une femme à sa fenêtre (1930)

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une femme à sa fenêtre (1930)
UNE FEMME À SA FENÊTRE (1930)
Le roman résumé par Drieu
Pascal a dit : « On n’aime jamais personne, mais seulement des qualités ». Et, dans un passage terrible, il
démontre qu’on ne peut aimer quelqu’un pour lui-même mais pour ses qualités apparentes. Car, par
exemple, ôtez à un homme son intelligence, il devient choquant – injuste, dit Pascal – qu’une femme
intelligente elle-même continue à l’aimer. J’ai toujours été persuadé et blessé de cette vérité et je rêvais
depuis longtemps d’inventer une fiction où elle éclatât d’une façon frappante.
Au cours d’un voyage en Grèce, j’ai cru la trouver. J’imaginai une femme jeune, jolie, riche, Margot
Santorini. Un hasard lui fit arracher des mains de la police d’Athènes, où son mari est diplomate, un
jeune communiste, Michel Boutros. Margot Santorini devient amoureuse de Boutros. Quelle qualité
peut-elle donc aimer dans cet homme qui la froisse dans tous ses préjugés ? C’est un beau garçon… ?
Oui, mais l’explication est insuffisante, car Margot est une femme difficile. Elle croit deviner en lui un
homme d’avenir qui deviendra un grand chef et avec qui elle courra une forte aventure.
Boutros, de son côté, aime Margot, mais il devine ses mobiles. Très exactement, il comprend que si Margot l’aime, c’est parce qu’il est demeuré le bourgeois qu’il était avant de devenir communiste. Il s’en
effraie.
Le nœud de mon livre est donc là : est-ce que Boutros inspiré par l’antique Pythie, qu’il va avec Margot
consulter à Delphes, acceptera cette loi que la femme, toujours imprégnée d’un puissant réalisme, ne peut
aimer un homme que pour sa force et son prestige ?
A.H.
ENTRETIEN AVEC DRIEU LA ROCHELLE
Monde n° 93 – 15 mars 1930
Les deux derniers romans de Pierre Drieu la Rochelle posent à peu près le même
problème. Dans Blèche, un journaliste catholique indépendant, tout entier à ses idées, a
pour secrétaire une femme qui l’aime en silence avec la plus grande abnégation. Un
incident lui révèle soudain la présence auprès de lui d’un cœur dont il ne s’est pas
soucié. Il ne s’agit pas pour lui d’amour, mais de faire comprendre à cette femme qu’il
sent qu’elle vit.
Dans le roman Une Femme à sa Fenêtre, les circonstances amènent un délégué
de l’Internationale Communiste en Grèce, jeune bourgeois qui s’est entièrement donné à
la cause révolutionnaire, en face d’une femme riche désabusée de son milieu. Elle est
attirée vers lui par la puissance d’action qu’il représente, et lui résiste mal, dans le cadre
de la nature grecque, à l’attirance de cette femme. Le dénouement est à lendemain : si
elle décide de partir avec lui, nous savons que la mission d’un délégué de la IIIe Internationale ne se concilie pas facilement avec les habitudes de la vie mondaine.
Je suis allé interroger Drieu la Rochelle dans une vieille maison de la rue SaintLouis-en-l’Ile :
– En somme, déclare-t-il tout d’abord, Blèche et Une Femme à sa Fenêtre
représentent une transition. La période des écrits lyriques de ma jeunesse est terminée.
Jusqu’ici, j’avais publié des poèmes, des annotations psychologiques fragmentaires, des essais politiques, qui constituaient un mélange d’observations de l’époque et
de réactions individuelles. Mes deux derniers romans sont des travaux d’approche
pour une œuvre plus vaste.
J’ai étudié ici un même problème, en le prenant par deux biais différents. Dans
les deux cas, j’examine un homme d’origine bourgeoise dans ses rapports difficiles avec
des représentants de cette grande machine surcapitaliste qui commence à nous écraser
tous. Mais ce problème social se présente emmêlé, comme de juste, à des cas de psychologie individuelle.
Ces actions, qui se passent en quelques jours, qui sont limitées à quelques personnages, ne sont pour moi qu’une étape vers des romans beaucoup plus larges, englobant beaucoup de personnages, touchant à des aspects plus variés de la société
d’aujourd’hui. Je traiterai encore les mêmes problèmes, mais avec plus d’ampleur et
plus de profondeur.
Au moment où j’aboutis à ces projets très nets, je m’aperçois que du même coup
j’ai résolu, du moins pour un certain temps, la crise qui durait pour moi depuis la
guerre et qui se nouait autour du problème de l’ action. Jeune homme, étudiant les
sciences politiques, j’avais rêvé de l’action. A la guerre, je l’ai connue dans la petite
mesure de tout le monde. Et dans les années d’après-guerre, regrettant de ne plus participer directement à un mouvement collectif, je me suis heurté à cette opposition entre
la pensée et l’action qui, au cours du XIXe siècle, a pesé sur beaucoup d’écrivains, et
qui pèse encore sur plusieurs écrivains d’aujourd’hui. Maintenant, je crois avoir réglé
la question en ce qui me concerne.
Drieu par Carlo Rim
(Les Nouvelles Littéraires)
L’écrivain, comme tel, ne peut pas entrer dans l’action immédiate, car c’est
comme écrivain que son influence profonde s’exercera. Mais comme, d’une part, il ne
peut pas s’isoler, car il ne peut rien produire de valable sans expérimenter par luimême les réalités humaines : travail et combat, amour et amitié, et comme d’autre part
l’exécution même de son œuvre exige de la décision et aussi un esprit de sacrifice,
l’écrivain restitue dans l’ensemble de sa vie toute l’action et tout le risque dont il avait
tout d’abord paru s’éloigner.
Et il s’ensuit qu’une œuvre de valeur a toujours un sens philosophique et polititique. Certes, un écrivain vraiment humain embrasse et représente dans son œuvre toutes les contradictions de son époque, mais il n’en est pas moins vrai en fin de compte
que dans la mesure où il est sagace et profond, il porte un jugement sur le drame social
de son temps. Balzac, Stendhal, Zola, tous les grands romanciers expriment une tendance, une opinion, mais leur critique est d’autant plus féconde qu’elle reste extrêmement large.
Ces idées auxquelles Drieu la Rochelle aboutit après dix années d’expérience le
séparent de plus en plus nettement des écrivains de sa génération qui restent attachés à
l’irréalisme et à toutes les formes de néo-romantisme d’après-guerre. Nourri de littérature anglaise, Drieu puise sans doute en elle comme dans l’œuvre des maîtres français
du XIXe siècle sa conception du grand roman social. Mais ses idées ont de nombreux
points communs avec celles qui animent une partie de la jeune génération allemande, et
dont Ernst Glaeser (1) est un des meilleurs représentants. Drieu affirme la nécessité pour
l’écrivain d’étudier la société de son époque et d’en traduire les aspects essentiels. La
crise d’inquiétude dans laquelle il s’est débattu longtemps ne le conduit pas au scepticisme désespéré, mais à un réalisme constructeur dont nous pouvons attendre avec confiance les accomplissements.
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(1) Ernst Glaeser (1902-1963) fréquenta le lycée de Darmstadt avant d’étudier la philosophie, la philologie germanique et la littérature aux Universités de Fribourg-en-Brisgau et Munich. Proche du K.P.D, il
publia en 1928 un roman pacifiste : Classe 02. En 1933, il prit le chemin de l’exil. Deux ans plus tard, il
fit paraître à Zurich un roman anti-nazi : Le dernier Civil. Ayant définitivement rompu avec le marxisme,
il regagna l’Allemagne en avril 1939 et, sous le pseudonyme de Töpfer, poursuivit sa carrière d’écrivain.
Durant la Seconde Guerre mondiale, il assuma différentes fonctions dans la presse militaire (Der Adler) et
politique (Krakauer Zeitung, Deutsche Adria-Zeitung) (note A.D.L.R.).
Frédéric Lefèvre
DE VOUS À MOI… DRIEU LA ROCHELLE
La Voix n° 148 – 16 mars 1930
Le poète et essayiste Drieu la Rochelle, après dix ouvrages justement remarqués,
aborde enfin le grand public avec un roman, un vrai roman, au titre délicieux : Une
Femme à sa Fenêtre. Une femme, une ardente héroïne, Margot Santorini, un peu folle
comme le sont tous les êtres enthousiastes, généreux et supérieurs à la majorité de leurs
contemporains. Cette femme aime l’amour et naturellement n’en rencontre jamais un à
sa taille.
Quand, un jour, entre par la fenêtre un homme qu’elle pourrait aimer, il se trouve
que c’est un agitateur communiste – un vrai, je veux dire que ce n’est ni un fonctionnaire de la révolution ni un policier – qui a donné sa vie à la cause et qui ne peut pas
limiter son rêve à ce qu’une amante, fût-elle Margot Santorini, peut en accepter.
Jusqu’à présent, l’idéologie était rarement absente des œuvres, même romanesques, de Drieu. Ici, elle fait corps avec la trame même du récit. Ce n’est donc plus de
l’idéologie. C’est une idée centrale et qui n’est même pas politique. Cette idée, cette
préoccupation dominante de Drieu la Rochelle, cette inquiétude, c’est que l’amour pur,
l’amour à l’état pur pourrait bien être aussi rare que la poésie pure. L’amour n’est pas
un corps simple. Notre romancier est un chimiste qui s’amuse au jeu cruel de le dissocier en ses divers éléments (et les composantes ne sont pas tous d’aspect sympathique).
L’intérêt, sous ses diverses couleurs, est le plus considérable et le plus voyant ingrédient
du mélange. Pas toujours, mais souvent. D’ailleurs si on le néglige, il se venge. A la
fin du livre, l’héroïne doit rentrer à Athènes pendant que son amant se rend à Patras
pour embarquer. Le rejoindra-t-elle ? Sans doute un second livre nous le dira. Mais
une partie remise est bien près d’être perdue… ou finie.
Une Femme à sa Fenêtre, c’est donc un roman psychologique ? Sans doute.
Comment voulez-vous qu’il en soit autrement avec une tête aussi subtile, aussi raisonnante que celle de Drieu ! mais un roman psychologique fondu dans un roman d’action
et les deux aventures, celle de l’idée et celle des personnages, se mêlent et se commandent de façon constante et presque invisible.
Et quelle est la première impression qui se dégage du livre ? C’est que l’amour
est un sentiment fragile, facile à blesser, facile à détruire ; que sous ses pas, les malentendus naissent à chaque minute et que c’est vraiment leur faire la partie trop belle que
de le charger au départ de tous ceux qu’engendre immanquablement une différence
sociale trop accentuée entre les conjoints ou les amants. Cela va déjà si facilement mal
quand cela va bien, quand tous les liens et affinités sociales conspirent à resserrer
l’union, qu’il ne faut pas défier les dieux en voulant unir une mondaine, même évoluée,
la femme d’un diplomate italien à l’ambassade d’Athènes, à un vagabond révolutionnaire. Ils ont vécu quelques semaines de beau désir et une fiévreuse nuitée d’amour,
n’est-ce pas ce qu’ils avaient de mieux à faire ?
Et Malfosse, l’industriel français ami et confident de Margot et de son mari, ce
pauvre Rico, leur rend peut-être un fier service en les séparant !
J’ai déjà dit que l’on attribuait souvent à tort le nom de roman à des productions
romanesques, d’ailleurs remarquables, mais qui semblaient relever du récit ou de la nouvelle. Avec Une Femme à sa Fenêtre, nous sommes en présence d’un roman, d’un
authentique roman qui n’est pas conçu, si vous voulez, selon la formule du roman traditionnel mais qui n’en répond pas moins à presque toutes les exigences du genre. C’est
le roman de toujours, écrit, composé, par un homme d’aujourd’hui. L’un des écrivains
les plus sympathiques de notre génération. Trop de jeunes écrivains semblent monter
en graine. La vie d’aujourd’hui leur est une serre surchauffée. Ils produisent tôt, trop
tôt et donnent en même temps tous leurs fruits qui viennent à maturité le même jour. Ils
ne nous réservent ainsi ni surprises ni lendemains. Ce n’est pas le cas de Drieu la
Rochelle. Il deviendrait demain l’un de nos plus puissants dramaturges que personne
n’aurait l’impression d’un bouleversement. La surprise serait dans l’ordre. Il donne, il
se donne généreusement à chacun de ses livres mais on lui devine une sérénité qui se
garde. A chaque jour suffit sa peine, semble-t-il nous dire. La lenteur, la nonchalance
apparente de ce grand garçon à l’étrange crâne surplombant et bossué, dissimule une
assurance qui, pour être discrète, n’en est pas moins ferme. Il sait que « demain il fera
jour ». On croit qu’il n’avance pas parce qu’il se défend de courir, mais lorsqu’on
mesure le chemin parcouru, on découvre qu’il en a semé plusieurs en route. Et non des
moindres. Le dynamisme de ses œuvres n’épuise pas le dynamisme de sa vie. Il n’est
tout entier dans aucun de ses livres. Aucun n’est une mise désespérée. Ils demeurent
toujours, par quelque point, un moyen pour lui : n’est-ce pas la meilleure méthode pour
que les autres les considèrent comme une fin ? Pour lui, ils sont d’abord un moyen de
se chercher, de s’approfondir… Aussi, pour nous, la surprise est double : elle est dans
le livre et dans l’au-delà du livre. Quant à l’aventure dont je parlais tout à l’heure et que
je reconnaissais double, elle est en réalité triple : il ne faut pas oublier la belle aventure
de Drieu écrivain et de ses conquêtes artistiques.
Examinons-les une à une dans son nouveau livre. La langue d’abord. Quelles
sont ses caractéristiques ? Elle est nette, lumineuse, pleine de saveur et parfois de pittoresque. Parfois, car un certain relief lui manque encore, et le sens des volumes. On a
l’impression qu’elle n’a pas été assez malaxée, pas assez décapée. C’est du travail qui
n’a pas été laissé, puis repris. Cela se sent. Drieu n’a pas encore attrapé le coup d’établir ses « volumes » avec du noir sur du blanc. Ses livres sont trop « plans », trop en
surface. Le volume s’obtient la plupart du temps en cassant net mais provisoirement –
c’est-à-dire en interrompant – la légitime concordance des temps. C’est un moyen. Il y
en a sûrement d’autres.
Il m’arrive de proposer à mes lecteurs des œuvres parfaites ou quasi parfaites.
Ce n’est pas le cas ici. Je leur signale une œuvre émouvante par ses recherches. C’est
un livre que j’ai lu très vite, pour le plaisir. Je vais le reprendre une ou deux fois pour
voir comment c’est fait. C’est notre métier, direz-vous, de démonter la mécanique et ce
petit jeu présente pour vous moins d’intérêt. Je pourrais vous répondre que, par ce
dédain, vous vous privez de grandes joies, mais ce serait un peu éluder le problème.
Abordons-le de front.
Quel est le drame du romancier ? Rester un homme de pensée, tout en racontant
une histoire, une belle histoire. Il y a là une première opération de magie : une fusion
dont les effets seuls doivent apparaître. La pensée fournit sa densité ; l’histoire, l’élément dramatique, l’éclat de la vie. Si l’élément dramatique se trouve enrichi, intensifié
par un courant qui vient de l’autre source – de la pensée –, on peut dire que l’opération a
pleinement réussi.
Notez bien que si je dis qu’Une Femme à sa Fenêtre n’est pas une œuvre parfaite, c’est en considération des exigences que Drieu la Rochelle a pour lui-même et de
nos propres exigences à son endroit. Mais cette œuvre, qui est d’abord une œuvre d’art,
c’est-à-dire l’œuvre d’un écrivain et d’un penseur, révèle en même temps un véritable
tempérament de romancier. Une Femme à sa Fenêtre, ce n’est ni un récit ni une nouvelle, c’est un roman, avec des plans multiples qui s’entrecroisent, de nombreux personnages, les uns grandeur nature, les autres disparaissant à l’arrière plan. Il y a les confidents, il y a le cœur antique. Il y a la nature, il y a les idées – ceux des personnages et
les autres –, il y a les mécanismes sociaux. Et chaque chose est à sa juste place.
Lisez Une Femme à sa Fenêtre !
Fortunat Strowski
M. DRIEU LA ROCHELLE À DELPHES
Gringoire n° 72 – 21 mars 1930
Toutes les capitales du monde civilisé s’apprêtent à célébrer le centenaire de
l’indépendance hellénique. Je pense qu’il n’y aura rien de comparable aux solennités de
Delphes. La Grèce d’il y a vingt-cinq siècles et celle d’aujourd’hui y rassembleront une
fameuse assistance. Les trains bleus et les paquebots de luxe ne suffiront pas aux touristes, et déjà chez les libraires on craint de manquer de Joannes et de Baedekers. Aussi
vais-je conseiller aux pèlerins d’Apollon d’emporter parmi les livres dont ils chargeront
leur valise un certain roman, pas trop lourd, pas trop gros, à couverture blanche et titre
rouge, qui se lira sans peine parmi les cahots et sous la faible lumière des veilleuses. Ils
y goûteront du plaisir ; et ce sera une passionnante introduction au voyage. L’oracle de
Delphes y parle lui-même, mais son langage tout moderne n’est pas celui de la Pythie.
Ce livre s’appelle Une Femme à sa Fenêtre et il a pour auteur un jeune écrivain
que Gringoire connaît : M. Drieu la Rochelle.
Quand le commencer ? Mon Dieu, tout au départ !
Je les connais, ces premières heures dans le train, où l’on n’a pas encore pu prendre ses aises. La locomotive souffle et siffle, les chaînes se heurtent, les roues sautent
aux aiguilles, et, de temps en temps, une raie de feu blesse les yeux : c’est une gare franchie en vitesse. Là-haut, les étoiles ont l’air de se ficher de vous. C’est le moment
d’ouvrir la valise et d’y chercher le livre blanc.
Les premières scènes ont pour cadre le hall d’un palace, à Athènes. Les personnages sont des diplomates. L’héroïne est la femme d’un gentilhomme italien, secrétaire
d’ambassade et demi-aventurier ; elle a nom Margot, mais elle n’est pas une grisette.
Voilà tout à fait le climat qui convient, le climat du sleeping.
Trois ministres, celui d’Albanie, celui de Perse et celui de Suède font la cour à
Margot, dans ce hall où passent toutes sortes de gens. Tendus vers la jolie femme heureuse de vivre, ils la croient toujours « inspirée par le désir immédiat », parce que son
corps, désirable en effet, l’inspire ; et ils agissent en conséquence. Ils ont la parfaite
courtoisie de leur caste et la brutalité de leur race. Margot s’amuse de leur convoitise
cruelle. Cette invitation à l’amour ressemble fort à une invitation au voyage. Lisez,
lisez toujours : votre train a déjà dévoré pas mal de kilomètres.
Margot est entrée dans sa chambre ; celle de son mari est à côté, séparée par la
salle de bains. Margot s’est couchée, la fenêtre ouverte. Au matin, elle a froid ; elle se
lève pour refermer la fenêtre ; elle n’est point vêtue ; sa légère chemise de nuit ne
l’empêche pas de grelotter. Avant de fermer, elle se penche dans le jour brouillé qui
commence à naître. Elle entend du bruit, un homme fuit, comme quelqu’un qui court
pour sauver sa vie. Le malheureux voit la fenêtre ouverte, la femme à demi-nue ; il supplie et, sans attendre la réponse… oui, Madame ! il a sauté par la fenêtre de la chambre.
Ce n’est pas un cambrioleur, ce n’est pas un assassin, ou du moins un méchant
assassin : c’est un communiste.
Au lieu de veiller par force dans ce bruyant wagon, vous seriez chez vous, dans
votre lit, les yeux pleins de sommeil, que vous voudriez savoir la suite. Elle est bien
simple.
Margot ne livrera pas le communiste ; il lui inspire des sentiments contradictoires, mais elle se sent incapable de le condamner à mort. Elle va chercher Rico, son
mari, qui dort à côté. Voilà, dans sa chambre, Margot, Rico et le proscrit…
Tout cela, vous l’aurez lu sans aucune peine. Quoique le style ne soit pas toujours d’une pureté à ravir Lancelot, il est rapide, varié et fort. Des formules saisissantes
jaillissent, d’autres sont comme imprimées d’un trait court et aigu. Les images ont du
relief et de la couleur. Si Ferid Pacha, le ministre d’Albanie, promène sa grosse langue
sur la sécheresse de ses lèvres minces, c’est, dit le romancier, « comme un foie de veau
sur le couteau du boucher ». C’est avec des traits analogues que jadis Moréas peignait
magnifiquement le ruffian : « Et sa lèvre pareille au bétail égorgé »…
D’ordinaire, M. Drieu la Rochelle est plus « classique », je veux dire moins violent. Il sait exprimer des idées morales. Ses analyses et ses descriptions ont une exactitude un peu amère où se reconnaît le moderne qui a fréquenté les vieux maîtres. Mais il
ne tombe jamais dans la plate et endormante abstraction.
Votre train s’est arrêté ; ce sera un peu long ; il change de locomotive ; il faut
tout de même dormir. Profitez du silence ; fermez le livre ! Demain vous l’aurez oublié
avec des voisins inconnus et des paysages inconnus. Bonne nuit !
Athènes ! Enfin Athènes ! Le palais où vous descendez est tout juste comme
dans le livre, le hall également et les gens aussi, sauf qu’il y a encore plus de monde.
Margot, Rico et le communiste reviennent à votre mémoire et vous obsèdent. Tant
mieux ! Tout à l’heure, ils vous conduiront à Delphes même. C’est le moment de rouvrir le livre.
Donc Rico et Margot se sont consultés et ils ont décidé, pour sauver leur étrange
et involontaire visiteur qui dit s’appeler Boutros, de le faire entrer comme chauffeur
chez un riche ingénieur, Malfosse, encore un des convoiteux de Margot.
Malfosse, qui ne sait rien refuser à Margot, accepte avec une entière répugnance
et une entière docilité. Boutros est donc en sûreté, au moins momentanément.
Mais il est arrivé ce qui devait arriver. Dans une comédie récente, nous avons
vu M. Jules Berry se déguiser en cambrioleur pour forcer la fenêtre et aussi l’amour
d’une indifférente beauté ; la beauté cessait d’être indifférente dès qu’il était entré par la
fenêtre. Margot est une femme, elle n’a pas eu sa part d’imprévu et d’amour ; malgré
son heureuse nature, elle s’ennuie ; et voilà qu’avec une violence sournoise et irrésistible la passion s’installe en elle pour celui qui entra par la fenêtre.
On peut cacher quelque temps qui on aime, mais on ne peut jamais cacher qu’on
aime ; tout l’entourage de Margot le devine, et joue au jeu de découvrir l’heureux
gagnant. Boutros est de nouveau en danger. Alors, non sans la complicité un peu inquiétante de Rico, Margot invente un nouveau moyen de salut. Avec Malfosse, elle se fera
conduire par le prétendu chauffeur jusqu’à Delphes. De là, Boutros gagnera seul Patras
où il lui sera aisé de s’embarquer et de fuir.
… Cette course d’Athènes à Delphes, vous la ferez vous-même demain, mais
aujourd’hui suivez en imagination la Packard qui emmène Margot et ses amours.
Sur la route pierreuse et chaude, l’homme rumine son communisme et son
amour naissant – car il aime, lui aussi. Quoiqu’il s’obstine à cacher son individualité,
c’est évidemment un être cultivé, né sociable, qui n’a détesté et combattu la société que
pour échapper à sa mollesse et pour rester libre, actif et violent. Ce n’est pas un sauvage ou un féroce.
Il veut lutter contre l’envoûtement de la Grèce et l’esclavage puéril de l’amour :
« Je suis altéré comme la terre, se dit-il au volant, altéré de mort et de renaissance…
Courons ailleurs, où il y a encore de la vie. Il faut se hâter de travailler à en perdre
haleine, mettre au jour les actions qui montrent mon cœur. Je n’ai pas le temps d’aimer
une femme, une si petite portion de l’être ». Mais soudain la Packard débouche devant
le golfe d’Egine et il est déjà amolli : « Tout en naviguant entre les fondrières, il ne
laissa pas de s’émerveiller de ce déploiement soudain, de ce savant étagement aux
plans enlacés, plaine, mer, montagne, ciel. L’air et l’eau immobiles et transparents
entre les perspectives ascendantes composées par les montagnes, forment des lacs
enchantés, suspendus, dans un rêve vivant, qui nourrit des présences aiguës ». Avezvous remarqué les procédés de la description ? M. Drieu la Rochelle est tout à fait
affranchi de l’imitation de Barrès ; son style et ses impressions rappellent plutôt Le Centaure de Maurice de Guérin.
Enfin voici Delphes où s’achève le drame de l’amour.
Les monuments, restitués par les fouilles des archéologues, excitent le dédain ou
la colère de Boutros : « Des tronçons de colonne jalonnaient vainement la trace des
dessins qui n’avaient plus la force de contraindre l’espace. La beauté anéantie, éparpillée, ne pouvait se rejoindre. La foi qui avait soulevé cette montagne l’avait à jamais
laissée retomber ». Mais au-delà des ruines, autour, au-dessus, au-dessous, les encadrant, les submergeant, la muraille feuillue des oliviers, le tapis des arbres, les plantes
grimpantes, les parfums chauds et la lumière révèlent une énergie vitale, une force
essentielle inépuisable, où le communiste reconnaît son âme.
C’est donc dans ce lieu merveilleux qu’il prend conscience de sa passion pour la
vie et qu’il décide d’entraîner avec lui cette Margot qui devra marcher pieds nus pour le
suivre, mais qui du moins aimera. Il lui fallait, dit M. Drieu la Rochelle pour expliquer
l’étrange caractère de son héros, « saisir les mouvements de l’énergie à travers le
monde dans leurs instants de vie essentielle ». Il lui fallait encore le plus étroit contact,
non pas avec les forces d’hier, mais « avec celles qui triomphaient au moment où il
vivait ».
Ainsi, de la Grèce, il n’a connu que le contraste du génie grec.
Je ne sais si la Grèce produira la même impression sur tous les voyageurs et
pèlerins du Centenaire.
Une beauté mesurée et parfaite, des proportions harmonieuses, une véritable
éternité et la perfection, voilà tout ce que nous a laissé le pur génie grec ; et il y a de
quoi calmer les fièvres de la vie et cette sorte d’inquiétude qui attache les hommes
modernes à l’instant précis où ils sont, que dis-je ? à l’instant où ils seront tout à l’heure
s’ils y parviennent. Aller en Grèce, c’est aller aux sources de la sérénité.
Le t emple d e Delph es
Qu’un Boutros, tourmenté par le danger toujours présent d’être pris et déchiré
entre l’orgueil et l’amour, n’en sente pas le bienfait, je le comprends. Mais si le profond
et sincère talent de M. Drieu la Rochelle veut me faire accepter le cas de ce malheureux
pour règle générale, non ! je résiste.
Et pourtant, les horizons vers lesquels je m’évade à certaines heures sont bien
contraires à la stabilité et à la conservation du passé. L’Amérique ne pense jamais à son
œuvre d’hier ; et même ce qu’elle bâtit aujourd’hui, elle songe déjà à le démolir, avant
que le toit ne soit achevé. Chaque expérience est chez elle un aiguillon à en tenter une
autre, en avant. L’Américain ne souffre pas de notre besoin d’élever des monuments
plus durables que l’airain, plus « éternels » que les Pyramides ou le Colisée. Chaque
instant est mobile et changeant pour lui.
Mais cette instable volubilité ne m’écarte pas de la Grèce des monuments ; elle
n’en écartera personne. Elle n’est pas fille de l’inquiétude, ni de l’ennui, ni du mépris.
Elle a son principe dans la même raison qui enseigna aux Grecs les lois de la perfection.
Elle veut, elle aussi, que tout soit par proportions, ordre et mesure. Seulement, elle sait
qu’à cette heure la vie humaine modifie sans cesse ses possibilités et ses puissances.
Elle change pour se soumettre mieux à son objet. L’Amérique croit que l’humanité
passe par une crise de croissance. Une mère s’en va chez le tailleur commander un
vêtement pour son fils avant que le vieux soit usé. Ce n’est pas du gaspillage ! Mais
quoi ! l’enfant a grandi ; ses manches étaient devenues trop courtes et ses pantalons
s’arrêtaient à mi-jambe.
L’esprit américain n’est pas si éloigné qu’on croit de l’esprit grec. L’esprit du
livre que je viens d’analyser l’est beaucoup plus. Bientôt nous apprendrons, par les
réactions des touristes, si M. Drieu la Rochelle a traduit son sentiment individuel ou un
tourment collectif.
Mais, après tout, même s’il s’est trompé dans ses conclusions, son livre gardera
une très haute importance par la pénétration et la richesse de la psychologie. Son précédent roman, Blèche, analysait et faisait vivre d’étranges personnages, d’une saisissante
vérité. Ceux d’Une Femme à sa Fenêtre sont moins mystérieux. Mais ils sont peints
avec un art infini qui se cache et se prodigue à la fois. M. Drieu la Rochelle a le dédain
des choses faciles et la curiosité quelquefois amère des cœurs : avec cela, on va loin.
Cinéma
Hildebrando
UNA MUJER EN LA VENTANA
(… donde Jorge Semprún lanzó por la tana a Drieu la Rochelle)
UNE FEMME À SA FENÊTRE
(… ou comment Jorge Semprún dépossède Drieu la Rochelle)
El Martillo n° 3 – décembre 1977
Ce n’est certes pas tous les jours qu’un roman de Drieu la Rochelle est porté à
l’écran. Celui qui, avec André Malraux et Louis-Ferdinand Céline, fut le meilleur écrivain de sa génération est aujourd’hui marginalisé au niveau français comme au niveau
mondial. Drieu la Rochelle, qui est-ce ? Il n’eut aucune existence dans la France gaulliste de l’après-guerre, « anéanti » parce qu’accusé de collaboration. « Collaborateur »,
Drieu le fut. Et il nous abandonna un jour de mars 1945, mettant fin à sa vie à l’aide
d’une bonne dose de véronal. La France rationaliste et cartésienne décida alors qu’il
n’avait jamais existé…
Mais personne ne peut empêcher que ses romans, publiés avant-guerre, ne
s’arrachent à prix d’or au marché aux puces ou dans les librairies spécialisées en ouvrages anciens – ni que certaines maisons d’édition de seconde importance ne republient
les livres de notre Drieu. Rien n’empêchera non plus Jean Mabire de rédiger un magnifique essai intitulé Drieu parmi nous, ni qu’un jeune cinéaste (Louis Malle) ne réalise
un film tiré de l’un des romans les plus pathétiques de Drieu : Le Feu follet.
Pire encore aux yeux des bien-pensants : Drieu commence à être connu des jeu-nes
générations – qui voient en lui le prophète qui, moderne Cassandre, diagnostiquait les
maux de la société occidentale d’hier et d’aujourd’hui.
Ont été publiés en Espagne (aux Editions Alianza et Seix Barral) Fuego fatuo et
Memorias de Dirk Raspe, une évocation de Van Gogh. Nous ne pouvons que nous
satisfaire de voir cet auteur hérétique franchir enfin nos frontières. En France est parue
(en 1961) une nouvelle édition de Récit secret et (en 1975) de Rêveuse Bourgeoisie.
Enfin, les cinéphiles trouveront ici quelques notes consacrées au film de Pierre Granier-
Deferre (un vétéran de la « nouvelle vague » des années 60), projeté début 1977 et intitulé Une Femme à sa Fenêtre (d’après un roman de Drieu).
Dix mois après la sortie du film sur les écrans parisiens, Une Femme à sa Fenêtre fut projetée en Espagne (précédée d’une séance unique durant la Semaine du Cinéma
français à la Cuidad Condal).
Résumée, sa fiche technique est la suivante :
– Directeur : Pierre Granier-Deferre ;
– Acteurs principaux : Romy Schneider, Philippe Noiret et Victor Lanoux ;
– Distribution en Espagne : Sanchez Ramade ;
– Scénariste : Jorge Semprún.
Détail d e l’affiche d e Ferracci pour le film de Granier -Deferre
Un directeur ex-« nouvelle vague », un protagoniste (Victor Lanoux) n’ayant
qu’une brève carrière derrière lui, Philippe Noiret, rustre mais réaliste, un peu différent
en cette occasion de l’homme froid, calculateur, flegmatique qu’il incarne à l’ordinaire
et, enfin, l’enchanteresse Romy Schneider, parfaitement à l’aise dans un rôle de femme
frivole : voilà ceux qui marquent l’œuvre cinématographique. Jorge Semprún, ancien
dirigeant du Parti communiste espagnol, marxiste impénitent – bien qu’exclu du P.C.E.
– et reconverti dans la création littéraire (rappelons seulement le triomphe de son dernier Planeta et son travail comme scénariste de Section spéciale et autres films dirigés
par Costa-Gavras) signe, nous l’avons dit, le scénario du film.
Les multiples divergences entre le film et le roman ne sont, bien sûr, que pure
coïncidence…
Résumons le film. Son action se déroule dans la Grèce des années trente, quand,
un mois après le début des hostilités en Espagne, le général Metaxas (1) s’empare du
pouvoir par un coup d’Etat similaire à celui du général Primo de Rivera : régime réac-
tionnaire, militaire, vaguement imprégné de l’essence d’un fascisme triomphant dans
l’Europe entière. On comprend que, dans ce contexte, Michel Boutros, dirigeant communiste, doit fuir d’urgence. Poursuivi et cerné par la police, Boutros aboutit accidentellement sous les fenêtres de Margot Santorini, épouse du consul italien à Athènes.
Margot, déçue par le mariage, séduisante et frivole, s’abandonne à Boutros. Tous deux
mourront tragiquement en des circonstances différentes. Les autres personnages –
l’époux de Margot (Rico, un play-boy aux poches trouées), Raoul Malfosse et trois ou
quatre seconds couteaux – ne font que compléter le cercle des admirateurs de Margot
(qui les domine tous). Seul Boutros dominera Margot…
Ce résumé ne révèle évidemment pas grand chose. Il pourrait s’agir d’un feuilleton ou d’une œuvre « politiquement engagée ». Le texte original de Drieu nous
apprend qu’il s’agit des deux à la fois : d’une histoire d’amour irrationnelle et d’un
engagement qui, avant d’être « politique », est de ceux qui entendent servir un certain
idéal humain. Par son scénario, Semprún tend à affirmer le contraire. Il nous présente
une amourette, assaisonnée d’une pincée de socialisme marxiste…
… or, M. Semprún, là n’était nullement l’intention de l’auteur d’Une Femme à
sa Fenêtre !
La version de Semprún est une version extrêmement libre (excessivement libre,
dirions-nous). Drieu a fait de son personnage Boutros un être nietzschéen, sensible à
toute forme d’altruisme héroïque, mû par une motivation pure, un activiste-né – version
renouvelée du Jeune Européen – lorsqu’il affirme : « Nous ne savons pas ce qu’il faut
faire, mais nous le ferons ». Boutros aime la vie, sachant que la vie, c’est souffrir et
mourir. Sa conception vitaliste le pousse à affirmer : « J’aime la vie, je vais là où il y a
de la vie, là où sont les hommes ». Curieux communiste que ce Boutros lorsque, sous la
plume de Drieu, il déclare : « Je me fous de l’égalité » !
Il est certain que Drieu fut fasciné par certains aspects du communisme des
années trente. Et Boutros reflète cette tendance : il ne se sent guère prédisposé à une
conception matérialiste de l’Histoire ; il se soucie du prolétaire « comme d’un radis » et
ne semble guère intéressé par la justice sociale. Boutros, lors de dialogues avec le négociant Malfosse, soutient le communisme parce qu’il voit dans cette idéologie l’image de
la vie face à un monde démocratique décadent. Il proclame tout à coup : « Je crois que
les communistes sont aussi pourris que les capitalistes, mais au moins, ils portent en
eux un reste de vitalité, de santé ; ils aiment le combat, l’épreuve ». Plus probant
encore ce cri : « Les doctrines marxistes et leur prétention du détail ne sont pas mon
souci ». Boutros et Drieu admirent la part de vitalisme et de militantisme que recèlent
certaines factions communistes : « Je me donne à ce qu’il y a de plus fort dans le monde
de mon temps ». Pour ces raisons, Drieu flirtera un temps avec le communisme. Son
attitude est comparable à celle de Ramiro Ledesma Ramos, écrivant dans les premiers
numéros de La Conquista del Estado : « Vive la Russie de Staline ! Vive l’Allemagne
de Hitler ! Vive l’Italie de Mussolini ! » En juin 1936, Drieu verra en Doriot, ex-communiste, ancien dirigeant de l’Internationale, maire de Saint-Denis (en banlieue parisienne), la concrétisation de ses espoirs esthétiques et politiques. Il n’hésita pas et adhéra
au Parti Populaire Français.
Jorge Semprún nous présente un scénario extrêmement découpé, incomplet,
amputé des dialogues significatifs et forts du livre (rayés systématiquement de son piètre roman-feuilleton). A la fin, Drieu en personne apparaît à l’écran. Il raconte la mort
tragique des protagonistes. Pauvre Drieu ! Qui eût pu prédire que, trente ans après sa
mort, il commencerait une carrière cinématographique ?
Précisons enfin que du point de vue esthétique, le film de Granier-Deferre est
irréprochable, parfaitement construit, tenant le spectateur en haleine. Quelques brefs
coups de pinceau suffisent à recréer l’atmosphère de la Grèce de Metaxas.
Mais à la fin de la projection, une conclusion s’imposait à nous : ce film ne reflétait nullement le livre que nous avions lu. Ce n’était pas la Femme à sa Fenêtre de
Drieu ; c’était Semprún tentant de défenestrer Drieu et son héroïne…
Traduction : Daniel Leskens.
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(1) Ioannis Metaxas, général et homme politique grec, naquit à Ithaque le 12 avril 1871. Chef d’étatmajor en 1915, il suivit la politique de neutralité du roi Constantin Ier. En 1936, ce monarchiste ardent
fut appelé par Georges II à exercer le pouvoir. Face à l’incapacité des parlementaires, il fit dissoudre la
Chambre et gouverna par décrets. D’énergiques mesures destinées à améliorer la condition ouvrière lui
concilièrent une part du prolétariat. Bien que favorable aux puissances de l’Axe, il entreprit la fortification des frontières septentrionales du pays (construction de la « Ligne Metaxas » dès 1938) et repoussa
victorieusement l’agression italienne d’octobre 1940. Il mourut à Athènes le 28 janvier 1941, quatre mois
avant que la Wehrmacht n’écrase les dernières résistances anglo-helléniques (note A.D.L.R.).
♦ Un dernier mot du traducteur concernant le livre : les familiers de l’œuvre de Drieu se souviendront
qu’Une Femme à sa Fenêtre fut rédigée en 1929, soit sept ans avant la prise de pouvoir du général Metaxas. Et que l’auteur donne à son roman une fin qu’il est permis de supposer heureuse, les amants se promettant de se retrouver à Patras…

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