santo en revanche, le
Vemarana connut deux mois d’indépendance effective. Mais
avec l’approche de la date fatidique et sous la pression des
manifestations du VP soutenue par les Britanniques, il fut
exigé par Andrew Stuart, délégué de la reine d’Angleterre, que
les délais pour une indépendance le 30 juillet soient tenus.
Le 17 juin, Walter Lini signa avec les autorités de Papouasie Nouvelle-Guinée un accord sur une intervention des
troupes de cet Etat à Santo pour y réduire la sécession. La
Kumul Force13, composée de 300 hommes, deux navires patrouilleurs, et quatre avions (Bernard, 1983 : 117), prit position sur Santo le 18 août. Le premier jour de l’intervention, le
transfert de pouvoir entre les mains du Commandant papou,
le Colonel Toy Huai, se déroula sans heurts, les troupes papoues étant occupées à s’emparer des points stratégiques de
Luganville. Mais dès le lendemain, les contrôles et les arrestations commencèrent. Le 30 août, le fils aîné de Stevens fut
abattu par les Papous lors de la fusillade du véhicule dans
lequel il circulait en compagnie de deux colons.
Kumul est le nom de l’oiseau de paradis ou paradisier, le symbole national de la PNG.
13
81
Le lendemain, les troupes papoues investirent Vanafo et
Port-Olry (autre bastion de la résistance). Ils y trouvèrent Stevens, assis sur une chaise sous le grand banian du village,
avec derrière lui, un regroupement de quelques centaines de
man bush, hommes, femmes et enfants parmi les quelques
Européens encore présents à Vanafo où ils avaient trouvé refuge. Quelques centaines de Vemaranistes furent arrêtés durant ces opérations, et malgré l’arrestation de Jimmy Stevens,
des accrochages avec les forces papoues se poursuivirent au
nord de Santo pendant quelques jours encore. De septembre à
novembre, la répression se prolongea sous l’action conjointe
des forces papoues, de la Vanuatu Mobile Force (constituée
pour l’essentiel de miliciens du Vanuaaku Pati) et des avions
de la Royal Australian Air Force assurant le transport des
prisonniers vers Port-Vila. De nombreuses brutalités furent
constatées et beaucoup d’arrestations eurent un caractère
sommaire. Le chiffre officiel donné par le gouvernement de
Vanuatu sur le nombre d’arrestations, était de 2 774. Les
peines les plus fortes allaient de cinq à sept ans
d’emprisonnement. Quelques centaines de Français échappèrent à toute poursuite judiciaire en fuyant vers la NouvelleCalédonie et 127 ressortissants étrangers furent déclarés interdits de séjour, dont 110 citoyens français (Beasant, 1983 :
143).
Onze chefs d’inculpation furent prononcés contre Jimmy
Stevens le 21 novembre par le juge : 1/ action militaire avec
usage d’armes ; 2/ délégation d’hommes pour endommager le
british Paddock ; 3/ détention arbitraire de délégués et de
policiers ; 4/ détention d’objets volés : dynamite, munitions... ;
5/ organisation d’un mouvement illégal ; 6/ incitation au nonrespect de la loi ; 7/ production illégale de passeports ; 8/
reproduction illégale de constitution ; 9/ financement d’une
association illégale ; 10/ conduite préjudiciable à l’ordre public
; 11/ maintien et contrôle d’une radio illégale (Paitel, 1985 :
262-263). A chaque fois, Stevens plaida coupable et assuma
l’entière responsabilité de la rébellion. Il y eut un cumul des
peines et il se vit infliger quatorze ans et demi de prison et 220
000 vatus d’amende. Pour sa défense, il déclara simplement :
Je suis un des grands chefs de la coutume du Nagriamel et je voudrais que le Président de la Cour me considère en tant que tel.
Parce que des gens m’ont demandé de remplir des fonctions, je les
ai acceptées (parce que mon peuple m’a demandé de faire des
82
choses, je les ai faites). Je n’avais pas envisagé tous les troubles
qui pourraient avoir lieu. Aujourd’hui, je peux voir tout le mal qui
a été fait et je réalise que j’ai fait une erreur en acceptant le rôle de
Premier Ministre du Vemarana. J’ai écouté bien trop de gens, les
représentants de la France avaient promis de ne jamais me laisser
tomber, l’Inspecteur Général Robert me l’avait promis... Ils me
l’avaient tous promis... Cela fait vingt ans que je dirige le
Nagriamel, il n’y a jamais eu de tués par ma faute, mais le Vanuatu a tué trois de mes hommes : Alexis Buluk, Alexis Youlou à Tanna, et l’un de mes fils, il y a peu de temps. C’est tout ce que j’avais
à dire. (extraits de la défense de Jimmy Stevens à son procès, cit.
in Bernard, 1983 : 125-126)
83
84
Conclusion
À travers cette étude du mouvement Nagriamel et de son leader Jimmy Stevens nous avons essayé de lever un certain
nombre de malentendus : de l’affirmation, par exemple, selon
laquelle Jimmy Stevens plaçait son combat en dehors de la
coutume, ou qu’il n’utilisait la coutume que pour ses intérêts
propres. Un autre malentendu concerne la manière dont Stevens aurait joué de ses noms et de ses titres pour subjuguer
ses partisans. Ainsi, l’analyse psychologique du personnage de
Stevens par Kolig (1987) insiste sur l’emblématisation de ses
noms. Le résultat en est la présentation d’une personnalité
profondément clivée, à la limite de la schizophrénie.
J’estime pour ma part, que ce type de portrait apparaît infructueux, voire offensant, pour un homme dont le rôle phare
pour l’histoire de notre pays, mérite davantage de considération quelles que soient les erreurs manifestes qu’il a pu commettre. Qui, d’ailleurs, parmi les leaders politiques qui ont
porté la revendication de l’indépendance, n’aurait pas commis
d’erreur? La source, la stamba (la souche) de toutes les erreurs qui ont suivi, n’est autre que l’instauration du condominium. Aux guerres tribales, ont succédé quelques décennies
plus tard les rivalités politiques, la guerre économique, les
luttes sociales… La guerre de tous contre tous est devenue,
par la magie du progrès, l’oppression des faibles par les forts.
Le progrès apporté par la civilisation est à l’image de l’homme
placé au bord du gouffre mais qui pourra dire: “j’ai fait un
grand pas en avant!”
Au portrait psychologique de Stevens, je préfère une approche anthropo-biographique qui replace sa lutte dans le
contexte culturel et la perspective historique des deux dernières décennies du condominium, de cette aire des “Anciennes Hébrides”. Une approche anthropologique des noms et
titres de Stevens pourrait se décomposer de la manière suivante. Le point essentiel est qu’en souhaitant faire revivre la
kastom, en la recréant parfois selon les conceptions non coutumières qu’il s’en faisait, Stevens se plaçait d’emblée dans la
position d’un protecteur de la coutume, d’un gardien du
temple contemporain de la kastom. Pour associer corps et âme
sa personne à celle du destin de la coutume, il a eu recours à
85
des paramètres non coutumiers. Jimmy est son prénom de «
man-olbaot » (d’homme du commun) qui part de rien, mais
qui pour reprendre la formule de Martin Luther King, s’est levé
un matin après avoir fait un rêve. Stevens représente
l’insistance d’une consonance américaine dans son rôle de
libérateur. L’Amérique n’est pas pour lui la terre mythique
d’où proviendra le Cargo, elle participe de l’éveil d’une conscience politique qui sans l’irruption de l’Amérique aux Hébrides, aurait pris des formes bien différentes. L’Amérique est
la source de ce rêve d’égalité et de fraternité qui doit produire
un réveil de la coutume, sa renaissance contemporaine sous la
forme d’une contestation de l’oppression coloniale. Tupu est
un titre, par lequel Stevens cherche à se placer dans une position d’aristocrate : à ces « ombres blanches » qui se réclament
Rois des îles noires, Stevens oppose la vision d’un Roi noir,
d’un monarque éclairé issu du cœur des ténèbres. Patuntun et
Moli rappellent sa vocation de guide, guide de la coutume de
Santo et phare suprême de la « kastom » de l’ensemble des îles
du nord.
Bref, Jimmy est un charismatique, au sens littéral du mot :
le destin de cet homme du commun fut exceptionnel, son parcours fut extraordinaire. Mais sans le Nagriamel, sans ses
nalnal, sans ses « nudistes » du Dark Bush vêtus de leur seul
courage et de leur fidélité sans faille envers leur leader, Jimmy
Stevens ne serait jamais devenu Pantuntun ni Moli. Accentuer
la dimension individualiste de ce personnage est vain, seule
son empathie avec le Nagriamel lui a permis de devenir une
figure quasi-cultuelle, de se voir canoniser suivant les règles
propres à la coutume des îles du Nord. Cette canonisation
n’est pas séculière, elle conserve une portée surnaturelle : les
titres et les honneurs, Jimmy les personnifie tous, car la coutume elle-même n’est pas suffisante pour circonscrire toute sa
grandeur. Donc, en plus d’être Pantuntun et Moli, Stevens
devient également Jif (Chef), Président, Prophète : Jif President
Moli Patuntun Moses. Chacune de ces références s’agglomère
pour se bonifier. Mais en tant que Monarque néo-coutumier,
Stevens n’est jamais devenu un despote. Selon les témoignages de certains de ces sympathisants, le « jif » n’est pas un
tendre et il dispose d’un puissant garde-fou à la dérive solitaire de son pouvoir : sans le Nagriamel il savait bien qu’il
n’était rien, c’est pourquoi il s’est placé dans la position biblique d’un patriarche du mouvement.
86
Enfin, Jimmy Stevens n’était pas un illuminé, mais un
homme réfléchi. Il a su reconnaître ses erreurs : avant même
de pourrir en prison, il reconnaissait qu’il n’aurait pas dû
s’associer aux investisseurs étrangers, notamment au groupe
de Michael Oliver et à ses associés américains. C’est vrai qu’il
a fait signer par son bras droit James Garae Bakeo, alors ministre par intérim des affaires économiques et des échanges
extérieurs, des baux sur des territoires de plus de 40.000 hectares à Matantas sur Santo et à Loanatom sur Tanna. Mais les
manœuvres et manipulations de ces investisseurs américains
et de leur pluie de dollars ont aveuglé Jimmy Stevens. Mais
qui saurait blâmer une personne qui ne savait rien des impitoyables exigences du capitalisme ultralibéral ? Le socialisme
mélanésien prôné par Lini, son irréductible opposant, n’en a
pas moins conduit, à aligner le destin de Vanuatu sur les
aides australiennes, néo-zélandaises, françaises, chinoises,
japonaises. Quel leader du Vanuaaku Pati nous a expliqué que
le « communalisme » et la redistribution des terres aux propriétaires coutumiers aboutirait un jour au bétonnage des
côtes d’Efate, à la vente de la terre nourricière pour une Toyota, à la multiplication de nouvelles sectes chrétiennes qui veulent nous faire croire que Jésus préfère les riches et que seuls
les miracles de leurs pasteurs peuvent nous sauver des désastres occasionnés par l’amnésie des principes ancestraux de
l’économie coutumière ? L’oubli de l’économie politique du
Dark Bush ne mène-t-il pas sans détour vers l’intégration au
nouvel ordre mondial prôné par Georges Bush ?
Mais ce qui est important à travers ces historiques et cette
analyse critique est de comprendre les actions positives qu’a
pu mener le Nagriamel à cette époque et les orientations originales de sa philosophie. Le but de ce livre est avant tout de
nous permettre de nous réapproprier cette histoire contestée,
d’en désactiver les aspects bassement polémiques et foncièrement politiques. Sa portée critique envers les erreurs du
Nagriamel sera sans doute cruelle pour les militants du passé
et du présent, mais ils doivent admettre que Jimmy Stevens ne
leur appartient plus exclusivement, et que ce personnage est
devenu une figure historique et politique majeure pour
l’ensemble des habitants de ce pays.
87
Nous le savons tous pertinemment, avec la mondialisation,
nos cultures ont intégré le village global. Il est injuste que
ceux-là même qui ont plongé la jeunesse actuelle dans ce désarroi, la blâment aujourd’hui de ne plus savoir ce qu’est la
coutume : la « Kastom » pour eux est redevenue obscure. On
ne sait pas la dire, on ne sait pas la faire, on ne la regrette
parfois même plus. Pour que nos enfants sachent ce qu’est
leur culture, il faut également que les anciens reconnaissent
qu’au-delà de la coutume, il y a aussi la naissance d’une culture ; une culture que nous saurons partager entre générations, avec nos voisins du Pacifique et avec nos amis dans le
monde entier. Pour moi, il ne fait aucun doute que Jimmy
Stevens avait compris cela. Mais sa conscience prémonitoire
était difficile à partager.
L’avenir n’est plus fait entièrement de coutumes. Mais rassembler le peuple c’est lui offrir une manière de voir, un mode
de vie acceptable, et non pas des règles de survie. Pour aller de
l’avant, il fallait à tout prix célébrer ce socle commun, cette
mémoire partagée, auxquels se réfère la coutume, dans le contexte de l’oppression coloniale. Pour Stevens, la coutume
c’était le Tangwata, l’œuvre du premier né. Dans cette célébration d’un symbole premier, Stevens fut un précurseur. L’action
de Stevens transcende toutes les expressions culturelles du
passé : celles des clans, des tribus, des îles et de tant d’autres
formes d’identifications collectives. Le Nagriamel parle au nom
de tous. Le Natangwata c’est l’aîné de tous les clans, l’aîné de
tous les frères, c’est le porteur d’un esprit partagé, le panier
contenant l’ensemble des paroles originelles.
Pour Jimmy, les fondements de toute revendication indigène devaient se situer sur un plan culturel. Mais il n’y a pas
de culturel sans résonances institutionnelles, donc politiques.
Souvenons-nous du triste sort d’Alexis Yolou à Tanna. Il n’a
pas été assassiné parce qu’il avait un compte en banque bien
rempli, mais parce qu’il revendiquait des idées sur la cause
indigène selon ses propres conceptions de la « Kastom ». Aujourd’hui, les terres du Vanuatu sont reparties vers les spéculateurs fonciers au détriment des indigènes qui n’ont souvent
plus la force de contester les « investisseurs », ces colons d’un
nouveau genre qui viennent planter des dollars et non plus
des cocotiers avec la bénédiction des autorités. Dans ce contexte, il paraît donc utile de rappeler les leçons du passé. Il
faut que les jeunes générations sachent qu’il y a un fait indi88
gène original derrière les revendications du Nagriamel. Ce fait
indigène était celui qui insécurisait les `riches, qui rendait
plus précaire le confort moral et matériel dans lequel se sont
complues les prétendues élites du Vanuaaku Pati, les agents
de la Grande Bretagne et de l’Australie et de tous ceux qui ont
voulu confisquer le pouvoir pour leur intérêt exclusif. Et c’est
encore ce fait indigène qui a poussé le Nagriamel à clamer la
légitimité du peuple indigène à l’époque des grandes manœuvres néo-impériales.
Or nos anciens, tout man bush qu’ils fussent, avaient
compris ce message, ils étaient en phase avec les aspirations
de Jimmy Stevens et avec sa loi du « Dark Bush ». Selon
Jimmy Stevens, pour s’affirmer, il ne fallait pas devenir de
simples consommateurs d’une vie mue par le désespoir. Il
fallait bien au contraire devenir des acteurs déterminés de
l’économie politique du pays, s’emparer du pouvoir de décision
sur sa propre existence. C’est ce qui explique notamment les
encouragements permanents de Jimmy Stevens pour attirer à
Santo la diaspora des gens d’Ambae. Le but était de préparer
la dimension moderne et la diversité culturelle au sein d’une
future République du Vemarana. Travailler la terre, la faire
fructifier, non plus seulement pour se nourrir mais pour revendiquer ses idéaux et s’opposer à la loi du plus fort.
Ce livre se veut une modeste contribution à la réhabilitation d’un mouvement politique dont nos anciens n’ont pas à
pâlir et dont notre jeunesse ferait bien de s’inspirer. Rappelons
avec le plus grand respect, les pérégrinations de nos ancêtres
sur le sombre chemin de l’humiliation ; n’oublions pas les
coups de pieds, les coups de poings, les coups de fouets, pour
lesquels nos anciens « maîtres » n’ont jamais demandé le pardon. Les revendications de nos grands-pères se sont systématiquement heurtées à l’administration coloniale et à son dispositif répressif. Leur seul tort était d’être Mélanésien, d’être
noir, et de réclamer des droits trop évidents. Ces droits élémentaires, nos grands-pères nous ont appris qu’il fallait être
prêt à mourir pour les revendiquer. Et nos enfants doivent
savoir qu’ils mourront avec nous si nous ne nous en servons
pas pour conquérir d’autres libertés encore.
Rappelons-nous les paroles bien réalistes de Jean Marie
Tjibaou, leader indépendantiste du mouvement du Front de la
Libération Nationale Kanak et Socialiste (FLNKS), parmi les
dernières prononcées avant son assassinat : « Le plus dur ce
89
n’est peut-être pas de mourir, le plus dur c’est de rester vivant
et de se sentir étranger à son pays, sentir que son pays meurt
et sentir qu’on est dans l’impuissance de relever le défi ». Toutefois, de par tant d’oppression subie et du fait d’avoir ressenti
l’humiliation au plus profond de notre chair, il n’y a qu’une
chose à laquelle nous sommes définitivement condamnés, en
mémoire de tous nos ancêtres vaincus par le « progrès et la
civilisation » : oser lutter, pour un jour, oser vaincre.
90
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