Eléments pour un renouvellement de la théorie de la preuve en droit
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Eléments pour un renouvellement de la théorie de la preuve en droit
Version pré-print : pour citer cet article : E. Vergès, « Eléments pour un renouvellement de la théorie de la preuve en droit privé », in Mélanges J.-H Robert, Lexisnexis 2012, p. 853. ÉLEMENTS POUR UN RENOUVELLEMENT DE LA THEORIE DE LA PREUVE EN DROIT PRIVE Étienne VERGES Renouveler la théorie de la preuve en droit privé est un travail imprudent et semé d’écueils. Plus que bicentenaire, la théorie de la preuve est ancrée dans la doctrine civiliste française et elle semble immuable. Enseignée aux étudiants de première année, il est rare qu’elle donne lieu à des approfondissements dans le cursus universitaire. Rares sont également les travaux contemporains qui sont consacrés à cette théorie dans son ensemble1, comme si tout avait été dit dans le Code civil et qu’il n’était plus nécessaire d’y revenir. Mais si les études holistiques sont peu nombreuses et que la théorie classique fait consensus, c’est aussi en raison de l’éparpillement des règles de preuve, qui rend la matière plus embrouillée qu’à première vue. La complexité du droit de la preuve est telle, que la matière résiste à celui qui tente de l’appréhender dans sa globalité. Même Bentham ne parvint jamais à achever son Traité des preuves judiciaires, qui fut publié par Dumont à partir des manuscrits du premier. Dans la préface de l’ouvrage, Dumont écrivait à propos de Bentham : « Après avoir accumulé une prodigieuse quantité de matériaux, il n'a pas eu le courage d'aller plus loin : son abondance lui a fait peur. » Bentham avait rassemblé tout son savoir sur la preuve dans des « planches » et des « panoramas ». L’œuvre était si imposante qu’il ne put publier de son vivant qu’un « sommaire »2. De surcroît, Dumont, après avoir repris le travail de Bentham, estimait que « les matériaux étaient loin de former un ensemble intelligible et complet ». Pourtant, si l’œuvre conjointe de Bentham et Dumont fait référence encore aujourd’hui, c’est que les règles qui « paraissent de simple bon sens seront souvent traitées de paradoxe et heurteront des maximes consacrées par les préjugés et par l’usage »3. Le constat de Dumont au XIXe siècle résonne encore aujourd’hui. Un grand nombre de lieux communs sur la preuve méritent discussion. Et si les choses apparemment claires ne le sont pas réellement, celles généralement obscures le sont plus encore. Les concepts fondamentaux du droit de la preuve s’entrechoquent, de telle sorte que l’on peine à distinguer clairement une preuve d’un mode de preuve ou à différencier les preuves légales de la légalité de la preuve. À la confusion autour des notions fondamentales, s’ajoute l’évolution importante du droit de la preuve depuis le Code civil. Qu’il s’agisse de la modernisation de la procédure civile dans les années 19704, de la création de principes contemporains par la Cour de cassation ou du rôle indirect joué par la Cour européenne des droits de l’Homme, la multiplication des sources du droit de la preuve devrait conduire à réviser la théorie de la preuve en tenant compte de l’apparition de ces nouvelles règles. Cette révision doit être l’occasion de repenser la matière en se libérant de l’emprise des branches du droit. En effet, si les règles de preuve peuvent différer entre matière civile et matière pénale, entre droit civil, commercial ou social, la théorie de la preuve, quant à elle, englobe ces disciplines, sans en absorber les différences, mais en soulignant les règles qui les éloignent et celles qui les rapprochent5. Ainsi résumées, les finalités de l’étude nous exposent à deux difficultés majeures. La première est sans nul doute qu’il faut accepter de se confronter aux grands auteurs, aux thèses historiques, aux ouvrages de référence. Nous le ferons sans esprit de polémique, mais également sans complaisance, exposant avec sincérité le fruit d’un travail, plus qu’un credo. La seconde est de livrer au lecteur une présentation globale et personnelle de la théorie de la preuve, qui n’est qu’une réflexion limitée par le temps et l’espace. La théorie de la preuve défie l’empressement et le calendrier académique autant que les contraintes éditoriales. Certaines questions seront négligées ou traitées trop rapidement. Elles nécessiteront d’être remises sur le métier. Travailler sur la théorie générale de la preuve suppose que l’on s’entende au préalable sur le sens de l’expression « théorie générale ». Nous nous rattacherons volontiers à la définition de deux auteurs qui la décrivent comme « un ensemble de définitions et de principes ordonnés autour d'un certain objet dans le dessein d'expliquer de manière cohérente les solutions positives et de guider les solutions futures »6. Se distinguant du 1 Cf. not. s’agissant des travaux proposant une vision d’ensemble : J. BENTHAM, Traité des preuves judiciaires, t. I, Bossange Frères, Paris, 1823. – E. BONNIER, Traité théorique et pratique des preuves en droit civil et en droit criminel, 2e éd. 1852. – R. LEGEAIS, Les règles de preuve en droit civil, permanence et transformation, LGDJ, 1955. – X. LAGARDE, Réflexion critique sur le droit de la preuve, LGDJ, 1994. – F. FERRAND, Rép. civ. Dalloz, V° Preuve, 2006. S’agissant des travaux collectifs : Ch. PERELMAN et P. FORIERS (ss dir.), La preuve en droit, Bruylant, 1981, p. 357 ; Droits 1996, n° 23. – C. PUIGELIER (ss dir.), La preuve, Economica, 2004. 2 E. DUMONT, Préface, in J. BENTHAM, Traité des preuves judiciaires, t. I, Bossange Frères, Paris, 1823, p. ij. 3 Ibid. p. V. – En réalité, le Traité des preuves judiciaires ne constitue pas une théorie générale de la preuve, mais la remarque de Dumont a une portée générale. 4 Cette modernisation a profondément transformé le rôle du juge dans la recherche des preuves. Cf. infra. 5 Si l’étude est restreinte au droit privé, elle n’exclut pas l’hypothèse d’une théorie de la preuve commune avec le droit public. 6 Ph. JESTAZ et Ch. JAMIN, La doctrine, Dalloz, 2004, p. 230 et s. droit lui-même, la théorie générale est une organisation intellectuelle et une présentation pédagogique des règles de droit relatives à un objet7. Elle est avant tout scientifique8, même si elle peut devenir juridique sous l’influence d’auteurs majeurs9. Organiser le droit de la preuve en une théorie générale s’intègre dans cette perspective. Il s’agit de rassembler les règles éparpillées du droit positif, les agencer dans un ordre qui fait apparaître, non seulement une construction logique, mais surtout une présentation intelligible. Théoriser le droit n’est pas une tâche purement abstraite. Cela permet également de construire des outils qui rendent le droit plus accessible. La théorie générale est non seulement un ordonnancement des règles de droit, mais elle sert également à dégager les principes juridiques qui permettent de construire l’architecture du droit. Le droit de la preuve est constitué de nombreux principes qui forment l’architecture de la théorie générale de la preuve10. Par ailleurs, le droit de la preuve est perturbé par la coexistence de règles générales, applicables à toutes les preuves, et de différents procédés probatoires, généralement dénommés « modes de preuve ». Cette coexistence est problématique, car le Code civil - et à sa suite la doctrine civiliste - mêlent l’étude des principes du droit de la preuve et des modes de preuve. La théorie générale de la preuve se confond alors avec l’étude des preuves spéciales, comme si aucune distinction ne pouvait être établie. C’est la démarche inverse que nous proposons, en séparant l’étude des règles générales de la preuve de celle des modes de preuve. L’idée consiste à établir un parallèle entre le droit de la preuve et le droit des contrats. Le droit des contrats se divise classiquement entre l’étude de la théorie générale du contrat – c'est-à-dire des règles communes à tous les contrats11 – et l’étude des contrats spéciaux. De la même manière, on peut considérer que le droit de la preuve se divise en une théorie générale de la preuve et une présentation distincte des modes de preuve (le droit des preuves spéciales). Certaines preuves spéciales font l’objet d’un régime juridique propre, défini par la loi, le règlement, la jurisprudence. On les appellera les preuves « nommées », par opposition aux « preuves innomées »12 qui sont simplement soumises aux règles de la théorie générale de la preuve. La structure du droit des contrats devient ainsi une clé d’analyse du droit de la preuve dans ses différentes composantes. Cette distinction entre théorie générale de la preuve et droit des preuves spéciales n’a pas été mise en évidence par le Code civil. Au contraire, le code présente successivement une sélection de modes de preuve (preuve littérale, testimoniale, présomptions, aveu, serment), à partir de laquelle certains auteurs ont construit une « théorie des preuves »13 ou un « traité des preuves »14. La doctrine ne manque pas de souligner l’imperfection de la méthode, dont la défectuosité originale est imputée à Pothier15. Si l’on retrouve une confusion entre la théorie générale des preuves et la preuve des obligations dans les travaux de la doctrine, c’est précisément parce que le Code civil mêle les deux. Un chapitre est ainsi intitulé « De la preuve des obligations et de celle du paiement » mais il contient en réalité des règles plus générales relatives à la force probante de certains modes de preuve. En d’autres termes, derrière un classement apparent des modes de preuve, le Code civil contient des règles extrêmement variées qui ne sont pas simplement destinées à la preuve des obligations, mais qui ne constituent pas une théorie générale de la preuve. Si le Code civil semble faire office de point de repère de la doctrine civiliste, il ne constitue en réalité qu’une charnière dans l’histoire du droit de la preuve. Il condense, en quelques dispositions, des siècles d’évolutions et d’influences16. Il réglemente certains modes de preuve, héritage du droit romain et de l’ancien droit, mais il définit également des principes relatifs à la charge de la preuve, provenant de la conception germanique du procès ; ce dernier étant conçu comme un combat dans lequel le juge fait figure d’arbitre. Il reprend l’obligation de préconstituer la preuve des contrats, qui trouve son origine dans l’ordonnance de Moulins de 1566. Mais le Code civil ne dit rien sur l’objet de la preuve, sur la manière dont on recherche les preuves ou sur celle de les produire en justice. Plus encore, il ne dit rien sur les preuves qui constituent des atteintes à d’autres droits (preuves illicites). Malgré sa portée générale, le Code civil sera rapidement complété par des textes procéduraux17. Par la suite, la jurisprudence viendra enrichir le droit de la preuve de nouveaux principes18. Mais la doctrine civiliste restera marquée par les principes du Code civil (légalité de la preuve, neutralité du 7 Un auteur explique ainsi que les théories générales se construisent « à partir d'une matière obscure : arrêts de la Cour de cassation ou d'autres juridictions, lois, décrets, arrêtés, circulaires, poussières de droit éparpillées », S. PIMONT, Peut-on réduire le droit en théories générales ? Exemples en droit du contrat : RTD civ. 2009, p. 417. 8 Cf. E. SAVAUX, La théorie générale du contrat, mythe ou réalité ?, LGDJ, 1997, selon lequel la théorie est « une activité de la science du droit » (cité ici par S. PIMONT, ibid.). 9 L’influence de Motulsky, par exemple, sur la construction et l’ordonnancement du Code de procédure civile de 1975 est bien connue. 10 Parmi lesquels, liberté et légalité de la preuve, loyauté, interdiction de se constituer une preuve à soi-même, etc. 11 Auxquelles s’ajoutent des règles de classification ou des règles spécifiques à certaines catégories de contrats. 12 Cette dichotomie sera détaillée plus loin. 13 PLANIOL par G. RIPERT et J. BOULANGER, Traité de droit civil, t. 1, LGDJ, 1956. 14 E. BONNIER, Traité théorique et pratique des preuves en droit civil et en droit criminel, 2e éd. 1852. 15 PLANIOL par G. RIPERT et J. BOULANGER, Traité de droit civil, op. cit., n° 710, « La théorie des preuves se trouve, de la sorte, dominer l’ensemble du droit privé. Le code n’a cependant formulé de principes généraux que pour la preuve des obligations. En logique pure, il y a là un vice de méthode évident, dont la responsabilité doit être imputée à Pothier ». – E. BONNIER, Traité théorique et pratique des preuves en droit civil et en droit criminel, op. cit., p. 3 : « Si les preuves se trouvent en grande partie traitées dans le Code civil, qui devrait être une loi toute substantive, toute de fond, cela ne tient pas à un système bien arrêté de la part du législateur, mais à une imitation aveugle de Pothier, qui, traitant spécialement des obligations, avait dû examiner en terminant comment on les constate. » 16 Cf. par ex. la synthèse de R. LEGEAIS, Les règles de preuve en droit civil, permanence et transformation, LGDJ, 1955, p. 9 et s. 17 Le Code de procédure civile de 1806. 18 Loyauté, vie privée, droits de la défense, etc. juge19), qui vont figer la pensée juridique autour de règles, certes fondamentales, mais qui ne permettent pas de concevoir une théorie générale20. En matière pénale les choses sont à la fois plus simples et plus complexes. Certains auteurs affirment qu’il n’existe pas de théorie générale de la preuve pénale21. Cela signifie, en réalité, que ni le Code pénal ni le Code de procédure pénale ne contiennent un chapitre consacré aux règles de preuve. Cette lacune n’a pas empêché les auteurs de rassembler les règles de preuve dans un ordonnancement qui laisse entrevoir une conception globalisante du droit de la preuve pénale22. Toutefois, transposant le vocabulaire civiliste à la matière pénale, la doctrine entremêle les notions fondamentales et sème une confusion qui rend plus délicate l’approche transversale de la preuve civile et de la preuve pénale. De façon générale, toute tentative d’élaborer une théorie générale de la preuve en droit privé rencontre plusieurs obstacles de taille. D’abord, le droit positif de la preuve conjugue des règles d’origine historique et d’autres, plus modernes, issues de l’évolution de la conception française du procès, mais également de l’immixtion croissante des droits fondamentaux dans le droit processuel. Cette accumulation crée une complexité, car la théorie initialement fondée sur les systèmes en opposition (preuve libre et preuve légale) s’enrichit de règles nouvelles qui ne s’intègrent pas dans les systèmes existants. La théorie générale s’accroît non seulement de nouvelles normes, mais également de nouvelles questions, de nouveaux thèmes. Ensuite, la théorie générale souffre d’un manque d’intérêt de la doctrine. Les travaux de Pothier semblent avoir pétrifié l’approche civiliste du droit de la preuve, alors que la doctrine pénaliste semble implicitement s’accorder sur l’inexistence d’une théorie de la preuve. On s’attarde ainsi sur des morceaux du droit de la preuve, plutôt que sur l’ensemble de la matière, sur des principes, plutôt que sur l’organisation générale. Il est ainsi surprenant de constater qu’aucun ouvrage français contemporain de référence ne soit consacré au droit de la preuve alors que l’arrêté du 13 février 1986 portant organisation du premier concours d’agrégation de droit privé et sciences criminelles intègre, dans le programme de l’épreuve d’admissibilité, « la théorie générale des preuves en droit privé » (art. 10). Les candidats au professorat doivent ainsi préparer une leçon dans une matière pour laquelle il n’existe aucun manuel ! Enfin, la théorie de la preuve fait face à une très grande confusion. Nombre de concepts ne sont pas définis, mais utilisés par tous. Les grandes divisions ou thématiques du droit de la preuve ne sont pas consensuelles. La nature substantielle ou processuelle des règles de preuve est ambivalente et provoque d’inévitables débats. Toutes ces difficultés concourent à décourager les auteurs de s’investir dans une théorie générale qui semble parfois si bien établie, qu’on la prend pour évidente, sans se donner la peine de la décrire et de la disséquer. En réalité, des pans entiers de la théorie de la preuve existent, mais il est difficile de les agencer, voire de les réagencer. Il faut alors déconstruire, dans un premier temps, la théorie générale de la preuve (I), pour isoler les pans qui la composent et tenter d’éclairer ses zones d’ombre. Puis, dans un second temps, on pourra reconstruire la théorie générale de la preuve (II). Il s’agit alors d’une théorie renouvelée, car elle intègre de nouvelles règles, elle suggère une recomposition d’ensemble de ces règles et propose parfois des substitutions de concepts. I. – DÉCONSTRUIRE LA THÉORIE GÉNÉRALE DE LA PREUVE Déconstruire la théorie générale de la preuve suppose d’abord d’évacuer la question perturbatrice de l’existence et de la nature du droit de la preuve (A). Il faut ensuite s’intéresser aux sources du droit de la preuve (B), pour mettre en évidence leur diversité et leur évolution. Il sera alors possible de montrer que la dichotomie des systèmes de preuve ne constitue pas la base de la théorie générale de la preuve (C). Enfin, il sera nécessaire de mettre à plat certains concepts du droit de la preuve pour qu’ils retrouvent leur place dans la théorie générale (D). A. – Théorie générale de la preuve et droit de la preuve « Dense et féconde ! Tels sont les épithètes qui nous viennent à l'esprit pour qualifier la jurisprudence récente en matière probatoire. Le nombre et surtout l'intérêt des décisions examinées dans ce panorama confirment l'émergence d'une discipline à part entière : le droit de la preuve »23. Ainsi s’ouvre une des chroniques de droit 19 Cf. R. LEGEAIS, Les règles de preuve en droit civil, permanence et transformation, op. cit., p. 12 et s. 20 Il faut y ajouter que certaines règles ont connu une transformation profonde dans le procès civil. Ainsi en est-il du principe de neutralité du juge et de la conception du procès civil comme un combat. 21 Cf. par ex. les propos illustratifs du rapport de M.-L. RASSAT, Propositions de réformes de la procédure pénale, 1997, p. 47, http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/974035000/index.shtml : « Or il n'y a jamais eu aucune théorie générale de la preuve pénale ni aux Codes pénaux ancien ou nouveau, ni au Code d'instruction criminelle, ni au Code de procédure pénale, mais simplement ça et là des dispositions éparses traitant de questions diverses relatives à l'un ou l'autre des trois problèmes traditionnellement posés par la question de la preuve. » Cf. toutefois, J. CADENE, La preuve en matière pénale, essai d’une théorie générale, thèse Montpellier, 1963. – V. égal. F. DESPORTES et L. LAZERGES-COUSQUER, Traité de procédure pénale, Economica, 2009, n° 545, intitulé Élaboration d’une théorie de la preuve. 22 Pour illustration, J. PRADEL, Procédure pénale, Cujas, 14e éd. 2008-2009, nos 404 et s., La preuve de l’acte, ou encore J. BUISSON et S. GUINCHARD, Procédure pénale, Litec, 6e éd. 2010, nos 483 et s., Les garanties quant à la preuve pénale. 23 Ph. DELEBECQUE, J.-D. BRETZNER et Th. VASSEUR, Droit de la preuve : D. 2008, p. 2820. de la preuve publiée au Recueil Dalloz depuis 2006. Il est difficile d’évoquer, avec ces auteurs, « l’émergence » d’un droit de la preuve ; car, s’il existe, le droit de la preuve n’est pas émergent. Il est plutôt intemporel. Mais précisément, l’existence d’un droit de la preuve mérite des éclaircissements. Le droit de la preuve est souvent postulé par la doctrine24. Il est composé de règles « destinées à résoudre le problème de l’établissement de la vérité des faits litigieux »25. Mais le débat apparaît lorsqu’il s’agit de ranger le droit de la preuve dans les cases du système juridique, de lui accorder le statut de branche du droit. Il faut alors identifier sa nature : substantielle ou processuelle. La nature du droit de la preuve. Bonnier considérait que les règles de preuve étaient de pures règles de procédure. Accusant les rédacteurs du Code civil d’avoir aveuglément imité Pothier, il écrivait que « la place naturelle des preuves était au Code de procédure » et remarquait qu’en matière criminelle, les règles de preuve étaient rangées dans le Code d’instruction criminelle26. Cette position est plutôt isolée et la doctrine civiliste trouve les arguments les plus divers pour justifier la place des règles de preuve dans le Code civil. Un auteur estime ainsi que « le législateur qui, en matière civile, définit des droits doit logiquement (…) envisager leur preuve, et s’il le fait dans les mêmes textes, c’est qu’il a conscience de la dépendance essentielle qui existe entre droit et preuve »27. Un autre affirme que « la règle et le fond se trouvent étroitement unis. La règle de preuve est le plus souvent motivée par une règle de fond »28. Un troisième courant doctrinal penche pour la mixité des règles de preuve. Dans le Traité de droit civil de Planiol, on peut lire tout à la fois que « la théorie des preuves confine, d’un côté au droit civil, de l’autre, à la procédure »29. En réalité, ces auteurs ventilent la théorie de la preuve en fonction des questions posées. Ainsi, les formes dans lesquelles les preuves doivent être fournies relèvent de la procédure alors que l’admissibilité des modes de preuve « est une question de fond et non de procédure, car elle se lie intimement à la nature de l’acte et à la façon dont il est fait »30. Cette division est critiquée par les auteurs qui considèrent que la scission entre droit civil et procédure civile est artificielle. Elle contrarie « l’unité fondamentale de la matière »31. L’enjeu lié à la nature du droit de la preuve. Les opinions les plus diverses s’expriment ainsi et l’on saisit mal, derrière les arguments d’autorité, les fondements de telle ou telle position. L’enjeu de la nature juridique des règles de preuve n’est pourtant pas mince. La compétence du législateur ou du pouvoir réglementaire en matière civile, l’application de la loi dans l’espace et dans le temps sont conditionnées par cette nature. Malheureusement, l’étude de la jurisprudence ne permet pas de résoudre la question32. Par exemple, la Cour de cassation juge avec constance que « les règles relatives à la charge de la preuve ne constituent pas des règles de procédure applicables aux instances en cours mais touchent le fond du droit »33. L’affirmation est loin d’être convaincante, car, si l’article 1315 du Code civil aménage la charge de la preuve de l’obligation et de la libération du débiteur, le principe général relatif à la charge de la preuve est défini par l’article 9 du Code de procédure civile. De même, la Cour de cassation affirme d’une façon générale que « les règles gouvernant les modes de preuve [sont] celles en vigueur le jour où le juge statue »34. Elle semble ainsi considérer qu’il s’agit de règles de procédure alors que les modes de preuve sont visés tant par le Code civil que par le Code de procédure civile. Le droit de la preuve, une discipline scientifique du droit. L’ambiguïté de la nature juridique des règles de preuve est un obstacle à la conception unitaire d’un droit de la preuve. Toutefois, la difficulté n’existe que si l’on regarde la matière sous le prisme des branches du droit. Ce point de vue n’est pourtant pas le seul que l’on puisse adopter. La question de l’existence du droit de la preuve et celle de la nature juridique des règles de preuve peuvent être distinguées. Une discipline juridique est une construction doctrinale avant tout. L’unité conceptuelle, la finalité, l’utilité pratique sont autant de motifs pour identifier une discipline juridique à part entière. L’unité du concept de preuve, la finalité de la recherche de la vérité judiciaire et de la conviction des juges, l’utilité pratique du regroupement des règles de preuve, concourent à identifier le droit de la preuve comme une discipline scientifique du droit et non comme une branche du droit. Cette conception s’intègre dans un mouvement plus vaste, qui consiste à bâtir l’organisation des règles de droit autour d’objets, comme en en 24 Cf. par ex. X. LAGARDE, Réflexion critique sur le droit de la preuve, LGDJ, 1994, spéc. n° 5-7. – F. DESPORTES, et L. LAZERGECOUSQUER, Traité de procédure pénale, op. cit., n° 545. 25 Ibid., n° 10. 26 BONNIER, Traité théorique et pratique des preuves en droit civil et en droit criminel, op. cit., p. 3. 27 R. LEGEAIS, Les règles de preuve en droit civil, op. cit., p. 34. 28 L. MAZEAUD, La preuve intrinsèque, thèse Lyon, 1921, p. 13. 29 PLANIOL par G. RIPERT et J. BOULANGER, Traité de droit civil, t. 1, LGDJ, n° 713. Cette position est partagée par J. GHESTIN et G. GOUBEAUX, Traité de droit civil, introduction générale, LGDJ, 3e éd. 1990, n° 564. 30 Ibid. 31 F. TERRE, Introduction générale au droit, Dalloz, 9e éd. 2009, n° 568. 32 On renverra à l’étude très détaillée de F. GIRARD, Essai sur la preuve dans son environnement culturel, thèse Grenoble, 2010, p. 13 et s., note 92. 33 Cf. par ex. Cass. com., 7 nov. 1989, pourvoi n° 88-15.282. – Cass. soc., 2 juill. 2008, pourvoi n° 06-46.310. 34 Cass. soc., 11 mai 1999, pourvoi n° 97-41.505. témoigne le mouvement contemporain de codification ou encore l’émergence de disciplines juridiques nouvelles35. La complexité de ces disciplines tient en partie à la multiplicité de leurs sources. B. – Théorie générale de la preuve et sources du droit de la preuve Les sources du droit de la preuve ont connu une évolution récente et importante marquée par une concurrence entre les sources textuelles et jurisprudentielles. Le droit de la preuve civile dans les codes. En matière civile, les règles des preuves sont prévues tout à la fois dans le Code civil et dans le Code de procédure civile selon un critère de distinction qui est loin d’être évident. Le Code civil contient le système de la preuve légale des actes juridiques, et en conséquence l’énoncé de certains modes de preuve admissibles. Mais il contient également de nombreuses règles éparpillées, comme le principe de liberté de la preuve contentieuse de la filiation36 ou encore la limitation des recours à l’expertise génétique à titre probatoire37. On y trouve encore un principe relatif à la charge de la preuve des obligations38 et un autre créant une obligation générale de concourir à la manifestation de la vérité39. On mesure, à cet éparpillement, que le Code civil n’appréhende pas la preuve de façon unitaire et ne propose pas de théorie générale. Le Code de procédure civile est tout à la fois complémentaire et concurrent du Code civil. Complémentaire, car il aménage procéduralement les techniques de recherche et de production des preuves en justice, notamment celles prévues par le Code civil (écrit, témoignage, etc.). Le Code de procédure civile prévoit également d’autres modes de preuve, qui viennent compléter ceux du Code civil (mesures exécutées par un technicien, vérifications personnelles du juge). L’ensemble de ces règles – regroupées dans un titre intitulé « Administration judiciaire de la preuve » – concerne, en réalité, la recherche et la production des preuves en justice. Les dispositions liminaires du Code de procédure civile contiennent, quant à elles, plusieurs principes directeurs relatifs à la preuve, concurrents de ceux du Code civil. L’article 9 définit tout à la fois un principe de charge de la preuve et un autre de licéité de la preuve40. L’article 10 confère un rôle actif au juge dans la recherche des preuves, remettant en cause le principe classique de neutralité du juge, et l’article 11 reprend l’obligation de concourir à la manifestation de la vérité à travers la participation aux mesures d’instruction et la production des pièces. Les perturbations générées par la redondance des sources. Certaines règles de preuve sont contenues dans les deux codes (charge de la preuve, participation à la manifestation de la vérité). Cette répétition engendre des situations complexes, voire contradictoires. Il en est ainsi des règles relatives à la charge de la preuve, dont certains auteurs s’accordent à dire qu’elles sont redondantes41. En réalité, il n’en est rien. L’article 1315 du Code civil n’est pas la traduction fidèle de l’adage Actori incumbit probatio. L’exemple le plus évident est celui relatif à la charge de la preuve de l’exécution de l’obligation d’information du professionnel. La jurisprudence considère depuis 1997 sur le fondement de l’article 1315 du Code civil que « celui qui est légalement ou contractuellement tenu d'une obligation particulière d'information doit rapporter la preuve de l'exécution de cette obligation »42. Au regard de l’article 1315, la solution est parfaitement justifiée et il n’y a, dans cette jurisprudence, aucun renversement de la charge de la preuve. La victime qui agit en responsabilité contre son médecin pour n’avoir pas exécuté son obligation d’information doit simplement démontrer que cette obligation existe, c'est-à-dire qu’un contrat s’est formé entre le patient et le médecin43. C’est bien au médecin de prouver qu’il a délivré cette information et qu’il s’est ainsi libéré de son obligation. Les mêmes faits peuvent donner lieu à une analyse opposée à la lecture de l’article 9 du Code de procédure civile, qui incarne l’adage Actori incumbit probatio. Celui qui allègue un moyen nécessaire au succès de sa prétention doit également apporter la preuve qui sert de support à ce moyen. En d’autres termes, la victime devrait non seulement prouver que l’obligation d’information existe, ce qui est simple, mais encore que l’information ne lui a pas été délivrée. Il appartient en effet à celui qui exerce l’action en responsabilité civile de prouver le fait générateur de la responsabilité (ici la violation d’une obligation contractuelle). La jurisprudence sur l’obligation d’information retient la solution inverse et renverse la charge de la preuve posée par l’article 9 du Code de procédure civile. En définitive, cet exemple montre que l’article 9 du Code de procédure civile et l’article 1315 du Code civil ne contiennent pas la même répartition de la charge de la preuve. Le premier de ces textes fait reposer la charge de la preuve sur celui qui allègue un moyen ; le second reporte la charge de la preuve alternativement sur celui qui invoque l’existence de l’obligation ou sur celui qui prétend s’en être libéré. Les deux règles sont différentes, 35 Par ex. le droit de l’Internet, le droit de l’environnement etc. 36 C. civ., art. 310-3, al. 2. 37 C. civ., art. 16-11. 38 C. civ., art. 1315. 39 C. civ., art. 10. Pour une présentation plus détaillée, cf. F. GIRARD, Essai sur la preuve dans son environnement culturel, op. cit., p. 10. 40 Interprétation plus générale de l’expression « conformément à la loi » sur laquelle nous reviendrons. 41 On lit par exemple dans l’avant-projet de réforme du droit des obligations (« projet Catala ») à propos de la charge de la preuve : « L’harmonie entre le Code civil et le Code de procédure civile (art. 9) ne nuit pas. » Il est ainsi proposé de conserver la formulation de l’article 1315 renuméroté. 42 Cass. 1re civ., 25 févr. 1997, pourvoi n° 94-19.685. 43 Lorsque le patient a poussé la porte du cabinet médical. L’obligation d’information est légale : C. santé publ., art. L. 1111-2, al. 2. car le point d’accroche n’est pas le même (allégation d’un moyen d’un côté, existence ou exécution de l’obligation de l’autre). La similarité n’est donc qu’apparente et crée une relation de règle générale (CPC, art. 9) à règle spéciale (C. civ., art. 1315). Le droit de la preuve pénale dans les codes. Si l’on s’intéresse à la répartition des règles de preuve en matière pénale, les choses sont bien différentes. La plupart des règles de preuve sont intégrées dans le Code de procédure pénale : liberté de la preuve44 et légalité en matière contraventionnelle, charge de la preuve à travers le principe de la présomption d’innocence, modes de preuve, rôle du juge et plus généralement des autorités publiques. Ces règles ne sont pas organisées. On les trouve à nouveau éparpillées dans le code. En revanche, le Code pénal ne contient que de façon sporadique des dispositions relatives à la charge de la preuve des faits justificatifs45 ou prévoit certaines présomptions de culpabilité et formes juridiques dérivées46. Le droit de la preuve dans la jurisprudence. L’évolution du droit de la preuve trouve son origine dans l’investissement de ce champ par la jurisprudence. Depuis les années 1990, on a vu émerger un ensemble de principes qui, s’ils étaient implicites, n’étaient pas clairement exprimés. Le principe de loyauté de la preuve en est une illustration significative. Affirmé d’abord en matière pénale47, il a été également consacré par la deuxième chambre civile dans une espèce relative à la preuve des obligations48, puis par l’assemblée plénière dans le contentieux de la concurrence49. La Cour de cassation a également dégagé des conséquences processuelles de principes initialement conçus comme des règles de droit substantiel. Il en est ainsi du droit au respect de la vie privée, qui a permis à la Cour de cassation de déclarer illicite la production de preuves au moyen d’une atteinte à la vie privée50. La Cour européenne des droits de l’Homme développe, quant à elle, une jurisprudence ambivalente. Depuis son arrêt de principe, Schenk c/ Suisse du 12 juillet 198851, elle a adopté une formule célèbre selon laquelle « si la Convention garantit en son article 6 (art. 6) le droit à un procès équitable, elle ne réglemente pas pour autant l’admissibilité des preuves en tant que telle, matière qui dès lors relève au premier chef du droit interne. La Cour ne saurait donc exclure par principe et in abstracto l’admissibilité d’une preuve recueillie de manière illégale, du genre de celle dont il s’agit. Il lui incombe seulement de rechercher si le procès de M. Schenk a présenté dans l’ensemble un caractère équitable » (§ 46). En réalité, au-delà de cette position de principe, la Cour européenne contrôle la conformité des règles de preuve et des procédures probatoires en droit interne au regard des principes de la Convention européenne des droits de l’homme, et notamment vis-à-vis des articles 6 et 8. L’arrêt Kruslin c/ France52 en est un exemple topique, dans lequel la Cour européenne des droits de l’Homme a considéré que la procédure des écoutes téléphoniques constituait une ingérence dans le droit au respect de la vie privée, qui devait faire l’objet d’une prévision légale explicite et d’un régime juridique précis. Il existe ainsi un droit européen de la preuve, constitué d’une multitude de décisions de la Cour européenne des droits de l’Homme, dont l’analyse doctrinale n’a pas dépassé la casuistique. Incidence des sources jurisprudentielles sur la théorie générale. Sans aller plus avant dans l’exposé des sources du droit de la preuve, il convient de remarquer que le rôle joué par la jurisprudence est tout à fait essentiel en la matière. Les juridictions ne se contentent pas de mettre en œuvre des principes énoncés par les textes. Elles créent de véritables principes ; étendent l’application de principes de droit substantiel au domaine de la preuve ; ou encore consacrent explicitement des principes historiques qui ont été négligés par les textes53. Ces principes enrichissent le droit de la preuve, mais ils modifient également la structure de la théorie générale de la preuve. Ainsi, la licéité de la preuve, initialement constituée par le principe du contradictoire et par des règles techniques nombreuses, s’étoffe avec l’utilisation par la jurisprudence de nouveaux principes (loyauté, vie privée, égalité des armes, dignité, etc.). De même, dans le silence des textes, les principes relatifs à l’objet de la preuve se développent exclusivement en jurisprudence54. En définitive, des pans entiers de la théorie de la preuve trouvent leur source dans la jurisprudence. La dispersion des sources du droit de la preuve, leur situation parfois concurrentielle, les contradictions qui peuvent exister entre certains textes, rendent plus complexe l’élaboration d’une théorie générale. Mais ce phénomène conduit également à souligner la distinction entre la théorie générale de la preuve et les systèmes de preuve. 44 Qui concerne la recherche et l’appréciation des preuves. 45 Par exemple à travers la présomption de légitime défense, C. pén., art. 122-6. 46 Cf. pour une vision d’ensemble de ces présomptions, par ex. É. VERGES, Procédure pénale, LexisNexis, 3e éd. 2011, n° 94. 47 Cass. crim., 27 févr. 1996 : Bull. crim. 1996, n° 93. 48 Cass. 2e civ., 7 oct. 2004 : Bull. civ. 2004, II, n° 447. 49 Cass. ass. plén., 7 janv. 2011, n° 09-14.316, P+B+R+I. 50 Cass. 1re civ., 6 mars 1996 : Bull. civ. 1996, n° 124, à propos d’une attestation. – Cf. égal., Cass. 1re civ., 16 oct. 2008, pourvoi n° 0715.778, à propos d’un document relatif à la cession de parts sociales, ou encore Cass. soc., 2 oct. 2001, pourvoi n° 99-42.942 (arrêt Nikon). 51 CEDH, 12 juill. 1988, req. n° 10862/84, Schenk c/ Suisse. 52 CEDH, 24 avr. 1990, Kruslin c/ France : D. 1990, jurispr. p. 353, note J. PRADEL. 53 Parmi d’autres, le principe selon lequel « nul ne peut se constituer une preuve à lui-même », Cass. civ., 2 avr. 1996 : RTD civ. 1997, p. 136, obs. J. MESTRE. 54 Cf. par ex. F. TERRE, Introduction générale au droit, Dalloz, 9e éd. 2009, nos 572 et s. sur la nécessité d’un fait pertinent et concluant. C. – Théorie générale de la preuve et systèmes de preuve Les systèmes de preuve. L’importance donnée par la doctrine aux articles 1315 et suivants du Code civil confère une place excessive aux systèmes de preuve ; au risque de confondre théorie générale de la preuve et systèmes de preuve. Les systèmes de preuve s’articulent théoriquement autour de trois principes. Ainsi, le système des preuves légales repose sur l’admissibilité restreinte des preuves55, la hiérarchisation des preuves et la dépendance du juge vis-à-vis de la preuve en raison de sa force probante. À l’opposé, le système des preuves libres56 repose sur l’admissibilité de tous les moyens de preuve, l’absence de hiérarchie entre ces moyens et la liberté d’appréciation du juge. On considère classiquement que le système des preuves légales s’applique aux actes juridiques alors que celui des preuves libres s’étend au domaine des faits juridiques57. Les rapports complexes avec la théorie générale de la preuve. Derrière son unité apparente et sa conception ordonnée, le système de preuve des actes juridiques aménagé par le Code civil sème le trouble dans la théorie générale de la preuve. La première raison tient au fait que les règles qui composent les systèmes de preuve du Code civil peuvent être ventilées dans plusieurs parties de la théorie générale. L’admissibilité restreinte concerne la recherche et la production des preuves. La force probante et la hiérarchie des preuves sont à rattacher à la question de l’appréciation des preuves. La deuxième raison tient au fait que le système des preuves civiles intègre l’étude des modes de preuve, un peu comme si la théorie générale du contrat intégrait l’étude des contrats spéciaux. Cette technique présente un inconvénient majeur, celui de regrouper des modes de preuve qui dépendent de la preuve légale, et d’autres qui se rattachent à la preuve libre. Ainsi, l’aveu judiciaire possède une force probante déterminée. Il s’impose au juge. À l’inverse, l’aveu extrajudiciaire ne lie pas le juge. La distinction peut encore être opérée entre le serment décisoire, dont les effets sont similaires à l’aveu judiciaire, et le serment supplétoire, qui constitue une simple mesure d’instruction58 et ne lie pas le juge. L’aveu et le serment sont des modes de preuve qui se déclinent et peuvent être ventilés dans les deux systèmes de preuve. Ils sont pourtant toujours étudiés ensemble. La doctrine mêle ainsi système de preuve et modes de preuve, alors qu’il s’agit de deux aspects différents du droit de la preuve. L’étude des modes de preuve n’entre pas dans la théorie générale de la preuve. Plus précisément, s’il est justifié d’évoquer la force probante de l’aveu judiciaire à propos de l’appréciation des preuves, la justification disparaît s’agissant de l’aveu extrajudiciaire59. La troisième raison tient au fait que les systèmes de preuve semblent conférer artificiellement une unité conceptuelle à certaines notions. La preuve par écrit en est une bonne illustration. L’écrit est présenté comme le nœud du système des preuves légales60. En réalité, il s’agit de l’acte authentique et de l’acte sous seing privé. Mais ces deux preuves par écrit ne constituent qu’une fraction des modes de preuve par écrit. Par exemple, la jurisprudence admet la production d’attestation écrite comme équivalent au témoignage61. À l’évidence, cet écrit ne présente pas les caractéristiques probatoires de l’acte authentique ou de l’acte sous seing privé. L’écrit ne forme donc pas une catégorie unitaire en matière civile. Il ne recouvre pas le même domaine dans le système des preuves légales et dans la théorie générale de la preuve. En matière pénale, la jurisprudence de la chambre criminelle est plus restrictive. La Cour de cassation considère ainsi qu’une simple attestation ne constitue pas une preuve par écrit permettant de contester la force probante d’un procès-verbal en matière correctionnelle62. Toutefois, en donnant simplement une définition négative de l’écrit, la Cour de cassation demeure floue sur cette notion. Les systèmes probatoires ne constituent donc pas la base de la théorie générale des preuves. Plus encore, si l’on souhaite conserver une présentation cohérente de cette théorie, il convient de déconstruire les systèmes de preuve, d’en isoler les principes et de ventiler ces principes dans différentes parties de la théorie générale. Ce travail de déconstruction doit s’accompagner d’un travail de clarification des concepts. D. – Théorie générale de la preuve et concepts du droit de la preuve La définition des concepts juridiques est une tâche ardue et généralement vouée à la critique. Mais elle est indispensable, dans la mesure où les concepts permettent de définir des catégories juridiques et les régimes juridiques qui y sont associés. Le droit de la preuve est marqué par un grand flou dans la définition des concepts, qui nuit à la création des catégories juridiques ou à la compréhension de la matière. 55 On ne peut prouver que par des moyens limitativement énumérés par la loi. 56 Encore appelé système de liberté de la preuve, ou principe de liberté de la preuve. 57 Cf. par ex. F. TERRE, Introduction générale au droit, op. cit., n° 635. 58 Ibid. n° 697. 59 On pourrait ajouter que la force probante des preuves visées par le Code civil ne correspond pas à la division doctrinale entre la preuve des actes et la preuve des faits. Ainsi, l’aveu judiciaire lie le juge quel que soit le domaine dans lequel il est invoqué (fait ou acte juridique). On en déduit que la distinction entre actes et faits juridiques s’applique s’agissant des règles d’admissibilité de la preuve, mais qu’elle est inopérante s’agissant des règles relatives à l’appréciation des preuves. Cf. infra sur l’appréciation des preuves dans l’exposé de la théorie générale. 60 Cf. par ex. J. GHESTIN et G. GOUBEAU, Traité de droit civil, introduction générale, op. cit. n° 595. 61 Cass. 3e civ., 11 janv. 1978 : RTD civ. 1978, p. 925, obs. R. PERROT. 62 Cass. crim., 18 juin 2003 : Procédures 2003, comm. 224. Le concept de preuve. Le premier signe distinctif du flou qui règne sur la matière est l’incapacité de dégager une définition consensuelle du concept de preuve. Parmi la très grande diversité des définitions doctrinales, on trouve celle de Domat : « on appelle preuve ce qui persuade l’esprit d’une vérité (…). On appelle preuve en justice les manières réglées par les lois pour découvrir et pour établir avec certitude la vérité d’un fait contesté »63. Le traité de Planiol ajoute à cette définition deux autres acceptions : « le fait de produire devant le juge l’élément de conviction d’où se tire l’existence du droit » et « le résultat procuré par la démonstration du plaideur »64. Bonnier, quant à lui, évoque de façon très générale, « tout moyen direct ou indirect d’arriver à la connaissance des faits ». La doctrine contemporaine n’est pas en reste. On définit la preuve comme « une démonstration aux fins de persuader de l’exactitude d’un fait allégué en vue de faire prévaloir un droit » ou encore comme « un procédé par lequel un fait ou un droit controversé et douteux acquiert (…) la valeur d’une vérité »65. Preuve et mode de preuve. La preuve est donc alternativement une « manière », un « procédé », le « fait de produire devant un juge », une « démonstration » ou le « résultat procuré par une démonstration ». Ces définitions décrivent des contenus extrêmement différents. Si la preuve est un procédé, alors, elle peut se confondre avec le mode de preuve. Si la preuve est une démonstration, alors, elle se distingue du mode de preuve qui constitue le procédé. Plus encore, si l’on réduit la preuve à une démonstration, le droit de la preuve se réduit à l’appréciation par le juge de cette démonstration. Une définition large de la preuve, englobant le procédé probatoire et la démonstration qui y est attachée, semble devoir être retenue si l’on souhaite élaborer une théorie générale qui regroupe l’ensemble des règles de preuve. Dans cet esprit, il convient d’écarter la distinction entre preuve et mode de preuve, qui n’est pas opérationnelle en pratique. En effet, s’il est aisé de regrouper l’ensemble des procédés probatoires sous la dénomination générale « modes de preuve », il sera parfois bien délicat de distinguer le mode de preuve et la preuve elle-même. Par exemple l’expertise génétique doit-elle être considérée comme une preuve ou comme un mode de preuve ? De même, doit-on considérer qu’un constat d’huissier constitue la preuve d’un fait (l’adultère, la date d’une résiliation) ou simplement le mode de preuve ? La distinction est-elle réellement judicieuse ? Nous en doutons ou plus précisément, nous considérons qu’un mode de preuve peut parfois suffire à faire preuve. La notion de mode de preuve constitue néanmoins une réalité utile pour l’élaboration du droit de la preuve66. Chaque mode de preuve peut ainsi être considéré comme une preuve spéciale, susceptible d’être doté d’un régime juridique spécifique. Par facilité de langage, on assimilera les modes de preuve à des procédés probatoires. L’administration de la preuve. Parmi les concepts mal définis du droit de la preuve, se trouve celui d’« administration de la preuve ». Utilisée par une doctrine unanime et par le Code de procédure civile, la notion d’administration de la preuve est rarement définie. Pour un auteur, il s’agit « de savoir comment mettre en œuvre les moyens de preuve »67. Pour d’autres, l’administration correspond à « la forme dans laquelle elles doivent être fournies »68. Dans un ouvrage consacré à ce sujet, un auteur considère que les règles d’administration de la preuve « régissent, dans une action en justice, les différents procédés de preuve »69. Elles s’opposent ainsi aux règles de fond. Un consensus se dessine donc autour de la nature procédurale des règles d’administration70. Le contenu est moins évident. Le Code de procédure civile y range la production des pièces, les mesures d’instruction, les contestations relatives à la preuve littérale et le serment judiciaire. La doctrine y ajoute les principes de recevabilité de la preuve en justice71. On rattache encore à l’administration de la preuve, les règles relatives au rôle du juge, au principe du contradictoire, au caractère public de l’instruction72. Bien qu’elle soit reconnue par l’ensemble de la doctrine, bien que le Code de procédure civile consacre l’expression, la notion d’administration de la preuve ne décrit pas son contenu. On comprend qu’il s’agit de règles de procédure ; que ces règles concernent la recherche et la production des preuves en justice et que la doctrine y ajoute les règles de recevabilité des preuves. Il ne s’agit donc pas d’un travail d’administration de la preuve, mais de constitution du dossier probatoire. La distinction pourrait sembler pointilleuse, mais les mots du droit ont un sens. Par exemple et le terme « administration » ne décrit pas l’action de recherche des preuves ou la 63 J. DOMAT, Les lois civiles dans leur ordre naturel, Première partie, L. III, Titre VI, p. 137 et 141. 64 PLANIOL par G. RIPERT et J. BOULANGER, Traité de droit civil, op. cit., n° 712. 65 Définitions attribuées à J. LARGUIER et H. LEVY-BRULH et citées par J. PRADEL, Procédure pénale, op. cit., n° 404. 66 Cf. supra sur la distinction entre théorie générale de la preuve et preuves spéciales. 67 E. JEULAND, Preuve judiciaire et culture française : Droit et Culture 2005, p. 149. http://droitcultures.revues.org/1151?lang=en. 68 PLANIOL par G. RIPERT et J. BOULANGER, Traité de droit civil, op. cit., n° 713. 69 L. DUCHARME, L’administration de la preuve, éd. Wilson et Lafleur Iimitée, p. 1. 70 Cf. par ex. L. CADIET et E. JEULAND, Droit judiciaire privé, Litec, 6e éd. 2009, n° 578. 71 Cf. E. Jeuland, art. préc. n° 15 : « L'administration de la preuve doit être loyale, tenir compte de certains secrets professionnels et respecter les droits fondamentaux des parties tels que l'intimité de la vie privée et l'inviolabilité du corps humain. » Cf. dans le même sens pour la doctrine pénale, J. PRADEL, Procédure pénale, op. cit., n° 408. L’auteur évoque sous l’expression « légalité dans l’administration de la preuve », les principes et règles qui constituent des obstacles à la recevabilité des preuves ou qui en encadrent la recherche. 72 L. DUCHARME, L’administration de la preuve, op. cit. décision juridictionnelle visant à la production forcée d’une preuve. Dans la perspective d’un renouvellement de la théorie de la preuve, la notion mérite d’être remplacée. La légalité de la preuve. Le droit de la preuve est ainsi plongé dans la confusion des termes, dans le mélange des concepts. Une autre illustration provient de l’usage répandu de l’expression « légalité de la preuve » par la doctrine pénaliste ; qui établit ainsi une complémentarité entre le principe de liberté dans la présentation et l’appréciation des preuves et le principe de légalité dans le recueil ou l’administration des preuves73. En général, la légalité de la preuve est rattachée par la doctrine au principe de légalité criminelle74. Le principe de légalité de la preuve, s’il recouvre une réalité en procédure pénale, entretient la confusion avec le système des preuves légales, alors que les deux notions sont nettement distinctes. La légalité de la preuve en matière pénale signifie que les preuves doivent être recherchées et produites conformément aux règles de droit. Il s’agit en réalité d’un principe de licéité de la preuve, car les règles qui encadrent la recherche des preuves proviennent de la loi, de la Convention européenne des droits de l’homme ou de la jurisprudence. Il peut s’agir de principes de recevabilité des preuves (loyauté, vie privée, etc.) ou de règles techniques relatives à certains modes de preuve (perquisition, garde à vue, etc.). Toutes ces règles constituent des filtres qui permettent au juge d’écarter une preuve obtenue au mépris d’une règle de droit. Mais le principe de licéité n’entretient aucun lien avec la légalité criminelle. D’une part, la licéité de la preuve s’impose en matière civile75 comme en matière pénale. D’autre part, la légalité criminelle s’exprime sous la forme de deux applications étrangères à la licéité des preuves. La première application consiste dans l’adage Nullum crimen, nullum poena, sine lege. La seconde est une traduction plus récente et plus large de la première. Elle concerne la compétence du législateur pour déterminer les crimes et les délits, les peines qui leur sont applicables et les règles de procédure pénale. Le principe de légalité criminelle, quelle qu’en soit l’expression, n’est pas lié à la preuve pénale et ne constitue pas la source du principe de licéité de la preuve. L’utilisation de l’expression « légalité de la preuve » en matière pénale perturbe la compréhension générale de la théorie de la preuve. Elle participe à rendre la matière plus complexe qu’elle ne l’est déjà. Les présomptions. Certains concepts du droit de la preuve présentent une complexité intrinsèque. La notion de présomption en fait partie. Le Code civil donne une définition particulièrement large des présomptions. Bonnier expliquait ainsi que la définition des présomptions par l’article 1349 du Code civil76 rassemblait tous les raisonnements probatoires inductifs77 et pas seulement les présomptions. Par exemple, on induit de l’écrit sous seing privé (fait connu), l’existence d’une convention (fait inconnu)78. Le raisonnement est ici direct et évident. Mais on peut encore induire de l’existence d’empreintes génétiques sur les lieux du crime, la présence d’un individu, et sa culpabilité. Ici, le raisonnement inductif est celui qui part d’un fait connu (présence d’empreintes génétiques) vers un fait inconnu (culpabilité). Ce syllogisme, qui relève de la liberté d’appréciation du juge, ne constitue pas un raisonnement par présomption ; à moins que l’on considère toute accumulation d’indices comme une présomption du fait de l’homme visée par l’article 1353 du Code civil79. Le domaine des présomptions deviendrait alors tout à fait considérable. Il n’en reste pas moins que la catégorie des présomptions contient une grande diversité de mécanismes juridiques, qui ne possèdent pas tous les mêmes effets. Il est ainsi impossible de regrouper l’étude des présomptions au sein d’un même chapitre de la théorie générale. Les présomptions doivent être ventilées en fonction de leurs effets. On en dénombre quatre catégories. La première catégorie de présomptions a un impact sur l’objet de la preuve. Ces présomptions ont pour simple effet d’alléger la charge probatoire en déplaçant l’objet de la preuve. Ainsi l’article 2276, alinéa 1, du Code civil – qui prévoit une présomption de propriété au profit du possesseur d’un bien meuble – a pour effet de déplacer la preuve d’un objet (la propriété) vers un autre (la possession). Mais la charge de la preuve n’est pas renversée. Il appartient à celui qui allègue sa possession, de prouver que celle-ci est continue, paisible, non équivoque et publique. Ces présomptions doivent donc être étudiées avec la question de l’objet de la preuve80. La deuxième catégorie de présomptions opère un renversement de la charge de la preuve, sans porter sur l’objet de la preuve. Ainsi, selon l’article 2274 du Code civil, la bonne foi est toujours présumée. Si un plaideur allègue sa bonne foi, il sera dispensé de la charge de la preuve81. Le renversement de la charge de la preuve 73 Parmi d’autres : R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel, t. II, Procédure pénale, Cujas, 5e éd. 2001, n° 168, p. 211. – J. PRADEL, Procédure pénale, op. cit., n° 408. – F. DESPORTES et L. LAZERGES-COUSQUER, Traité de procédure pénale, op. cit., n° 567. – S. GUINCHARD et J. BUISSON, Procédure pénale, Litec, 6e éd. 2010, n° 551. 74 Cf. par ex. J.-Ch. SAINT-PAU, L'enregistrement clandestin d'une conversation : Dr. pén. sept. 2008, n° 8, étude 17. 75 CPC, art. 9. 76 « Les présomptions sont des conséquences que la loi ou le magistrat tire d'un fait connu à un fait inconnu. » 77 E. BONNIER, Traité théorique et pratique des preuves en droit civil et en droit criminel, op. cit., p. 21. 78 L’exemple est encore cité par Bonnier. – Cf. égal. F. TERRE, Introduction générale au droit, op. cit., n° 578-579, qui évoque la proximité entre les présomptions et les preuves indirectes. 79 « Les présomptions qui ne sont point établies par la loi, sont abandonnées aux lumières et à la prudence du magistrat, qui ne doit admettre que des présomptions graves, précises et concordantes. » La jurisprudence utilise cette définition bien au-delà du domaine de la preuve légale. Cf. par exemple dans le contentieux sur la responsabilité civile à propos de la preuve du lien entre le vaccin contre l’hépatite B et la sclérose en plaques, Cass. 1re civ., 22 mai 2008, nos 05-20.317, 06-14.952, 06-10.967 et 06-18.848. 80 On en retrouve de nombreux exemples chaque fois que le juge a recours aux présomptions graves, précises et concordantes de l’article 1353. Ces présomptions reposent sur l’accumulation d’indices et donc sur un déplacement de l’objet de la preuve. 81 Encore que l’article 2274 soit ambigu en ajoutant : « et c'est à celui qui allègue la mauvaise foi à la prouver ». La formule semble induire que la règle ne s’appliquerait que dans le cas où un plaideur allèguerait la mauvaise foi. En réalité, la Cour de cassation suit une s’effectue encore en vertu de la règle selon laquelle la solidarité se présume dans les contrats commerciaux82. Cet effet probatoire n’est d’ailleurs pas réservé aux présomptions, mais se retrouve dans l’usage de certaines fictions83. Une troisième catégorie de présomptions agit au stade de l’appréciation de la preuve, en retirant au juge sa liberté. La présomption lie alors le juge84. Les présomptions irréfragables possèdent cette force probante85. La catégorie est floue et mouvante86, mais certaines jurisprudences sont assez nettes. Par exemple, l’article 1282 du Code civil relatif à la remise volontaire du titre original sous seing privé par le créancier indique que cette remise « fait preuve de la libération » et la Cour de cassation ajoute que « cette remise vaut présomption irréfragable de libération du débiteur »87. La solution est moins nette s’agissant de la présomption qui désigne le bénéficiaire de l’aval d’une lettre de change. L’article L. 511-21 du Code de commerce indique que « l'aval doit indiquer pour le compte de qui il est donné. À défaut de cette indication, il est réputé donné pour le tireur ». Depuis un arrêt des chambres réunies du 8 mars 1960, la Cour de cassation affirme que « ce texte ne formule pas une règle de preuve, mais oblige à préciser, dans la mention d'aval, le nom du garanti, et supplée à l'absence de cette précision »88. Mais la chambre commerciale a ajouté plus récemment « la présomption (…) ne peut être contredite par une prestation de serment »89. La Cour de cassation est ici en pleine contradiction. Elle dénie à la disposition, la nature de règle de preuve, tout en la qualifiant de présomption ; celle-ci possédant les attributs de la présomption irréfragable90. En matière de présomption irréfragable, on navigue entre règles de preuve et règles de fond91. Par exemple, à propos des clauses abusives, l’article L. 132-1, alinéa 3, du Code de la consommation précise que certaines clauses – dont la liste est déterminée par décret – « doivent être regardées, de manière irréfragable, comme abusives ». L’article R. 132-1 du même code ajoute que les clauses dont il établit la liste « sont de manière irréfragable présumées abusives, (…) et dès lors interdites ». Le mécanisme aménagé par ces deux dispositions est confus. À première vue, la présomption irréfragable indique bien une règle de preuve. Mais une interprétation différente conduit à considérer que les clauses visées par l’article R. 132-1 sont tout simplement interdites. Malgré la confusion qui règne sur la catégorie des présomptions irréfragables, ces règles, en liant l’appréciation du juge, s’intègrent au chapitre relatif à l’appréciation des preuves. La quatrième catégorie de présomptions met en cause la frontière entre règles de preuve et règles de procédure. Il s’agit de présomptions qui rendent irrecevable toute action en justice. On trouve ici le degré extrême de la présomption, puisque la règle de preuve crée une fin de non-recevoir. Classiquement, cet effet est attribué à l’autorité de la chose jugée. Toutefois, bien que figurant parmi les présomptions légales de l’article 1350, l’autorité de la chose jugée présente une nature probatoire contestée par une partie de la doctrine92. Il est vrai que la présomption de vérité attachée à l’autorité de la chose jugée ne constitue pas réellement une règle de preuve invocable par une partie. Ce sentiment est renforcé à la lecture de l’article 122 du Code de procédure civile, qui vise la chose jugée parmi les fins de non-recevoir. Cette ambivalence n’empêche pas certains auteurs de désigner l’autorité de la chose jugée comme une « présomption absolument irréfragable »93. Une autre présomption, dont la nature probatoire est indiscutable, possède un effet sur l’action en justice. Il s’agit de la présomption d’existence d’un lien de filiation, qui découle de la conjonction de la possession d’état et du titre. L’article 333, alinéa 2, du Code civil dispose ainsi que « nul, à l'exception du interprétation conforme à l’effet de la présomption. Elle fait jouer le principe, alors même qu’aucun créancier n’a soulevé la mauvaise foi en justice. Cass. 2e civ., 2 juill. 2009, pourvoi n° 08-17.355. 82 Cass. req., 20 oct. 1920 : D. 1920, 1, 161, note MATTER. 83 Le renversement de la charge de la preuve n’est pas propre au mécanisme de la présomption. La présomption repose sur un raisonnement probabiliste qui se traduit par la formule praesumptio sumitur de eo quod plerumque fit. Mais la Cour de cassation a montré qu’elle pouvait opérer un renversement de la charge de la preuve en l’absence de probabilité. Cf. Cass. 1re civ., 24 sept. 2009, 2 arrêts, nos 08-10.081 et 08-16.305, et l’analyse convaincante de Ch. QUEZEL-AMBRUNAZ, La fiction de la causalité alternative, fondement et perspectives de la jurisprudence “Distilbène” : D. 2010, p. 1162. La fiction juridique produit ainsi un renversement de la charge de la preuve. – Cf. égal., É. VERGES, Les liens entre la connaissance scientifique et la responsabilité civile : preuve et conditions de la responsabilité civile, in E. TRUILHE-MARENGO (ss dir.), Preuve scientifique, preuve juridique, Larcier, 2011, p. 129. 84 Certains auteurs affirment ainsi à propos des présomptions légales irréfragables : « Le juge n’a plus aucun pouvoir » H., L., J. MAZEAUD et F. CHABAS, Leçons de droit civil, introduction à l’étude du droit, Montchrestien, 12e éd., n° 381. 85 Encore que le code ne vise pas expressément cette catégorie de présomptions et que la doctrine n’en donne pas de définition univoque. 86 Elle semble réservée à la matière civile, puisque le Conseil constitutionnel n’admet les présomptions de culpabilité, que si ces dernières sont simples, Cons. const., déc. 16 juin 1999, n° 99-411 DC : D. 1999, p. 589. Toutefois, on retrouve des mécanismes assimilables à la présomption irréfragable en procédure pénale. C’est le cas à propos de la présomption de grief, dans le régime des nullités. Cf. par ex. Cass. crim., 3 mars 2010 : D. 2010, p. 1688, le défaut d’enregistrement des interrogatoires devant le juge d’instruction est une irrégularité qui « porte nécessairement atteinte aux intérêts de la personne concernée ». 87 Cass. 1re civ., 6 janv. 2004, pourvoi n° 01-11.384. 88 Cass. ch. réunies, 8 mars 1960, pourvoi n° 37-11.088. 89 Cass. com., 30 juin 1998, pourvoi n° 96-15.825. 90 Une partie de la doctrine opinait déjà en ce sens à propos de l’arrêt des chambres réunies : par ex. G. RIPERT, R. ROBLOT, Ph. DELEBECQUE et M. GERMAIN, Traité de droit commercial, LGDJ, 16 éd., n° 2011. 91 En ce sens not. Ph. MALAURIE et P. MORVAN, Droit civil, introduction générale, Defrénois, 2e éd., n° 176. – R. DECOTTIGNIES, Les présomptions en droit privé, LGDJ, 1950, p. 87 et s. 92 D. TOMASIN, Essai sur l’autorité de la chose jugée en matière civile, LGDJ, 1975. – J. HERON, Localisation de l’autorité de la chose jugée ou rejet de l’autorité positive de chose jugée ? : Mél. Perrot, Dalloz, 1996, p. 131. 93 X. LAGARDE, Réflexion critique sur le droit de la preuve, op. cit., n° 224. La présomption serait absolument irréfragable, car elle ne pourrait être combattue, même par l’aveu et le serment. ministère public, ne peut contester la filiation lorsque la possession d'état conforme au titre a duré au moins cinq ans depuis la naissance ou la reconnaissance ». Un auteur en déduit que « la présomption découlant de la possession d’état devient une présomption d’état absolument irréfragable »94. La possession d’état et le titre constituent deux modes de preuve qui, ensemble, font présumer l’existence du lien de filiation. Ils forment une présomption dont l’effet n’est pas probatoire, puisqu’il s’agit d’une fin de non-recevoir. Ces présomptions, qualifiées en doctrine d’« absolument irréfragables », ne trouvent pas leur place dans la théorie générale de la preuve, car leur finalité n’est pas d’établir un fait, mais d’empêcher une action en justice. En définitive, la catégorie juridique des présomptions est illustrative de la complexité des règles de preuve. Outre la confusion jurisprudentielle et doctrinale qui règne en ce domaine, on dénombre quatre espèces de présomptions qui doivent être ventilées dans différentes parties de la théorie générale des preuves en fonction de leurs effets. Étudier les présomptions dans un même chapitre reviendrait à entretenir la confusion. Il faut simplement admettre que, derrière une dénomination commune, se dissimulent des mécanismes juridiques très divers. Une nouvelle fois, le Code civil fait office de point d’égarement. Conclusion. Déconstruire la théorie générale de la preuve est un travail considérable, ingrat, mais utile. Nous n’avons pu en donner ici qu’un aperçu, à travers des illustrations significatives. Le travail est considérable, car le droit positif de la preuve n’est pas simplement éparpillé. Il est généralement embrouillé. Le Code civil ne constitue pas le fondement de la théorie de la preuve en matière civile. Plus encore, ses dispositions suscitent plus d’interrogations qu’elles n’apportent de réponses. En matière pénale, le Code de procédure pénale n’aborde la preuve que de manière indirecte et sans aucune structure. Le travail de déconstruction est également ingrat car il donne l’impression d’une remise en cause systématique de l’œuvre doctrinale. Il fait suspecter un esprit frondeur et imprudent. Pourtant, nous avons acquis la conviction que la déconstruction est un travail utile. Il permet d’isoler les concepts, de démonter les catégories, pour en extraire les éléments fondamentaux, les particules élémentaires qui permettront de reconstruire la théorie générale de la preuve. II. – RECONSTRUIRE LA THÉORIE GÉNÉRALE DE LA PREUVE La théorie de la preuve se structure autour de questions et de principes fondamentaux. C’est en identifiant au préalable ces éléments de base (A) qu’il sera possible de proposer une architecture de la théorie générale de la preuve (B). A. – Les éléments pour une reconstruction de la théorie générale de la preuve En parcourant les traités, manuels, thèses, on mesure à quel point il existe autant d’approches théoriques que d’auteurs. Tous n’ont pas envisagé le droit de la preuve d’une façon globale et structurée, mais tous évoquent des questions fondamentales (l’objet, la charge, les modes de preuve, etc.) et des principes qui composent la matière. Avant de proposer une synthèse de ces éléments, il paraît important de préciser l’esprit qui guide notre approche. La théorie générale de la preuve suit le modèle de la théorie générale du contrat. Nous formulons cette hypothèse après avoir parcouru une doctrine qui, de façon éparse, fait allusion à une notion de preuves innomées95. Il nous est alors apparu que les preuves pouvaient être classées en deux catégories de preuves nommées et innomées, à l’instar de la classification des contrats. Les preuves nommées sont celles qui, soit possèdent un régime juridique défini par la loi (témoignage, écoute téléphonique, sonorisation, serment, etc.), soit sont visées par la jurisprudence et sont régies, à ce titre, par des règles particulières (le SMS, le courriel du salarié, etc.). Comme les contrats nommés, les preuves nommées se distinguent des autres par l’existence d’un régime autonome, qui s’ajoute au droit commun. Les preuves innomées, quant à elles, sont simplement soumises au droit commun, c'est-à-dire aux principes généraux du droit de la preuve. Ainsi, l’enregistrement d’une conversation téléphonique en matière civile est une preuve innomée, mais elle est soumise au principe de loyauté qui interdit que cette preuve soit recueillie à l’insu de la personne écoutée96. Dans le même esprit, la production en justice d’un document constituant une « note » ne peut être admise que si le document en question ne porte 94 G. VIAL, La preuve en droit extrapatrimonial de la famille, Dalloz, 2008, n° 309. 95 R. GENIN-MERIC, Mesures d'instruction exécutées par un technicien : JCl. Proc. civ., Fasc. 662, n° 1, qui évoque l’amicus curiae comme une « mesure d'instruction innomée ». – A. MARON, Mais où sont les neiges d'antan ? : Dr. pén. 2007, comm. 91, « Nous avions naguère classé les actes d'instruction, transposant une classification civiliste du droit des contrats, en actes nommés et actes innomés, ceux qu'autorisait l'article 81 du Code de procédure pénale et qui, cependant, n'étaient pas prévus et régis par d'autres dispositions du Code de procédure pénale. Cette dernière catégorie, si on ne peut dire qu'elle a désormais entièrement disparu, est cependant réduite à une peau de chagrin ». – H. SOLUS et R. PERROT, op. cit., n° 264, p. 624 : « En principe, le juge ne peut ordonner que des mesures d’instruction légalement admissibles. Mais cette notion est comprise de façon assez large. Ainsi, en matière prud’homale, le conseiller rapporteur, sous le couvert d’une mission dite d’information, procède parfois à des investigations qui ont pour trait caractéristique d’échapper à la réglementation des mesures d’instruction (…). Parfois même, il arrive que, de façon purement prétorienne, les juges créent de véritables mesures d’instruction innomées. » 96 Cass. 2e civ., 7 oct. 2004 : Bull. civ. 2004, II, n° 447. Il convient ainsi de distinguer l’écoute téléphonique en matière pénale (dont le régime est défini par la loi), de l’enregistrement d’une conversation téléphonique en matière civile (preuve innomée). pas atteinte à la vie privée97. Plus récemment, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a admis la preuve d’une infraction par un procédé de géolocalisation (GPS) en se fondant sur l’article 81 du Code de procédure pénale. Des auteurs ont pu parler, à propos de cette technique probatoire, d’« acte innomé »98. De la distinction entre preuves nommées et preuves innomées, on déduit l’existence d’une dichotomie entre théorie générale de la preuve et droit des preuves spéciales. On déduit également que l’étude des preuves spéciales (les modes de preuve dotés d’un régime particulier) n’entre pas dans le champ de la théorie générale de la preuve. Preuves nommées, légalité et licéité de la preuve en matière pénale. La catégorie des preuves nommées permet d’éclaircir la distinction entre légalité et licéité de la preuve qui fait difficulté en matière pénale. En procédure pénale, la liste des preuves nommées s’allonge loi après loi. Les plus récentes concernent les sonorisations, les captations d’images ou de données informatiques, l’autopsie. Si l’on remonte le temps, on y retrouve un grand nombre d’actes bien connus qui sont, pour la plupart, issus des pratiques policières et ont été insérés progressivement dans le Code de procédure pénale (la garde à vue, les perquisitions, les écoutes téléphoniques, etc.). En intégrant le Code de procédure pénale, ces preuves ne sont pas devenues « légales » mais elles ont acquis le statut de « preuves nommées »99. Elles disposent ainsi d’un régime juridique propre. Par ailleurs, toutes les preuves innomées sont également susceptibles d’être produites devant les juridictions pénales, sous réserve de leur conformité aux principes généraux qui constituent le droit commun de la preuve100. L’ensemble formé par les régimes particuliers et par les principes généraux est désigné sous l’expression de « licéité de la preuve ». Théorie générale de la preuve et droit commun de la preuve. Il faut encore distinguer la théorie générale de la preuve, du droit commun de la preuve. Le droit commun de la preuve est constitué de l’ensemble des règles qui s’imposent à toutes les preuves. La théorie générale de la preuve englobe le droit commun de la preuve, mais elle est plus vaste. Ici encore, la différence s’éclaircit en se référant à la théorie générale du contrat. Si l’existence de la cause est une règle du droit commun des contrats, cette cause s’entend objectivement pour les actes à titre onéreux et subjectivement pour les actes à titre gratuit. Il n’est donc pas question ici d’une règle commune à tous les contrats, mais de deux règles variant selon les catégories de contrats. Pourtant, ces deux règles sont intégrées dans la théorie générale du contrat, car une théorie générale est une forme de compréhension globale de la matière. Elle ne se réduit pas à la définition d’un droit commun. C’est ainsi, par exemple, que la théorie générale de la preuve permet d’étudier deux régimes juridiques différents, selon que l’on se situe dans le domaine des preuves libres, ou des preuves légales. Pour synthétiser le propos, la théorie générale de la preuve rassemble et organise l’ensemble des questions que recouvre la matière (qui doit prouver ? que doit-on prouver ? etc.), ainsi que l’ensemble des principes communs à toutes les preuves (nommées et innomées). En revanche, elle ne comprend pas l’étude des modes de preuve, qui constituent autant de preuves spéciales dotées d’un régime juridique propre. L’intégration des systèmes de preuve dans la théorie générale de la preuve. Les systèmes de preuve constituent des éléments de la théorie générale de la preuve, mais ils ne permettent pas de structurer cette théorie. En effet, les systèmes de preuve concernent deux questions essentielles liées à la théorie générale de la preuve : l’admissibilité des modes de preuve et la force probante. Il paraît donc difficile d’intégrer d’un seul bloc les systèmes de preuve dans la théorie générale. L’admissibilité concerne la recherche et la production des preuves en justice. Ainsi, dans le système des preuves légales, les parties ne peuvent produire que des preuves prévues par la loi. De même, elles ne pourront solliciter que les mesures d’instruction autorisées par les règles d’admissibilité de la preuve. Par exemple, les parties ne pourront solliciter du juge qu’il procède à l’audition de témoins qu’à la condition d’avoir produit un commencement de preuve par écrit ou d’avoir établi l’impossibilité de produire une preuve littérale101. Le système des preuves légales joue le rôle d’un filtre et les preuves proposées ou demandées devront se conformer aux exigences du filtre. Nous considérons qu’il n’y a pas de différence de nature entre les règles d’admissibilité présentées ci-dessus et les règles de recevabilité de la preuve102. La force probante concerne l’appréciation des preuves par le juge. Elle contient deux règles différentes : d’une part, la marge d’appréciation du juge (libre ou contraint) et d’autre part, les modalités de contestation de la preuve103. Certaines preuves ont une force probante jusqu’à inscription de faux, d’autres jusqu’à preuve du 97 Cass. 1re civ., 16 oct. 2008, n° 07-15.778. L’arrêt est rendu au visa des articles 9 du Code civil, 9 du Code de procédure civile, 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. 98 A. Maron, M. Maas, Est-il prévisible que le juge d’instruction ait un coup d’avance sur le législateur ?, Dr pén 2012, n°1, comm. 12. Encore qu’en droit social, le régime particulier de la géolocalisation orienterait plutôt ce mode de preuve vers la catégorie des preuves nommées. Cf. Cass. soc., 3 nov. 2011, n° 10-18.036, FS-P+B+R+I, JCP G 2012, 1054, note G. Loiseau. 99 En revanche, il existe en procédure pénale des preuves légales : celles prévues en matière contraventionnelle. 100 C’est ainsi que la Cour de cassation a admis le recours aux parades d’identification en l’absence de toute prévision légale, Cass. crim., 30 mars 1993 : Bull. crim. 1993, n° 134, JurisData n° 1993-704808. 101 C. civ., art. 1347 et 1348. 102 Cf. infra. « Admissibilité, recevabilité, nullité, mise à l’écart de la preuve ». 103 Ce qui permet de parler de hiérarchie des preuves, bien que l’expression ne décrive pas toute la réalité de ce mécanisme. contraire, d’autres enfin ne peuvent être contestées. Par ailleurs, certaines peuvent être contestées, mais seulement par d’autres preuves limitativement énumérées104. Toutes ces contraintes sont liées au système des preuves légales. L’intégration des systèmes de preuve dans la théorie générale nécessite une ventilation des règles qui composent les systèmes de preuve dans différentes parties de la théorie générale. Cette démarche est atypique, car elle rompt avec l’unité apparente des règles de preuve dans le Code civil. Elle est pourtant nécessaire, car elle correspond à une réalité difficilement contournable : la distinction entre admissibilité et force probante. Les thèmes fondateurs de la théorie générale de la preuve. Ces thèmes correspondent aux questions essentielles auxquelles le droit de la preuve doit apporter des réponses. Ces questions ne sont pas recensées de façon systématique et consensuelle par la doctrine. Par exemple, un auteur parle de « la trilogie traditionnelle entre l'objet de la preuve – que doit-on prouver ? –, la charge de la preuve – qui doit prouver ? – et les modes de preuve – comment doit-on ou peut-on prouver ? »105. La trilogie est retenue chez d’autres auteurs, mais elle ne contient pas toujours les mêmes éléments. Un auteur distingue la charge de la preuve, l’admissibilité des preuves et l’administration de la preuve106. D’autres mettent en évidence l’objet de la preuve, la recherche et la production des preuves et enfin l’efficacité des preuves (recevabilité et appréciation)107. Une dernière présentation consiste à diviser le droit de la preuve en « quatre ordres de questions »108 : objet de la preuve, charge de la preuve, modes de preuve et administration de la preuve. En croisant ces différentes organisations avec les considérations qui précèdent, on peut reprendre certains thèmes, en exclure d’autres, et préciser certaines notions. – Les thèmes relatifs à l’objet et à la charge de la preuve peuvent être conservés tels quels109. – La notion d’administration de la preuve, peu signifiante, regroupe la recherche et la production des preuves, mais également les règles d’admissibilité et de recevabilité. Toutes ces règles poursuivent la même finalité : la constitution du dossier probatoire qui sera soumis au juge. – Les modes de preuve sont écartés de la théorie générale de la preuve et relèvent de l’étude des preuves spéciales. – L’appréciation de la preuve par le juge constitue l’étape finale du processus probatoire. L’objet de la preuve, la charge de la preuve, la constitution du dossier probatoire et l’appréciation des preuves sont les quatre thèmes qui forment l’architecture de la théorie générale de la preuve. B. – L’architecture de la théorie générale de la preuve Les quatre éléments fondateurs de la théorie générale de la preuve se présentent, à première vue, comme les grandes étapes de la preuve au cours du procès. On perçoit, en effet, une suite chronologique qui débute avec la détermination de l’objet, laquelle permet de définir la charge et le risque. Les parties et le juge peuvent alors constituer le dossier probatoire qui sera soumis à l’appréciation de la juridiction du fond. Cette chronologie n’est qu’apparente. En réalité, certaines règles relatives à l’objet de la preuve ne sont mises en œuvre qu’au moment où l’une des parties sollicite une mesure d’instruction. L’objet de la preuve et la constitution du dossier probatoire peuvent intervenir concomitamment. Il en est de même des règles relatives à la charge et au risque de la preuve, dont l’application peut se révéler au moment où le juge apprécie les preuves produites. Il convient, dès lors, de se détacher de cette perspective chronologique trompeuse et de ne voir, dans les éléments fondateurs de la théorie générale, qu’une forme d’organisation des règles du droit de la preuve. 1° L’objet de la preuve L’objet de la preuve est une question qui pourrait apparaître comme extérieure au droit de la preuve. Si l’action en responsabilité nécessite de démontrer l’existence de trois conditions cumulatives (fait générateur, dommage, lien de causalité), c’est le droit de la responsabilité qui définit l’objet de la preuve et non le droit de la preuve. Les règles de fond en jeu dans le procès commanderaient ainsi l’objet de la preuve. Cette présentation est séduisante, mais elle ne correspond pas au droit positif. Sans affirmer que chaque litige soulève une difficulté probatoire liée à l’objet de la preuve, on peut toutefois identifier un contentieux spécifique à ce thème et en extraire les problématiques fondamentales. Preuve du fait et preuve du droit. L’objet de la preuve permet d’étudier les hypothèses dans lesquelles les plaideurs doivent apporter non seulement la preuve des faits, support de leur allégation, mais encore la preuve du 104 Lorsqu’une contravention est constatée par procès-verbal, « la preuve contraire ne peut être rapportée que par écrit ou par témoins », CPP, art. 537, al. 3. 105 M. MEKKI, Réflexions sur le risque de la preuve en droit des contrats : RDC 2008, n° 3, p. 681. Encore que l’auteur évoque la nécessité de relativiser cette trilogie. 106 E. JEULAND, Preuve judiciaire et culture française, op. cit., p. 5 et s. 107 J. GHESTIN et G. GOUBEAUX, Traité de droit civil, introduction générale, op. cit., p. 522 et s. 108 F. TERRE, Introduction générale au droit, op. cit., n° 567. 109 Il sera nécessaire de traiter ensemble charge et risque de la preuve, cf. infra. droit, fondement de leur action. Tous les moyens, de fait et de droit, sont alors susceptibles d’entraîner une question probatoire. En réalité, la preuve du droit, courante dans des temps anciens110, a donné lieu à une remise en cause par certains auteurs111. La connaissance du droit par le juge112 devrait corroborer cette thèse113, mais plusieurs arguments conduisent à la relativiser. D’une part, la jurisprudence impose aux parties de faire la preuve de l’existence d’un usage114. La question est plus délicate à propos de la preuve de la loi étrangère. La présomption de connaissance du droit du juge ne joue plus et la jurisprudence a, un temps, imposé aux parties d’établir la preuve du contenu de la loi étrangère115. Puis la Cour de cassation est revenue sur cette solution, imposant au juge « qui déclare applicable une loi étrangère de procéder à sa mise en œuvre, et, spécialement, d'en rechercher la teneur »116. La charge de la preuve ne repose plus sur les parties et il semble donc que la loi étrangère ne soit plus une question relevant de l’objet de la preuve. Le doute subsiste pour une partie de la doctrine, qui considère la loi étrangère comme « mifait, mi-droit »117. Cette qualification pourrait être retenue pour les obligations nées d’un contrat, lorsque ces obligations ne sont pas imposées par la loi ou la jurisprudence. L’obligation contractuelle est objet de preuve, mais elle est aussi règle de droit. D’autre part, l’allégation du droit peut être imposée aux parties. Par exemple, l’assignation doit mentionner l'objet de la demande avec un exposé des moyens en fait et en droit118. Certes, l’allégation consiste simplement à invoquer un moyen sans en faire la preuve, mais l’invocation d’une règle de droit devrait conduire, en pratique, à en citer la source et donc à en faire la preuve. Cette coopération à la découverte du droit applicable au litige est corroborée par la possibilité pour le juge d’inviter ces parties à fournir des explications de droit qu’il estime nécessaires à la solution du litige119. La recherche du droit applicable au litige peut ainsi être dévolue accessoirement aux parties. Bien que la question fasse débat en doctrine, l’objet de la preuve porte donc avant tout sur le fait et accessoirement sur le droit. Le fait pertinent. La preuve soumise au juge ou recherchée par lui doit porter sur un fait pertinent, c'est-à-dire sur un fait susceptible d’influencer la solution du litige. Ce principe n’est pas exprimé de façon générale dans un texte, mais on le retrouve de façon éparse. Par exemple, le juge peut refuser d’ordonner le serment décisoire s’il ne porte pas sur un fait « susceptible de modifier les données du litige »120. De même, le juge n’est pas tenu d’ordonner une mesure d’instruction lorsqu’il estime que sa conviction est formée121. La preuve devient inutile. De façon plus générale, la Cour de cassation décide que les juges peuvent « refuser d’admettre en preuve » les faits « trop imprécis » pour être concluants et pertinents122. L’offre de preuve doit donc porter sur un fait pertinent. Ce principe doit être nuancé, car il ne peut être utilisé que lorsque le plaideur a recours au juge pour l’aider dans la recherche de la preuve. Le juge peut alors refuser d’ordonner le serment, l’enquête, ou une expertise. En revanche, si l’offre de preuve consiste pour une partie à verser un document au dossier, il semble difficile d’imaginer que le juge puisse écarter la pièce pour défaut de pertinence. En revanche, le juge sera dispensé d’en tenir compte dans l’appréciation de la preuve et plus particulièrement dans la motivation de sa décision123. L’exigence du fait pertinent trouve donc sa place dans l’objet de la preuve, mais elle produit ses effets sur la recherche des preuves (constitution du dossier probatoire) et sur l’appréciation des preuves. Le fait contesté. La doctrine aborde généralement dans l’étude de l’objet de la preuve la théorie dite du « fait constant ». Selon cette théorie, et son application jurisprudentielle, chaque partie n’aurait qu’à prouver les faits contestés par son adversaire. Seraient ainsi exclus de l’objet de la preuve les faits constants, c'est-à-dire non contestés. En réalité, cette règle, qui a donné lieu à une controverse jurisprudentielle124, semble avoir été définitivement abandonnée par la Cour de cassation125. Ainsi, la simple allégation d’un fait non contesté ne suffit pas à en rapporter la preuve126. 110 Cf. par ex. Ch. PERELMAN, La preuve en droit, essai de synthèse, in Ch. PERELMAN et P. FORIERS (ss dir.), La preuve en droit, Bruylant, 1981, p. 357. 111 « Lorsqu’on parle de théorie des preuves, on n’entend pas s’occuper de la preuve du droit », écrivait BONNIER, Traité théorique et pratique des preuves en droit civil et en droit criminel, op. cit., p. 1. 112 Jura novit curia, que l’on traduit par « la Cour connaît le droit ». 113 Et l’article 9 du Code de procédure civile qui impose aux parties de prouver « les faits nécessaires au succès » de leurs prétentions. 114 Cass. ass. plén., 26 févr. 1988 : Bull. civ. 1988, ass. plén. n° 2, « Il incombait au demandeur d'établir qu'il existait un accord ou un usage en vertu duquel les marchés sur appel d'offres ouvraient droit à commission ». 115 Cass. com., 13 nov. 1968 : Bull. civ. 1968, IV, n° 318. 116 Cass. 1re civ., 27 janv. 1998 : JCP 1998, II, 10098. 117 Ph. MALAURIE et P. MORVAN, Droit civil, introduction générale, op. cit., n° 181. 118 CPC, art. 56. 119 CPC, art. 13. 120 Cass. com., 5 févr. 1962 : Bull. civ. 1962, IV, n° 73. 121 Cass. 2e civ., 12 mars 1970 : Bull. civ. 1970, II, n° 96. 122 Cass. 2e civ., 29 juin 1967 : Bull. civ. 1967, II, n° 237. 123 La Cour de cassation estime ainsi que le juge peut « écarter » un élément de preuve au stade de l’appréciation. Cass. 2e civ., 1er juill. 2010, pourvoi n° 09-15.594. 124 Cf. F. FERRAND, Rép. civ. Dalloz, V° Preuve, op. cit., nos 83 et s. 125 Cass. 2e civ., 10 mai 1991 : RTD civ. 1992, p. 447. – Cf. Th. LE BARS, La théorie du fait constant : JCP 1999, I, 178. 126 Cette question est, en réalité, à la croisée de l’objet et de la charge de la preuve, puisque la charge de la preuve du fait constant continue de peser sur la partie qui l’allègue. Le fait négatif. Bien qu’aucun principe général ne lui soit associé127, la preuve du fait négatif est susceptible d’intégrer la théorie générale de la preuve128. Elle soulève une question qui peut dépendre des espèces et induire des évolutions législatives ou jurisprudentielles. Ainsi, la création de présomptions renversant la charge de la preuve peut pallier la difficulté de prouver le fait négatif129. De même, la jurisprudence peut accepter un déplacement de l’objet de la preuve lorsque la preuve du fait pertinent est impossible130. Les présomptions ayant pour effet de déplacer l’objet de la preuve. L’objet de la preuve permet d’évoquer un premier volet de l’étude des présomptions, et plus précisément celles qui ont pour effet de déplacer cet objet131. En définitive, l’objet de la preuve est une partie de la théorie de la preuve composée de règles dispersées et difficiles à organiser. Elle résulte d’une construction purement doctrinale qui s’appuie principalement sur la jurisprudence. On distingue toutefois deux démembrements principaux : la délimitation de l’objet de la preuve (Preuve du fait/du droit, fait pertinent, fait contesté) et le déplacement de l’objet de la preuve (fait négatif, présomptions). 2° La charge de la preuve La répartition initiale de la charge de la preuve. Sous réserve des distinctions qui ont été faites132, la répartition initiale de la charge de la preuve est déterminée par l’allégation. Chaque partie supporte, par principe, la charge de la preuve de ses allégations. Ce principe fait l’objet d’une jurisprudence abondante au visa de l’article 1315 du Code civil. Mais, contrairement à ce que suggère cette disposition, la charge de la preuve ne suit pas un mécanisme d’alternance entre le créancier et le débiteur ou entre le demandeur et le défendeur. C’est en cela que l’article 9 du Code de procédure civile est plus proche des adages Actori incumbit probatio et Reus in excipiendo fit actor. Il rattache la charge de la preuve à l’allégation et non au statut procédural ou contractuel des parties133. Toutefois, en pratique, les règles de répartition initiale de la charge de la preuve ne sont pas toujours évidentes. Ainsi, il a été jugé que la partie à laquelle était opposé le respect d’un délai pour effectuer une saisie devait prouver le respect effectif de ce délai134. La charge de la preuve est ici découplée de la charge de l’allégation puisque celui qui alléguait le non-respect du délai était dispensé d’en faire la preuve. De même, dans un litige qui portait sur le caractère onéreux ou gratuit d’un contrat, la Cour de cassation a jugé qu’il appartenait « à celui qui se prévaut d'un contrat à titre gratuit de démontrer l'intention libérale », censurant ainsi l’arrêt d’appel qui avait exigé du demandeur qu’il prouve que la somme réclamée provenait d’un contrat à titre onéreux135. On comprend ici que l’allégation du demandeur et celle du défendeur portent sur le même objet : la nature du contrat. Ni l’article 9 du Code de procédure civile ni l’article 1315 du Code civil ne permettent d’attribuer la charge de la preuve. C’est pour cette raison qu’une partie de la doctrine a considéré que celui qui se prévalait de la situation la plus vraisemblable136 ou encore de l’état habituel des choses137 était dispensé de la charge de la preuve. On admettra surtout que le flou provoqué par certaines situations confère au juge un large pouvoir pour distribuer la charge de la preuve. Cette problématique semble d’ailleurs avoir perdu une partie de son intérêt depuis que les auteurs ont déplacé le débat vers la notion de risque de la preuve. Le lien entre charge de la preuve et risque de la preuve : l’obligation et sa sanction. Un consensus doctrinal existe aujourd’hui pour dire que le réel enjeu de la charge de la preuve consiste dans la détermination de celui qui perdra le procès si le juge ne parvient pas à se former une conviction. Cette analyse est corroborée par l’adage In dubio pro reo dont on réserve généralement l’application à la matière pénale, mais dont la Cour de cassation fait également usage en matière civile, jugeant que « l'incertitude et le doute doivent être retenus au détriment de celui qui a la charge de la preuve »138. Les auteurs les plus radicaux estiment ainsi que la règle d’attribution de la charge de la preuve n’a de pertinence « qu’en cas d’impossibilité d’établir une proposition de 127 Par ex., malgré la difficulté qui peut exister à prouver le fait négatif, aucun principe ne dispense de cette preuve. 128 De façon générale, cf. J. LARGUIER, La preuve d’un fait négatif : RTD civ. 1953, p. 1. 129 Cf. Ph. MALAURIE et P. MORVAN, Droit civil, introduction générale, op. cit., n° 186. 130 Par ex. la preuve de la non-consommation du mariage pourra être rapportée par celle de la virginité de l’épouse. Cass. req., 17 févr. 1913 : S. 1913, p. 260. 131 Cf. supra, sur les différentes catégories de présomptions. 132 Cf. supra, sur les rapports entre l’article 1315 du Code civil et l’article 9 du Code de procédure civile. 133 « Le défendeur en excipant [un moyen] devient demandeur. » L’allégation du moyen est donc bien l’action qui déclenche l’obligation de prouver. 134 Cass. 2e civ., 22 mars 2001, pourvoi n° 99-18.303. 135 Cass. 3e civ., 31 mai 1989, pourvoi n° 88-11.524 à propos d’un contrat d’architecte pour lequel le professionnel demandait le versement d’honoraires qui n’avaient pas été visés dans le contrat. 136 F. TERRE, Introduction générale au droit, op. cit., n° 592. 137 Cf. les auteurs cités par J. GHESTIN et G. GOUBEAUX, Traité de droit civil, introduction générale, op. cit., n° 583, note 13. 138 C’est-à-dire au détriment de celui qui allègue. Cass. soc., 31 janv. 1962 : Bull. civ. 1962, V, n° 105. – Cass. soc., 15 oct. 1964 : Bull. civ. 1964, V, n° 678. preuve »139. L’analyse est pertinente, mais elle conduit en réalité à confondre la règle et sa sanction. La charge de la preuve définit une obligation qui s’impose aux parties dès lors qu’elles avancent une allégation. Cette obligation est la conséquence du lien d’instance. Dès le début de l’instance, un lien juridique se crée entre les parties ; et ce lien est créateur d’obligations. En droit des contrats, il ne viendrait pas à l’idée de dire que l’étude de l’obligation n’a d’intérêt qu’à travers sa sanction. De la même manière, en droit de la preuve, l’obligation que constitue la charge de la preuve est une règle de droit à part entière. Elle possède des applications jurisprudentielles qui ne conduisent pas simplement à identifier celui qui sortira vainqueur du procès. Elle permet, par exemple, de définir le rôle du juge dans la recherche de la preuve ; lequel peut être tenu de contribuer à la manifestation de la vérité140. En revanche, en cas de doute, l’attitude du juge peut être rattachée au risque de la preuve, c'est-à-dire à la sanction qui doit être prononcée lorsque celui qui en supporte la charge est défaillant. Le juge ne peut invoquer le doute, pour refuser de trancher le litige. Ici, la règle de preuve a un lien direct avec la prohibition du déni de justice. Pour autant, la Cour de cassation adopte une attitude compréhensive en admettant que le juge rejette les prétentions des deux adversaires au motif qu’aucun n’a rapporté la preuve des faits allégués au support de ces prétentions141. On mesure ici que la charge de la preuve constitue une obligation tangible pour les parties ; et que le juge peut rejeter chaque allégation, faute de preuve suffisante. Ce type de solution ne peut être analysé par le prisme du risque de la preuve. Le renversement et l’allégement de la charge de la preuve. Toutes les présomptions ne renversent pas la charge de la preuve, mais cet effet est classiquement attribué à certaines d’entre elles. On ajoutera que le renversement de la charge de la preuve peut aussi résulter d’une fiction142, encore que ces distinctions soient purement doctrinales. Récemment, le législateur a créé un mécanisme d’allégement de la charge de la preuve qui conduit à une répartition médiane. L’exemple typique est celui de la preuve du caractère réel et sérieux du licenciement. L’article L. 1235-1 du Code du travail dispose qu’« en cas de litige, le juge, (…), forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles ». L’alinéa 2 précise que « si un doute subsiste, il profite au salarié ». La disposition ne renverse pas la charge de la preuve, mais la répartit de façon égale sur les parties, ajoutant même une obligation pour le juge d’ordonner les mesures d’instruction. En d’autres termes, l’allégation du caractère abusif du licenciement crée une obligation de preuve pour chacune des parties. Bien que le doute profite au salarié, la règle ne constitue pas un renversement de la charge de la preuve, car l’employeur n’est pas tenu de fournir une preuve emportant la conviction du juge. Il doit simplement « fournir des éléments ». On retrouve ici l’idée d’un standard de preuve emprunté au modèle anglo-américain, qui permet au juge d’admettre une allégation qui ne serait pas établie avec certitude, mais simplement avec une probabilité supérieure à 50 %143. Cet allégement de la charge de la preuve est plus net encore s’agissant de la preuve des heures supplémentaires. L’article L. 3171-4 du Code du travail prévoit que l’employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié144. En cas de carence de l’employeur, le juge ne peut rejeter l’action du salarié en demande de paiement de ces heures. Il doit ordonner la production forcée des pièces. L’article L. 3171-4 crée une obligation de prouver, qui pèse sur l’employeur comme sur le salarié, et il y ajoute une obligation procédurale pour le juge. La charge de la preuve est répartie entre les acteurs du procès. Sa sanction peut frapper les parties, mais également le juge dont la décision sera censurée pour un motif procédural145. Le mécanisme de l’allégement de la charge de la preuve permet d’éclairer le rapport entre la charge de la preuve et sa sanction. Ainsi, le risque de la preuve ne constitue pas l’unique sanction liée à l’attribution de la charge. En cas de doute, la décision du juge de rejeter la prétention peut être censurée, car il s’est soustrait aux obligations procédurales liées à la charge de la preuve. Cette charge est ainsi étroitement liée à la définition du rôle du juge et des parties dans le litige. Le rôle du juge et des parties dans la procédure. Certains auteurs dissocient nettement la charge de la preuve et les aspects procéduraux liés au rôle du juge et des parties dans l’« administration de la preuve »146. D’autres, au contraire, considèrent que la charge de la preuve est un démembrement de la question plus générale de la recherche et de la production de preuves147. Plusieurs arguments conduisent à penser que la charge de la preuve et les règles qui définissent le rôle des acteurs du procès dans la recherche et la production des preuves entretiennent des rapports étroits. 139 X. LAGARDE, Réflexion critique sur le droit de la preuve, op. cit., n° 128. 140 C’est le cas en matière pénale, mais également en matière civile lorsque le droit à la preuve impose au juge d’ordonner une mesure d’instruction. Cf. infra, sur le rôle du juge et des parties dans la réunion des preuves. 141 Cass. com., 10 mai 1977 : Bull. civ. 1977, IV, n° 134. 142 Cf. supra, sur les catégories de présomption. 143 Preponderance of the evidence. 144 Sur ces différents exemples, cf. X. LAGARDE, Finalités et principes du droit de la preuve – Ce qui change : JCP G 2005, I, 133. 145 Cf. Cass. soc., 30 sept. 2003 : Bull. civ. 2003, IV, n° 248, qui casse l’arrêt ayant rejeté l’action en paiement du salarié sans avoir ordonné la production en justice par l’employeur des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés. 146 X. LAGARDE, Réflexion critique sur le droit de la preuve, op. cit., n° 128, spéc. p. 204. 147 Cf. par ex. J. GHESTIN et G. GOUBEAUX, Traité de droit civil, introduction générale, nos 578 et s., qui distinguent, au sein d’une soussection consacrée à la recherche et à la production des preuves, un premier paragraphe sur le rôle des parties (charge de la preuve) et un second paragraphe sur le rôle du juge. D’une part, la jurisprudence évoque le rôle du juge en référence aux articles 1315 du Code civil et 9 du Code de procédure civile. Il est ainsi admis qu’un juge ordonne la production d’attestations par les deux parties sans renverser la charge de la preuve qui incombe au demandeur, mais en permettant au défendeur d’établir la fausseté du fait invoqué par son adversaire148. Cet arrêt montre que le pouvoir du juge est ici lié à la question de la charge de la preuve. D’autre part, les règles qui attribuent la charge de la preuve créent une obligation pour les acteurs de rechercher ou de produire des preuves. Cette obligation est diversement sanctionnée. La partie qui s’y soustrait risque de perdre son procès. Le juge qui s’y soustrait peut voir sa décision censurée. Le principe doctrinal de coopération. L’évolution du rôle du juge dans le procès civil – et du rôle des autorités publiques dans le procès pénal – trouve ainsi sa place dans le chapitre relatif à la charge de la preuve. On y aborde les pouvoirs ou les devoirs d’enquête et d’instruction des autorités publiques149. On y évoque la production forcée des pièces en justice, par une partie ou par un tiers. Il ne s’agit pas d’étudier dans le détail les mesures d’instruction, mais de décrire les principes qui gouvernent la matière et qui ont progressivement conduit à l’essoufflement du principe de neutralité du juge dans le procès civil, tout en soulignant le rôle croissant des parties dans le procès pénal150. Cette évolution traduit la montée progressive du principe de coopération151. Les principes définissant le rôle des acteurs dans le procès conduisent naturellement à étudier la constitution du dossier probatoire. 3° La constitution du dossier probatoire La constitution du dossier probatoire est le volet le plus complexe de la théorie générale de la preuve. Il donne lieu à des constructions doctrinales extrêmement diverses, organisées sous l’appellation d’« administration de la preuve » ou sous l’expression de « recherche et production des preuves ». La recherche et la production des preuves constituent deux étapes essentielles dans la constitution du dossier probatoire. Mais il faut ajouter une autre étape : celle de l’exclusion des preuves. Cette étape consiste, pour le juge, à opérer un tri parmi les preuves produites ou sollicitées. Il écartera ainsi les preuves qui ne sont pas admissibles (système des preuves légales) ou celles qui sont illicites. L’exclusion des preuves est une opération de filtrage. Ces étapes ne s’enchaînent pas de façon chronologique. Si une preuve est produite en justice, le juge peut, ensuite, l’écarter des débats. Mais si une preuve est demandée au juge, celui-ci peut, avant toute recherche, opérer un filtrage pour vérifier que la preuve sollicitée est admissible et/ou licite. Il est toutefois possible de présenter successivement l’opération de réunion des preuves (a) et celle d’exclusion des preuves (b). a) La réunion des preuves Le principe doctrinal du droit à la preuve. La réunion consiste dans la recherche et la production des preuves. Cette étape est gouvernée par le principe doctrinal du droit à la preuve, qui recouvre le droit de produire en justice les preuves que l’on détient, et d’obtenir celles que l’on ne détient pas152. Parfois invoquée devant la Cour de cassation, l’expression « droit à la preuve » n’a pas été retenue par la Haute juridiction153. Certaines cours d’appel l’utilisent, notamment pour régler un conflit de droit. C’est ainsi qu’une juridiction du fond a pu juger que « le droit à la preuve doit l’emporter sur la protection de la vie privée et que l’atteinte à l’intimité est rendue licite par l’autorisation du juge »154. Le droit à la preuve est donc une construction doctrinale qui trouve sa source dans de nombreuses dispositions des codes de procédures civile et pénale155. Le droit à la preuve est surtout un principe structurant, car il permet d’établir une opposition entre ses démembrements (droit de produire, droit d’obtenir) et les obstacles qui en limitent l’exercice (preuve mise à l’écart, empêchement de prouver). La liberté de la preuve. S’agissant de la réunion des preuves, la liberté de la preuve est de principe. Cette affirmation peut sembler contredire la tradition du droit civil de la preuve, mais il n’en est rien. La légalité de la preuve156 ne représente qu’un îlot, dans un océan de liberté. La liberté concerne tous les faits juridiques, elle 148 Cass. soc., 20 mars 1985 : Bull. civ. 1985, IV, n° 196. 149 En matière pénale, les autorités publiques ont un devoir d’enquête et d’instruction : CPP, art. 41, al. 1 : « Le procureur de la République procède ou fait procéder à tous les actes nécessaires à la recherche et à la poursuite des infractions à la loi pénale » ; CPP, art. 81, al. 1 : « Le juge d'instruction procède, conformément à la loi, à tous les actes d'information qu'il juge utiles à la manifestation de la vérité. Il instruit à charge et à décharge. » En matière civile, le juge dispose généralement d’un pouvoir d’instruction : CPC, art. 11 : « Le juge a le pouvoir d'ordonner d'office toutes les mesures d'instruction légalement admissibles. » Il peut être exceptionnellement tenu d’ordonner la mesure d’instruction (expertise génétique par ex.). 150 É. VERGES, Procès civil, procès pénal, différents et pourtant si semblables : D. 2007, chron. p. 1441. 151 L. CADIET, E. JEULAND, Droit judiciaire privé, op. cit., n° 518. 152 G. GOUBEAUX, Le droit à la preuve, in La preuve en droit, Travaux du CNRL, Bruxelles, 1981, p. 277. – A. BERGEAUD, Le droit à la preuve, LGDJ, coll. « Bibl. de droit privé », t. 525. 153 La recherche experte sur le site www.legifrance.fr permet de constater que l’expression n’est employée que dans les moyens des pourvois. 154 À propos de l’autorisation par le juge du constat d’adultère, CA Aix-en-Provence, 21 nov. 2007 : JurisData n° 2007-357843. 155 Droit de solliciter des mesures d’instruction en matière civile et pénale, droit d’obtenir la production forcée d’une pièce par l’adversaire ou par un tiers, etc. 156 Au sens que nous retenons, c'est-à-dire celui du système des preuves légales. s’impose aux contrats commerciaux et au contrat de travail. Elle domine évidemment la matière pénale, mais également la matière civile. Pour justifier la portée générale du principe de légalité en droit civil, des auteurs ont pu écrire : « En pratique, il faut reconnaître que c’est le plus souvent pour les obligations que se pose un problème de preuve »157. Il n’est pas besoin de réaliser une étude statistique pour déceler dans cette affirmation une erreur d’appréciation. La lecture des chroniques de droit de la preuve158 permet de constater que la légalité de la preuve représente un contentieux faible en volume. Il est ainsi possible de concevoir la liberté de la preuve comme le principe général relatif à la réunion des preuves, tout en reconnaissant à la légalité la valeur d’un principe particulier d’exclusion des preuves cantonné dans un domaine159. La recherche et la production des preuves. Il convient ici de distinguer, d’un côté, les règles communes à la recherche et à la production des preuves et d’un autre côté, les modes de preuve. S’agissant de la recherche des preuves, le Code de procédure civile contient des dispositions générales relatives aux mesures d’instruction, qui relèvent de la théorie générale et des dispositions spéciales relatives à l’expertise, aux attestations, à l’enquête, qui constituent des modes de preuve et sont exclues de la théorie générale. De même, le Code de procédure pénale définit de façon générale les pouvoirs d’enquête et d’instruction des autorités publiques, lesquels se distinguent des modes de preuve (perquisitions, gardes à vue, auditions de témoins). S’agissant de la production des preuves, il semble que la situation soit différente. Les règles de production dépendent de deux principes : le principe de coopération dans la preuve160 qui s’impose aux parties et le principe visé à l’article 10 du Code civil, qui permet la production forcée des pièces détenues par les tiers. La production des pièces ne contiendrait ainsi que des règles relevant de la théorie générale. En définitive, la réunion des preuves se divise en deux volets : le premier concerne les deux principes qui servent de fondement à la réunion : droit à la preuve et liberté de la preuve ; le second porte sur les mécanismes techniques qui permettent de réunir les preuves : production (volontaire, forcée) et recherche. Les obstacles à la réunion des preuves sont considérés comme étant des procédés d’exclusion. b) L’exclusion des preuves L’exclusion des preuves rassemble des règles de preuve différentes en apparence, mais qui présentent une nature commune. Il s’agit d’abord des règles d’admissibilité liées au système des preuves légales. Il s’agit ensuite des règles d’admissibilité éparses que l’on retrouve, soit dans le Code civil (interdiction du recours à l’expertise génétique) ou dans le Code de procédure civile (interdiction de témoigner). Il s’agit enfin des preuves qui portent atteinte à une règle de droit. La nature commune de ces règles tient à la sanction qui en découle : l’exclusion. Admissibilité, recevabilité, nullité, mise à l’écart de la preuve. Cette exclusion se retrouve sous plusieurs expressions. On dit que la preuve n’est pas admissible, qu’elle est irrecevable, qu’elle doit être écartée. Le juge peut également prononcer la nullité d’un acte qui contient une preuve. Enfin, lorsque la preuve rencontre un obstacle de droit, le juge peut refuser de la rechercher. En doctrine et dans les codes, les règles d’exclusion sont généralement traitées sous deux dénominations : l’admissibilité ou la recevabilité de la preuve. Certains auteurs ont montré que l’usage de ces terminologies était aléatoire161. Nous n’attachons pas d’intérêt juridique à distinguer l’admissibilité de la recevabilité, ou encore de la mise à l’écart de la preuve. La nullité, en revanche, suit un régime spécifique. L’exclusion de la preuve se manifeste de deux façons distinctes. D’une part, elle consiste, pour le juge, à écarter des débats une offre de preuve formulée par la partie qui la détient. D’autre part, elle consiste pour le juge à refuser d’ordonner la recherche ou la production d’une preuve demandée par une partie. Dans ces deux situations, la preuve n’intégrera pas le dossier probatoire et la juridiction de jugement ne pourra l’utiliser pour fonder sa conviction. La procédure d’exclusion peut intervenir durant toutes les étapes de la procédure : avant le procès si le juge refuse une mesure d’instruction in futurum, durant la mise en état, au cours de l’audience sur le fond, ou dans la décision de justice. Une présentation systématique des modes d’exclusion permet de distinguer les exclusions qui sont fondées sur un mode de preuve, et celles qui sont fondées sur l’illicéité de la preuve. L’exclusion fondée sur le mode de preuve. On y range d’abord les règles d’admissibilité du système des preuves légales. Ce système, en exigeant la production d’une preuve littérale, instaure un mécanisme d’exclusion qui conduit à rejeter des débats toutes les preuves non prévues par la loi. Par exemple, la preuve d’un contrat 157 PLANIOL par G. RIPERT et J. BOULANGER, Traité de droit civil, op. cit., n° 710. 158 Ph. DELEBECQUE, J.-D. BRETZNER et Th. VASSEUR, Droit de la preuve, chron. annuelle publiée au Recueil Dalloz. 159 Cf. infra, sur l’exclusion des preuves. – Cf. égal., O. LECLERC, La distinction entre la « preuve en droit » et la « preuve en science » est-elle pertinente ?, pour lequel « les dispositions de l’article 1341 du Code civil s’analysent comme des règles spéciales instituant une exception », in E. TRUILHE-MARENGO (ss dir.), Preuve scientifique, preuve juridique, Larcier, 2011, p. 55. 160 S. GUINCHARD, C. CHAINAIS et F. FERRAND, Procédure civile, droit interne et droit de l’Union européenne, Dalloz, 30e éd. 2010, n° 564. 161 Cf. G. FRANÇOIS, La réception de la preuve biologique, Étude comparative de droit civil et droit pénal, thèse Paris 1, 2004, p. 491. – G. VIAL, La preuve en droit extrapatrimonial de la famille, op. cit., n° 26, note 168. d’entreprise ne pourra être rapportée par la production d’une facture, qui ne constitue ni un écrit, ni un commencement de preuve par écrit162. Quelle que soit la complexité du système et ses assouplissements, le mécanisme relève, dans son ensemble, d’un procédé de filtrage des preuves fondé sur le mode de preuve. Il est assoupli par le principe de dérogation conventionnelle au système des preuves légales qui est admis de façon constante en jurisprudence163. On trouve ensuite des exclusions qui tiennent à l’illicéité générale d’un mode de preuve. L’illustration la plus marquante est celle de l’expertise génétique, interdite par principe en matière civile et autorisée de façon dérogatoire dans le contentieux relatif à la filiation et aux subsides164. En matière pénale, l’expertise génétique est cantonnée à une liste d’infractions165. Hors des cas autorisés par la loi, l’expertise génétique est donc un mode de preuve exclu du dossier probatoire. Le juge ne pourra pas ordonner l’expertise. Les expertises produites par les parties pourront être écartées des débats. Enfin, l’exclusion d’un mode de preuve peut être prévue à titre dérogatoire dans certains contentieux. C’est le cas de l’interdiction du témoignage des descendants sur les griefs invoqués par les époux à l’appui d’une demande en divorce166. La déclaration des descendants ne peut ainsi être produite en justice et cette interdiction contamine les autres modes de preuve qui contiendraient une telle déclaration167. L’exclusion est ici absolue, mais elle peut aussi conduire, de façon moins radicale, à une dénaturation. Ainsi, en matières civile et pénale, certaines personnes ne peuvent être entendues comme témoins (incapacité de témoigner)168. Toutefois, ces personnes peuvent être entendues sans prestation de serment. La dénaturation de la preuve possède un effet bien moindre que l’exclusion, puisque la preuve peut être reçue en justice, et librement appréciée par le juge. Tous ces procédés, s’ils sont prévus par des textes éclatés, constituent des exclusions fondées sur le mode de preuve. L’exclusion peut provenir d’une interdiction ou d’une admissibilité réduite. Elle prend une forme différente lorsqu’elle se fonde sur l’illicéité de la preuve. L’exclusion fondée sur l’illicéité de la preuve. C’est ici qu’entre en jeu le principe général de licéité de la preuve, qui suppose que chaque preuve soit produite ou recherchée conformément aux règles de droit169. Cette illicéité peut se déduire de la non-conformité de la preuve à un principe général du droit de la preuve. Le recensement de ces principes généraux est difficile à réaliser. Certains ont une origine purement jurisprudentielle, d’autres se trouvent dans les codes de procédure, d’autres encore se déduisent de règles de droit substantiel. La liste proposée ci-dessous nous paraît exhaustive. Elle conjugue les sources du droit positif et exclut les principes simplement formulés par la doctrine. Constituent ainsi des filtres à la recevabilité des preuves : la loyauté de la preuve, le droit au respect de la vie privée, l’existence d’un secret protégé (médical, professionnel, bancaire, des affaires, de la défense nationale, des sources journalistiques, etc.), l’égalité des armes, les droits de la défense, le droit de ne pas s’auto-incriminer (en matière pénale seulement), la dignité de la personne, l’interdiction de se constituer une preuve à soi-même (dans le système des preuves légales seulement), le principe du contradictoire, l’encadrement des mesures probatoires de contrainte (droit à la liberté et à la sûreté). Il n’est ni possible, ni utile de présenter tous ces principes et leurs incidences probatoires dans le cadre de cette étude170, mais il est possible de dégager quelques traits communs. D’une part, tous ces principes ont une expression en droit positif. Ils ne constituent pas simplement des principes doctrinaux. D’autre part, ils ont tous, parmi leurs fonctions juridiques, celle d’exclure les preuves qui leur sont contraires. Encore que le conflit entre la preuve et le principe ne se résout pas systématiquement au détriment de la première. Ainsi, nombre de preuves qui portent atteinte au secret, à la vie privée sont admises par la jurisprudence et les solutions relèvent parfois de la casuistique. D’une façon globale, le conflit entre la recherche de la vérité et la protection d’autres intérêts fondamentaux se traduit par un équilibre qui permet de dire que les principes opèrent comme des filtres de la preuve. Obstacles à la découverte de la vérité, ils n’en sont pas moins les protecteurs d’autres droits fondamentaux. L’illicéité de la preuve peut également se traduire par le défaut de conformité de la preuve à une règle technique. Cette situation se présente uniquement pour les preuves spéciales (ou nommées). Ces preuves sont soumises à un régime juridique spécifique, qui s’adjoint au droit commun constitué par les principes généraux décrits ci-dessus. Les régimes de la perquisition, de l’expertise, de l’interrogatoire, des attestations, de l’audition des témoins, etc., contiennent ainsi de nombreuses dispositions techniques qui définissent des procédures contraignantes dans la recherche de la preuve. Le non-respect de ces dispositions conduit à une situation d’illicéité de la preuve. L’acte qui constitue le support de la preuve pourra être annulé (procès-verbal de 162 Cass. 3e civ., 21 juill. 1999, pourvoi n° 96-22.630. 163 Sur la licéité des conventions portant sur les moyens de preuve, cf. par ex. Cass. civ., 8 nov. 1989 : D. 1990, p. 369, note GAVALDA. 164 C. civ., art. 16-11. 165 CPP, art. 706-54 et s. 166 CPC, art. 205 in fine. Le principe étant que « chacun peut être entendu comme témoin ». 167 Cf. Cass. 2e civ., 23 mars 1977, à propos du témoignage d’un tiers qui rapporte la déclaration d’un descendant. 168 CPP, art. 108, 335, 447, 448. 169 Cf. supra. 170 Mais la théorie de la preuve a pour objet de les étudier distinctement. perquisition) ou écarté (attestation)171. Cette illicéité est de la même nature que celle décrite précédemment à propos de la violation d’un principe général. Quelle que soit la sanction encourue, elle se traduit par une exclusion de la preuve illicite. La différence tient au fait que les preuves nommées sont soumises à la fois au droit commun et aux règles d’exclusion de leur régime particulier. À l’inverse, les preuves innomées ne peuvent être exclues que si elles violent un principe général172. Les situations dérogatoires. Certaines preuves peuvent échapper au contrôle de licéité. D'autres peuvent bénéficier de dérogations légales. Échappent, en général, au contrôle de licéité, les preuves apportées par les personnes privées dans un procès pénal. La jurisprudence est constante. Elle permet, par exemple, de rechercher et produire une preuve au mépris du principe de loyauté. En revanche, la preuve doit être soumise au principe du contradictoire qui constitue l’unique et ultime filtre de la preuve173. Une autre hypothèse permet de rechercher une preuve au prix d’un acte illicite. Elle concerne le salarié qui utilise des documents appartenant à son employeur dans le but de se défendre dans le cadre d’un litige prud’homal. À première vue, cette utilisation constitue un vol de document et devient, dès lors, illicite. Pourtant, la chambre sociale de la Cour de cassation juge la preuve recevable174 et la chambre criminelle affirme qu’aucune poursuite pour vol ne peut être exercée contre le salarié175, l’acte étant strictement nécessaire à l'exercice des droits de sa défense. Les droits de la défense font ici office de fait justificatif de l’infraction. Ils rendent l’acte licite et conduisent à rendre la preuve recevable. Ce retour à la licéité de la preuve se retrouve lorsque la preuve est autorisée par un texte. Cette hypothèse concerne les preuves qui bénéficient d’autorisations légales. De nombreuses procédures peuvent constituer des atteintes à des principes généraux du droit de la preuve. Il en est ainsi particulièrement en matière pénale. Les modes de preuve peuvent être attentatoires à la vie privée (écoutes téléphoniques, captation de données informatiques) ou constituer des mesures de contraintes (garde à vue, vérification d’identité). Mais cette atteinte se retrouve en matière civile, qu’il s’agisse du constat d’adultère ou de l’enquête sociale. Ces modes de preuve bénéficient d’une autorisation spéciale. Ils constituent des ingérences dans un droit protégé par un principe général, mais leur licéité est sauvegardée. Sous condition de respecter les règles qui leur sont applicables, ces preuves ne subiront pas l’exclusion. La prévision légale permet également, sous réserve de nécessité et de proportionnalité, de justifier l’atteinte à un droit protégé par la Convention européenne des droits de l’homme176. En définitive, la constitution du dossier probatoire est le volet de la théorie générale de la preuve qui présente la plus grande complexité. Il est nécessaire de combiner les règles du système des preuves légales et celui des preuves libres. Il faut également combiner les principes généraux et les règles spéciales ; identifier des situations dérogatoires. Il convient enfin d’appréhender de façon globale des sanctions qui apparaissent dispersées (irrecevabilité, mise à l’écart, nullité, refus d’ordonner la production ou la mesure d’instruction). Au-delà de la complexité et de l’éparpillement, nous avons tenté de proposer une organisation cohérente des règles de constitution du dossier probatoire. C’est sur ce dossier que le juge pourra porter une appréciation. 4° L’appréciation des preuves L’appréciation de la preuve se divise naturellement en deux situations opposées. Soit la force probante de la preuve est déterminée par la loi (a), soit elle est laissée à la libre appréciation du juge (b). Cette distinction ne suit pas nécessairement la dichotomie traditionnelle des systèmes de preuve. a) La force probante déterminée par la loi Lorsque la loi définit la force probante d’une preuve présente dans le dossier, le juge est, par principe, lié par cette preuve. En réalité, la force probante génère deux règles distinctes. Force probante et conviction du juge. La force probante exprime une première règle. Si la preuve n’est pas combattue selon les formes prévues par la loi, elle s’impose au juge. Cette situation se retrouve en premier dans le système des preuves légales, qui concerne les actes juridiques en droit civil et les contraventions en droit pénal. Il en est ainsi de la force probante de l’acte authentique, et de celle, plus faible, de l’acte sous seing privé. 171 Encore que pour l’attestation, l’article 202 du Code de procédure civile n’étant pas prescrit à peine de nullité, le juge dispose d’un large pouvoir pour admettre ou écarter l’attestation non conforme à la prescription réglementaire. Cass. 1re civ., 29 avr. 1981 : Bull. civ. 1981, I, n° 143. 172 L’exemple topique est celui de l’interdiction du témoignage d’un tiers ou de l’audition du suspect sous hypnose pour violation des droits de la défense : Cass. crim., 12 déc. 2000 : JCP G 2001, II, 10495, note PUIGELIER. – Cass. crim., 28 nov. 2001 : D. 2002, p. 372. 173 Par ex. Cass. crim., 12 juin 2003 : Procédures 2003, comm. 223. 174 Cass. soc., 2 déc. 1998, pourvoi n° 96-44.258. « Le salarié peut produire en justice, pour assurer sa défense dans le procès qui l'oppose à son employeur, les documents de l'entreprise dont il a la connaissance à l'occasion de l'exercice de ses fonctions. » 175 Cass. crim., 11 mai 2004 : D. 2004, p. 2326. – Cass. crim., 16 juin 2011, pourvoi n° 10-85.079. 176 S’agissant des procédés de preuve, ils peuvent constituer des ingérences dans les droits protégés par les articles 5, 6 et 8 de la Convention. Ces preuves « font foi » jusqu’à inscription de faux ou jusqu’à preuve contraire177. En l’absence de contestation, le juge ne peut ignorer la preuve ou en diminuer l’effet sur sa conviction178. Force probante et contestation de la preuve. La force probante exprime une seconde règle, qui s’adresse, non au juge, mais à l’adversaire. Elle définit la manière de détruire ou de combattre la preuve à laquelle est attachée une certaine force. Il peut s’agir d’une inscription de faux ou d’un simple désaveu. Ainsi, lorsqu’une partie désavoue son écriture ou sa signature, la force de l’acte sous seing privé est anéantie179. Si la vérification d’écriture ne permet pas de démontrer la sincérité de l’acte, celui qui fonde sa prétention sur l’acte doit être débouté180. Le juge ne retrouve pas sa liberté d’appréciation. À l’inverse, la force probante peut être, non pas détruite, mais combattue. L’acte sous seing privé peut ainsi être contesté par une autre preuve littérale. La manière de combattre la preuve est donc une nouvelle fois encadrée par la loi. Mais, dans l’hypothèse d’un conflit de preuves légales, le juge retrouve sa liberté. L’article 1316-2 du Code civil prévoit ainsi que « le juge règle les conflits de preuve littérale en déterminant par tous moyens le titre le plus vraisemblable, quel qu'en soit le support ». Ainsi, même dans un système de preuve légale, la liberté d’appréciation du juge peut trouver à s’appliquer. Force probante dans le domaine des faits juridiques. Il est communément admis que la preuve des faits juridiques est libre. Cette règle s’applique à l’admissibilité des preuves, mais pas toujours à leur force probante. Ainsi, le Code civil définit la force probante de certains modes de preuve de façon générale, sans distinction entre les faits et les actes juridiques, entre les obligations et les autres objets de preuve. Tel est le cas de l’aveu judiciaire, dont l’article 1356 du Code civil indique qu’il « fait pleine foi contre celui qui l’a fait ». La force probante de l’aveu est ainsi définie par la loi, mais elle s’applique indifféremment dans le domaine des actes juridiques181 et dans celui des faits juridiques182. La preuve légale s’immisce dans un domaine habituellement dominé par la liberté. Cette force probante peut induire une forme de hiérarchie dans la preuve des faits. Ainsi, lorsqu’un conflit de preuves s’élève à propos de la date de délivrance d’un congé par un bailleur, la preuve de cette date établie par un constat d’huissier ne peut être combattue par témoin, car la « date de signification d'un acte par un huissier de justice fait foi jusqu'à inscription de faux »183. Ici, la force probante établit une hiérarchie entre les preuves proposées par les parties. Cette solution est d’autant plus surprenante, s’agissant de la preuve d’un fait juridique. La force probante des présomptions. L’étude de la force probante est enfin l’occasion d’évoquer une dernière fois les présomptions. Les présomptions qui possèdent une force probante particulière sont habituellement appelées « irréfragables ». En réalité, il en existe plusieurs catégories. L’article 1352 du Code civil184 énonce une règle complexe selon laquelle « nulle preuve n'est admise contre la présomption de la loi, lorsque, sur le fondement de cette présomption, elle annule certains actes ou dénie l'action en justice, à moins qu'elle n'ait réservé la preuve contraire et sauf ce qui sera dit sur le serment et l'aveu judiciaires ». Cette disposition prévoit pas moins de trois catégories de présomptions : celles qui se combattent par la preuve contraire, celles qui résistent jusqu’au serment et à l’aveu, et enfin, celles qui n’admettent aucune preuve contraire. L’étude de la force probante aménagée par la loi permet de mesurer l’enchevêtrement des systèmes de preuve, mais également la diversité des questions liées à l’appréciation de la preuve. On en dénombre quatre : le juge estil lié par la preuve ? Comment la preuve peut-elle être détruite ? Comment la preuve peut-elle être combattue ? Comment résoudre un conflit entre plusieurs preuves ? La situation paraît plus simple lorsque la force probante est laissée à la libre appréciation du juge. b) La force probante laissée à la libre appréciation du juge La libre appréciation par le juge de la force probante des éléments qui lui sont soumis s’exprime en deux règles : d’une part, le juge n’est lié par aucune preuve présente dans le dossier ; d’autre part, aucune hiérarchie ne peut s’établir entre les différentes preuves. C’est la signification de l’intime conviction. Elle est retenue tant en matière pénale185 qu’en matière civile186. Le juge dispose ainsi d’un pouvoir souverain pour apprécier la 177 Selon les distinctions posées par le Code civil. – Cf. pour un aperçu général, TERRE, Introduction générale au droit, op. cit., nos 627 et s. 178 Pour une illustration, CA Poitiers, 20 févr. 1991 : Defrénois 1991, p. 1262. 179 C. civ., art. 1324. 180 Cass. 1ère civ., 13 oct. 1992 : Bull. civ. 1992, n° 253. 181 Cass. 1re civ., 28 janv. 1981 : Bull. civ. 1981, n° 33. L’aveu fait pleine foi contre son auteur même lorsque la preuve doit être apportée par écrit. 182 Cass. soc., 22 mars 2011, n° 09-72.323, à propos d’un aveu judiciaire concernant les faits de chantage et de pressions justifiant un licenciement. 183 Cass. 3e civ., 22 févr. 2006 : Procédures mai 2006, n° 5, comm. 109. 184 La référence à l’article 1352 du Code civil est discutable s’agissant des présomptions irréfragables. Cet article, qui s’appuie sur l’article 1350, traite des présomptions légales. Toutes les présomptions légales ne sont pourtant pas irréfragables. Par ailleurs, certaines présomptions irréfragables existent en dehors de l’article 1350. La problématique des présomptions irréfragables est l’une des plus délicates du droit de la preuve et ne peut être traitée de façon satisfaisante dans cette étude. Cf. not. R. DECOTTIGNIES, Les présomptions en droit privé, LGDJ, 1950, p. 87 et s. 185 CPP, art. 427. 186 Par ex., Cass. 1re civ., 16 juin 1998 : D. 1999, p. 360, note J. MASSIP. « C'est souverainement que la cour d'appel a apprécié la valeur de la présomption pouvant résulter du refus de Marie-Odile et Jean-Claude X... de se soumettre à l'expertise sanguine ordonnée valeur probante des éléments qui lui sont soumis et il lui appartient d’« écarter des débats »187 un constat d’huissier en cas de doute sur l’impartialité de ce dernier188. Le principe de l’intime conviction s’oppose au doute et le principe impose une « certitude intérieure » pour le juge189. En cela, il se distingue des standards de preuve190. La liberté d’appréciation laissée au juge est un principe probatoire qui s’articule avec un autre principe de procédure. Celui de la motivation191. Si l’intime conviction confère une liberté au juge, « la motivation est l’instrument de sa soumission »192. Principe de pure procédure, la motivation des décisions de justice a ainsi une incidence sur la preuve. Il commande au juge d’indiquer les éléments sur lesquels il s’est fondé193. En définitive, la simplicité apparente de l’intime conviction laisse toute de même apparaître plusieurs questions distinctes : le juge est-il lié par les preuves produites ? Le juge doit-il établir une hiérarchie ? Le juge doit-il atteindre une certitude ou une simple probabilité ? Le juge doit-il s’expliquer sur la manière dont il a apprécié les preuves ? * ** L’objet de cette étude était de proposer une nouvelle présentation du droit privé de la preuve sous la forme d’une théorie générale. Le résultat ne s’obtient qu’après un long parcours, qui s’impose tant à l’auteur qu’au lecteur. D’abord, il a été nécessaire de montrer que la théorie de la preuve civile, héritée de son histoire et victime de son éclatement, nécessite d’être en partie remise à plat. Ensuite, nous avons tenté de réorganiser la théorie de la preuve, sans chercher l’originalité, mais en reprenant les éléments essentiels de cette théorie, les grandes questions et les grandes étapes du processus probatoire. Enfin, nous aboutissons à un résultat dont la finalité est de constituer l’ossature d’une théorie renouvelée de la preuve. La nouveauté ne se trouve pas dans les règles exprimées. Nous nous sommes contenté de les rassembler. L’innovation se trouve dans le travail effectué sur les concepts et sur les classifications. L’ambition de l’étude est donc avant tout celle de l’accessibilité et de l’intelligibilité des règles de preuve. Elle consiste également à proposer une vision d’ensemble, qui transcende les branches du droit et met en évidence l’unité profonde du droit de la preuve. Mais nous sommes conscient qu’au fil de la lecture, cette vision d’ensemble s’estompe. C’est pour cette raison qu’en lieu et place de la conclusion, le lecteur trouvera ci-dessous un plan structurant la théorie générale de la preuve. I. L’objet de la preuve – Preuve du fait et preuve du droit. – Le fait pertinent. – Le fait contesté. – Le fait négatif. – Les présomptions ayant pour effet de déplacer l’objet de la preuve. II. La charge de la preuve – La répartition initiale de la charge de la preuve. – Le lien entre charge de la preuve et risque de la preuve : l’obligation et sa sanction. – Le renversement et l’allégement de la charge de la preuve. – Le rôle du juge et des parties dans la procédure probatoire. III. La constitution du dossier probatoire a) La réunion des preuves – Le droit à la preuve. – La liberté de la preuve. – La recherche et la production des preuves (règles générales). b) L’exclusion des preuves – L’exclusion fondée sur le mode de preuve (admissibilité restreinte). – L’exclusion fondée sur l’illicéité de la preuve (principe de licéité de la preuve). Non-conformité de la preuve à un principe général du droit de la preuve. Non-conformité de la preuve à une règle technique prévue par un texte. – Les situations dérogatoires. IV. L’appréciation des preuves a) La force probante déterminée par la loi – La preuve s’impose au juge. par le tribunal et décidé que ce refus des enfants, qui eux-mêmes ne connaissent pas la vérité biologique, ne pouvait suffire à asseoir sa conviction d'une non-paternité de M. X... en l'absence du moindre élément extrinsèque. » 187 L’expression est ici malvenue. Elle signifie que le juge peut refuser de tenir compte de l’élément de preuve dans sa décision. 188 Cass. 2e civ., 19 janv. 1966 : Bull. civ. 1966, II, n° 78. 189 J.-D. BREDIN, Le doute et l’intime conviction : Droits 1996, n° 23, p. 21. – Cf. plus généralement. C. TOURNIER, L’intime conviction du juge, PUAM, 2003. 190 Cf. F. FERRAND, Rép. civ. Dalloz, préc., n° 480. 191 Cf. F. FERRAND, Rép. civ. Dalloz, préc., n° 465. – Cf. égal. É. VERGES, Les principes directeurs du procès judiciaire, étude d’une catégorie, thèse Aix-en-Provence, 2000, n° 318. http://www.facdroit-grenoble.org/crj/images/documents/these-verges.pdf. 192 G. GIUDICELLI-DELAGE, La motivation des décisions de justice, thèse Poitiers, 1979, p. 655. 193 Cass. 2e civ., 25 nov. 1970 : Bull. civ. 1970, n° 319. – Cf. égal. F. FERRAND, préc., nos 466 et 467, qui évoque l’obligation de répondre aux conclusions des parties et l’interdiction de dénaturation des preuves. – La hiérarchie des preuves (destruction, contestation, conflits de preuve). – La force probante de certaines présomptions. b) La force probante laissée à la libre appréciation du juge – Signification de l’intime conviction. – Encadrement de l’intime conviction.